AMOUR
«Dieu aimeras et ton prochain comme toi-même.» Toute la civilisation judéo-chrétienne est fondée sur ce double commandement énigmatique, dont la théorie freudienne semble fournir la version moderne lorsqu’elle montre l’injonction de jouir comme issue des profondeurs du psychisme. Mais il est vrai qu’entre une simple exigence du sujet et l’altruisme total prôné par Jésus-Christ existe tout l’écart qui sépare l’amour ordonné à soi-même d’une charité aussi active qu’insoucieuse de ses motifs: l’Agapè . «Faites du bien à ceux qui vous haïssent» et «aimez Dieu comme il vous a aimés», telles sont les consignes paradoxales de l’Évangile; l’amour, transformé en devoir, ouvrirait à ses fidèles les portes du Ciel. Et pourtant les «aérostats de l’amour» ne pavoisent-ils pas aussi bien les géhennes que le Paradis? Bien plus, l’amour ne s’éveille-t-il pas indépendamment de toute prescription, lui dont la naissance, loin de constituer un devoir, apparaît bien plutôt comme la fatalité ou la grâce suprême? Enfin, comment faire correspondre les intérêts de Dieu, du prochain et de moi-même, quand l’expérience ne cesse d’attester l’incompatibilité d’exigences issues de différents points de vue?
Pour répondre à ces questions, sans doute faudrait-il pouvoir inscrire au niveau de la représentation cette ivresse dont la nostalgie pénètre nos rêves les plus secrets. «Est-ce l’amour? Qui m’en dira le nom?» Comment ranger sous une même catégorie les différentes expériences dans lesquelles le désir s’accompagne de l’idée d’un objet auquel il s’imagine dès à présent réuni? Peut-on, en amour, dépasser le simple nominalisme: l’utilisation magico-poétique d’un verbe au sens indéchiffrable?
L’encyclopédiste, le philosophe et l’analyste se prennent à hésiter devant ce cerneau d’ambre et d’ivoire qui semble défier toute entreprise de réduction conceptuelle. Pourtant, comment éviter de réfléchir sur les discours qui nous investissent et dont la fonction semble non seulement de renforcer et d’affaiblir, mais parfois même de susciter ou de paralyser les passions qui nous paraissent les plus spontanées? Que serait l’amour sans l’assistance de la rhétorique et «combien de gens seraient amoureux s’ils n’avaient pas entendu parler d’amour?». Bien plus, les délices d’Éros ne tiennent-ils pas avant tout au scandale des dénivellements qu’ils instaurent en joignant de la façon la plus extravagante les deux extrémités de la chaîne pulsionnelle? Scandale qui atteint son paroxysme dans l’acte sexuel: comportement solennel inscrit dans la phylogenèse, assurément; mais aussi éclatement hystérique ou neutralisation rituelle d’une bestialité réveillée. Comment comprendre alors la quatrième dimension que prête au jumelage des chairs un amour toujours problématique, certes, mais transfiguré par la réflexion?
1. Les discours sur l’amour
L’étude sémantique, la psychophysiologie, l’histoire du sentiment amoureux et la mythographie apportent d’incontestables «documents» pour une réflexion sur l’amour, mais l’obstacle majeur au développement de ces analyses réside, nous l’avons dit, dans l’indétermination du sentiment amoureux, lequel – à la différence de l’amitié, au sens de la 﨏晴凞晴見 antique, par exemple – donne continuellement le change sur son but et son objet: qu’ont de commun, sinon d’être chacun prétexte d’amour, l’amant, le consanguin ou le prochain, et, d’autre part, la nature, la patrie, l’art ou la vérité?
Les tentations ne manquèrent pas d’opposer, à l’instar d’Anders Nygren, l’Éros platonicien mal dégagé de sa gaine sensuelle à l’Agapè paulinienne dont le modèle serait l’amour divin; ou de raffiner, comme le firent les théologiens, sur les quatre ou cinq degrés de l’amour: concupiscence égoïste et servile complaisance, bienveillance limitée, générosité fondée sur la reconnaissance et, enfin, altruisme absolu. L’Amour une fois porté à son ultime perfection, l’Autre entretiendrait avec l’âme un rapport analogue à celui de l’âme au corps; si bien que l’âme changerait pour ainsi dire de lieu, habitant davantage l’Autre que sa propre dépouille charnelle. Alors se réaliserait ce qu’Augustin appelle l’«amour d’union», le couple parfait.
Cependant, la polysémie étant essentielle à l’amour, comment serait-il permis au sujet d’atteindre le symbole – visible ou invisible – qui fixerait le chiffre de son mouvement vers l’Autre? L’on peut, certes, étudier les vicissitudes du mouvement amoureux sous l’angle psychanalytique, de manière à dégager l’importance de la répétition au cours d’une même vie: prégnance d’images ou de clichés mais aussi diversification des «types» amoureux suivant des modes repérables de répartition des investissements pulsionnels.
Mais les rapports de l’amour avec le désir et le besoin mériteraient aussi d’être examinés à la lumière des données de l’éthologie: fonction primordiale de la période d’imprégnation, mécanisme de ritualisation phylogénétique, phénomènes d’instigation à vide, existence d’une agression sexuelle, destins solidaires de l’agressivité et de l’amour... Ainsi Desmond Morris a-t-il montré l’étonnante parenté du comportement sexuel humain avec celui des primates supérieurs: stade de «cour» avec mise en jeu de signaux visuels et vocaux; quête de la solitude pendant le long stade préliminaire à la copulation; enfin même, décalage à combler entre la première possibilité d’orgasme mâle et l’orgasme femelle.
Pourtant, nulle psychophysiologie ne saurait dégager ce qui constitue l’inaliénable poésie et la portée éthique de l’amour humain: la surrection d’un désir impatient de tout réinventer . Il est certes un amour, qui, dans sa sollicitude envers l’être, va jusqu’à neutraliser les formes de son expression, faisant resurgir l’étrange parenté du bestial et du mystique. Car, si le simple attachement tire avantage des qualités «objectives», l’amour, bouleversé par ce qui échappe à l’étreinte sensible, retrouve l’animalité, sublimée par un détour essentiel: pudeur et silence célèbrent alors la conjugaison des inalliables.
Or, c’est seulement dans leur lien au discours qu’on peut tenter de cerner des «époques» de l’amour, au sens que Bossuet prêtait à ce terme. Si l’on considère, par exemple, l’Europe occidentale, l’amour passion, qui triomphe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, se distingue de l’amour courtois en vogue à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe; et il s’oppose très précisément à l’union du «galant» et de la «plaisanterie» qui caractérise la fin du XVIIe siècle. Cependant, ces périodes s’engendrent l’une l’autre et restent souvent peu datables: le sexe prend sa revanche quand le cœur a trop longtemps été hissé sur le piédestal; et le puritanisme ambiant favorise au même moment l’essor de la grivoiserie et de la débauche. Aussi bien les phases d’amour faisant appel à l’énergie cérébrale, sentimentale et sensuelle restent-elles étroitement imbriquées.
Voulant donc éviter l’écueil d’une systématisation artificielle, on centrera ici la réflexion sur deux signifiants d’élection de l’amour: l’acte ou «drut d’amour» et la lettre, miraculeusement retrouvée, conservée pour la postérité ou d’emblée écrite pour le public. D’une part, comment devoirs de chasteté, de procréation et de jouissance s’articulent-ils avec le mouvement naturel qui nous porte vers l’autre en même temps qu’avec une exigence irrépressible d’autonomie? Et, d’autre part, dans quelle mesure le sujet amoureux échappe-t-il à une mythification qui paraît inévitable? De fait, nous sommes frappés tantôt par la récurrence des modèles littéraires et religieux tantôt, au contraire, par la résistance d’un sujet à vivre l’idéal reçu.
Sans doute l’union charnelle et la missive amoureuse ne trouvent-elles leur sens qu’à travers une musique qui sourd à la fois de la chair et des étoiles: danse intérieure, vibratoire et cosmique, dont l’étude relèverait autant d’une théorie de la concentration et de la diffusion de l’énergie que de l’analyse des différentes catégories permettant l’articulation du sentiment. Mais l’on mettra provisoirement cette question entre parenthèses. Que le trop-plein du cœur s’écoule, en effet, dans une jubilation silencieuse ou verbale; qu’il se concentre dans l’enlacement des corps ou qu’il se vaporise à travers le regard, la caresse et le respir, on considérera chacune de ces «expressions» comme une solution – plus ou moins médiatisée – au conflit d’où naît l’amour : tension entre l’exigence d’insertion locale propre à l’ego et l’altérité dans laquelle celui-ci est appelé à trouver corps.
D’un côté, l’existence par autrui et la démission radicale; de l’autre, l’existence par soi et l’assomption définitive... Ces deux pôles, entre lesquels le sujet se trouve tour à tour aspiré et rejeté, demeurent à jamais inaccessibles: «Un solide égoïsme» préserve de l’amour, écrivait Freud, «mais à la fin l’on doit se mettre à aimer pour ne pas tomber malade, et l’on doit tomber malade lorsqu’on ne peut aimer.»
Aussi bien toute réflexion sur l’amour débouche-t-elle sur les apories de l’amour de soi. Celui-ci est-il naturel, comme le prétendait Rousseau? Ou bien faut-il le considérer comme un mécanisme de défense contre les retombées de l’amour, voire comme une perversion par laquelle le sujet, rétrécissant son univers, est appelé à confondre l’objet et la source?
Bref, faut-il dénoncer comme artificielle la symétrie établie entre amour et amour de soi; ou faut-il, au contraire, en comprendre la profondeur à la lumière du commandement évangélique qui nous apprend à concevoir l’amour éprouvé par Dieu pour les hommes comme le paradigme de tout amour? Mais peut-être n’est-il pas besoin de recourir à la divinité pour comprendre la hantise de transparence et d’immédiateté qui caractérise l’amour. Aussi bien l’abîme d’indifférence aperçu dans l’aimé ne correspond-il pas très exactement à ce gouffre obscur, ou à cette anti-âme, qui, entrevu en lui-même, décourage le sujet, tenté de s’auto-investir? Aimer, alors, moins qu’un ordre, apparaît un destin.
2. Du paradoxe de l’incarnation
«Sentir la vie»
Que son incarnation lui soit ou non refusée, le paradoxe de l’amour tient, avant tout, dans la résurrection de l’illusion dont il témoigne: celle d’un effacement de la distance et d’une fermeture possible du cercle. Mythe de l’Un parménidien: le Je et le Tu disparaîtraient à travers la fusion amoureuse. C’est au sein du sentiment et grâce à lui que la vie, non scindée par la réflexion, pourrait enfin se recueillir. «L’amour supprime la réflexion grâce à l’absence totale d’objet, écrit Hegel; il enlève à l’opposé tout caractère d’être étranger; et la vie se trouve elle-même exempte de toute carence. Dans l’amour, le séparé se maintient, mais non plus comme séparé: comme unité; et le vivant sent le vivant.»
De là l’idée d’un caractère inéluctable de l’étreinte charnelle: «Tant que ce qui peut être séparé reste tel avant l’union complète, il embarrasse les amants.» Mais de là aussi l’indignation devant cette inéluctabilité: crainte de souiller la pureté de l’amour, terreur devant la confusion des genres, panique déclenchée par la double altérité de l’aimé et du corps à travers lequel il m’appréhende. L’acte d’amour paraît un crime qui doit être expié, si bien que les douces impressions de l’amour seraient préférables aux «âcres picotements du besoin».
Sur la possession physique semble, en effet, planer une malédiction qui voue l’être humain à l’effrayante alternative d’un amour coupable ou d’une vertu stérilisante. Ici, un refus; une épargne qui risque de faire passer à côté de la vie; là, des vibrations mystérieuses et un abandon à la rage des corps qui fait surgir un doute quant à la nature du lien: cette indéniable attraction des chairs n’est-elle pas ce dans quoi l’amour s’abolit comme un sens écrasé sous l’excès de présence? L’amour n’existerait-il que là où il n’est pas?
L’amour objectivé par la réflexion serait la «divinité», ou encore ce que Hegel définit comme la vérité: «Quelque chose de libre que nous ne dominons pas et dont nous ne pouvons être dominés» – quelque chose d’unique, et sur quoi, comme unique, ne peut planer que la mort. Mais, les divinités étant marquées par avance du «trait unaire du deuil», que pourrait signifier l’acte d’amour pour elles? L’amour, pas plus que la mort, ne saurait les ébranler. Car un éternel endeuillement les empêche d’accéder au suprême abandon où l’amour se parfait: deuil de tout ce qu’elles ne sont pas, deuil d’une altérité au sein de laquelle elles ne pourront jamais se résorber. Car l’amour ne se dispense qu’enrobé dans l’inquiétude d’une vie menacée et d’une beauté éphémère.
Mais tel est le paradoxe que, si, d’un côté, l’amour semble incarner la plénitude de la vie face à la mort, de l’autre, il ne saurait se réaliser qu’à travers le trépas. Éros est tragédie ou, plutôt, au sens étymologique de l’allemand Trauerspiel , «jeu avec le deuil»: deuil d’une vie séparée ou d’une mort retardée, en l’absence d’un enlacement définitif qui laisserait place au «sentiment».
Aussi la pudeur n’est-elle pas seulement, comme le dit Hegel, «honte à la pensée que l’amour n’est pas encore parfait», mais honte à la pensée que l’amour ne peut survivre à sa perfection. L’incarnation tant désirée de l’amour est aussi ce dans quoi l’amour se perd: mais, ce risque, il faut pourtant que le désir l’encoure, sous peine de se couper de la source même de sa vie. Quelle honte te donnerai-je? Gravirai-je l’échelle ou bien la descendrai-je? Exposée ou enfouie, comment la honte pourrait-elle me quitter?
«Ô Satan, prends pitié de ma longue misère...»
Nul n’a peut-être mieux exploré que Baudelaire le double abîme où sombrait l’amour: d’un côté, le coït simple et heureux; de l’autre, l’amour pudibond, tendre et sensible. Désavouant sa propre sensualité, le poète couvre de sarcasmes la brute, qui «seule bande bien», parce qu’elle trouve dans la «foutrerie» l’unique «lyrisme» auquel elle ait accès. Mais il garde ses meilleures flèches contre le sentimental et ses fadaises. «Tous les élégiaques sont des canailles» et il faut, avec Leconte de Lisle, condamner la passion comme le pire des mensonges qu’un être puisse se faire à lui-même comme à autrui. L’amour, souvenons-nous en, est prostitution; la plus grande putain, c’est Dieu, «puisqu’il est l’ami suprême pour chaque individu, puisqu’il est le réservoir commun, inépuisable de l’amour».
«Les polissons sont amoureux, mais les poètes sont idolâtres.» Ainsi Baudelaire laisse-t-il «errer» son esprit autour de l’«adorable personne charnelle» de l’aimée. Il la respire et la contemple en tapinois, soit qu’il espionne jalousement ses amours, soit qu’il préfère l’ombre d’un anonymat, finalement d’ailleurs mal gardé. L’aimée n’est-elle pas son «talisman», sa «force», sa «superstition», et même son très précieux et insensible «torche-cul»? Partie de lui-même «qu’une essence spirituelle a formée», Vierge miséricordieuse d’autant plus délicieuse à bafouer qu’en droit imbafouable, inspiratrice muette, prisonnière de ses fonctions, déjà fanée à force de fraîcheur. «Pour vous, Marie, je serai fort et grand. Comme Pétrarque, j’immortaliserai ma Laure. Soyez mon Ange gardien, ma Muse et ma Madone, et conduisez-moi dans la route du Beau.»
Double modèle donc: celui des écritures saintes et celui de l’art le plus achevé. Mais Baudelaire ne maudit les attraits dissolvants de la chair que pour mieux goûter la saveur du fruit défendu. Clivant l’objet de son amour, il met, d’un côté, l’idole qu’il vénère et, de l’autre, l’instrument maléfique de ses fornications. «La femme qui jouit n’est pas celle qu’on aime.» Symptôme repéré, sans doute: Baudelaire ne cesse de cogner son front aux murs que dessine le triangle œdipien. Et, vivant sous l’obsession de l’inceste, il le réalise fantasmatiquement lors de «foutreries» qui font resurgir l’œil maternel ou l’un de ses substituts.
Mais restent néanmoins à comprendre les raisons pour lesquelles le poète se refuse à changer la situation qu’il analyse si parfaitement. Que l’on compare cette attitude avec celle de chrétiens convaincus, et l’on sentira de quelle assistance est l’idée d’un dieu non manichéen pour un sujet dont la jouissance risque toujours de glisser dans la honte: honte de l’imperfection de mon amour, honte de l’excès de ma jouissance et de l’égoïsme qu’elle recèle, honte de tout le roman que je me fabrique: l’amour est toujours plus et moins que l’amour.
Si Baudelaire cueille les fleurs de sa vérité dans le chiasme indéfectible de la piété filiale et de la débauche, point n’est besoin à Héloïse de scinder, à l’instar du poète, l’objet de ses amours en un substitut de Dieu et un vicaire du démon. Assurément a-t-elle transformé Abélard en rival du Seigneur et se pense-t-elle «criminelle» pour son absence de soumission non au premier, mais au second. «Dieu le sait, Dieu le sait que toute ma vie j’ai plus redouté de t’offenser que de l’offenser lui-même, et que c’est à toi, bien plus qu’à lui, que je désire de plaire.» Mais tous ses efforts tendent à trouver l’unique vecteur de ses deux amours, ou plutôt de ses deux religions: ne s’avoue-t-elle pas, en effet, «à Dieu par l’espèce et à Abélard en tant qu’individu»?
3. L’amour comme projection de la scission subjective
Héloïse ou l’amour d’union
Un triple modèle hante Héloïse: celui de la noble Romaine, celui de la sainte ou de la fille spirituelle d’un grand théologien, mais surtout celui de l’amante inconditionnellement soumise aux désirs et volontés de l’être aimé. «Jamais, Dieu le sait, je n’ai cherché en toi rien d’autre que toi. Ce ne sont pas les liens du mariage, ni un projet quelconque que j’attendais, et ce ne sont ni mes volontés, ni mes voluptés , mais, et tu le sais bien toi-même, les tiennes que j’ai eu à cœur de satisfaire. Certes, le nom d’épouse semble plus sacré et plus fort, mais j’ai toujours mieux aimé celui de maîtresse, ou, si tu me pardonnes de le dire, celui de concubine et de prostituée [meretrix ].» Telle est sans doute la plus saisissante définition de l’amour jamais donnée. Putain d’Abélard et non de Dieu, telle se veut Héloïse; mais cette oblation ne contrecarre pourtant ni le souci de la gloire d’Abélard ni celui de la sienne propre: gloire de femme et de femme de lettres, grâce et commandement. Si Héloïse ne renie pas sa sensualité au temps même où l’impossibilité d’assouvir les désirs de sa chair avec l’être aimé aurait dû la contraindre au silence, comment ignorer le plaisir de montrer la profondeur de sa passion à celui qui en est le foyer constant? Et comment oublier l’orgueil innocent de la victime qui laisse voir la difficulté du sacrifice à celui qui en est l’ordonnateur?
Ainsi prend-elle le voile à Argenteuil sur l’ordre exprès d’Abélard, mais en récitant les vers de La Pharsale de Lucain. «Illustre époux, toi dont mon lit n’était pas digne, voilà donc quel droit le sort avait sur ton auguste tête? Par quelle impiété t’ai-je épousé, si je devais te rendre misérable? Accepte aujourd’hui mon expiation car c’est de moi-même que je te l’offre.» Cherchant une cause au «malheur» qu’elle transforme en «punition», Héloïse est obligée de conclure à un «péché» dont elle veut partager la responsabilité avec Abélard. Car elle a beau reconnaître que «l’ardeur du désir plutôt que l’amour» avait d’abord attaché le philosophe à ses charmes, elle revendique avec lui la glorieuse et innocente faute d’aimer.
«Dieu m’a fait de marbre», lui écrivait Abélard. Or, ce n’est pas le «marbre», mais la nature «saisie toute vivante par la grâce» qui fait l’oblat digne de ce nom. Aussi la voix d’Héloïse ne cesse-t-elle de résonner, proclamant la supériorité de l’amour face à toute morale déterminée; montrant que l’amour constitue à lui seul une éthique, qu’il est source de tout abandon et de toute remise; mais que ce «recoulement» à la source exige une longue patience, une vigilance de tous les instants et le non-refus du sacrifice.
Bernard de Clairvaux, qu’unissait à Héloïse une amitié indéfectible, le disait bien: la seule mesure de l’amour est d’aimer sans mesure, puisque le but ultime est d’aimer Dieu comme il s’aime lui-même. Mais, si Héloïse se profile dans le double horizon de la mystique cistercienne et de l’éthique courtoise, Ovide, qu’elle se plaisait tant à citer, ne montrait-il pas déjà la fonction éducatrice de l’amour, qu’il présentait comme une sorte de «service militaire»? «La nuit, l’hiver, de longues routes, de courts chemins, toutes les épreuves, voilà ce qu’on endure dans les camps du plaisir.»
Car, à moins de se parfaire dans l’amour divin, Éros est toujours besogneux, naissant et privé de lui-même. Enfant de la seule Abondance, il s’userait à la meule de l’existence quotidienne; mais, fils de Pénurie, il s’attise dans les obstacles et se nourrit de la tension créée par les épreuves. C’est donc à travers les dédales d’une phénoménologie de la conscience amoureuse que le moraliste devra d’abord se perdre, s’il prétend ébaucher une éthique digne de ce nom. Et Rousseau justifiera par là son incursion dans le domaine romanesque: ressuscitant l’amante d’Abélard sous les traits de Julie d’Étanges, il soulignera qu’eût-elle été toujours sage, Héloïse instruirait beaucoup moins. Il fallait qu’on la vît s’abîmer dans l’ivresse érotique pour que la discipline qu’elle sut imposer aux mouvements de son cœur parût convaincante.
Rousseau ou le refus de la dépendance amoureuse
L’expérience amoureuse se développe, en effet, sous le signe de l’inachèvement. Ce dont Platon a pour toujours fixé le témoignage: l’âme, emportée dans son délire, «tourne, à la façon d’un oiseau, son regard vers le haut», insoucieuse des choses d’en bas. Et, «s’il n’avait pas peur qu’on lui fît la réputation d’être complètement fou, l’amant sacrifierait devant son bien-aimé, ainsi que devant une image sainte, devant un Dieu». Rousseau dit-il autre chose quand il définit l’amour comme enthousiasme pour un objet de perfection et comme «sacrifice» à un «modèle imaginaire»? Peu importe finalement si l’objet aimé est «l’ouvrage de nos erreurs», l’essentiel est d’élever notre âme grâce à sa contemplation.
Cependant, Rousseau pourrait-il se satisfaire d’une sublimation artistique et philosophique qui entraînerait le sacrifice complet de l’aimé? «Il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas», répète-t-il. Mais affirmer que «la seule punition de s’être aimés est l’obligation de s’aimer à jamais», bref, poser l’indestructibilité du lien qui unit les amants dans leur intériorité la plus personnelle, c’est se situer dans une perspective plus néo-platonicienne que proprement platonicienne. Et, quant au fait de railler avec autant de vigueur la «chasteté basse et monacale», c’est s’éloigner de ce qu’on appelle vulgairement le «platonisme».
Reste que la violence des désirs charnels qui accompagnent la flamme la plus pure pénètre l’amour de laideur et de mal. Aussi, tel le dieu Indra cherchant à «s’essuyer de la faute», Julie s’efforce-t-elle pathétiquement de disculper l’amour. Et sans doute cède-t-elle à son amant moins par véritable sensualité que par souci amoureux de le dédommager. Celui-ci est, en effet, victime d’un quasi-dédoublement, dont il essaie d’abord de se débarrasser par un procédé voisin de la sorcellerie. «Mes désirs, n’osant aller jusqu’à vous, s’adressent à votre image, et c’est sur elle que je me venge du respect que je suis contraint de vous porter.» Mais la magie ne suffit pas et l’enlacement dans lequel Éros devait trouver sa suprême confirmation ne précipite pas seulement métaphoriquement les amants dans le monde du crime: leur amour avait, de fait, coûté la vie à madame d’Étanges. «Vous par qui je plongeai le poignard dans le sein maternel...», accuse Julie. L’amour devient coupable de matricide, comme toute naissance de mort. L’enfantement de Rousseau n’avait-il pas causé la disparition de sa mère?
Dès lors, forcé de renoncer à l’accomplissement terrestre de son amour, Saint-Preux se délecte dans une nostalgie qui le pousse à développer sans fin les images d’un passé idéalisé. Mais, de même qu’Héloïse par Abélard, il est finalement entraîné par Julie dans le puissant mouvement du «sacrifice de l’amour à l’amour». La «nouvelle Héloïse» finit, en effet, par renoncer aux transports d’une passion qui, par l’incompatibilité où elle se trouve avec ses autres attaches, ne crée en elle que trouble et désarroi. Davantage, elle dénonce les maléfices d’un amour qui ne se libère pas sur terre des assises naturelles d’un sentiment exclusif: «Les amants ne voient jamais qu’eux»... Une inquiétude perpétuelle de privation les assujettit l’un à l’autre par un sentiment indigne de jalousie. C’est pourquoi, si nécessaire soit la récupération sociale d’Éros par le biais de l’institution, l’amour passionnel se montre-t-il incompatible avec l’état du mariage.
Rien ne sert donc de se lamenter si la conciliation de l’idéal est impossible avec la figuration hic et nunc . Car l’exigence de communion ne se confond pas avec celle de la fusion; et n’a de prix que l’amour qui respecte l’indépendance, c’est-à-dire – comme l’écrit Rousseau – «tout ce par quoi l’on est soi». «Je t’aime trop pour te posséder jamais», écrivait-il à Sophie de Houdetot!
Aussi bien l’éviction de l’amour possession et la superposition de l’ordre institutionnel à celui de la nature obéiront-elles à un triple motif: rendre les attaches plus durables en les fondant sur autre chose qu’un attrait éphémère; ôter aux femmes – mais plus généralement à quiconque – la «présomption» liée à la conscience d’un ascendant non fondé sur la raison; et surtout empêcher chacun de s’aliéner à l’univers d’autrui. En somme, le mariage constitue la meilleure des défenses contre la féminité, de même que le contrat social est la plus sûre assurance contre les risques d’engagements téméraires.
Telle est la théorie. Mais le roman ne captiverait sans doute pas autant si Rousseau n’y consignait les traces de ses hésitations. Que devient, en effet, Saint-Preux après la «révolution» de Julie? Tantôt le «témoin» auquel elle prétend dire à chaque instant: «Voilà ce que je vous ai préféré.» Tantôt l’amant de son âme: «Mon âme existerait-elle sans toi?» Tantôt bien davantage: l’amant trop séduisant qui risque à tous moments de lui faire perdre l’innocence retrouvée. La jouissance d’inquiétude n’est-elle pas finalement préférable à celle qui ne laisse plus rien à espérer? «Malheur à qui n’a plus rien à désirer!», s’exclame la jeune femme comblée. De fait, l’habileté de Rousseau consiste à maintenir jusqu’au bout l’ambiguïté, puisque le roman, loin de se terminer par un triomphe de la morale, se clôt sur la catastrophe de la mort de Julie: une mère perd la vie pour sauver celle de son enfant; une épouse et une amie disparaissent; mais l’amante libère enfin le secret enfermé dans son cœur: «Un jour de plus, peut-être, et j’étais coupable!»
Rousseau, comme on le sait, fit école; si bien qu’ôter tout tragique volontaire à la mort et jouer sur l’ambiguïté de l’agonie physique et de la «mort d’amour» devient par la suite le but de tous ses admirateurs: comment une âme généreuse pourrait-elle périr, victime de sa seule nature et non proie de son usante raison de vivre? Telle s’annonce une nouvelle Julie: Mlle de Lespinasse.
Les ambiguïtés de Julie de Lespinasse: aimer ou être aimée
La deuxième Julie pousse, en effet, à l’extrême les élans d’amour difficilement harmonisés chez la première. D’un côté, un amour universel lui fait prendre part à tous ceux qui l’entourent et l’entraîne à les «identifier» à elle; de l’autre, la fureur d’aimer l’attache à l’être élu suivant la loi de tout ou rien. Là, une religion quasi œcuménique. Ici, au contraire, une mystique de l’amour implacable. «Il faut que notre amitié soit grande, forte et entière; que notre liaison soit tendre, solide et intime, ou il faut qu’elle ne soit rien du tout.» Bref, le désir de plaire s’exaspère jusqu’à la mise en place d’une parfaite stratégie de la séduction, tandis qu’à l’opposé le «besoin d’aimer» se développe jusqu’à la morbidité.
Rappelons le «drame» de Julie. Dotée d’un «mari honoraire» qui n’est nul autre que d’Alembert, elle entretient avec Gonçalve de Mora des amours bien faites pour émouvoir le Tout-Paris: celles d’une femme de lettres, bâtarde et plutôt laide, avec un des plus grands noms d’Europe, un Espagnol que sa beauté et son malheur signalent à l’attention générale. Or, voilà que, par un mouvement plus tragique que toute tragédie, Julie s’éprend secrètement d’un autre homme: le stratège Guibert, dont elle devine pourtant presque aussitôt qu’il préfère aux émois des grandes passions la gloire des «actes détachés» et des «choses de mouvement». Situation donc doublement triangulaire, par laquelle Julie, la «vraie», se trouve condamnée à des mensonges que la mort de Mora rendra d’autant plus insupportables.
Les deux dernières années de sa vie pourraient alors se résumer dans cette absurde question: faut-il ou non se raccrocher à la vie, c’est-à-dire trouver à nouveau dans l’amour le support de son être? Devenue à ses propres yeux «méprisable» du jour où elle a trahi Mora, Julie se demande, en effet, quel crime est le plus grave: s’être engagée dans un amour aussi mal répondu, ou s’être laissé retenir à la vie par l’amour, quelle que soit sa nature. Aussi bien semble-t-elle hésiter jusqu’au bout quant à l’interprétation de sa propre mort: désespoir de celle de Mora, sanction de l’amour impossible pour Guibert, ou bien simple lassitude?
Bref, si la soumission inconditionnelle d’Héloïse à l’être aimé la conduisait à accepter le terme fixé à son existence, et si la peur éprouvée par Julie devant la faute toujours possible finissait par lui rendre la mort souhaitable, seules les oscillations de Mlle de Lespinasse sont permanentes entre une volonté et un refus qui concernent à la fois la mort, l’amour et l’objet d’amour.
D’Héloïse à la nouvelle Héloïse, et de Julie à la nouvelle Julie, s’opère donc une intériorisation croissante du drame d’amour. Un obstacle tout extérieur empêche l’union des amants du XIIe siècle, Fulbert jouant le rôle du destin dans la tragédie antique. L’obstacle s’approfondit déjà dans l’œuvre de Rousseau, où le préjugé social fait barrière à l’amour dans la seule mesure où il se trouve renforcé par la piété filiale. Mais les entraves au développement de l’amour ne résident plus chez Mlle de Lespinasse que dans le cœur; et c’est finalement la nature même de l’amour dans son lien avec l’objet élu qui constitue le centre de la réflexion.
L’échec de Mlle de Lespinasse à transposer dans la vie le mythe et le devoir d’amour unique fait éclater tout le «conventionnel» tragique. L’être est double et, jusqu’au plus fort de l’évidence, un doute le ronge par rapport à l’aimé; car, Rousseau nous l’enseigne, l’effectivité de l’amour assujettit l’amant à son objet, de manière à entamer pour toujours l’illusion de son autonomie. Ainsi le rôle de «grande amoureuse» tenu par Héloïse l’éloigne-t-il à jamais de ce bonheur que Mlle de Lespinasse hésite à quitter et que M. de Volmar prétendait acquérir à travers le mariage.
4. L’amour comme mythe endopsychique
Qu’une privation essentielle caractérise l’amour, telle sera, en effet, l’intuition centrale de Freud, aux yeux duquel le sujet paie, en aimant, l’amende d’une partie de son narcissisme. Se dessaisissant de sa personnalité au profit de l’aimé, il élève celui-ci au rang d’idéal sexuel, quand il ne le substitue pas simplement à ce qui constituait auparavant son idéal du moi; cette démission, Pascal en voyait l’origine dans une «vacance du cœur» à laquelle le sujet n’échappait qu’en se caractérisant dans l’autre. Mais, tout le problème de l’investissement d’objet dépendant du mode de constitution de l’altérité, l’illusion qui commande l’amour ne saurait être considérée comme le seul effet d’un débordement: elle correspond en même temps à un effondrement de la position narcissique. C’est ce qu’il est revenu à la situation analytique de mettre en évidence sous les auspices de l’«amour de transfert»: à la perception de la brèche creusée dans la digue de l’amour de soi répond une oscillation presque inéluctable de l’amour vers la haine, mouvement que la neutralité artificielle de l’analyste vient exaspérer en provoquant l’émergence de ce que la prudence et l’amour répondu conduisent naturellement à se dissimuler. Seul le sacrifice de son objet permet à l’amour de prendre conscience de lui-même, lui qui se nourrit plus encore d’absence que de présence. Aussi bien le sujet amoureux, ne pouvant s’enrichir, par simple «identification», des qualités de l’aimé, est-il conduit à vivre dans l’ahurissement cette immolation à l’autre, qui devient caution de sa valeur propre, voire de la vérité de son discours. Sans doute ce «sacrifice» n’est-il aussi délicieux que parce que dans son fond révoltant; mais, à tout le moins, l’aliénation engendrée trouve-t-elle sa contrepartie dans un «désennuiement» plus ou moins radical du sujet.
Peut-on, dans cette perspective, systématiser les différentes formes de conflits issus de l’organisation libidinale? C’est l’opération que Freud a tentée, en isolant trois types «purs» à gravitation psychique opposée: l’érotique, caractérisé par l’angoisse de perdre l’amour; l’obsessionnel, dominé par l’angoisse morale, et le narcissique, que son autonomie met à l’abri des blessures affectives et des scrupules moraux. Si seulement les trois types pouvaient fusionner en un seul, le narcissisme stabiliserait l’excès de l’angoisse, tandis que celle-ci donnerait sa profondeur à l’agressivité. Mais, nous dit Freud, le type érotico-narcissique est sans doute le plus fréquent, car il réunit des motions contradictoires qui peuvent se neutraliser. Hésitant entre l’illusion de moi et celle de l’amour, ou encore entre le fantasme apocalyptique et l’orage passionnel, l’érotico-narcissique occupe une position paradoxale dont on a vu la caricature chez Julie de Lespinasse, progressant à la fois vers une position de séductrice et vers une position d’amoureuse; tandis que l’assomption narcissique semblait, au contraire, assez faible chez les deux Héloïse, qui oscillaient la première entre deux religions (celle d’Abélard et celle de Dieu), la seconde entre le culte des illusions propres au désir et la jouissance d’un bien-être, source d’ennui.
Qu’il n’existe guère de solution de continuité entre la vie amoureuse d’un individu et ses autres activités, c’est là une évidence dont il est difficile d’apprécier dans le détail la portée. Telle est, au demeurant, l’hypothèse qui commande tout le développement de la psychanalyse. Notons simplement ici les corrélations très générales entre l’inhibition de la curiosité sexuelle et la difficulté de penser, entre l’absence d’activités érotiques et la diminution du goût de vivre, entre l’intensité des satisfactions onanistes et la baisse d’intérêt à l’égard d’autrui: comment le sujet ne s’éloignerait-il pas de la «réalité» s’il la déprécie d’avance au regard de l’univers fantasmatique? Le coït devient alors le «succédané insuffisant de la masturbation» pour reprendre le mot célèbre de Karl Kraus!
Est-ce à dire que seule une liberté sexuelle illimitée permettrait au sujet de s’épanouir pleinement? La multiplicité des interdits dont les primitifs entourent l’acte sexuel doit bien avoir sa raison. Qu’ils aient pour fin d’éviter l’inceste, cela tient d’abord à la nécessité pour toute société qui veut maintenir sa cohésion d’accroître et de diversifier les chaînes érotiques. Mais sans doute faut-il se garder de voir là une simple entrave au développement d’un individu dont les intérêts seraient en conflit avec ceux du groupe; bien plutôt doit-on essayer d’analyser la fonction protectrice de ces interdits dans l’économie psychique du sujet.
Une des hypocrisies majeures de l’époque présente réside dans la prétention d’ignorer la culpabilité qui résulte de toute tentative pour «réaliser» l’amour. S’il existe assurément une «santé» de l’érotisme face aux conduites morbides des idéalistes, reste que la «possession» fera toujours problème à celui qui, s’efforçant vers l’amour, prend conscience du risque d’enlisement de sa jouissance dans un plaisir marqué d’auto-érotisme.
Il est, certes, possible d’ôter à l’acte sexuel tout aspect de transgression et de péché; mais encore faudrait-il savoir si le sujet n’y perd pas au moins autant qu’il y gagne. Rappelons à cet égard la position de Freud. Le sujet qui veut atteindre à la pleine satisfaction amoureuse doit surmonter deux types d’obstacles: il doit, d’une part, renoncer à un certain type de respect humain ou d’idéalisation, et, de l’autre, «se familiariser avec la représentation de l’inceste». Ces deux conditions sont liées, puisque l’aspect animal de l’acte sexuel paraîtra d’autant plus dégradant au sujet qu’il sera davantage obsédé par l’image de l’objet enfantin de ses amours; d’où ce rabaissement psychique de l’objet sexuel qu’on a observé chez Baudelaire, lié à la surestimation compensatoire de la femme, qui représente le choix incestueux primitif. Mais les développements de la culture ont beau rendre difficile l’assouvissement de certaines composantes de la pulsion sexuelle, l’obstacle majeur réside dans la nécessité de changer l’objet sexuel. Si favorable que soit, en effet, le cas de figure, l’«objet perdu» – plus ou moins réel ou plus ou moins mythique – pèsera sur les choix ultérieurs; si bien que l’immixtion des adultes primitivement aimés sera une constante des relations érotiques.
Comment la culpabilité serait-elle dès lors évacuable? Et n’est-ce pas sa présence permanente qui explique le secret dont s’entoure l’acte sexuel aussi bien que le mystère dont les amants protègent si volontiers leur relation? Un désir formidable surgit en effet: celui de nier sa dette en ignorant les regards et les discours qui nous tissent, afin de court-circuiter le foyer de toute envie et de toute culpabilité. Les amants voudraient prendre refuge l’un dans l’autre et se mettre à l’abri de toute comparaison; comme s’ils étaient les premiers à s’aimer et comme si la transfiguration dont ils rayonnaient les arrachait au monde du vulgaire. Mais le narcissisme à deux n’est pas plus viable que le narcissisme du solitaire. Et eux-mêmes se chassent du paradis qu’ils se montrent impuissants à forger. «Ne m’appelle plus qu’amour et je serai rebaptisé», telle est l’inexauçable supplique que l’amant, éternel Roméo, adresse à celle qu’il aime. Mais quel amant serait assez fort pour vaincre le tabou onomastique et surmonter son fétichisme? Bien plus, comment un mortel serait-il digne de combler une pensée? Aussi bien l’amour extravague-t-il par essence, coupable, sans doute, du crime d’oublier les amours antérieures, mais doté de l’innocence propre à l’épiphanie de l’Amour éternel qu’il profile en abîme. Quoi de plus commode alors qu’un interdit, dont la fonction est précisément de permettre à l’inquiétude amoureuse de se déployer vers le dehors, tandis que le sujet prend conscience, en le transformant, du paradoxe inhérent à l’amour: source de toute stimulation et monstre dévorant.
Mystère par excellence: la référence aux amours enfantines, comme à la phylogenèse, ne saurait expliquer le pourquoi de l’attraction physique, de l’attraction morale et de leur improbable jonction. Éros ne cesse d’osciller entre le délire et la volonté d’union; il hésite à se déterminer comme manière de jouir, d’éluder le désir ou de le transformer; car il repose d’abord sur ce mythe endopsychique ou cette illusion qui me fait voir dans l’aimé le représentant de ma scission interne: supplément dont j’ai besoin pour que fulgure au moins une certitude.
Nourri d’imagination, sans doute se montre-t-il aussi tyrannique qu’insatiable. Mais vider l’amour de l’inquiétude de jalousie qui l’accompagne, n’est-ce pas du même mouvement le rejeter dans son entier? Et d’ailleurs, comment penser qu’Éros puisse trouver une mesure sous l’affront permanent que constitue le gouffre d’imperméable situé au cœur d’un sujet ballotté non seulement entre l’amour et la haine, mais entre la véhémence du désir et sa profonde apathie? Il est un point où la sensibilité mystérieusement se déconnecte, tandis que la mélancolie écrase le sujet devenu impuissant à ressentir l’aiguillon qui l’anime. D’où ces formes variées de pudeur dont l’amant enveloppe la honte d’un deuil qu’il manque de puissance à esquiver.
Car la seule loi de l’amour serait l’échange de ce que nul ne possède dans le chiasme d’abandons autrement compromettants que la dispensation d’un quelconque bien: dessaisissement, mais aussi changement de sexe et conversion du moi en son autre... Entreprise affolante et dont on se demande comment elle ne mènerait pas à ce trépas qui prête sa douceur au vertige des heures les plus précieuses. «Jouir! Ce sort est-il fait pour l’homme?, s’écriait Rousseau. Ah, si jamais une seule fois dans ma vie j’avais goûté dans leur plénitude tous ces délices de l’amour, je n’imagine pas que ma frêle existence y eût pu suffire, je serais mort sur le fait.»
La mort, pourtant, s’éloigne, car les amants sont toujours plus que deux et leurs fantasmes dressent sur la face de l’autre l’écran d’un miroir déformant... Regards et caresses ont beau précipiter dans un espace supratemporel l’essence de l’être façonné d’expériences oubliées; l’aimantation reste fugitive, si tenaces qu’en soient les séquelles.
Sans doute la grandeur de l’amour est-elle de ne pas supporter l’existence. Mais la grandeur de l’homme n’est-elle pas de consacrer ses forces à soutenir l’idéal, d’amadouer Éros et de lui prêter consistance? Un besoin dévorant nous presse vers l’amour, malgré la honte de ne savoir ni aimer, ni être aimés. Qu’il ait prise intermittente sur les cœurs et qu’il se refuse au «signe» indubitable de son existence, cette absence d’inscriptibilité n’empêche pourtant pas l’amour d’engendrer la certitude la plus brûlante qui soit. Certitude dont la trace subsiste sous les espèces d’une exigence mystérieuse qui nous protège à la fois contre l’amertume et contre l’aigreur. Le devoir procède alors de l’amour comme le terrible du beau. Symbole multiforme qui peut donner le change, mais témoigne en tout cas de cette ouverture du sujet à un infini qui l’a marqué du sceau redoutable et vivifiant de son absence.
amour [ amur ] n. m.
• amur n. f. 842; amour XIIe, sous l'infl. du provenç.; lat. amor
♦ Disposition favorable de l'affectivité et de la volonté à l'égard de ce qui est senti ou reconnu comme bon, diversifiée selon l'objet qui l'inspire. ⇒ affection, attachement, inclination, tendresse.
I ♦
1 ♦ Disposition à vouloir le bien d'une entité humanisée (Dieu, le prochain, l'humanité, la patrie) et à se dévouer à elle. L'amour de l'homme pour Dieu (répondant, dans la mystique chrétienne, à l'amour de Dieu pour les hommes). ⇒ adoration , charité, dévotion, piété. Pour l'amour de Dieu : par amour pour Dieu, sans motif intéressé, par pitié. Laissez-moi, pour l'amour de Dieu ! je vous en prie. L'amour du prochain, d'autrui. ⇒ altruisme, dévouement, fraternité, philanthropie. « Amour sacré de la Patrie » (La Marseillaise). ⇒ patriotisme.
2 ♦ Affection entre les membres d'une famille. L'amour maternel, paternel, filial, fraternel, de la mère, du père (envers les enfants), des enfants (envers les parents), des frères (envers les frères et sœurs). « Oh ! l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie » (Hugo).
3 ♦ (1172) Inclination envers une personne, le plus souvent à caractère passionnel, fondée sur l'instinct sexuel mais entraînant des comportements variés (généralt en ce sens, quand le mot est employé absolt). L'amour qu'il a, qu'il éprouve pour elle. Fou d'amour. « Nous parlions d'amour de peur de nous parler d'autre chose » (B. Constant). Cupidon, Éros, dieu de l'amour. Vivre un grand amour. Vivre d'amour et d'eau fraîche. Filer le parfait amour. Amour courtois, platonique. Amour subit (cf. Coup de foudre). Amour homosexuel. Amour illégitime. ⇒ concubinage, liaison. Amour libre, hors du mariage (cf. Union libre). Amour passager. ⇒ 1. amourette, caprice, flirt, passade. Déclaration d'amour. Lettre, roman, histoire d'amour. Un mariage d'amour. « Chagrin d'amour dure toute la vie » (Florian). — Absolt « L'amour n'est que l'échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes » (Chamfort). « On ne badine pas avec l'amour », de Musset. Ce n'est pas de l'amour, c'est de la rage.
♢ Au plur. Liaison, aventure amoureuse. Comment vont tes amours ? À vos amours ! à vos souhaits. — Poét. (Au fém.) Des amours tumultueuses. « Le vert paradis des amours enfantines » (Baudelaire).
4 ♦ Par euphém. (ou dans l'expr. amour physique ) Relations sexuelles. La saison des amours chez les animaux. ⇒ pariade, rut. Vieilli L'acte d'amour. — FAIRE L'AMOUR : (vx) faire la cour; (mod.) avoir des rapports sexuels. ⇒fam. 1. baiser, 1. coucher. « Le céramiste m'avait bien fait l'amour » (J. Laurent). On les surprit en train de faire l'amour. ⇒plaisant forniquer (cf. fam. S'envoyer en l'air).
5 ♦ Personne aimée. Mon amour, se dit en s'adressant à l'être aimé. — Par ext. Fam. Vous seriez un amour si : vous seriez très gentil de.
6 ♦ (1680) Personnification mythologique de l'amour (3o). L'Amour avec son arc et son carquois. Peindre des Amours, des petits Amours. — Par compar. Elle est jolie comme un amour, c'est un amour. Un amour d'enfant. — Fam. Un amour de petit chapeau : un très joli petit chapeau.
II ♦ (1623)
1 ♦ Attachement désintéressé et profond à quelque valeur. L'amour du bien, de la justice, de la vérité. Avoir l'amour de son métier. Faire une chose avec amour, avec le soin, le souci de perfection de la personne qui aime son travail.
2 ♦ Goût très vif pour une chose, une activité qui procure du plaisir. ⇒ passion. L'amour de la nature, de la campagne. L'amour du gain, des voyages, du sport. Pour l'amour de qqch. : par considération, par admiration pour. Pour l'amour de l'art.
III ♦ Fig. Amour en cage. ⇒ alkékenge. Pommier d'amour. Puits d'amour.
⊗ CONTR. Antipathie, haine; aversion.
● amour nom masculin (latin amor, -oris) Mouvement de dévotion qui porte un être vers une divinité, vers une entité idéalisée ; adhésion à une idée, à un idéal : Amour de Dieu. Intérêt, goût très vif manifesté par quelqu'un pour une catégorie de choses, pour telle source de plaisir ou de satisfaction : Amour des objets d'art. Son amour du jeu le perdra. Affection ou tendresse entre les membres d'une famille : Amour paternel, filial. Inclination d'une personne pour une autre, de caractère passionnel et/ou sexuel : Déclaration d'amour. Liaison, aventure amoureuse, sentimentale, galante : Un amour de jeunesse. Personne aimée (surtout dans des apostrophes) : Mon amour. Représentation symbolique des désirs de l'amour par un très jeune enfant ou un petit cupidon. ###● amour (citations) nom masculin (latin amor, -oris) Marcel Achard Sainte-Foy-lès-Lyon 1899-Paris 1974 Académie française, 1959 Il n'y a pas d'amour perdu. Le Corsaire, II, Kid Gallimard Marcel Achard Sainte-Foy-lès-Lyon 1899-Paris 1974 Académie française, 1959 L'amour, c'est être toujours inquiet de l'autre. Jean de la Lune, III, Marceline Gallimard Marcel Achard Sainte-Foy-lès-Lyon 1899-Paris 1974 Académie française, 1959 On se donne des souvenirs quand on se quitte. Jean de la Lune, III, Clotaire Gallimard Marcel Achard Sainte-Foy-lès-Lyon 1899-Paris 1974 Académie française, 1959 L'amour est à ceux qui y pensent. Patate, épigraphe La Table Ronde Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Le plus bel amour ne va pas loin si on le regarde courir. Mais plutôt il faut le porter à bras comme un enfant chéri. Esquisses de l'homme Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 La connaissance craque, aussi bien que l'amour, aux hommes sans courage. Sentiments, passions et signes Gallimard Henri Alban Fournier, dit Alain-Fournier La Chapelle-d'Angillon, Cher, 1886-bois de Saint-Rémy, Hauts de Meuse, 1914 L'amour comme un vertige, comme un sacrifice, et comme le dernier mot de tout. Correspondance avec Jacques Rivière Gallimard Jean Anouilh Bordeaux 1910-Lausanne 1987 Il y a l'amour […] Et puis il y a la vie, son ennemie. Ardèle ou la Marguerite, le général La Table Ronde Jean Anouilh Bordeaux 1910-Lausanne 1987 Si Dieu avait voulu que l'amour soit éternel […] il se serait arrangé pour que les conditions du désir le demeurent. Ardèle ou la Marguerite, le général La Table Ronde Jean Anouilh Bordeaux 1910-Lausanne 1987 La mort est belle. Elle seule donne à l'amour son vrai climat. Eurydice, IV, M. Henry La Table Ronde Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 Il est temps d'instaurer la religion de l'amour. Le Paysan de Paris Gallimard Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 En étrange pays dans mon pays lui-même Je sais bien ce que c'est qu'un amour malheureux. Les Yeux d'Elsa Cahiers du Rhône Antonin Artaud Marseille 1896-Ivry-sur-Seine 1948 Je sais bien que le plus petit élan d'amour vrai nous rapproche beaucoup plus de Dieu que toute la science que nous pouvons avoir de la création et de ses degrés. Héliogabale ou l'Anarchiste couronné Gallimard Antonin Artaud Marseille 1896-Ivry-sur-Seine 1948 On gagne l'amour par la conscience d'abord, et par la force de l'amour après. Héliogabale ou l'Anarchiste couronné Gallimard Joseph Autran Marseille 1813-Marseille 1877 Académie française, 1868 Laissons ses secrets à l'amour Et ses mystères à la femme ! Les Poèmes de la mer Michel Lévy Claude Aveline Paris 1901-Paris 1992 Il n'est pas d'amour sans fierté, et par conséquent sans témoin. Et tout le reste n'est rien Mercure de France Jean Antoine de Baïf Venise 1532-Paris 1589 Cessez, amis, cessez de plus me remontrer, Vous perdez votre peine. On ne peut par sagesse, La jeunesse et l'amour joints ensemble, donter. Les Amours de Francine dompter Jean Antoine de Baïf Venise 1532-Paris 1589 […] Ô trop vaine science, qui ne pourrait donner à l'amour guérison ! Les Amours de Francine Jean Antoine de Baïf Venise 1532-Paris 1589 Tout autre état mondain il me déplaît de suivre : Si l'on m'oste l'amour, sans pouvoir faire rien, Par force et nuit et jour oisif me faudra vivre. Les Amours de Francine Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 L'amour est la seule passion qui ne souffre ni passé ni avenir. Les Chouans Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 La haine, comme l'amour, se nourrit des plus petites choses, tout lui va. Le Contrat de mariage Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 L'amour qui économise n'est jamais le véritable amour. Melmoth réconcilié Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 L'amour véritable s'enveloppe toujours des mystères de la pudeur, même dans son expression, car il se prouve par lui-même ; il ne sent pas la nécessité, comme l'amour faux, d'allumer un incendie. Les Petits Bourgeois Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 Parler d'amour, c'est faire l'amour. Physiologie du mariage Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 L'amour n'est pas seulement un sentiment, il est un art aussi. La Recherche de l'absolu Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Maudit soit à jamais le rêveur inutile Qui voulut le premier, dans sa stupidité, S'éprenant d'un problème insoluble et stérile, Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté ! Les Fleurs du Mal, Femmes damnées Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Il y a dans l'acte de l'amour une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale. Fusées Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 La volupté unique et suprême de l'amour gît dans la certitude de faire le mal. — Et l'homme et la femme savent de naissance que dans le mal se trouve toute volupté. Fusées Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Ne pouvant pas supprimer l'amour, l'Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage. Mon cœur mis à nu Pierre Augustin Caron de Beaumarchais Paris 1732-Paris 1799 L'amour n'est que le roman du cœur : c'est le plaisir qui en est l'histoire. Le Mariage de Figaro, V, 7 Pierre Augustin Caron de Beaumarchais Paris 1732-Paris 1799 Boire sans soif et faire l'amour en tout temps, madame, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes. Le Mariage de Figaro, II, 21 Commentaire Thème repris de Rabelais. Maurice Bedel Paris 1883-Thuré, Vienne, 1954 Entre tant de plaisirs que dispense l'amour, il n'en est pas de plus grand que de parler de soi à l'être que l'on chérit. Le Laurier d'Apollon Gallimard Joë Bousquet Narbonne 1897-Carcassonne 1950 Il n'y a pas d'amour de la part d'un être sans liberté. Ce qu'il appelle son amour n'est que la passion de cette liberté. Langage entier Rougerie Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme Bourdeille vers 1540-1614 Toute belle femme s'estant une fois essayée au jeu d'amour ne le désapprend jamais. […] Vies des dames galantes André Breton Tinchebray, Orne, 1896-Paris 1966 Les mots font l'amour. Les Pas perdus Gallimard André Breton Tinchebray, Orne, 1896-Paris 1966 L'amour est toujours devant vous. Aimez. Le Surréalisme et la Peinture Gallimard Georges Louis Leclerc, comte de Buffon Montbard 1707-Paris 1788 Il n'y a que le physique de cette passion qui soit bon […] Malgré ce que peuvent dire les gens épris, le moral n'en vaut rien. Histoire naturelle, De l'homme l'amour Georges Louis Leclerc, comte de Buffon Montbard 1707-Paris 1788 Tout ce qui est bon dans l'amour appartient aux animaux aussi bien qu'à nous. Histoire naturelle, De l'homme José Cabanis Toulouse 1922-Balma, Haute-Garonne 2000 Académie française 1990 Peut-être dans le domaine de la religion, comme dans celui de l'amour, est-il inévitable de recourir à des termes vagues : tout y est vrai, pourvu qu'on y croie. Plaisir et lectures Gallimard Albert Camus Mondovi, aujourd'hui Deraan, Algérie, 1913-Villeblevin, Yonne, 1960 Ceux qui aiment vraiment la justice n'ont pas droit à l'amour. Les Justes Gallimard Albert Camus Mondovi, aujourd'hui Deraan, Algérie, 1913-Villeblevin, Yonne, 1960 Seule la vérité peut affronter l'injustice. La vérité, ou bien l'amour. Requiem pour une nonne (Adapté de William Faulkner) Gallimard Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline Courbevoie 1894-Meudon 1961 L'amour, c'est l'infini mis à la portée des caniches. Voyage au bout de la nuit Gallimard Sébastien Roch Nicolas, dit Nicolas de Chamfort près de Clermont-Ferrand 1740-Paris 1794 Académie française, 1781 Amour, folie aimable ; ambition, sottise sérieuse. Maximes et pensées Sébastien Roch Nicolas, dit Nicolas de Chamfort près de Clermont-Ferrand 1740-Paris 1794 Académie française, 1781 L'amour plaît plus que le mariage, par la raison que les romans sont plus amusants que l'histoire. Maximes et pensées Sébastien Roch Nicolas, dit Nicolas de Chamfort près de Clermont-Ferrand 1740-Paris 1794 Académie française, 1781 L'amour, tel qu'il existe dans la société, n'est que l'échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes. Maximes et pensées Jacques Boutelleau, dit Jacques Chardonne Barbezieux 1884-La Frette-sur-Seine 1968 L'amour, c'est beaucoup plus que l'amour. L'Amour, c'est beaucoup plus que l'amour Albin Michel Alain Chartier Bayeux vers 1385-vers 1435 Elas ! Pourquoy m'a elle procuree Mort a demy sans l'avoir assouvie ? Vie en langueur, telle est ma destinee, Quant je ne voy ma doulce dame en vie. Ballade de l'amie perdue Paul Claudel Villeneuve-sur-Fère, Aisne, 1868-Paris 1955 DON CAMILLE — L'amour se suffit à lui-même ! DON RODRIGUE — Et moi, je pense que rien ne suffit à l'amour ! Le Soulier de satin, II, 11 Gallimard Auguste Comte Montpellier 1798-Paris 1857 [La formule sacrée du positivisme] : L'Amour pour principe, l'Ordre pour base, et le Progrès pour but. Système de politique positive Pierre Corneille Rouen 1606-Paris 1684 Amour, sur ma vertu prends un peu moins d'empire ! Suréna, I, 2, Eurydice Pierre Corneille Rouen 1606-Paris 1684 La raison et l'amour sont ennemis jurés. La Veuve, II, 3, la nourrice René Daumal Boulzicourt, Ardennes, 1908-Paris 1944 Ceux qui croient avoir trouvé la paix, ce n'est souvent que par défaut d'amour. Lettres à ses amis Gallimard Michel Deguy Paris 1930 L'amour se résigne à ne pas savoir. Biefs Gallimard René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 L'amour est incomparablement meilleure que la haine ; elle ne saurait être trop grande. Les Passions de l'âme Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 On a dit que l'amour qui ôtait l'esprit à ceux qui en avaient en donnait à ceux qui n'en avaient pas. Paradoxe sur le comédien Claude Joseph Dorat Paris 1734-Paris 1780 L'Amour est nu mais il n'est pas crotté. Contes et nouvelles Eugène Grindel, dit Paul Eluard Saint-Denis 1895-Charenton-le-Pont 1952 L'amour choisit l'amour sans changer de visage. L'Amour la poésie, Premièrement Gallimard Eugène Grindel, dit Paul Eluard Saint-Denis 1895-Charenton-le-Pont 1952 Mieux vaut mourir d'amour que d'aimer sans regrets. 152 Proverbes mis au goût du jour, n°125 Éditions surréalistes Commentaire En collaboration avec Benjamin Péret Eugène Grindel, dit Paul Eluard Saint-Denis 1895-Charenton-le-Pont 1952 Par la caresse nous sortons de notre enfance mais un seul mot d'amour et c'est notre naissance. Le Phénix, Écrire, dessiner, inscrire, VII Seghers Eugène Grindel, dit Paul Eluard Saint-Denis 1895-Charenton-le-Pont 1952 Rives d'amour pour nous sont rives de justice. Une leçon de morale, Volonté d'y voir clair Gallimard Louis Émié 1900-1967 Amour, ange de neige et visage aux yeux clos […]. Hauts Désirs sans absence Seghers Gaston Arman de Caillavet Paris 1869-Essendiéras, Dordogne, 1915 et Robert Pellevé de La Motte-Ango, marquis de Flers Pont-l'Évêque 1872-Vittel 1927 Académie française, 1920 L'amour seul est assez fort pour défendre contre l'amour. L'Amour veille Librairie théâtrale Paul Fort Reims 1872-Argenlieu, près de Montlhéry, Essonne, 1960 L'amour, ça passe dans tant d'cœurs, c'est une corde à tant d'vaisseaux, et ça passe dans tant d'anneaux, à qui la faute si ça s'use ? L'Amour marin Flammarion Paul Fort Reims 1872-Argenlieu, près de Montlhéry, Essonne, 1960 L'amour est le seul rêve qui ne se rêve pas. Ballades françaises, Sur les jolis ponts de Paris Flammarion Anatole François Thibault, dit Anatole France Paris 1844-La Béchellerie, Saint-Cyr-sur-Loire, 1924 Académie française, 1896 Le christianisme a beaucoup fait pour l'amour en en faisant un péché. Le Jardin d'Épicure Calmann-Lévy saint François de Sales château de Sales, près de Thorens, Savoie, 1567-Lyon 1622 Mais prenez garde que l'amour-propre ne vous trompe, car quelquefois il contrefait si bien l'amour de Dieu qu'on dirait que c'est lui […]. Introduction à la vie dévote Robert Garnier La Ferté-Bernard 1545 ?-Le Mans 1590 Moi, j'ai toujours l'amour cousu dans mes entrailles. Antigone Charles de Gaulle Lille 1890-Colombey-les-Deux-Églises 1970 […] Les femmes pensent à l'amour, les hommes aux galons, ou à quelque chose de ce genre. Propos recueillis par André Malraux dans Les Chênes qu'on abat Gallimard André Gide Paris 1869-Paris 1951 C'est le propre de l'amour […] d'être forcé de croître, sous peine de diminuer. Les Faux-Monnayeurs Gallimard André Gide Paris 1869-Paris 1951 Que n'obtient-on pas de soi, par amour ! Les Faux-Monnayeurs Gallimard André Gide Paris 1869-Paris 1951 Le plus grand bonheur après que d'aimer, c'est de confesser son amour. Journal Gallimard André Gide Paris 1869-Paris 1951 Le mal n'est jamais dans l'amour. La Symphonie pastorale Gallimard Jean Giraudoux Bellac 1882-Paris 1944 L'amant est toujours plus près de l'amour que de l'aimée. Amphitryon 38, I, 6, Alcmène Grasset Jean Giraudoux Bellac 1882-Paris 1944 L'amour comporte des moments vraiment exaltants, ce sont les ruptures. La guerre de Troie n'aura pas lieu, I, 4, Pâris Grasset Joseph Arthur, comte de Gobineau Ville-d'Avray 1816-Turin 1882 La beauté est belle ; la passion, l'amour absolu sont plus beaux et plus adorables. Nouvelles asiatiques Joseph Arthur, comte de Gobineau Ville-d'Avray 1816-Turin 1882 Dans l'homme aimé, il arrive le plus ordinairement qu'on ne s'est épris que de l'amour. Les Pléiades Jules Huot de Goncourt Paris 1830-Paris 1870 et Edmond Huot de Goncourt Nancy 1822-Champrosay, Essonne, 1896 Dieu a fait le coït, l'homme a fait l'amour. Journal Fasquelle Marcel, dit Jean Guéhenno Fougères 1890-Paris 1978 Académie française, 1962 L'amour est cette merveilleuse chance qu'un autre vous aime encore quand vous ne pouvez plus vous aimer vous-même. Aventures de l'esprit Gallimard Guillaume de Lorris Lorris-en-Gâtinais vers 1200-1210-après 1240 C'est le Roman de la rose, où tout l'art d'Amour est enclos. Ce est li Romanz de la Rose, Ou l'art d'Amors est tote enclose. Roman de la Rose Gabriel Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues Bordeaux 1628-Istanbul 1685 Il faut de l'artifice pour se faire aimer ; il faut chercher avec quelque adresse les moyens d'enflammer, et l'amour tout seul ne donne point de l'amour. Lettres de la religieuse portugaise Gabriel Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues Bordeaux 1628-Istanbul 1685 Vous trouverez, peut-être, plus de beauté […], mais vous ne trouverez jamais tant d'amour, et tout le reste n'est rien. Lettres de la religieuse portugaise Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Oh ! l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie ! Pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie ! Table toujours servie au paternel foyer ! Chacun en a sa part, et tous l'ont tout entier ! Les Feuilles d'automne, Ce siècle avait deux ans Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 La prière est la sœur tremblante de l'amour. La Légende des siècles, l'Amour Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Près de toi rien de moi n'est resté, Et ton amour m'a fait une virginité. Marion Delorme, V, 2, Marion Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Le premier symptôme de l'amour vrai chez un jeune homme c'est la timidité, chez une jeune fille c'est la hardiesse. Les Misérables Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 […] Amour ! toi qui nous charmes ! […] Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ; Jeune homme on te maudit, on t'adore vieillard. Les Rayons et les Ombres, Tristesse d'Olympio Francis Jammes Tournay, Hautes-Pyrénées, 1868-Hasparren, Pyrénées-Atlantiques, 1938 Et si tu n'as pas vu ce joli sentiment que Zénaïde Fleuriot a nommé l'amour, je te l'expliquerai lentement, lentement. Le Deuil des primevères Mercure de France Pierre Jean Jouve Arras 1887-Paris 1976 Tout amour contient un abîme qui est le Plaisir. La Scène capitale Mercure de France Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 Les femmes vont plus loin en amour que la plupart des hommes ; mais les hommes l'emportent sur elles en amitié. Les Caractères, Des femmes Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 L'amour commence par l'amour ; et l'on ne saurait passer de la plus forte amitié qu'à un amour faible. Les Caractères, Du cœur Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 L'amour et l'amitié s'excluent l'un l'autre. Les Caractères, Du cœur Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 L'amour qui naît subitement est le plus long à guérir. Les Caractères, Du cœur Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 Les hommes commencent par l'amour, finissent par l'ambition et ne se trouvent souvent dans une assiette plus tranquille que lorsqu'ils meurent. Les Caractères, Du cœur Pierre Choderlos de Laclos Amiens 1741-Tarente 1803 Ne vous souvient-il plus que l'amour est, comme la médecine, seulement l'art d'aider la nature. Les Liaisons dangereuses Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de La Fayette Paris 1634-Paris 1693 Je suis si persuadée que l'amour est une chose incommode que j'ai de la joie que mes amis et moi en soyons exempts. Lettres Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de La Fayette Paris 1634-Paris 1693 On ne peut exprimer le trouble qu'apporta la jalousie dans un cœur où l'amour ne s'était pas encore déclaré. Zaïde Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 Les tourterelles se fuyaient : Plus d'amour, partant plus de joie. Fables, les Animaux malades de la peste Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 Amour, tu perdis Troie. Fables, les Deux Coqs Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 L'absence est aussi bien un remède à la haine Qu'un appareil contre l'amour. Fables, les Deux Perroquets, le Roi et son Fils Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 Amour, amour, quand tu nous tiens, On peut bien dire : « Adieu, prudence ! » Fables, le Lion amoureux François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Dans les premières passions les femmes aiment l'amant, et dans les autres elles aiment l'amour. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 De toutes les passions violentes, celle qui sied le moins mal aux femmes, c'est l'amour. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 En amour, celui qui est guéri le premier est toujours le mieux guéri. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Il est du véritable amour comme de l'apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Il n'y a point de déguisement qui puisse longtemps cacher l'amour où il est, ni le feindre où il n'est pas. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 On passe souvent de l'amour à l'ambition, mais on ne revient guère de l'ambition à l'amour. Suite de l'article ###● amour (citations) (suite) Retour au début de l'article Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Le plaisir de l'amour est d'aimer, et l'on est plus heureux par la passion que l'on a que par celle que l'on donne. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Le plus grand miracle de l'amour, c'est de guérir de la coquetterie. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié. Maximes Antoine de Rambouillet, sieur de La Sablière 1624-1679 Et je connais bien que l'absence Est un prétexte à l'inconstance, Plutôt qu'un remède à l'amour. Madrigaux Patrice de La Tour du Pin Paris 1911-Paris 1975 Si Dieu a fait un monde d'amour, vous êtes faits pour le retrouver. Une somme de poésie Gallimard Paul Léautaud Paris 1872-Robinson 1956 L'amour fait des fous, le mariage des cocus, le patriotisme des imbéciles malfaisants. Passe-temps Mercure de France Gustave Le Bon Nogent-le-Rotrou 1841-Paris 1931 L'amitié est plus souvent une porte de sortie qu'une porte d'entrée de l'amour. Aphorismes du temps présent Flammarion Michel Leiris Paris 1901-Saint-Hilaire, Essonne, 1990 Un amour durable, c'est un sacré qui met longtemps à s'épuiser. L'Âge d'homme Gallimard Pierre Le Loyer, seigneur de La Brosse Huillé, Anjou, 1550-Angers 1634 L'Amour c'est un désir mutuel en deux âmes, Qui toutes deux les pousse à un pourchas égal ; L'honneur c'est un respect qu'ont entre elles les femmes, Qui les fait délayer de guérir notre mal. Les Amours de Flore recherche différer Anne, dite Ninon de Lenclos Paris 1616-Paris 1705 En amour on plaît plutôt par d'agréables défauts que par des qualités essentielles […]. Lettres Anne, dite Ninon de Lenclos Paris 1616-Paris 1705 Il est plus difficile de bien faire l'amour que de bien faire la guerre. Lettres Henri René Lenormand Paris 1882-Paris 1951 Celle qui n'a jamais eu un peu pitié de celui qu'elle aime n'a probablement pas connu l'amour. Les Ratés Crès Henri René Lenormand Paris 1882-Paris 1951 L'homme prend ses curiosités pour de l'amour. Terre de Satan Albin Michel Charles Joseph, prince de Ligne Bruxelles 1735-Vienne 1814 En amour, il n'y a que les commencements qui soient charmants. Il ne m'étonne pas qu'on trouve du plaisir à recommencer souvent. Mes écarts Georges Limbour Courbevoie 1900-Cadix 1970 Sonde d'amour, veux-tu mesurer le fond où va pouvoir mouiller la mort ? L'Enfant polaire Gallimard Pierre Louis, dit Pierre Louÿs Gand 1870-Paris 1925 L'amour humain ne se distingue du rut stupide des animaux que par deux fonctions divines : la caresse et le baiser. Aphrodite Fasquelle Clément Marot Cahors 1496-Turin 1544 Cœur sans amour toujours loyer demande. Le Balladin Clément Marot Cahors 1496-Turin 1544 Vertu n'a pas en amour grand'prouesse. Chansons, XIX Clément Marot Cahors 1496-Turin 1544 Amour fait vivre, et Crainte fait mourir. Élégie, VIII François Mauriac Bordeaux 1885-Paris 1970 Académie française, 1933 Combien peu d'amours trouvent en elles-mêmes assez de force pour demeurer sédentaires ! Journal Grasset François Mauriac Bordeaux 1885-Paris 1970 Académie française, 1933 Il faut bien donner le nom de l'amour à tous les sentiments tendres que nous eûmes. Mais nous ne saurons jamais si c'était lui. Journal d'un homme de trente ans Librairie de l'Université, Fribourg Ludovic Halévy Paris 1834-Paris 1908 Académie française, 1884 et Henri Meilhac Paris 1831-Paris 1897 L'amour est enfant de Bohème. Carmen, opéra bouffe, musique de Bizet Prosper Mérimée Paris 1803-Cannes 1870 Académie française, 1844 L'amour fait tout excuser, mais il faut être bien sûr qu'il y a de l'amour. Lettres, à Jenny Dacquin, 25 septembre 1832 Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz, dit O. V. de L. Milosz Tchereïa, Lituanie, 1877-Fontainebleau 1939 L'homme ne doute de sa liberté que parce qu'il ignore l'étendue immense du pouvoir de l'amour. Les Arcanes, Préfigure de la nature physique Teillon Octave Mirbeau Trévières, Calvados, 1848-Paris 1917 Chez moi, tout crime — le meurtre principalement — a des correspondances secrètes avec l'amour. Le Journal d'une femme de chambre Fasquelle Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. Dom Juan, I, 2, Dom Juan Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Il le faut avouer, l'amour est un grand maître. Ce qu'on ne fut jamais, il nous enseigne à l'être. L'École des femmes, III, 4, Horace Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour. Le Misanthrope, I, 1, Alceste Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Un bon mariage, s'il en est, refuse la compagnie et conditions de l'amour. Il tâche à représenter celles de l'amitié. Essais, III, 5 la nature Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu château de La Brède, près de Bordeaux, 1689-Paris 1755 En amour on s'imagine que la seule prétention donne un titre. Mes pensées Paul Morand Paris 1888-Paris 1976 Académie française, 1968 En amour, être Français, c'est la moitié du chemin. L'Europe galante Grasset Paul Morand Paris 1888-Paris 1976 Académie française, 1968 L'amour est aussi une affection de la peau. Fermé la nuit Gallimard Paul Morand Paris 1888-Paris 1976 Académie française, 1968 L'amour n'est pas un sentiment, c'est un art. Isabeau de Bavière Gallimard Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval Paris 1808-Paris 1855 L'amour constant ressemble à la fleur du soleil, Qui rend à son déclin, le soir, le même hommage Dont elle a, le matin, salué son réveil ! Poésies diverses, Mélodie Blaise Pascal Clermont, aujourd'hui Clermont-Ferrand, 1623-Paris 1662 Qu'une vie est heureuse quand elle commence par l'amour et qu'elle finit par l'ambition. Discours sur les passions de l'amour Henri Petit 1900-1978 L'amour, cette absence de mémoire, ne retient de nous que notre éternité. Ordonne ton amour Grasset Charles-Louis Philippe Cérilly, Allier, 1874-Paris 1909 L'Amour est beau pour ceux qui ont de quoi vivre, mais les autres doivent d'abord penser à vivre. La Mère et l'enfant Gallimard André Pieyre de Mandiargues Paris 1909-Paris 1991 L'amour sort du futur avec un bruit de torrent, et il se jette dans le passé pour le laver de toutes les souillures de l'existence. Mascarets, le Marronnier Gallimard André Pieyre de Mandiargues Paris 1909-Paris 1991 La connaissance et l'amour ont pour effet d'abolir les oppositions. In Préface aux Œuvres complètes de André Pieyre de Mandiargues Gallimard André Pieyre de Mandiargues Paris 1909-Paris 1991 L'histoire, la révolution, l'amour ne vont à leurs hauts paroxysmes que par la folie de la poésie. Le Troisième Belvédère Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 L'amour le plus exclusif pour une personne est toujours l'amour d'autre chose. À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 L'amour physique, si injustement décrié, force tellement tout être à manifester jusqu'aux moindres parcelles qu'il possède de bonté, d'abandon de soi, qu'elles resplendissent jusqu'aux yeux de l'entourage immédiat. À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 On a tort de parler en amour de mauvais choix, puisque dès qu'il y a choix il ne peut être que mauvais. À la recherche du temps perdu, la Fugitive Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 L'amour, c'est l'espace et le temps rendus sensibles au cœur. À la recherche du temps perdu, la Prisonnière Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 En amour, il est plus facile de renoncer à un sentiment que de perdre une habitude. À la recherche du temps perdu, la Prisonnière Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 L'amour cause […] de véritables soulèvements géologiques de la pensée. À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Un amoureux sera moins heureux de causer de l'amour avec Stendhal que de sa maîtresse avec son porteur d'eau. Jean Santeuil Gallimard François Rabelais La Devinière, près de Chinon, vers 1494-Paris 1553 À la bonne et sincère amour est crainte perpétuellement annexée. Le Quart Livre, 3 Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme : Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux, Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux. Andromaque, II, 2, Oreste Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour, Madame, pour un fils jusqu'où va notre amour. Andromaque, III, 4, Andromaque Charles-Ferdinand Ramuz Lausanne 1878-Pully, près de Lausanne, 1947 Rien ne naît que d'amour, et rien ne se fait que d'amour ; seulement il faut tâcher de connaître les différents étages de l'amour. Chant de notre Rhône Georg Paul Raynal Narbonne 1885-Paris 1971 On ne peut pas passer du mépris à l'amour. Mais de la haine, on y passe très bien. Au soleil de l'instinct Stock Jean-François Regnard Paris 1655-château de Grillon, près de Dourdan, 1709 J'aime un amour fondé sur un bon coffre-fort […] Cette veuve, je crois, ne serait point cruelle ; Ce serait une éponge à presser au besoin. Le Joueur, I, 6 Henri de Régnier Honfleur 1864-Paris 1936 Académie française, 1911 Les feux de l'amour laissent parfois une cendre d'amitié. « Donc… » Kra Jules Renard Châlons, Mayenne, 1864-Paris 1910 L'amour tue l'intelligence. Le cerveau fait sablier avec le cœur. L'un ne se remplit que pour vider l'autre. Journal, 23 mars 1901 Gallimard Arthur Rimbaud Charleville 1854-Marseille 1891 Il dit : « Je n'aime pas les femmes. L'amour est à réinventer, on le sait. » Une saison en enfer, Délires I Denis de Rougemont Neuchâtel 1906-Genève 1985 L'amour est le comble de l'esprit. Penser avec les mains Gallimard Donatien Alphonse François, comte de Sade, dit le marquis de Sade Paris 1740-Charenton 1814 Il n'est nullement besoin d'être aimé pour bien jouir et […] l'amour nuit plutôt aux transports de la jouissance qu'il n'y sert. Juliette Charles Augustin Sainte-Beuve Boulogne-sur-Mer 1804-Paris 1869 Une grande aversion présente est souvent le seul signe d'un grand amour passé. Causeries du lundi Marie-René Alexis Saint-Leger Leger, dit, en diplomatie, Alexis Leger, et, en littérature Saint-John Perse Pointe-à-Pitre 1887-Giens, Var, 1975 L'amour en mer brûle ses vaisseaux. Amers Gallimard Maurice Scève Lyon vers 1501-Lyon vers 1560 Toute douceur d'amour est destrempée De fiel amer et de mortel venin. Délie Georges Schéhadé Alexandrie 1907-Paris 1989 C'est peut-être ça, l'amour : un visage autour de soi qui se multiplie, alors qu'on est seul ! La Soirée des proverbes Gallimard Étienne Pivert de Senancour Paris 1770-Saint-Cloud 1846 Faire consister la force du mariage dans celle de l'amour, c'est aller jusqu'à méconnaître l'esprit de cette institution. De l'amour considéré dans les lois réelles et dans les formes sociales de l'union des sexes Henri Beyle, dit Stendhal Grenoble 1783-Paris 1842 L'amour est la seule passion qui se paye d'une monnaie qu'elle fabrique elle-même. De l'amour Henri Beyle, dit Stendhal Grenoble 1783-Paris 1842 L'amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires, ou plutôt la seule. Vie de Henry Brulard Honoré d'Urfé Marseille 1567-Villefranche-sur-Mer 1625 Le prix d'Amour, c'est seulement Amour, […] Il faut aimer si l'on veut être aimé. La Sylvanire ou la Morte vive, I, 1 Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues Aix-en-Provence 1715-Paris 1747 La coutume fait tout, jusqu'en amour. Réflexions et Maximes François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Qui que tu sois, voici ton maître : Il l'est, le fut, ou le doit être. Poésies mêlées, XLIII Commentaire Cette inscription pour une statue de l'Amour est rappelée par Balzac dans les premières pages du Père Goriot. Properce, en latin Sextus Aurelius Propertius Ombrie vers 47-vers 16 avant J.-C. Il n'est point de haine implacable, sauf en amour. Nullae sunt inimicitiae nisi amoris acerbae. Élégies, II, 8, 3 Baruch Spinoza Amsterdam 1632-La Haye 1677 L'amour est la joie, accompagnée de l'idée d'une cause extérieure. Amor est Laetitia concomitante idea causae externae. L'Éthique, Livre III Virgile, en latin Publius Vergilius Maro Andes, aujourd'hui Pietole, près de Mantoue, 70 avant J.-C.-Brindes 19 avant J.-C. L'amour triomphe de tout. Omnia vincit amor. Les Bucoliques, X, 69 Callimaque Cyrène vers 305 avant J.-C.-vers 240 Serments d'amour n'entrent pas dans l'oreille des dieux. Épigrammes, XXV, 3-4 (traduction E. Cahen) Euripide Salamine 480-Pella, Macédoine, 406 avant J.-C. — Qu'est-ce donc qu'on appelle amour chez les humains ? — Rien n'est plus doux, ma fille, ni amer tout ensemble. Hippolyte, 347-348 (traduction Méridier) Sophocle Colone, près d'Athènes, entre 496 et 494 avant J.-C.-Athènes 406 avant J.-C. Je ne sais partager que l'amour, non la haine. Antigone, 523 (traduction P. Dumoulin) Bible Car l'amour est fort comme la Mort la jalousie inflexible comme le Shéol. Ses traits sont des traits de feu, une flamme de Yahvé. Ancien Testament, Cantique des cantiques VIII, 6 séjour des âmes des morts Commentaire Citation empruntée à la « Bible de Jérusalem ». Bible Il n'y a pas de crainte dans l'amour ; Au contraire, le parfait amour bannit la crainte, Car la crainte suppose un châtiment, Et celui qui craint N'est pas consommé en amour. Épîtres de saint Jean, Ire, IV, 18 Anne Louise Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, dite Mme de Staël Paris 1766-Paris 1817 L'amour est un égoïsme à deux. Commentaire L'attribution à Mme de Staël n'est pas certaine. Anonyme Un ami m'a demandé : « Qu'est-ce que l'amour ? » Je lui dis : « L'amour est une douceur dont le jus est savoureux et la pâte amère. » Les Mille et Une Nuits, Histoire de Ghanem et de Fetnah Clemens Brentano Ehrenbreitstein 1778-Aschaffenburg 1842 … ô amour rempli de larmes parce que le plus proche est à jamais lointain ! … ô Lieb voll Tränen, Weil sich unendlich Nahes ewig fern ! Le Rêve du désert Emily Brontë Thornton 1818-Haworth 1848 L'amour à la sauvage églantine est pareil, Et l'amitié pareille au houx, Sombre est le houx, quand l'églantine est tout en fleur, Mais lequel fleurit avec plus de constance ? Love is like the wild rose-briar, Friendship like the holly-tree, The holly is dark when the rose-briar blooms But which will bloom most constantly ? Love and Friendship Georg Büchner Goddelau, près de Darmstadt, 1813-Zurich 1837 La haine est licite aussi bien que l'amour et je la ressens au plus haut point contre ceux qui ont du mépris. Der Haß ist so gut erlaubt als die Liebe, und ich hege ihm im vollsten Maße gegen die, welche verachten. Lettre à sa famille, février 1834 George Gordon, lord Byron Londres 1788-Missolonghi 1824 Dans sa première passion, la femme aime son amant, et dans toutes les autres, tout ce qu'elle aime est l'amour. In her first passion woman loves her lover. In all the others, all she loves is love. Don Juan, III, 3 Luís Vaz de Camões Lisbonne 1524 ?-Lisbonne 1580 Quel amour de Nymphe peut suffire à contenter celui d'un Géant ? […] Qual será o amor bastante De Ninfa que sustente o de um Gigante ? Les Lusiades, V, 53 Miguel de Cervantès, en espagnol Miguel de Cervantes Saavedra Alcalá de Henares 1547-Madrid 1616 Seules errances d'amour Sont dignes de pardon. Que los yerros por amores Son dignos de perdonar. La comedia entretenida Dante Alighieri Florence 1265-Ravenne 1321 L'amour qui mène le soleil et les étoiles. L'amor che move il sole e l'altre stelle. Dernier vers de la Divine Comédie Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski Moscou 1821-Saint-Pétersbourg 1881 L'amour abstrait de l'humanité est presque toujours de l'égoïsme. L'Idiot Chamsoddin Mohammed Hafez ou Chams al-Din Muhammad Hafiz probablement Chiraz vers 1325-probablement Chiraz vers 1390 Les mots d'amour ne sont point de ceux que l'on peut prononcer. Heinrich Heine Düsseldorf 1797-Paris 1856 L'amour et la haine, la haine et l'amour, Tout cela est passé sur moi ; Pourtant je n'en ai gardé nulle trace, Je suis resté toujours le même. Lieben und Hassen, Hassen und Lieben Ist alles über mich hingegangen ; Doch blieb von allem nichts an mir hangen, Ich bin der allerselbe geblieben. Livre des chants, le Retour Mahomet, en arabe Muḥammad La Mecque vers 570-Médine 632 Celui qui reste chaste et meurt d'amour meurt martyr. Tradition musulmane Ippolito Nievo Padoue 1831-en mer Tyrrhénienne 1861 L'amour est une herbe spontanée et non une plante de jardin. L'amore è un'erba spontanea, non una pianta da giardino. Confession d'un octogénaire Gadadhar Chatterji ou Gadadhar Chattopadhyaya, dit Ramakrishna Kamarpukur, près d'Hooghly, Bengale-Occidental, 1836-Calcutta 1886 Ayez de l'amour pour tous, nul n'est autre que vous. Entretiens Rainer Maria Rilke Prague 1875-sanatorium de Val-Mont, Montreux, 1926 Dans l'amour, quand il se présente, ce n'est que l'obligation de travailler à eux-mêmes que les êtres jeunes devraient voir. Nur in diesem Sinne, als Aufgabe, an sich zu arbeiten, durften junge Menschen die Liebe, die ihnen gegeben wird, gebrauchen. Lettres à un jeune poète, 14 mai 1904 Fernando de Rojas Puebla de Montalbán vers 1465-Talavera de la Reina 1541 Toutes les dettes reçoivent quelque compensation, mais seul l'amour peut payer l'amour. Todas las deudas del mundo reciben compensación en diverso género ; el amor no admite sino sólo amor por paga. La Célestine, 16 William Shakespeare Stratford on Avon, Warwickshire, 1564-Stratford on Avon, Warwickshire, 1616 L'amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l'âme. Love looks not with the eyes, but with the mind. Le Songe d'une nuit d'été, I, 1, Helena William Shakespeare Stratford on Avon, Warwickshire, 1564-Stratford on Avon, Warwickshire, 1616 Misérable est l'amour qui se laisserait mesurer. There's beggary in the love that can be reckoned. Antoine et Cléopâtre, I, 1, Antoine William Shakespeare Stratford on Avon, Warwickshire, 1564-Stratford on Avon, Warwickshire, 1616 OPHÉLIE — Du moins, c'est court. HAMLET — Comme l'amour d'une femme. OPHELIA — 'Tis brief, my lord. HAMLET — As woman's love. Hamlet, III, 2 Percy Bysshe Shelley Field Place, Horsham, Sussex, 1792-en mer, La Spezia, 1822 Pour l'amour et la beauté et le bonheur Il n'y a ni mort ni changement. For love and beauty and delight There is no death, nor change. La Sensitive John Steinbeck Salinas, Californie, 1902-New York 1968 Un peu d'amour, c'est comme un peu de bon vin… Trop de l'un ou trop de l'autre rendent un homme malade. A little love is like a little wine. Too much of either will make a man sick. Tortilla Flat, 15 Henry David Thoreau Concord, Massachusetts, 1817-Concord, Massachusetts, 1862 Plutôt que l'amour, que l'argent, que la gloire, Donnez-moi la vérité. Rather than love, than money, than fame, Give me truth. Walden, Conclusion Lev [en français Léon] Nikolaïevitch, comte Tolstoï Iasnaïa Poliana, gouvernement de Toula, 1828-Astapovo, gouvernement de Riazan, 1910 Aimer d'un amour humain, c'est pouvoir passer de l'amour à la haine, tandis que l'amour divin est immuable. Guerre et Paix, livre III, 3e partie, 32 bienheureux Jan Van Ruusbroec, dit l'Admirable Ruusbroec, près de Bruxelles, 1293-Groenendaal, près de Bruxelles, 1381 La charité est le nœud de l'amour. De l'ornement des noces spirituelles, le quiétisme Bernard de Ventadour château de Ventadour vers 1125-abbaye de Dalon fin du XIIe s. Hélas ! combien je croyais savoir D'amour, et combien peu j'en sais ! Ai, las ! tan cuidava saber D'amor, e tan petit en sai ! ● amour nom masculin (de amour) Amour blanc, poisson herbivore originaire de Chine et introduit en Russie pour combattre l'envahissement des voies d'eau par les plantes aquatiques. ● amour (expressions) nom masculin (de amour) Amour blanc, poisson herbivore originaire de Chine et introduit en Russie pour combattre l'envahissement des voies d'eau par les plantes aquatiques. ● amour (difficultés) nom masculin (latin amor, -oris) Genre 1. Au singulier, le mot est masculin : un amour fervent. Remarque L'emploi du féminin singulier (une belle amour) relève d'une recherche stylistique délibérée (effet d'archaïsme ou plaisanterie, notamment). 2. Au pluriel, le mot est masculin dans le registre courant (elle a eu des amours ardents et des passions jalouses), féminin dans le style soutenu ou poétique (« le vert paradis des amours enfantines », Ch. Baudelaire ). 3. Quand il s'agit des représentations du dieu Amour (en peinture, sculpture, etc.), amour est toujours masculin, au singulier comme au pluriel : des amours sculptés. ● amour (expressions) nom masculin (latin amor, -oris) Amour de soi, intérêt excessif pour sa propre personne, égoïsme. À tes (vos) amours !, formule de souhait employée quand on trinque ou lorsqu'on éternue. Familier. Être un amour, être très gentil. Faire l'amour, accomplir l'acte sexuel. Filer le parfait amour, avoir une liaison heureuse, exempte de troubles. Pour l'amour de quelqu'un, de quelque chose, par égard pour quelqu'un, par considération pour quelque chose. Pour l'amour de Dieu !, exclamation renforçant un ordre, une prière, et qui exprime parfois l'irritation, l'impatience. La saison, le temps des amours, de l'amour, moment où les animaux sont poussés par leur instinct à s'accoupler. Familier. Un amour de, superlatif de « joli », « charmant », de nuance affectée. ● amour (synonymes) nom masculin (latin amor, -oris) Mouvement de dévotion qui porte un être vers une divinité...
Synonymes :
- dévotion
Intérêt, goÛt très vif manifesté par quelqu'un pour une catégorie...
Synonymes :
- culte
- passion
- penchant
Contraires :
- animosité
- aversion
- désaffection
- exécration
- haine
- horreur
- indifférence
- prévention
Affection ou tendresse entre les membres d'une famille
Synonymes :
- amitié
Inclination d'une personne pour une autre, de caractère passionnel et/ou...
Contraires :
- animosité
- aversion
- haine
Liaison, aventure amoureuse, sentimentale, galante
Synonymes :
- aventure
- flirt
- intrigue
- passade
Amour
dieu identifié avec l'éros grec, amant de Psyché, et avec le Cupidon latin.
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Amour ou Heilongjiang
fl. d'Extrême-Orient (4 354 km), qui sert de frontière entre la Russie et la Chine du N.-E.; se jette dans la mer d'Okhotsk.
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Amour
n. m.
rI./r
d1./d Sentiment d'affection passionnée, attirance affective et sexuelle d'un être humain pour un autre. Elle lui a inspiré un grand amour. Aimer d'amour. Filer le parfait amour: s'aimer dans une entente parfaite.
— (Québec) (Emploi critiqué.) Fam. être, tomber en amour (avec qqn): être, devenir subitement amoureux. être en amour par-dessus la tête.
— Faire l'amour (avec qqn), avoir des rapports sexuels.
|| n. f. pl. Litt. De folles amours. Syn. passion, tendresse, attachement.
d2./d La personne aimée. Mon amour.
— Fam. Un amour d'enfant: un enfant charmant.
d3./d Représentation allégorique de la divinité à laquelle les Grecs et les Romains attribuaient le pouvoir de faire naître l'amour. Des amours joliment sculptés.
rII./r Vif sentiment d'affection que ressentent les uns pour les autres les membres d'une même famille. Amour maternel, filial, fraternel.
rIII/r
d1./d Sentiment de profond attachement (à une valeur ressentie comme supérieure et à laquelle on est prêt à se sacrifier). L'amour du prochain, de la patrie.
|| Amour de Dieu: piété, ferveur.
— Pour l'amour de Dieu: je vous en prie, par pitié.
d2./d Goût très vif, enthousiasme pour une chose, une activité. L'amour de la musique, de l'argent, du sport.
— Faire un travail avec amour, avec grand plaisir et en y mettant tout son soin. Ant. aversion, dégoût.
rIV./r Fig. Amour caché: à la Martinique, gâteau à la noix de coco.
— Tourment d'amour: à la Guadeloupe, ce même gâteau.
|| Plur. (Suisse) Dernières gouttes d'une bouteille. à vous les amours!: à votre santé!
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Amour
(djebel) massif de l'Atlas saharien, en Algérie méridionale.
⇒AMOUR, subst. masc. (except. fém.)
Attirance, affective ou physique, qu'en raison d'une certaine affinité, un être éprouve pour un autre être, auquel il est uni ou qu'il cherche à s'unir par un lien généralement étroit. L'amour, c'est beaucoup plus que l'amour (titre d'un roman de Jacques Chardonne, 1937) :
• 1. Le cœur humain n'a que deux ressorts, l'ambition et l'amour. (...). Sous le nom d'amour, on peut comprendre toutes les passions expansives qui portent l'homme hors de lui-même, lui créent un but, des objets supérieurs à sa vie propre, le font comme exister dans autrui, ou pour autrui. L'éducation qui développe les premières passions personnelles au détriment des expansives est à contre-sens.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1819, p. 246.
• 2. ... mes facultés baissent, excepté celle d'aimer. L'amour, c'est l'âme qui ne meurt pas, qui va croissant, montant comme la flamme.
E. DE GUÉRIN, Journal, 1835, p. 93.
• 3. ... je ne vois pas où est le catéchisme de l'amour et pourtant l'amour, sous toutes les formes, domine notre vie entière : amour filial, amour fraternel, amour conjugal, amour paternel ou maternel, amitié, bienfaisance, charité, philanthropie, l'amour est partout, il est notre vie même.
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 334.
• 4. Qu'est-ce que l'amour? Le besoin de sortir de soi.
Ch. BAUDELAIRE, Mon cœur mis à nu, 1867, p. 655.
• 5. Il se disait une fois de plus : « Il y a eu en moi trois espèces d'amour, et ils se sont détruits l'un l'autre. J'ai aimé la beauté du ciel, j'ai aimé la beauté des choses, et c'est une espèce d'amour. J'ai aimé celle qui m'a porté en elle et par qui j'ai connu le jour, et c'est encore une espèce d'amour. J'ai aimé enfin une troisième fois : j'ai aimé un petit corps souple; et pour cet amour-là, j'ai trahi les deux autres. Alors ils m'ont quitté tous les trois à la fois ». Et c'était de nouveau en lui comme un grand besoin de pardon. (...). Mais une voix lui répondit : « Il n'y a qu'une espèce d'amour. » Et la suite de la voix fut : « Et qu'une espèce de pardon. »
Ch.-F. RAMUZ, Aimé Pache, peintre vaudois, 1911, pp. 279-280.
• 6. Une psychologie trop purement intellectualiste, qui suit les indications du langage, définira sans doute les états d'âme par les objets auxquels ils sont attachés : amour de la famille, amour de la patrie, amour de l'humanité, elle verra dans ces trois inclinations un même sentiment qui se dilate de plus en plus, pour englober un nombre croissant de personnes. Le fait que ces états d'âme se traduisent au dehors par la même attitude ou le même mouvement, que tous trois nous inclinent, nous permet de les grouper sous le concept d'amour et de les exprimer par le même mot : ...
H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 34.
I.— L'amour comme principe d'union universelle.
A.— [L'amour comme principe d'union et de cohésion de l'univers, de la terre, etc.; avec ou sans coloration relig.] :
• 7. Depuis le créateur jusqu'à la plus humble des créatures, rien n'échappe à la grande loi de l'amour. — Les corps simples tendent par l'attraction, qui est une sorte d'amour, au point de l'espace qui leur fut destiné. Les corps composés ont une sympathie, un amour du même genre que le précédent, pour les lieux où ils se formèrent; ils y acquièrent la plénitude de leur développement; ils en tirent toutes leurs vertus. Les plantes manifestent déjà une préférence, un amour plus marqué, pour les climats, les expositions, les terrains plus favorables à leur complexion. Les animaux donnent des signes d'un attachement plus vif, d'un amour aisément reconnaissable, qui les rapproche entre eux et quelquefois les rapproche de l'homme. L'homme enfin est doué d'un amour qui lui est propre pour les choses honnêtes et parfaites,...
F. OZANAM, Essai sur la philosophie de Dante, 1838, p. 139.
• 8. ... le moraliste qui a dit : « Aimez-vous les uns les autres » n'a pas trouvé là un grand secret. J'accorde bien que l'amour est la vraie richesse vitale; c'est un merveilleux mouvement pour sortir de soi, pour se jeter dans l'action, et s'y dépenser, et s'y perdre, sans petits calculs. Je sais aussi que lorsque l'amour manque, comme il arrive dans l'extrême fatigue ou dans l'extrême vieillesse, qui ne sont qu'extrême avarice, il n'y a plus rien à espérer de bon, ni même de mauvais. Mais ce régime de parfaite prudence nous approche de la mort, et il ne dure guère. L'ordinaire de la vie est un furieux amour de n'importe quoi; chez les bêtes aussi. Car le cheval galope pour galoper; et le moment où il va partir, le beau moment où il sent en lui-même la pression de la vie, c'est l'amour, créateur de tout.
ALAIN, Propos, 1910, p. 77.
• 9. L'exaltation provoquée par la tendresse m'apparaît favorable au philosophe tout de même qu'au saint ou au poète; car ma propre expérience m'enseigna à considérer l'amour comme une manière de correspondance universelle entre la matière et l'esprit, et comme une expression sensible de leur identité par-devant l'être unique. Source de l'existence, il m'en paraît être en même temps et le principe indubitable et le sens unique et parfait. Mystère adorable et terrible, instigateur de toute pensée, de tout art et de toute science véritable, il apparaît aux intelligences primordiales sous des nombres et des formes symboliques qu'il réduit plus tard à la trinité logique de l'éternelle Création, de la Matière et de l'Esprit; ...
O.-V. MILOSZ, L'Amoureuse initiation, 1910, p. 152.
• 10. À mesure que l'âge m'envahit, la nature me devient plus proche. Chaque année, en quatre saisons qui sont autant de leçons, sa sagesse vient me consoler. Elle chante, au printemps : « Quoi qu'il ait pu, jadis, arriver, je suis au commencement! Tout est clair, malgré les giboulées; jeune, y compris les arbres rabougris; beau, même ces champs caillouteux. L'amour fait monter en moi des sèves et des certitudes si radieuses et si puissantes qu'elles ne finiront jamais! »
Ch. DE GAULLE, Mémoires de guerre, Le Salut, 1959, p. 289.
— P. ext. Communion intime avec l'univers :
• 11. Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours;
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.
De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore;
Détache ton amour des faux biens que tu perds;
Adore ici l'écho qu'adoroit Pythagore,
Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts.
A. DE LAMARTINE, Méditations poétiques, Le Vallon, 1820, p. 81.
• 12. « ... je voudrais bêcher, bêcher dans la terre. Bêcher, ça me paraît tellement beau! On est tellement libre quand on bêche! Et puis, qui va tailler aussi mes arbres? » Il laissait une terre en friche. Il laissait une planète en friche. Il était lié d'amour à toutes les terres et à tous les arbres de la terre. C'était lui le généreux, le prodigue, le grand seigneur! C'était lui, comme Guillaumet, l'homme courageux, quand il luttait au nom de sa création, contre la mort.
A. DE SAINT-EXUPÉRY, Terre des hommes, 1939, p. 167.
• 13. On n'aurait pu rêver une journée plus belle, plus dorée, et tout à coup Joseph éprouva une sorte d'élan vers la vie et vers tous les êtres, un amour confus pour tout ce qui existait autour de lui, pour les arbres, pour la belle terre rouge...
J. GREEN, Moïra, 1950, p. 68.
B.— En partic. [Dieu comme origine de cohésion universelle et principe de tout amour] Dieu est amour :
• 14. Avec cet amour rien n'est plus nécessaire pour nous sur la terre, parce qu'il contient tout, qu'il est tout, et qu'il apprend tout. Voilà pourquoi nous sommes toujours en rapport avec Dieu, parce qu'il est l'amour universel.
L.-C. DE SAINT-MARTIN, L'Homme de désir, 1790, p. 402.
• 15. Je vous le dis en vérité, celui qui aime, son cœur est un paradis sur la terre. Il a Dieu en soi, car Dieu est amour.
F.-R. DE LAMENNAIS, Les Paroles d'un croyant, 1834, p. 150.
• 16. La contemplation seule découvre le prix de la charité. Sans elle on le sait par ouï-dire. Avec elle on le sait par expérience. Par l'amour et dans l'amour, elle fait connaître que Dieu est amour. Alors l'homme laisse Dieu faire en lui ce qu'il veut, il se laisse lier parce qu'il aime. Il est libre parce qu'il aime. Tout ce qui n'a pas le goût de l'amour perd pour lui toute saveur.
J. MARITAIN, Primauté du spirituel, 1927, p. 172.
• 17. ... chercher Dieu c'est l'avoir déjà trouvé. Il va de soi que nos métaphysiciens le disent, et comment pourraient-ils éviter cette conséquence, puisqu'ils posent notre amour de Dieu comme une participation de Dieu lui-même? Éternellement préexistant dans le souverain bien, découlant de ce bien vers les choses par un acte de libre générosité, l'amour retourne au bien qui est son origine. Nous n'avons donc pas affaire ici avec un courant qui s'éloigne toujours plus de sa source, jusqu'à ce qu'enfin il se perde. Né de l'amour, l'univers créé est tout entier traversé, mu, vivifié du dedans, par l'amour qui circule en lui comme le sang dans le corps...
É. GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale, t. 2, 1932, p. 72.
• 18. — Madame, lui dis-je, même en ce monde, il suffit d'un rien, d'une pauvre petite hémorragie cérébrale, de moins encore, et nous ne connaissons plus des personnes jadis très chères. — La mort n'est pas la folie. — Elle nous est plus inconnue en effet. — L'amour est plus fort que la mort, cela est écrit dans vos livres. — Ce n'est pas nous qui avons inventé l'amour. Il a son ordre, il a sa loi. — Dieu en est maître. — Il n'est pas le maître de l'amour, il est l'amour même. Si vous voulez aimer, ne vous mettez pas hors de l'amour.
G. BERNANOS, Le Journal d'un Curé de campagne, 1936, p. 1158.
C.— [Dieu comme objet ou sujet d'une relation d'amour] L'amour de Dieu, l'amour divin; le saint, suprême amour. Anton. l'amour humain :
• 19. La raison (...) règne (...) dans tout ce qui tient à la conduite de la vie; mais quand cette ménagère de l'existence l'a arrangée le mieux qu'elle a pu, le fond de notre cœur appartient toujours à l'amour, et, ce qu'on appelle la mysticité, c'est cet amour dans sa pureté la plus parfaite. L'élévation de l'âme vers son créateur est le culte suprême des chrétiens mystiques; mais ils ne s'adressent point à Dieu pour demander telle ou telle prospérité de cette vie. Un écrivain français qui a des lueurs sublimes, M. de Saint-Martin, a dit que la prière étoit la respiration de l'âme.
G. DE STAËL, De l'Allemagne, t. 5, 1810, p. 96.
• 20. ... il est (...) impossible de prier Dieu sans se mettre avec lui dans un rapport de soumission, de confiance et d'amour; de manière qu'il y a dans la prière, considérée seulement en elle-même, une vertu purifiante dont l'effet vaut presque toujours infiniment mieux pour nous que ce que nous demandons trop souvent dans notre ignorance.
J. DE MAISTRE, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. 1, 1821, p. 442.
• 21. C'est quelque chose de grand que l'amour, et un bien au-dessus de tous les biens (...). Celui qui aime court, vole; il est dans la joie, il est libre, et rien ne l'arrête (...). L'amour souvent ne connaît point de mesure; mais, comme l'eau qui bouillonne, il déborde de toutes parts (...). L'ardeur même d'une âme embrasée s'élève jusqu'à Dieu comme un grand cri : Mon Dieu! Mon amour, vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous. Dilatez-moi dans l'amour, afin que j'apprenne à goûter au fond de mon cœur combien il est doux d'aimer, et de se fondre et de se perdre dans l'amour.
L'Imitation de Jésus-Christ, trad. de F.-R. de Lamennais, Paris, Margueritte, 1824.
• 22. Le 28. — Saint Augustin aujourd'hui, ce saint qui pleurait si tendrement son ami et d'avoir aimé Dieu si tard. Que je n'aie pas ces deux regrets : oh! Que je n'aie pas cette douleur à deux tranchants, qui me fendrait l'âme à la mort! Mourir sans amour, c'est mourir en enfer. Amour divin, seul véritable. Les autres ne sont que des ombres.
E. DE GUÉRIN, Journal, 1839, p. 287.
• 23. Dieu n'avait pas besoin de nous; c'est librement qu'il nous a choisis pour nous communiquer ses biens et nous unir à lui; c'est librement qu'il nous a aimés. Or, de sa nature, l'amour exige l'amour; il est impossible de préférer sans vouloir être préféré, de se dévouer sans vouloir qu'on nous rende le dévouement, et, quant à l'union, on ne saurait même la concevoir sans l'idée de la réciprocité. La réciprocité est la loi de l'amour; elle en est la loi entre deux êtres égaux : combien plus entre deux êtres dont l'un est créateur et l'autre créature, dont l'un a tout donné, et l'autre a tout reçu! Dieu avait un droit infini à être aimé de l'homme, parce que lui-même l'avait aimé d'un amour éternel et infini, ...
H.-D. LACORDAIRE, Conférences de Notre-Dame, 1848, p. 174.
• 24. Il y a un Dieu; il y a un éternel amour dont le nôtre n'est qu'une goutte. Nous irons la confondre ensemble dans l'océan divin où nous l'avons puisée! Cet océan, c'est Dieu! Je l'ai vu, je l'ai senti, je l'ai compris en ce moment par mon bonheur! Raphaël! Ce n'est plus vous que j'aime, ce n'est plus moi que vous aimez, c'est Dieu que nous adorons désormais l'un et l'autre! Vous à travers moi! Moi à travers vous!
A. DE LAMARTINE, Raphaël, 1849, p. 294.
• 25. ... lorsqu'il [l'abbé Mouret] s'était attaché sur la croix, il avait la consolation sans bornes de l'amour de Dieu. Ce n'était plus Marie qu'il aimait d'une tendresse de fils, d'une passion d'amant. Ilaimait pour aimer, dans l'absolu de l'amour. Il aimait Dieu au-dessus de lui-même, au-dessus de tout, au fond d'un épanouissement de lumière. Il était ainsi qu'un flambeau qui se consume en clarté. La mort, quand il la souhaitait, n'était à ses yeux qu'un grand élan d'amour.
É. ZOLA, La Faute de l'Abbé Mouret, 1875, p. 1480.
• 26. Le terme de la recherche, c'est un acte d'amour où l'homme aimera Dieu comme Dieu s'aime. Dès lors, on peut dire une fois de plus que le problème demeurera à tout jamais insoluble, ou qu'il est déjà résolu. Si l'amour de Dieu n'était pas en nous, nous ne réussirions jamais à l'y mettre. Mais nous savons qu'il y est, puisque nous sommes essentiellement des amours de Dieu créés et que chacun de nos actes, chacune de nos opérations, sont spontanément orientés vers l'être qui est leur fin comme il est leur origine. La question n'est donc plus de savoir comment acquérir l'amour de Dieu, mais bien plutôt d'amener cet amour de Dieu à prendre conscience de soi-même, de son objet, ...
É. GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale, t. 2, 1932, p. 76.
• 27. « Alors, Jésus le regarda et il l'aima. » Rien n'est changé depuis que cette parole a été dite. Tous, nous sommes aimés; mais il y a le petit nombre de ceux que Jésus regarde soudain et qu'il aime de cet amour qui exige le don total : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi ».
F. MAURIAC, Journal 1, 1934, p. 79.
• 28. Dépouillement, dis-je, d'où cette aversion de la médiocrité contemporaine pour toute allusion à l'Être simple, à ces quatre lettres de l'alphabet qui composent le mot Dieu, et cette étrange gageure tenue par le plus grand nombre de l'exclure, avec minutie, de toute écriture. Manque d'amour, manque de génie.
F. JAMMES, De tout temps à jamais, 1935, p. 7.
• 29. La création est un acte d'amour et elle est perpétuelle. À chaque instant notre existence est amour de Dieu pour nous. Mais Dieu ne peut aimer que soi-même. Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui nous donne l'être, il aime en nous le consentement à ne pas être. Notre existence n'est faite que de son attente, de notre consentement à ne pas exister. Perpétuellement, il mendie auprès de nous cette existence qu'il nous donne. Il nous la donne pour nous la mendier. L'inflexible nécessité, la misère, la détresse, le poids écrasant du besoin et du travail qui épuise, la cruauté, les tortures, la mort violente, la contrainte, la terreur, les maladies — tout cela c'est l'amour divin. C'est Dieu qui par amour se retire de nous afin que nous puissions l'aimer. Car si nous étions exposés au rayonnement direct de son amour, sans la protection de l'espace, du temps et de la matière, nous serions évaporés comme l'eau au soleil; il n'y aurait pas assez de je en nous pour abandonner le je par amour.
S. WEIL, La Pesanteur et la grâce, 1943, p. 41.
— P. ext. Vénération qu'éprouve l'homme pour les œuvres de la création en tant que créées par Dieu. Amour universel :
• 30. En ces temps médiévaux, une communion, dans une même foi vivante, de la personne humaine avec les autres personnes réelles et concrètes, et avec le Dieu qu'elles aimaient, et avec la création entière, rendait, au milieu de bien des détresses, l'homme fécond en héroïsme comme en activité de connaissance et en œuvres de beauté; et dans les cœurs les plus purs un grand amour, exaltant dans l'homme la nature au-dessus d'elle-même, étendait aux choses mêmes le sens de la piété fraternelle; alors un saint François comprenait qu'avant d'être exploitée à notre service par notre industrie, la nature matérielle demande en quelque sorte à être elle-même apprivoisée par notre amour; je veux dire qu'en aimant les choses, et l'être en elles, l'homme les attire à l'humain, au lieu de faire passer l'humain sous leur mesure.
J. MARITAIN, Humanisme intégral, 1936, p. 14.
• 31. ... ce que voulait Jos-Mari, et sans s'en rendre compte, c'était que la montagne fût belle comme Dieu, source de vie et, comme lui, digne d'amour.
J. PEYRÉ, Matterhorn, 1939, pp. 126-127.
• 32. Tout et tous aimer : geste contradictoire et faux, qui ne conduit finalement qu'à n'aimer rien. Mais alors, répondrai-je, si, comme vous le prétendez, un amour universel est impossible, que signifie donc, dans nos cœurs, cet instinct irrésistible qui nous porte vers l'unité chaque fois que, dans une direction quelconque, notre passion s'exalte? Sens de l'univers, sens du tout : en face de la nature, devant la beauté, dans la musique, la nostalgie qui nous prend, — l'expectation et le sentiment d'une grande présence.
P. TEILHARD DE CHARDIN, Le Phénomène humain, 1955, p. 296.
— Locutions
1. Pur amour. Amour désintéressé de Dieu, amour de Dieu pour Dieu :
• 33. L'amour pur qui est opposé à l'amour mercenaire est cette affection de notre âme qui est portée à se délecter du bonheur d'un autre; or les choses qui nous délectent, nous les désirons pour elles-mêmes, et comme la félicité de Dieu se compose de toutes les perfections, et est la délectation du sens même de la perfection, il s'ensuit que la vraie félicité de tout esprit créé consiste entièrement dans le sens de cette félicité divine, en sorte que ceux qui cherchent le vrai, le bon, le juste, plus par la délectation propre qu'en vue de l'utilité (quoique l'utilité s'y trouve aussi éminemment) sont aussi les mieux préparés à l'amour de Dieu.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1821, p. 304.
• 34. Les hommes sont malheureux par manque de foi ou par égoïsme. Mais comment faire comprendre cela? Qu'une âme se dise à la fois religieuse et malheureuse, cela est une extraordinaire invention. (...) Bien peu d'âmes comprennent que l'on peut se sauver de l'égoïsme par un autre amour que par celui des créatures (par le pur amour de Dieu).
A. GIDE, Journal, 1895, p. 57.
• 35. ... c'est toujours le même théocentrisme, le même besoin de tout oublier pour ne voir que Dieu. À ces hauteurs, les distinctions scolastiques s'effacent : thomistes, augustiniens, molinistes se confondent. Par des voies différentes, humanisme dévot et école française arrivent au même but. Il n'y a qu'un pur amour et tous les mystiques se ressemblent comme des frères.
H. BREMOND, Hist. littéraire du sentiment religieux en France, 1920, p. 34.
♦ Péjoratif :
• 36. Le chrétien fervent, tourné uniquement vers Dieu, n'aimait réellement ni lui-même ni les autres, et se trompait en croyant aimer Dieu comme Dieu veut être aimé. C'est en effet au pur amour de Dieu et au renoncement de toutes les créatures que sont venus aboutir tous les docteurs un peu profonds du christianisme. Tandis que la charité prenait pour le vulgaire un air d'humanité, tandis que le vulgaire cherchait là une règle pratique de conduite et de vie, les vrais penseurs du christianisme comprenaient bien que la charité du christianisme n'avait réellement que Dieu pour objet, et que cette charité, entendue par le vulgaire comme l'amour des hommes, n'était réellement qu'un amour abstrait pour Dieu.
P. LEROUX, De l'Humanité, t. 1, 1840, p. 203.
2. Pour l'amour de Dieu.
a) Par pur amour; gratuitement :
• 37. — Oh! il est mort de l'amour de Dieu, à ce que dit Monsieur le curé. — Comment, de l'amour de Dieu, Benoît? On en vit, mais on n'en meurt pas, lui dis-je; c'est peut-être aussi de l'amour de Denise? — Ah! Monsieur, voilà! Il aimait tant le bon Dieu, celui-là, qu'il ne pensait plus à lui, pas plus qu'une hirondelle qui vient de sortir de sa coquille, et qui ne saurait pas manger si sa mère ne lui apportait pas un moucheron dans le nid. Il n'avait rien ramassé pour les années de maladie; il travaillait pour l'amour de Dieu dans tous les hameaux. Il disait seulement à ceux dont il avait fait l'ouvrage : « Si je viens à devenir infirme ou malade, vous me nourrirez, n'est-ce pas? »
A. DE LAMARTINE, Le Tailleur de pierre de Saint-Point, 1851, pp. 549-550.
• 38. Plus tard, lorsqu'il fut le fermier de ma grand'mère et le maire du village, sa science le rendit fort utile au pays, d'autant plus qu'il l'exerçait pour l'amour de Dieu, sans rétribution aucune. Il était de si grand cœur qu'il n'était point de nuit noire et orageuse, point de chaud, de froid ni d'heure indue qui l'empêchassent de courir, souvent fort loin, par des chemins perdus, pour porter du secours dans les chaumières. Son dévouement et son désintéressement étaient vraiment admirables.
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 1, 1855, p. 59.
b) Exclamation accompagnant un geste pour demander l'aumône :
• 39. — Fils bien-aimés, disait saint François d'Assise à son troupeau de bienheureux, n'ayez point de honte d'aller demander l'aumône. Allez avec plus de confiance et de joie que si vous offriez cent pour un, puisque c'est l'amour de Dieu que vous offrez, en la demandant, quand vous dites : — Donnez pour l'amour de Dieu! C'est comme ça, et non autrement, que je suis tiré, cette fois, des griffes de mon propriétaire.
L. BLOY, Journal, 1900, p. 208.
• 40. CLÉRAMBARD. — Merci, mon enfant. Vous nous sauvez. (Relevant sa jupe, La Langouste prend un billet dans son bas). Mme DE LÉRÉ, se plaçant entre La Langouste et Clérambard, elle s'adresse à lui à mi-voix. — Vous n'allez pas accepter l'argent de cette fille! CLÉRAMBARD. — Soyons sans orgueil, mon amie. Demain, ce soir, quand nous mendierons pour l'amour de Dieu, irons-nous demander leurs cartes de visite à ceux qui nous feront l'aumône? Nous serons trop heureux d'avoir pu leur inspirer une pensée fraternelle, surtout si ces gens sont des réprouvés.
M. AYMÉ, Clérambard, 1950, IV, 2, pp. 202-203.
c) [Dans le style de la conversation] Exclamation accompagnant la formulation généralement pathétique d'une demande le plus souvent négative :
• 41. ... lorsqu'on est bien persuadé qu'on ne peut être ni médecin, ni avocat, ni banquier, ni évêque, ni courtier-marron, ni ministre, enfin lorsqu'on a l'intime conviction qu'on n'est bon à rien, on peut se faire poète; mais, pour l'amour de Dieu, pas autre chose.
A. DE MUSSET, Le Temps, 1831, p. 22.
• 42. Où est la force, c'est d'avoir tiré d'un sujet commun une histoire touchante et pas canaille. Seulement, pour l'amour de Dieu, ou plutôt pour l'amour de l'art, fais encore attention et change moi quelqu'un de ces passages, les seuls auxquels je trouve à redire...
G. FLAUBERT, Correspondance, 1853, pp. 87-88.
• 43. Anna retrouva Wallner au Rond-Point. Il allait d'une allée à l'autre, anxieux, profondément désespéré. — Ah!... D'où viens-tu?... D'où viens-tu? pour l'amour du ciel!
P. REIDER, Mademoiselle Vallantin, 1862, p. 164.
• 44. Papa se calmait, brusquement. Maman bégayait encore : — Raymond! Pour l'amour de Dieu! (...) À vrai dire, l'amour de Dieu, cet amour auquel maman faisait de si fréquentes invocations, ne tenait plus, dans ce cœur surchargé de soins, une place bien évidente.
G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Notaire du Havre, 1933, pp. 126-127.
3. Vieilli. Pain de l'amour, pain d'amour. L'Eucharistie :
• 45. Le pain que j'ai rompu pour mon illustre Cène
Était le pain d'amour et de communion.
Et le vin qui coula d'une illustre fontaine
Était le vin d'offrande et de libation.
Ch. PÉGUY, Ève, 1913, p. 737.
♦ P. ext. ,,Tout intermédiaire entre l'homme et Dieu.`` (GUÉRIN 1892) :
• 46. Adorez le Seigneur et la sainte nature; Votre hôte vit d'amour et de lumière pure; Et le pain de l'amour, cet aliment de feu, Pour qui sait le trouver — c'est la nature et Dieu!
M. DE GUÉRIN, Poésies, Maurice et François, 1839, p. 69.
II.— L'amour comme principe de cohésion de la société.
A.— L'amour comme principe et comme fin de la société humaine.
1. [Avec une coloration relig.] L'amour de charité. Synon. bonté, pitié, dévouement.
a) [En parlant d'une société relig.] :
• 47. ... uniquement chercher ici le bien de mon âme et le bien de l'église, et aussi le bien de quelques âmes, si Dieu l'indique... Mais en me défendant des enthousiasmes. L'amour de l'église et des âmes, des âmes lointaines, des âmes par devoir, aussi bien que des âmes par attrait; l'amour de mon diocèse.
F.-A.-P. DUPANLOUP, Journal intime, 1863, p. 242.
b) [En parlant de la société profane] L'amour du prochain :
• 48. Les sœurs de la charité, la plus touchante des communautés religieuses, soignaient les malades de l'hôpital : ces sœurs ne prononcent des vœux que pour une année, et plus elles font de bien, moins elles sont intolérantes. M. et Madame Necker, tous les deux protestants, étaient l'objet de leur amour.
G. DE STAËL, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, t. 1, 1817, p. 84.
• 49. Ce seroit un bien bel ouvrage que l'histoire de la charité, c'est-à-dire de l'amour le plus universel, le plus pur, le plus saint, chez les nations chrétiennes. On le verroit, d'âge en âge, combattant la férocité native qu'elles apportèrent des forêts du Nord, adoucir leurs mœurs et leurs lois, produire le sentiment que nous appelons humanité, inspirer au riche la pitié, la tendresse pour le pauvre, au puissant le respect pour le foible, rapprocher tout ce que divisent les intérêts, les préjugés, l'orgueil, prêter aux larmes une force divine, élever les haillons de l'indigent au-dessus de la pourpre impériale, ...
F.-R. DE LAMENNAIS, Articles publiés dans le journal l'Avenir, 1831, pp. 343-344.
• 50. La haine, la persécution, le mépris, l'extermination des hommes, rien de cela n'est de Dieu. L'amour du prochain, le support les uns des autres, la compassion, le sacrifice de soi-même, l'adoration d'un seul Dieu d'esprit et de vérité, tout cela est de lui!
A. DE LAMARTINE, Le Tailleur de pierre de Saint-Point, 1851, p. 514.
• 51. ... Dieu qui est amour, n'a pas voulu que sa créature pérît faute d'amour; il a choisi des hommes purs et forts et leur a dit : — Fils de l'église, je vous fiance à toute douleur, allez à ceux qui sont seuls et qui pleurent, essuyez leurs larmes et annoncez-leur l'éternité d'amour...
J. PÉLADAN, Le Vice suprême, 1884, p. 286.
• 52. 5 mai — Incendie du Bazar de charité. Un grand nombre de belles dames ont été carbonisées, hier soir, en moins d'une demi-heure. Non pro mundo rogo, dit le Seigneur. Admirable sottise de Coppée. « Elles s'étaient réunies pour faire le bien », écrit-il. Tout le monde, bien entendu, accuse Dieu.
8 mai — L'agitation au sujet de l'incendie continue. Songez donc! Des personnes si riches, en toilettes de gala et qui avaient leurs voitures à la porte! Leurs voitures éternellement inutiles! Tout ça pour l'amour des pauvres. Oui, tout ça. Quand on est riche, c'est qu'on aime les pauvres. Les belles toilettes sont la récompense de l'amour qu'on a pour la pauvreté.
L. BLOY, Journal, 1900, p. 247.
• 53. — Dieu est charité, et puisqu'il aime ses créatures, pourquoi ne les aimerions-nous pas comme lui? Ce n'est pas cette espèce de bienveillance générale, c'est le mot amour qui est écrit. Et nous de même, cet amour, est-ce qu'il ne servira à personne, seulement parce qu'il est grand, qui est en nous la même chose que la vie, pour que nous le donnions à un autre et que nous sentions ce cœur entre nos bras qui s'éveille et ces yeux peu à peu qui nous reconnaissent avec une joie immense!
P. CLAUDEL, Feuilles de Saints, 1925, pp. 645-646.
• 54. ... la conviction qu'on tient d'une expérience, comment la propager par des discours? Et comment surtout exprimer l'inexprimable? Mais ces questions ne se posent même pas au grand mystique. Il a senti la vérité couler en lui de sa source comme une force agissante. Il ne s'empêcherait pas plus de la répandre que le soleil de déverser sa lumière. Seulement, ce n'est plus par de simples discours qu'il la propagera. Car l'amour qui le consume n'est plus simplement l'amour d'un homme pour Dieu, c'est l'amour de Dieu pour tous les hommes. À travers Dieu, il aime toute l'humanité d'un divin amour.
H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 247.
• 55. ... nous sommes nés pour tendre à la perfection de l'amour, d'un amour qui enveloppe réellement l'universalité des hommes, sans laisser place à la haine contre aucun d'eux, et qui transforme réellement notre être, ce qui n'est possible à aucune technique sociale ni à aucun travail de rééducation, mais seulement au créateur de l'être; et ce qui s'appelle : sainteté.
J. MARITAIN, Humanisme intégral, 1936, p. 101.
— Proverbe (souvent iron.). L'amour du prochain commence par soi-même.
2. [Sans coloration explicitement relig.] Le triomphe de l'amour et de la justice; une société sans amour; l'amour d'autrui :
• 56. Un grand combat sera livré, et l'ange de la justice, et l'ange de l'amour combattront avec ceux qui se seront armés pour rétablir parmi les hommes le règne de la justice et le règne de l'amour. Et beaucoup mourront dans ce combat, et leur nom restera sur la terre comme un rayon de la gloire de Dieu. C'est pourquoi, vous qui souffrez, prenez courage, fortifiez votre cœur : car demain sera le jour de l'épreuve, le jour où chacun devra donner avec joie sa vie pour ses frères, et celui qui suivra, sera le jour de la délivrance.
F.-R. DE LAMENNAIS, Les Paroles d'un croyant, 1834, p. 106.
• 57. Quant à la bonté générale, tant prônée aujourd'hui, elle indique davantage la haine des riches que l'amour des pauvres. Car la philanthropie moderne exprime trop souvent une prétendue bienveillance avec les formes propres à la rage ou à l'envie.
A. COMTE, Catéchisme positiviste, 1852, p. 24.
• 58. ... elle riait plus haut, en racontant plaisamment que son cousin l'avait convertie au grand saint Schopenhauer, qu'elle voulait rester fille afin de travailler à la délivrance universelle; et c'était elle, en effet, le renoncement, l'amour des autres, la bonté épandue sur l'humanité mauvaise.
É. ZOLA, La Joie de vivre, 1884, p. 1129.
• 59. À force de se proclamer cynique et purgé de toute sentimentalité, le communisme de ces jeunes intellectuels reflète le désespoir dont il est issu. Il ne rappelle pas l'amour profond, passionné, désintéressé, qui souleva Lénine, Trotsky, et qui fut, à sa manière, celui de notre jeune socialisme.
J.-R. BLOCH, Destin du Siècle, 1931, pp. 70-71.
• 60. ... ils apercevaient, sur le vitrage, l'affiche blanche, dont ils ne pouvaient détourner les yeux. Ainsi, pendant des semaines, il avait vécu, sans douter un seul jour du triomphe de la justice, de la vérité humaine, de l'amour; non pas comme un illuminé qui souhaite un miracle, mais comme un physicien qui attend la conclusion d'une expérience infaillible, — et tout s'écroulait... honte!
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 581.
• 61. Nous ignorons encore ce qu'est l'homme, mais il nous appartient de le créer. Et c'est cette création seule qui est notre jeunesse. D'où ce double sentiment caractéristique de l'homme marxiste : un mépris total pour l'homme dégradé du monde bourgeois, un enthousiasme débordant pour l'homme nouveau qu'il veut réaliser. Son paradoxe étonnant c'est de mêler en lui également la haine et l'amour, jusqu'au jour où l'amour triomphera. Le communisme c'est l'ordre et le marxiste trouve tout naturel de préférer l'ordre au désordre. Haïr le désordre, aimer l'ordre, c'est son réflexe spontané et il comprend mal qu'on ne le comprenne pas. De cette haine et de cet amour, de ce désespoir et de cette espérance on pourrait citer quotidiennement de multiples exemples.
J. LACROIX, Marxisme, existentialisme, personnalisme, 1949, p. 26.
• 62. La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. La révolte prouve par là qu'elle est le mouvement même de la vie et qu'on ne peut la nier sans renoncer à vivre. Son cri le plus pur, à chaque fois, fait se lever un être. Elle est donc amour et fécondité, ou elle n'est rien. La révolution sans honneur, la révolution du calcul qui, préférant un homme abstrait à l'homme de chair, nie l'être autant de fois qu'il est nécessaire, met justement le ressentiment à la place de l'amour.
A. CAMUS, L'Homme révolté, 1951, p. 376.
— En partic. L'amour de bienveillance; servir, traiter quelqu'un avec amour :
• 63. Les Sioux rangés sur la rive me saluoient du geste et de la voix; moi-même je les regardois en faisant des signes d'adieu, et priant les génies d'accorder leur faveur à cette nation innocente. Nous continuâmes de nous donner des marques d'amour jusqu'au détour d'un promontoire qui me déroba la vue des pasteurs...
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, p. 249.
• 64. Ce beau mystère de lumière, me prenant ému ainsi, harmonisa les orages de mon mystère intérieur. Un mot me vint à l'esprit : La délivrance de l'âme. Sa délivrance par la lumière de science et d'amour, — et par amour j'entends toutes les puissances bienveillantes qui sont en nous, surtout la grande pitié.
J. MICHELET, Journal, août 1856, p. 310.
• 65. ... il nous reste, après avoir écarté les mensonges des prêtres, à prendre la vie noblement, et à ne point nous déchirer nous-mêmes, et les autres par contagion, par des déclamations tragiques. Et encore bien mieux, car tout se tient, contre les petits maux de la vie, ne point les raconter, les étaler ni les grossir. Être bon avec les autres et avec soi. Les aider à vivre, s'aider soi-même à vivre, voilà la vraie charité. La bonté est joie. L'amour est joie.
ALAIN, Propos, 1909, p. 63.
• 66. ... l'invulnérabilité relative de l'inémotif le protège à l'excès contre le drame des événements et d'autrui. Il y perd en élan et en chaleur de sympathie, il y gagne en maîtrise de soi, en ampleur de vue, en constance. Un degré de trop, il tourne à l'égoïsme et à la froideur. Mais l'amour spirituel que les théologiens appelaient de bienveillance n'est attaché à aucune complexion particulière et trouve son chemin, ainsi que ses nuances, dans une voie comme dans l'autre.
E. MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 240.
♦ Par amour. Par pure générosité :
• 67. Eh quoi! Maître Jean, selon vous, rien ne se fait gratis au monde, rien par amour? tout est payé? je vous crois; même les réquisitoires, même le zèle et le dévouement.
P.-L. COURIER, Pamphlets politiques, Procès de Paul-Louis Courier, 1821, p. 103.
• 68. Tout ce que vous faites par devoir, avec des fronts ridés de crainte, je veux le faire par amour, en souriant d'amour, en souriant.
A. GIDE, Journal, 1894, p. 56.
— Proverbe. Tout par amour, rien par force :
• 69. On dit prov. tout par amour et rien par force, pour faire entendre que la douceur est de toutes les voies la meilleure pour réussir à quelque chose.
J.-F. ROLLAND, Dict. du mauvais langage, 1813, p. 9.
— Fam. La cote d'amour. Bienveillance privilégiée; péj. faveur non basée sur le mérite :
• 70. Mais à côté de ces moqueries qui allaient au menu peuple, à la petite bourgeoisie, à la police, et au chauvinisme, de Belgique, il y avait un courant de très haute estime pour plusieurs écrivains belges de langue française : Maeterlinck et Rodenbach in primis; puis ceux qui furent publiés au Mercure de France : Eeckhoud, Mockel, Hubert Krains, et d'autres. Il y avait même « la cote d'amour » dans les milieux littéraires français d'avant-garde, en faveur des poètes et romanciers belges. Après Maeterlinck, Max Elskamp fut le poète belge par excellence, pour les écrivains de la génération de Charles-Louis Philippe. Être Belge était alors une recommandation.
V. LARBAUD, Journal, janv. 1935, p. 346.
• 71. La cote binette (périmé) ou la cote d'amour (périmé) [donnée par l'interrogateur] suivant le physique du malheureux appelé au tableau.
R. SMET, Le Nouvel argot de l'X, 1936, p. 103.
B.— L'amour réalisant sa finalité sociale par l'intermédiaire d'une incarnation ou d'une symbolisation du lien social.
1. [Le souverain, obj. ou suj. d'une relation d'amour pour les membres d'une communauté]. L'amour du prince :
• 72. Ainsi l'intérêt du Roi, la sûreté de sa couronne, et l'affection de ses sujets, sont autant de puissants motifs qui le pressent de consacrer les lois fondamentales du royaume : ajoutons son amour pour ses peuples, son zèle pour le bien public, ...
MARAT, Les Pamphlets, Offrande à la Patrie, 1789, p. 32.
• 73. J'ai pu voir, après tant d'orages, la nation rendue à son antique loyauté, se rallier comme une famille autour d'un père chéri; j'aurai vu les factions s'éteindre, tous les cœurs se réunir dans l'intérêt de la patrie, et toutes les volontés se confondre dans le vœu du bonheur public, fondé sur la double base de l'amour du prince et du respect des lois.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 5, 1814, p. 199.
• 74. L'amour de nos rois, tel qu'il était chez les Français, était un sentiment religieux, comme l'amour divin; c'était une sorte de culte qui élevait l'âme et pouvait, comme l'honneur, commander tous les sacrifices d'intérêt personnel, de la vie même; c'est un tel sentiment qui peut servir de base à la société, mettre un lien commun entre les hommes du même pays.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1814, pp. 11-12.
• 75. La miséricorde, qui est la même chose que la clémence, fait l'amour des sujets qui est le plus puissant corps de garde à la personne du Prince.
V. HUGO, Notre-Dame de Paris, 1832, p. 505.
2. [La patrie (ou le pays), obj. ou suj. d'amour] L'amour de la patrie :
• 76. L'esprit militaire et l'amour de la patrie ont porté diverses nations au plus haut degré possible d'énergie; maintenant ces deux sources de dévouement existent à peine chez les Allemands pris en masse.
G. DE STAËL, De l'Allemagne, t. 4, 1810, p. 274.
• 77. La vertu semble avoir des bornes. Cette grande hauteur, qu'ont atteinte certaines âmes, paraît en quelque sorte mesurée. Caton et Washington montrent où peut s'élever le plus beau, le plus noble de tous les sentiments, c'est l'amour du pays et de la liberté. Au-dessus on ne voit rien.
P.-L. COURIER, Pamphlets politiques, Simple Discours à l'occasion d'une souscription pour l'acquisition de Chambord, 1821, p. 81.
• 78. Adario, chef de la tribu de la Tortue, se lève : inaccessible à la crainte, insensible à l'espérance, ce sachem se distingue par un ardent amour de la patrie : implacable ennemi des Européens qui avoient massacré son père, mais les abhorrant encore plus comme tyrans de son pays, il parloit incessamment contre eux dans les conseils.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, p. 136.
• 79. Le chant populaire, assurément, ne plaisait point à ses voisins. Ils devinrent nerveux, agacés, et avaient l'air prêts à hurler comme des chiens qui entendent un orgue de Barbarie. Il s'en aperçut, ne s'arrêta plus. Parfois même il fredonnait les paroles [la Marseillaise, 1792] : Amour sacré de la patrie, / Conduis, soutiens, nos bras vengeurs, / Liberté, liberté chérie, / Combats avec tes défenseurs!
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, Boule de suif, 1880, p. 153.
— Vieilli. L'amour patriotique :
• 80. Victime de l'amour patriotique, je vais donc servir d'exemple à ceux qui seraient jamais tentés de défendre les droits des nations. Peuple ingrat et frivole! Qui encense tes tyrans et abandonne tes défenseurs, je me suis dévoué pour toi; ...
MARAT, Les Pamphlets, Nouvelle dénonciation contre Necker, 1790, p. 120.
• 81. Et tous, Allemands ou Français, chacun de votre côté, pareillement dupes, vous avez cru de bonne foi que, pour vous seuls, cette guerre était une « guerre sainte »; et qu'il fallait, sans marchander, par amour patriotique, faire à « l'honneur » de votre nation, au « triomphe de la Justice », le sacrifice de votre bonheur, de votre liberté, de votre vie!...
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 697.
3. P. anal. [L'humanité, considérée comme communauté idéale] L'amour de l'humanité, (vieilli) l'amour humanitaire, l'amour des hommes :
• 82. J.-J. Rousseau passe pour avoir eu Madame la comtesse de Boufflers, et même (qu'on me passe ce terme) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna beaucoup d'humeur l'un contre l'autre. Un jour, on disait devant eux que l'amour du genre humain éteignait l'amour de la patrie. « Pour moi, dit-elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela n'est pas vrai; je suis très bonne Française et je ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les peuples. — Oui, je vous entends, dit Rousseau, vous êtes Française par votre buste et cosmopolite du reste de votre personne. »
CHAMFORT, Caractères et anecdotes, 1794, p. 102.
• 83. Nous devons toujours au peuple qui nous a protégés longtemps une certaine reconnaissance; mais il n'y a plus de culte, plus d'enthousiasme. C'est maintenant plus que jamais que le patriotisme, avec les autres passions, doit se perdre, comme les ruisseaux dans l'océan, dans la grande passion de l'humanité. Voulez-vous déterminer votre choix? Cherchez les sentiments qui n'ont rien de personnel, rien d'intéressé, ceux surtout qui n'ont pas pour objet un individu, une classe, ceux qui ont le plus grand caractère de généralité. Plus on abstrait, plus on épure. Je n'ose pas vous conseiller de remonter plus haut que l'amour des hommes.
J. MICHELET, Journal, 1820, p. 93.
• 84. Le docteur (...) reprit : — L'amour de l'humanité est un état pathologique d'origine sexuelle qui se produit fréquemment à l'époque de la puberté chez les intellectuels timides : le phosphore en excès dans l'organisme doit s'éliminer d'une façon quelconque.
A. MAUROIS, Les Silences du colonel Bramble, 1918, p. 29.
• 85. Que sera-ce, si l'on va aux états d'âme, si l'on compare entre eux ces deux sentiments, attachement à la patrie, amour de l'humanité? Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grand partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres, et que c'est d'abord contre tous les autres hommes qu'on aime les hommes avec lesquels on vit? Tel est l'instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé sous les apports de la civilisation; mais aujourd'hui encore nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l'amour de l'humanité est indirect et acquis.
H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 28.
• 86. Il se contraignait à secourir ceux qu'il aimait le moins. Au total, cet homme qui n'avait pas le droit d'aimer la femme semblait avoir reporté sur l'humanité entière ses possibilités de dévouement, d'amour et de sacrifice. Et, assistant à cette bataille, à ce véritable combat pour la sainteté, Decraemer en venait à se demander si véritablement le célibat du prêtre n'est pas une bonne chose, si ce n'est pas précisément ce suprême sacrifice qui permet de consacrer à tous les hommes un besoin de tendresse inemployé.
M. VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 290.
C.— Cas partic., DR. INTERNAT. Traité d'amour et de paix. Synon. plus fréq. amitié.
III.— L'amour comme lien affectif entre des personnes : l'amour entre les membres d'une même famille naturelle ou entre conjoints.
A.— [Les différents types d'amour] L'amour maternel, paternel, filial, fraternel :
• 87. Il paraît qu'il y a dans le cerveau des femmes une case de moins, et, dans leur cœur, une fibre de plus que chez les hommes. Il fallait une organisation particulière, pour les rendre capables de supporter, soigner, caresser des enfants. C'est à l'amour maternel que la nature a confié la conservation de tous les êtres; et, pour assurer aux mères leur récompense, elle l'a mise dans les plaisirs; et même dans les peines attachées à ce délicieux sentiment.
CHAMFORT, Maximes et pensées, 1794, p. 65.
• 88. Je trouve à ce sujet, dans l'Odyssée d'Homère, un sentiment bien touchant, c'est lorsque Télémaque compte au nombre de ses calamités celle de n'avoir point de frère. Le poëte, sensible et profond dans la connaissance de la nature, en mettant cette plainte dans la bouche du fils d'Ulysse, qui cherchait partout son père, avait sans doute senti que l'amour fraternel était une consonnance de l'amour filial. En effet, les enfants ont des ressemblances avec leurs pères et leurs mères, de telle sorte que les garçons, pour l'ordinaire, en ont plus avec leurs mères, et les filles avec leurs pères : la nature les croisant d'un sexe à l'autre pour en augmenter l'affection.
J.-H. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, pp. 315-316.
• 89. ... elle n'a jamais voulu ni voir ni connaître celui qui devait lui donner la plus sainte et la plus forte des affections, l'amour d'une mère pour son enfant.
F. SOULIÉ, Les Mémoires du diable, t. 2, 1837, p. 307.
• 90. Quel amour que celui d'une mère!... Comme tout l'inquiète! Elle n'a plus de repos ni jour ni nuit; le moindre cri l'éveille; elle se lève, elle console le pauvre petit être; elle chante, elle rit; elle le berce et le promène; à sa moindre maladie, elle le veille; et cela des semaines et des mois, sans jamais se lasser. Ah! combien ce spectacle vous rend meilleur et vous fait encore mieux aimer les parents!
ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, t. 2, 1870, p. 368.
• 91. Dieu lui-même penché sur l'amour éternelle
La revoyait fleurir dans de pauvres hameaux.
Père il considérait une amour maternelle
Doublement partagée entre deux beaux jumeaux.
Dieu lui-même penché sur l'amour solennelle
La regardait fleurir au fin fond des hameaux.
Père il considérait une amour fraternelle
Déjà communiquée entre deux beaux jumeaux.
Ch. PÉGUY, Ève, 1913, p. 713.
• 92. Les liens de parenté sont bien plus forts. Ici la nature soutient le serment. Entre la mère et l'enfant l'union est d'abord intime; la séparation, après cette vie rigoureusement commune, n'est jamais que d'apparence; l'amour maternel est le plus éminent des sentiments égoïstes, ou, pour dire autrement, le plus énergique des sentiments altruistes, comme Comte l'a montré; ...
ALAIN, Propos, 1921, p. 282.
• 93. On ne conçoit pas un bien sans un toit, un toit sans un foyer, un foyer sans une famille, une famille sans entente, union, amour... Toute la concordance des êtres et des choses est là.
J. DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, t. 3, 1932, p. 125.
• 94. On parle de l'amour paternel ou maternel. Peuh! Qu'est-ce que ce mot « amour »? Bien trop ampoulé et étriqué à la fois pour dire le don total, détaillé, raffiné, dans chaque fibre et dans la masse, du cœur qu'un homme a fait mol et large, exprès pour que puissent s'y étirer à l'aise tous les mouvements de son enfant.
J. MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, t. 1, 1933, p. 160.
• 95. ... la paternité n'apparaît plus comme une simple fonction biologique plus ou moins renforcée par l'histoire, mais comme la suprême instance éducatrice. Elle symbolise la transcendance des valeurs, tandis que la maternité apprend à unir l'instinct le plus primitif à l'amour le plus désintéressé. (La chaleur affective dont les parents, normalement, entourent le jeune enfant, ce dévouement total, cette présence toujours favorable qu'ils tournent vers lui, resteront une des grandes nostalgies de l'âge adulte, ...)
E. MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 96.
— P. ext. [L'amour fraternel considéré comme modèle du lien entre les hommes] :
• 96. Dans la cité de Dieu chacun aime ses frères comme soi-même, et c'est pourquoi nul n'est délaissé, nul n'y souffre, s'il est un remède à ses souffrances. Dans la cité de Dieu, tous sont égaux, aucun ne domine; car la justice seule y règne avec l'amour.
F.-R. DE LAMENNAIS, Les Paroles d'un croyant, 1834, p. 246.
B.— [Les personnes dans leur situation à l'égard de l'amour] :
• 97. Si la femme a pour son enfant des expressions si divines, qu'étoient-ce que les paroles de la mère d'un Dieu, d'une mère qui avoit vu mourir son fils sur la croix et qui le retrouvoit vivant d'une vie éternelle? Que devoient être aussi les paroles d'un fils et d'un Dieu? Quel amour filial, quels embrassements maternels! Un seul moment d'une pareille félicité suffiroit pour anéantir dans l'excès du bonheur tous les mondes.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, p. 178.
• 98. Je n'avais jamais senti qu'une passion dans mon petit être, l'amour filial; cette passion se continuait en moi; ma véritable mère y répondait tantôt trop, tantôt pas assez, (...) J'avais besoin d'une mère sage, et je commençais à comprendre que l'amour maternel, pour être un refuge, ne doit pas être une passion jalouse.
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 3, 1855, pp. 149-150.
• 99. ... j'ai le sentiment qu'il y a dans ce visage quelque chose d'à part que la mort ne touchera pas. Et mon amour pour ma mère, qui a été le seul stable des amours de ma vie, est d'ailleurs si affranchi de tout lien matériel, qu'il me donne presque confiance, à lui seul, en une indestructible chose, qui serait l'âme; ...
P. LOTI, Le Roman d'un enfant, 1890, p. 24.
• 100. Mais tout se passait, chez les Frontenac, comme s'il y avait eu communication entre l'amour des frères et celui de la mère, ou comme si ces deux amours avaient eu une source unique. Jean-Louis éprouvait, à l'égard de ses cadets, et même pour José que l'Afrique attirait, la sollicitude inquiète et presque angoissée de leur mère.
F. MAURIAC, Le Mystère Frontenac, 1933, pp. 190-191.
• 101. J'estime que rien ne peut fausser davantage le caractère d'un enfant que de lui imposer un respect de commande pour des parents, dès que ceux-ci ne sont pas respectables. Ma mère, par contre, méritait ma vénération, et mon amour pour elle était presque de la dévotion. Quant à mon père, je cessai vite de le prendre au sérieux.
A. GIDE, Geneviève, 1936, p. 1359.
• 102. On dirait que Corneille a poursuivi avec une sorte de rancune certaines images du dessèchement par la vieillesse, de la sclérose du cœur. L'animalité même de l'amour maternel n'est pas épargnée. C'est dans une de ses tragédies les moins bonnes, dans Théodore, qu'il dessine ce personnage admirable de Marcelle, la vieille et méchante reine qui a une fille qu'elle aime par-dessus tout, qu'elle couve comme une poule.
R. BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, p. 285.
• 103. Bénard était doux, affable, sensible; avec cela, premier partout. Et puis, sa maman se privait pour lui. Nos mères ne fréquentaient pas cette couturière mais elles nous parlaient d'elle souvent pour nous faire mesurer la grandeur de l'amour maternel; nous ne pensions qu'à Bénard : il était le flambeau, la joie de cette malheureuse; nous mesurions la grandeur de l'amour filial; tout le monde, pour finir, s'attendrissait sur ces bons pauvres. Pourtant, cela n'eût pas suffi : la vérité, c'est que Bénard ne vivait qu'à demi; ...
J.-P. SARTRE, Les Mots, 1964, p. 188.
C.— [Avec, le cas échéant, la suggestion d'un lien physique] L'amour conjugal, mariage d'amour :
• 104. De l'amour dans le mariage. C'est dans le mariage que la sensibilité est un devoir : dans toute autre relation la vertu peut suffire; mais dans celle où les destinées sont entrelacées, où la même impulsion sert pour ainsi dire aux battements de deux cœurs, il semble qu'une affection profonde est presque un lien nécessaire. La légèreté des mœurs a introduit tant de chagrins entre les époux, que les moralistes du dernier siècle s'étoient accoutumés à rapporter toutes les jouissances du cœur à l'amour paternel et maternel, et finissoient presque par ne considérer le mariage que comme la condition requise pour jouir d'avoir des enfants. Cela est faux en morale, et plus faux encore en bonheur.
G. DE STAËL, De l'Allemagne, t. 4, 1810, pp. 367-368.
• 105. Aux témoignages si fréquens qu'ils se donnaient de leur mutuelle tendresse, tous deux mêlaient de douces exhortations à avancer ensemble sur le chemin de la perfection : cette sainte émulation les fortifiait et les maintenait dans le service de Dieu : ils savaient ainsi puiser, au sein de l'ardent amour qui les unissait, le sentiment et le charme de l'amour suprême. Le caractère grave et pur de leur affection se révélait surtout par la touchante habitude qu'ils conservèrent toujours de s'appeler frère et sœur, même après leur mariage, comme pour perpétuer le souvenir de leur enfance passée ensemble, ...
Ch. DE MONTALEMBERT, Hist. de sainte Élisabeth de Hongrie, 1836, p. 42.
• 106. On n'a jamais vérifié le rôle que joue l'amour physique dans l'attachement des femmes honnêtes pour leurs maris. Quelquefois, les maris le savent si bien que pour punir leurs épouses, ils restent quelques jours sans coucher avec elle et les font ainsi — et cela sans un reproche, sans une parole — venir à résipiscence.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, oct. 1875, p. 1084.
• 107. JUPITER. — Jusqu'au ciel se déguise, à l'heure où nous sommes.
ALCMÈNE. — Homme peu perspicace, si tu crois que la nuit est le jour masqué, la lune un faux soleil, si tu crois que l'amour d'une épouse peut se déguiser en amour du plaisir.
JUPITER. — L'amour d'une épouse ressemble au devoir.Le devoir à la contrainte. La contrainte tue le désir.
ALCMÈNE. — Tu dis? Quel nom as-tu prononcé là?
JUPITER. — Celui d'un demi-dieu, celui du désir.
ALCMÈNE. — Nous n'aimons ici que les dieux complets. Nous laissons les demi-dieux aux demi-jeunes filles et aux demi-épouses.
JUPITER. — Te voilà impie, maintenant?
ALCMÈNE. — Je le suis parfois plus encore, car je me réjouis qu'il n'y ait pas dans l'Olympe un dieu de l'amour conjugal. Je me réjouis d'être une créature que les dieux n'ont pas prévue...
J. GIRAUDOUX, Amphitryon, 1929, I, 6, pp. 63-65.
• 108. À la fin de leur vie, les amants illustres qui coururent les routes, George Sand et Musset, et Chopin, Liszt, Mme d'Agoult, peut-être ne se souvenaient-ils plus que de chamailleries dans de tristes chambres d'hôtel. Combien peu d'amours trouvent en elles-mêmes assez de force pour demeurer sédentaires! Et c'est pourquoi l'amour conjugal, qui persiste à travers mille vicissitudes, me paraît être le plus beau des miracles, quoiqu'il en soit le plus commun. Après beaucoup d'années, avoir encore tant de choses à se dire, des plus futiles aux plus graves, sans choix, sans désir d'étonner ni d'être admiré, quelle merveille!
F. MAURIAC, Journal 1, 1934, p. 25.
• 109. Georges encore... aurait des excuses... après vingt ans de mariage l'amour change de forme. Il existe une parenté entre époux qui rendrait certaines choses très gênantes, très indécentes, presque impossibles.
J. COCTEAU, Les Parents terribles, 1938, I, 2, pp. 194-195.
• 110. Bien qu'elle eût lu quelques romans, qu'elle allât quelquefois au théâtre voir des pièces assez risquées, elle ne s'était jamais imaginé le moins du monde les émois et les transports qui peuvent jeter une femme dans les bras d'un homme. Ce qu'elle connaissait de l'amour était exclusivement le rapport de mari et femme. Or, ce rapport ne comportait absolument rien de passionnel, bien qu'il engendrât la plus grande émotion et qu'il se développât en une affection sans limites et sans fin.
P. DRIEU LA ROCHELLE, Rêveuse bourgeoisie, 1939, p. 120.
IV.— L'amour considéré comme lien passionnel entre deux personnes.
A.— [La passion de l'amour comme telle] Aimer d'amour :
• 111. Ce que nous appelons proprement amour parmi nous, est un sentiment dont la haute Antiquité a ignoré jusqu'au nom. Ce n'est que dans les siècles modernes qu'on a vu former ce mélange des sens et de l'ame, cette espèce d'amour, dont l'amitié est la partie morale. C'est encore au christianisme que l'on doit ce sentiment perfectionné; c'est lui, qui tendant sans cesse à épurer le cœur, est parvenu à jeter de la spiritualité jusques dans le penchant qui en paroissoit le moins susceptible.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme, t. 1, 1803, p. 373.
• 112. Nous n'envisageons l'amour que comme une passion de la même nature que toutes les passions humaines, c'est-à-dire ayant pour effet d'égarer notre raison, ayant pour but de nous procurer des jouissances. Les Allemands voient dans l'amour quelque chose de religieux, de sacré, une émanation de la divinité même, un accomplissement de la destinée de l'homme sur cette terre, un lien mystérieux et tout-puissant, entre deux ames qui ne peuvent exister que l'une pour l'autre. Sous le premier point de vue, l'amour est commun à l'homme et aux animaux. Sous le second, il est commun à l'homme et à Dieu.
B. CONSTANT, Wallstein, 1809, p. XLIV.
• 113. Mais si vous êtes une nature exaltée, croyant à des rêves et voulant les réaliser, je vous réponds alors tout net : l'amour n'existe pas. Car j'abonde dans votre sens, et je vous dis : aimer, c'est se donner corps et âme, ou, pour mieux dire, c'est faire un seul être de deux.
A. DE MUSSET, La Confession d'un enfant du siècle, 1836, p. 57.
• 114. Quand on aime, on aime tout. Tout se voit en bleu quand on porte des lunettes bleues. L'amour, comme le reste, n'est qu'une façon de voir et de sentir. C'est un point de vue un peu plus élevé, un peu plus large; on y découvre des perspectives infinies et des horizons sans bornes.
G. FLAUBERT, Correspondance, 1846, p. 264.
• 115. — Voulez-vous me définir l'amour, mon cher? — Parfaitement, — dit Demailly. — L'amour est — l'amour. — Non, — dit Lamperière. — L'amour est la femme. — C'est une opinion, — fit Grancey. — L'amour?... un fluide! — dit de Rémonville, — un phénomène d'électricité... Il y a des femmes laides qui dégagent l'amour. — Ne disons pas de mal des femmes laides, — dit Franchemont. — Quand une femme laide est jolie, elle est charmante! — En tout cas, — dit Grancey, — c'est une bien jolie imagination : c'est l'âme de tout ce qui n'est pas vrai.
E. et J. DE GONCOURT, Charles Demailly, 1860, p. 195.
• 116. « L'amour, commença Phrasilas, est un mot qui n'a pas de sens ou qui en a trop, car il désigne tour à tour deux sentiments inconciliables : la volupté et la passion. Je ne sais dans quel esprit Faustine l'entend.
— Je veux, interrompit Chrysis, la volupté pour ma part et la passion chez mes amants. Il faut parler de l'une et de l'autre, ou tu ne m'intéresseras qu'à demi.
— L'amour, murmura Philodème, ce n'est ni la passion ni la volupté. L'amour c'est bien autre chose... »
P. , Aphrodite, 1896, pp. 134-135.
• 117. Le bien, c'est le bonheur, et surtout c'est l'amour, — l'amour, par où chacun de nous peut franchir sa limite, se confondre avec un autre être, et, par lui, avec l'universel. Voyez-vous, Marsal, l'intelligence, elle, se fait d'âge à âge, elle est à peine ébauchée. L'amour, lui, c'est une possession instantanée, mais pleine, mais surabondante, de tout ce qui nous dépasse. C'est notre minute d'éternité.
P. BOURGET, Le Sens de la mort, 1915, p. 281.
• 118. ... quand il s'agit de donner une définition d'un amour qui, d'une façon mystérieuse, mais non moins certaine, transcende la sensation, l'on est terriblement embarrassé; et cependant, il y a — et comme tous les grands Anglais, certains Allemands, l'ont su et senti — dans l'amour autre chose que ces floraisons brusques, ces tempêtes, ces coups de vent; il y a ce sentiment composite et comme indestructible, dans lequel joue non point du tout seulement ce qu'au moment même on éprouve, mais aussi tout ce qu'on a éprouvé, et non moins cette insaisissable garantie d'avenir : ...
Ch. DU BOS, Journal, mars 1925, p. 333.
• 119. ... « Si une idée paraît avoir échappé jusqu'à ce jour à toute entreprise de réduction, avoir tenu tête aux plus grands pessimistes, nous pensons que c'est l'idée d'amour, seule capable de réconcilier tout homme, momentanément ou non, avec l'idée de vie. Ce mot : amour, auquel les mauvais plaisants se sont ingéniés à faire subir toutes les généralisations, toutes les corruptions possibles (amour filial, amour divin, amour de la patrie, etc.), inutile de dire que nous le restituons ici à son sens strict et menaçant d'attachement total à un être humain, fondé sur la reconnaissance impérieuse de la vérité, de notre vérité « dans une âme et dans un corps » qui sont l'âme et le corps de cet être. »
A. BRETON, Les Manifestes du Surréalisme, 1930, pp. 172-173.
• 120. L'amour n'aime pas en vue d'une récompense, puisqu'il cesserait alors par le fait même d'être l'amour; mais il ne faut pas non plus lui demander d'aimer en renonçant à la joie que lui donne la possession de son objet, car cette joie lui est coessentielle; l'amour accepterait de ne plus être l'amour s'il renonçait à la joie qui l'accompagne. Tout amour vrai est donc à la fois désintéressé et récompensé; disons plus, il ne peut être récompensé que s'il est désintéressé, puisque le désintéressement est son essence même. Qui ne cherche dans l'amour d'autre prix que l'amour reçoit la joie qu'il donne; qui cherche dans l'amour autre chose que l'amour perd à la fois l'amour et la joie qu'il donne. L'amour ne peut donc exister que s'il ne demande point de salaire, mais il lui suffit d'être, pour être payé.
É. GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale, t. 2, 1932, p. 77.
• 121. « Aimer, aimer... je vais apprendre le verbe « désaimer ». Ce sera un peu difficile. Et il faudra beaucoup m'aider, petite amie. L'amour s'attrape comme une maladie et la sagesse s'apprend... »
J. BOUSQUET, Traduit du silence, 1935-1936, p. 255.
• 122. ... il fut enfin capable de jugement, il se dit qu'il avait manqué l'amour, cette complicité de rire, d'érotisme, de secrets partagés, de passé et d'espoir, cette union pareille à un inceste permis, ce lien fort comme un lien venu de l'enfance et du sang, ...
P. NIZAN, La Conspiration, 1938, p. 194.
• 123. L'extase n'est pas amour : l'amour est possession à laquelle est nécessaire l'objet, à la fois possesseur du sujet, possédé par lui. Il n'y a plus sujet égale objet, mais « brèche béante » entre l'un et l'autre et dans la brèche, le sujet, l'objet sont dissous, il y a passage, communication, mais non de l'un à l'autre : l'un et l'autre ont perdu l'existence distincte.
G. BATAILLE, L'Expérience intérieure, 1943, p. 96.
• 124. EUGÉNIE. — Aix, avant votre venue était vraiment la ville de l'amour. La moitié du chemin que font les Aixois dans la vie était dédié à l'amour. Quel beau réseau, quel beau lacis, si leurs pas marquaient!... Suivre un Aixois ou une Aixoise, c'était aller dans la journée vers l'amour!
LUCILE. — Quel nom tu donnes à ce passe-temps!
EUGÉNIE. — C'est le nom. On appelle amour le désir, la poursuite, le don, la jalousie, la béatitude et le désespoir.
LUCILE. — Moi pas. J'appelle amour ce qui n'a pas d'autre nom.
J. GIRAUDOUX, Pour Lucrèce, 1944, I, 2, p. 22.
— Expr. [Avec gén. un cont. ou une nuance relig.] L'amour est fort comme la mort. Personne n'échappe à la mort; p. ext. l'amour est une force comparable à la mort, d'où l'expression l'amour est plus fort que la mort (supra I) :
• 125. ... la nature avait voulu nous montrer, et de main de maître, les persévérances étranges, indomptables, qu'elle donne à la vie. « L'amour est fort comme la mort ». Qui dit cela? C'est la Bible [Cantique des Cantiques, VIII, 6]. Oui, et c'est aussi la Bible éternelle. Or, qui plus que l'amour consacre la vie, la rend émouvante, respectable et sainte?
J. MICHELET, L'Insecte, 1857, p. 25.
1. [L'amour et ses spécifications]
a) [Les types d'amour] La passion, le sentiment de l'amour; l'amour physique, platonique; l'amour de cœur, de tête :
• 126. Il y a quatre amours différents : 1 l'amour-passion, celui de la religieuse portugaise, celui d'Héloïse pour Abélard, celui du capitaine de Vésel, du gendarme de Cento. 2 L'amour-goût, celui qui régnait à Paris vers 1760, et que l'on trouve dans les mémoires et romans de cette époque, dans Crébillon, Lauzun, Duclos, Marmontel, Chamfort, Mme d'Épinay, etc., etc. (...). 3 L'amour-physique. À la chasse, trouver une belle et fraîche paysanne qui fuit dans le bois. Tout le monde connaît l'amour fondé sur ce genre de plaisirs : quelque sec et malheureux que soit le caractère, on commence par-là à seize ans. 4 L'amour de vanité. L'immense majorité des hommes, surtout en France, désire et a une femme à la mode, comme on a un joli cheval, comme chose nécessaire au luxe d'un jeune homme.
STENDHAL, De l'Amour, 1822, pp. 5-6.
• 127. De sa loge à l'Opéra, ses yeux froids plongeaient tranquillement sur le corps de ballet. Pas une œillade ne partait pour ce capitaliste de ce redoutable essaim de vieilles jeunes filles et de jeunes vieilles femmes, l'élite des plaisirs parisiens. Amour naturel, amour postiche et d'amour-propre, amour de bienséance et de vanité; amour-goût, amour décent et conjugal, amour excentrique, le baron avait acheté tout, avait connu tout, excepté le véritable amour. Cet amour venait de fondre sur lui comme un aigle sur sa proie, ...
H. DE BALZAC, Splendeurs et misères des courtisanes, 1847, p. 90.
• 128. Là-dessus, on en vient au plus grand malheur de ce temps-ci, qui est dans la femme et surtout dans le caractère de l'amour moderne. Ce n'est plus l'amour tranquille, calme, presque hygiénique de l'Antiquité. La femme n'est plus considérée comme une pondeuse et une jouissance d'agrément. Nous avons bâti sur elle comme un idéal de toutes nos aspirations. Nous en avons fait le nid et l'autel de toutes sortes de sensations douloureuses, aiguës, délirantes, épicées.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, mai 1864, p. 47.
• 129. Laurence avait eu peur, en effet. Comme beaucoup d'honnêtes femmes, elle pensait que l'amour platonique est une distraction parfaitement licite, où les maris n'ont rien à voir. Elle s'était bercée de l'espoir que l'amour de ce jeune homme, si sérieux et si bien élevé, planerait constamment dans des régions angéliques et immatérielles; qu'entre eux la passion resterait pure, et que le désir des choses défendues, pareil à une hirondelle infatigable, volerait toujours au-dessus de leurs têtes sans jamais y poser son aile.
A. THEURIET, La Maison des deux barbeaux, 1879, p. 98.
• 130. Je ne sais si ce que vous appelez l'amour du cœur, l'amour des âmes, si l'idéalisme sentimental, le platonisme enfin, peut exister sous ce ciel; j'en doute même. Mais l'autre amour, celui des sens, qui a du bon, et beaucoup de bon, est véritablement terrible en ce climat.
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, Marroca, 1882, pp. 785-786.
• 131. ... le premier effet de l'amour est de supprimer, entre ceux qu'il domine, les lois et les convenances de cette civilisation. Tous les autres appétits sont plus ou moins contenus par les barrières sociales. (...) L'amour seul est demeuré irréductible, comme la mort, aux conventions humaines. Il est sauvage et libre, malgré les codes et malgré les modes. La femme qui se déshabille pour se donner à un homme, dépouille avec ses vêtements toute sa personne sociale; elle redevient, pour celui qu'elle aime, ce qu'il redevient, lui aussi, pour elle, la créature naturelle et solitaire dont aucune protection ne garantit le bonheur, dont aucun édit ne saurait écarter le malheur. Le monde du cœur et le monde des sens, — ces deux domaines où l'amour habite, — restent inaccessibles au législateur. Il s'accomplit là des infamies qu'aucune sanction humaine ne peut atteindre; il s'y manifeste des héroïsmes qu'aucune gloire humaine ne couronne. Chacun des deux amants ne peut en appeler de ce qu'il subit qu'à la nature, ...
P. BOURGET, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, 1885, p. 29.
• 132. L'amour romantique date du Moyen Âge (...) L'amour romantique se distingue par l'intensité du sentiment. Il s'adresse à un absent ou à une absente, à une fiancée, à un amant, à un être intermittent qui ne partage pas votre vie et que des obstacles ou un peu d'éloignement rendront plus séduisant.
J. CHARDONNE, Attachements, 1943, p. 23.
• 133. « Il n'y a que les chrétiens pour avoir imaginé l'amour platonique. C'est que le christianisme a divisé l'homme, opposant l'âme noble au corps vil. L'homme total aimera dans sa chair et son âme enfin réunies, inséparables, consubstantielles ».
R. VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 107.
• 134. Les fautes charnelles apprennent à certains ce qu'ils n'auraient jamais pu savoir autrement, et j'entends cela d'une façon largement humaine et non pas seulement érotique. L'expérience de l'amour physique dépasse infiniment le corps; elle englobe un monde qu'il est précieux d'avoir connu et où beaucoup de bien se mêle à beaucoup de mal. J'ai l'air de faire l'apologie du plaisir, ce qui n'est pas du tout mon propos, mais j'ai connu des gens très sensuels, hommes et femmes, qui avaient un sens de l'humain beaucoup plus développé que des âmes manifestement vertueuses et innocentes. Connaître, dans le sens charnel que lui prête la Bible, n'est pas du tout un vain mot.
J. GREEN, Journal, 1946, pp. 42-43.
• 135. Aimer n'est rien, il faut être aimé! L'amour solitaire n'est pas digne de son nom, l'amour sans réponse s'épuise en vain vers sa forme! Mais qu'il soit réciproque, au contraire, et la loi de la nature le fera durable!
A. CAMUS, Le Chevalier d'Olmedo, adapté de F. Lope de Vega, 1957, 1re journée, 1, p. 719.
b) [Les situations ou occasions d'amour] Un premier, un nouvel amour :
• 136. « Plus tard, détrompée de cet amant et de tous les hommes, l'expérience de la triste réalité a diminué chez elle le pouvoir de la cristallisation, la méfiance a coupé les ailes à l'imagination. À propos de quelque homme que ce soit, fût-il un prodige, elle ne pourra plus se former une image aussi entraînante; elle ne pourra donc plus aimer avec le même feu que dans la première jeunesse. Et comme en amour on ne jouit que de l'illusion qu'on se fait, jamais l'image qu'elle pourra se créer à vingt-huit ans n'aura le brillant et le sublime de celle sur laquelle était fondé le premier amour à seize, et le second amour semblera toujours d'une espèce dégénérée. »
STENDHAL, De l'Amour, 1822, p. 21.
• 137. Je ne suis pas de ceux qui rient d'un amour perdu. J'ai éprouvé qu'un amour ne se remplace pas par un autre amour. Le second fait tort au troisième, le troisième au quatrième; ils s'affaiblissent l'un l'autre comme un écho, comme le cercle fragile qui ride l'onde agitée par la pierre d'un enfant. Surtout il est une femme qu'on ne remplace jamais, c'est la seconde femme que l'on aime.
J. JANIN, L'Âne mort et la femme guillotinée, 1829, pp. 79-80.
• 138. — Il vit par hasard dans le monde, où il allait très-peu, une jeune fille fort belle, mais sans fortune.
— Par hasard aussi il en devint éperdument amoureux; c'était son premier amour véritable. Or, un premier amour de débauché, c'est, on le sait, la passion la plus frénétique, la plus violente qu'on puisse imaginer.
E. SUE, Atar Gull, 1831, p. 11.
• 139. ... la respectueuse estime dont jouissait Charles, l'entière affection de cet homme, qui répondit par un amour unique à un unique amour, tout avait réconcilié cette pauvre femme avec la vie.
H. DE BALZAC, Modeste Mignon, 1844, p. 26.
• 140. Je n'ai pas pensé que je cesserais un jour de t'être fidèle, puisqu'à tout jamais j'avais compris ta pensée et la pensée que tu existes, que tu ne cesses d'exister qu'avec moi. J'ai dit à des femmes que je n'aimais pas que leur existence dépendait de la tienne. Et la vie, pourtant, s'en prenait à notre amour. La vie sans cesse à la recherche d'un nouvel amour, pour effacer l'amour ancien, l'amour dangereux, la vie voulait changer d'amour.
P. ÉLUARD, Donner à voir, 1939, p. 47.
♦ Le grand amour, l'amour parfait; filer le parfait amour :
• 141. Tu m'as accusé de ne pas t'aimer, et ce reproche m'est bien amer, puisque ce qui me tourmente, et ce qui t'importune, c'est mon trop d'amour. Adèle, il est donc vrai que tu aurais été plus heureuse d'être aimée par quelque être tranquille et froid, qui n'eût connu ni la chaste susceptibilité, ni les délicates jalousies d'un grand amour?
V. HUGO, Lettres à la fiancée, 1822, p. 222.
• 142. ... dans un grand amour on n'est jamais deux, mais trois et (...) ce troisième qui est l'être fait de notre plus précieuse substance sentimentale et né de l'union des deux peut finir par devenir plus important que chacun des deux pris isolément; et c'est ce que j'entends par ce que j'appelle la responsabilité dans l'amour : la responsabilité est vis-à-vis de l'être à la fois issu de nous et qui nous est supérieur, et les scènes, les désaccords. les moments où chacun des deux tire de son côté, ce fardeau d'une cécité réciproque que l'amour a tant de peine à éviter, sont toujours ressentis par moi comme essentiellement dirigés contre l'amour même.
Ch. DU BOS, Journal, mars 1923, p. 241.
• 143. J'ai lu le raisonnement suivant de Mme Aurel, que je mets en syllogisme pour être plus court : « Il n'y a rien de plus beau qu'une belle lettre d'amour. — Les plus belles lettres d'amour sont écrites par des femmes. — Donc le jour où les femmes feront imprimer des lettres d'amour de 300 pages in-18 sous couverture jaune-paille, elles auront écrit les plus beaux livres du monde. » Attendons. Mais jusqu'à présent tout au moins ce n'a pas été du tout la même chose. Un grand et parfait amour, un chef-d'œuvre sentimental, demandent des âmes orientées d'une certaine façon, et qui s'y donnent entières. Aucun grand artiste ne paraît avoir réalisé un de ces amours absolus : ...
A. THIBAUDET, Réflexions sur la littérature, 1936, p. 65.
— Au plur. Les amours de qqn. Les épisodes successifs d'un même amour; série des expériences d'amour avec ou entre des partenaires différents :
• 144. Elle entra d'un air d'amitié qui me ravit. Nous causâmes de ses amours avec Delarbre. Elle ne convint pas de l'avoir aimé; mais elle s'étendit sur les marques d'une véritable tendresse qu'il lui avait données.
N.-E. RESTIF DE LA BRETONNE, Monsieur Nicolas, 1796, p. 21.
• 145. Si l'on compare les amours d'Ulysse et de Pénélope à celles d'Adam et d'Eve, on trouve que la simplicité d'Homère est plus ingénue, celle de Milton plus magnifique.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme, t. 1, 1803, p. 322.
• 146. Tous ces amours de Werther, Paul, Roméo, Des Grieux, paraissent aux femmes très profonds et inimitables, mais cela vient de ce qu'ils furent malheureux.
A. DE VIGNY, Le Journal d'un poète, 1832, p. 956.
• 147. Il attendait, un bouquet de violettes à la main, le moment où Georgina sortirait des coulisses. Vue de près, la trouva-t-il moins exciting? Les innombrables amours de notre Don Juan, s'il y fait sans peine allusion, il ne divulgue pas l'identité de ses partenaires.
J.-É. BLANCHE, Mes modèles, 1928, p. 221.
♦ À tes (vos) amours. Souhait adressé à son vis-à-vis au moment de trinquer :
• 148. Le garçon apporta le mousseux d'un pas guilleret et enleva le bouchon avec de grands airs. Il serva, on trinquit.
— À ta chance, à tes amours, dit Petit-Pouce.
— À ta prochaine embauche, dit Paradis.
R. QUENEAU, Pierrot mon ami, 1942, p. 127.
— Loc. En amour. Dans une situation d'amour :
• 149. En amour, il suffit de se plaire par ses qualités aimables et par ses agréments; mais en mariage, pour être heureux, il faut s'aimer, ou, du moins, se convenir par ses défauts.
CHAMFORT, Maximes et pensées, 1794, p. 64.
• 150. Vous rencontrez une jolie femme galopant dans le parc et le rival est fameux par ses beaux chevaux qui lui font faire dix milles en cinquante minutes. Dans cet état la fureur naît facilement; l'on ne se rappelle plus qu'en amour, posséder n'est rien, c'est jouir qui fait tout; ...
STENDHAL, De l'Amour, 1822, pp. 106-107.
• 151. De Ryons a eu et aura des maîtresses. Mais, en amour, posséder n'est rien, c'est à se donner que consiste le bonheur, et de Ryons ne le peut pas.
P. BOURGET, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, 1885, p. 49.
• 152. ... Racine veut que sa dénonciation atteigne un autre aspect de la passion humaine. Si le sang ne lie pas à Hippolyte la femme de Thésée, il suffit que l'infortunée se croie incestueuse pour l'être en effet; en amour, c'est souvent la loi qui crée le crime.
F. MAURIAC, La Vie de Jean Racine, 1928, p. 133.
• 153. ... l'élégance morale fait partie de la coquetterie de certains hommes en amour. Tout comme la femme cherche à être belle pour plaire, l'homme cherche à être admirable. La femme qu'il aime doit se prêter à ce jeu. Si elle se montrait sceptique, si elle soulignait chez son amant certaines faiblesses ou certaines contradictions, elle serait aussi maladroite, d'une clairvoyance aussi inutilement cruelle, que l'homme qui signalerait à sa maîtresse des rides ou un double menton.
J. ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Le 6 octobre, 1932, p. 152.
— Proverbes Froides mains, chaudes amours; vivre d'amour et d'eau fraîche; malheureux au jeu, heureux en amour :
• 154. Vivre d'amour et d'eau fraîche. Se dit ironiquement — dans l'argot de Breda-Street — de l'amour pur, désintéressé, sincère, celui ... [des] nids de tourterelles.
A. DELVAU, Dict. de la langue verte, 1867, p. 501.
• 155. « Je n'ai pas de veine, ce soir. » disait-il à son partenaire. Mais il s'en foutait! Une odeur de femme, douceâtre, le grisait; des images obscènes lui brouillaient les yeux, une bouffée de sang lui montait au visage, et, ouvrant sa chemise, il découvrait son cou solide de porteur. « Malheureux au jeu, heureux en amour, » pensait-il.
E. DABIT, L'Hôtel du Nord, 1929, p. 58.
2. [L'amour en tant qu'il se traduit par des gestes, des attitudes, des manifestations ou moments divers] Les signes de l'amour; lettre d'amour, languir d'amour :
• 156. ... l'humeur et le dépit sont autant les signes de l'amour que la tendresse. Quand on n'aime plus tout est calme et ce silence du cœur est celui de la tombe.
Ch.-J. DE CHÊNEDOLLÉ, Extraits du journal, 1815, p. 78.
• 157. ... c'est dans les riens, dans les mots, dans les regards que l'amour se décèle. Les plus fortes preuves de l'amour sont une foule de choses imperceptibles pour tout autre que l'être aimé.
V. HUGO, Lettres à la fiancée, 1822, p. 254.
• 158. ... Eugénie était assise sur le petit banc de bois où son cousin lui avait juré un éternel amour, et où elle venait déjeuner quand il faisait beau. La pauvre fille se complaisait en ce moment, par la plus fraîche, la plus joyeuse matinée, à repasser dans sa mémoire les grands, les petits événements de son amour, et les catastrophes dont il avait été suivi.
H. DE BALZAC, Eugénie Grandet, 1834, p. 238.
• 159. Il ne quitta pas si vite ce cœur où il était enfermé tout entier, ni ce corps qui appelait tous ses sens, et, quand elle passait ses mains dans les siennes, parfois il tressaillait encore, se plaisant toujours aux vieilles joies des voluptés qui avaient perdu leur grandeur. La régularité du plaisir et la satisfaction du besoin physique remplacèrent la fièvre de l'amour, ses frénésies terribles et ses mélancolies bienheureuses; ...
G. FLAUBERT, La Première éducation sentimentale, 1845, p. 212.
• 160. ... un gai rayon clair, passant à travers les rideaux, courait sur les boucles blondes de la jeune fille, sur les pétales de la rose épanouie et sur la tête de Gérard, incliné devant celle qu'il aimait. Dans un coin, l'austère chevalier contemplait cette scène d'amour, écoutait le bruit des caresses et sentait un singulier enrouement le prendre à la gorge...
A. THEURIET, Le Mariage de Gérard, 1875, p. 218.
• 161. L'amour humain ne se distingue du rut stupide des animaux que par deux fonctions divines : la caresse et le baiser.
P. , Aphrodite, 1896, p. 106.
• 162. ... un amour auquel s'annexaient tous ces épisodes, des visites aux musées, des soirées au concert, toute une vie compliquée qui permet des correspondances, des conversations, un flirt préliminaire aux relations elles-mêmes, ...
M. PROUST, À la recherche du temps perdu, La fugitive, 1922, p. 554.
• 163. Chimène ne peut pas ressentir pour Rodrigue la haine qu'elle doit au meurtrier de son père, et elle le dit. Ni Corneille ni Racine n'ont usé communément de la litote dans leurs scènes de déclaration d'amour : je ne vois guère qu'Hippolyte et Aricie, qui emploient ce genre d'agréables énigmes que je trouve charmantes, mais qui évidemment me touchent moins le cœur que le torrent verbal et l'explosion directe de Phèdre et le j'aime! cri d'une bouche ouverte comme une blessure. Ni dans Shakespeare ni dans Hugo l'amour ne procède par litote. Ni dans Claudel.
A. THIBAUDET, Réflexions sur la littérature, 1936, p. 133.
• 164. ... nous pouvions voir comme la défaite et ses conséquences avaient ébranlé les nerfs des femmes. On remarquait chez beaucoup une parfaite absence de pudeur. Ce ne serait rien que ces protestations d'amour où des mots de romance épanchaient leur musique banale, mais les sensuelles écrivaient d'effroyables lettres, que les censeurs allemands se passaient de main en main avec de longs commentaires.
F. AMBRIÈRE, Les Grandes Vacances, 1946, p. 98.
— En partic. La rencontre d'amour, l'acte sexuel. Faire l'amour, les plaisirs de l'amour, le jeu d'amour :
• 165. On a de l'amour pour les fleurs, pour les oiseaux, pour la danse, pour son amant, quelquefois même pour son mari; jadis, on languissait, on brûlait, on mourait d'amour; aujourd'hui on en parle, on en jase, on le fait, et le plus souvent on l'achète.
Dict. des gens du monde, t. 1, 1818.
• 166. Chez Flaubert, la Lagier (...) nous expose ses théories transcendentales sur la jouissance. Une femme, selon elle, ne peut jouir qu'avec les gens au-dessous d'elle, parce qu'avec un homme propre, il y a toujours un reste de pudeur, une préoccupation de sa pose, un souci de la jouissance du partner. Tout cela gêne, occupe, préoccupe et dérange, au lieu qu'avec un misérable, un homme de rien, on lui fait faire l'amour comme on lui fait fendre son bois.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, nov. 1862, p. 1172,
• 167. Mais en femme agréable et qui fuit le ton des bas bleus. elle se gardait de parler de la question d'Orient aux premiers ministres aussi bien que de l'essence de l'amour aux romanciers et aux philosophes. « L'amour? avait-elle répondu une fois à une dame prétentieuse qui lui avait demandé : « Que pensez-vous de l'amour? » L'amour? Je le fais souvent, mais je n'en parle jamais. »
M. PROUST, À la recherche du temps perdu, Le Côté de Guermantes 1, 1920, p. 195.
• 168. Là-bas, l'amour, non, ça n'est pas du tout le même que le vôtre. Là-bas, c'est un acte silencieux, à la fois sacré et naturel. Profondément naturel. Il ne s'y mêle aucune pensée, d'aucune sorte, jamais. Et la recherche des plaisirs, qui est toujours plus ou moins clandestine ici, eh bien, là-bas, elle est aussi légitime que la vie, et, comme la vie, comme l'amour, elle est naturelle et sacrée.
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, pp. 1002-1003.
• 169. Nous avions l'attitude et nous faisions les gestes de l'amour et je sentais monter en moi contre elle une incompréhensible et sauvage rancune. Pourtant nous nous séparâmes tendrement et sur un baiser.
A. MAUROIS, Climats, 1928, p. 111.
• 170. Il ne peut plus faire l'amour? Mais il l'a fait. Avoir fait l'amour, c'est beaucoup mieux que de le faire encore; avec le recul on juge, on compare et réfléchit.
J.-P. SARTRE, La Nausée, 1938, p. 95.
• 171. Dès sept heures moins le quart, il fut au Dupont-Latin. À une table voisine, un garçon de l'âge de Frédéric attendait une jeune fille. Quand elle franchit la porte, leur sourire bouleversa Frédéric. Ceux-là n'avaient pas besoin d'apprendre le jeu d'amour; rien que dans la manière dont ils se disaient bonsoir, il discerna une caresse, un aveu, l'expression d'un désir; comme il enviait l'aisance de ce sourire!
R. VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 242.
• 172. J'éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l'amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots « faire l'amour » ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de « faire », matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot « amour », m'enchantait.
F. SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 137.
• 173. Je riais de mes discours et de mes plaidoiries. Plus encore de mes plaidoiries, d'ailleurs, que de mes discours aux femmes. À celles-ci, du moins, je mentais peu. L'instinct parlait clairement, sans faux-fuyants, dans mon attitude. L'acte d'amour, par exemple, est un aveu. L'égoïsme y crie, ostensiblement, la vanité s'y étale, ou bien la vraie générosité s'y révèle.
A. CAMUS, La Chute, 1956, p. 1507.
• 174. ... Bourget, Alphonse Daudet, Marcel Prévost, Maupassant, les Goncourt (...) complétèrent mon éducation sexuelle, mais sans beaucoup de cohérence. L'acte d'amour durait parfois toute une nuit, parfois quelques minutes, il paraissait tantôt insipide, tantôt extraordinairement voluptueux; il comportait des raffinements et des variations qui me demeuraient tout à fait hermétiques.
S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 111.
— Locutions
♦ En signe d'amour. Comme preuve d'amour :
• 175. Le guerrier vainqueur du monstre recevoit une part de la victime plus grande que celle des autres; et, lorsque, gonflé de nourriture il ne se pouvoit plus repaître, sa femme, en signe d'amour, le forçoit encore d'avaler d'horribles lambeaux qu'elle lui enfonçoit dans la bouche.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, p. 242.
♦ (Agir) par amour (pour qqn). Avec des sentiments inspirés par l'amour :
• 176. ... Ondouré accusa le guerrier blanc d'avoir voulu faire mourir sa fille, par dégoût pour Céluta, et par amour pour une autre femme.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826 p. 330.
• 177. Il se disait : « le fait-elle par amour pour moi, ou seulement par passion hippogriffale? Est-ce une amoureuse ou une ambitieuse? D'ailleurs peu m'importe, je ne vais pas me casser la tête à prospecter ce qu'il y a dans une âme. Si c'est par amour, c'est admirable, et il y a de quoi me décider au mariage. »
H. DE MONTHERLANT, Le Démon du bien, 1937, p. 1277.
• 178. J'ai l'impression que les femmes ne couchent avec toi ni par vanité ni, pardonne-moi, par amour, mais plutôt, comment dirai-je, par vice, sans y attacher tellement d'importance...
R. VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 89.
♦ Pour l'amour de + nom de pers. :
• 179. — Où vas-tu si tard dans ce quartier? demanda Musette.
— Je vais dans ce monument, fit l'artiste en indiquant un petit théâtre où il avait ses entrées.
H. MURGER, Scènes de la vie de bohème, 1851, p. 177.
• 180. — Je n'ai ni faim ni soif, murmura-t-il.
— Eh bien, buvez, pour l'amour de moi. Elle attacha sur lui ce regard plein de séduction auquel il ne pouvait jamais résister.
— Je le veux! dit-elle avec une mutinerie charmante. Léon prit son verre et le vida d'un seul trait.
P.-A. PONSON DU TERRAIL, Rocambole, t. 3, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 157.
• 181. Les femmes eurent sur lui une extrême influence. Pour l'amour de celle qu'il épousa, il fit la guerre contre son suzerain. Pour l'amour d'une autre qu'il enleva, il s'enfuit sous un déguisement, quand c'était l'heure de se battre
♦
M. BARRÈS, Le Voyage de Sparte, 1906, p. 227.
Rem. Autres syntagmes a) Subst. + adj. : ancien, ardent, brûlant, charnel, dernier, désintéressé, éternel, exclusif, faux, fort, fou, humain, immense, impossible, infini, jaloux, jeune, malheureux, partagé, passionné, perdu, profond, secret, seul, sincère, tendre, unique, véritable, vrai; subst. + adj. + de : digne, ivre, plein; b) Subst. + d'amour, de l'amour : acte, baiser, besoin, chagrin, chant, déclaration, délices, désert, désespoir, désir, douleur, élan, espérance, espoir, excès, feux, folie, force, grâce, histoire, idée, innocence, intelligence, jeunesse, joie, mots, mystère, nuit, paroles, peine, pensée, pouvoir, preuve, regard, regret, rêve, scène, sens, transport; c) Verbe + (son), (l') amour : avouer, comprendre, connaître, dire, donner, exprimer, oublier, prouver, raconter, rendre, savoir; verbe + à (son), (l') amour : croire, porter, renoncer; verbe + de (son), (l') amour : avoir, brûler, douter, éprouver, inspirer, mourir, parler, pleurer, porter, se prendre, rêver, sentir; amour + verbe : confondre, exister, finir, naître, sembler.
B.— [L'amour considéré du point de vue des personnes]
1. [Spécifications affectives] :
• 182. La dissemblance entre la naissance de l'amour chez les deux sexes doit provenir de la nature de l'espérance qui n'est pas la même. L'un attaque et l'autre défend; l'un demande et l'autre refuse; l'un est hardi, l'autre très timide. L'homme se dit : Pourrai-je lui plaire? Voudra-t-elle m'aimer? La femme : N'est-ce point par jeu qu'il me dit qu'il m'aime? Est-ce un caractère solide? Peut-il se répondre à soi-même de la durée de ses sentiments?
STENDHAL, De l'Amour, 1822, p. 22.
• 183. Il y a des moments d'éclipse et de brutalité dans l'amour chez l'homme, où il irait jusqu'à en vouloir à la femme qu'il aime, de cette sensibilité dévorante qui la ferait sécher et pâlir, et dépérir en beauté loin de lui, à cause de lui! Les femmes ne sont jamais ainsi, elles; et c'est ce qui maintient leur grandeur dans l'amour, leur vertu souvent dans l'abîme, leur titre à l'immortel pardon.
Ch.-A. SAINTE-BEUVE, Volupté, t. 2, 1834, p. 56.
• 184. Tu veux savoir si je t'aime? Eh bien, autant que je peux aimer, oui; c'est-à-dire que, pour moi, l'amour n'est pas la première chose de la vie, mais la seconde. C'est un lit où l'on met son cœur pour le détendre. Or, on ne reste pas couché toute la journée. Toi, tu en fais un tambour pour régler le pas de l'existence! Non, non, mille fois non!
G. FLAUBERT, Correspondance, 1847, p. 1.
• 185. L'amour est dans celui qui aime, non dans celui qu'on aime. Tout est pur chez les purs. Tout est pur chez les forts et chez ceux qui sont sains. L'amour, qui pare certains oiseaux de leurs plus belles couleurs, fait sortir des âmes honnêtes ce qu'elles ont de plus noble. Le désir de ne montrer à l'autre rien qui ne soit digne de lui, fait qu'on ne prend plus plaisir qu'aux pensées et aux actes qui sont en harmonie avec la belle image que l'amour a sculptée.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, L'Adolescent, 1905, p. 339.
• 186. Lui avait aimé une Japonaise parce qu'il aimait la tendresse, parce que l'amour à ses yeux n'était pas un conflit mais la contemplation confiante d'un visage aimé, l'incarnation de la plus sereine musique, — une poignante douceur.
A. MALRAUX, La Condition humaine, 1933, p. 429.
• 187. « Mon amour pour elle, vraiment, ne faisait qu'un avec le sentiment que j'ai de l'absolu. Quel dommage qu'elle n'en sache rien! Si elle avait, ne fût-ce qu'un instant, compris mon amour, elle n'aurait jamais pu s'en distraire, même pour danser. » L'amour! Quand la fête des yeux est la fête du cœur et qu'il n'y a plus de place au monde pour la peur qui nous vient avec la pensée, l'horrible peur de n'être qu'une chose. L'amour, quand elle est là et que je crois qu'elle va me comprendre. L'amour, pour me faire oublier combien mon être me pèse, au point que je sais enfin pourquoi je suis désespéré et comme honteux de ne pas être que moi.
J. BOUSQUET, Traduit du silence, 1935-1936, p. 68.
• 188. J'aimerais, le jour où un homme me subjuguerait par son intelligence, sa culture, son autorité. Sur ce point, Zaza n'était pas de mon avis; pour elle aussi l'amour impliquait l'estime et l'entente; mais si un homme a de la sensibilité et de l'imagination, si c'est un artiste, un poète, peu m'importe, disait-elle, qu'il soit peu instruit et même médiocrement intelligent.
S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 145.
2. [L'amour hors mariage] :
a) [L'amour libre] :
• 189. Je considère l'accouplement légal comme une bêtise. Je suis certain que huit maris sur dix sont cocus. Et ils ne méritent pas moins pour avoir eu l'imbécillité d'enchaîner leur vie, de renoncer à l'amour libre, la seule chose gaie et bonne au monde, de couper l'aile à la fantaisie qui nous pousse sans cesse à toutes les femmes, etc., etc. Plus que jamais, je me sens incapable d'aimer une femme, parce que j'aimerai toujours trop toutes les autres.
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, Lui?, 1883, p. 852.
• 190. — Le mariage est odieux et détestable, lui dit-il. Je me sens écœuré quand je pense à cette chaîne affreuse, la plus lourde que les hommes aient forgée pour attacher les âmes un peu fières. Le scepticisme et l'amour libre sont aussi nécessairement associés que la religion et le mariage. Les gens d'honneur n'ont pas besoin des lois... pour l'amour de Dieu, Élisabeth, lisez le service du mariage, et voyez si un honnête homme peut soumettre un être aimable et aimé à une telle dégradation.
A. MAUROIS, Ariel ou la Vie de Shelley, 1923, p. 63.
• 191. Je lui ressasse mes sempiternelles raisons : — En ne vous épousant pas, je sauvegarde notre amour. Le mariage est la fin de l'amour, cela est connu depuis Jeroboam. Je me lasserais de vous. Vous me gêneriez. Je vous apparaîtrais avec mes petits côtés. Finish l'extase. Dans la liaison rien de tout cela, ou si peu.
H. DE MONTHERLANT, Le Démon du bien, 1937, p. 1256.
• 192. Il me répéta que notre société ne respecte que les femmes mariées. Je ne me souciais pas d'être respectée. Vivre avec Jacques et l'épouser, c'était tout un. Mais dans les cas où on pouvait dissocier l'amour du mariage, cela me semblait à présent bien préférable. J'aperçus un jour au Luxembourg Nizan et sa femme qui poussait une voiture d'enfant, et je souhaitai vivement que cette image ne figurât pas dans mon avenir. Je trouvais gênant que des époux fussent rivés l'un à l'autre par des contraintes matérielles : le seul lien entre des gens qui s'aiment aurait dû être l'amour.
S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 325.
b) [L'adultère] :
• 193. Sans même s'arrêter à des relations d'une nature aussi particulière, ne voyons-nous pas tous les jours que l'adultère, quand il est fondé sur l'amour véritable, n'ébranle pas les sentiments de famille, les devoirs de parenté, mais les revivifie? L'adultère alors introduit l'esprit dans la lettre que bien souvent le mariage eût laissée morte.
M. PROUST, À la recherche du temps perdu, La Prisonnière, 1922, p. 262.
• 194. Vois : nous nous aimons depuis des semaines, et personne ne sait, personne... Mlle Germaine par-ci... M. le Député par-là... Hein? Sommes-nous bien cachés? Bien clos? M. Gallet fait l'amour avec une fille de seize ans. Qui s'en doute? Et ta femme elle-même? Avoue-le, vieux scélérat, tu la trompes ici, à sa moustache (elle en a!), c'est la moitié de ton bonheur. Je te connais. Tu n'aimes pas l'eau claire.
G. BERNANOS, Sous le soleil de Satan, 1926, p. 109.
• 195. Ah! Comme j'aurais bien fait l'épouse d'un artiste! Car pour être une femme d'artiste il faut aimer l'artiste encore plus que l'homme, faire que le premier soit grand, et que le second soit heureux. Et puis, être entre soi, se comprendre à demi-mot, quel repos! J'ai horreur des vieilles filles. J'ai pitié des mal mariées. L'amour irrégulier me dégoûte.
H. DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles, 1936, p. 937.
c) Enfant de l'amour. Un enfant naturel, bâtard :
• 196. Dans la maison où elle est, on avait décidé, sur cette analogie des traits, qu'elle était ma fille et l'on avait là-dessus bâti un roman. C'était ma fille naturelle, une enfant mystérieuse de l'amour que j'avais fait venir à Paris et que je venais voir à l'insu de ma famille, ...
J. MICHELET, Journal, 1849, p. 648.
• 197. ... une femme tenant comme lui une enfant par la main, une petite fille blonde comme moi l'approcha... Je ne sais pas ce qu'elle dit à mon père, je ne compris pas très bien, mais elle pleurait, et mon père la repoussa. — C'était ma mère! dit Rébecca, dont la voix s'altéra, et cette enfant, c'était moi... et depuis ce jour-là, voyez-vous, madame, l'enfant de l'amour, l'enfant de l'abandon, la malheureuse élevée dans l'ombre, reniée par tous, même par Dieu, se souvient toujours de vous avoir vue passer, vous, l'enfant du soleil et de la lumière.
P.-A. PONSON DU TERRAIL, Rocambole, t. 5, Les Exploits de Rocambole, 1859, p. 386.
• 198. — Ah! celle-là, la mère est d'Anvers. Une toute jeunette. Elle vient le samedi. Elle ne me l'a pas dit, mais... Elle baissa le ton. — ... Mais je pense bien qu'elle n'est pas mariée, madame. Je n'ai jamais vu le père... Un enfant de l'amour... Een bastaardkind... C'est triste, hein?
M. VAN DER MEERSCH, L'Empreinte de Dieu, 1936, p. 237.
Rem. Plus gén. enfant de l'amour peut désigner un enfant conçu ou voulu par des pers. qui s'aiment profondément :
• 199. Les ouvrages qu'un auteur fait avec plaisir sont souvent les meilleurs, comme les enfants de l'amour sont les plus beaux.
CHAMFORT, Maximes et pensées, 1794, p. 72.
• 200. Ma sœur, Odette, est née quand mes parents habitaient encore Rouen, dans les premières romanesques années de leur mariage, c'est une enfant de l'amour; tandis que, moi, je suis venue au monde quand grand'mère avait déjà consenti à recevoir mon père, qu'on avait déjà l'hôtel particulier, rue de l'Université, dont maman avait hérité d'une tante.
E. TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, p. 272.
3. [L'amour homosexuel] :
• 201. Toute religion est un code pénal et criminel réservé pour les méfaits que les lois du monde visible et humain ne peuvent atteindre, par exemple le suicide, l'inceste secret, l'amour saphique, etc. L'amour grec.
A. DE VIGNY, Le Journal d'un poète, 1852, p. 1295.
• 202. Il me parlait des garanties de défense des détenues, en m'ouvrant le prétoire où elles sont jugées au tribunal du samedi. Il me vantait la moralisation par le silence, en me disant comme elles se corrompraient, si elles se parlaient, et toutes leurs ruses pour se correspondre, — jusqu'à une qui avait, avec ses ciseaux de travail découpé dans un livre de prières le Pater et l'Ave par lettres et les avait cousues pour en faire à une compagne une lettre d'obscénité. Et là, autre abîme! Je sondais de la pensée les amours contre-nature qui devaient germer, éclater là; les jalousies, les passions qui la nuit, les font relever et assommer une voi(...)e de lit à coups de pots, leur seule arme! Amours lesbiennes, compagnonnages de couvent compliqués de prison, ...
E. et J. DE GONCOURT, Journal, oct. 1862, pp. 1149-1150.
• 203. La communauté de leur existence avait établi entre ces hommes des amitiés profondes. Le camp, pour la plupart, remplaçait la patrie; vivant sans famille, ils reportaient sur un compagnon leur besoin de tendresse, et l'on s'endormait, côte à côte, sous le même manteau, à la clarté des étoiles. Dans ce vagabondage perpétuel à travers toutes sortes de pays, de meurtres et d'aventures, il s'était formé d'étranges amours, — unions obscènes aussi sérieuses que des mariages, où le plus fort défendait le plus jeune au milieu des batailles, l'aidait à franchir les précipices, épongeait sur son front la sueur des fièvres, volait pour lui de la nourriture; et l'autre, enfant ramassé au bord d'une route, devenu mercenaire, payait ce dévouement par mille soins délicats et des complaisances d'épouse.
G. FLAUBERT, Salammbô, 1863, t. 2, p. 135.
• 204. Au collège, où il se sentait Grec et Romain, il faisait profession de dédaigner la femme, et avait de doctes entretiens, renouvelés des Grecs, sur la question de savoir si oui ou non elle possède une âme. Mais ici il entrait, sans en avoir conscience, dans la vieille tradition qui marie tauromachie et galanterie, et qui explique en partie, selon nous, pourquoi l'Espagne est un des pays d'Europe les moins touchés par l'amour entre mâles, malgré l'atavisme nord-africain qui devrait l'y porter.
H. DE MONTHERLANT, Les Bestiaires, 1926, p. 442.
• 205. ... l'irrépressible dégoût que peut éprouver un homosexuel pour un autre dont les appétits ne sont pas les mêmes est chose dont l'hétérosexuel ne peut se rendre compte : il les fourre tous dans le même sac pour les jeter par-dessus bord en bloc, ce qui est évidemment beaucoup plus expédient. J'ai tenté pour ma part de faire le départ entre pédérastes selon l'acceptation grecque du mot : amour des garçons, et les invertis, mais on n'a consenti à y voir qu'une discrimination assez vaine, et force m'a été de me replier.
A. GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1242.
• 206. Felicitas et Élisabeth! Elles ont d'abord de l'aversion l'une pour l'autre — crac! Cela tourne, et voilà qu'elles éprouvent une tendresse, un désir, un amour insurpassables, elles ne peuvent s'éloigner l'une de l'autre, se détacher pendant une minute, et au bout de huit jours elles dorment ensemble.
P.-J. JOUVE, Aventures de Catherine Crachat, Hécate, Paris, Mercure de France, 1963, p. 81.
4. [L'inceste] :
• 207. ... une soûlerie de l'or dont l'ivresse croissante l'emportait, lui faisait, le corps de sa femme Angèle à peine froid, vendre son nom pour avoir les premiers cent mille francs indispensables, en épousant Renée, puis l'amenait plus tard, au moment d'une crise pécuniaire, à tolérer l'inceste, à fermer les yeux sur les amours de son fils Maxime et de sa seconde femme, dans l'éclat flamboyant de Paris en fête.
É. ZOLA, Le Docteur Pascal, 1893, p. 109.
• 208. ... ils étaient beaux, non coupables, presque rituels. Certes le Jean-Baptiste couchait avec ses filles, au moins la fille aînée, et un tel amour avait comme toutes les choses sacrilèges un aspect particulièrement brillant, fulgurant, à travers la beauté du soir, dans le lieu religieux et pauvre et sans routes, où les grandes palmes abritaient la nécessité et la commodité profondes.
P.-J. JOUVE, La Scène capitale, 1935, p. 178.
5. [L'amour considéré comme attachement d'un être à soi-même]
a) [L'amour est princ. moral] L'amour légitime ou exagéré de soi (cf. amour-propre) :
• 209. Par ces sensations, l'homme, tantôt détourné de ce qui blesse ses sens, et tantôt entraîné vers ce qui les flatte, a été nécessité d'aimer et de conserver sa vie. Ainsi, l'amour de soi, le désir du bien-être, l'aversion de la douleur, ont été les lois essentielles et primordiales imposées à l'homme par la nature même; ...
C.-F.-CH. DE VOLNEY, Les Ruines, 1791, p. 40.
• 210. Me voilà donc avec deux amours et deux tendances, dont vous ne me démontrez nullement l'harmonie possible : savoir, d'une part l'amour de moi-même ou du moi, ou l'égoïsme; et d'autre part, l'amour du prochain ou du non-moi, ou la charité. Et ces deux amours sont aussi saints l'un que l'autre. Car si vous me dites que l'amour du prochain est saint aux yeux de Dieu, il est évident aussi que l'amour de moi-même est nécessaire, et par conséquent légitime et saint aux yeux du créateur de toutes choses.
P. LEROUX, De l'Humanité, t. 1, 1840, p. 198.
• 211. Quand l'homme cessera d'aimer son corps de singe (dans la première espèce) et d'espérer l'éternité de sa mesquine personne, il sera libre des superstitions paradisiaques et des peurs infernales. Ce qu'il faut détruire, c'est l'amour de soi, de sa personnalité, de son cher individu.
A. DE VIGNY, Le Journal d'un poète, 1862, p. 1374.
• 212. Cette sensibilité morale a quatre genres, et son deuxième genre, « désirs moraux », se divise en cinq espèces, et les phénomènes de quatrième genre, « affection », se subdivisent en deux autres espèces, parmi lesquelles l'amour de soi, « penchant légitime, sans doute, mais qui, devenu exagéré, prend le nom d'égoïsme ».
G. FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, t. 2, 1880, p. 94.
• 213. L'égoïsme, en effet, pour l'homme vivant en société, comprend l'amour-propre, le besoin d'être loué, etc.; de sorte que le pur intérêt personnel est devenu à peu près indéfinissable, tant il y entre d'intérêt général, tant il est difficile de les isoler l'un de l'autre. Qu'on songe à tout ce qu'il y a de déférence pour autrui dans ce qu'on appelle amour de soi, et même dans la jalousie et l'envie! Celui qui voudrait pratiquer l'égoïsme absolu devrait s'enfermer en lui-même, et ne plus se soucier assez du prochain pour le jalouser ou l'envier.
H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 91.
• 214. Le problème est (...) l'un de ceux où l'on semble avoir pris plaisir à amonceler les difficultés, en opposant l'une à l'autre deux conceptions de l'amour essentiellement irréductibles (...). D'une part, un amour conçu à la manière gréco-thomiste, fondé sur l'inclination naturelle et nécessaire des êtres à rechercher avant tout leur propre bien. Pour qui se réclame de cette conception physique, il y a une identité foncière entre l'amour de soi et l'amour de Dieu (...). La conception extatique, au contraire, postulerait l'oubli de soi comme condition nécessaire de tout amour véritable, de celui qui met littéralement le sujet « hors de lui-même » et libère en nous l'amour d'autrui de toutes les attaches qui semblent l'unir à nos inclinations égoïstes.
É. GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale, t. 2, 1932, p. 80.
b) [Le lien est passionnel] L'amour narcissique de soi :
• 215. LE NARCISSE. ... Mais je n'ai pour soif qu'une amour sans mélange Qui, ses yeux dans ses yeux, s'enivre de l'échange Entre soi-même et soi, des plus secrets souhaits ...
P. VALÉRY, Cantate du Narcisse, 1939, 3, p. 246.
• 216. La même révolution méthodique (...) nous oblige maintenant à prendre comme point de départ l'affectivité, en tant que visée objective de l'être, quitte à engendrer après coup de cette définition générale les moments où le sentiment se retourne sur le sujet, où l'instinct se fait conservation et l'amour narcissisme, ...
J. VUILLEMIN, Essai sur la signification de la mort, 1949, p. 92.
• 217. Il est déjà contradictoire avec l'intention aimante d'aimer l'amour à la place de l'aimé, comme il peut être contre-nature (quoique non pas contradictoire) d'aimer son propre égo.
V. JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 241.
C.— Cas partic.
1. [L'amour courtois]
a) [Comme notion hist.] :
• 218. Dans le siècle suivant, les troubadours donnèrent en chantant les leçons de la galanterie subtile, discrète et recherchée; de là ces tensons où d'amoureux chevaliers soutenaient la cause de leur belle; de là ces cours d'amours où les questions les plus arides, les plus compliquées de la métaphysique galante étaient sérieusement discutées; où les accusations publiques d'inconstance, de félonie envers sa dame étaient suivies d'arrêts quelquefois sanglans, publiés de la manière la plus solennelle, et exécutés dans toute leur rigueur.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 3, 1813, p. 6.
• 219. Par une fiction qui allait devenir de mode pendant plus d'un siècle, il représenta la dame de son choix comme une suzeraine féodale, dont il prétendait gagner les faveurs par sa soumission, par la fidélité et la ferveur de son service d'homme lige. Voilà née la notion, voilà né le sentiment de ce qu'on appellera l'amour courtois : une mystique nouvelle, une exaltation de l'âme qui, pour l'amour de la dame, ne rêve que d'atteindre aux perfections de la vertu chevaleresque et de la pureté du cœur, par lesquelles l'amant méritera sa récompense. Et voilà, du même coup, la femme passée au rang de juge.
E. FARAL, La Vie quotidienne au temps de saint Louis, 1942, p. 131.
b) [Comme réf. ou p. anal.] :
• 220. ... les caprices, les folies de l'amour charnel sont creusés, analysés, étudiés, spécifiés. On philosophe sur de Sade, on théorise sur Tardieu. L'amour est déshabillé, retourné : on dirait les passions passées au spéculum. On jette enfin, dans ces entretiens, — véritables cours d'amour du XIXe siècle, — les matériaux d'un livre qu'on n'écrira jamais et qui serait pourtant un beau livre : L'Histoire naturelle de l'amour.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1862, p. 1070.
• 221. C'est le même qui, à la grande-duchesse femme de Vladimir qui après dîner tenant une sorte de cour d'amour demandait : « Aimez-vous mieux avant, pendant ou après? » osa répondre : « J'aime mieux avant parce que après c'est pendant. »
M. BARRÈS, Mes cahiers, t. 9, 1911, p. 9.
• 222. Nous étions maintenant l'escorte habituelle de la jeune fille. Une dizaine, à peu près. Tous ceux qui l'approchaient, ceux auxquels elle parlait, ceux qui jouaient avec elle, formaient, autour d'elle, une sorte de cour d'amour; c'étaient ses chevaliers.
V. LARBAUD, Fermina Marquez, 1911, p. 41.
• 223. Au lieu d'attacher de hautes valeurs au désir d'un amour réel, dessiné, accompli et limité par là-même, on suspend les puissances amoureuses de l'adolescent à une sorte d'absolu sans forme, fait d'une exaltation de tous les incompossibles dans l'irréalisable. Denis de Rougemont a recherché aux sources de l'histoire de l'Occident, dans la tradition des Cathares et de l'amour courtois, d'Yseult à Dulcinée, la naissance du thème de l'amour impossible ou inaccessible. Celui-ci, quelle que puisse être la richesse des résonances qu'il développe en route, et quand bien même il ne croit pas tout à fait à son impossibilité, tue l'amour qu'il paraît exalter.
E. MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 152.
2. [L'amour humain transposé dans l'amour spirituel et vice-versa] :
• 224. Arrivé à une entière déréliction, le cœur de Madame Gervaisais, où l'adoration de la mère de Jésus était restée comme absente, ce cœur jusque-là sans prière à la patronne de son sexe, ce cœur pareil aux cœurs des illuminées dont l'amour semble un peu jaloux de cette sainte Vierge avec la jalousie naturelle de l'épouse pour la mère de l'époux, ce cœur implorait pour la première fois Marie « consolatrice des affligés ».
E. et J. DE GONCOURT, Madame Gervaisais, 1869, p. 272.
• 225. Ce Christ qui était en moi, ce Jésus que j'adorais et qui se fit ma chair, était l'apaisement! Il m'apportait la certitude. Il me disait que, grâce à lui, la mort n'est plus épouvantable, qu'il suffit de vivre selon ses désirs pour qu'elle devienne la porte des délices! Rien que pour cela je serais devenu son esclave. Je m'absorbai en lui. C'était entre nous de l'amitié, de l'amour sensuel, quelque chose d'inexprimablement tendre.
É. ESTAUNIÉ, L'Empreinte, 1896, p. 248.
• 226. De tout temps, la femme a dû inspirer à l'homme une inclination distincte du désir, qui y restait cependant contiguë et comme soudée, participant à la fois du sentiment et de la sensation. Mais l'amour romanesque a une date : il a surgi au moyen âge, le jour où l'on s'avisa d'absorber l'amour naturel dans un sentiment en quelque sorte surnaturel, dans l'émotion religieuse telle que le christianisme l'avait créée et jetée dans le monde. Quand on reproche au mysticisme de s'exprimer à la manière de la passion amoureuse, on oublie que c'est l'amour qui avait commencé par plagier la mystique, qui lui avait emprunté sa ferveur, ses élans, ses extases; en utilisant le langage d'une passion qu'elle avait transfigurée, la mystique n'a fait que reprendre son bien.
H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 39.
• 227. Il transportait, se parlant à mi-voix, par les champs, les collines, le langage de l'amour temporel, des vices même, des erreurs des hommes, sur le plan de l'amour divin. Les imaginations les plus dangereuses, ennoblies, illuminées par l'objet surnaturel qu'il leur donnait, trouvaient ainsi leur justification à ses yeux.
L. ARAGON, Les Beaux-quartiers, 1936, p. 67.
• 228. Qu'il s'agisse d'amour maintenant en haleine les cœurs ou d'impudente lascivité, qu'il s'agisse d'amour divin, partout autour de nous j'ai trouvé le désir tendu vers un être semblable : l'érotisme est autour de nous si violent, il enivre les cœurs avec tant de force — pour achever son abîme est en nous si profond — qu'il n'est pas de céleste échappée qui ne lui emprunte sa forme et sa fièvre. Qui d'entre nous ne rêve de forcer les portes du royaume mystique, qui ne s'imagine « mourant de ne pas mourir », se consumant, se ruinant d'aimer?
G. BATAILLE, L'Expérience intérieure, 1943, p. 185.
3. Argotismes
♦ Fille d'amour :
• 229. Fille d'amour : Prostituée exploitée par une autre prostituée (...) — « Nombre de prostituées possèdent plusieurs locaux où elles vont recevoir l'argent de leurs filles d'amour. » (Macé, [18]88).
L. LARCHEY, Dict. historique d'argot, Nouv. suppl., 1889, p. 103.
• 230. [En argot du « milieu » :] Fille d'amour : seconde femme avouée et vivant avec l'homme et sa régulière.
A. SIMONIN, J. BAZIN, Voilà taxi! 1935, p. 216.
♦ Remède contre l'amour :
• 231. Amour (remède contre l'). Femme très laide.
Ch.-L. CARABELLI, [Langue populaire].
♦ (Il) y a plus d'amour? Invitation plaisante, mais pressante adressée à quelqu'un pour qu'il reprenne sans tarder son activité
• 232. [Le patron de la troupe :] Alors, quoi, il y a plus d'amour? On n'en finit plus aujourd'hui de se caler les joues? Allons, en parade!
O. MÉTÉNIER, La Lutte pour l'amour, Études d'argot, 1891, p. 2.
• 233. Alors, quoi, y a plus d'amour! Encore ti es dedans le plumard?
MUSETTE, Cagayous poilu, conte de guerre, 1919, p. 14.
D.— Emplois méton.
1. Gén. emphatique. [Amour désigne l'obj. de l'amour]
a) [Un animé] C'est un amour :
• 234. Assurez la comtesse et Léontine que je les comprends dans mes souhaits pour ceux que j'aime, et que je les embrasse pour mes étrennes. Comment se porte le petit amour dont la santé vous inquiétait? Et sa mère, est-elle près du berceau? Parlez-moi de tout et de tous les vôtres, car tout et tous m'intéressent.
E. DE GUÉRIN, Lettres, 1841, p. 448.
• 235. ... une marchande de marée, qui préparait son étalage, regardait Olivier avec admiration.
— Regarde donc s'écria-t-elle en parlant à une commère, sa voisine, à qui elle désignait Olivier du doigt,
— regarde donc ce joli chérubin, Marie...
— Ah! quel amour! ... répondit sa voisine en élevant sa lanterne...
H. MURGER, Scènes de la vie de jeunesse, 1851, p. 201.
• 236. Il observa le petit taureau qui joyeusement chargeait le picador, forçait sur le fer. Ce taureau, quel bijou! un amour! comme on voudrait le tuer!
H. DE MONTHERLANT, Les Bestiaires, 1926, p. 421.
• 237. On alla chercher rue de la Source les deux petites Chappuy, Marthe et Louise; cours Léopold, Isabelle Contal et Louise de Praneuf, jolie comme un bijou, et dont la beauté devait devenir célèbre. Puis, rue Stanislas, Lucie de Landreville, grande, fine, distinguée; d'autres encore, et, pour finir, rue Montesquieu, la toute petite Nanine Lenglet, un amour fragile et délicieux. Elle était la fille du plus grand banquier de Nancy, et devait avoir cinq ans, je pense.
GYP, Souvenirs d'une petite fille, t. 2, 1928, pp. 91-92.
• 238. Edmond, seul, désœuvré, incapable d'accorder à la médecine, à la préparation du concours, une attention ailleurs accaparée, se persuada qu'il ne pourrait dormir, pensant son amour dans les bras du vieil homme d'affaires.
L. ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, p. 398.
• 239. Je fus inondée de bonheur à voir qu'elle me regardait avec plaisir. Elle s'écria : — C'est fou ce que vous lui ressemblez. Vous êtes un amour. Comme vous êtes jolie. Vous savez, vous êtes presque aussi bien que lui.
P. DRIEU LA ROCHELLE, Rêveuse bourgeoisie, 1939, p. 273.
— [Au plur.] :
• 240. ... clignant les yeux, elle [Désirée] murmurait à l'oreille d'Albine, comme si les bêtes avaient pu l'entendre;
— Sont-elles drôles, ces amours! Attendez, vous allez les voir manger.
É. ZOLA, La Faute de l'Abbé Mouret, 1875, p. 1457.
— En apostrophe. [En s'adressant à une pers. aimée d'amour-passion, plus rarement d'amour familial] Mon amour, mon cher amour, mon pauvre amour; m'amour :
• 241. Ça me fera bien de te voir, de m'appuyer la tête sur ton pauvre cœur plein de moi, de causer en regardant tes yeux. Adieu, chère amour, à bientôt, un long baiser sur tes lèvres.
G. FLAUBERT, Correspondance, 1852, p. 420.
• 242. ... ses transports s'augmentaient toujours, il aimait de toutes ses forces, il soupirait, sanglotait, riait; il lui fallait parler, au dedans de lui-même :
— ô mon amour, ô mon trésor, ma chère vie, ô mon bien unique; ô toi qui es ma joie, ma lumière : toi qui es seule, qui es tout; que j'aime, que j'aime, que j'adore...
É. BOURGES, Le Crépuscule des dieux, 1884, p. 243.
• 243. « Mais tu ne me dis rien » — disait-elle — « m'amour » — « J'aime tes yeux, tes lèvres... » répondait-il.
R. PONCHON, La Muse au cabaret, 1920, p. 297.
• 244. Dans la soirée, Daniel reçut le billet suivant : « Mon ami,
Mon amour unique, la tendresse, la beauté de ma vie!
Je t'écris ceci comme un testament. »
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, Le Cahier gris, 1922, p. 674.
• 245. — Mon pauvre chéri!... Mon pauvre amour!... Personne te croit plus à présent.
L.-F. CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 653.
• 246. Mais viens maintenant, je vais te prendre par la main, madame, viens avec moi, viens, mon amour, viens, mes délices, viens, iniquité.
P. CLAUDEL, Le Soulier de satin, 1944, 2e part., 9, p. 1080.
— Pop. [De la part d'un homme, pour interpeller au passage une pers. généralement inconnue de sexe fém.; cf. l'ami sous ami III A] Hé, l'amour!
• 247. Doutez-vous de ma flamme, en vous voyant si belle? Dis, l'amour, qui t'a fait l'œil si noir, ayant fait Le reste de ton corps d'une goutte de lait?
MUSSET, Œuvres complètes, Premières poésies, Les Marrons du feu, [1830], Paris, éd. du seuil, 1966, p. 55.
b) [Une chose] Chose digne d'être aimée. Ce chapeau est un amour :
• 248. Mlle Despeaux m'a envoyé un chapeau de paille d'Italie. C'est un amour! Je me suis bien gardée de dire à M. de Cormeil qu'il coûtait cinq cents francs. Nous en aurions eu pour une heure de morale...
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 3, 1813, p. 224.
• 249. ...la petite Bijou vient demain m'apporter une robe de chambre brodée, un amour; ils y ont passé six mois, personne n'aura pareille étoffe!
H. DE BALZAC, La Cousine Bette, 1846, p. 323.
c) Fam. [En antéposition expressive, mais avec une valeur sém. affaiblie] Un amour de bébé, de petit chien, de petit chapeau :
• 250. RIBALIER. — Cette Valentine, elle est adorable! Brochard ne mérite guère un amour de femme pareil.
É. ZOLA, Le Bouton rose, I, 3, 1878, p. 227.
• 251. ... on nous sert un traditionnel repas de poupées, dans de jolies petites tasses bleues, sur des amour de petits plateaux en laque.
P. LOTI, Japoneries d'automne, 1889, p. 124.
• 252. C'était un amour de petite fille, pâle et blonde et barbouillée au possible.
P. VERLAINE, Œuvres posthumes, t. 1, Histoires comme ça, 1896, p. 366.
• 253. À midi sonnant elle réintégrait le logis [Madame Gorgibus] pour en sortir à une heure, ... et promener sur les remparts ses trois chats blancs, trois amours de minets enrubannés de nœuds de satin.
J. LORRAIN, Contes pour lire à la chandelle, Madame Gorgibus, 1897, p. 52.
• 254. Il y a de quoi vous monter une jolie garde-robe, un trousseau convenable... prenez tout ça... Il y avait de tout, en effet... des corsets de soie, des bas de soie, des chemises de soie et de fine batiste, des amours de pantalons, de délicieuses gorgerettes... des jupons fanfreluchés... une odeur forte, une odeur de peau d'Espagne, de frangipane, de femme soignée, une odeur d'amour enfin se levait de ces chiffons amoncelés ...
O. MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre, 1900, p. 230.
• 255. ... j'aperçus, seul bibelot élégant dans cette chambre qui ne l'était guère, un amour de petit flacon ventru, en cristal recouvert d'une sorte de résille d'or.
GYP, Souvenirs d'une petite fille, t. 1, 1927, p. 227.
• 256. ... si vous étiez un amour d'homme, vous me consacreriez quelques minutes pour me donner les indications, ...
F. GALIPEAUX, Souvenirs, 1931, p. 165.
Rem. Comme le montrent les ex., le subst. compl. désigne souvent un être ou un obj. petit, jeune, etc.
2. [Amour désigne une personnification de l'amour]
a) [L'amour comme force personnifiée et quasi sacrée] Au nom de l'amour :
• 257. Ils ont arrêté un homme qu'on avait dénoncé comme vous ayant fait sauver, et sans mon caractère diplomatique ils ne me laisseraient pas en paix à cause de vous. Au nom de Dieu, de l'amour, de la raison, supportez quelques années d'obscurité. Vous reverrez votre mère, vous ferez le bonheur de votre pauvre amie : ...
G. DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1794, p. 78.
• 258. Ah! vieille idole de l'amour, qu'importe comment l'on t'adore! Dans les déréglements du corps, c'est toujours notre âme qui agit, et tourmentée de l'infini où elle voudrait s'amalgamer, entraîne, de bourbiers en bourbiers, son misérable compagnon. Mais le spasme une fois terminé, son cœur ne fut pas plus heureux; la convoitise de l'amour demeura en lui, tout aussi âpre. Non! Le plaisir ne comblait pas ce vide immense, qui le séparait d'avec sa maîtresse.
É. BOURGES, Le Crépuscule des dieux, 1884, p. 249.
• 259. C'était encore du « théâtre d'amour » que Julien Benda, comme un porto-riche, leur offrait, et si les êtres qui s'y heurtaient avec une frénétique violence n'étaient point des amants acharnés à se meurtrir, c'était, dans un âpre duel, l'esprit — qui est mâle, qui a le goût des idées générales, le ressort de la force et de la liberté — et l'amour, qui est femelle, puissance de « faiblesse » et de « vassalité », l'amour « pour moi tout le monde est bon ». Voilà les deux personnages résolument séparés et hostiles qu'il mettait aux prises comme Baal et Astarté.
H. MASSIS, Jugements, t. 2, 1923, pp. 222-223.
• 260. ... le sacrifice qu'Iphigénie doit consentir à l'amour filial, la fille du commandeur l'accomplit pour apaiser la divinité à la fois plus intime, plus générale et en un mot plus tragique de l'amour.
J. VUILLEMIN, Essai sur la signification de la mort, 1949, p. 170.
• 261. Pour supporter d'être ainsi dédaigné, à qui demander secours sinon à l'amour et à la mort? À l'amour, pour qu'il adoucisse ton cœur cruel jusqu'à me consentir quelque faveur ou à la mort pour qu'elle achève ma vie. Mais la mort ne sait et l'amour ne veut. Suspendu entre vie et mort, je ne sais quel parti prendre. L'amour ne m'obtiendra jamais tes faveurs...
A. CAMUS, Le Chevalier d'Olmedo, adapté de F. Lope de Vega, 1957, p. 734.
b) MYTH. ou LITT. et ARTS ALLÉGORIQUES. Le dieu amour, l'enfant amour :
• 262. L'Amour n'ose troubler la paix de ce rivage. Leurs modestes regards ont, loin de leur bocage, Fait fuir ce dieu cruel, leur légitime effroi. Chastes muses, veillez, veillez toujours sur moi. Non, non, le dieu d'amour n'est point l'effroi des muses.
A. CHÉNIER, Bucoliques, L'Amour, 1794, p. 27.
• 263. C'est dans ces lieux charmans qu'arrive la jeune nymphe pour se désaltérer. Elle boit, sans s'en douter, la liqueur délicieuse que Bacchus fait couler pour elle. Sa douceur la charme, et bientôt elle en ressent les étonnans effets. Elle s'aperçoit que ses yeux s'appesantissent, que sa tête tourne, que ses pas chancelent. Elle se couche et s'endort. L'Amour la voit, avertit Bacchus, et revole aussitôt dans l'Olympe, après avoir écrit sur les feuilles du printems : « Amant, couronne ton ouvrage tandis qu'elle dort. Point de bruit, de peur qu'elle ne s'éveille. »
Ch.-F. DUPUIS, Abrégé de l'origine de tous les cultes, 1796, pp. 225-226.
• 264. Dans les petites espèces tout au moins, et notamment dans le moineau, la fauvette, la mésange, le rouge-gorge, le pinson, le signe de l'amour est ce même tremblement de l'aile que l'on voit en l'oisillon. L'enfance revient ici, par le besoin que l'amour a du semblable. Ainsi l'antique image de l'Amour enfant est encore plus juste qu'on ne voudrait le croire. Qui aime redevient enfant, et se signifie à lui-même, par d'anciens signes, et bien émouvants pour lui, qu'il est de nouveau au nid et en dépendance.
ALAIN, Propos, 1925, p. 662.
• 265. ... ce qui est certain, c'est que l'Europe est surpeuplée, que le monde le sera bientôt, et que si l'on ne « rationalise » pas la production de l'homme lui-même comme on commence à le faire pour son travail, on aura la guerre. Nulle part il n'est plus dangereux de s'en remettre à l'instinct. La mythologie antique l'avait bien compris quand elle associait la déesse de l'amour au dieu des combats. Laissez faire Vénus, elle vous amènera Mars.
H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 309.
• 266. Sais-tu comment j'interprète le mythe de Psyché? L'Amour s'envole, tout est détruit, parce que Psyché a contemplé l'Amour pendant qu'il dormait. Cela veut dire qu'il ne faut jamais toucher à une âme quand elle est découverte et sans défense. Comme on est vulnérable, dans ces moments-là! C'est le moment où l'on s'enrhume, — où un mets pas très frais vous empoisonnerait, — où on bafouillerait si on était devant un tribunal, — où votre esprit s'embrumerait si on avait une décision à prendre.
H. DE MONTHERLANT, Malatesta, 1946, IV, 9, p. 528.
— En partic. Eros, Cupidon :
• 267. Quand la belle Vénus, sortant du sein des mers,
Promena ses regards sur la plaine profonde,
Elle se crut d'abord seule dans l'univers;
Mais près d'elle aussitôt l'Amour naquit de l'onde.
Vénus lui fit un signe, il embrassa Vénus
Et, se reconnoissant sans s'être jamais vus,
Tous deux sur un dauphin voguerent vers la plage.
Comme ils approchoient du rivage,
L'Amour, qu'elle portoit, s'échappe de ses bras,
Et lance plusieurs traits en criant : terre! terre!
Que faites-vous, mon fils? lui dit alors sa mere.
Maman, répondit-il, j'entre dans mes états.
J.-P. C. DE FLORIAN, Fables, L'Amour et sa mere, 1792, pp. 131-132.
• 268. Toi, chrétien, tu ignores peut-être que l'Amour est fils de Vénus, qu'il fut nourri dans les bois du lait des bêtes féroces, que son premier arc étoit de frêne, ses premières flèches de cyprès, qu'il s'assied sur le dos du lion, sur la croupe du centaure, sur les épaules d'Hercule, qu'il porte des ailes et un bandeau et qu'il accompagne Mars et Mercure, l'éloquence et la valeur?
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Martyrs, t. 2, 1810, p. 156.
• 269. ... Mais voici que le cruel Amour,
Ayant tendu son arc les frappa tour à tour
De ses flèches de feu. Les nymphes éperdues,
Quittant le lac, au loin sur les roches ardues
Couraient, folles, sentant brûler leurs seins meurtris,
Arrachant leurs cheveux touffus, poussant des cris,
Ne sachant plus où fuir l'épouvantable outrage,
Et se roulaient dans l'herbe avec des pleurs de rage.
L'enfant Éros, content de ce premier exploit,
Regarda les grands cieux qu'il menaça du doigt,
Et, sans vouloir entendre une plainte importune,
Entra dans l'univers pour y chercher fortune.
T. DE BANVILLE, Les Exilés, L'Éducation de l'amour, 1874, p. 72.
c) ARTS PLAST. (sculpt., peint.)
— Représentation plastique des précédents :
• 270. Le visiteur attendit dans le salon. Ce salon n'avait rien de remarquable et était comme tous les salons d'hôtel garni. Une cheminée avec deux vases de Sèvres modernes, une pendule avec un Amour tendant son arc, une glace en deux morceaux, de chaque côté de cette glace une gravure représentant, l'une Homère portant son guide, l'autre Bélisaire demandant l'aumône, ...
A. DUMAS Père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 138.
• 271. ... quand il [Bouchardon] exposa un amour taillant son arc dans la massue d'Hercule, on ne comprit pas qu'il eût à la mollesse potelée du Cupidon des peintres, préféré la souplesse élastique et maigre de l'adolescence.
L. HOURTICQ, Hist. générale de l'Art, La France, 1914, p. 185.
• 272. Un soir, en montant à sa mansarde, sa chandelle à la main, Mélanie vit sur sa porte un Amour dessiné à la craie; son arc et son carquois pendaient entre ses ailes, et, l'air suppliant, il heurtait de son petit poing la porte close.
A. FRANCE, Le Petit Pierre, 1918, p. 118.
• 273. Un peu partout, des statues d'une écœurante perfection. Le fameux Amour de Canova triomphe dans la grande salle du rez-de-chaussée. Éros est un fade jeune homme aux traits douceâtres; il tripote Psyché qui se pâme laidement sous ces caresses. Je me demande où s'arrête le bon ton dans ce genre d'ouvrage. À quel moment convient-il d'appeler la police?
J. GREEN, Journal, 1928-1950, p. 200.
— Gén. au plur. Motif décoratif représentant un ou plus souvent plusieurs enfants, symboles des désirs d'amour :
• 274. Pour aller à l'Escurial, nous louâmes une de ces fantastiques voitures chamarrées d'amours à la grisaille et autres ornements pompadour dont nous avons déjà eu l'occasion de parler.
T. GAUTIER, Tra los montes, Voyage en Espagne, 1843, p. 124.
• 275. Le héros, c'est l'amour même. Il ne naît pas. Il est trouvé. Sa mère (Vénus ou Léda?), qui sort de son bain, le voit là et l'admire, tombé du ciel. Sa sœur, la belle Marguerite, est saisie d'étonnement. Les amours, ses frères, voltigent, se culbutent dans les airs de la manière la plus hardie. L'un sonne de la trompette, l'autre semble jouer de la lyre. Tous célèbrent la gloire future du divin enfant. Tout rit, tout rayonne et tout chante. Quels chants? Voyez, sous le tableau, ces jolis petits bas-reliefs : ce sont des rêves de combat.
J. MICHELET, Journal, 1857, p. 364.
3. Au plur., rare. Amours désigne parfois les marques ou l'expression de l'amour. Synon. expressif de amitiés (cf. mamours) :
• 276. Lavater m'a écrit des amours pour toi de Zurich.
G. DE STAËL, Lettres diverses, 1794, p. 556.
• 277. Mon compagnon Laporte vous fait des m'amours... et vous trouve bien ingrat! Lui qui vous a envoyé, par mon canal, un si joli portrait. Tendresse à la chère maman.
G.FLAUBERT, Correspondance, 1877, p. 80.
Rem. M'amours est une graphie except. (inspirée par l'étymologie) pour l'usuel mamours.
V.— L'objet de l'amour est une catégorie d'êtres ou de choses ou une chose particulière, à quoi s'attache une certaine valeur.
A.— [Catégories d'êtres, entités, activité] Goût prononcé.
1. [L'obj. désigne une catégorie d'êtres ou de choses] L'amour des enfants, des bêtes, des beaux livres (cf. amateur) :
• 278. J'apprenais confusément, de routine, cette quantité de petits faits qui sont la science et le charme de la vie de campagne. J'avais, pour profiter d'un pareil enseignement, toutes les aptitudes désirables : une santé robuste, des yeux de paysan, c'est-à-dire des yeux parfaits, une oreille exercée de bonne heure aux moindres bruits, des jambes infatigables, avec cela l'amour des choses qui se passent en plein air, le souci de ce qu'on observe, de ce qu'on voit, de ce qu'on écoute, peu de goût pour les histoires qu'on lit, la plus grande curiosité pour celles qui se racontent; ...
E. FROMENTIN, Dominique, 1863, pp. 43-44.
• 279. — Je me méfie, dit le duc, des gens qui ont tant d'amour pour les bêtes : c'est souvent qu'ils reportent sur elles l'amour qu'ils n'ont pas pour les hommes. La mère aux chats est presque toujours une femme méchante. Et quel est le peuple qui a le plus fait pour propager une sensibilité sans contrôle en ce qui regarde les animaux? Le peuple anglais, le plus égoïste d'Europe, ...
H. DE MONTHERLANT, Les Bestiaires, 1926, p. 445.
• 280. Sûrement une bonne partie de notre amour et de notre respect pour les enfants est fait du remords des peines que nous leur avons infligées; par caprice (parce qu'ils étaient importuns et nous « mal lunés »); pour les corriger de petits défauts ou de mauvaises habitudes; par un mépris, trop clairement exprimé, de leur faiblesse et de leur « unreadiness », ou lenteur à comprendre. Mais on peut penser qu'ils se passeraient bien d'un amour et d'un respect acquis de cette façon!
V. LARBAUD, Journal, juin 1934, pp. 309-310.
• 281. De tous les beaux sujets de méditation que nous offre l'attitude du public à l'égard des œuvres littéraires, et notamment du roman, certainement un des plus beaux est l'admiration, l'amour unanime et sans réserves de ce public, par ailleurs si divisé, si fluctuant, si capricieux, pour les chefs-d'œuvre consacrés. Il s'agit, cela va sans dire, non des lecteurs qui admirent de confiance, sur la foi des connaisseurs, mais de ceux à qui ces œuvres paraissent être si familières qu'on est bien obligé de croire qu'ils trouvent à les fréquenter un réel plaisir.
N. SARRAUTE, L'Ère du soupçon, 1956, p. 127.
2. [L'obj. désigne une entité concr. ou abstr.] L'amour de la nature, de l'argent, de l'art, de la vérité :
• 282. Ce que les poètes, les orateurs, même quelques philosophes nous disent sur l'amour de la gloire, on nous le disait au collège pour nous encourager à avoir les prix. Ce que l'on dit aux enfants pour les engager à préférer à une tartelette les louanges de leurs bonnes, c'est ce qu'on répète aux hommes pour leur faire préférer à un intérêt personnel les éloges de leurs contemporains ou de la postérité.
CHAMFORT, Maximes et pensées, 1794, p. 25.
• 283. Le caractère de ces palais, c'est le caractère du peuple turc : l'intelligence et l'amour de la nature. Cet instinct des beaux sites, des mers éclatantes, des ombrages, des sources, des horizons immenses encadrés par les cimes de neige des montagnes, est l'instinct prédominant de ce peuple. On y sent le souvenir d'un peuple pasteur et cultivateur qui aime à se rappeler son origine, et dont tous les goûts sont simples et instinctifs.
A. DE LAMARTINE, Voyage en Orient, t. 2, 1835, p. 428.
• 284. Le génie de Venise respire tout entier dans [les Noces de Cana] (...) avec son amour du faste, son goût théâtral et décoratif, sa passion de lumière et d'éclat.
T. GAUTIER, Guide de l'amateur au Musée du Louvre, 1872, p. 40.
• 285. Daudet parlait de son amour de la solitude, disant qu'enfant, il lui arrivait de monter dans un arbre, pour être tout seul. Puis il remémorait ses joies intérieures dans les grandes plaines de la Camargue, avec leurs étendues violettes, la porte de feu de la cabane, les triangles d'oiseaux voyageurs dans le ciel, s'effarant devant cette porte éclairée...
E. et J. DE GONCOURT, Journal, juin 1888, p. 803.
• 286. Je ne veux pas haïr. Je veux rendre justice même à mes ennemis. Je veux garder au milieu des passions la lucidité de mon regard, comprendre tout et tout aimer. Mais Christophe, à qui cet amour de la vie, détaché de la vie, semblait peu différent de la résignation à mourir, sentait gronder en lui, comme le vieil Empédocle, un hymne à la haine et à l'amour frère de la haine, l'amour fécond, qui laboure et ensemence la terre. Il ne partageait pas le tranquille fatalisme d'Olivier; ...
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, p. 987.
• 287. Tous mes désirs étaient de beauté et je reconnus que cet amour de la beauté, que peu d'hommes ressentent et dont j'étais transporté, est une source jaillissante de plaisir et de joie.
A. FRANCE, La Vie en fleur, 1922, p. 482.
• 288. Me voici seul avec ton jeu d'échecs
Poésie, ô mon amour,
Meilleur que l'amour si triste
Quand il n'y a plus
Rien d'autre à faire que l'amour,
Quand il n'y a plus rien d'autre à faire
Que de ne plus faire l'amour.
J. COCTEAU, Poèmes, 1916-1923, p. 115.
• 289. On se tromperait pourtant en attribuant aux hommes du moyen âge l'amour de la science pour la science, ou, comme l'on aime à dire aujourd'hui, de la science « désintéressée ». Leur amour de la science est aussi désintéressé de fins pratiques que le nôtre peut l'être, et souvent davantage, mais la science des choses n'est pas pour eux une fin en soi.
É. GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale, t. 2, 1932, p. 37.
• 290. Je n'aime pas mes pauvres comme les vieilles Anglaises aiment les chats perdus, ou les taureaux des corridas. Ce sont là manières de riches. J'aime la pauvreté d'un amour profond, réfléchi, lucide — d'égal à égal — ainsi qu'une épouse au flanc fécond et fidèle.
G. BERNANOS, Journal d'un Curé de campagne, 1936, p. 1079.
• 291. Désiré Maisonneuve possédait, à l'état brut, l'amour de la peinture — ce goût particulier qui n'a rien à faire avec la culture, ni avec le culte du passé et qui est comme un flair spécial, une sorte de finesse qu'on peut rencontrer chez des êtres fort simples et dont sont dépourvus pas mal d'intellectuels et de gens distingués.
A. LHOTE, Peinture d'abord, 1942, p. 24.
Rem. 1. Le compl. est except. un infinitif :
• 292. Un beau soleil doré chauffait doucement les pierres jaunes du cloître (...) Dans une heure, une minute, une seconde, maintenant peut-être, tout pouvait crouler. Et pourtant le miracle se poursuivait. Le monde durait (...) Un équilibre se poursuivait, coloré pourtant par toute l'appréhension de sa propre fin. Là était tout mon amour de vivre : une passion silencieuse pour ce qui allait peut-être m'échapper, une amertume sous une flamme.
A. CAMUS, L'Envers et l'endroit, 1937, p. 112.
Rem. 2. Autres syntagmes fréq. l'amour du beau, du devoir, de l'honneur, de la justice, de l'ordre, de la paix, de la poésie, de la religion, du silence, de la vertu.
3. [L'obj. désigne une activité ou un état résultant d'une activité] L'amour du travail bien fait :
• 293. Jérôme, qu'entraînoit l'amour de l'étude, alloit consulter le rivage où Pline fut la victime du même amour, interroger les cendres d'Herculanum, chercher la cause des bruits menaçants de la solfatare.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Martyrs, t. 1, 1810, p. 246.
• 294. Dès cette seconde entrevue, il me parla de son goût, de son amour pour l'exercice du patin; il paraît que chez lui c'était une espèce de manie, car ce fut aussi une des premières choses dont il s'entretint avec Goethe.
Ch.-J. DE CHÊNEDOLLÉ, Extraits du journal, 1822, p. 120.
• 295. ... ils [les paysans] achèvent d'y pervertir [à la ville] les sentiments de dignité que donne l'amour du travail, et plus vos machines les nourriront, plus ils se dégraderont!
E. DELACROIX, Journal, t. 2, 1856, p. 53.
— [Avec une coloration affective] (Faire une chose) avec amour. Avec tout le soin qu'inspire un grand amour du travail bien fait :
• 296. ... M. Zola est un chiffonnier moral, un égorgeur platonique; il dissèque avec amour les chairs fumantes; l'odeur du sang, l'aspect des plaies béantes (...) tout cela a pour lui des attraits non pareils [à propos de Th. Raquin]...
F. OSWALD, Le Gaulois, [À propos de Zola], 13 juill. 1873.
• 297. La machine n'est mauvaise que dans son mode d'emploi actuel. Il faut accepter ses bienfaits, même si l'on refuse ses ravages. Le camion, conduit au long des jours et des nuits par son transporteur, n'humilie pas ce dernier qui le connaît dans son entier et l'utilise avec amour et efficacité.
A. CAMUS, L'Homme révolté, 1951, p. 364.
Rem. La frontière entre A2 et A3 n'est pas rigoureuse, les subst. abstr. pouvant aussi désigner des activités et vice-versa.
B.— [L'obj. désigne une chose ou un être au singulier] :
• 298. ... il m'avouait alors tout bas sa détestation de Rossini et son amour pour Gluck. Il s'étendait en lamentations sur la décadence de l'art et surtout sur ces gargarismes de notes destructeurs du chant dramatique : ...
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 62.
• 299. Mais Ingres m'inspirait un sentiment plus fort : l'amour. Je savais bien que son art était trop haut pour être accessible et je me savais gré de l'avoir pénétré. L'amour fait seul de ces miracles. Je comprenais ce dessin qui atteint la parfaite beauté en serrant de près la nature, j'aimais cette peinture la plus sensuelle et la plus voluptueuse de toutes avec une gravité magnifique.
A. FRANCE, La Vie en fleur, 1922, p. 446.
• 300. L'impartialité historique est une duperie. L'historien véritable n'est point greffier, mais poète. Il se prend d'amour pour Anne de Boleyn, de haine pour Jane Seymour. S'il ressuscite Philippe II, c'est dans l'âpre dessein de le châtier. Peindre, n'est-ce pas s'assouvir?
G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, p. 148.
Rem. Comme le montrent les ex., la prép. qui introduit le compl. est tantôt de, tantôt pour, de servant à transposer au plan nominal le verbe aimer (qqc.), pour au contraire transposant le syntagme éprouver de l'amour (pour qqn); d'où la moindre force expr. de la première constr., et au contraire une valeur d'intérêt quasi passionnel qui s'attache à la seconde.
VI.— [L'amour s'attache à des êtres vivants autres que l'homme : animaux et (plus rarement) plantes]
A.— [Expression analogue à l'expression de l'amour humain]
1. [Entre animaux] :
• 301. Mais l'oiseau, je le soutiens, est l'être supérieur dans la création. Son organisation est admirable. (...) Il a des instincts d'amour conjugal, de prévision et d'industrie domestique; son nid est un chef-d'œuvre d'habileté, de sollicitude et de luxe délicat. C'est la principale espèce où le mâle aide la femelle dans les devoirs de la famille, et où le père s'occupe, comme l'homme, de construire l'habitation, de préserver et de nourrir les enfants.
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 1, 1855, pp. 16-17.
• 302. Hélas! elle [l'araignée] est solitaire. Sauf quelques espèces (mygales) où le père aide un peu la mère, elle n'a nul secours à attendre. Le mâle, après l'amour, est plutôt un ennemi. Cruels effets de la misère! Il s'aperçoit que ses enfants peuvent être un aliment. Mais la mère, plus grosse que lui, fait la même réflexion, pense que le mangeur est mangeable, et parfois croque son époux.
J. MICHELET, L'Insecte, 1857, p. 222.
• 303. On donne trois oies à un jars. On les accouple du mois de novembre au mois de mai. Les oies ont besoin d'espace et d'eau pour leurs amours. Elles vont au loin, côte à côte, errer au soleil adouci de l'automne. Elles suivent les allées de vignes dépouillées, les jachères où les herbes rares verdissent encore, face à l'astre couchant, comme pour suivre jusqu'au bout la lumière. En chemin elles devisent, elles flirtent tour à tour avec leur jars, le frôlent et l'excitent. Mais le jars n'aime que dans l'eau.
J. DE PESQUIDOUX, Chez nous, t. 1, 1921, p. 44.
2. [Entre végétaux] :
• 304. Cependant toutes les amours des plantes ne sont pas également tranquilles; il en est d'orageuses, comme celles des hommes, il faut des tempêtes pour marier sur des hauteurs inaccessibles le cèdre du Liban au cèdre du Sinaï...
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Fragments du Génie du Christianisme primitif, 1800, p. 193.
B.— Expression spécifique : les relations sexuelles des animaux. La saison des amours, entrer en amour :
• 305. Dans le temps des amours, les mâles et les femelles se présentent et se reconnaissent de loin, par l'intermède des esprits exhalés de leurs corps, qu'anime, durant cette époque, une plus grande vitalité.
P. CABANIS, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 2, 1808, p. 339.
• 306. Le renne du nord cherche sa femelle à l'équinoxe de septembre, parce que c'est à cette époque que les neiges sont tout à fait fondues dans les régions boréales, et qu'ayant d'abondantes pâtures, il acquiert une surabondance de vie. Comme il est fait pour vivre aux dernières limites de notre globe habitable, il entre en amour à la fin de notre année hémisphérique.
J.-H. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, p. 321.
• 307. Vint la saison de l'amour. Sur les pas des hermelines en folie, Goupil reniflait de voluptueuses odeurs qui faisaient claquer ses mâchoires et mettaient en feu son sang. Tout son être alors vibrait du grand courage nécessaire pour les luttes qui suivaient la parade nuptiale dont elles n'étaient que la forme suprême, ...
L. PERGAUD, De Goupil à Margot, 1910, p. 52.
• 308. La corneille est partie courir ses amours d'automne, mais elle rejoint parfois son ami en pleine campagne avec des gaietés cocasses, en se laissant tomber du haut des nuages.
J. DE LA VARENDE, Contes fervents, L'Homme aux gants de toile, 1943, p. 80.
Rem. Pour les végétaux, l'expression est anal. à celle des animaux :
• 309. ... une plante ne voit, n'entend et ne se meut point comme un animal; mais elle a comme lui ses amours, sa postérité, sa tribu.
J.-H. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, p. 56.
• 310. La sève qui montait aux flancs des arbres les pénétrait, eux aussi, leur donnait des désirs fous de croissance immédiate, de reproduction gigantesque. Ils entraient dans le rut de la serre. C'était alors, au milieu de la lueur pâle, que des visions les hébétaient, des cauchemars dans lesquels ils assistaient longuement aux amours des palmiers et des fougères; ...
É. ZOLA, La Curée, 1872, p. 487.
VII.— Emplois techn.
A.— BOT. Amour en cage. Synon. de alkékenge, coqueret (cf. Botanique, 1960, p. 939, encyclopédie de la Pléiade) :
• 311. ... le coqueret ou amour en cage (Physalis alkekengi) dont le calice s'accroît largement autour du fruit, ...
L. PLANTEFOL, Cours de botanique et de biologie végétale, t. 2, 1931, p. 423.
B.— GASTR. Puits d'amour. Gâteau de pâte feuilletée dont le milieu découpé en creux est garni de gelée, de crème etc. :
• 312. ... des cornets à la crème, des meringues, des millefeuilles, des gâteaux fourrés au chocolat ou semés d'amandes, de cannelle, de vanille, d'angélique, de guignes confites, saupoudrés ou glacés de sucre, des babas au rhum, des puits-d'amour — j'avais dévalisé la boutique, et c'était une belle confiserie parisienne!
B. CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 259.
C.— HORTIC. (notamment méridionale) Pomme d'amour. Tomate :
• 313. Bouvard planta une pivoine au milieu du gazon et des pommes d'amour qui devaient retomber comme des lustres, sous l'arceau de la tonnelle.
G. FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, t. 1, 1880, p. 24.
• 314. Maintenant, je fais les haricots, les lentilles. Je suis allé jusqu'à me louer pour ramasser des pastèques. Même, je vous le dis, à vous : un jour de la semaine dernière j'ai trié des pommes d'amour chez un revendeur espagnol.
J. GIONO, Un de Baumugnes, 1929, p. 218.
D.— IMPRIMERIE :
• 315. Le rouleau doit présenter aussi un mordant particulier qui s'appelle amour.
E. LECLERC, Nouveau manuel complet de typographie, 1932, p. 530.
E.— MUS. Flûte, hautbois, viole d'amour :
• 316. Les orgues modernes allemandes, américaines, anglaises baptisent des noms de clarabella, melodia, melodica, philomela, f[lûte] d'amour, f[lûte] amabile, des variétés plus ou moins distinctes des mêmes jeux [de flûte]...
M. BRENET, Dict. pratique et historique de la musique, 1926, p. 160.
• 317. L'ancienne viole d'amour était pourvue, comme le violon, de quatre cordes...
MAIGNE, MAUGIN, Nouveau manuel complet du luthier (encyclopédie Roret), 1929, p. 307.
• 318. Le hautbois d'amour, très employé du temps de Bach, est construit comme le cor anglais, mais à la tierce mineure grave du hautbois dont il a le doigté, ou à la tierce majeure aiguë du cor anglais; il est donc en la. Sa note la plus grave est sol (...).
H. BOUASSE, Instruments à vent, 1930, p. 81.
Rem. gén. 1. Étant donnée l'étendue du champ d'application sém. que recouvre le mot amour, on ne s'étonnera pas que plusieurs loc. se rencontrent dans des rubriques différentes avec des valeurs diverses selon les cont. ou les domaines. Ainsi avec amour (cf. II A 2; V A 3); en amour (cf. IV A 1 b; VI B); par amour (cf. II A 2; IV A 2); pour l'amour de (cf. I C 2; IV A 2). 2. Le genre. Amour est normalement masc. au sing.; au sing. et au plur. dans les emplois groupés supra IV D sous le tiret emplois métonymiques. Quand il désigne la passion amoureuse, le fém. se rencontre au sing. (par archaïsme ou affectation littér., et dans la lang. pop. ou fam. par ex. pour le syntagme la grande amour, cf. aussi ex. 241); il est habituel au plur., mais le masc. s'y répand de plus en plus. Souvent les écrivains modernes marquent le genre en choisissant des épithètes ou des adj. pronominaux qui ne font pas la distinction du genre (étranges; vos, tes amours, etc.). 3. a) Le compl. qui suit le mot amour est habituellement introduit par la prép. de s'il s'agit d'exprimer la pers. qui aime, par la prép. pour (plus rarement envers) s'il s'agit d'exprimer la pers. objet de l'amour (la pers. aimée) : l'amour d'une mère pour son enfant. Il en est de même pour la valeur des adj. possessifs : mon amour « l'amour que j'éprouve pour telle pers. » Lorsque mon, ton, etc. déterminent amour employé pour désigner une pers., l'adj. possessif a valeur habituelle devant nom commun ou propre de pers.; b) Lorsqu'il s'agit d'un compl. désignant une entité spirituelle ou morale dont on attend moins spontanément une initiative d'amour, de exprime le plus fréquemment l'objet de l'amour : l'amour de Dieu, du prochain, du prince, de la patrie, de l'humanité. La construction a) apparaît dès que la personnalité de cette entité s'accuse : l' amour de Dieu pour ses créatures.; c) L'adj. déterminatif-distinctif qui accompagne amour a valeur de sujet dans le cas a) (amour maternel « amour que la mère éprouve pour ses enfants »); dans le cas b) il a valeur d'objet (amour divin « amour pour Dieu »), ou plus généralement valeur de réciprocité (l'amour humain :des êtres humains entre eux).
Prononc. ET ORTH. — 1. Forme Phon. :[]. 2. Homon. : amour (ichtyol.; cf. Lar. encyclop.). — Rem. 1. Gramm. Lar. 1964, § 249 écrit : ,,Amour, après avoir longtemps hésité entre les deux genres, est considéré par les grammaires classiques comme masculin au singulier et féminin au pluriel. Le genre masculin semble aujourd'hui se généraliser pour les deux nombres`` (cf. aussi LITTRÉ, rem. et GREV. 1964, § 253). Rem. 2. LITTRÉ note que : ,,l'ancien français avait un excellent substantif, amorie, substantif féminin, pour exprimer le règne d'amour, les choses d'amour``. Il juge regrettable la disparition de ce mot.
Étymol. ET HIST. — 1. a) 842 subst. fém. « sentiment d'affection profonde (pour qqn) » (Serm. de Strasb., I, 1 ds GDF. Compl. : Pro deo amur); 1271 pour l'amour de Dieu « gratuitement » (E. BOILEAU, Liv. des mest., 2e p., II, 92, ibid. : O li preste beste ou charete pour amor Dieu ou pour son amor de lui); b) 1172 spéc. « passion d'un sexe pour l'autre » emploi abs. (CHRÉT. DE TROYES, éd. M. Roques, IV, Chevalier au Lion, 140 : Ne por lui ne lessiez a dire Chose qui nos pleise a oïr Se de m'amor volez joïr); c) 1623 « sentiment d'attachement (pour qqc.) » (COEFFETEAU, Hist. romaine, liv. I ds Dict. hist. Ac. fr. t. 2 1884, p. 565 : Cela fait voir que ce fut une pure amour de la République ... qui lui fit [à Auguste] conseiller à Tibère et au Sénat de se contenter de l'estendue de leur Empire); d) loc. diverses, fig. début XIIIe s. terre en amour « terre dans un état de fermentation propre à la végétation » (Elie de St Gilles, 1372 ds T.-L. : Le blé nous fait sourdre de la terre en amour); fin XVIe s. faire l'amour à « courtiser » (L'ESTOILE, Mém., 1re p., p. 114 ds GDF. Compl. : Tous deux faisoient l'amour a la fille du dit seingneur de la chapelle pour l'espouser); 1606 être en amour « être en chaleur (en parlant des animaux) » (NICOT : Estre en amour, se dit des oiseaux quand ils sont en chaleur et desirent s'apparier pour faire des petits); 2. fin XIIe-début XIIIe s. « objet aimé (en parlant de qqn ou qqc.) » (Aucassin et Nicolette, 27, 4 ds T.-L. : Entre ses bras ses amors Devant lui sor son arçon), d'où au fig., loc. proverbiale 1611 Il n'y a point de laides amours, ni de belles prisons (COTGR.); 1690 remède d'amour, se dit d'une femme fort laide (FUR.); 1718 Froides mains, chaudes amours, pour dire que la fraîcheur des mains marque d'ordinaire un tempérament chaud (Ac.). Rem. :le plus souvent fém. en a. fr. amour devient masc. aux XVIe et XVIIe s. sous l'influence du genre lat.; 3. 1680 Amour « nom donné à la divinité fabuleuse qui, selon les poètes, préside à la passion de l'amour » (RICH. t. 1 : Amour. Dieu qu'on peint avec des aîles, un carquois, des flèches et un bandeau sur les yeux); 4. technol. a) 1751 fauconn. (Encyclop. t. 1 : Amour a son accept. en Fauconn. : on dit voler d'amour, des oiseaux qu'on laisse voler en liberté, afin qu'ils soûtiennent les chiens); b) 1752 bot. pomme d'amour « tomate » (Trév. : Pomme d'amour. C'est le fruit d'une espèce de morelle); c) 1771 peint. (Trév. :On dit [...] qu'une toile a de l'amour, pour dire, qu'elle a un petit duvet qui la rend propre à recevoir la colle et à s'attacher fortement à la couleur).
Empr. au lat. amor, attesté au sens 1 a (l'obj. de l'amour est une pers.) dep. Plaute (Amph., 841 ds TLL s.v., 1968, 70 : parentum amorem et cognatum concordiam); cf. lat. chrét. chez St Augustin (Ciu., 14, 28 ds BLAISE : fecerunt civitates duas, amores duo, amor sui, amor Dei); 1 b dep. Ennius (Trag., 213, ds TLL, ibid., 21 : Medea, animo aegra, amore saevo saucia); 1 c (l'obj. de l'amour est un inanimé) dep. Plaute (Curc., 357, ibid., 1970, 10 : invocat Planesium : meosne amores?); au sens 3 (gr. Eros) dep. Plaute (Bacch., 115, ibid., 1973, 26 : Amor, Voluptas, Venus); l'évolution phonét. rég. aboutit à ameur, forme attestée en a. fr. au sens de « rut » (début XVe s., MARTIN LE FRANC, Champion des dames, cité par A. Thomas ds Romania t. 44, p. 322); la forme amour représente un développement dial. propre à la Champagne orientale, centre comtois de grande importance (FOUCHÉ t. 2 1958, p. 307) — ou est due à une influence de l'a. prov. (dep. XIIe s., RAYN.) étant donné le rayonnement des troubadours.
STAT. — Fréq. abs. litt. :41 091. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 69 831, b) 55 347; XXe s. : a) 51 921, b) 54 285.
BBG. — ALLMEN 1956. — Amour, délice et orgue. Vie Lang. 1956, n° 49, pp. 174-175. — ANNUAL CONFERENCE OF THE CENTER FOR MEDIEVAL AND EARLY RENAISSANCE STUDIES 1. 1967. State Univ. of New York at Bringhamton. — The Meaning of courtly love ... Ed. by F. X. Newman. Albany, 1968. x-102 p. — ANTOINE (G.). Le « mot » agent de cristallisation psychologique chez Stendhal. In :[Mélanges Väänänen (V.)]. Neuphilol. Mitt. 1965, t. 66, n° 4, pp. 429-430. — BACH-DEZ. 1882. — BAILLY (R.) 1969 [1946]. — BAL.-MAQ. 1968. — BAR 1960. — BASTIN 1970. — BAUDR. Chasses 1834. — BÉL. 1957. — BÉNAC 1956. — BERTR.-LAPIE Vocab. 1970. — BOISS.8. — BONNAIRE 1835. — BOUYER 1963. — BRUANT 1901. — BRUNET (L.). L'Amour peut-il avoir mauvais genre? Déf. Lang. fr. 1970, n° 52, pp. 29-31. — BURGESS (G. S.). Contribution à l'étude du vocabulaire pré-courtois. Genève, 1970, 187 p. — Canada 1930. — CHABAT t. 1 1875. — COLIN 1971. — DAIRE 1759. — DAUZAT Ling. fr. 1946, p. 18, 20, 44. — DHEILLY 1964. — DUCH. Beauté 1960, p. 109, 166. — DUP. 1961. — ERNOUT (A.). Philologica. 2. Paris, 1957, p. 42, 101, 110. — FÉR. 1768. — Foi t. 1 1968. — FOULQ-ST-JEAN 1962. — Français (Le) au Canada. Vie Lang. 1969, n° 202, pp. 48-49. — FRANCK 1875. — FRAPPIER (J.). D'Amors, par amors. Romania. 1967, t. 88, n° 4, pp. 433-474. — FRAPPIER (J.). Notes lexicologiques. In :[Mélanges Boutière (J.)]. Liège, 1971, t. 1, pp. 243-252. — FRIES t. 1, 1965. — GALL. 1955, p. 60, 96. — GIRARD 1756. — GOBLOT 1920. — GOUG. Mots t. 1 1962, p. 32. — GOUGENHEIM (G.). La Relatinisation du vocabulaire français. Annales de l'Université de Paris. 1959, t. 29, p. 8. — Gramm. t. 1, 1789. — GUIZOT 1864. — HANSE 1949. — IMBS (P.). De la fin'amor. Cahiers de civilisation médiévale. 1969, t. 12, pp. 265-285. — JULIA 1964. — KAHUNGU (C.). Le Thème de l'amour dans la poésie de L. S. Senghor. (Licence Bruxelles, 1965-1966). — KLUCKHOHN (P.). Die Auffassung der Liebe in der Literatur des 18. Jahrhunderts und in der deutschen Romantik. 2. Aufl. Halle (Saale), 1931, XIV-640 p. — LACR. 1963. — LAF. 1878. — LAFON 1969. — LAL. 1968. — LARCH. 1880. — LAV. Diffic. 1846. — LAVEDAN 1964. — LAZAR (M.). Amours courtois et fin'amors dans la littérature du XIIe siècle. Paris, 1964, 300 p. — LEDENT (G.). L'Amour dans l'œuvre d'Abel Bonnard. (Licence Louvain. 1966-1967). — LE ROUX 1752. — LITTRÉ-ROBIN 1865. — MACHABEY (A.). Remarques sur le lexique musical du De canticis de Gerson. Romania. 1958, t. 79, p. 178, 214, 215. — MAR. Lex. 1933. — MARCEL 1938. — MEAYENS (L.). Le Thème de l'amour lointain chez les premiers troubadours (status questionis) (Licence Gand. 1965-1966). — MEUNIER (J.). L'Amour dans l'œuvre romanesque de Roger Vailland. (Licence. Louvain 1966-1967). — MICHEL 1856. — MIQ. 1967. — Mots rares 1965. — NELLI 1968. — NOTER-LÉC. 1912. — OTTEN (R. T.). Amor, caritas and dilectio. Some observations on the vocabulary of love in the exegetical works of St. Ambrose? In :[Mélanges Mohrmann (C.)] Utrecht, 1963, pp. 73-83. — PIERREH. Suppl. 1926. — PIGUET 1960. — PLAIS-CAILL. 1958. — RIGAUD (A.). Ah! les mots d'amour... Déf. Lang. fr. 1971, n° 56, p. 8. — RIGAUD (A.). De Quelques pluriels. Vie Lang. 1965, n° 158, p. 297. — RUHE (D.). Amor in den altromanischen Minneallegorien. (Diss. Konstanz. 1968). — SAIN. Lang. par. 1920, p. 121, 255. — SANDRY-CARR. 1963. — Sexol. 1970. — SOMMER 1882. — ST-EDME t. 1 1824. — Synon. 1818. — Théol. bibl. 1970. — Théol. cath. t. 1, 1 1909. — THOMAS 1956. — TOURNEMILLE (J.). Au jardin des locutions françaises. Vie Lang. 1955, p. 194, 242, 243. — VERRIER (P.). Fr. amour « Mélilot ». Romania 1924, t. 50, pp. 591-592.
amour [amuʀ] n. m.
ÉTYM. 842, amur; amour, XIIe, sous l'infl. du provençal; du lat. amor.
❖
♦ Disposition favorable de l'affectivité et de la volonté à l'égard de ce qui est senti ou reconnu comme bon, comme objet de désir ou comme susceptible de satisfaire un besoin affectif (besoin diversifié selon l'objet qui l'inspire). ⇒ Affect, affection, attachement, inclination, passion, pulsion, tendance.
———
1 Disposition à vouloir le bien d'une entité humanisée (Dieu, le prochain, l'humanité, la patrie) et à se dévouer à elle. || L'amour de l'homme pour Dieu (répondant, dans la mystique chrétienne, à l'amour de Dieu pour les hommes). ⇒ Adoration, charité, dévotion, piété. || Amour céleste, mystique, spirituel. || Doctrine du pur amour. — REM. Le syntagme amour de Dieu, hors contexte, est ambigu (« amour pour Dieu » ou « amour que Dieu porte aux hommes »). Il en va de même pour amour divin. — ☑ Loc. Dieu est amour, tout amour (→ ci-dessous, cit. 2).
1 L'amour pour Dieu seul, considéré en lui-même et sans aucun mélange de motif intéressé, ni de crainte, ni d'espérance, est le pur amour ou la parfaite charité.
Fénelon, Maximes des saints.
2 Dieu est amour (…) la loi de Dieu est une loi d'amour.
F. de Lamennais, Paroles d'un croyant, 34-36.
2.1 Les goûts frivoles m'ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siècle des cœurs sensibles.
Rimbaud, Une saison en enfer, p. 33.
3 Cette délectation de l'amour divin (…)
F. Mauriac, la Pharisienne, 13.
3.1 L'amour de son Dieu, chez le sacristain, se fait amour de l'allumage des cierges.
Saint-Exupéry, Pilote de guerre, p. 46.
♦ ☑ Loc. (1172). Pour l'amour de Dieu : par amour pour Dieu, sans motif intéressé. || Laissez-moi, pour l'amour de Dieu !, je vous en supplie. ⇒ Grâce (de grâce).
♦ Par anal. || Pour l'amour de l'humanité.
4 Je te veux donner un louis d'or, et je te le donne pour l'amour de l'humanité.
Molière, Dom Juan, III, 2.
♦ (1755, J.-J. Rousseau, in D. D. L.). || Amour de la patrie. ⇒ Patriotisme. || L'amour de son pays. — Vx. || Amour patriotique.
5 Amour sacré de la patrie,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs (…)
Rouget de Lisle, la Marseillaise.
♦ L'amour du prochain, d'autrui. ⇒ Altruisme, dévouement, fraternité, philanthropie (→ Aimer, cit. 2, 3 et 4). || L'amour de l'humanité (→ ci-dessus, cit. 4).
♦ Absolt. Attitude positive, altruiste dans les relations entre humains. || Une société dure, sans amour.
♦ Vx. || L'amour du prince, du souverain pour ses sujets. || L'amour des sujets pour le prince.
5.1 La miséricorde, qui est la même chose que la clémence, fait l'amour des sujets qui est le plus puissant corps de garde à la personne du Prince.
Hugo, Notre-Dame de Paris, 1832, p. 505.
2 Affection (souvent considérée comme naturelle) entre les membres d'une famille. || L'amour maternel (cit. 1 et 3), paternel, filial, fraternel, sororal, de la mère, du père (envers les enfants), d'un enfant ou des enfants (envers les parents), d'un frère ou des frères (envers les frères ou sœurs), d'une sœur ou des sœurs (envers les sœurs ou frères). || L'amour de la mère, du père (pour leurs enfants). — (En parlant d'un sentiment particulier). || L'amour de sa mère, de son père est chez lui plus fort que tout, son amour pour sa mère, pour son père. || « Oh ! l'amour d'une mère ! (…) » (cit. 8, Hugo).
5.2 Entre la mère et l'enfant l'union est d'abord intime; la séparation, après cette vie rigoureusement commune, n'est jamais que d'apparence; l'amour maternel est le plus éminent des sentiments égoïstes, ou, pour dire autrement, le plus énergique des sentiments altruistes, comme Comte l'a montré (…)
Alain, Propos, 29 août 1921, Famille.
♦ Par anal. (Souvent vieilli ou littér.). Affection, bienveillance affectueuse. || S'occuper d'un enfant avec amour. || Faire qqch. par amour, par générosité, sans intérêt.
♦ ☑ Loc. fam. La cote d'amour, bienveillance due à une faveur arbitraire.
REM. Dans ces emplois (1. et 2.), le mot correspond à l'un des aspects de l'amour, au sens général, distingués par la tradition chrétienne (→ ci-dessous, cit. 6 et 16).
6 (…) on distingue communément deux sortes d'amour, l'une desquelles est nommée amour de bienveillance, c'est-à-dire qui incite à vouloir du bien à ce qu'on aime; l'autre (…)
Descartes, les Passions de l'âme, I, 81.
3 (1172). Inclination pour un objet individualisé, le plus souvent à caractère passionnel, fondée sur l'instinct sexuel mais entraînant des comportements variés.
REM. 1. Dans cet emploi, amour est souvent employé absolt, sans qualification; d'autre part, lorsque le mot amour est employé de cette manière, il est généralt compris dans ce sens.
7 L'amour est un tyran qui n'épargne personne.
Corneille, le Cid, I, 2.
8 L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.
Corneille, le Cid, III, 6.
9 Mais, si vous connaissez l'amour et ses ardeurs (…)
Souvent je ne sais quoi, qu'on ne peut exprimer,
Nous surprend, nous emporte, et nous force d'aimer.
Corneille, Médée, II, 5 (→ aussi Rodogune, I, 3).
10 Qui voudra connaître à plein la vanité de l'homme n'a qu'à considérer les causes et les effets de l'amour. La cause en est un je ne sais quoi (Corneille) et les effets en sont effroyables. Ce je ne sais quoi, si peu de chose qu'on ne peut le reconnaître, remue toute la terre, les princes, les armées, le monde entier.
Le nez de Cléopâtre : s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé.
Pascal, Pensées, II, 162.
11 Il est difficile de définir l'amour : ce qu'on en peut dire est que, dans l'âme, c'est une passion de régner; dans les esprits, c'est une sympathie; et dans le corps, ce n'est qu'une envie cachée et délicate de posséder ce que l'on aime après beaucoup de mystère.
La Rochefoucauld, Maximes, 68.
12 Il y a tant de sortes d'amour que l'on ne sait à qui s'adresser pour le définir. On nomme hardiment amour un caprice de quelques jours, une liaison sans attachement, un sentiment sans estime, des simagrées de sigisbée, une froide habitude, une fantaisie romanesque, un goût suivi d'un prompt dégoût : on donne ce nom à mille chimères.
Voltaire, Questions sur l'Encyclopédie.
13 L'amour, tel qu'il existe dans la société, n'est que l'échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes (…)
Chamfort, Maximes.
14 L'amour (…) n'est que le roman du cœur : c'est le plaisir qui en est l'histoire.
Beaumarchais, le Mariage de Figaro, V, 7.
14.1 — Arthur, l'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches et j'ai ma dignité moi ! que je lui réponds.
Céline, Voyage au bout de la nuit, Pl., p. 12.
14.2 La langue (le vocabulaire) a posé depuis longtemps l'équivalence de l'amour et de la guerre : dans les deux cas, il s'agit de conquérir, de ravir, de capturer, etc. Chaque fois qu'un sujet « tombe » amoureux, il reconduit un peu du temps archaïque où les hommes devaient enlever les femmes (pour assurer l'exogamie) : tout amoureux qui reçoit le coup de foudre a quelque chose d'une Sabine (ou de n'importe laquelle des Enlevées célèbres).
R. Barthes, Fragments d'un discours amoureux, p. 223.
♦ (Dans des syntagmes, formant un terme spécifiant la nature d'un type d'amour). || L'amour-passion : la passion amoureuse, l'amour (au sens 3., opposé aux autres formes : sens 1., 2.). || L'amour physique : les aspects érotiques, sexuels de l'amour (→ ci-dessous).
15 Il y a quatre amours différents :
1. L'amour-passion (…)
2. L'amour-goût (…)
3. L'amour physique (…)
4. L'amour de vanité.
Stendhal, De l'amour, I.
15.1 L'amour vous rend mauvais, c'est un fait certain. Mais de quel amour s'agissait-il, au juste ? De l'amour-passion ? Je ne le crois pas. Car c'est bien l'amour-passion le satyriaque, n'est-ce pas ? Ou est-ce que je confonds avec une autre variété ? Il y en a tellement, n'est-ce pas ? Toutes plus belles les unes que les autres, n'est-ce pas ? L'amour platonique, par exemple, en voilà un autre qui me revient à l'instant. C'est désintéressé. Peut-être que je l'aimais d'un amour platonique ? J'ai du mal à le croire.
S. Beckett, Premier amour, p. 28-29.
2. Dans la tradition chrétienne, amour de concupiscence correspond à ce sens de amour, par oppos. à amour de bienveillance (sens 1. et 2.).
16 (…) l'autre est nommée amour de concupiscence, c'est-à-dire qui fait désirer la chose qu'on aime.
Descartes, les Passions de l'âme, I, 81.
3. Amour, au sens 3., est parfois pris dans un sens large, englobant les manifestations (plus ou moins humanisées) de la sexualité chez les animaux supérieurs.
17 L'amour (…) si impétueux dans les animaux, mais s'allumant et s'éteignant tour à tour avec les saisons (…)
Rivarol, Disc. préliminaire du Nouveau Dict. de la langue franç.
♦ (Dans des syntagmes où le mot amour n'est pas qualifié). a ☑ Loc. (Fin XVIe). Faire l'amour. — Vx. Faire la cour. || Faire l'amour à une femme.
18 Ah ! lâche, fais l'amour, et renonce à l'Empire.
Racine, Bérénice, IV, 4.
♦ (V. 1650, chez les burlesques). Mod. Avoir des rapports sexuels. ⇒ Coïter; baiser (fam.), coucher (avec). || Aimer faire l'amour. || Faire l'amour avec qqn, à qqn. — REM. Ce sens existe dès le XVIIe s., mais coexiste avec l'emploi ancien jusqu'au XIXe s.; la cit. de Beaumarchais ci-dessous est volontairement ambiguë.
19 Boire sans soif et faire l'amour en tout temps, madame, il n'y a que cela qui nous distingue des autres bêtes.
Beaumarchais, le Mariage de Figaro, II, 21.
20 L'amour ? je le fais souvent, mais je n'en parle jamais (…)
Proust, À la recherche du temps perdu, t. VII, p. 21.
20.1 C'était le cœur de l'été quand, sur les toits chauds, les chats faisaient l'amour sur leurs femelles tremblantes comme des femmes. L'amour avec des cris d'amour.
Henri Calet, la Belle Lurette, p. 36.
20.2 Au dortoir, chaque couple s'enroula sur son hamac, se réchauffa, fit et défit l'amour.
Jean Genet, Miracle de la rose, p. 96.
20.3 (…) le céramiste m'avait bien fait l'amour (…)
Jacques Laurent, les Bêtises, p. 487.
20.4 On n'ose pas aller jusqu'à dire que Laure et Thérèse faisaient l'amour ensemble : nul ne saurait l'affirmer. Mais elles vivaient comme deux chattes, se frottant l'une à l'autre voluptueusement, et la compagnie de l'autre était devenue indispensable à chacune.
Suzanne Prou, la Terrasse des Bernardini, p. 141.
b ☑ Loc. prov. L'amour est fort comme la mort (allus. biblique).
21 Que ton amour a de charme, ma sœur fiancée !
Combien ton amour est meilleur que le vin,
Et l'odeur de tes parfums, que tous les aromates ! (…)
Car l'amour est fort comme la mort (…)
Les grandes eaux ne sauraient éteindre l'amour,
Et les fleuves ne le submergeraient pas.
Bible, Cantique des cantiques, IV, 10; VIII, 6-7.
REM. La première partie de la citation illustre le sens 5.
♦ ☑ Prov. La jalousie est la sœur de l'amour. — ☑ L'amour fait passer le temps, et le temps fait passer l'amour. — ☑ Heureux au jeu, malheureux en amour. — ☑ L'amour est aveugle.
c (Dans d'autres syntagmes, où amour n'est pas qualifié ou a une qualification non déterminante : le véritable amour…). || Avoir, éprouver, ressentir de l'amour pour… — Vieilli. || Concevoir de l'amour pour qqn. ⇒ Amouracher (s'), attacher (s'attacher à), embraser (s'), énamourer (s'), enflammer (s'), éprendre (s'). || Être affolé, enivré, féru (vx), fou, ivre, transporté d'amour. || L'amour lui tourne la tête. || Brûler, frémir, languir, mourir, soupirer d'amour (→ N'avoir d'yeux que pour qqn, porter qqn dans son cœur, et, fam., en tenir, en pincer pour qqn, avoir qqn dans le sang, dans la peau). || Donner, inspirer de l'amour à qqn. || Éveiller, exciter, faire naître l'amour chez qqn (→ fam. Embéguiner, enjuponner). || La passion (cit. 20) est le pressentiment de l'amour. || S'abandonner à l'amour. || Résister à l'amour. || Parler d'amour. || Entourer qqn d'amour. ⇒ Baiser, cajolerie, câlinerie, caresse… (→ fam. Manger, boire des yeux). || L'amour naît, croît, s'accroît, grandit (⇒ Cristallisation); dure, subsiste; s'attiédit, décline, s'éteint, s'évanouit, passe, meurt. || Détruire l'amour chez qqn.
REM. Dans les citations qui suivent, amour, même pris absolt, évoque une ou des situations amoureuses concrètes.
22 Il est du véritable amour comme de l'apparition des esprits; tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.
La Rochefoucauld, Maximes, 76.
23 La plus juste comparaison qu'on puisse faire de l'amour, c'est celle de la fièvre (…)
La Rochefoucauld, Maximes supprimées, 638.
24 L'amour, toujours, n'attend pas la raison.
Racine, Britannicus, II, 1.
25 Amour, amour, quand tu nous tiens
On peut bien dire : « Adieu prudence ! »
La Fontaine, Fables, IV, 1.
26 Plus d'amour, partant plus de joie.
La Fontaine, Fables, VII, 1.
27 Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.
Florian, Romance.
28 Ôtez l'amour-propre de l'amour (…)
Chamfort, Maximes (→ Amour-propre, cit. 4).
29 Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un moment conçu.
Arvers, Sonnet.
30 On ne badine pas avec l'amour.
A. de Musset (Titre d'une comédie).
31 Mais toi, rien ne t'efface, amour ! toi qui nous charmes (…)
Jeune homme, on te maudit, on t'adore vieillard.
Hugo, la Tristesse d'Olympio.
32 L'amour est un art, comme la musique.
Pierre Louÿs, Aphrodite, I.
33 L'amour rend inventif (…)
Molière, l'École des maris, I, 6.
34 (…) l'Amour est un grand maître.
Molière, l'École des femmes, III, 4.
34.1 Non, l'amour est une fièvre heureuse. Rien ne reste quand il est passé.
Stendhal, Journal, 25 sept. 1813.
34.2 Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j'aime à jamais, ma sœur d'élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition !
Delphine secouant sa crinière tragique,
Et comme trépignant sur le trépied de fer,
L'œil fatal, répondit d'une voix despotique :
— « Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer ? »
Baudelaire, les Fleurs du mal, III, « Delphine et Hippolyte ».
34.3 Il comprenait maintenant qu'accepter d'entraîner l'être qu'on aime dans la mort est peut-être la forme totale de l'amour, celle qui ne peut pas être dépassée.
Malraux, la Condition humaine, in Romans, Pl., p. 172.
♦ ☑ Loc. prov. Vivre d'amour et d'eau fraîche.
♦ … de l'amour. || Le sentiment, les passions de l'amour. || Beauté, misère de l'amour. || Les Horreurs de l'amour, roman de J. Dutourd. || Charmes, délices, enivrement, illusions, ivresse, joies, élans, épanchements, langage, mystères; joug, lacs, servage; traits de l'amour. — Les symptômes de l'amour (→ Masochisme, cit. 0.1).
♦ … d'amour. || Baiser, chant, déclaration, lettre, plaisirs, rêve, serment d'amour. || Chagrin d'amour (→ Monocle, cit. 1), peine d'amour. || Roman, histoire d'amour. — Philtre (cit. 3) d'amour. || Cour d'amour (→ ci-dessous, e., Amour courtois). — Mariage (cit. 18 et 19) d'amour (opposé à d'intérêt, de convenance, etc.).
34.4 Un mariage d'amour, c'est-à-dire fait par amour, y serait considéré comme une preuve de vice.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 877.
♦ ☑ Loc. fam. Gueule d'amour, propre à inspirer l'amour.
♦ ☑ Loc. En amour : dans une relation amoureuse.
34.5 (…) en amour, posséder n'est rien, c'est jouir qui fait tout (…)
Stendhal, De l'amour, 1822, p. 106-107.
♦ ☑ Loc. fam. Un remède à l'amour : une personne rebutante, laide.
d (Qualifié par un adjectif déterminant). || Amour physique et amour chaste. || Amour platonique (cit. 2; et → ci-dessus, cit. 15.1). || Amour hétérosexuel, homosexuel. || L'amour grec, homosexuel. || Amour saphique. || Amour conjugal, légitime. ⇒ Hymen, hyménée, mariage. || Amour illégitime. ⇒ Concubinage, liaison. || Amour libre, hors de l'institution sociale du mariage. || Militer pour l'amour libre. ⇒ Union (libre).
e Hist. || L'amour courtois : l'ensemble des attitudes et des idées médiévales concernant l'amour de l'homme (du chevalier) pour la dame; la mystique et la symbolique qui en dépendent (cf. en langue d'oc, la fine amor).
4 Par euphém. (ou dans l'expr. amour physique). a Relations sexuelles humaines. || « L'amour, c'est le physique (1. Physique, cit. 6), c'est l'attrait charnel (…) » — Vieilli. || L'acte d'amour : l'acte sexuel. || Plaisirs, voluptés, délices de l'amour. ⇒ Érotique; éroto-. || Il, elle est porté(e) aux plaisirs de l'amour. ⇒ Amoureux, lascif, voluptueux (→ fam. Porté sur la chose). || Combats, jeux, luttes de l'amour.
34.6 J'éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l'amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots « faire l'amour » ont une séduction à eux (…)
F. Sagan, Bonjour tristesse, p. 137.
♦ Relations sexuelles hors mariage. — ☑ Loc. Un enfant de l'amour.
♦ Amour vénal : prostitution. — ☑ Loc. Marchande d'amour : prostituée. — Littéraire :
34.7 C'est filles anglaises
Occupées à boire,
Vêtant pour aimer
Des maillots de moire,
Dans le jour qui pèse
Dehors et si lourd,
Dans le soir d'été
Qui vendent l'amour.
Max Elskamp, la Rue Saint-Paul.
5 Sentiment amoureux porté par une personne à une autre; sentiment réciproque ou partagé; relations qui en résultent. a L'amour de qqn pour qqn; l'amour entre deux personnes; un, des amours. — REM. Comme amitié, le mot est souvent ambigu; seul le contexte permet de distinguer la valeur exacte du mot; en particulier l'opposition entre « sentiment » et « relation ».
♦ Un amour ardent, délirant, impétueux, insatiable, irrésistible, passionné (cit. 11), violent. ⇒ Ardeur, attachement, feu, fièvre, flamme, folie, idolâtrie, inclination, ivresse, maladie, passion, penchant, sentiment; (fam.) béguin, pépin. || Un fatal amour. — Un amour angélique, céleste, chaste, discret, idéal, innocent, pieux, platonique, pudique, pur, respectueux, sentimental, séraphique, spirituel. || Amour chevaleresque, mystique. || Amour romanesque. || Un amour raisonnable, tranquille. || Amour absolu, complet, parfait. || Un grand, tendre, véritable amour. || Amour mutuel, partagé, réciproque. || Amour subit. ⇒ Coup (de foudre), engouement. || Amour durable, fort, solide, éternel, immortel. || Amour déçu; amour malheureux (→ Pragmatique, cit. 1). || Un amour coupable, criminel, impur. ⇒ Adultère, inceste; débauche, libertinage. || Un amour pervers, contre nature. || Un, des amours homosexuels.
34.8 Et là, autre abîme ! Je sondais de la pensée les amours contre-nature qui devaient germer, éclater là; les jalousies, les passions (…) Amours lesbiennes, compagnonnages de couvent compliqués de prison (…)
Ed. et J. de Goncourt, Journal, oct. 1862.
REM. La plupart des syntagmes signalés ici peuvent s'employer au sens b. ci-dessous.
♦ L'amour d'une femme pour un homme, son amour pour lui. || L'amour d'un homme et d'une femme; leur amour. || Vivre un grand amour, un amour partagé. || Leur amour est passionné, violent… (→ ci-dessus, les adj. les plus courants). || Leur grand amour.
34.9 Il n'avait plus, comme autrefois, de ces mots si doux qui la faisaient pleurer, ni de ces véhémentes caresses qui la rendaient folle; si bien que leur grand amour, où elle vivait plongée, parut se diminuer sous elle, comme l'eau d'un fleuve qui s'absorberait dans son lit, et elle aperçut la vase.
Flaubert, Mme Bovary, II, IX.
♦ Fam. ou iron. (Au fém., d'après le pluriel).
34.10 Ah ! la grande amour, ça vient, on ne sait pas quand, on ne sait pas comment, et qui mieux est, on ne sait pas pour qui… Alors ce ne sont plus que clairs de lune, gondoles, ivresses éthérées, âmes sœurs et fleurs bleues.
R. Queneau, Pierrot mon ami, éd. L. de Poche, p. 71.
♦ (Au sing., avec une valeur collective). || L'amour du chevalier pour sa dame (→ ci-dessus, 3., e., Amour courtois).
♦ ☑ Prov. Froides mains, chaudes amours. — ☑ Il n'y a point de belles prisons, ni de laides amours.
b Relations entre des personnes qui s'aiment. — (Un, des amours). Liaison, aventure amoureuse. || Un amour de jeunesse. || Amour unique. || Autre, second amour. || Un amour malheureux, heureux, idyllique. || Amour éphémère, inconstant, passager. ⇒ 1. Amourette, aventure, badinage, bagatelle, bluette, caprice, coquetterie, fantaisie, fleurette, flirt, galanterie, hussarde (amour à la), intrigue, liaison, passade… || Les amours célèbres. || Les amours de Louis XIV. — Des amours ancillaires (cit. 2 et 3). — Un amour de Swann, roman de M. Proust.
♦ (Souvent au plur.). || Comment vont tes amours ? || À vos amours !, formule de souhait.
REM. Dans cette acception (sens a. « sentiment », comme sens b. « relations »), amours au plur. est employé surtout au masc. de nos jours, mais le fém., assez littéraire, reste vivant (→ ci-dessous, cit. 35, 37, 38.1 et 38.3; et cf. des syntagmes comme premières amours).
35 (…) le plaisir des amours printanières.
La Fontaine, Fables, IV, 22.
36 Mais non pas ton amour, si ton amour t'est chère (…)
A. de Musset, Lettre à Lamartine (cf. Âme, cit. 31).
37 Et l'on revient toujours
À ses premières amours.
Ch.-G. Étienne, Joconde, III, 1.
38 Souris à tes premiers amours.
A. de Musset, la Nuit d'octobre.
38.1 — Mais le vert paradis des amours enfantines,
L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine ?
Baudelaire, les Fleurs du mal, LXII, « Mœsta et Errabunda ».
38.2 À la fin de leur vie, les amants illustres qui coururent les routes, George Sand et Musset, et Chopin, Liszt, Mme d'Agoult, peut-être ne se souvenaient-ils plus que de chamailleries dans de tristes chambres d'hôtel. Combien peu d'amours trouvent en elles-mêmes assez de force pour demeurer sédentaires ! Et c'est pourquoi l'amour conjugal, qui persiste à travers mille vicissitudes, me paraît être le plus beau des miracles.
F. Mauriac, Journal, t. I, 1934, p. 25.
38.3 Et dans mon hamac, je m'endormais dans ses bras et j'y continuais des amours dans la fatigue de celles auxquelles je venais de me livrer.
Jean Genet, Miracle de la rose, p. 154.
6 (Fin XIIe). Personne aimée. || Tu es mon amour. || Son premier amour est maintenant un homme âgé.
38.4 Je suis le souverain d'Égypte
Sa sœur-épouse son armée
Si tu n'es pas l'amour unique.
Apollinaire, Alcools, p. 19.
38.5 Bulkaen ! Entre tant d'autres amours, qu'avez-vous été ? Un amour bref puisque je ne vous ai vu que douze jours.
Jean Genet, Miracle de la rose, p. 304.
♦ Par ext. Objet d'une passion très vive (→ ci-dessus, sens 1.).
39 Albe, mon cher pays et mon premier amour.
Corneille, Horace, I, 1.
40 Un jeune lis, l'amour de la nature.
Racine, Athalie, II, 9.
♦ En appellatif. || Mon amour. — Vieilli. || Cher amour.
41 Cher amour, épanche ta douleur.
Lamartine, Méditations, II, 10.
♦ Poét. (au pluriel) :
42 Enfant, rêve encore !
Dors, ô mes amours !
Hugo, les Feuilles d'automne, 20.
♦ Vx. || M'amour.
♦ Par ext. Fam. Personne aimable (dans quelques formules). || Vous seriez un amour si… : vous seriez très gentil de… || Cet enfant est un amour (→ ci-dessous, 8.).
7 (1680). Personnification mythologique de l'amour (I., 3.). ⇒ Cupidon, putto (arts). || L'Amour avec son arc et son carquois. — REM. Dans ce sens, le plur. est masculin. Peindre des Amours, des petits Amours.
43 Tout est mystère dans l'amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance.
La Fontaine, Fables, XII, 14.
44 (…) l'amour et la raison n'est qu'une même chose (…) Les poètes n'ont donc pas eu raison de nous dépeindre l'amour comme un aveugle; il faut lui ôter son bandeau.
Pascal, Disc. sur les passions de l'amour.
44.1 L'Amour est assis sur le crâne
De l'Humanité,
Et sur ce trône le profane,
Au rire effronté,
Souffle gaiement des bulles rondes (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, CXVII, « L'amour et le crâne ».
44.2 Au Louvre avec un ami pour regarder les objets égyptiens et grecs, toutes ces merveilleuses choses (…) les petits dieux cynocéphales, et du côté des Grecs, les amours couleur de pêche, ailés, dodus, volant à côté des victoires, toutes ces figurines de terre cuite si vivantes qu'on croit les voir bouger (…)
J. Green, Journal, Ce qui reste de jour, 28 mars 1968.
♦ Par compar. || Elle est jolie comme un amour.
44.3 — Allons, bon voyage ! leur dit-il, heureux mortels que vous êtes !
Puis, s'adressant à Emma, qui portait une robe de soie bleue à quatre falbalas :
— Je vous trouve jolie comme un Amour ! Vous allez faire florès à Rouen.
Flaubert, Mme Bovary, II, XIV.
8 Par métonymie. Chose ou personne aimable, adorable. || C'est un amour. || Un amour d'enfant.
45 (…) jolie comme tu es. Sais-tu que tu es devenue un amour ?
Marcel Prévost, les Demi-vierges, I, 2.
♦ (Choses). Fam. || Un amour de petit chapeau : un très joli petit chapeau.
———
II (1623).
1 Attachement désintéressé et profond à (qqch., une valeur). || L'amour du bien, de la justice, de la vérité. || Avoir l'amour de son métier. || Faire une chose avec amour, avec le soin, le souci de perfection de celui qui aime son travail.
45.1 Il me dit aussi quelques mots de ses casses, de son travail dehors, de l'amour qu'il lui portait (…)
Jean Genet, Miracle de la rose, p. 90.
2 Goût très vif pour (une chose, une activité qui procure du plaisir). ⇒ Passion. || L'amour de la nature, de la campagne, de la musique. || L'amour du gain, des voyages, du sport.
46 Si l'amour des grandeurs, la soif de commander (…)
Racine, Athalie, III, 3.
47 L'amour qui nous attache aux beautés éternelles
N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles (…)
Molière, Tartuffe, III, 3.
48 L'honnêteté des femmes est souvent l'amour de leur réputation et de leur repos.
La Rochefoucauld, Maximes, 205.
48.1 Même cet amour pour une phrase musicale sembla un instant devoir amorcer chez Swann la possibilité d'une sorte de rajeunissement.
Proust, Du côté de chez Swann, éd. L. de Poche, p. 251.
♦ Pour l'amour de qqch. : par considération, par égard, par admiration pour.
49 Que pour l'amour du grec, Monsieur, on vous embrasse.
Molière, les Femmes savantes, III, 3.
3 Rare. || L'amour de soi, de soi-même. ⇒ Amour-propre, égoïsme, narcissisme.
50 L'amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation, et qui, dirigé dans l'homme par la raison et modifié par la pitié, produit l'humanité et la vertu. L'amour-propre n'est qu'un sentiment relatif, factice, et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre, qui inspire aux hommes tous les maux qu'ils se font mutuellement, et qui est la véritable source de l'honneur.
Rousseau, De l'inégalité parmi les hommes, Note.
———
III Loc. fig.
1 ☑ Amour en cage. ⇒ Alkékenge.
♦ ☑ Puits d'amour (gâteau).
♦ ☑ Pomme d'amour (calque de l'ital., du provençal).
♦ ☑ Pommier d'amour. ⇒ Amome (des jardins).
2 D'amour (calque de l'ital.), se dit d'instruments de musique. || Viole d'amour (1730). || Hautbois d'amour.
❖
CONTR. Abomination, animosité, antipathie, aversion, désaffection, détestation, éloignement, exécration, haine, horreur, indifférence, inimitié, malveillance, mésintelligence, prévention, rancune, ressentiment.
DÉR. Amourer, 1. amourette. — V. Amouracher, amoureux.
COMP. Amour-propre. — Énamourer. — V. Aphro-, éroto- (préfixes).
Encyclopédie Universelle. 2012.