INFECTION
Les maladies infectieuses, dites également maladies transmissibles, diffèrent des autres affections en ce que leur naissance requiert absolument la pénétration dans l’organisme hôte d’un agent infectant vivant. La spécificité de celui-ci apparaît d’une part dans le tableau clinique de la maladie, et d’autre part dans son issue: la guérison correspond à un état d’immunité plus ou moins intense et plus ou moins prolongé vis-à-vis de ce même agent pathogène. On sait, du reste, que cette immunité spécifique, naturellement acquise, peut être artificiellement produite dans un but prophylactique par vaccination.
Dès le XIXe siècle, Henlé avait établi une liste de critères permettant d’admettre l’existence d’une relation de cause à effet entre un micro-organisme et une maladie: le micro-organisme doit être présent dans tous les cas de la maladie; il doit pouvoir être isolé de l’hôte malade et cultivé en culture pure; la maladie spécifique doit être reproduite par inoculation d’une culture pure à l’animal sensible en bonne santé; le micro-organisme doit être de nouveau isolable de l’hôte malade expérimentalement infecté.
Ce sont les découvertes de Pasteur, de Koch et de leurs écoles – la première orientée surtout vers l’analyse expérimentale de l’infection, de la guérison, de l’immunité, la seconde plutôt préoccupée par l’isolement, la culture et la caractérisation des agents spécifiques des principales maladies infectieuses humaines – qui ont ouvert l’époque du grand développement de la bactériologie médicale; en l’espace de vingt-cinq ans la plupart des agents bactériens des maladies humaines et animales ont été isolés et décrits et des méthodes de prévention, soit hygiéniques, soit immunitaires, mises au point contre certaines de ces maladies. Les virus, agents pathogènes, parasites obligatoires des organismes cellulaires vivants, invisibles au microscope optique, n’ont pu être identifiés qu’en utilisant, comme Enders l’a montré en 1949, la méthode de cultures sur cellules vivantes in vitro .
Le processus épidémique intéresse la recherche épidémiologique, en médecine humaine, vétérinaire, voire en phytopathologie. Comment une maladie infectieuse naît-elle? Comment se transmet-elle? Quelles sont les interactions entre l’organisme pathogène et son hôte biologique? Telles sont les questions que se pose l’épidémiologiste.
1. Les maladies infectieuses Sources d’infection
Une maladie infectieuse, quelle qu’elle soit, ne peut naître dans une population donnée que de la présence d’un individu contagieux, homme ou animal, qui constitue la source d’infection.
Le plus fréquemment il s’agit d’un être humain malade . Il sera parfois la seule source d’infection; il en est ainsi, par exemple, dans la rougeole, la variole, la fièvre typhoïde, la lèpre. On conçoit que la mesure prophylactique la plus efficace soit alors l’isolement rapide de cette personne capable de disséminer l’agent pathogène: la ségrégation des lépreux a été longtemps la seule mesure prophylactique efficace contre la lèpre.
Cependant un sujet infecté n’est pas uniformément dangereux tout au long de l’évolution de sa maladie. Les maladies infectieuses ont une évolution cyclique, avec une période d’incubation asymptomatique, puis une période d’état plus ou moins «bruyante», enfin une période de convalescence, suivie, dans les cas favorables, de la guérison clinique. Dans de nombreux cas c’est avec le «pic» clinique de la maladie que coïncide la période la plus dangereuse en ce qui concerne la dissémination de l’infection; dans d’autres cas, c’est dès la fin de la période d’incubation ou au stade de l’invasion qu’elle se situe. Ainsi l’observation a-t-elle montré que la contagiosité de la coqueluche est maximale avant l’apparition des quintes, et décroît dès que celles-ci surviennent.
Pendant la convalescence, le danger diminue graduellement. Pourtant il arrive que la contagion puisse s’opérer à cette époque et même bien après la guérison clinique. Il existe en effet des maladies où cette guérison apparente ne coïncide pas avec la guérison bactériologique ou virologique; les sujets demeurent alors des «porteurs de germes» pendant un temps plus ou moins prolongé, de manière continue ou intermittente. Il peut en être ainsi par exemple après une fièvre typhoïde: au portage de germe aigu , peut succéder, pendant deux ou trois mois à partir de la guérison clinique, un portage chronique au cours duquel un sujet en apparence parfaitement guéri dissémine par ses matières fécales des bacilles pathogènes: on conçoit aisément que de tels sujets soient particulièrement dangereux lorsque leurs activités professionnelles les amènent à manipuler des denrées alimentaires.
À côté de ce portage consécutif à la maladie, cause très importante d’infection, il existe aussi un portage de germes par des sujets sains chez qui aucune anamnèse ne permet de retrouver une atteinte morbide. Le plus souvent ce type de portage est de courte durée et s’observe dans l’entourage d’un sujet malade, à l’occasion d’examens systématiques. Dans la mesure où un organisme vivant n’est jamais indifférent à la présence d’un agent parasite, et où de nombreuses maladies donnent lieu à des atteintes très discrètes ou même asymptomatiques (alors seulement décelables par des réactions immunologiques spécifiques) cet état de portage peut être assimilé à une forme infraclinique de maladie.
Donc, lorsque l’on considère la personne source d’infection, la sévérité de la maladie est de grande importance épidémiologique. En effet dans les cas graves le sujet est alité, éventuellement hospitalisé dans un service d’infectieux, et le risque de dissémination de la maladie est réduit; dans le cas opposé d’évolution bénigne, ou inapparente, le malade peut ne pas être immobilisé, il reste en contact avec la population saine, il peut même partir en voyage, provoquant de ce fait une dissémination rapide et extensive de l’infection.
Toutefois l’être humain infecté est loin d’être seul en cause puisque environ un tiers des maladies infectieuses connues est constitué par le groupe des anthropozoonoses . Sont appelées ainsi les maladies animales auxquelles l’homme est sensible. De nombreuses espèces animales peuvent être source d’infection pour l’homme.
Le bétail (bovins, ovins, caprins) est à l’origine d’importantes maladies humaines comme la brucellose, la tuberculose, le charbon, les leptospiroses. Les suidés peuvent transmettre la trichinose, le rouget, etc. Le chien est la principale source d’infection de la rage.
Cependant les sources majeures d’infection sont les rongeurs, domestiques ou sauvages, avec le rat au premier chef. La peste, la tularémie, certaines rickettsioses et leptospiroses, différentes maladies virales sont dues à des contacts avec ces animaux.
Le danger d’infection humaine que constituent ces différentes espèces animales dépend de la nature de leurs relations avec l’homme. L’infection peut survenir au cours de l’élevage d’animaux ou de la chasse, pendant la manipulation de bêtes blessées ou capturées, pendant la préparation de produits alimentaires, etc.
Quant aux ectoparasites suceurs de sang, leur importance en épidémiologie est très grande; cependant ils constituent rarement l’hôte biologique principal du micro-organisme pathogène, mais plutôt un hôte biologique intermédiaire dit vecteur, ou simplement un milieu de survie tant que l’ectoparasite reste lui-même vivant. On reviendra plus loin sur cette question.
Transmission de l’agent infectieux
L’agent pathogène ne peut se maintenir en tant qu’espèce que par passage d’un organisme, malade, à un autre, sain, puisque tôt ou tard chaque individu meurt. Les micro-organismes pathogènes ont donc à s’adapter à un changement d’hôte.
Ce processus d’adaptation de l’espèce microbienne lors du changement d’hôte comprend trois étapes: d’abord la libération de l’agent infectant à partir de l’organisme infecté, puis le passage de l’agent infectant dans le milieu extérieur, et enfin la pénétration de l’agent infectant dans un nouvel organisme.
Libération de l’agent infectant par l’organisme infecté
Il semble qu’il y ait une électivité de la localisation initiale chez l’hôte de l’agent pathogène. Celui-ci acquiert ce tropisme au cours de son évolution, un organe ou un tissu particulier de l’hôte lui assurant les conditions d’existence les plus favorables. Par exemple le mécanisme d’adaptation du bacille diphtérique au parasitisme dans la muqueuse du tractus respiratoire peut être représenté de la manière suivante: le microbe est semé dans l’air par les gouttelettes de mucus de la gorge du malade au cours de la toux, de l’éternuement; de là il gagne la muqueuse d’un autre individu pendant la respiration normale. Renforcée par la sélection au cours de l’évolution, l’adaptation du microbe au parasitisme dans la muqueuse de la gorge s’est ainsi opérée progressivement.
Cette électivité de localisation initiale de l’agent pathogène détermine non seulement la voie de libération de cet agent hors du corps de l’hôte, mais aussi celle de l’infection du nouvel hôte, de même que la nature du milieu extérieur dans lequel ira l’agent infectant: libéré dans l’air par les maladies du tractus respiratoire, le micro-organisme infectera un nouvel hôte lorsque celui-ci inspirera l’atmosphère contaminée. Quand l’agent pathogène a sa localisation initiale dans l’intestin de l’hôte, il est éliminé par la défécation, gagne le sol et éventuellement les réserves d’eau d’alimentation; les futurs hôtes sont alors contaminés par voie alimentaire et digestive.
Passage de l’agent infectant dans le milieu extérieur
Épidémiologiquement, la plus importante période dans la transmission de l’agent infectant d’un malade à un sujet sain est celle pendant laquelle le micro-organisme est libre dans le milieu extérieur; celui-ci peut lui procurer une survie dont la durée est liée à de nombreux facteurs: la lumière, les rayons U.V. solaires et la dessication ont un effet nocif sur beaucoup d’agents pathogènes. Cependant certaines espèces microbiennes peuvent être longtemps sauvegardées, soit par l’existence d’une enveloppe lipidique protectrice (tel le bacille tuberculeux), soit par celle de formes de résistance en milieux défavorables (telles sont les spores de la bactéridie charbonneuse qui peuvent demeurer viables dans le sol pendant des dizaines d’années).
La température du milieu extérieur est très importante. Beaucoup de micro-organismes parasites de l’homme sont comme lui adaptés à la température de 37 0C, bien que certaines espèces puissent se maintenir à basse température. De même, une ambiance légèrement alcaline facilite souvent le développement des germes et un changement de pH est en général mal supporté par eux. Enfin, dans le milieu extérieur, le microbe pathogène va se trouver en compétition avec une flore saprophyte très variée; vont alors jouer des phénomènes d’antagonisme importants, du reste mis à profit par l’homme dans les méthodes biologiques d’épuration des eaux usées. Il faut noter aussi que la survie de l’agent infectant dans le milieu extérieur dépend beaucoup des propriétés physico-chimiques de ce dernier: les substances alimentaires telles que la viande, le lait, les coquillages, constituent des milieux nutritifs très adéquats pour bon nombre d’espèces bactériennes.
Les divers micro-organismes se comportent différemment dans leurs réactions au milieu extérieur. Y sont incapables de survie ceux qui ne peuvent être cultivés sur milieux artificiels, comme les virus et les rickettsies. D’autres sont très fragiles, comme le gonocoque ou le pneumocoque. D’autres au contraire peuvent se défendre contre un milieu défavorable par la sporulation, ou l’existence d’une structure cellulaire spéciale. Ces différences de résistance selon les espèces sont évidemment de grande importance en épidémiologie et prophylaxie.
Pénétration de l’agent infectant dans l’organisme neuf
Différentes routes de dissémination de l’infection peuvent être ainsi distinguées et c’est selon ce critère fondamental que l’on tend à classer actuellement les maladies contagieuses.
La maladie peut être transmise par contact entre un individu source d’infection et un individu sain. Ce contact est direct ou immédiat lorsqu’il implique un attouchement physique entre les deux sujets: les maladies vénériennes sont ainsi transmises; les micro-organismes responsables ne peuvent survivre longtemps hors de l’hôte. La tularémie, maladie des rongeurs sauvages, est contractée par les chasseurs et les bouchers lorsqu’ils manipulent l’animal malade. L’éleveur ou le vétérinaire peuvent être infectés par Brucella abortus ou B. melitensis quand ils examinent le produit d’avortement d’une bête atteinte de brucellose. L’agent infectieux pénètre chez l’hôte à la faveur d’une excoriation cutanée minime (une lésion n’est pas nécessaire au niveau des muqueuses et certains micro-organismes peuvent aussi traverser la peau saine). Lorsque l’agent pathogène est trop fragile pour résister au milieu extérieur, le contact direct réalise la seule voie de transmission de la maladie. Il en est ainsi pour la rage par exemple, dont on sait qu’elle est consécutive à la morsure d’un animal enragé.
Plus souvent le contact entre source d’infection et hôte peut être indirect ou médiat . Dans ce cas, le micro-organisme éliminé par le réservoir de virus peut persister plus ou moins longtemps dans le milieu extérieur et être ainsi apporté au sujet sain par l’intermédiaire de personnes ou de matériaux divers, eux-mêmes infectés par le malade. Par exemple, le virus variolique peut persister longtemps sur les objets qui ont été au contact de celui-ci (literie, vêtements, livres, etc.).
La route de transmission des maladies infectieuses est, suivant les facteurs impliqués dans la propagation du germe, plus ou moins longue et compliquée. La transmission par aérosol semble la plus courte; ici les agents pathogènes sont transportés de personne à personne par des microgouttelettes de mucus émises à l’occasion de la toux, de l’éternuement, de la parole même. On considère que dans une population citadine, un virus hautement infectieux, comme celui de la grippe, partant d’une personne peut en contaminer plusieurs millions en l’espace de quelques semaines. De nombreuses maladies sont ainsi disséminées par aérosols: la diphtérie, l’angine streptococcique, la méningite cérébro-spinale, la rougeole, la coqueluche, la tuberculose, la pneumonie pesteuse, etc. Entraver cette importante voie de dissémination est chose difficile, surtout en milieu urbain.
Les plus grosses des gouttelettes peuvent aussi se déposer sur les planchers et objets environnants, y demeurant infectantes. Ce fait pose d’importants problèmes, en matière d’épidémiologie des infections hospitalières, d’aménagement rationnel des salles d’opération et des unités en atmosphère stérile pour brûlés ou greffés.
La route de transmission des maladies infectieuses du tractus intestinal est souvent longue et complexe. On a évoqué plus haut le sort des agents infectieux éliminés dans les matières fécales des malades ou porteurs de germes, et vu par quel circuit l’eau d’alimentation pouvait être contaminée; aussi appelle-t-on souvent ces maladies infectieuses maladies hydriques . Mais on comprend que les mains d’un sujet infecté puissent être aussi responsables de la contamination, de même que le sol et les produits alimentaires. Fièvre typhoïde, poliomyélite, ictère infectieux, dysenteries, choléra sont de telles maladies qui, si les précautions sanitaires nécessaires ne sont pas prises, peuvent donner lieu à des épidémies foudroyantes.
Le rôle du sol en tant que facteur de transmission d’infection est de grande importance. Beaucoup d’agents pathogènes s’y maintiennent en vie plus ou moins longtemps suivant les propriétés biologiques du micro-organisme et les conditions physico-chimiques du terrain. On sait l’importance de la flore anaérobie dite tellurique , responsable du charbon, du tétanos, de la gangrène gazeuse, du botulisme. Certaines parasitoses comme l’ankylostomiase sont également en rapport avec le sol.
Quant aux produits alimentaires , on a dit plus haut qu’ils procurent à un grand nombre d’agents infectieux d’excellents milieux de survie. Le lait et les produits laitiers provenant d’animaux infectés peuvent être responsables de maladies diverses telles la tuberculose bovine, la brucellose, la fièvre Q; de plus, le lait peut être contaminé par les maladies hydriques citées plus haut. La population enfantine peut être alors particulièrement frappée. Les viandes contaminées sont à l’origine de la dissémination de toxi-infections et de parasitoses diverses. Enfin, les coquillages sont d’autant plus souvent responsables de la transmission de maladies comme les salmonelloses, les virus de la poliomyélite ou de l’hépatite A que certains sont consommés crus.
Un dernier mode de transmission des maladies infectieuses, très différent de ceux que nous avons envisagés jusqu’à maintenant, s’avère de la plus haute importance épidémiologique: il s’agit de l’intervention d’arthropodes-vecteurs .
Quatre types de transmission par vecteurs peuvent être envisagés:
– Un mode purement mécanique. Les mouches, par exemple, peuvent véhiculer l’agent infectieux sur leurs pattes ou leurs pièces buccales lorsqu’après avoir pondu sur des matières fécales infectées elles viennent se poser sur un humain ou sur des produits alimentaires. Dans la plupart des cas le vecteur n’est infectant que pendant quelques jours.
– La succion du sang par les arthropodes hématophages les amène à transmettre des germes pathogènes. Lorsque le sang d’un sujet malade a été absorbé par l’insecte, l’agent infectant se multiplie et un sujet sain pourra être contaminé par morsure ou piqûre. La peste est transmise de la sorte par certaines puces, le typhus exanthématique épidémique, par le pou du vêtement. Lorsqu’il est infecté, le vecteur le restera tout au long de sa vie.
– Dans certains cas impliquant comme ci-dessus la transmission de sang d’un malade à un sujet sain, une période du développement de l’agent infectant se déroule dans l’organisme du vecteur. Les plasmodies du paludisme, par exemple, accomplissent le stade sexué de leur cycle de vie dans l’organisme de moustiques (anophèles) tandis que la phase asexuée se déroule chez l’homme.
– Perfectionnement supplémentaire, outre sa reproduction et sa multiplication chez le vecteur, le micro-organisme pathogène peut aussi être transmis à une nouvelle génération de l’arthropode par ses œufs. C’est la voie transovarienne. Les tiques, en général vecteurs d’encéphalites virales, de rickettsioses, etc., s’étant infectées en mordant un animal ou un humain malades, deviennent non seulement porteuses, mais aussi véritables réservoirs naturels de germes coexistant avec les réservoirs principaux que constituent différentes espèces d’animaux à sang chaud.
En liaison avec les espèces végétales ou animales qui les hébergent, l’existence de ces multiples insectes-vecteurs constitue un problème épidémiologique théorique et pratique primordial dans de nombreuses maladies infectieuses.
Ces mécanismes de transmission, si divers, s’associent dans certains cas. Pour la plupart des maladies hydriques, elles peuvent être propagées aussi bien par contact direct avec un porteur de germes que par ingestion d’eau ou de produits alimentaires infectés; la peste est le plus souvent transmise par piqûres de puces infectées mais la pneumonie pesteuse est très contagieuse par aérosol; la tularémie provient soit du contact direct avec un animal atteint, soit de l’ingestion de viande contaminée, soit de l’intervention de vecteurs tels que moustiques, mouches et tiques.
Au contraire, lorsque l’agent pathogène est confiné en milieu clos, comme le sang d’un sujet malade, et qu’il n’apparaît pas au niveau des différents émonctoires, la maladie est dite fermée et la transmission requiert obligatoirement soit l’intervention d’un vecteur suceur de sang (paludisme, fièvre jaune), soit un mécanisme de transmission artificiel, comme une transfusion à un sujet sain du sang provenant d’un sujet malade. On sait que le paludisme peut être ainsi transmis et que l’hépatite virale, dite sérique, répond à cet unique mécanisme; la contagion s’étant produite à l’occasion d’un acte thérapeutique, il s’agit là d’une maladie purement iatrogène , posant d’autant plus de problèmes que les formes asymptomatiques d’hépatite virale sont nombreuses.
Sensibilité de la population
La sensibilité de la population est évidemment la troisième condition nécessaire au développement d’une épidémie.
Le niveau de sensibilité d’une population n’est pas uniforme pour les diverses maladies infectieuses. Il dépend en effet étroitement du degré de l’immunité qui s’est constituée à la suite de l’expérience de la maladie quelle qu’ait été la forme clinique revêtue par celle-ci chez les différents individus. Cette notion moderne est de la plus haute importance en épidémiologie. La rougeole, par exemple, est suivie d’une immunité définitive alors que celle que laisse la grippe est des plus transitoires.
Le taux d’immunité laissé par une maladie infectieuse et sa gravité clinique n’ont souvent aucun rapport comme l’a montré la pratique systématique des tests sérologiques et cutanés spécifiques. Si ces tests montrent qu’un individu possède des anticorps contre un organisme pathogène ou sa toxine, on peut certifier qu’il a été contaminé par cet organisme à un moment quelconque de son existence. C’est ainsi qu’en 1929 un dépistage organisé en effectuant des tests cutanés, montra que 10 p. 100 des adultes aux États-Unis se souvenaient avoir eu une diphtérie clinique alors que 60 p. 100 étaient immuns. Par conséquent, 50 p. 100 environ des adultes examinés avaient dû contracter une infection subclinique et avaient donc été «porteurs sains» à une certaine période de leur vie. Par de semblables méthodes, les épidémiologistes soviétiques ont reconnu que 30 p. 100 de la population de leur pays est sensible à la scarlatine, 15 à 20 p. 100 des adultes sont sensibles à la diphtérie et 0,5 p. 100 à la méningite cérébro-spinale.
Le niveau de sensibilité d’une population est également tributaire (et pour la même raison) de sa composition par groupes d’âge: lorsque l’éventuelle immunité d’origine maternelle a disparu, plus jeune est l’âge d’un groupe, plus haute est sa sensibilité à la plupart des maladies infectieuses. Ce fait peut avoir pour conséquence une tendance de ces maladies à présenter une fluctuation rythmique; la rougeole en est un exemple classique: une épidémie de cette maladie progresse dans une population en frappant pratiquement tout individu sensible; les survivants conservent une immunité durable et la maladie disparaît jusqu’à ce que le nombre d’hôtes sensibles ait augmenté suffisamment grâce aux nouvelles naissances; une nouvelle épidémie se déclenche alors après la réintroduction du virus par des voyageurs. S’il s’écoule un délai important avant que l’agent pathogène soit réimporté, le nombre des sujets sensibles est grand et l’épidémie d’une ampleur exceptionnelle.
Le même phénomène se produit avec encore plus de netteté à la suite du passage d’étrangers dans des populations insulaires isolées du monde pendant de longs mois. On sait les ravages qu’ont pu provoquer, chez certaines ethnies, ces importations brutales de germes pathogènes.
Enfin toute épidémie est un phénomène social . La transmissibilité d’un agent pathogène est sous l’influence directe des conditions d’habitat et d’alimentation d’une population. La surpopulation des villes, l’existence dans celles-ci de zones d’insalubrité et surtout les bouleversements sociaux apportés par la guerre avec ses mouvements de troupes, ses exodes de réfugiés coïncidant avec des destructions matérielles massives, sont des facteurs capitaux de dissémination infectieuse.
Dans les variations saisonnières bien connues dans nombre de maladies transmissibles, le rôle des facteurs d’environnement semble être prépondérant: c’est ainsi que pendant l’hiver la population est relativement confinée dans les maisons et la promiscuité qui en résulte favorise la transmission des maladies respiratoires. Un temps chaud, au contraire, est propice à la multiplication des bactéries dans les aliments et augmente ainsi le risque de dissémination des maladies intestinales.
Les maladies les plus soumises à de telles variations sont celles que transmettent les arthropodes, les phases de la vie de ceux-ci déterminant la saison dangereuse: dans la zone tempérée, la plupart des arthropodes parviennent au stade adulte pendant les seuls mois d’été si bien que les maladies qu’ils transmettent disparaissent pendant la saison hivernale, mais sous les tropiques, la saison des pluies favorise la transmission de maladies véhiculées par les moustiques, dont le stade larvaire est aquatique.
En dernier lieu, le rapport du nombre d’infections cliniques à celui des atteintes infra-cliniques dans une maladie donnée, de même que le taux observé de mortalité, peut varier de manière importante, d’une épidémie à l’autre. On peut incriminer ici un changement de la virulence de l’agent pathogène par voie de mutation. On sait que cette propriété peut être modifiée expérimentalement par des passages répétés du microbe d’un hôte à un autre – caractéristique mise à profit, dans l’élaboration de vaccins vivants atténués. Cette modification, dans le cas d’épidémies, s’effectuerait probablement avant leur déclenchement et non leur évolution.
Les mécanismes biologiques par lesquels chaque individu se défend plus ou moins efficacement contre l’infection sont examinés plus loin.
Ainsi, par l’intrication de ces différents facteurs, on conçoit que l’allure et l’intensité d’un processus infectieux soient très diverses d’une maladie à l’autre et surtout d’une population à une autre. Il en résulte de grandes variations dans la physionomie offerte par les affections transmissibles dans le monde. La part que celles-ci occupent dans la morbidité et mortalité générales ne présente donc aucune stabilité.
Cinétique épidémiologique
Certaines maladies sont endémiques : à tout moment, il y a une fraction, faible mais constante, de la population en état d’infection clinique ou infra-clinique. Telles sont les maladies dites de l’enfance: rougeole, coqueluche, oreillons, varicelle, etc. D’après F. Burnet, une maladie endémique est «une maladie infectieuse présente au sein d’une population qui vit dans des conditions sociales n’offrant aucune barrière efficace à sa dissémination». À moins qu’on ne lui oppose des mesures de prophylaxie efficaces (essentiellement représentées par les vaccinations systématiques régulièrement entretenues) ou que la population ne soit tellement isolée du reste du monde que la maladie puisse en disparaître faute d’un nombre suffisant de sujets sensibles, toutes les maladies infectieuses sont endémiques. Si les mesures de protection sont soudain relâchées ou si la maladie est réintroduite dans une communauté isolée, une flambée épidémique peut se produire.
Le choléra, après s’être pendant des siècles confiné à ses foyers originels des vallées du Gange et du Brahmapoutre, a pris son essor au XIXe siècle avec le développement des moyens de transports et il a donné lieu à cette époque à de terribles épidémies dans le monde entier ou presque; il s’est implanté solidement dans diverses zones et n’a disparu de nos pays qu’après des années d’efforts internationaux et nationaux contre la pollution des eaux d’alimentation et l’insalubrité en général. De telles maladies ne sont donc plus endémiques en Europe occidentale parce que des mesures efficaces de protection ont pu être dressées contre elles; mais le monde actuel a été rapetissé et uniformisé par les transports modernes qui permettent la dissémination rapide des germes d’une région du globe à une autre, d’où la nécessité de rester vigilants et notamment de poursuivre les programmes d’immunisation massive parce qu’ils protègent non seulement les individus vaccinés mais aussi la population tout entière en diminuant le nombre des porteurs de germes, ce qui rompt les chaînes potentielles de transmission de l’agent pathogène.
Le meilleur exemple de maladie complètement éradiquée (grâce à la vaccination jennérienne) est fourni par la variole; l’O.M.S. a célébré, en 1980, la disparition de cette maladie dans le monde.
Faute de ce résultat idéal qu’est la disparition totale d’une maladie, les mesures prophylactiques basées sur la connaissance épidémiologique ont amené dans de nombreux pays un net recul de maintes maladies infectieuses qui, tout en demeurant endémiques, sont suffisamment contenues par les structures sanitaires pour ne pas s’épidémiser ou tout au moins ne donner lieu qu’à des foyers minimes et circonscrits, dits sporadiques; tel est le cas, dans nos régions, de la fièvre thyphoparatyphoïdique, de la diphtérie, de la méningite cérébro-spinale.
Par contre il paraît encore difficile de contrôler l’épidémisation de la grippe pour différentes raisons: diffusion par aérosol extrêmement rapide et intense donnant lieu à de véritables pandémies ; extrême instabilité des virus grippaux rendant la prophylaxie extensive très difficile; immunité post-grippale de courte durée. De même sommes-nous encore désarmés vis-à-vis du virus de l’hépatite A, qui, comme celui de la poliomyélite et pour les mêmes causes épidémiologiques, sanctionne l’élévation du niveau d’hygiène générale d’une population, en ce sens que l’immunisation précoce, fréquente et peu grave par des souches virales naturellement atténuées, est remplacée, dans les pays développés, par la mise en contact brutale des sujets réceptifs avec des souches issues de malades sévèrement atteints.
Ainsi, qu’il s’agisse de maladie endémique ou de maladie exogène , la lutte contre les épidémies nécessite de fermes structures sanitaires, nationales et internationales.
Mais dans la dynamique des maladies infectieuses, une place à part doit être faite dans une perspective aussi bien théorique que pratique, aux maladies à focalité naturelle . Ces maladies, particulièrement étudiées par l’épidémiologiste russe Y. Pavlovski et son école, méritent en effet d’être individualisées à cause de leur caractéristique principale: l’existence d’un réservoir naturel du germe pathogène chez une espèce (ou plusieurs) d’animaux sauvages (le plus souvent rongeurs) où la maladie est maintenue à l’état épizootique. Nous avons vu déjà que ces espèces animales constituent des «réservoirs de virus».
Ces maladies sont disséminées par des arthropodes suceurs de sang et l’agent pathogène circule dans la nature le long de la chaîne animal-vecteur-animal dont les trois maillons sont les unités de la biocénose ; celle-ci est étroitement associée à un biotope particulier, défini comme une portion de l’environnement d’une espèce animale dans laquelle les conditions écologiques sont uniformes (par exemple un marais, une prairie, un bosquet de grands arbres). Le biotope constitue un focus naturel de maladies transmissibles au sein duquel la continuité de la circulation de l’agent pathogène dans la biocénose dépend de la densité d’animaux sensibles et de l’abondance des vecteurs. Dans la plupart de ces maladies, essentiellement zoonostiques, les relations biocénotiques sont établies indépendamment de l’homme au cours de l’évolution de l’organisme pathogène et l’humain ne constitue donc, du moins au départ, qu’un hôte accidentel, un participant malchanceux qui ne joue aucun rôle dans la survivance du parasite microbien ou viral dans la nature.
Les conséquences de ces notions écologiques sont très importantes pour la lutte contre ces très nombreuses maladies aux traits épidémiologiques originaux avec leurs variations saisonnières et leur association avec une zone territoriale particulière. Ce n’est que lorsque les cycles biocénotiques de la peste, du paludisme, des rickettsioses, de la fièvre jaune, etc., ont été étudiés et précisés, que ces fléaux ont pu être efficacement combattus. Ici l’immunisation systématique des groupes humains exposés n’est plus, en général, l’arme prophylactique principale; il est indispensable d’atteindre les différentes unités de chaque biocénose et de modifier, voire de détruire le biotope qui lui est associé. Mais l’homme touche alors, souvent inconsidérément, aux délicats équilibres naturels établis entre les diverses espèces animales et végétales et les conséquences, à plus ou moins long terme, peuvent être dramatiques; l’introduction dans nos pays de la myxomatose constitue à cet égard un exemple tristement célèbre.
2. L’immunité anti-infectieuse
La contamination d’un sujet par un agent pathogène n’entraîne pas nécessairement l’apparition d’une maladie infectieuse, et il va de soi qu’un grand nombre de maladies, une fois déclarées, ne conduisent pas à la mort. En fait, des espèces animales sont capables de supporter un contact, même prolongé, avec certains germes. Alors, on dit qu’elles jouissent d’une immunité naturelle , celle-ci pouvant être absolue ou relative . Cependant, d’autres espèces, qui, à l’état naturel, manifestent une réceptivité très grande, peuvent perdre cette réceptivité. Cette autre forme d’immunité est appelée acquise .
Immunité naturelle
Les facteurs de variation
De très nombreux exemples montrent qu’une même souche microbienne (bactérie ou virus) peut être très inégalement pathogène pour les différentes espèces animales soumises à son action. Ainsi, la bactéridie charbonneuse frappe moins sévèrement le lapin que le cobaye. Le bacille morveux parvient à se multiplier à la fois chez le cheval, l’âne et l’homme, mais il le fait en donnant des tableaux d’infection différents: aigus ou chroniques selon les cas. La fièvre récurrente est d’ordinaire moins grave chez le singe que chez l’homme. Le pneumocoque détermine expérimentalement chez la souris une septicémie mortelle; il est, en règle générale, moins dangereux pour l’homme...
Inversement, une seule et même espèce animale peut être réceptive à certains microbes et tout à fait réfractaire à d’autres. Sur ce point encore, les exemples ne font pas défaut. C’est ainsi que le chien, qui contracte si facilement la rage, ne «prend» pas le charbon. Le rat, qui résiste lui aussi à la bactéridie charbonneuse, est presque toujours une victime sans défense du bacille pesteux.
À priori, il est impossible de dire si tel parasite, telle bactérie ou tel virus, nouvellement isolés, sera, ou non, pathogène pour une espèce animale donnée. À cette question, on ne peut répondre qu’après expérimentation. Les raisons profondes, capables d’expliquer cette inégale infectiosité, échappent encore aux chercheurs. Selon toute vraisemblance, elles tiennent à des particularités de constitution chimique qui concernent, soit l’organisme infecté, soit le microbe infectant.
Souvent, la parenté des espèces s’accompagne d’une communauté relative des réceptivités. En effet, la plupart des maladies que transmettent les animaux à l’homme viennent des Mammifères. On pourrait signaler aussi que les singes supérieurs (voisins de l’homme dans l’échelle des êtres vivants) sont habituellement très sensibles aux maladies humaines. Chez des chimpanzés, on est parvenu à reproduire expérimentalement la syphilis (E. Metchnikoff et E. Roux), la poliomyélite (K. Landsteiner, W. Popper, S. Flexner, C. Levaditi), le typhus exanthématique (C. Nicolle et al.). Le macaque, comme l’homme, peut contracter la fièvre jaune, la rougeole avec exanthème (C. Nicolle) et également la scarlatine (I. Cantacuzène). Tous ces faits sont intéressants en eux-mêmes. L’expérimentation sur des animaux a permis de faire de grands progrès dans la connaissance de la pathologie infectieuse.
Cependant la réceptivité naturelle aux infections peut varier en fonction de la race . C’est ainsi que les Noirs, très réceptifs à la tuberculose, résistent mieux que les Blancs à la fièvre jaune et au paludisme (cf. HÉMOTYPOLOGIE, HÉMOGLOBINOPATHIES). Le typhus exanthématique est plus grave chez les Européens que chez les Arabes. La scarlatine est particulièrement sévère chez les Anglo-Saxons.
Un autre facteur important est celui représenté par le sexe . Les sujets du sexe féminin sont en général un peu moins sensibles aux infections que ceux du sexe masculin.
Des facteurs héréditaires interviennent non moins certainement. Ce fait, d’abord suspecté, a été confirmé ces dernières années. Dans l’espèce souris, des lignées d’animaux ont été isolées: les unes se caractérisent par leur haute sensibilité à un certain microbe, les autres, au contraire, par une résistance marquée.
Un dernier facteur doit être considéré: l’âge . À peine est-il besoin de rappeler que les grandes maladies infectieuses frappent de préférence les sujets jeunes. La gravité de la tuberculose chez les nourrissons a été mainte fois signalée. La mortalité par la coqueluche est surtout élevée chez les enfants de six mois à un an. La puberté fait perdre la réceptivité du cuir chevelu à la teigne. Toutefois, une exception est à signaler: la typhoïde du jeune âge resterait en général bénigne. Sur le plan expérimental, différentes données en rapport avec l’âge ont aussi pu être acquises. On a appris que les œufs embryonnés offrent une sensibilité particulière aux infections. On a remarqué, d’autre part, que, pour produire des tumeurs, certains virus (tel le virus du polyome) doivent être injectés à des animaux dès leur naissance. Passé le délai de quarante-huit heures, l’injection risque fort de demeurer sans effet. La sensibilité particulière du jeune aux infections est certainement à mettre en relation avec un état chimique particulier de ses tissus et de ses humeurs.
Variabilité de l’immunité naturelle
Une immunité naturelle peut être plus ou moins marquée. Le fait a été mis en évidence, d’abord par des faits d’observation, ultérieurement par des données expérimentales.
Le rôle nocif de la fatigue a souvent été noté sur des troupes en campagne. On sait pareillement qu’une poussée d’herpès peut succéder à une forte émotion. Une infection concomitante serait également de nature à réveiller des germes qui, jusqu’alors, avaient végété à l’état dormant. Ainsi, la grippe, infection peu grave en soi, est capable de susciter secondairement l’apparition de pneumonies et de broncho-pneumonies [cf. GRIPPE]; dans une plaie où résident quelques spores tétaniques, la germination de celles-ci peut être facilitée par l’activité métabolique de bactéries associées. Pourtant, on ne saurait parler de règles absolues; il existe en effet des cas où c’est exactement le contraire qui survient. Dans ces cas, la présence d’un premier agent infectant s’oppose au développement d’un second. De ce côté, on touche à l’important domaine appelé, en virologie, interférences [cf. VIRUS].
Des maladies non infectieuses (par exemple, le diabète) sont réputées capables d’aggraver la marche d’une infection. Tous les médecins connaissent, en effet, la fréquence, chez les diabétiques, des plaies infectées et torpides. Le rôle également nocif que peuvent exercer des lésions organiques, même cicatrisées, est à rapprocher de ce qui précède. L’exemple classique se rapporte cette fois à la maladie d’Osler (ou endocardite infectieuse à streptocoques), qui ne prend naissance que sur un endocarde déjà porteur de lésions anciennes.
Rôle de l’environnement
La surpopulation, dans des conditions où le niveau de vie est particulièrement bas et où l’hygiène familiale comme l’hygiène publique sont très déficientes [cf. ÉPIDÉMIES] favorise la propagation des maladies infectieuses. On peut constater le même phénomène dans le cas du bétail domestique [cf. ZOOTECHNIE], et aussi dans les réserves et parcs zoologiques. Par analogie, la situation des personnes déplacées, à la suite de catastrophes ou de conflits, est une grave préoccupation pour les autorités sanitaires.
On a souvent insisté sur l’influence nocive des vents et des brouillards, et on a pu souligner, en retour, l’influence bénéfique des séjours à une certaine altitude. Il se pourrait qu’une température ambiante très froide et, à plus forte raison, un abaissement important, chez l’animal, de la température centrale soient à même d’exercer un rôle anti-infectieux. Mais il existe aussi des exemples de cas contraires, tel celui révélé par l’expérience suivante de Pasteur: les injections sous-cutanées, intra-musculaires... de 5 à 10 ml de culture de bactéridies charbonneuses à une poule ne provoquent aucun symptôme; cependant, l’immersion des pattes dans l’eau froide rend l’animal réceptif au charbon. Pour beaucoup d’auteurs, la poussée de température qui accompagne nombre de maladies infectieuses mériterait d’être respectée, en particulier quand sont en cause des maladies à virus (A. Lwoff).
Données expérimentales
En bref, on peut dire que les données expérimentales ont, dans leur ensemble, confirmé les faits d’observation. Plusieurs d’entre elles sont anciennes; ainsi, il est connu depuis fort longtemps que la splénectomie aggrave pour ainsi dire toujours l’évolution d’une parasitose, tel le paludisme. Toutefois, c’est surtout depuis 1944 que les faits les plus probants ont été recueillis.
Devant les troubles graves qui avaient été observés dans les camps de prisonniers et de déportés, l’idée venait à quelques auteurs de rechercher, en laboratoire, l’effet exercé par des carences en protéines ou en vitamines sur la résistance de divers animaux aux infections bactériennes ou virales. On apprenait alors que, très souvent mais non toujours, de telles carences augmentent la sensibilité des animaux. À peu près à la même époque, on découvrait qu’un traitement par antibiotiques est capable, en modifiant la flore intestinale du sujet, de déclencher des troubles sévères. Un peu plus tard, vers 1950, ce sont des hormones qui, cette fois, attiraient l’attention [cf. HORMONES]. Des médecins s’apercevaient que des malades traités par l’A.C.T.H. (adréno-cortico-trophic-hormone) ou la cortisone, puissants agents anti-inflammatoires, devenaient les victimes pratiquement sans défense d’un staphylocoque ou d’un bacille de Koch.
Une nouvelle étape était franchie en 1955, lorsque commençait à poindre la grande peur de la bombe atomique, autrement dit des radiations ionisantes. Comment ces radiations, appliquées à doses faibles, peuvent-elles entraîner la mort? On ne tardait pas à apprendre que, dans nombre de cas, cette mort était liée à l’éclosion d’une maladie bactérienne: il y avait eu réveil d’un germe jusqu’alors dormant.
Deux ans plus tard, une autre découverte faite au laboratoire, révélait que l’injection de divers extraits bactériens (endotoxines ou complexes isolés du bacille de Koch) est capable de modifier de façon assez nette, pendant quelques jours, la résistance anti-infectieuse non spécifique d’un animal. Ce qui se produit dans la règle, c’est d’abord une diminution puis une augmentation de résistance. Enfin, le cas très curieux qu’offre le bacille coquelucheux est à signaler. Quand un animal (par exemple une souris) a été vacciné par ce bacille, son organisme, comme il se doit, élabore les anticorps correspondants. Mais ce n’est pas le seul changement produit. L’animal, en effet, présente au même moment des réactions insolites: il devient anormalement sensible à l’histamine, à la sérotonine, aux endotoxines, à une banale injection de peptone, et encore aux chocs anaphylactiques et aux radiations ionisantes. Ces changements traduisent la mobilisation de l’ensemble du système immunitaire.
Immunité acquise
L’immunité acquise correspond, pour l’organisme, à un état nouveau qui peut apparaître à la suite d’une maladie ou d’une infection, d’une vaccination ou d’une sérothérapie. Il traduit en quelque sorte une modification du «terrain». Il peut s’agir soit d’une immunité active, consécutive à une infection naturelle ou à l’inoculation artificielle d’un agent infectieux ou d’un de ses antigènes à l’occasion d’une vaccination, soit d’une immunité passive, transmise à l’organisme dans les conditions naturelles (de la mère au fœtus à travers le placenta), ou dans des conditions artificielles par injection de sérum [cf. VACCINS ET SÉRUMS].
Immunité active
Certaines maladies mettent à coup sûr le sujet qu’elles ont frappé à l’abri d’une réinfection. Les unes (fièvre typhoïde, peste, charbon, coqueluche, typhus exanthématique, parfois diphtérie) sont dues à des bactéries; les autres (variole, varicelle, rougeole, oreillons, fièvre jaune, etc.) à des virus. Ce ne sont pas nécessairement les maladies les plus graves qui confèrent l’immunité la plus solide. Des sujets, qui ont eu une diphtérie grave, ne sont pas mieux immunisés que les victimes de formes légères. Des formes très frustes, voire inapparentes, suffisent parfois à élever définitivement la résistance de l’organisme. Cependant d’autres affections ne laissent jamais après elles qu’un état d’immunité médiocre. C’est le cas des suppurations que provoquent les staphylocoques, les streptocoques, les pneumocoques, le gonocoque... Ici, rechutes et récidives sont fréquentes. Pareillement, parmi celles qui sont d’origine virale, l’herpès, le rhume, l’influenza sont autant de maladies qui se caractérisent par la multiplicité de leurs attaques.
L’immunité acquise après vaccination (cf. VACCINS et SÉRUMS) est plus ou moins solide et durable selon le type de vaccination en cause. Les différences observées tiennent à la nature du vaccin mais, aussi, à des particularités individuelles. Sans raison apparente, certains sujets s’immunisent bien, d’autres mal. Des particularités raciales ont été signalées; ainsi, les Noirs ne seraient pas protégés aussi longtemps que les Blancs par la vaccination antivariolique. L’état d’immunité qui succède à l’injection du vaccin s’installe progressivement, en quelques jours ou semaines. Il est en effet le fruit d’un véritable effort produit par l’organisme.
Immunité passive
À l’opposé, l’immunité acquise secondaire à l’injection d’un sérum thérapeutique, apparaît très vite: il n’y a pas de temps de latence correspondant à la synthèse des anticorps (ce mot sera défini plus loin). En revanche, elle n’est jamais que transitoire. Il s’agit cette fois d’une immunité passive, qui repose uniquement sur les anticorps apportés par le produit injecté. Ces derniers, transmis passivement au receveur, sont élaborés par un hôte immunisé à la suite d’un contact effectif avec un micro-organisme ou certains de ses produits. Le receveur ne participe donc pas activement à l’installation de cette résistance, qui lui est donnée par l’immun-sérum. Ces anticorps, étant des albumines étrangères, ne tardent jamais à être éliminés par les urines et à disparaître; à ce moment l’organisme retrouve toute sa réceptivité naturelle. Quelques années avant la Seconde Guerre mondiale, G. Ramon a conseillé, dans le cas de la diphtérie et du tétanos, de faire un traitement mixte comprenant à la fois des injections de vaccins préparés à partir de toxines dépourvues de leurs propriétés toxiques (anatoxines) et une injection de sérum. Cette méthode thérapeutique, nommée séro-anatoxithérapie, offre l’avantage de faire succéder, chez les sujets traités, à l’immunité passive instantanée mais éphémère que produit le sérum, une immunité active conférée par l’anatoxine, qui est durable.
Bases de l’immunité naturelle
Divers facteurs, tissulaires, cellulaires, humoraux, jouent un rôle dans la résistance naturelle.
Les facteurs tissulaires
La barrière cutanéo-muqueuse est la première à entrer en contact avec les germes; elle peut arrêter le processus infectieux. La peau forme un écran grâce à sa couche cornée, dont le pH constitue un mauvais milieu pour le développement des microbes. Les muqueuses agissent par la sécrétion de mucus protecteur et l’élaboration d’enzymes, tel le lysozyme, qui est présent dans la salive, les sécrétions lacrymales et le sérum.
Les facteurs cellulaires
La réaction inflammatoire groupe les réactions locales vasculaires et cellulaires qui suivent la pénétration du germe en un point de l’organisme et s’accompagne souvent de fièvre. Elle représente, en quelque sorte, la seconde barrière de défense, lorsque la première a été franchie. Elle débute par des phénomènes vasculaires : dilatation des petits vaisseaux, formation d’un réseau de fibrine qui bloque, au moins partiellement, la circulation lymphatique et limite la dissémination des bactéries. Puis apparaissent des phénomènes cellulaires (phagocytose) caractérisés par un afflux des phagocytes: leucocytes (cellules mobiles, qui sont attirées par des substances émises par des microbes et dont la progression est assurée par l’émission de pseudopodes) et macrophages (cellules de grande taille, qui deviennent mobiles à la faveur d’un processus inflammatoire). Ces cellules entourent les particules étrangères, les capturent et, si cela est possible, les détruisent. Ce processus de défense a été mis en évidence par E. Metchnikoff en 1882 (cf. système PHAGOCYTAIRE et PHAGOCYTOSE).
La phagocytose est parfois favorisée par l’existence dans le sérum d’opsonines (anti-corps correspondant aux antigènes bactériens). Celles-ci, en se fixant à la surface des bactéries, faciliteraient leur adhésion à la membrane externe du leucocyte.
L’activité phagocytaire par dégradation enzymatique du glycogène intraleucocytaire provoque une acidification de la région inflammatoire. Secondairement, la libération d’enzymes protéolytiques cellulaires peut conduire à la lyse des leucocytes. À ce moment, les macrophages englobent les débris des polynucléaires et des micro-organismes, mettant ainsi fin au processus inflammatoire local (cf. processus INFLAMMATOIRE).
L’action de la fièvre est principalement indirecte. Elle est en rapport avec l’accroissement de l’activité métabolique imprimée aux systèmes biologiques en général par l’augmentation de la température. Elle exciterait le fonctionnement des organes hématopoïétiques et favoriserait la phagocytose.
Les facteurs humoraux
Dans le plasma, un certain nombre de substances sont douées de propriétés antibactériennes non spécifiques:
– Les anticorps naturels que l’on trouve même dans le sérum des animaux maintenus dans des conditions aseptiques, mais leur rôle est mal élucidé;
– le complément , complexe qui facilite et renforce l’action des anticorps spécifiques; il permet de mener à bien certaines réactions, telles que la bactériolyse ou l’hémolyse; il provoque des lésions de la surface des bactéries qui facilitent la capture des agents pathogènes par les phagocytes (cf. COMPLÉMENT [immunologie]);
– la properdine , globuline sérique qui est douée de propriétés microbicides sur un certain nombre de germes Gram négatif et sur certains virus;
– en cas d’infections par des virus se déclenche un autre mécanisme de défense au moins aussi important: c’est celui qui repose sur l’action d’une protéine spéciale, non spécifique (donc très différente des anticorps), nommée interféron [cf. INTERFÉRON].
Bases de l’immunité acquise
Le mécanisme qui assure la production d’une immunité acquise est désormais bien connu. Cette immunité repose sur l’action de globulines spéciales attachées à certaines cellules ou répandues dans le sang et les humeurs (c’est pourquoi l’on parle volontiers en ce cas d’immunité humorale). Ces globulines, appelées anticorps , sont produites par des cellules spécialisées (par exemple lymphocytes) et apparaissent dans l’organisme dès que celui-ci est entré en contact intime avec un élément qui lui est normalement étranger: microbe, corps chimique, tissus ou organes (cf. GREFFES ANIMALES, TRANSPLANTATIONS D’ORGANES).
Des anticorps peuvent se montrer anti-infectieux de différentes façons: les uns neutraliseront directement les toxines bactériennes, les autres empêcheront des virus de pénétrer dans les cellules sensibles, d’autres encore iront seconder de façon très efficace les processus phagocytaires, enfin quelques-uns provoqueront, avec le concours du complément, directement une bactériolyse (le cas le plus typique étant ici fourni par la lyse du vibrion cholérique introduit expérimentalement dans la cavité péritonéale de cobayes vaccinés).
Quelle qu’ait été sa cause (maladie, infection, vaccination ou sérothérapie), une immunité acquise possède toujours un caractère fondamental : elle est spécifique. Ainsi, la guérison de la rougeole met à l’abri de la rougeole, mais non de la coqueluche ou de la varicelle. Une fièvre typhoïde ne récidive jamais, mais elle n’empêche pas l’apparition d’une fièvre paratyphoïde ou d’une dysenterie. Une vaccination contre la diphtérie n’élève aucune barrière protectrice contre la rougeole. Cette spécificité étroite ne fait que traduire la spécificité des anticorps.
L’immunité acquise, qui se forme peu à peu au cours des affections chroniques, se manifeste, non seulement par l’élaboration d’anticorps, mais aussi par une réactivité tissulaire anormale. Ce fait, qui peut exister chez des sujets victimes de différentes affections (telle la syphilis), est particulièrement frappant chez les personnes atteintes de tuberculose. Il donne lieu à un phénomène spécial souvent observé au laboratoire sous le nom de phénomène de Koch . L’inoculation de bacilles tuberculeux sous la peau d’un cobaye normal reste assez longtemps sans effets perceptibles; ce n’est qu’après une dizaine de jours que se forme un nodule local, accompagné d’hypertrophie des ganglions satellites; ce nodule s’ulcère ultérieurement en formant un chancre qui persiste jusqu’à la mort. Or, si la même inoculation est pratiquée sur un cobaye déjà tuberculeux, les résultats sont très différents; dès le lendemain, un abcès local prend naissance, mais il se vide rapidement de son contenu et se cicatrise en quelques jours [cf. ALLERGIE ET HYPERSENSIBILITÉ].
infection [ ɛ̃fɛksjɔ̃ ] n. f.
• XIIIe « pensée impure »; bas lat. infectio
1 ♦ (1314 « souillure ») Vx ou littér. Action d'infecter; résultat de cette action. ⇒ corruption, putréfaction.
2 ♦ Pénétration dans l'organisme de germes pathogènes; troubles qui en résultent. Infection latente, décelable uniquement par des analyses de laboratoire. Infection généralisée. ⇒ septicémie. Infection virale, microbienne. Foyer d'infection : lieu où apparaissent plusieurs cas d'une maladie infectieuse. ⇒ contagion, contamination, épidémie, infestation. — Maladie infectieuse. Infection pulmonaire, intestinale. ⇒aussi primo-infection. Combattre l'infection. « Le petit corps se laissait dévorer par l'infection » (Camus).
3 ♦ Grande puanteur. ⇒ pestilence, puanteur. C'est une véritable infection.
● infection nom féminin (bas latin infectio, -onis, de inficere, imprégner) Pénétration et développement dans un être vivant de micro-organismes qui peuvent provoquer des lésions en se multipliant, et éventuellement en sécrétant des toxines ou en se propageant par voie sanguine. Ce qui dégage une odeur puante et malsaine : Cette viande est une infection. ● infection (difficultés) nom féminin (bas latin infectio, -onis, de inficere, imprégner) Sens Ne pas confondre les sens médicaux de ces deux mots. 1. Affection = trouble, maladie. Cette affection n'est pas due à un microbe, mais à un manque de vitamines. 2. Infection = développement de microbes dans l'organisme. Combattre une infection au moyen d'antibiotiques. ● infection (expressions) nom féminin (bas latin infectio, -onis, de inficere, imprégner) Infection latente, épisode d'une infection ne se manifestant par aucun symptôme. Infection nosocomiale, infection contractée au cours d'une hospitalisation. Infection urinaire, présence de germes et de pus dans les voies urinaires. ● infection (homonymes) nom féminin (bas latin infectio, -onis, de inficere, imprégner) infections forme conjuguée du verbe infecter ● infection (synonymes) nom féminin (bas latin infectio, -onis, de inficere, imprégner) Ce qui dégage une odeur puante et malsaine
Synonymes :
- puanteur
infection
n. f.
d1./d Développement d'un germe pathogène dans l'organisme. Foyer d'infection.
d2./d Fam. Chose répugnante, malodorante. Enlevez ça d'ici, c'est une véritable infection.
⇒INFECTION, subst. fém.
I. — Action d'infecter, état provoqué par cette action. Le tissage était un autre centre d'infection (MAUROIS, Silences Bramble, 1918, p. 199) :
• 1. ... ses hautes cheminées de brique [de la Camargue] qui crachent l'infection à volutes noires, ses bromes, ses soudes, (...) toutes saloperies dont crèvent les platanes et les catalpas...
ARNOUX, Rhône, 1944, p. 350.
— P. méton. Ce qui exhale une odeur infecte :
• 2. Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!
BAUDEL., Fl. Mal, 1857, p. 50.
— P. ext. Odeur infecte. Bouffée d'infection. Derrière les balances, dans sa boîte mince, un géromé anisé répandait une infection telle, que des mouches étaient tombées autour de la boîte, sur le marbre rouge veiné de gris (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 828) :
• 3. Mon père était donc professeur de septième (...). J'étais dans sa classe. Jamais je n'ai senti une infection pareille. Cette classe était près des latrines, et ces latrines étaient les latrines des petits! Pendant une année j'ai avalé cet air empesté...
VALLÈS, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 109.
— Expr. (C'est) une infection! Cela sent extrêmement mauvais! La nièce de Martine tournait dans l'immense chambre, ouvrait les fenêtres... « Ce qu'elle sent mauvais la vieille, disait-elle, une infection! » (TRIOLET ds Poésie 43, mai-juin 1943, n° 14, p. 17).
— MÉD. et ART VÉTÉR. ,,Pénétration dans un organisme vivant d'une entité étrangère généralement pathogène, capable de s'y reproduire; résultat de cette pénétration`` (Envir. 1976). Infection aiguë, abortive, banale, générale, intestinale, latente, locale, purulente, secondaire; auto-infection, hétéro-infection; foyer d'infection; combattre l'infection. En partic. toxi-infection. Les habitants accusaient le vent de transporter les germes d'infection (CAMUS, Peste, 1947, p. 1354) :
• 4. La théorie de l'« infection focale » est mise en avant dans de nombreux états rhumatismaux et désormais l'étiquette de « rhumatismes infectieux » est appliquée sans hésitation et parfois sans arguments convaincants à la plupart des rhumatismes d'allure inflammatoire.
RAVAULT, VIGNON, Rhumatol., 1956, p. 514.
— Au fig. Action de corrompre moralement; résultat de cette action. Résister, succomber à l'infection; infection immonde. Moi, j'aime la vie (...) je l'aime dans son obscénité, (...) avec ses souillures (...) ses corruptions et ses infections (FRANCE, Barbe-Bleue, Chemise, 1909, p. 258).
II. — LING. Système complet de coloration des consonnes résultant de l'anticipation de l'articulation caractéristique de la voyelle suivante (d'apr. Ling. 1972). En vieil irlandais la distinction des différents points d'articulation que peut comporter une même consonne est essentielle (...). Cette qualité des consonnes, dite infection, se marque souvent par l'adjonction dans l'écriture d'une voyelle d'infection : i, a, u sont indices de consonnes respect[ivement] antérieures, moyennes, postérieures (MAR. Lex. 1933, p. 120).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Fin du XIIIe s. plur. « souillure (du péché) » (Hystore Job, éd. J. Gildea, 1795); 2. a) 1314 « envahissement (d'une partie du corps) par des germes infectieux » (HENRI DE MONDEVILLE, Chirurgie, éd. A. Bos, §§ 2058, 2107); b) 1484 « maladie infectieuse » (Ordonnance ds LITTRÉ); 3. 1412 « immondices puantes » (Ord. de Ch. VI ds GDF. Compl.); ca 1465 « grande puanteur » (AMÉ DE MONTGESOIE, Complainte, 36, éd. Th. Walton ds Medium Aevum t. 2, 1933, p. 33); 4. 1636 « pourriture » (MONET). B. 1933 ling. (MAR. Lex.). Empr. au b. lat. infectio, d'abord « action de teindre » (dér. de inficere « recouvrir de, teindre »), d'où B, puis, au fig. « fait de subir l'action de; salissure, souillure » notamment chez les aut. chrét. (TLL; BLAISE Lat. chrét.). Fréq. abs. littér. : 165.
infection [ɛ̃fɛksjɔ̃] n. f.
ÉTYM. XIIIe, « pensée impure »; bas lat. infectio « salissure, souillure », d'abord « action de teindre », de infectum, supin de inficere. → Infect.
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1 Vx ou littér. a (V. 1636). Action d'infecter, de répandre des émanations malsaines. ⇒ Corruption, putréfaction.
b Émanations malsaines, pestilentielles. ⇒ Miasme. || « hautes cheminées de brique qui crachent l'infection à volutes noires (…) » (Arnoux, Rhône, mon fleuve, p. 350, 1944, in T. L. F.).
1 (…) nul ne pouvait plus le porter, à cause de l'infection insupportable qui sortait de lui.
Bible (Sacy), Macchabées, II, IX, 10.
2 (…) l'horreur de ma plaie, son infection, et la violence de mes cris troublaient toute l'armée.
Fénelon, Télémaque, XII.
2 (1314). Mod. Pénétration dans l'organisme de germes pathogènes; troubles qui en résultent. || Infection inapparente (ou latente), décelable uniquement par des analyses de laboratoire. || Infection généralisée (→ Antitoxine, cit. 2). ⇒ Septicémie. || Foyer d'infection : lieu où apparaissent plusieurs cas d'une maladie infectieuse. ⇒ Contagion, contamination, épidémie, infestation; → Extension, cit. 5. || Transmettre, communiquer l'infection.
3 Avant les découvertes de Pasteur et de Lister, les opérations chirurgicales étaient toujours suivies de l'incursion des bactéries. Il en résultait des suppurations, des gangrènes gazeuses, l'envahissement du corps par l'infection. Et souvent la mort.
Alexis Carrel, l'Homme, cet inconnu, VI, V.
4 Le petit corps se laissait dévorer par l'infection, sans une réaction. De tout petits bubons (…) bloquaient les articulations (…) Il était vaincu d'avance.
Camus, la Peste, p. 232.
5 — Les rats sont morts de la peste (…) Ils ont mis dans la circulation des dizaines de milliers de puces qui transmettront l'infection suivant une proportion géométrique, si on ne l'arrête pas à temps.
Camus, la Peste, p. 73.
♦ (1484). Maladie infectieuse. || Infection purulente (ou pyohémie). → Érysipèle, cit. 2; extériorité, cit. 1. || Infection aiguë, générale, locale. || Infection secondaire. || Les grandes, les graves infections (→ Guerre, cit. 35). — Infection intestinale. — Infection puerpérale. || Germes d'infection. || L'infection s'étend, se propage. || Combattre l'infection.
6 (…) J'eus la pensée que les miasmes dont j'avais admis l'existence, parce que je ne pouvais pas expliquer autrement la production de l'infection purulente (…) pourraient bien être des corpuscules animés de la nature de ceux que Pasteur avait vus dans l'air, et dès lors l'histoire des empoisonnements miasmatiques s'éclaira pour moi d'une clarté nouvelle.
♦ (1829). Par métaphore et fig. Mal, corruption qui se transmet (→ Cancer, cit. 4; chambardement, cit. 1). || Résister à l'infection morale.
3 (1465). Vieilli. Grande puanteur. ⇒ Pestilence. || « Il sort de cet égout une infection insupportable » (Académie).
7 Un géromé anisé répandait une infection telle, que des mouches étaient tombées autour de la boîte.
Zola, le Ventre de Paris, p. 828, in T. L. F.
4 (1412). Fam. Chose infecte, très mauvaise, qui suscite le dégoût. || Quelle infection ! ⇒ Saloperie. || « Cette horrible (cit. 5) infection » (Baudelaire, « Une charogne »).
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II (Du sens étym. du lat. infectio, infectus; → Infect « teinture »). Didact., phonét. Le fait, pour le système des consonnes d'une langue, d'être influencé par l'articulation des voyelles qui leur succèdent. || Voyelle d'infection (parfois indiquée dans l'écriture) en ancien irlandais.
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CONTR. (De I.) Antisepsie, assainissement, désinfection. — Arôme, parfum.
DÉR. Le français a connu infectionniste, n. « médecin qui reconnaît une classe de maladies se propageant par infection ».
COMP. Auto-infection, désinfection, surinfection. Infectiologie.
Encyclopédie Universelle. 2012.