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MUSICALES (TRADITIONS) - Musiques de l’Océanie
MUSICALES (TRADITIONS) - Musiques de l’Océanie

L’idée stéréotypée que l’on se fait de la musique des mers du Sud dérive d’images vagues où, sur des plages tropicales, l’ukélélé et la guitare hawaïenne accompagnent le chant des vahinés. La véritable richesse de la vie musicale de ces régions constitue une réalité très différente. Le style bien connu de la «musique des îles» peut être considéré comme un produit «abâtardi», même s’il est apprécié partout en Océanie. Il a pour origine la fusion entre les cantiques des missionnaires et les airs populaires européens du XIXe siècle, comme les valses et les polkas; il s’est répandu d’abord grâce à la prolifération des fanfares, de l’accordéon et de l’harmonica, puis, avec le gramophone, les postes de radio portatifs et – plus récemment – les magnétophones à cassettes. Il s’est diffusé à travers tout le Pacifique, jusque dans des endroits aussi reculés que la Nouvelle-Guinée et l’intérieur de l’Australie. Il s’agira ici d’esquisser une description et une explication des styles musicaux d’Océanie, tels qu’ils existaient à l’époque du premier contact avec les Européens, et qui, malgré le succès des importations, survivent encore. Par Océanie, nous entendons ici l’Australie, la Nouvelle-Guinée, la Mélanésie, la Polynésie et la Micronésie.

À la limite ouest de l’Océanie se trouvent l’Australie et la Nouvelle-Guinée. Les habitants de l’Australie, les aborigènes, ont évolué dans un isolement culturel qui a duré, pense-t-on, environ 30 000 ans. Cette longue séparation fait que les langues et les musiques australiennes sont sans rapport avec celles du reste de l’Océanie. Le peuplement de la Nouvelle-Guinée, qui est à peu près aussi ancien, rassemble des centaines d’ethnies différentes dont les langues sont presque aussi nombreuses et souvent dénuées de toute parenté les unes avec les autres; c’est pourquoi on les classe dans le groupe de familles linguistiques dit «non austronésien».

La Mélanésie s’étend sur 4 000 kilomètres depuis la Nouvelle-Guinée vers le sud-est jusqu’aux abords du tropique du Capricorne. Comme la majeure partie de la côte nord de la Nouvelle-Guinée, elle est occupée par des peuples de marins appartenant tous à une seule famille linguistique appelée austronésienne dont la diffusion dans le Pacifique a commencé il y a environ 5 000 à 7 000 ans.

Les îles qui constituent la Polynésie se situent à l’intérieur d’un triangle de 7 000 kilomètres de côté appelé le Triangle polynésien. Il comprend la Polynésie occidentale: Tonga, Samoa, Tokelau, Tuvalu, et les îles voisines; la Polynésie orientale embrasse toutes les autres îles. Les langues polynésiennes appartiennent à un rameau récent de la famille austronésienne, qui s’est développé il y a environ 3 000 ans quelque part en Polynésie occidentale. Enfin, au nord de la Mélanésie et à l’ouest de Hawaii se trouvent les «petites îles», ou la Micronésie. Leurs langues sont encore plus diverses que celles de la Polynésie, et leur évolution plus mal connue.

1. Utilisations profanes et rituelles de la musique

Partout en Océanie, les différents types de chants sont classés en fonction de leur utilisation. Une catégorie importante comprend les chants associés à des «rites de passage» comme ceux qui marquent la naissance, la puberté, le mariage et la mort. Une autre regroupe les chants des cérémonies magiques et religieuses. Dans le domaine profane, on trouve les chants qui accompagnent la danse et ceux qui rythment la vie quotidienne: chants-jeux, chants historiques, chants d’amour, berceuses, chants de guerre, chants de travail, etc.

Les aborigènes australiens sont nomades et vivent de la chasse et de la cueillette; leur civilisation matérielle est peu développée. En revanche, leur organisation sociale est complexe; les cérémonies, et surtout les rites initiatiques et les danses rituelles accompagnés de chants, jouent un rôle important. Les chants profanes portant sur les sujets les plus divers: incidents récents ou plus anciens, commérages du moment, sont exécutés à l’occasion du moindre rassemblement. Les chants sacrés sont réservés à certaines circonstances bien définies; leurs paroles se réfèrent souvent à des événements mythologiques. Mais il existe aussi une importante catégorie de chants non seulement sacrés mais secrets, exécutés uniquement dans des lieux saints, et associés à un rituel qu’il est interdit de divulguer au profane. Les cérémonies pour hommes sont distinctes de celles qui concernent les femmes, et chacun doit ignorer jusqu’au nom des cérémonies réservées à l’autre sexe. Leur accomplissement vise des objectifs de diverses natures: initiation, amour, magie, sorcellerie, guérison de malades; ou encore il se rapporte à des activités comme la chasse et la guerre. Les cérémonies comprennent, outre des chants, des danses, des peintures corporelles, la fabrication d’objets rituels, la représentation théâtrale de mythes sous une forme stylisée intégrant des actes symboliques. Les chants nouveaux sont appris en rêve, ou lors de visions inspirées par les totems ou par les esprits des morts; les anciens chants et les cérémonies qui leur sont associées, font l’objet d’un véritable troc entre tribus et se marchandent le long des routes commerciales.

Dans beaucoup de régions de la Nouvelle-Guinée et de la Mélanésie, les systèmes sociaux sont dominés par le big man (grand homme, homme important), notable qui atteint son rang soit par une ascension sociale acquise à prix d’argent, soit en accumulant et redistribuant des richesses sous forme de nourriture, souvent des ignames, ou d’objets matériels comme des parures en coquillages, soit encore, en acquérant et tuant des cochons. Les cérémonies correspondantes sont l’occasion de fastes comprenant des danses, des chants, et le port de masques impressionnants qui représentent les esprits des défunts ou des êtres mythiques ancestraux. Presque toute la Nouvelle-Guinée et une partie de la Mélanésie se distinguent, tout comme l’Australie, par l’existence de cérémonies d’initiation où les jeunes garçons, parvenus à l’âge de la puberté, sont soumis à des épreuves douloureuses telles qu’incisions péniennes, saignements de nez, vomissements provoqués, et scarifications. Le chant et la danse font normalement partie de la cérémonie, ainsi que l’emploi d’instruments sonores qui revêtent un caractère ésotérique comme les «flûtes sacrées» ou encore le rhombe, instrument que l’on fait tourner à grande vitesse au bout d’une ficelle et qui produit un ronflement modulé. Dans toute la Mélanésie des cérémonies de tout genre font couramment l’objet de troc entre communautés; elles s’accompagnent de musique, de danses, d’accessoires, de costumes et même de peintures corporelles spécifiques. Il arrive souvent que le texte des chants perde son sens, et que, dans certaines communautés, des langues différentes de la langue usuelle soient réservées aux chants.

Contrairement à la tradition mélanésienne, en Polynésie, le pouvoir réside dans la personne du chef, et la religion renforce sa position. Son ascendance divine est attestée dans des généalogies que psalmodient les fidèles, et c’est le tapu (tabou, ou sacralité) lié à cette ascendance qui assure son pouvoir. À Hawaii, les chefs fondent au sein de leur cour des hula ou écoles de danse, et composent eux-mêmes bon nombre de chants. Ces écoles imposent des règles de conduite très strictes; les élèves ont un statut d’«acolytes» au sens religieux du terme. L’institution la plus renommée, dans le domaine de la musique et de la danse, est celle des Arioi à Tahiti. Qualifiés tour à tour de «guerriers», de «libertins», de «francs-maçons» et de «baladins», les Arioi constituent à la fois une organisation religieuse, une société hiérarchisée d’amuseurs publics, et un collège chargé de perpétuer les mythes et les traditions de l’île. Les membres initiés apprennent des récitations, des chants, des danses, des représentations de scènes sacrées et profanes, et les méthodes de combat qui leur sont propres. Leurs deux principales activités consistent à chanter la création et à supplier les dieux d’apporter abondance et fertilité. Ils constituent un groupe privilégié et, durant les tournées qu’ils effectuent d’île en île, sont nourris et logés partout où ils se produisent. Chacun progresse dans la hiérarchie selon ses talents d’orateur, de chanteur et de poète; à l’occasion de chaque promotion se déroulent des cérémonies solennelles suivies de festins, accompagnées de musique, danses et pantomimes, qui durent parfois plusieurs jours. Étant donné l’importance de la notion de fertilité, il n’est pas surprenant qu’un déploiement de sexualité ait caractérisé non seulement les représentations données par les Arioi, mais aussi leur vie privée. C’est pour cette raison, entre autres, que la société fut attaquée par les missionnaires, qui parvinrent en 1820 à la faire abolir.

Bien que les formes les plus anciennes de la musique traditionnelle soient encore jouées en Micronésie, elles y ont été peu étudiées et sont mal connues. Les chants liés à la vie quotidienne tels que chants de festins, chants-jeux, chants de halage, chants d’amour et de guerre, étaient certainement très répandus; une catégorie très importante regroupe les chants qui accompagnent les nombreuses variétés de danses, danses sur pied et danses assises. Parmi celles-ci on note les danses mimétiques, les danses de guérison, les danses de tatouage associées aux rituels d’initiation, les danses funéraires et érotiques. On ne sait si ces dernières possédaient également une signification religieuse en Micronésie. À Ulithi, hommes et femmes les exécutent à part, et il est interdit à chaque sexe d’assister à la danse de l’autre sexe.

2. Les instruments de musique

Les instruments de musique chez les aborigènes d’Australie se répartissent en deux catégories seulement, les idiophones et les aérophones. Les tambours en forme de sablier (avec étranglement au milieu) qu’on trouve au cap York sont une importation récente venue de Nouvelle-Guinée et des îles du détroit de Torrès. Les cordophones sont inconnus. Un peu partout en Australie se rencontrent des instruments à percussion de diverses espèces, mais le type d’idiophone le plus répandu est une paire de bâtons en bois dur qui résonnent lorsqu’on les frappe l’un contre l’autre et permettent un accompagnement rythmé du chant. On entrechoque aussi des boomerangs; certains effets de percussion sont aussi obtenus par des musiciens qui battent des mains, se frappent le corps ou heurtent le sol en cadence avec des bûches. Mais les instruments australiens les plus connus sont le rhombe et le didjeridu . Le rhombe s’utilise essentiellement dans des cérémonies où il simule la voix d’êtres surnaturels ou d’esprits totémiques qui président à des rituels d’initiation. Sous peine de châtiments très durs, voire de mort, il est interdit aux femmes et aux jeunes non initiés de voir le rhombe, dont le secret n’est révélé aux jeunes hommes que lorsqu’ils ont subi les épreuves de leur initiation, et ont atteint l’âge adulte. Le didjeridu n’est rien de plus qu’un cylindre de bois creux d’environ 2 m, muni ou non d’un embout de cire ou d’argile. Pourtant les musiciens en tirent parfois des effets d’une virtuosité incroyable. Le son qu’il produit est une note fondamentale en bourdon, susceptible de diverses articulations rythmiques et de modifications de timbre presque infinies, qui alterne avec une harmonique flûtée. D’abord confiné à la terre d’Arnhem et au cap York, le didjeridu tend maintenant à s’étendre au sud et à l’est.

En Nouvelle-Guinée, l’instrument qui, presque partout, accompagne les danses est le tambour en forme de sablier ou de cylindre étranglé, tenu à la main (appelé kundu en pidgin). Les tambours à fente (appelés garamut en pidgin) sont utilisés principalement par les peuplades côtières et fluviales de langue austronésienne, surtout le long de la côte nord; comme le kundu, ils servent à accompagner des danses, à transmettre les signaux et ont aussi un usage rituel. Les bâtons à percussion, sonnailles et raclettes sont les idiophones les plus courants. Les cordophones sont rares, à l’exception de l’arc musical; un autre instrument dont le principe est le même que celui de l’arc à bauche, est la guimbarde. Pour la fabrication de la guimbarde, on pratique vers le milieu d’un tube de bambou des incisions qui dégagent une sorte de battant ou languette dont on place l’extrémité dans la bouche, où on la fait résonner, tandis que l’on communique à l’autre extrémité, au moyen d’une ficelle brusquement tendue, de brèves secousses qui mettent en mouvement la languette de l’instrument. Les aérophones comprennent des trompes en bois, et des conques, ainsi que des flûtes, traversières ou à bec, dont on joue avec la bouche ou avec le nez. Les plus connus de ces aérophones sont sans doute les flûtes jumelles – également appelées «flûtes des esprits» ou «flûtes sacrées» – qu’on trouve chez les Papous du Sépik et des montagnes. Elles sont liées à des cultes réservés aux hommes adultes. On les emploie dans les rituels d’initiation pour effrayer les femmes et les jeunes garçons non initiés, au moyen de sons bizarres, qui sont censés être des voix de fantômes ou d’esprits, ou encore des cris d’oiseaux mystérieux et gigantesques. Les sons fondamentaux de ces deux flûtes sont en relation de seconde majeure. L’échelle musicale complète est donnée par le jeu alterné, très rapide, des deux instrumentistes. Les rhombes, ailleurs en Nouvelle-Guinée et surtout autour du golfe de Papouasie et du golfe Huon, ont la même fonction que les «flûtes des esprits»; souvent, dans les rituels d’initiation, d’autres instruments sonores, comme des trompes faites de feuilles, des sifflets, des tambours à eau sont utilisés.

Dans les îles mélanésiennes le tambour à fente est un instrument de première importance dans la vie religieuse et dans la vie quotidienne. Il est utilisé dans des rituels, en particulier ceux des sociétés secrètes d’hommes, mais aussi pour émettre des signaux au moyen de codes constitués par diverses combinaisons de battements longs et courts. Les tambours à fente mélanésiens sont de grande dimension et, en général, sont positionnés parallèlement au sol. En revanche, dans les sociétés patrilinéaires du centre de Vanuatu (Nouvelles-Hébrides), c’est la forme verticale qui domine; elle représente l’image en pied d’un ancêtre. Parmi les autres idiophones, on peut ajouter des guimbardes, de nombreuses variétés de sonnailles, des cylindres à percussion en bambou, et divers instruments à percussion proches de ceux de la Nouvelle-Guinée. Cette ressemblance avec la Nouvelle-Guinée s’étend aux tambours en forme de sablier (mais seulement au nord de l’archipel Bismarck), à l’arc musical, aux trompes de bambou, de bois ou de coquillage, ainsi qu’à diverses variétés de flûte, généralement non nasales. En revanche, la flûte de Pan joue un rôle beaucoup plus important qu’en Nouvelle-Guinée. Les îles Salomon sont célèbres pour leurs grands orchestres de flûtes de Pan dont jouent les hommes et les jeunes garçons pour accompagner les danses. Les ensembles les plus connus sont ceux du peuple ’Are’are du sud de Malaita, qui jouent une «musique à programme» fondée sur les sons que produisent les événements de la nature et ceux de la vie quotidienne. On a récemment découvert que certains de ces ensembles font usage de gammes équiheptatoniques (sept degrés égaux dans l’octave). Deux instruments particuliers à la Mélanésie sont peut-être uniques au monde: le temes naainggol de Malékula et le nunut ou livika de la Nouvelle-Irlande. Le premier est constitué d’un certain nombre de cylindres en bois en forme d’obus, dûment accordés, dans lesquels le musicien souffle avec une remarquable dextérité, par l’intermédiaire d’un tube de bambou qu’il introduit et retire rapidement, passant d’un cylindre à l’autre. Le livika est un bloc de bois que l’on frotte avec les mains enduites de résine, de façon à faire résonner des cavités ménagées à l’intérieur; le mouvement ressemble assez à celui par lequel on fait vibrer un verre à musique. Comme le rhombe et les flûtes sacrées de Nouvelle-Guinée, ces instruments sont dissimulés aux regards des femmes et des non initiés, et les sons qu’ils produisent sont censés être la voix des esprits ou d’êtres surnaturels.

En Polynésie, deux instruments étaient présents presque partout: la conque (pu ), et la flûte nasale en bambou insufflée latéralement. Les conques, faites à partir de coquilles de l’espèce Triton ou Cassis, munies ou non d’un embout, servaient essentiellement à émettre des signaux; elles étaient liées aux fonctions de commandement et au culte des dieux, et symbolisaient un rang social élevé. Elles étaient insufflées latéralement ou par le bout. Aujourd’hui elles ont des usages plus prosaïques: à Mangaïa, la conque, jadis la voix du dieu Rongo, sert au boulanger pour annoncer que le pain est cuit. On a décrit récemment l’utilisation de conques comme instrument d’ensemble aux îles Tonga, où jusqu’à neuf conques jouent en groupe pour susciter et entretenir l’excitation du public pendant les matches de «cricket» entre villages. Les flûtes nasales, ainsi que la flûte à embouchure terminale, la seule à avoir existé en Nouvelle-Zélande, paraissent avoir souvent été associées à des activités amoureuses. Partout en Polynésie, la croyance selon laquelle il serait possible de faire entendre des mots, en soufflant d’une certaine manière dans ces instruments, reste très vive. Aux îles Tonga la flûte nasale servait, dit-on, à réveiller le roi.

Les instruments de musique de la Polynésie occidentale ont très nettement subi l’influence de la Mélanésie voisine. Le tambour à peau est absent sauf aux îles Tonga où existe un tambour à double face, d’introduction assez récente, et à Nukuoro qui, tout en appartenant à la Polynésie, est enclavé dans la Micronésie orientale et possède en commun avec elle le tambour en forme de sablier. Comme dans la plus grande partie de la Mélanésie, en Polynésie occidentale, le tambour à peau est remplacé par le tambour à fente, dont l’usage est cependant moins souvent lié à des cérémonies qu’à des danses et à des émissions de signaux. Ces tambours à fente, dont l’aire de distribution couvre une zone assez large qui va des côtes nord de la Nouvelle-Guinée en passant par l’archipel Bismarck, jusqu’à l’extrémité sud du chapelet d’îles qui constituent la Mélanésie, se sont sans doute répandus à travers la Polynésie occidentale à partir de la Mélanésie. Les flûtes de Pan sont également d’importation. Il semble qu’elles viennent de Mélanésie, et qu’elles ont été acheminées par les îles Fidji où elles sont sans doute arrivées peu de temps avant les Européens. À vrai dire, elles sont moins perfectionnées en Polynésie qu’en Mélanésie, et presque oubliées déjà aux Tonga et aux Samoa, qui marquent les limites sud et est de leur diffusion. Les tuyaux de bambou que l’on frappe contre le sol sont encore des instruments qu’on retrouve en Mélanésie, où leur distribution atteint, vers le nord, l’archipel Bismarck et certaines régions de la Nouvelle-Guinée. Au-delà de la Polynésie occidentale on ne les retrouve qu’à Hawaii. En Polynésie occidentale exclusivement, on frappe des nattes roulées pour accompagner une danse.

Alors que l’instrument type de la Polynésie occidentale est le tambour à fente en bois, celui de la Polynésie orientale tout entière (à l’exception de l’île de Pâques et de la Nouvelle-Zélande) est un tambour vertical en peau de requin, appelé pahu ou pa’u , dont la forme cylindrique est caractéristique. Les gongs à fente existent en Polynésie orientale mais, à de rares exceptions près, presque uniquement dans la partie centrale, surtout au sud de l’archipel de Cook, aux Touamotou et dans les îles de la Société. Ils servent, avec des membranophones, à battre des rythmes composites pour la spectaculaire «danse des tambours». Il y avait en Nouvelle-Zélande une forme rudimentaire de tambour à fente avec laquelle les veilleurs signalaient l’approche de l’ennemi. L’arc musical est rare en Polynésie occidentale; il apparaît cependant en Polynésie orientale à Hawaii, aux Marquises, aux Toubouaï et, de façon plus incertaine, aux îles de la Société et aux Touamotou. À Hawaii, l’arc musical était l’instrument favori des amoureux, qui échangeaient des messages; la vibration des cordes se modulait à l’imitation du langage humain.

La Micronésie possède peu d’instruments de musique, peut-être par manque de ressources matérielles qui auraient permis d’en fabriquer. La trompe faite d’un coquillage, ou conque, existe dans presque toutes les îles et, comme ailleurs en Océanie, sert à émettre des signaux. La présence de flûtes de Pan a été décrite à Kosrae, celle de l’arc musical aux Mariannes. Les flûtes nasales ont été jadis assez répandues, et on sait qu’à Truk, comme en Polynésie, elles servaient aux amoureux à donner des sérénades. Les tambours en forme de sablier, semblables à ceux de Nouvelle-Guinée, n’existent que dans la Micronésie orientale, qu’ils ont sans doute atteinte à partir de la Mélanésie. On accompagne les danses avec des bâtons qui, entrechoqués, produisent un claquement ou un cliquetis, ou, à défaut d’autre percussion, on tape du pied, on bat des mains, on se frappe la cuisse, on se claque la main dans le creux de l’aisselle ou le pli du coude. Une pratique introduite aux Kiribati (îles Gilbert) après l’arrivée des Européens consiste à se servir d’une caisse retournée en guise de tambour.

3. Les styles de musique vocale

La musique vocale des aborigènes d’Australie se caractérise par la pratique du chant choral isorythmique à l’unisson – sauf dans la terre d’Arnhem où existe le chant en bourdon continu ou même en canon – et par le recours à une voix tendue, presque nasale. Des bâtons jumeaux ou des boomerangs sont utilisés comme instruments d’accompagnement. La tessiture est très étendue (une octave ou davantage). On remarque une pratique systématique du «tuilage»: la mélodie commence dans un registre aigu pour descendre ensuite de manière que chacune des étapes de cette progression recouvre partiellement la précédente. Les échelles sont diverses; certaines n’ont que deux ou trois notes, d’autres sont hexatoniques, ou même heptatoniques. Des cycles, ou séries de chants, dont le nombre peut aller de douze à plus de trois cents, sont exécutés dans un ordre fixe. La répétition d’un ou plusieurs chants à l’intérieur d’une série n’est pas rare; elle ne résulte pas d’impératifs musicaux, mais de la nature des activités rituelles liées aux chants. On vient de découvrir que chez les Pintupi du désert d’Australie centrale, qui pourraient bien, sur ce point, avoir un comportement semblable à celui de tribus installées plus à l’ouest ou dans d’autres régions, l’unité fondamentale à l’intérieur de chaque chant est le «groupe de mots», lequel se divise à son tour en un nombre fixe d’unités isorythmiques fondées sur le texte; ce sont celles-ci qui commandent le dessin de la mélodie.

En Nouvelle-Guinée, aucune généralisation des styles musicaux n’est possible. Les styles de type «fanfare» (fig. 1) qui consistent en accords parfaits ornementés sans l’octave ont jadis passé pour caractéristiques des peuples de langue non austronésienne de l’intérieur de la Nouvelle-Guinée. Il semble que les systèmes pentatoniques soient très répandus chez les Mélanésiens du littoral et dans les régions insulaires telles que les îles du détroit de Torrès. On commence à découvrir grâce à de récents travaux une grande variété de styles qui n’appartiennent à aucun de ces deux types, et les mêler paraît souvent être la règle en Nouvelle-Guinée, même chez des tribus isolées.

Dans toute la Mélanésie il est courant que les danses aient un accompagnement à la fois instrumental et vocal. De ce fait, les styles de chants sont généralement syllabiques, et soutenus par des battements de mains, des piétinements ou des instruments à percussion qui soulignent la mesure. Les gammes sans demi-tons pentatoniques ou tétratoniques sont fréquentes; aux îles Salomon elles s’associent souvent à des types de chant caractérisés par une tessiture très étendue et des sauts mélodiques considérables qui vont souvent jusqu’à utiliser le registre de la voix de fausset comme dans les «tyroliennes» (fig. 2). Un autre caractère typique des îles Salomon est l’utilisation très large de la polyphonie, généralement à deux ou trois parties. La polyphonie vocale, à Guadalcanal, présente un aspect extrêmement frappant: la dissonance, créée par le heurt des secondes et septièmes majeures, qui résulte de l’emploi simultané de deux degrés voisins – ainsi que de leur transposition à l’octave – à l’intérieur d’une gamme pentatonique anhémitonique. La polyphonie dissonante atteint son degré extrême, pour la Mélanésie, à Manus dans les îles de l’Amirauté, avec un usage de la diaphonie dissonante qui met en œuvre des enchaînements de secondes parallèles (fig. 3). Vanuatu (Nouvelles-Hébrides) se distingue du reste de la Mélanésie par l’absence de polyphonie (sauf à Malékula) et l’emploi très fréquent de formes où couplet et refrain se répondent. Là, comme dans le reste de la Mélanésie, l’échelle la plus courante est pentatonique. Ce sont les formes strophiques qui dominent, avec une tendance à la litanie dans certaines régions.

Les différences entre l’est et l’ouest de la Polynésie sont aussi nettement marquées dans le domaine de la musique vocale que dans celui des instruments. Certains traits cependant peuvent être considérés comme panpolynésiens; en particulier se voient un peu partout associés trois éléments: des systèmes recto tono , des systèmes parlando , des systèmes où la hauteur des sons est plus strictement définie. On trouve également presque partout en Polynésie – sauf à Hawaii – la cadence traînante ou glissante terminale. Remarquablement nombreux sont les systèmes qui comportent un bourdon obligé sur la tonique. Dans les styles polyphoniques à plusieurs «plans», on a une harmonie parallèle; dans les autres styles polyphoniques on a recours au bourdon. En Nouvelle-Zélande et ailleurs ce bourdon prend la forme de tonique centrale sur des valeurs rythmiques longues. Il semble raisonnable de supposer que le bourdon fait partie des caractéristiques les plus anciennes de la musique polynésienne.

La Polynésie occidentale a en commun avec la Mélanésie une tendance, beaucoup plus marquée qu’en Polynésie orientale, à faire accompagner le chant par la danse, ce qui entraîne une structuration métrique. Les battements de mains et d’autres formes de percussion sont utilisés pour souligner la mesure, et il est courant que les chants à danser se terminent par des sections où le tempo accélère. La polyphonie se rencontre dans toute la Polynésie occidentale et, aux îles Tonga en particulier, elle précède incontestablement l’arrivée des Européens, bien qu’elle ait subi à une époque plus récente une forte influence européenne où l’on retrouve des éléments harmoniques empruntés aux cantiques des missionnaires. La forme la plus caractéristique est à deux parties, avec bourdons (fig. 4). Aux Fidji, qui ont certains liens culturels avec la Polynésie, les formes polyphoniques qui ne sont pas influencées par l’acculturation utilisent des «grappes» de notes composées de secondes majeures dissonantes doublées à l’octave et à la quinte.

La Polynésie orientale se divise en deux zones principales. La zone dite «marginale» qui comprend les îles Hawaii, les Marquises et la Nouvelle-Zélande, situées près des limites ou du pourtour extérieur du «Triangle polynésien». Elle se caractérise par des systèmes vocaux non métriques où la mélodie n’a qu’une tessiture assez restreinte, l’échelle peu de notes, et où l’harmonie n’est pas exploitée (fig. 5). Les toniques sont généralement centrales ou situées dans la partie haute de l’échelle. Ces régions que séparent des milliers de kilomètres d’océan sont pourtant très proches par le langage, les coutumes et les styles musicaux. Les styles musicaux de la Polynésie centrale (îles de la Société, îles Cook, îles Touamotou) ont subi d’importantes modifications depuis l’époque qui a précédé l’arrivée des Européens. On a pu dire que le chant à plusieurs voix de cette région est «le sommet le plus haut qu’ait atteint le développement de la polyphonie en Polynésie à l’époque moderne». Il appartient à deux genres principaux, les himene ou ’imene (hymnes) et les ute (chants non-religieux, surtout des chants d’amour). Ces deux formes impliquent un chant à – au moins – six parties qui ont chacune leur nom. La partie la plus haute est chantée en solo par une femme, sur un timbre extrêmement aigu qui confine à la limite supérieure des possibilités de la voix; la plus basse consiste typiquement en une sorte de puissant grondement rythmé exécuté par les hommes (fig. 6). Il n’existe cependant pas de preuves certaines que ce style ait eu des antécédents pré-européens, car les récits des premiers explorateurs donnent à penser qu’à l’époque où commencèrent les contacts, la musique tahitienne ressemblait à celle de la Polynésie périphérique.

Peu d’études ont été publiées sur la musique de la Micronésie si l’on excepte les deux textes maintenant classiques de George Herzog (1932 et 1936) sur la musique des îles Carolines. Herzog distingue deux styles principaux. L’un qu’il appelle «oriental» s’observe dans les îles du centre de l’archipel: Truk, Murilo, Puluwat et Satawal. Il se caractérise par des échelles comprenant des tétracordes augmentés, des rythmes réguliers et souples, une métrique ternaire, des formes et codas de structure binaire, l’absence ou le peu d’importance de la polyphonie, et une tendance à moduler constamment la voix en cours d’exécution. L’autre style, appelé «occidental», est propre à Tobi, Palau, Yap, Ifaluk et à quelques autres îles voisines; à Truk il est représenté par un certain nombre de chants dont plusieurs sont des chants de marins. À la différence de la musique «orientale», ce style se caractérise par des échelles sur deux notes, des rythmes incisifs où les valeurs longues sont rares, l’absence de toute métrique régulière, la répétition de motifs courts, la présence d’introductions, une polyphonie à bourdon et également qui comporte des secondes et tierces parallèles. Le style d’exécution de cette musique est particulier: des modulations incertaines s’allient à des notes en glissade, des notes de passage, des fioritures et des glissandi terminaux. La thèse d’Herzog, qui rapproche le style «occidental» de celui de la Polynésie, et le style «oriental» de celui de la Mélanésie, pourrait bien se justifier à la lumière de recherches plus poussées. On sait que les échelles à tétracorde augmenté existent dans l’archipel Bismarck et même, encore plus à l’est de Truk, aux Kiribati (îles Gilbert) et aux îles Marshall. Leur présence, ainsi que celle des tambours en forme de sablier dans les deux régions, suggère une influence mélanésienne. Le rapport qu’établit Herzog avec la Polynésie, paraît encore mieux fondé. Certains des traits qu’il relève en Micronésie occidentale: petit nombre de notes, irrégularité de la métrique, incertitude des modulations, font très nettement penser à la Polynésie orientale; d’autres comme la brièveté des motifs, la polyphonie avec bourdon sont caractéristiques de la Polynésie occidentale; quant aux glissandi terminaux, ils sont à la fois très courants presque partout en Polynésie, et rares en Océanie si l’on excepte la Micronésie. Il se pourrait bien que la Micronésie occidentale soit en ce domaine une sorte de butte-témoin, dernier vestige d’une influence polynésienne remontant à l’époque protopolynésienne d’il y a environ 3 000 ans.

Encyclopédie Universelle. 2012.