JORDANIE
À cause du caractère artificiel et relativement récent de sa formation, la Jordanie hachémite a hérité d’une situation précaire que seuls le courage et la détermination du roi Hussein ont réussi à préserver jusque-là. La Jordanie d’aujourd’hui a pris en effet naissance officiellement le 24 avril 1949, lorsque l’émir Abdallah, déjà roi de Transjordanie depuis le 25 mai 1946 avant de prendre le titre (provisoire) de roi de Palestine en décembre 1948, s’en est fait proclamer le roi. Entre-temps, le 24 janvier 1949, il avait décidé l’annexion (provisoire encore) de la Cisjordanie, cette partie occidentale du Jourdain, formée de la Samarie et d’une partie de la Judée, ces territoires de la Palestine aux noms bibliques étant restés aux mains des Arabes.
Née elle-même du démembrement de l’Empire ottoman, après la Première Guerre mondiale, la Transjordanie, c’est-à-dire la rive orientale du Jourdain, avait été créée selon la volonté britannique pour honorer en partie les promesses faites, à Londres, à la famille hachémite de constituer ce «grand royaume arabe» revendiqué par le nationalisme arabe et soutenu, un temps, par le célèbre Lawrence d’Arabie. Ce rêve, brisé une première fois par les accords Sykes-Picot (16 mai 1916) et la déclaration Balfour (2 nov. 1917), et une seconde fois lors de l’éviction de la monarchie hachémite à Bagdad, ne sera plus qu’un lointain souvenir lorsque la Jordanie se trouvera amputée, après la guerre de juin 1967, de la Cisjordanie et donc ramenée aux limites qui lui avaient été fixées de droit, en 1922, par la Société des Nations (S.D.N.). Depuis le 11 août 1952, date à laquelle l’Assemblée nationale jordanienne a intronisé le roi Hussein, celui-ci se trouve confronté aux délicats et souvent douloureux problèmes que valent à son royaume une création trop artificielle, l’installation de centaines de milliers de Palestiniens sur son sol et la menace permanente que constituent, à ses frontières, la présence d’Israël et, par moments, les ambitions de la Syrie.
1. La terre et les hommes
De part et d’autre du Jourdain
Suivant l’ancien tracé établi lors de l’institution des mandats français et britannique, le nord de la Jordanie est séparé de la Syrie par une partie du cours du Yarmouk. Les frontières qui la séparent, au nord-est et à l’est, de la Syrie et de l’Arabie Saoudite, ont été tracées entre 1920 et 1925. Grâce à un arrangement obtenu en 1965 avec Riy ボ, la fenêtre jordanienne sur la mer Rouge, indispensable ouverture directe sur l’extérieur, est passée de six à vingt-cinq kilomètres. Du côté irakien, la frontière fut fixée en 1932. Enfin, vers l’ouest si disputé, on peut parler de frontières provisoires dans la mesure où la ligne d’armistice fixée, après la guerre de Palestine, le 3 avril 1949, ne comporte aucune attribution territoriale à Israël ni à la Jordanie. Ainsi enserrée entre l’Arabie Saoudite, la Syrie, l’Irak et Israël, disposant d’un petit accès au golfe d’Akaba, la Jordanie a une superficie totale de 95 396 kilomètres carrés, dont 88 866 pour la rive orientale, seule attachée, juridiquement, à la Couronne hachémite.
La dépression du Jourdain (al-Urdun «celui qui descend»), prolongée par la mer Morte et le w di Araba, unit les riches plateaux de la rive occidentale et ceux de la rive orientale qui se perdent, eux, très à l’est, dans des zones désertiques. Quatre grandes régions géographiques peuvent être distinguées: les plateaux palestiniens de Cisjordanie, le système Jourdain-mer Morte-w di Araba, les plateaux de Transjordanie et la steppe désertique.
Les plateaux de Cisjordanie prolongent au sud le massif du mont Liban. Ce sont des collines d’altitude moyenne (1 000 m env.), souvent dénudées, jalonnées par des villes comme Djénine, Naplouse, Ramallah, Jérusalem, Bethléem et Hébron et séparées par d’étroites vallées. Les pluies, parfois violentes (614 mm de moyenne pour Jérusalem), et l’humidité apportée par les vents d’ouest qui favorisent surtout les versants orientés à l’ouest donnent à cette région un climat méditerranéen agréable. Cela, ajouté à la présence de nombreuses sources au pied des reliefs et à un sol fertile dans les vallées, contribue au développement d’une agriculture intensive où prédominent les jardins en terrasses: céréales, agrumes, tabac, oliviers et vigne en sont les ressources principales. Si l’été est sec en général, mais tempéré par l’altitude, en revanche l’hiver peut y être parfois rigoureux, avec de la neige.
Le fossé du Jourdain est né d’une série de glissements qui fit passer le relief, de l’époque tertiaire du Miocène au Pléistocène à la fin de l’ère quaternaire, de l’altitude + 650 m à la dépression 漣 392 m. De l’extrémité sud du lac de Galilée (face=F0019 漣 208 m au-dessous du niveau de la Méditerranée), la vallée du Jourdain, longue de cent kilomètres et large de deux à vingt kilomètres, s’abaisse rapidement vers le sud pour arriver à la mer Morte (face=F0019 漣 394 m), ou mer de Loth, dont le plus grand fond se trouve à 793 mètres au-dessous du niveau de la Méditerranée. Jusque-là, le Jourdain trace d’innombrables méandres dans une plaine de marne d’une éblouissante couleur blanche. Dans la mer Morte, les six milliards de mètres cubes d’eau apportés par le Jourdain s’évaporent, laissant des solitudes salines que prolonge, vers le sud, la dépression sableuse du w di Araba. Cette courte vallée du Jourdain dont le partage des eaux fut un constant sujet de querelle entre Arabes et Israéliens est la principale région agricole de la Jordanie.
Les plateaux de Transjordanie, entaillés de profonds canyons (ainsi le w di M jib et le w di al-Hasa), dominent de leurs 1 500 mètres des vallées, arrosées par les sources toute l’année, relativement fraîches et donc propices à l’agriculture. Les vents très secs venus d’Afrique et une pluie rare à cause de l’écran formé par ces hauts plateaux ne favorisent pas ces massifs qui s’inclinent doucement vers les cuvettes arides d’al-Azzak, au nord, et d’al-Jafr plus au sud. Mais dès que l’eau leur est donnée, les sables des plateaux de la rive orientale se couvrent de végétation. À l’est d’Akaba, toujours couvert de brumes légères, le désert de Ram, décrit par Lawrence dans Les Sept Piliers de la sagesse , montre la plus ancienne strate connue de l’écorce terrestre.
Enfin, la plus grande partie de la Jordanie (72 000 km2, soit 87 p. 100 du territoire) est abandonnée à la steppe désertique, terrain de parcours de nomades bédouins et de leurs troupeaux. La Jordanie est une terre de contrastes où alternent les collines douces et parfumées de Palestine, le ruban vert du Jourdain, les grès rouges de Pétra, les grès de Nubie bruns, rouges ou gris-vert, les roches violettes et noires des plateaux et les sables dorés, le tout dans un ciel éclatant de luminosité.
Bédouins et Palestiniens
Suivant une estimation faite en 1985 par les Nations unies, la population des deux rives du Jourdain était alors de 3 515 000 habitants. L’estimation donne 3 285 000 habitants pour la Jordanie. La densité très basse de 36,9 habitants au kilomètre carré s’explique par la nature désertique de 87 p. 100 du pays. Elle atteint cependant quatre-vingt-cinq habitants au kilomètre carré si l’on ne considère que les superficies habitables. Le taux d’accroissement annuel (1986) est de 2,8 p. 100, 56 p. 100 de la population ayant moins de vingt ans. En 1990, 68 p. 100 des Jordaniens habitaient les villes, 32 p. 100 la campagne et les villages. Trois grandes villes, Amman, Zarka et Irbid, concentrent 62 p. 100 de la population. Les actifs représentent 20 p. 100 du total, avec une très faible participation des femmes (15 p. 100), l’essentiel (63 p. 100 en 1975) se retrouvant dans le secteur des services.
Historiquement, le peuplement de la Jordanie s’est opéré par l’apport de migrants provenant des pays arabes voisins (Palestine et Syrie) avant 1948 et de Circassiens venus du Caucase vers la fin du XIXe siècle. Mais à partir de 1949 et du fait du conflit israélo-arabe, l’afflux de dizaines, voire de centaines, de milliers de réfugiés palestiniens va bouleverser numériquement, socialement, économiquement et politiquement ces données. Ces vagues successives, plus ou moins bien tolérées et parfois difficilement assimilées, sont venues s’ajouter à une population d’origine locale constituée par les Bédouins.
Venues de l’Arabie, divisées en Qaysites (nord de l’Arabie) et en Yéménis (sud de la péninsule), constituées en confédérations, nouant et dénouant leurs alliances, les grandes tribus chamelières ont poursuivi leur errance jusqu’au début du XXe siècle. Puis certaines se sont fixées de part et d’autre du Jourdain, sans que ce cours d’eau ait pu constituer une frontière naturelle entre elles, ce qui explique la permanence des liens des deux côtés. La Transjordanie, par ses oasis et ses relais, leur a longtemps offert, au contact de populations agricoles sédentaires, un cadre de vie exceptionnel (la «civilisation chamelière»). Lorsque l’émir Abdallah constitue son royaume, les Bédouins représentent la moitié de la population transjordanienne. La Légion arabe, formée par Glubb Pacha, recrute les meilleurs d’entre eux tandis que, progressivement, une législation (Bedouin Control Law) se substitue à la coutume pour accélérer leur assimilation et les fixer. Ils n’étaient plus en 1979 que 5 p. 100 de la population à nomadiser encore, ainsi les Rouala sur les confins syro-jordaniens. Considérés à juste titre comme fidèles à la monarchie – les vingt grandes confédérations tribales sont largement représentées au gouvernement, au Parlement, dans l’administration et surtout dans l’armée –, les Bédouins, bien qu’intégrés dans la vie moderne, constituent une communauté qui ne cache pas son attachement à l’«esprit bédouin».
Les Palestiniens formaient alors la minorité la plus importante. Les deux tiers avaient franchi le Jourdain en 1948 et les autres en 1967. Ils auraient représenté alors 56 p. 100 de la population (Cisjordanie non comprise). Pour sa part l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (U.N.R.W.A.) en avait dénombré 875 534 dont 216 245 étaient hébergés dans des camps. Majoritaires ou minoritaires au sein de la population du royaume hachémite, ils ont été et continuent à être le principal souci des autorités. Concentrés dans les zones urbaines à Amman, Zarka et Irbid, les Palestiniens ont des revendications exacerbées par la proximité de leur patrie occupée et la vigilance que s’impose, à leur égard, leur patrie d’adoption. Sept sur dix aspirent toujours à un éventuel et hypothétique retour à l’ouest du Jourdain.
La principale minorité non arabe est représentée par les Circassiens, ou Tcherkesses, venus du Caucase, à la fin du XIXe siècle, pour échapper à la conquête russe. Rassemblées en treize tribus, leurs colonies se sont implantées à Jerash (1885), w di al-Sir (1880), Naour al-Zarka (1900), Sweileh (1905), Rousseyfa (1909) autour d’Amman et dans la capitale. Ils sont une centaine de milliers. Fonctionnaires, hommes d’affaires, agriculteurs ou soldats (ils forment la garde d’honneur au Palais), ils se sont parfaitement intégrés à leur terre d’accueil, tout en restant très attachés à leur langue et leurs coutumes. La Constitution leur attribue deux sièges au Parlement et l’un d’entre eux, Saïd al-Mufti, fut même Premier ministre. Il existe également quelques autres petites communautés, très réduites, de Kurdes, de Persans (des Béhaïs essentiellement), de Turcomans et de Soudanais.
À cette absence d’homogénéité de la population s’ajoute une différenciation assez marquée entre le Nord et le Sud, le w di M jib marquant géographiquement cette ligne de partage. Les populations du Nord se sentent plus proches de Damas et de Naplouse, foyers du nationalisme arabe et palestinien. Celles du Sud, chrétiennes et musulmanes, sont demeurées moins ouvertes aux influences extérieures. Les particularismes locaux continuent ainsi à jouer alors même qu’apparaissent des différences aussi sensibles entre les générations et même entre les classes sociales.
Musulmans et chrétiens
La Constitution jordanienne (1952) proclame que l’islam est la religion d’État, mais son article 14 stipule aussi que «l’État protège la libre pratique des religions et des croyances conformément aux traditions du royaume». De fait, les musulmans et les nombreux chrétiens cohabitent dans une tolérance à bien des égards exemplaire.
Les musulmans sont naturellement les plus nombreux, avec 93 p. 100 de la population. Ce sont presque essentiellement des sunnites, ce qui s’explique par le fait que la dynastie hachémite descend du Prophète et que ses origines chérifiennes donnent au souverain jordanien des fonctions quasi califales. La proximité de la Syrie, où les sunnites sont nés de la légitimité traditionnelle de l’omeyyade Moawia, qui, gouverneur de cette province, s’y était fait proclamer calife après avoir vaincu Ali, n’a pu que conforter la présence de cette branche de l’islam autour du Jourdain. Le rite hanéfite semble dominer sur les autres, chaféite, hanbalite, malékite, dans la mesure où la loi de 1951 qui fixe le statut des musulmans (statuts personnels) est largement inspirée des préceptes et opinions hanéfites. Les chefs religieux sont rétribués par l’État ainsi que tous les fonctionnaires de la hiérarchie administrative islamique, comme les cadis. Depuis 1962, la présidence du Conseil a la charge de l’entretien des mosquées, de leurs services et leurs annexes culturelles. Une mention particulière doit être réservée aux Frères musulmans. En effet, contrairement à ce qui se passe dans les autres pays arabes, leurs activités ne sont pas considérées comme subversives. Elles sont tolérées – leur confrérie fut longtemps assimilée à une organisation politique régulière –, voire encouragée, notamment par le Palais. Cette complaisance affichée du pouvoir vaut d’ailleurs à Amman d’être régulièrement accusé par Damas d’user de ces liens avec les Frères musulmans pour soutenir l’opposition armée de ceux-ci au régime syrien.
La présence chrétienne en Jordanie ne saurait étonner, à cause des hauts lieux saints de Palestine. Il faut se souvenir que la population sémitique a été christianisée dès le Ier siècle. Les chrétiens représenteraient 4,9 p. 100 de la population (1980). La rive occidentale, non comprise dans cette évaluation, compterait pour sa part 120 000 chrétiens. De 15 à 16 p. 100 des réfugiés palestiniens seraient chrétiens. Cette importante minorité religieuse se répartit en différentes confessions. Les Grecs orthodoxes sont les plus anciens et les plus nombreux (130 000). Leur communauté, qui possède un archevêque à Amman, est rattachée au patriarcat de Jérusalem, lequel a été érigé au Ve siècle. Viennent ensuite les Grecs catholiques (60 000), dont l’archevêque, rétabli en 1932, dépend du patriarcat de Damas. Les catholiques latins seraient un peu moins nombreux (50 000), avec un archevêque établi à Amman en 1942, mais très actifs. Ils sont totalement arabes, exception faite de quelques prêtres. Les protestants, des anglicans réformés, sont quelques-uns de même que les Arméniens, répartis entre grégoriens (orthodoxes) et catholiques et localisés à Amman. Les chrétiens transjordaniens sont surtout établis dans les districts de Salt, Karak et Madaba. Ceux palestiniens, venus de Bethléem et de Ramallah, se trouvent à Amman et dans ses environs. La situation relativement privilégiée faite à ces minorités chrétiennes se traduit par une présence notable à la Chambre des députés (15 p. 100 des sièges), des portefeuilles au gouvernement (de 1947 à 1965, trente-deux cabinets sur trente-trois ont compris au moins deux ministres chrétiens). Mais si la loyauté des chrétiens transjordaniens à l’égard du pouvoir ne peut être mise en doute, celle des chrétiens d’origine palestinienne est peut-être moins assurée. La Jordanie n’est donc pas le théâtre de ces tensions interconfessionnelles que subissent les pays voisins: les chrétiens connaissent les limites de leurs privilèges et évitent de se fier trop ouvertement au pouvoir, quant aux musulmans leur position largement dominante les rend peu vindicatifs.
2. Le poids du passé
Le passé est partout présent sur les deux rives du Jourdain. C’est dans le désert de Ram, où l’on a retrouvé des sites de villages néolithiques (VIe et VIIe millénaires), que l’homme s’est d’abord fixé, menant une vie sédentaire. Au IIe millénaire, autour des points d’eau, au sud-ouest de Maan, il pratique une agriculture déjà élaborée. C’est l’époque d’Abraham, établi avec ses compagnons dans la forêt de Mambré (l’actuel Ramet al-Khal 稜l, au nord d’Hébron). Aujourd’hui, une très belle enceinte hérodienne marque la place occupée par la grotte de Macpèla, la caverne sépulcrale des patriarches Abraham, Isaac et Jacob, explorée en 1119 et depuis interdite. Dans le Sud, les mines de fer du W di Araba et de Maan fournissent du minerai aux fonderies de Feyn n sur le golfe d’Akaba.
C’est au XIIIe siècle avant J.-C. que dans le village de Rabbath Ammon (qui deviendra Amman) s’établit la capitale des Ammonites, ces Araméens venus, par la Mésopotamie, du nord de l’Arabie. En 1250, Moïse, conduisant les tribus israélites hors d’Égypte, remonte, à partir d’Eilath, le w di Araba et fonde les trois royaumes d’Emon, de Moab et d’Ammon. David (1006-966), sacré roi à Hébron, réunit Juda à Israël et fait le siège de Rabbath Ammon qu’il occupe. Après avoir soumis les Ammonites, les Moabites et les Édomites, il fait de Jérusalem la capitale politique d’un grand État palestinien. Sept siècles après David, les Nabatéens, une tribu arabe, fondent leur royaume dans le pays de Moab et d’Édom et installent à Pétra leur capitale. Ses ruines, impressionnantes, découvertes en 1812, sont magnifiquement conservées. L’empire nabatéen, qui a poussé ses marchands jusqu’aux Indes, s’étend ainsi de Damas (en 87) jusqu’aux portes de l’Égypte. Devenue ensuite l’Arabia Petrae de l’empereur Trajan (106 après J.-C.), cette province prospère sombrera progressivement dans l’oubli: Pétra restera ainsi inhabitée pendant des siècles.
La Palestine se trouve incorporée dans l’Empire romain. Des postes fortifiés (Azzak, Rabba, Lejj n) la mettent à l’abri des incursions nomades venues de l’Est. Amman est rattachée à cette province en 106 après J.-C. Mais c’est à Jérash, enfouie sous les sables jusqu’en 1925, que subsistent les plus beaux vestiges de cette époque gréco-romaine. Alexandre le Grand l’aurait fondée. La ville atteint son apogée au IIIe siècle, après la destruction de sa rivale du Nord, Palmyre la Syrienne. Arrive alors le temps des grandes invasions: d’abord celle des Perses sassanides (611-629) qui s’emparent de la vraie Croix et détruisent Jérusalem (614), puis celle des Arabes venus du Sud. Cette deuxième conquête est portée par l’élan donné par l’Islam. C’est Khalil ibn-Walid qui, après la mort du Prophète (632), va entreprendre la conquête de la Palestine (batailles de Beysan et de Fahl). En 638, sous le deuxième calife Omar, Jérusalem est enlevée. Le calife Abd al-Malik (685-705) y fait élever le fameux dôme du rocher (mosquée d’Omar) et la mosquée al-Aksa est construite. Jusqu’à l’époque des croisades, la région est divisée en deux circonscriptions militaires: Filastin (Palestine) et Urdun (Jordanie). C’est une ère de prospérité et d’immense rayonnement, les princes arabes de Damas bâtissant aux portes du désert de somptueux châteaux (Qasr-Mushatta, Qasr-Azrak, Qasr-Hamra).
Sous la dynastie des Abbassides (750-1258), dont le siège est à Bagdad, l’empire se disloque. En 1009, le calife al-Hakim occupe Jérusalem et sa région, qui deviennent une province des Fatimides dont la dynastie a été fondée au Caire. Les croisés se saisissent de la Ville sainte en 1099 et créent en Palestine un royaume franc mais Salah al-Din (Saladin), sultan d’Égypte, reprend lui-même Jérusalem en 1187. Après la chute du califat de Bagdad (1258) et la destruction de l’empire de Byzance par les Turcs (1453), le sultan ottoman Selim Ier devient maître de la Syrie, divisée en trois pachaliks dont celui de Damas qui comprend la Palestine et la Jordanie. En 1525, François Ier signe les «capitulations» avec Soleiman, dit le Magnifique, qui font de la France la protectrice des Lieux saints. En 1799, Bonaparte, venu d’Égypte, assiège Saint-Jean d’Acre mais la peste l’oblige à se retirer. En 1832, Ibrahim, fils de Méhémet Ali, vice-roi d’Égypte soulevé contre le sultan, conquiert la Syrie. Quelques années plus tard, en 1840, l’Égypte est contrainte, par les grandes puissances, d’abandonner son empire oriental. Avec le retour des Ottomans, très peu de Turcs s’installent à l’est et au sud du Jourdain. Après 1864, la Syrie ne comporte plus que deux villayets, Alep et Damas. Ce dernier s’étend jusqu’à la mer Rouge. L’arrivée des Jeunes Turcs au pouvoir (1908) n’améliore guère la situation de ces provinces lointaines et délaissées. En 1912 pourtant, l’émir Abdallah est désigné pour siéger comme député de La Mecque au Parlement ottoman qui vient d’être formé. Il en sera même le vice-président, tandis que son frère, Fayçal, le futur roi d’Irak, y représente Jeddah. Cependant, les sentiments nationalistes se développent chez les chrétiens comme chez les musulmans, prenant comme cible l’occupation turque. La Première Guerre mondiale va donner à beaucoup l’occasion de participer aux combats contre les Turcs, avec l’espoir de voir leurs sacrifices récompensés.
L’émirat de Transjordanie (1914-1921)
Lorsque se précisent les menaces de guerre, la Grande-Bretagne saisit tout l’intérêt qu’elle peut tirer, sur les plans militaire et politique, de cette fièvre nationaliste qui agite alors les Arabes sous domination ottomane. Tandis que, à Londres, l’Indian Office (Bombay) suggère le nom d’Ibn Saoud, le roi de Nedj, pour former une nation arabe indépendante, l’Arab Office (Le Caire) est favorable au chérif Hussein. Descendant du Prophète par sa fille Fatima et son petit-fils Hassan, il est le chef des puissants Beni-Hachem auxquels a été confiée, depuis huit siècles, la garde des Lieux saints de La Mecque. Le chérif Hussein en est le gouverneur depuis 1908 et il ne manifeste guère de soumission à Constantinople. En février 1914, l’un de ses trois fils, l’émir Abdallah, vient solliciter à Londres le secours de la Grande-Bretagne. Un accord est obtenu qui se traduit par un échange de correspondance secrète avec lord Kitchener (31 oct. 1914) et sir Henry Mac Mahon (juill. 1915-mars 1916). Les Britanniques consentent, sous des formes il est vrai ambiguës, à l’indépendance des pays arabes énumérés par le chérif Hussein selon un plan déjà arrêté par les Arabes de Damas dans la perspective d’un «grand royaume arabe», qui serait une confédération d’États indépendants.
Mais ce grand projet, soumis ensuite par Londres à Paris, est inconciliable avec les intérêts qu’entend conserver la France au Levant. Un second accord est signé par la France, la Grande-Bretagne (accords Sykes-Picot) et la Russie. Chacun de ces trois pays s’y voit attribuer de larges territoires d’administration directe ou des zones d’influence. Le 2 novembre 1917, par l’adoption de la déclaration Balfour, il est décidé la fondation d’un Foyer juif en Palestine. Ces dispositions successives, contradictoires et peu explicites, ont pour conséquence de laisser à part, sur la rive orientale du Jourdain, les prolongements des collines et des plaines de Syrie au sud de la limite conventionnelle de ce qui sera dévolu au mandat français. De cette région, Londres croit expédient de faire un petit État placé sous sa tutelle. Entre-temps, le chérif Hussein, résistant aux pressions de Constantinople pour l’entraîner dans la guerre, a proclamé l’indépendance du Hedjaz (5 juin 1916). Le 10 juin 1916 commence la «révolte arabe» contre les Turcs que vont conduire Hussein et ses fils, Fayçal, Ali et Abdallah. Après une première campagne dans le Hedjaz, le chérif Hussein en est proclamé roi, à La Mecque. Londres dépêche alors quelques conseillers, dont le colonel T. E. Lawrence qui secondera Fayçal.
La conférence de la paix à Paris (janv. 1919), ignorant les promesses britanniques, met un terme aux illusions qu’avaient pu entretenir les Arabes. La conférence de San Remo (avr. 1920) donne à la France les mandats sur le Liban et la Syrie, à la Grande-Bretagne ceux sur la Palestine, la Syrie du Sud (Transjordanie) et l’Irak où Fayçal, chassé du trône de Damas par les Français, sera proclamé roi, le 21 août 1921. Très vite, Londres songe à conférer un statut distinct à la rive orientale du Jourdain, exclue de l’application de la promesse Balfour. Le prince Abdallah est choisi pour réaliser ce dessein. Le 21 décembre 1920, il se trouve à Maan avec ses troupes. En janvier 1921, il arrive à Karak puis poursuit sur Amman et Ajl n, où les populations arabes lui réservent le meilleur accueil. Les Britanniques le dissuadent d’aller porter secours à son frère Fayçal, à Damas – ce pourquoi il avait fait mouvement –, en lui reconnaissant le titre d’émir de Karak. Ils acceptent même que sa juridiction s’étende jusqu’à Amman et Salt. Après une réunion tenue à Jérusalem (20 mars 1921) avec Winston Churchill, alors secrétaire aux Colonies, Abdallah consent à exercer, sous tutelle britannique, mais en conservant un certain degré d’autonomie, son autorité sur une Transjordanie désormais bien distincte de la Palestine proprement dite. Du même coup, il renonce à ses droits sur l’Irak (des notables irakiens l’en avaient nommé roi, en 1920), lequel sera donc dévolu à son frère Fayçal. Ainsi est né d’un enchaînement de circonstances à tous égards exceptionnelles l’émirat de Transjordanie.
Le mandat britannique (1922-1946)
L’émir Abdallah, deuxième fils du chérif Hussein, se trouve de facto souverain de Transjordanie, nom désormais porté par l’émirat de Karak. Le 16 septembre 1922, l’émirat est officiellement placé, par la Société des Nations, sous mandat britannique mais garde une administration propre. En mai 1923, le haut commissaire britannique à Jérusalem reconnaît d’ailleurs l’indépendance administrative de la Transjordanie, c’est-à-dire son établissement en entité étatique à vocation internationale distincte. Le premier souci de Londres est de donner à l’émir une force armée capable de faire face aux pressions extérieures – celles wahabites, d’Abdelaziz ibn Saoud, qui avait chassé le chérif Hussein de La Mecque, sont manifestes –, et de maintenir l’ordre intérieur: c’est la Légion arabe mise sur pied par le capitaine Peake (Peake Pacha) en 1923 et devenue célèbre, en mars 1939, lorsque le major John Bagot (Glubb Pacha) en reçoit le commandement. Peu à peu, l’émirat prend plus de consistance politique. Le 20 février 1925, un plan constitutionnel régularise ses relations économiques et militaires avec la Grande-Bretagne: Abdallah détient désormais des pouvoirs de législation et d’administration qu’il exerce à travers un gouvernement constitutionnel. Le contrôle britannique reste cependant étroit en ce qui concerne les politiques étrangère, financière et de défense.
Une nouvelle étape est franchie lorsque, le 16 avril 1928, est proclamée une Loi organique qui va tenir lieu de Constitution. L’émirat y est déclaré héréditaire: l’émir, chef de l’État, nomme et révoque le Premier ministre, fixe les dates des élections, convoque et dissout le Conseil législatif. Les membres de ce premier conseil, élus en février 1929, ratifient l’accord avec la Grande-Bretagne (4 juin 1929). Avec prudence mais obstination et intelligence, l’émir Abdallah s’efforce de se libérer sans secousses de l’emprise britannique. Il obtient de nouvelles satisfactions (des représentations consulaires dans les pays arabes) en juin 1934 et, en mai 1939, il est admis que son Conseil exécutif se transforme en Conseil des ministres. Il devient le commandant en chef de son armée. Le souverain renforce ainsi, par des concessions de plus en plus grandes, l’édifice politique, somme toute très artificiel, qu’est la Transjordanie. La Seconde Guerre mondiale lui donne l’occasion de manifester sa bonne volonté à l’égard du tuteur britannique: la Légion arabe participe, à partir de 1940, à plusieurs opérations militaires au profit des forces britanniques (notamment contre les troupes du gouvernement français de Vichy, en Syrie) et garde des points sensibles en Palestine et en Irak. C’est à cette époque que l’émir Abdallah ambitionne le projet de former, sous son autorité, une «Grande Syrie» qui comprendrait la Syrie, le Liban, la Palestine et la Transjordanie. Mais l’hostilité de la France, jointe à la méfiance des Syriens et des Libanais et, surtout un autre projet, celui du Croissant fertile, développé par Nouri Saïd à partir de l’Irak, éclipsent le plan d’Abdallah. Ce dernier se rallie alors à une idée de l’Égypte, moins compromettante politiquement, de créer la Ligue arabe, dont la Transjordanie va être l’un des membres fondateurs (mars 1945).
La dernière étape du processus qui conduit l’émirat à l’indépendance a lieu le 27 juin 1945, lorsque Amman obtient de Londres une complète émancipation. Le 22 mars 1946, le mandat britannique prend fin pour être remplacé par un traité d’alliance entre les deux pays. Le 25 mai, le Conseil législatif proclame effectivement l’indépendance de l’État, aussitôt transformé en un royaume hachémite de Transjordanie. Le même jour, Abdallah est couronné roi dans sa capitale. Cependant cette indépendance octroyée souffre encore de la présence de forces britanniques sur la terre jordanienne. De fait, Amman obtient, le 15 mars 1948, un nouveau traité plus satisfaisant: une alliance politique et militaire est conclue avec la Grande-Bretagne qui conserve l’utilisation de deux bases aériennes et un droit de transit pour ses troupes. C’est ainsi que, par sa persévérance, son sens du compromis, sa patience et son intelligence vive et fertile en expédients, le premier roi de Jordanie aura obtenu, pacifiquement et en préservant la qualité de ses relations avec l’ancienne puissance mandataire, la reconnaissance d’un État indépendant et souverain.
La guerre de Palestine (1947-1948)
La mise en œuvre de la déclaration Balfour a provoqué, entre 1918 et 1939, l’afflux de milliers de Juifs en Palestine. Les heurts entre les deux communautés, arabe et juive, s’y font d’autant plus violents que les diverses formules de partage envisagées par les Occidentaux, entre 1925 et 1947, sont repoussées par les parties antagonistes. Les tentatives britanniques pour contrarier, à la fin de la guerre, l’arrivée des survivants juifs des massacres nazis et pour s’opposer à la constitution de groupes armés sont ensuite à l’origine d’affrontements si violents que la Grande-Bretagne devra instaurer, en 1946, l’état de siège. Puis le gouvernement britannique, constatant son impuissance, après l’échec du plan Bevin, se résigne, en 1947, à saisir les Nations unies. Le 29 novembre 1947, celles-ci votent un plan de partage (résolution 181-III) prévoyant la constitution de deux États indépendants, l’un arabe, l’autre juif, et d’une zone internationale à Jérusalem qui serait placée sous le contrôle de l’Organisation des Nations unies. Le plan est repoussé par les Arabes. Les forces armées des deux communautés s’efforcent alors d’occuper les points stratégiques d’un territoire qui est progressivement évacué et laissé à lui-même par la puissance mandataire. Le 15 mai 1948, Londres décide d’ailleurs de mettre officiellement fin à ce mandat et d’évacuer la Palestine. La veille, David Ben Gourion a proclamé l’État d’Israël.
La situation ne peut laisser indifférent le roi Abdallah. Seule de tous les pays arabes mobilisés en la circonstance, la Transjordanie est en mesure d’accomplir un effort militaire important et est décidée à le faire d’emblée. La Légion arabe (4 500 combattants) enlève la vieille ville de Jérusalem (18-23 mai) et envahit la Samarie et une partie de la Judée, prenant ainsi pied dans les régions dévolues, suivant le plan de partage de 1947, à un éventuel État arabe. Dans le même temps plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens franchissent le Jourdain pour trouver refuge sur sa rive orientale. Le 15 juillet 1948, le Conseil ordonne un cessez-le-feu et décide, le 16 novembre, qu’un armistice sera conclu dans tous les secteurs de la Palestine. La Transjordanie y souscrit le 3 avril 1949.
À l’heure du bilan, la guerre de Palestine se révèle être, somme toute, assez favorable pour le roi Abdallah puisque l’engagement de la Légion arabe et le rôle (même discuté) qu’il a obtenu de jouer au sein de la coalition arabe assurent, au terme des combats, son emprise sur la Cisjordanie et le contrôle de la partie arabe de Jérusalem. Certes le roi doit consentir au nouvel État juif l’abandon de quelques territoires dans la région d’Hébron, mais du moins est-il assuré de ne pas voir ses acquisitions remises en question par les Israéliens, avec lesquels, directement ou indirectement, il n’a pas craint d’établir des contacts secrets (lui-même aurait ainsi rencontré Golda Meir). Ses alliés arabes ne se trouvent bien sûr guère satisfaits d’une telle situation, d’autant plus que la Légion arabe a réussi à ne perdre aucune bataille. D’autre part, le fait que, le 1er décembre 1948, à l’occasion d’un Congrès palestinien tenu à Jéricho, le cheikh Mohammed Ali Jabari, maire d’Hébron, ait fait proclamer Abdallah «roi de toute la Palestine», n’a pu qu’ajouter à l’hostilité de certains Arabes, notamment palestiniens, à son endroit. L’annexion de la Cisjordanie et de la partie arabe de Jérusalem, le 24 janvier 1949, sera, à cet égard, plus mal ressentie encore.
3. La naissance d’un État (1949-1967)
La formation du royaume de Jordanie
À partir de 1949 le roi Abdallah poursuit l’édification de son royaume, soutenu de l’extérieur par les Britanniques. Grâce à une habile politique bédouine et avec l’aide de sa petite armée, alors l’une des meilleures de la région, il parvient à maîtriser les problèmes les plus urgents. Cependant, parce que son royaume se trouve peuplé de 1 500 000 habitants, au nombre desquels déjà 500 000 réfugiés palestiniens, les difficultés vont changer rapidement d’échelle et de nature. La première épreuve intervient le 1er janvier 1950 avec la dissolution du Parlement. Peu de temps après, le 2 mars, le Premier ministre, Aboul Houda, démissionne pour manifester son désaccord avec le roi à propos des négociations secrètes poursuivies avec les Israéliens. De nouvelles élections ont lieu en avril: vingt des quarante sièges pourvus sont réservés aux représentants de Cisjordanie. Ce nouveau Parlement approuve (24 avr. 1950) l’union des deux rives du Jourdain en un seul État – le royaume hachémite de Jordanie – placé sous la souveraineté du roi Abdallah. Cette décision, qui vient confirmer de manière solennelle les visées d’Abdallah sur la rive occidentale, suscite beaucoup d’effervescence chez les nationalistes palestiniens. L’agitation s’étend à Amman où le souverain vient courageusement de décider de substituer au système des clans bédouins le régime des partis. Dans cette perspective de l’instauration d’un régime parlementaire, il s’apprête d’ailleurs à organiser des élections pour août 1951. Malheureusement, le 20 juillet 1951, à la mosquée al-Aksa de Jérusalem, il tombe sous les coups d’un Palestinien proche du Mufti de Jérusalem, Hadj Amin Husseini, qui s’oppose à lui, depuis quelques temps déjà.
Talal, fils aîné du roi Abdallah, lui succède après une courte régence de l’émir Naïef. Il est proclamé roi le 5 septembre 1951, tandis que Hussein ben Talal est désigné comme prince héritier. Le nouveau souverain décide de poursuivre le programme de réformes prévu et donne son approbation à la Constitution, le 1er janvier. Mais il apparaît très vite que Talal, diminué mentalement, ne peut assumer de manière responsable ses fonctions. Le 11 août 1952, le Parlement met fin à son règne et déclare roi son fils Hussein. Un conseil de régence est choisi pour gérer les affaires du royaume en attendant sa majorité, en mai 1953. Quand Hussein prête serment, le 2 mai, les institutions sont déjà bien en place, qui vont l’aider à faire entrer la Jordanie dans le monde moderne.
La Constitution en vigueur date du 1er janvier 1952. Elle fait suite à la Loi organique du 16 avril 1928 et à la Constitution du 1er février 1947. Cette Constitution fut remplacée, le 29 mars 1958, par une Constitution de l’Union arabe, correspondant à cette éphémère union jordano-irakienne, avant d’être rétablie, le 14 juillet 1958, à la chute du roi Fayçal II d’Irak. Elle laisse, en théorie, beaucoup de pouvoirs au roi, chef de l’État, lequel tient, par le biais de l’Assemblée nationale (le Parlement), la légitimité de son autorité et reçoit ainsi la caution de son peuple. Cette Assemblée est formée de deux chambres: le Sénat et la Chambre des représentants. Les sénateurs sont nommés par le roi, tandis que les députés sont élus. Mais après une histoire parlementaire mouvementée – de 1947 à 1967, huit chambres sur neuf sont dissoutes avant d’arriver au terme de leur mandat –, qui se terminera avec la dissolution de l’Assemblée, le 23 novembre 1974, Hussein décidera (13 avr. 1978) la création d’un Conseil national consultatif (C.N.C.). Seuls y figurent désormais les habitants de la Transjordanie, lesquels peuvent être cependant d’origine palestinienne, l’une des commissions du C.N.C. ayant la charge des «affaires de la Cisjordanie occupée». Ainsi, le système politique jordanien, conçu originellement pour être un régime de démocratie populaire – le roi devant jouer le rôle de régulateur du jeu politique –, s’est transformé, sous la pression des événements et suivant la volonté du roi Hussein, en un pouvoir absolu dans les mains du souverain.
Hussein, roi de Jordanie
Hussein, troisième roi de Jordanie, appartient à la dynastie des Hachémites, issue d’une lignée directe du Prophète par sa fille Fatima.
Hussein est né le 14 novembre 1935 à Amman. Très tôt, dès que le roi Abdallah s’aperçoit que son fils Talal sera probablement dans l’incapacité de régner, il va prendre totalement en charge l’éducation de son petit-fils. Élève à Amman, puis à Alexandrie, le jeune Hussein voue à Abdallah une admiration sans bornes. L’assassinat de ce dernier à la mosquée al-Aksa, sous ses yeux, sera d’autant plus durement ressenti. Hussein a alors seize ans. Durant le court intermède de la magistrature de son père (juil. 1951-11 août 1952) et de la régence du chérif Nasser ben Jemil (11 août 1952-2 mai 1953), son oncle maternel, il poursuit son éducation d’abord au collège de Harrow, en Grande-Bretagne, puis, durant six mois, à l’Académie royale militaire de Sandhurst. Il y apprend les exigences d’une discipline toute britannique, notamment militaire, qu’il fera siennes ensuite. Connu pour son courage, Hussein a échappé, entre 1953 et 1978, à sept tentatives d’assassinat et à plus de complots encore contre son régime. «J’ai appris de mon grand-père, écrit-il, à mépriser la mort et à connaître cette paix de l’âme que seuls connaissent ceux qui n’ont pas peur de mourir.» Grand partisan des contacts personnels et des initiatives immédiates, le roi voyage constamment à l’étranger. Cette disponibilité et une réelle habileté politique lui ont permis non seulement de dénouer maintes intrigues mais aussi, et surtout, d’assurer à travers lui-même, devenu le doyen des chefs d’État arabes en exercice, la survie de son fragile royaume. À ses côtés, le prince Hassan, particulièrement au fait des questions économiques et des problèmes palestiniens, déploie d’égales activités qui font véritablement du Palais le centre de la vie politique jordanienne.
De crises en complots
Aussitôt installé sur le trône, le roi Hussein s’efforce d’imposer, bon gré mal gré, son autorité sur ses propres sujets et surtout sur ceux, Palestiniens, qui ont trouvé refuge de l’autre côté du Jourdain. Cette autorité va devenir incontestable sinon incontestée. Seule la complexité des liens de toutes sortes, affectifs ou intéressés, qui se sont tissés entre le Palais et l’extérieur, peut expliquer, mieux que les textes constitutionnels, la continuité d’un pouvoir autocratique depuis 1953 et une résistance, assez exceptionnelle en Orient, aux pressions qu’il subit de la part de forces politiques intérieures ou de puissants voisins, arabes et israélien. L’assassinat du roi Abdallah est venu relancer la campagne des forces progressistes que dominent les Palestiniens. L’opposition regroupe alors le parti Baas, l’entreprenant Parti communiste (P.C.J.), premier parti à être constitué en Jordanie (1951), et les nationalistes arabes. Ce Front est présent aux élections d’août 1951, réclamant, entre autres, le rejet de toute différenciation entre Jordaniens et Palestiniens, l’abrogation du traité jordano-britannique de 1948 et l’instauration des libertés démocratiques. De 1952 à 1957, le roi a comme premier souci de faire front, sur le plan intérieur.
Les inquiétudes du Palais sont accentuées par le fait que ces tensions internes vont de pair avec des menaces extérieures précises. Depuis 1952, les incidents jordano-israéliens sont devenus plus fréquents, l’État hébreu répliquant par des opérations de représailles (ainsi Qibya, le 14 octobre 1953) aux actions multipliées de commandos palestiniens en provenance de Jordanie. À la recherche d’appuis arabes, le roi Hussein constate que Gamal Abdel Nasser, prenant la suite du général Neguib en avril 1954, apporte un nouvel élan au nationalisme arabe, avec un succès qui ne laisse pas indifférente l’opinion publique jordanienne. Cette situation oblige le souverain hachémite à pratiquer une politique d’équilibre qui se révèlera non exempte d’ambiguïté et de danger. Un jour donc, il s’appuie sur le bloc syro-égyptien, le lendemain sur l’Arabie Saoudite ou encore sur l’Irak, où règne son cousin Fayçal II. La Jordanie est même tentée, en 1955 sous le gouvernement de Haza al-Majali, de se rallier au pacte de Bagdad, que l’Irak a signé, et qui est une coalition défensive paritaire élaborée par les Anglo-Saxons pour faire face à l’Union soviétique. De leur côté, Le Caire et Damas pressent Amman de rejoindre l’Union fédérale arabe proposée par ces deux capitales en mars 1955. Déjà des émeutes ont éclaté en 1954, à l’occasion des élections. D’autres ont lieu en octobre 1955, contre l’adhésion de la Jordanie au pacte de Bagdad, ce qui amènera le nouveau gouvernement de Samir Rifaï à renoncer à ce projet en janvier 1956.
Pour affirmer la totale souveraineté jordanienne et faire taire toutes ces critiques, le roi Hussein congédie, le 2 mars 1956, Glubb Pacha, le chef (britannique) de ses forces armées. La crise de Suez, qui éclate peu après, vient, fort opportunément, donner l’occasion à la Jordanie de soutenir l’Égypte: le 23 octobre, un commandement militaire unifié est établi pour les troupes jordaniennes, égyptiennes et syriennes. Mais la guerre de Suez est trop courte pour que la Jordanie y prenne part directement. Le roi Hussein croit cependant nécessaire d’obtenir de Londres, le 13 mars 1957, l’abrogation du traité de 1948 et le départ des soldats britanniques qui se trouvent encore sur le sol jordanien. Pour atténuer, à l’extérieur (aux États-Unis surtout), la portée de ces mesures, le souverain se sépare, le 10 avril 1957, de son Premier ministre, Suleiman Nabulsi, un pro-nassérien qui a dans son gouvernement un ministre communiste depuis octobre 1956. Trois jours plus tard, quelques unités de l’armée, dont les chefs (parmi lesquels le général Ali Abou Nawar entre autres) ont trouvé leur inspiration à Damas et au Caire, font mouvement sur Amman afin d’y instaurer une république. Des troupes syriennes, présentes en Jordanie depuis la guerre de Suez, se mobilisent, au nord, dans la région d’Ajl n, tandis que la VIe flotte américaine se déplace pour intervenir éventuellement. La sédition est réduite mais la rupture entre la Syrie et la Jordanie se précise. Elle devient effective, de même qu’avec l’Égypte, lorsque, le 1er février 1958, est formée une union syro-égyptienne qui donne naissance à la République arabe unie (R.A.U.). La riposte hachémite est immédiate: le 14 février, le roi Hussein conclut, à son tour, avec son cousin Fayçal II une union arabe qui sombre, le 14 juillet suivant, avec la chute de la monarchie hachémite à Bagdad. Pour parer à toute menace identique à Amman, des parachutistes britanniques y sont largués le 16 juillet.
Au lendemain de cette crise qui la rapproche plus encore de l’Occident (ralliement à la «doctrine Eisenhower»), la Jordanie connaît la série d’attentats et de complots la plus longue d’une histoire courte mais déjà passablement tourmentée. L’origine de ces actions multiples est tantôt palestinienne, tantôt syrienne, tantôt égyptienne. L’éclatement de la République arabe unie, en septembre 1961, va apporter quelque répit, mis à profit par le roi pour conforter ses liens avec les États-Unis. En même temps (sept. 1962), il clarifie, par un accord politique et militaire, ses relations avec l’Arabie Saoudite. L’apaisement avec Le Caire est facilité par les sommets arabes dont Gamal Abdel Nasser est l’initiateur: Hussein est présent au premier qui se tient dans la capitale égyptienne (janv. 1964). En effet, les menaces israéliennes qui se précisent, prenant corps à propos du partage des eaux du Jourdain, atténuent, sans les effacer totalement, les rivalités interarabes. Les crises internes, qui secouent quelques pays arabes (Irak, Syrie, Yémen), ne sont pas sans répercussions ailleurs, notamment en Jordanie. Affermissant son contrôle sur les institutions et procédant à de fréquents remaniements ministériels, le roi Hussein parvient à dominer la situation. Durant cette reprise en main, qui frappe surtout les communistes et les baassistes, les Palestiniens ne sont pas épargnés: Amman suspend même son aide à l’Organisation de libération de la Palestine (O.L.P.) dont le président, Ahmed al-Choukeiri, est, selon le Palais, trop lié aux progressistes.
Cette rupture, exigée par le Premier ministre, Wasfi Tall, et approuvée par le Parlement, est suivie d’une intensification des opérations de la résistance palestinienne à partir du territoire jordanien. Les raids de représailles israéliens se multiplient. En Cisjordanie, des grèves et des manifestations, parfois violentes, ont lieu pour réclamer des autorités jordaniennes des armes afin que les habitants des villages frontaliers puissent assurer leur sécurité. Hussein s’y refuse, ne voulant pas donner de motifs à Israël pour attaquer la Jordanie. Mais le prétexte est trouvé ailleurs lorsque, le 22 mai 1967, Gamal Abdel Nasser décrète la fermeture du détroit de Tiran, ce que, dans toutes les capitales arabes, l’on sait être un casus belli pour les Israéliens.
La guerre de juin 1967
La guerre est devenue désormais inéluctable. Pressé par son opinion publique et par son armée, le roi Hussein se rend au Caire pour signer un accord de défense avec l’Égypte (31 mai), elle-même liée avec la Syrie par un pacte de défense mutuelle (nov. 1966). Cinq jours après sa conclusion, le 5 juin, Israël attaque. Ayant pris des dispositions qui rendent inévitable son engagement dans la bataille, Amman se trouve aussitôt entraîné dans la guerre. Renforcée par quelques contingents égyptiens, l’armée jordanienne bombarde, depuis Bethléem, la vieille ville de Jérusalem et même Tel-Aviv, à partir de Qalqilya. De très violents combats au corps à corps opposent Jordaniens et Israéliens. Le roi Hussein, lui-même, prend part directement à la bataille. Mais soumise à des bombardements meurtriers, son armée doit se retirer sur la rive orientale du Jourdain. Épuisée, exsangue, la Jordanie, pour éviter d’être envahie, se plie la première au cessez-le-feu, qu’elle signe le 7 juin. Le désastre est immense: la Jérusalem arabe est abandonnée aux Israéliens qui, le 28 juin, par une loi votée à la Knesset, décident son annexion; la Cisjordanie est totalement occupée; on compte plus de 10 000 morts parmi les 55 000 combattants de la Légion arabe.
4. Le royaume à la recherche de sa survie (1967-1982)
Le poids des Palestiniens
Les conséquences de la guerre de juin 1967 sont catastrophiques pour la Jordanie. Elle perd sa province la plus riche économiquement, réduisant le royaume à une Transjordanie aux trois quarts désertique. Deux cent mille nouveaux réfugiés viennent rejoindre ceux de 1949, faisant de la population de la rive orientale une population à majorité palestinienne (56 p. 100). L’intégration, malgré l’effort des autorités, ne peut s’effectuer que lentement. L’amertume de la défaite est renforcée chez les Palestiniens par le sentiment qu’ils ont d’être tenus écartés de la vie de la nation, bien qu’une partie notable d’entre eux (en fait ceux du premier exode) participe aux activités économiques et aussi politiques du pays.
Une dualité dans le pouvoir ne tarde pas à s’instaurer. D’un côté, les organisations de fedayin, dominées par le courant maximaliste de Georges Habache, entendent garder leur liberté d’action en poursuivant notamment leurs incursions dans les territoires occupés. De l’autre, un gouvernement trop souvent indécis et une armée lassée des débordements de la résistance palestinienne, dont les commandos prolifèrent à Amman et dans le Nord, supportent de plus en plus difficilement cette carence du pouvoir. En février 1970, le roi interdit les activités des partis politiques, suscitant une réaction immédiate de l’opposition, aussitôt mise à profit par les Palestiniens qui appellent à l’établissement d’un «régime démocratique et national». Une première série d’affrontements a lieu avec l’armée. Ils reprennent en juin. Amman, contrôlée par le Front populaire de libération de la Palestine (F.P.L.P.), est encerclée par la troupe. Les tentatives de conciliation ayant l’une après l’autre échoué, la guerre devient inévitable.
Le détournement par le F.P.L.P. d’avions de ligne civils sur Mafrak et un attentat manqué contre Hussein donnent le signal de combats, entrecoupés de trêves éphémères, qui, de septembre («Septembre noir») 1970 à juillet 1971, vont briser définitivement la résistance palestinienne. Fort de l’appui américain et mettant à profit l’indifférence de Nasser (dont les derniers jours sont proches), le souverain poursuit méthodiquement la neutralisation des bases de fedayin établies dans le royaume. Son Premier ministre, Wasfi Tall, paye de sa vie, le 28 novembre 1971, au Caire, la réussite d’une opération que réprouve l’ensemble du monde arabe et qui, jusqu’au sommet arabo-africain du Caire (mars 1977), consacre la rupture des Palestiniens et de la dynastie hachémite. Cette réprobation arabe se manifeste par la fermeture des frontières (Irak et Syrie) et la rupture des relations diplomatiques (Algérie, Libye, Syrie). L’Arabie Saoudite et les pays du Golfe gardent cependant une attitude plus modérée.
Les accords du Caire (sept. 1970) et ceux d’Amman (oct. 1970) signés entre Hussein et Yasser Arafat n’avaient pas permis de s’entendre sur les conditions d’une présence armée palestinienne dans le pays. Celle-ci éliminée, Hussein n’exclut pourtant plus la possibilité de rassembler, sous sa couronne, Jordaniens et Palestiniens. Le 15 mars 1972, il fait connaître son plan de Royaume arabe uni, au sein duquel la Cisjordanie libérée serait érigée en «province palestinienne autonome». Pour réaliser ce projet, le roi escompte l’appui de notables de la rive orientale avec lesquels il garde d’étroits contacts. Ce plan est rejeté par l’O.L.P. et la majorité des pays arabes qui, lors du sommet d’Alger (nov. 1973), consacrent l’O.L.P. comme unique représentant du peuple palestinien. Après la guerre d’octobre 1973, dans laquelle la Jordanie évite de s’engager en refusant d’ouvrir un troisième front, le sommet de Rabat (oct. 1974) confirme la représentativité de l’O.L.P., enlevant du même coup au roi Hussein toute part de responsabilité directe dans le règlement de la question palestinienne.
La «jordanisation» du royaume hachémite
Hussein prend acte des décisions du Caire. En s’y pliant, il renonce à ses prétentions sur la Cisjordanie et met ainsi fin à l’isolement que lui a valu la répression sanglante des activités palestiniennes. Conséquent, il entreprend la «jordanisation» du royaume, réduisant la part des Palestiniens dans la conduite des affaires de l’État. Tandis que l’aide financière américaine permet de diminuer le déficit budgétaire et qu’un rapprochement prometteur s’opère avec la Syrie, le Palais décide d’importants changements constitutionnels. Le 23 novembre 1974, le Parlement (Chambre et Sénat) est dissous et un nouveau gouvernement, toujours présidé par Zeid Rifaï, est formé dans lequel ne figurent plus que quatre ministres originaires de Cisjordanie. Le Sénat seul est renouvelé, sept de ses trente membres étant originaires de la rive occidentale (quinze auparavant). L’ensemble de ces mesures accule les Palestiniens présents dans le royaume à choisir entre une «Jordanie dans la Cisjordanie», en prenant la nationalité jordanienne qui leur est proposée, et leur identité palestinienne. Le choix est difficile.
Un nouveau plan de développement (1976-1980) est mis en place, qui ignore totalement la Cisjordanie. Il a pour objectif d’assurer la viabilité économique de la Transjordanie (irrigation des terres cultivables et amélioration de l’exploitation des phosphates) en réduisant la dépendance à l’égard de l’assistance financière étrangère (64,2 p. 100 des recettes budgétaires en 1979 venant pour 95,6 p. 100 d’autres pays arabes et pour 4,4 p. 100 des États-Unis). Grâce à un nouvel amendement constitutionnel, en février 1976, les élections législatives sont ajournées sine die. Le gouvernement voit sa mission désormais limitée «à l’édification des structures sociales et économiques de la Jordanie» et perd ainsi toute fonction politique. L’Union nationale arabe, parti unique, est supprimée tandis que toute activité politique organisée non gouvernementale est désormais interdite. Le 13 juillet 1976, Moudar Badrane, directeur du cabinet royal, est chargé de présider un nouveau gouvernement. Mais, en fait, c’est le Palais seul qui détermine et conduit la politique du royaume: ministres, hauts fonctionnaires et officiers ne sont responsables que de sa stricte application.
Afin de conserver, selon les termes de la Constitution de 1952, une apparence de monarchie parlementaire, un Conseil national consultatif est institué en 1978. Formé de soixante membres nommés par décret royal pour deux ans, il est composé de notables (dix d’origine palestinienne) chargés d’assister le gouvernement. Le Palais dirige ainsi les affaires en s’appuyant sur une élite politique, numériquement très réduite et de type héréditaire, recrutée au sein des «grandes familles», fortunées et influentes, et d’une grande bourgeoisie d’affaires, nationale et transnationale. L’armée (70 000 hommes), rigoureusement sélectionnée et souvent épurée, mais bénéficiant également de nombreux privilèges, est le rempart d’un régime revenu, en 1979, à l’absolutisme qui prévalait, cinquante ans auparavant, sous le règne de l’émir Abdallah, fondateur du royaume.
L’opposition, fidèle en cela à une longue tradition de luttes revendicatives, et qui partagea jadis, mais pour une brève période seulement (1956-1957), les responsabilités du gouvernement, aujourd’hui cantonnée dans une semi-clandestinité, ne reste pas inactive. Le P.C.J. d’abord, les baassistes et quelques nassériens ensuite, dominés par les Palestiniens, en sont les éléments dynamiques. Le «frémissement de l’islam», perceptible ici comme dans tout le monde arabe, animé ouvertement par des Frères musulmans tolérés sinon encouragés par une dynastie dont la lignée descend du Prophète, ne représente pas un danger pour un régime qui a su, habilement, s’attirer la loyauté des minorités, chrétiennes en particulier (13 p. 100 de la population).
Le Palais ne semble pas craindre que l’autoritarisme, empreint d’un certain libéralisme, qu’il affiche soit la source d’une ample contestation d’une population où les tribus bédouines, soutien inconditionnel de la dynastie, ont perdu, au profit des Palestiniens, leur influence. Il est vrai que, depuis 1975, le roi Hussein, prenant en considération le «fait palestinien», adopte dans le conflit israélo-arabe une position prudente qui tient compte des aspirations de la majorité de son peuple.
Au centre du conflit israélo-arabe
À moins de consentir à disparaître de la scène proche-orientale, Hussein n’a pu accepter d’être tenu écarté trop longtemps de la mouvance arabe, après 1970. Effaçant un lourd passé fait de complots fomentés à Damas contre son trône, il n’hésite pas à renouer avec une Syrie dont les mœurs ont, il est vrai, notablement évolué depuis l’arrivée au pouvoir du général Assad. Après un «sommet de la réconciliation» en septembre 1973 au Caire, les deux chefs d’État conviennent de réaliser l’unité de leurs deux pays, unité qu’une haute commission de coordination à la charge de rendre concrète. Ce projet est, au bout de quelques mois et malgré plusieurs réalisations notables dans le domaine économique, modifié pour garder à la Jordanie, par ailleurs influencée par l’Arabie Saoudite, son indépendance politique. Mais, de manière indirecte, il facilite la normalisation des relations entre Amman et l’O.L.P.
Le sommet arabo-africain, tenu au Caire en mars 1977 en présence du roi Hussein et de Yasser Arafat, consacre la réconciliation des deux hommes, bien que les divergences ne soient pas toutes effacées. À l’époque, en effet, l’on croit possible une reprise des travaux de la conférence de Genève pour la paix au Proche-Orient. Or Hussein préfère, dans l’éventualité de cette réunion, une délégation arabe unique, au sein de laquelle les Palestiniens auraient leur place, à la formule de délégation indépendante du président de l’O.L.P. L’initiative du président Sadate de se rendre à Jérusalem (nov. 1977) met fin à la polémique. Hussein, surpris, n’affiche pas une hostilité immédiate: il se tient même à l’écart des sommets «du refus» de Tripoli (déc. 1977) et d’Alger (févr. 1978). Mais le tour pris par les négociations égypto-israéliennes, dont la Jordanie s’exclut volontairement, la signature des accords de Camp David (sept. 1978), par lesquels Hussein dit ne se sentir nullement engagé, et la conclusion du traité de paix égypto-israélien (mars 1979), accentuant l’amertume du roi, l’incitent à adopter une attitude plus ferme. Son opinion publique l’y pousse d’ailleurs (manifestations à Amman).
Cosignatrice des mesures de rétorsion décidées à l’encontre de l’Égypte lors des sommets de Bagdad, la Jordanie prend même les devants en rompant la première ses relations diplomatiques. Mais, en même temps, le Palais fait état d’un complot qui, visant le renversement de la monarchie hachémite, serait la première étape de la transformation de la Jordanie en État palestinien. Pour le roi les options sont réduites: ou il consent à s’insérer dans le processus de paix, comme l’y engagent vivement les États-Unis et l’Égypte, en espérant tenir le premier rôle dans le cadre de l’autonomie offerte aux Palestiniens, ou, restant fidèle aux engagements du sommet de Rabat (1974), il limite ses ambitions à la seule rive orientale. C’est la seconde option qui est choisie par Amman. N’ayant plus de sérieux problèmes intérieurs, sinon d’ordre socio-économiques, Hussein est en mesure de patienter, persuadé d’ailleurs qu’aucune solution n’est à attendre avant l’élection présidentielle américaine de novembre 1980. Résistant aux pressions de Washington, il ne cède rien, non plus, sur le fond, à l’O.L.P. dont la liberté d’action, politique et militaire, reste strictement contrôlée en territoire jordanien. Le 19 décembre 1979, il nomme à la tête du gouvernement le chérif Abdel Hamid Charaf, l’un des principaux inspirateurs du «refus» jordanien et considéré, à cause de son passé de nationaliste arabe, comme un interlocuteur valable pour l’O.L.P. Sa disparition prématurée (3 juill. 1980) n’infléchira pas la politique palestinienne du Palais.
Un environnement pesant
Cependant au début de décembre 1980, la tension monte brusquement à la frontière syro-jordanienne où les deux pays massent des troupes de plus en plus importantes: trente mille hommes du côté syrien avec un millier de chars. La Jordanie procède au rappel de ses réservistes. L’objectif de Damas est triple. Il s’agit de faire une démonstration au moment où la capitale jordanienne s’apprête, contre le gré du général Assad, à recevoir un sommet arabe. Les dirigeants damascènes entendent aussi obliger le roi Hussein à restreindre les activités des Frères musulmans, qui frappent en Syrie, et qui trouveraient, selon eux, des complicités actives en Jordanie, au sein même du Palais. Enfin c’est une manière de prouver au nouvel axe Bagdad-Amman, qui se constitue à la faveur du conflit irako-iranien, et à son supposé allié saoudien, que la Syrie est capable d’influer partout, y compris dans le Golfe, sur le cours des événements. La crise dure quelques semaines, jusqu’au moment où le prince Abdallah d’Arabie Saoudite parvient, grâce à une active médiation, à apaiser, sinon éteindre, le différend. Mais le IIe sommet d’Amman (25-28 nov. 1980) s’est déroulé en l’absence des États membres du front de la fermeté (Syrie, Algérie, Libye, Yémen du Sud), du Liban et surtout de l’O.L.P., consacrant ainsi une nouvelle division du monde arabe.
Cette dislocation est encore accrue depuis que l’Irak a pris l’initiative de porter la guerre en Iran (sept. 1980) et que les Jordaniens se sont rangés, dès le début des hostilités, aux côtés des Irakiens tandis que Damas fait connaître son appui à Téhéran. En janvier 1982, Hussein décide de dépêcher un corps de volontaires en Irak pour se battre contre l’Iran qui connaît quelques succès avantageux sur le front, où la guerre, après quelques mois d’enlisement, a repris. Ce faisant, le roi prend le risque d’aggraver la tension persistante avec la Syrie et de ne pas être compris par une fraction de la population de son royaume, notamment les Palestiniens pour qui la libération des territoires occupés par Israël demeure un objectif prioritaire, et par tous ceux qui craignent qu’un engagement trop marqué aux côtés du régime baassiste de Saddam Hussein, dans le conflit irako-iranien, ne se retourne finalement contre la Jordanie. Cependant celle-ci s’est préalablement assurée de quelques garanties auprès des grandes puissances. Après une visite à Moscou (26 mai 1981), au cours de laquelle le souverain hachémite tient à saluer la proposition soviétique d’une conférence internationale sur le Proche-Orient, un autre voyage, cette fois à Washington (2 nov. 1981), permet à Hussein de rétablir, avec le président Reagan, une confiance quelque peu altérée par le rôle que les États-Unis avaient assigné à la Jordanie à Camp David. Sans doute Washington a-t-il considérablement réduit son assistance depuis le rejet de ces accords par Amman (de 100 millions de dollars en 1979 à 10 millions en 1981), mais les Américains restent encore le quatrième fournisseur de la Jordanie (407 millions de dollars en 1980, fournitures militaires exclues) et le renforcement de la coopération militaire entre les deux pays est sensible en 1982 (vente de missiles Hawks et d’avions F-16). Mais, déçus par le soutien inconditionnel accordé par Washington à Israël et inquiets de l’impunité et de la puissance militaire de l’État hébreu, les Jordaniens gardent quelques raisons de douter de l’appui américain en cas de crise aiguë. En avril 1982, même si le retrait total du Sinaï par Israël s’est opéré comme prévu, Amman ne croit toujours pas à la possibilité d’un accord concernant la Cisjordanie et Jérusalem qui serait imposé par Washington.
5. De nouvelles options (1982-1988)
La fin du «Royaume arabe uni»
Le 11 août, le roi Hussein fête ses trente ans de présence sur le trône. Ce trentième anniversaire est toutefois assombri par les développements de l’invasion israélienne au Liban et la poursuite de la guerre entre l’Irak et l’Iran. À Amman, on déplore l’absence de consensus arabe qui rend la Jordanie plus vulnérable aux pressions extérieures, au moment où Israël brandit, de nouveau, l’épouvantail d’une «patrie de rechange pour les Palestiniens» à l’est du Jourdain. Le «plan Reagan» du 1er septembre 1982 – en faveur d’un «autogouvernement des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, en association avec la Jordanie – y est pourtant bien accueilli, même s’il est jugé peu crédible dans la mesure où, notamment, l’exclusion de l’Union soviétique du processus de règlement en réduit, au départ, les chances de succès. Le roi Hussein, qui ne néglige pas non plus de se rendre à Moscou (juin 1982), considère que les Soviétiques, parce qu’ils ont été écartés de la région par les Américains, ont eu tendance à jouer la carte de certains régimes locaux (la Syrie), alors qu’il est d’une importance vitale qu’un dialogue s’instaure entre les deux superpuissances pour définir une approche commune. Pour avoir bien connu les inconvénients d’une mise à l’écart du monde arabe, de 1970 à 1974, la Jordanie n’est donc pas prête à suivre l’exemple de l’Égypte, d’autant qu’il lui faut prendre en considération la revendication palestinienne de la majorité de sa population. Et parce qu’il constate, sur le terrain proche-oriental, les faiblesses de la diplomatie américaine (même armée, comme au Liban), le roi Hussein n’est pas davantage disposé à suivre son sillage. Autant de contraintes que d’expériences qui expliquent – et justifient – la démarche assez particulière que va tenter le souverain hachémite.
Une union jordano-palestinienne
Après avoir participé au sommet arabe de Fès (6-9 sept. 1982), le roi Hussein suggère, à Amman (20 sept.), une union jordano-palestinienne proche des propositions du président Reagan. Soulignant que la formule de cette «confédération» doit être définie sur la base du droit de l’autodétermination des peuples palestinien et jordanien, auxquels elle serait soumise par référendum, il affirme que «le problème palestinien est une affaire strictement jordano-palestinienne avant d’être arabe». Ce projet de «Royaume arabe uni» vise à «confédérer» les deux rives du Jourdain, alors que le plan de 1972, portant le même nom, proposait de «fédérer» Bédouins et Palestiniens. Contrairement à ce qui s’était passé en 1972, la suggestion de septembre 1982 est bien accueillie par les régimes arabes modérés et les responsables de l’O.L.P. préalablement consultés. Dès le mois d’octobre, les consultations commencent, à Amman, entre Yasser Arafat et le roi, afin de préciser l’action politique conjointe à mener. Le président de l’O.L.P. déclare que les Palestiniens et les Jordaniens «ne forment qu’un même peuple», tandis que le roi Hussein invite l’O.L.P. à reconnaître le droit d’Israël à exister et entame une tournée à l’étranger pour y présenter son plan. Le renforcement du courant modéré de Yasser Arafat, lors de la session du Conseil national palestinien (C.N.P.) à Alger (févr. 1983), encourage Amman. Mais Washington, guère convaincu par ces négociations jordano-palestiniennes, commencées dans le cadre d’une Haute Commission mixte, presse le souverain de s’engager plutôt dans le processus défini par le plan Reagan. Si la perspective d’une confédération jordano-palestinienne, reconnaissant alors Israël et nouant avec lui des relations pacifiques, paraît coïncider avec celle que dessine ce plan, elle s’en écarte au moins sur un point essentiel: le «plan Reagan» spécifie que, dans les négociations qui doivent intervenir, toujours dans le cadre de Camp David, les États-Unis s’opposeront à la création d’un État palestinien indépendant, au même titre qu’à l’annexion par Israël des territoires occupés. Au début d’avril 1983, le roi Hussein et Yasser Arafat sont parvenus à mettre au point un document de travail, dont la principale originalité est de mentionner le plan Reagan, mais le président de l’O.L.P., soumis aux pressions de son comité exécutif et déjà en butte aux violentes attaques de Damas, revient sur certaines de ses modalités: entre autres, l’O.L.P. maintient finalement la revendication d’un État indépendant comme préalable à toute formule d’union avec la Jordanie et entend être représentée à des négociations, non pas au sein d’une délégation commune jordano-palestinienne, mais en tant que telle. Le dialogue jordano-palestinien piétine.
Amman va alors mettre à profit une situation peu favorable à la direction palestinienne – éviction du Liban et dispersion des combattants –, pour renforcer ses positions: le 6 janvier 1984, le roi Hussein convoque le Parlement (Chambre des députés et Sénat), dont les activités sont suspendues depuis 1974. En rétablissant la Chambre, composée pour moitié de députés palestiniens, le souverain veut confirmer les responsabilités qu’il juge être siennes à propos de la Cisjordanie. Cette réactivation signifie le retour en force d’une conception plus active du rôle de la Jordanie dans la recherche d’une solution à la question palestinienne. Un nouveau gouvernement – succédant à celui de Moudar Badrane, en place depuis sept ans et demi, si l’on excepte le bref intermède d’Abdel Hamid Charaf en 1980 – est formé avec Ahmad Obeidat, comprenant sept Palestiniens sur les vingt ministres, au lieu de cinq dans le précédent cabinet. S’adressant au Parlement (16 janv.), le roi Hussein s’emploie à apaiser les craintes de ses interlocuteurs palestiniens: certes, la Jordanie a une responsabilité «historique» vis-à-vis de la Cisjordanie et doit donc être associée à part entière dans un processus de négociation, mais elle ne peut monter en première ligne sans l’aval de l’O.L.P., ou tout au moins de sa composante modérée «légitimement et librement» représentée par Yasser Arafat. Le 26 février, le dialogue jordano-palestinien se renoue. Des élections législatives partielles ont lieu (12 mars), les huit députés cisjordaniens, dont les sièges étaient vacants, étant désignés par un scrutin interne au sein du Parlement. À l’occasion de sa session d’octobre 1984, le roi Hussein rejette un appel à négocier du Premier ministre israélien, affirmant qu’il ne renoncera jamais aux territoires occupés. Le 22 novembre, à Amman, à l’ouverture du dix-septième C.N.P., il propose une initiative jordano-palestinienne en vue de négociations de paix dans le cadre d’une conférence internationale.
Un accord éphémère
Aboutissement de longs et parfois difficiles pourparlers, un accord entre le roi Hussein et Yasser Arafat intervient finalement, le 11 février 1985, à Amman. Il envisage qu’une délégation commune jordano-palestinienne puisse participer à d’éventuelles négociations de paix. Mais plusieurs divergences subsistent entre les deux parties, traduisant une lecture différente du document: attitude face à la résolution 242 (1967): «représentant unique» ou «délégation commune»? Damas rejette l’accord, considérant qu’il s’agit d’un document de «reddition» qui, à l’instar de l’éphémère accord de paix libano-israélien du 17 mai 1983 abrogé moins d’un an plus tard, «est voué à l’échec». Le ministre des Affaires étrangères israélien, Itzhak Shamir – à la différence de son Premier ministre, Shimon Pérès –, a des mots presque aussi sévères que ceux des Syriens. Le roi Hussein et Yasser Arafat se concertent sur d’éventuels contacts avec des responsables américains. Le souverain présente le plan à la Maison-Blanche (29 mai 1985) mais la décision des États-Unis (24 oct.) d’ajourner un projet de vente d’armes américaines à la Jordanie est perçue, à Amman, comme une injuste sanction infligée en dépit des efforts déployés dans les mois qui précèdent par le roi pour relancer les négociations au Proche-Orient. L’échec des pourparlers triangulaires entre le royaume hachémite, l’O.L.P. et Washington marque les limites de l’entreprise. La détérioration des relations jordanopalestiniennes ira désormais en s’accentuant. Le 19 février 1986, le roi Hussein, après une dernière concertation avec Yasser Arafat, annonce l’échec des conversations jordano-palestiniennes. En fermant les bureaux du Fath à Amman (juill.), puis en lançant un plan quinquennal (1986-1990) pour le développement de la Cisjordanie et de Gaza (1er nov.), le souverain cherche manifestement à réduire l’influence de l’O.L.P. dans ces territoires. Pour celle-ci, le plan de développement – d’un montant de 1,4 milliard de dollars – vise à provoquer l’émergence de responsables palestiniens, qui la concurrenceront directement et pourront prétendre à participer à d’éventuelles négociations, favorisant l’établissement d’un «condominium» jordano-israélien sur ces territoires.
La rupture
Le dix-huitième C.N.P. tenu à Alger en avril 1987 consacre l’autorité de Yasser Arafat – lequel croit devoir rappeler l’importance des «relations spéciales et particulières qui lient les deux peuples jordanien et palestinien» – et confirme l’abrogation de l’accord d’Amman. Les dirigeants jordaniens semblent résignés à l’inévitable. Le 6 décembre 1987, le cycle de violences, toujours latent dans les territoires occupés, s’emballe: c’est le soulèvement – l’«intifada» –, la «révolte des pierres». L’absence à peu près totale d’influence de la Jordanie sur cette révolte conduit le roi Hussein, après l’échec d’une dernière tentative demandant au sommet arabe d’Alger (juin 1988) de ne pas exiger dans l’immédiat la création d’un État palestinien indépendant, à prendre ses distances vis-à-vis de la question palestinienne. Le 31 juillet, dans un long discours adressé à la nation, il annonce la rupture des «liens légaux et administratifs» entre son pays et la Cisjordanie, affirmant répondre ainsi «à la volonté de l’O.L.P., représentant unique et légitime du peuple palestinien». En déclarant «la Jordanie n’est pas la Palestine», le roi met fin – temporairement? – à son rêve de «Royaume arabe uni» et place l’O.L.P. dans une situation délicate. La reprise du dialogue, le 22 octobre, entre le roi Hussein et Yasser Arafat rassure quelque peu les Palestiniens des territoires occupés, justement inquiets des conséquences politiques et économiques du «désengagement jordanien». La proclamation, par Yasser Arafat devant le C.N.P. à Alger (15 nov.), d’un État indépendant «en Palestine» se trouve être aussi, en quelque sorte, une réponse à la décision de la Jordanie.
Une politique étrangère à hauts risques
Au sein du monde arabe
Ces périlleux exercices du roi Hussein ne sont pas sans influencer la politique étrangère du royaume. Autant que l’étendue de ses relations avec l’Irak, favorisées par la nécessité dans laquelle se trouve celui-ci de disposer de la profondeur stratégique de la Jordanie dans la guerre contre l’Iran, le rapprochement jordano-palestinien entamé à partir de 1982 irrite la Syrie. Elle a différentes manières de le faire savoir, qui ne sont pas toutes diplomatiques: plusieurs attentats antijordaniens à Amman ou à l’étranger (oct.-déc. 1983; mars-avr. 1985) lui sont parfois imputés quand ils ne sont pas revendiqués par des organisations palestiniennes (comme le «groupe Abou Nidal») opposées à ces démarches. L’accord d’Amman du 11 février 1985 fait monter la tension. Cependant, la formation d’un nouveau gouvernement (4 avr.), sous la présidence d’un ancien Premier ministre, Zeid Rifaï, réputé proche de la Syrie, apaise les esprits. Celui-ci s’est fait l’avocat d’une réconciliation avec le régime de Damas depuis que les relations syro-jordaniennes sont entrées dans une phase critique en 1980. Le 12 novembre, le Premier ministre est en visite en Syrie. La réconciliation paraît d’autant mieux engagée que l’accord jordano-palestinien est progressivement mis en sommeil. Un rapprochement entre Amman et Damas permettrait au roi Hussein de jouer les médiateurs entre la Syrie et l’Irak, comme on le souhaite alors à Bagdad. La visite officielle du souverain à Damas (30 déc.) est l’aboutissement de ces efforts. Il y fait d’importantes concessions au général Hafez al-Assad, d’abord en admettant publiquement que les Frères musulmans syriens ont effectivement mené des actions contre son régime à partir du royaume hachémite et en assurant que cela ne se reproduira plus; puis, en reconnaissant implicitement le rôle de la Syrie au Liban. Ce rapprochement, qui permet d’entretenir une certaine dynamique de la percée diplomatique en cours au Proche-Orient, souci constant du roi Hussein, supprime également la menace que l’hostilité de Damas fait peser sur la sécurité du royaume. Dès lors, les relations jordano-syriennes progresseront normalement, sans à-coups (le président Assad se rend à Amman, le 5 mai 1986), ponctuées de déplacements renouvelés du roi Hussein dans la capitale syrienne, dans l’espoir de favoriser une clarification des rapports entre l’Irak et la Syrie (rencontre secrète de deux chefs d’État, quelque part en Jordanie, le 27 avril 1987).
L’Égypte bénéficie, aussi, de cette volonté du roi Hussein de ressouder les rangs arabes. Quelques échanges ministériels et la conclusion d’une série d’accords (3 oct.-25 déc. 1983) sont les prémisses du rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays (25 sept. 1984). Le président Moubarak se rend à Amman (9 oct.) pour donner un contenu concret à ces retrouvailles, en dépit des critiques qu’elles soulèvent dans le monde arabe. La coopération bilatérale s’organise et la concertation politique se développe, facilitée par le fait que l’Irak et l’Égypte sont, par ailleurs, engagés dans la même voie. La reprise des relations entre la Jordanie et la Libye (23 sept. 1987), rompues en février 1984 à la suite de la mise à sac et de l’incendie de l’ambassade jordanienne à Tripoli, s’inscrit dans cette même perspective de renforcement de la solidarité arabe avant la tenue du sommet extraordinaire d’Amman (8 nov. 1987), consacré à la guerre du Golfe. Ce réseau d’alliances arabes constitué patiemment par le souverain hachémite, même si certaines demeurent conjoncturelles, lui permet de garder sa place dans le jeu proche-oriental, tout en prenant, si nécessaire, ses distances. La rencontre d’Akaba (22 oct. 1988) – entre Yasser Arafat, Hosni Moubarak et le roi Hussein –, malgré la rupture du 31 juillet et avant même la «déclaration d’indépendance» du 15 novembre, renforce, quel que soit le tour pris par les relations jordano-palestiniennes, la constitution d’un axe arabe modéré autour de la Jordanie, de l’Égypte, de l’Irak et de l’O.L.P.
Entre États-Unis et Union soviétique
L’équilibre que veut maintenir la Jordanie dans ses rapports avec les États-Unis et l’Union soviétique n’est pas moins délicat à réaliser. Le fait que Washington se prononce pour l’évacuation des territoires occupés par Israël et pour le droit des Palestiniens de se gouverner mais refuse d’envisager, au terme d’un processus qui ne peut être que celui défini par les accords de Camp David, la formation d’un État palestinien indépendant, heurte la stratégie du roi Hussein. En mars 1984, celui-ci, irrité par l’attitude américaine, en vient même à dénier aux États-Unis «la crédibilité et l’impartialité» nécessaires au parrainage d’un règlement de paix au Proche-Orient et conclut que, dans ces conditions, ils n’ont pas le droit de refuser à l’Union soviétique un rôle dans un éventuel processus ayant pour cadre une conférence internationale. Le retrait du projet de vente de missiles Stinger, qui fait suite à ce durcissement de la Jordanie à l’égard de la politique américaine, n’en est que plus durement ressenti à Amman où l’on menace de se procurer en Union soviétique les armes qui lui seraient refusées aux États-Unis. Au début de 1985, des SAM-6 soviétiques sont effectivement livrés. L’ajournement de la vente de 40 chasseurs F-16 ou F-20, de missiles anti-aériens Hawk (23 oct. 1985), pour 1,9 milliard de dollars, de nouveau reportée à une date indéfinie (févr. 1986) conduit l’armée jordanienne à rechercher l’acquisition de matériels soviétiques ou français (des Mirage 2000). La Jordanie est aussi en quête de soutiens européens pour sa politique, notamment quand il s’est agi d’obtenir une aide financière à son plan de développement pour les territoires occupés, pierre angulaire de sa politique au lendemain de la rupture entre Amman et l’O.L.P., le 19 février 1986. La France, que le roi visite souvent, se montre particulièrement attentive à ses démarches et les encourage avec la prudence que requiert le maintien de bonnes relations avec l’O.L.P. Le niveau des échanges économiques reste cependant faible: en 1987, les exportations françaises vers la Jordanie étaient presque sept fois supérieures (68 millions de dollars contre 10 millions de dollars) à celles de la Jordanie vers la France.
La décision du roi Hussein de rompre ses liens avec la Cisjordanie consacre finalement l’échec de la politique américaine, qui consistait à faire du souverain jordanien l’interlocuteur privilégié de tout règlement du problème palestinien. Bien que renonçant à toute prétention sur la Cisjordanie et Gaza et laissant le soin d’en traiter à la seule O.L.P., la Jordanie ne peut être dégagée de toute tentative d’un règlement israélo-palestinien.
6. Les incertitudes (1989-1993)
La recherche du compromis
Ayant pratiqué, depuis 1982, une politique à hauts risques, le roi Hussein peut espérer, au début de 1989, quelque répit. La création d’un Conseil de coopération arabe, à Bagdad, le 16 février ouvre d’heureuses perspectives de coopération économique pour la Jordanie avec l’Irak, l’Égypte et le Yémen du Nord, qui en sont membres. Mais, entre le 18 avril et le 1er mai, des manifestations contre la politique économique et la vie chère, d’une violence sans précédent (8 morts), dans des régions comme Ma’an et Karak, connues pour leur attachement au souverain, rappellent celui-ci à la dure réalité. Le Premier ministre, Zeid Rifaï, devenu extrêmement impopulaire, et son gouvernement démissionnent (24 avr.). Le maréchal Zeid Ben Chaker, cousin du roi et chef de son cabinet, forme le nouveau gouvernement dont l’une des premières missions est l’organisation de prochaines élections législatives. Les Jordaniens réclament, en effet, une plus large part de responsabilité dans la participation au pouvoir. Les élections, les premières depuis vingt-deux ans, ont lieu le 8 novembre. Les islamistes enlèvent trente et un des quatre-vingts sièges, les Frères musulmans en obtenant vingt à eux seuls; ils catalysent le vote protestataire et, possédant l’expérience et la cohérence qui font défaut aux autres formations, remportent une spectaculaire victoire. Moudar Badrane, nommé Premier ministre, forme, le 6 décembre, un cabinet, mais sans la participation des islamistes, lesquels refusent de s’y associer. Tandis que le roi déclare vouloir poursuivre le processus de démocratisation, en faisant désigner (9 avr. 1990) une commission pour l’élaboration d’une Charte nationale, destinée à assurer le bon fonctionnement du pluralisme et à définir un nouveau contrat social, la gauche éprouve quelque difficulté à s’organiser. À l’épreuve politique s’ajoute une situation économique critique, avec, pour trois millions d’habitants, une dette de 8,3 milliards de dollars, une inflation de 30 p. 100 (en 1989) et un chômage dépassant 20 p. 100 de la population active.
La violence qui se développe dans les territoires occupés, à la suite du blocage du processus de paix, et l’alignement marqué de la Jordanie sur un Irak jugé de plus en plus menaçant par Israël et par les monarchies du Golfe paralysent, en outre, une diplomatie jugée, jusque-là, comme l’une des plus actives du Proche-Orient. Jamais, depuis 1948, le royaume ne s’est trouvé dans une situation aussi délicate.
Le 28 mai 1990, à Bagdad, lors du sommet arabe au cours duquel doit être discutée, notamment, la question de la «solidarité» avec Amman, le roi Hussein lance un véritable appel de détresse, principalement aux États pétroliers du Golfe, les exhortant à agir en faveur de son pays «avant qu’il ne soit trop tard». C’est lors de cette même réunion que le président irakien, Saddam Hussein, menace sans détour de s’en prendre militairement à Israël et fustige la mollesse des monarchies du Golfe. Quelques jours plus tard, la tension monte entre l’Irak et le Koweït. Pressentant l’imminence de la guerre, le roi Hussein – qui, depuis janvier, s’est entremis secrètement entre les deux pays – et ses ministres multiplient, sans succès, les tentatives d’arbitrage d’une capitale à l’autre. Lorsque, le 2 août, le Koweït est attaqué, la Jordanie vote contre la résolution de la Ligue arabe condamnant l’invasion, mais ne reconnaît pas le gouvernement que Bagdad y met en place.
Dans la crise du Golfe
Hussein, le doyen des dirigeants arabes, a pu imaginer, jusqu’au dernier moment, qu’il était le mieux placé pour conduire une médiation avec l’Irak. Les événements ne l’ont pas permis. Aussi, c’est avec amertume et résignation, mais persuadé qu’il peut aider à trouver une solution arabe au conflit, qu’il va choisir de soutenir, malgré tout, Saddam Hussein. Sans doute y est-il poussé par son peuple qui, comme un défi à l’Occident, adopte une position maximaliste, n’oubliant pas que, pendant les huit années de guerre entre l’Irak et l’Iran, Amman a soutenu Bagdad sans réserve. Fuyant l’Irak et le Koweït, des centaines de milliers de réfugiés de toutes nationalités affluent en Jordanie, tandis que les travailleurs jordano-palestiniens émigrés dans le Golfe sont contraints de rentrer. Dans le même temps, l’embargo décrété par les Nations unies contre l’Irak touche directement le royaume, dont les principales opérations économiques sont très dépendantes de son voisin. S’affirmant proche des idées arabes et aussi préoccupé des idées occidentales, acceptant cet afflux massif de réfugiés comme preuve de sa bonne volonté, le roi entend, tout au long de l’été de 1990, donner une chance à la paix et favoriser une solution arabe, sans intervention étrangère. Mais cette position, qui ne convainc personne, ni à Washington ni même à Bagdad, est constamment battue en brèche par les décisions, chaque jour plus affirmées, du monde arabe. Après le Koweït, la Jordanie ne tarde pas à apparaître comme la principale victime de la crise du Golfe, payant déjà, politiquement, diplomatiquement et économiquement, le mauvais choix initial de son soutien à l’Irak. Le 27 septembre 1990, l’Arabie Saoudite, en représailles, ferme ses frontières aux marchandises jordaniennes: la Jordanie, où la colère populaire monte, est mise en quarantaine.
Les conséquences de la crise du Golfe sont importantes en politique intérieure. Le Parlement porte à sa présidence le porte-parole du bloc islamiste, Abdelatif Arabeyat (17 nov.). Pour la première fois, à l’occasion d’un remaniement ministériel (1er janv. 1991), les Frères musulmans entrent au gouvernement où ils détiennent cinq portefeuilles, dont ceux du Développement social et de l’Éducation. Un consensus forcé s’est instauré autour du roi lequel, pour avoir manifesté sa solidarité à l’égard de l’Irak et avoir partiellement démocratisé la vie politique, n’a jamais été aussi populaire. Le 17 janvier, le déclenchement de l’opération Tempête du désert pour la libération du Koweït entraîne la mise en état d’alerte maximale de l’armée jordanienne. À Amman, on redoute surtout que le tir de missiles irakiens sur Israël ne provoque sa riposte et jette, indirectement, le royaume dans la guerre. Aux prises de position radicales d’une majorité de parlementaires, le roi et son Premier ministre, Moudar Badrane, répondent par des offres de consultations pour l’obtention d’un cessez-le-feu. Cependant, à Washington, le président Bush, rejetant les appels de Hussein, dénonce l’alignement de la Jordanie sur l’Irak. L’euphorie provoquée, le 22 février à Amman, par l’annonce de l’acceptation par Bagdad de l’initiative de paix soviétique est vite balayée par le déclenchement de l’offensive terrestre alliée dont le caractère fulgurant laisse les Jordaniens abasourdis. Partagés entre la déception et la colère, ceux-ci, à l’exemple de leur roi, ne tardent pas à vouloir tourner une si funeste page.
Quel avenir?
Au sortir d’une guerre traversée dans un état d’«hystérie collective», la Jordanie a miraculeusement préservé sa cohésion. Pourtant, trop ouvertement engagée dans un soutien à l’Irak, elle ne peut espérer trouver la place à laquelle elle aspire sans que soit esquissée une solution à la question palestinienne. Or celle-ci doit être, selon les États-Unis, remise sans tarder à l’ordre du jour. Pour ce faire, le roi Hussein est prêt à revenir à l’esprit de l’accord jordano-palestinien de 1985, c’est-à-dire à une coordination commune, si les Palestiniens le souhaitent. En même temps, il déclare (2 juin 1991) être prêt à des contacts directs avec Israël. Son pouvoir ayant été renforcé par l’adoption de la Charte nationale consacrant le pluralisme politique, lors d’un Congrès représentant tous les courants politiques (9 juin) et par la formation d’un gouvernement, dirigé par Taher Masri, d’origine palestinienne, mais sans la participation des Frères musulmans, dont l’audience a décru (19 juin), le souverain marque sa volonté de voir son pays prendre un nouveau départ. Il souscrit, presque sans réserve, au processus de paix, dont la Conférence sur la paix au Proche-Orient, tenue à Madrid (30 oct.-3 nov. 1991), marque la relance. Pour la première fois, Jordaniens, Syriens, Palestiniens et Israéliens se réunissent autour de la même table, ces derniers acceptant de négocier un plan d’autonomie de cinq ans. Cependant, au sein du Parlement, une alliance de circonstance, comprenant des nationalistes arabes et quelques conservateurs, réclame la démission du Premier ministre. Au terme de cette crise, le maréchal Zeid Ben Chaker reprend cette charge (21 nov.). La victoire du Parti travailliste aux élections législatives de juin 1992 en Israël encourage les Jordaniens. Malgré les obstacles rencontrés lors des négociations de l’«après-Madrid», les bilatérales jordano-israéliennes enregistrent quelques progrès, au point que la perspective de la signature d’un traité de paix paraît, désormais, envisageable pour Amman, qui entend toutefois ne pas faire cavalier seul.
Le rétablissement d’une situation difficile opéré tout au long de l’année 1992 – favorisé par la reprise de l’économie (10 p. 100 de croissance du P.N.B.), l’engagement en faveur de la démocratie, la réconciliation progressive avec les États-Unis et la Grande-Bretagne allant de pair avec le moindre engagement de la Russie après l’effondrement de l’Union soviétique, malgré l’absence de normalisation avec les monarchies du Golfe et la prise de distance à l’égard du régime irakien – est malheureusement assombri par l’annonce, le 20 août, de la maladie du roi Hussein. Dès lors, la question de sa succession se trouve posée. Les qualités reconnues du souverain et la longévité exceptionnelle de son règne en font la question centrale pour l’avenir du royaume. Depuis 1967, le prince Hassan, frère du roi, est désigné comme son héritier, mais certains en Jordanie considèrent que les assises populaires de celui-ci sont insuffisantes pour assurer la pérennité du régime. À la menace que fait peser la contestation des islamistes, à l’égard desquels le pouvoir est tour à tour conciliant et répressif, s’ajoute celle des Palestiniens – qui représentent sans doute plus de la moitié de la population – en cas d’échec du processus de paix. «Personne n’est plus mortel que moi. Mais la Jordanie n’est pas née avec moi. Et j’espère qu’elle se distinguera des autres pays de la région en assurant sa continuité historique», confie le roi au président François Mitterrand, venu en visite officielle à Amman, en novembre 1992.
Jordanie
(royaume hachémite de) (Al-Mamlaka al-'Urdunniya al-Hâshimiyyah), état du Proche-Orient bordé à l'O. par Israël, au N. par la Syrie et à l'E. par l'Irak et l'Arabie Saoudite; 97 740 km²; 3,9 millions d'hab. (croissance: 3,5 % par an); cap. Amman. Nature de l'état: monarchie constitutionnelle. Langue off.: arabe. Monnaie: dinar jordanien. Pop.: Arabes (dont env. 50 % de réfugiés palestiniens). Relig.: islam, christianisme (5 %). Géogr. et écon. - Aux plateaux calcaires de la Palestine s'oppose une vaste dépression longitudinale, occupée par la vallée du Jourdain et la mer Morte, et surmontée à l'E. par les plateaux crayeux de Transjordanie (dont le point culminant atteint 1 700 m). Le climat, très chaud dans la vallée du Jourdain, devient aride vers l'E. et le S. La Jordanie utile est surpeuplée. Les dépressions irriguées du Jourdain et du Yarmouk, son affl., fournissent la quasi-totalité du blé, des légumes, des fruits et de l'huile d'olive; ailleurs, env. 100 000 nomades élèvent chèvres et moutons. Seules ressources minières: phosphates, potasse. L'aide arabe s'est tarie, ainsi que les transferts des émigrés, et plus encore les échanges vitaux avec l'Irak ont pris fin en 1990. Hist. - Artificiellement créé sur les ruines de l'Empire ottoman (1921), l'émirat de Transjordanie reçoit son indépendance de la G.-B. en 1946. Son souverain, Abd Allah, participe aux combats contre Israël (1948-1949) et son excellente armée (la "Légion arabe" créée en 1928 par les Anglais) annexe la Cisjordanie (à l'O. du Jourdain) et nomme Jordanie le nouvel état. La Ligue arabe, qui l'accuse d'accepter le statu quo avec Israël, l'exclut. En 1951, Abd Allah est assassiné. En août 1952, Hussein succède à son père Talâl, déposé pour maladie mentale. L'histoire de la Jordanie sera dominée par le problème des Palestiniens (qui sont 700 000 en Cisjordanie), nationalistes et favorables à la démocratie. En 1956, Hussein soutient l'égypte lors de la crise de Suez, mais, en 1957, il congédie les éléments favorables à Nasser. Pour contrebalancer la République arabe unie (égypte-Syrie), il entre dans une union jordano-irakienne (fév. 1958), que brise la révolution de Bagdad (juil.). Se sentant menacé, il fait appel à l'Occident. Il signe un accord avec l'égypte lorsque éclate la guerre des Six Jours (5 juin 1967). La victoire israélienne ampute la Jordanie de la Cisjordanie et de la partie arabe de Jérusalem; 250 000 réfugiés affluent. Dès lors, les fedayin palestiniens tentent une mainmise sur le royaume. En 1970-1971, il les combat ("septembre noir", 1971), ce qui l'isole au sein du monde arabe. En 1980, il rompt avec la Syrie. En 1985, le rapprochement avec Arafat, président de l'O.L.P., est confirmé lors du sommet de la Ligue arabe à Amman (nov. 1987); la Jordanie y renoue avec la Syrie. En 1988, après le soulèvement palestinien dans les territoires occupés par Israël, Hussein, en juil., dissout le Parlement jordanien, où siégeaient 60 députés palestiniens, et rompt tout lien administratif avec la Cisjordanie. En nov. 1989, le mécontentement populaire dû à la crise écon. oblige le roi à concéder les premières élections dep. 20 ans. Un puissant courant islamiste se manifeste, dominé par les Frères musulmans. Quand, en 1990, l'Irak envahit le Koweït, la majorité de la pop. (suivie par le roi lui-même) prend parti pour le gouv. irakien. En juin 1991, le pluralisme est adopté par un congrès représentant tous les courants politiques. La loi martiale (en vigueur dep. 1967) est abolie en juillet. Un accord de paix est conclu avec Israël en oct. 1994, mais le durcissement de la politique israélienne depuis l'accession au pouvoir de B. Netanyahou, en 1996, inquiète la Jordanie.
Encyclopédie Universelle. 2012.