RYTHME
RYTHME
«Ce mot rythme ne m’est pas clair, écrit Paul Valéry dans ses Cahiers . Je ne l’emploie jamais. Ne s’agissant pas de faire une définition de chose, il faudrait regarder quelques phénomènes les plus simples, de ceux qui font venir le mot rythme; les regarder de près; isoler et nommer quelques caractères généraux...» Chacun connaît, ou croit reconnaître, ces phénomènes rythmiques simples: j’entends mon cœur qui bat, une goutte d’eau qui tombe, une horloge qui fait tic-tac; je perçois l’alternance des jours et des nuits, les phases de la lune, le retour des saisons; j’ai envie de jouer un rythme, de danser sur une musique, de scander un vers avec un geste — et même, comme ici et maintenant, d’écrire selon ce qu’on a coutume d’appeler un «rythme ternaire»... Mais parlons-nous bien de la même chose? Il est vrai que le mot rythme doit «venir »: le rythme n’est ni une chose, précisément, ni un objet qui se tiendrait là, devant moi, et que je n’aurais plus qu’à saisir, en le nommant; le rythme surgit dans la création, s’impose à la perception, qui le reconstitue, s’exclamant alors: «Voilà le rythme!», ou mieux: «Voilà du rythme!», tant le mot semble échapper à tout article défini, voire à toute définition.
La première question ne peut donc pas être: «Qu’est -ce que le rythme?», mais bien plutôt: «Qu’appelle -t-on rythme?» L’étymologie couramment reçue fait venir le mot du grec ruthmos , abstrait du verbe rein signifiant «couler». Quoi de plus naturel, en effet, que de caractériser le rythme par le mouvement régulier de la mer et des flots? Mais, depuis les travaux d’Émile Benveniste (La Notion de rythme dans son expression linguistique , article de 1951), on sait que le verbe rein s’applique, dans la langue grecque, au cours d’un fleuve ou d’un ruisseau, et non au «rythme» des vagues, qui, elles, ne «coulent » pas. Analysant dans le détail les différentes acceptions du mot chez de nombreux auteurs tels que Leucippe, Démocrite, Hérodote, Xénophon, Platon enfin, le célèbre linguiste en tire la conclusion que ruthmos signifie «forme distinctive, figure proportionnée, disposition», ou encore «arrangement caractéristique des parties dans un tout», «manière particulière de fluer», et, chez Platon, pour la première fois, «forme du mouvement que le corps humain accomplit dans la danse».
Force est de reconnaître que ces premières acceptions de ruthmos apparaissent bien éloignées de l’usage contemporain du mot rythme. Ce que nous entendons aujourd’hui par rythme n’est en fin de compte que le résultat d’une série d’extensions à un champ de plus en plus large d’activités humaines ou de propriétés du vivant. Ainsi, comme le fait remarquer Benveniste: «Par-delà l’ordre humain, nous projetons un rythme dans les choses et dans les événements. Cette vaste unification de l’homme et de la nature sous une considération de «temps », d’intervalles et de retours pareils a eu pour condition l’emploi du mot même, la généralisation, dans le vocabulaire de la pensée occidentale moderne, du terme «rythme», qui, à travers le latin, nous vient du grec.» La généralisation linguistique de l’emploi du mot est ici la condition, et non la conséquence, de l’unification rythmique de l’homme et de la nature. C’est l’usage du langage qui modèle nos façons de penser, non l’inverse. Et c’est l’homme qui projette ses schèmes de pensée sur le monde, non le monde qui impose ses «rythmes» à l’homme.
Si l’on juge cette généralisation abusive, on peut, comme Henri Meschonnic, vouloir opérer une «critique du rythme»: pourquoi un seul et même signifiant recouvrirait-il en somme plusieurs signifiés différents, voire opposés? Il faudrait alors des théories distinctes en droit pour des rythmes distincts en fait: d’où une théorie du rythme en musique, distincte d’une théorie du rythme en biologie, elle-même distincte d’une théorie linguistique. À l’intérieur de son domaine critique original, l’auteur marque notamment l’écart entre mètre, forme fixe, mesurable, pour ne pas dire aliénante, et rythme, liberté indissociable du sens, du sujet et de l’historicité du poème. Dans cette perspective, c’est le rythme lui-même qui est « critique», et toute critique est politique, en réaction contre l’aliénation du mètre, de la mesure et de la cadence, toutes choses qui ne sont pas rythme, pas plus du reste que la bouillie ou le chaos.
«Le» rythme est pluriel, soit. Mais n’y a-t-il pas malgré tout un ou plusieurs dénominateurs communs aux divers sens possibles du mot rythme, sans qu’on tombe pour autant dans un rêve unitaire? En outre, si ce terme a pu bénéficier d’une aussi riche extension, n’est-ce pas précisément le signe de la complexité et de la fécondité d’une telle notion? Il s’agit alors, pour répondre à la question: «Qu’est-ce que le rythme?», de chercher une définition qui soit valable à la fois pour l’approche de tout ce qu’on comprend d’habitude sous le mot rythme et pour l’étude d’un rythme singulier dans un domaine précis. Selon la définition globale, on pourra convenir d’appeler rythme «tout phénomène, perçu ou agi, auquel on peut attribuer au moins deux des qualités suivantes: structure, périodicité, mouvement». Et, selon une définition restreinte: «tout phénomène, perçu ou agi, auquel on peut attribuer chacune de ces trois qualités».
Le premier couple général que l’on peut choisir — structure et périodicité sans mouvement — s’applique à tous les rythmes que l’on perçoit comme fixes ou, plus exactement, comme figés, c’est-à-dire auxquels il manque ce je-ne-sais-quoi qui anime le véritable rythme, qui le rend vivant. En poésie, par exemple, ce sera toute la différence entre le moule de la versification, qui répond bien aux critères de forme et de retour, et le rythme mouvant, qui, lui, ne s’incarne que dans un vers particulier ou une lecture individuelle. Quant au couple suivant — structure et mouvement sans périodicité —, il caractérise un type de rythme peut-être plus difficile à concevoir, sans retour sur lui-même, sans régularité perceptible. Dans nombre de pièces de musique contemporaine par exemple, le rythme varie souvent d’une mesure à l’autre (critère de mouvement sans périodicité), tandis qu’une certaine structure se fait pourtant sentir, dans l’agencement d’éléments temporels, d’accents et de timbres, le jeu entre sons et silences, pleins et vides, qui détache la forme sur un fond, les parties par rapport à un tout. Le dernier couple enfin — périodicité et mouvement sans structure — englobe les rythmes saisonniers, astronomiques ou biologiques. Ces phénomènes, que nous continuons à appeler rythmes, de périodes différentes mais de même type, reposent tous sur le même principe d’un retour à l’identique et d’une possibilité de décalage, d’irrégularité de mouvement, mais sans véritable organisation spatio-temporelle, sans prégnance d’une forme au sens de la Gestalt . Passant de la première à la deuxième définition, un rythme au sens fort est alors un phénomène qui, dépassant ses conditions minimales d’apparition, réussit à combiner tous les termes de la triade structure-périodicité-mouvement. Ainsi en est-il, dans l’espace, d’une architecture qui travaille la ligne droite et la récurrence de certains motifs avec une dynamique de la ligne courbe ou, dans le temps, d’une improvisation proprement rythmique à partir d’un schéma cyclique donné.
Ces trois qualités peuvent encore être rapprochées de termes plus philosophiques: la structure serait de l’ordre du concept (on peut toujours ramener un rythme quelconque à une forme en pensée), la périodicité de l’ordre du percept (on perçoit un rythme comme cycle avant de le penser comme tel), le mouvement de l’ordre de l’affect (l’émotion du rythme passe par sa «prise de corps» avant sa prise de conscience). Si l’homme est bien un animal polyrythmique, on voit là toute la portée heuristique du rythme en tant que tel, comme débordement du concept, jeu du même et de l’autre, appréhension ou création de formes (selon l’étymologie) au sein d’une morphologie vivante, possibilité de connexion enfin, et — pourquoi pas? — de chocs en retour, entre divers arts, sciences ou systèmes de pensée.
rythme [ ritm ] n. m.
• 1520; rime n. f. v. 1370 (→ rime); n. f. « rythmique » 1512; lat. r(h)ythmus, gr. rhuthmos; écrit rhythme jusqu'à fin XIXe
I ♦ Distribution d'une durée en une suite d'intervalles réguliers, rendue sensible par le retour périodique d'un repère et douée d'une fonction et d'un caractère psychologiques et esthétiques.
1 ♦ Caractère, élément harmonique essentiel qui distingue formellement la poésie de la prose et qui se fonde sur le retour imposé, sur la disposition régulière des temps forts, des accents et des césures, sur la fixité du nombre des syllabes, etc.
♢ Mouvement général (de la phrase, du poème, de la strophe), qui est perceptible et qui résulte de l'agencement des membres de la phrase, de l'emploi des rejets, de la répartition des accents, etc. Le rythme et le nombre de la phrase. ⇒ cadence , harmonie, mouvement. Un rythme haché, saccadé; fluide. Rythme et style.
2 ♦ Retour périodique des temps forts et des temps faibles, disposition régulière des sons musicaux (du point de vue de l'intensité et de la durée) qui donne au morceau sa vitesse, son allure caractéristique. ⇒ mesure, mouvement, tempo. Rythme binaire, ternaire, qui procède par groupe de deux, trois temps. Boîte à rythmes d'un orgue électronique. — Rythme endiablé, syncopé. Marquer le rythme. ⇒ rythmer. « les hanches souples qui roulaient en rythme » (Vailland). Avoir le sens du rythme, le rythme dans la peau.
♢ Élément rythmique prépondérant dans la musique de jazz. ⇒ swing.
♢ AU RYTHME DE... « Le cortège avançait lentement au rythme monotone des deux tambours » (Mac Orlan).
3 ♦ Par anal. (dans l'espace) Arts Distribution des grandes masses, des pleins et des vides, des lignes dominantes; répétition d'un motif ornemental. ⇒ eurythmie. « Il y a en architecture, comme en musique, des rythmes d'une symétrie harmonieuse qui charment l'œil » (Gautier).
II ♦
1 ♦ Mouvement régulier, périodique, cadencé. Le rythme des vagues. Trouble du rythme cardiaque. ⇒ arythmie; bradycardie, tachycardie.
♢ Didact. Rythme biologique : variation périodique des phénomènes biologiques dans le monde animal et végétal. ⇒ biorythme; chronobiologie; horloge (interne). Rythme circadien, infradien.
2 ♦ Allure, vitesse (à laquelle s'exécute une action, se déroule un processus, une suite d'événements). Le rythme de la vie moderne. Changer de rythme. Ne pas pouvoir suivre le rythme. Le rythme de la production. ⇒ cadence. « Le progrès des sciences et de leur utilisation se développe à un rythme toujours plus rapide » (Broglie). « à ce rythme, le doublement [...] exigerait soixante-dix ans » (Sauvy). Chacun va à son rythme. — Au rythme de : à la cadence de. Revue qui paraît au rythme de trois numéros par an (⇒ périodicité) .
♢ Spécialt Le rythme de l'action dans une pièce de théâtre, un film. Cela manque de rythme, c'est mou.
● rythme nom masculin (latin rhythmus, du grec rhuthmos, cadence) Retour, à des intervalles réguliers dans le temps, d'un fait, d'un phénomène : Rythme des saisons, des marées. Élément temporel de la musique, dû à la succession et la relation entre les valeurs de durée : Suivre le rythme en dansant. Succession de temps forts et de temps faibles, mouvement dans une œuvre littéraire, un film, etc. : Un film dont le rythme est trop lent. Cadence à laquelle s'effectue une action, un processus : Des livraisons qui continuent à un rythme normal. Ordre, équilibre d'une œuvre plastique ou architecturale résultant de la proportion et de l'agencement de ses parties : Rythme d'une composition. Retour régulier, dans la chaîne parlée, d'impressions auditives analogues, créées par divers éléments linguistiques. En prosodie, retour à intervalles réguliers des temps forts et des temps faibles, dans un vers, une phrase musicale, etc. ● rythme (difficultés) nom masculin (latin rhythmus, du grec rhuthmos, cadence) Orthographe Attention au groupe -yth- dans rythme et ses dérivés rythmer, rythmique, etc. Boîte à rythmes : avec rythmes au pluriel. ● rythme (expressions) nom masculin (latin rhythmus, du grec rhuthmos, cadence) Boîte à rythmes ou générateur de rythmes, ensemble de circuits électroniques programmés ou programmables donnant divers rythmes musicaux. (Ils sont parfois intégrés aux orgues électroniques.) Rythme biologique, synonyme de biorythme. Rythme cardiaque, succession régulière des contractions (systoles) et des relaxations (diastoles) du muscle cardiaque. Rythme respiratoire, succession des inspirations et des expirations. Rythmes scolaires, périodes de temps qui ponctuent la vie de l'enfant et de l'adolescent à l'école et au collège. ● rythme (synonymes) nom masculin (latin rhythmus, du grec rhuthmos, cadence) Élément temporel de la musique, dÛ à la succession et...
Synonymes :
- cadence
- mesure
- tempo
Rythme biologique
Synonymes :
rythme
n. m.
d1./d Retour périodique des temps forts et des temps faibles (sons, syllabes, césures, etc.) dans une phrase musicale, un vers, une période oratoire, etc.
d2./d Par anal. Distribution des éléments constitutifs d'une oeuvre picturale, architecturale, etc. Le rythme des volumes.
d3./d Alternance régulière. Le rythme des saisons.
|| Mouvement périodique ou cadencé. Rythme cardiaque.
|| Allure d'un mouvement, d'une action, d'un processus quelconque. Vivre au rythme de son temps.
⇒RYTHME, subst. masc.
Répétition périodique (d'un phénomène de nature physique, auditive ou visuelle).
A. — [Le rythme est inhérent à un phénomène naturel] Rythme des heures, des jours, des saisons; rythme de la mer, des vagues. Quelquefois, des jours d'avril, j'ai regretté de ne pas suivre le rythme universel (COCTEAU, Potomak, 1919, p. 326). Obéir au rythme des marées (DUHAMEL, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 7).
— PHYSIOL. Phénomène périodique caractéristique de certains processus vitaux. Rythme alimentaire; rythme des fonctions organiques, du sommeil. Notre être spirituel, aussi bien que notre être physique, est soumis à la loi du rythme, notre corps est l'effet d'une horloge qui bat, les poumons, le cœur, la cervelle elle-même, tout cela est intérieurement pénétré et animé par une loi de gonflement et de détente, d'absorption et de refoulement (CLAUDEL, Poète regarde Croix, 1938, p. 219).
♦ [Dans le milieu animal ou végét.] Succession de phénomènes biologiques endogènes ou liés au milieu extérieur. Rythme biologique; rythme journalier, nycthéméral, saisonnier. L'alternance des jours et des nuits crée un rythme régulier des variations (PLANTEFOL, Bot. et biol. végét.,t. 2, 1931, p. 496).
♦ Rythme vital. Division de la vie humaine en grandes périodes physiquement ou psychiquement caractéristiques. Ces époques semblent correspondre assez curieusement aux tranches de sept ans que la plupart des biologistes s'accordent à indiquer pour les grands rythmes vitaux (CHOISY, Psychanal., 1950, p. 99).
♦ Rythme cardiaque. Fréquence des contractions cardiaques. Troubles du rythme cardiaque; régulateur, stimulateur du rythme cardiaque. Chez les Mammifères, la longévité est inversement proportionnelle à la fréquence du rythme cardiaque (J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p. 113).
♦ Rythme respiratoire, pulmonaire. Fréquence des mouvements respiratoires. Je restais immobile, les yeux mi-clos, attentive au rythme de ma respiration (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 123).
♦ Rythme cérébral. Activité cérébrale matérialisée par les courbes de l'encéphalogramme (d'apr. Méd. Flamm. 1975).
B. — [Le rythme est un artefact]
1. [Le rythme, inhérent au phénomène, n'est pas signifiant] Rythme mécanique; rythme d'un train. Bruit du navire: (...) craquements des boiseries, grincements des lampes oscillantes, rythme des machines (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p. 66).
2. [Le rythme, élément signifiant d'un code] Rythme des feux alternatifs d'un phare; rythme d'un signal en morse. La musique est exécutée par des ensembles, donc mesurée et battue à un rythme musculaire (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p. 146).
3. [Le rythme a une visée esthétique]
— MUS. Ordre et proportion des durées, longues ou brèves, dont l'organisation est rendue sensible par la périodicité des accents faibles ou forts. Une valse dont le rythme canaille avait le rire d'une polissonnerie (ZOLA, Nana, 1880, p. 1105). Les couples dansaient toujours selon le rythme haletant de l'accordéon (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 140).
♦ [Désignant un style de musique caractérisé par son rythme] Le rythme et l'accent d'un blues (ARAGON, Rom. inach., 1956, p. 105). Selon le rythme balancé d'une barcarolle (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 47).
♦ Parfois synon. de mesure. Celui de ces éléments [caractéristiques du jazz] qu'il faut citer en premier est la présence perpétuelle du rythme binaire (PANASSIÉ, Jazz hot, 1934, p. 28). L'allegretto, balancé sur son rythme de 6 sur 8 (ROLLAND, Beethoven, t. 1, 1937, p. 131).
♦ Au rythme de. Au rythme de la valse (RICŒUR, Philos. volonté, 1949, p. 273). P. anal. Au rythme des explosions (...) les animaux (...) hochaient la tête au-dessus des enfants endormis (MALRAUX, Espoir, 1937, p. 791).
SYNT. Accélérer, marquer, précipiter, retenir, scander le rythme; rythme cadencé, chaloupé, entraînant, langoureux, lent, précipité, trépidant; rythme d'une danse; avoir le sens du rythme; avoir le rythme dans le sang, dans la peau.
— VERSIF. Élément distinctif qui est fondé sur la répétition périodique des accents métriques, sur le retour de la césure et la reprise en fin de vers d'une sonorité déjà entendue: la rime. Synon. cadence, nombre. J'ai réservé pour les occasions harmoniques ou mélodiques ou analogues (...) des rythmes inusités, impairs pour la plupart (VERLAINE, Œuvres posth., t. 2, Crit. et conf., 1896, p. 248). Il est peu probable que l'on terminera un vers autrement qu'il ne faut sans manquer au rythme ni à la rime (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p. 82).
— PROSODIE. Mouvement, perceptible à l'audition ou à la lecture, qui est donné à une phrase, à un texte entier, qui résulte de l'agencement et de la durée des différents groupes de mots et de la répartition des sonorités et des accents. Il ne remarquera pas la correction profonde d'une phrase incorrecte ni l'harmonie d'un rythme brisé (FLAUB., 1re Éduc. sent., 1845, p. 265). Lire (...) en balançant la tête et les mains selon le rythme de la phrase (LACRETELLE, Silbermann, 1922, p. 72).
♦ P. méton. Rapidité dans la lecture, dans l'élocution. Sa phrase écrite garde, quand elle est lue tout haut, les inflexions de sa voix, le rythme de sa diction (BLANCHE, Modèles, 1928, p. 225).
— ARTS. Succession des lignes, répartition des masses et des couleurs, des ornements et des motifs qui composent un dessin, une sculpture, un édifice. [La Vénus de Milo] Voilà la merveille des merveilles! Un rythme exquis (...); mais, de plus, quelque chose de pensif (RODIN, Art, 1911, p. 276). [Voici] (...) le rythme rigoureux des figures étirées qui peuplent ses chapiteaux et ses tympans, plus tard l'essor des piliers, le planement des voûtes (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 19).
— P. anal. Progression d'une œuvre dans sa durée (enchaînement des péripéties dans un roman, une pièce de théâtre, un film, articulation des motifs, des phrases, des périodes dans une œuvre musicale). Rythme d'un film, de l'action, du montage. Hier, la répétition des Monstres était molle, désarticulée, pleine de trous. C'est ce soir qu'on passe. On tâchera de trouver le rythme de 3 heures à 6 heures (COCTEAU, Maalesh, 1949, p. 58). Ce sens du rythme qui était si remarquable dans « Le cuirassé Potemkine » d'Eisenstein (L'Humanité, 19 janv. 1952, p. 6, col. 4).
4. Vitesse selon laquelle se déroule un processus donné, s'accomplit une suite d'événements. Le rythme de l'ensemencement est celui de la marche (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p. 2). Quels que doivent être la date et le rythme de la libération du territoire métropolitain (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 562).
— [Dans un cont. socio-écon.] C'est le rythme social qui est à la base de la catégorie du temps (DURKHEIM, Formes élém. vie relig., 1912, p. 628):
• Il arrive que les décors s'écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway (...) et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s'élève...
CAMUS, Sisyphe, 1942, p. 27.
SYNT. Rythme de vie: rythme des loisirs; rythme de production, de travail; rythme rapide; suivre le rythme; changer de rythme; progression, accélération, ralentissement du rythme.
REM. Rythmanalyse, subst. fém., physiol. Analyse des rythmes vitaux. En examinant les rythmes de la vie dans leur détail (...) on pouvait établir une rythmanalyse qui tendrait à rendre heureuses et légères les ambivalences que les psychanalystes découvrent dans les psychismes troublés (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 72).
Prononc. et Orth.: []. Ac. 1762-1835: rhythme, rythme; dep. 1878: rythme. Étymol. et Hist. A. 1. 1372-74 mus. rithme (ORESME, Politiques, éd. A. D. Menut, f ° 303b: par rithmes et par melodies), attest. isolée, à nouv. ca 1512 rhythme (J. LEMAIRE DE BELGES, Illustrations de Gaule, éd. J. Stecher, t. 1, p. 70: Bardus [...] inventeur de rhythmes, cestadire de Rhetorique et de musique); 1634 rithme (MERSENNE, Questions harmoniques, p. 115); 1765 rhythme (Encyclop.); 2. a) 1521 poés. rithme (P. FABRI, Rhétorique, éd. A. Héron, II, 2); 1549 rythme (DU BELLAY, Deffence et illustration de la langue françoyse, éd. H. Chamard, p. 151); b) 1647 p. ext. rhythme « mouvement général d'une phrase, d'un poème » (N. POUSSIN, Lettres, 24 nov., éd. 1824 ds LITTRÉ: le rhythme précipité); 3. 1765 sculpt. rhythme (Encyclop. t. 14, p. 267b). B. 1. a) 1765 physiol. (Encyclop.: il y a un rhythme propre à chaque pouls); 1888 rythme fœtal (Dr. Henri GILLET, De l'embryocardie ou rythme fœtal des bruits du cœur ds QUEM. DDL t. 8); 1890 rythme cardiaque (Lar. 19e Suppl., p. 852a, s.v. cœur); b) 1890 rythme respiratoire (ibid., s.v. respiration); c) 1907 rythme nycthéméral (E. TOULOUSE, H. PIÉRON, Le mécanisme de l'inversion chez l'homme du rythme nycthéméral de la température, J. Physiol. Path. gen., 1907, 3, 425-440 ds P. FRAISSE, Psychol. du temps, 1957, p. 309); 1970 rythme circadien (Méd. Biol. t. 1); 2. a) 1846 p. ext. « allure, vitesse (action, processus) » (MICHELET, Peuple, p. 85: le rhythme de la navette); b) 1917 cin. (Le Temps, 10 janv., p. 3a ds GIRAUD 1956); 1938 théâtre (BRASILLACH, Corneille, p. 142: le rythme du Cid). Empr. au lat. rhythmus « mouvement (battement) régulier, mesure, cadence, rythme; nombre (en rhét.), cadence », et celui-ci au gr. « mouvement réglé et mesuré; mesure, cadence, rythme; harmonie d'une période (rhét.); proportions régulières, ordonnance symétrique; forme ». Fréq. abs. littér.: 2 110. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 548, b) 1 389; XXe s.: a) 3 244, b) 5 815. Bbg. BENVENISTE (E.). La Notion de rythme dans son expr. ling. Journal de Psychol. 1951, t. 44, pp. 401-410. — DEGUY (M.). Figure du rythme, rythme des figures. Lang. fr. 1974, n ° 23, pp. 24-40. — GHYKA (M. C.). Essai sur le rythme. Paris, 1938, 182 p. — LUSSON (P.), ROUBAUD (J.). Mètre et rythme de l'alexandrin ordinaire. Lang. fr. 1974, n ° 23, pp. 41-53. — MAZALEYRAT (J.). Qu'est-ce qu'un vers fr.? Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1974, t. 12, n ° 1, p. 417. — Sculp. 1978, p. 677. — ZUMTHOR (P.). Le Couple fr. rime-rythme. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1964, t. 2, pp. 187-204.
rythme [ʀitm] n. m.
ÉTYM. 1549, Du Bellay, Défense et Illustration de la langue française, II, 8, pour traduire le grec rhuthmos; rime, fém., v. 1370; rithme, fém., 1512, « rythmique (II.) »; « rime; vers, poésie », au XVIe, cf. les Rithmes et Poésies de Pernette du Guillet (1546); lat. r(h)ythmus, grec rhuthmos. REM. L'orthographe rhythme s'est employée jusqu'à la fin du XIXe s. (Littré, Dict. général); → notamment ci-dessous, cit. 3 et Rutilement, cit., Rimbaud.
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♦ Distribution d'une durée en une suite d'intervalles réguliers, rendue sensible par le retour d'un repère.
1 a Caractère, élément harmonique essentiel qui distingue formellement le vers de la prose (⇒ Poésie) et qui se fonde sur le retour imposé, sur la disposition régulière des temps forts, des accents et des césures, sur la fixité du nombre des syllabes, etc.
1 Le rythme dans son principe est partout le même : il est constitué par la succession de membres plus ou moins étendus, composés chacun d'une suite de syllabes brèves et terminés chacun par une longue.
G. Lote, Études sur le vers français, I, p. 104.
b Mouvement général (de la phrase, du poème, de la strophe), qui constitue un fait stylistique et qui résulte de la longueur relative des membres de la phrase, de l'emploi des rejets, des déplacements d'accents, etc. || Le rythme et le nombre de la phrase. ⇒ Cadence (supra cit. 2), harmonie (cit. 25), mouvement, nombre. || Rythme et symétrie. || Un bel effet de rythme. || Un rythme alerte, vif, saccadé, haché.
2 (1765). Retour périodique des temps forts et des temps faibles, disposition régulière des sons musicaux (du point de vue de l'intensité et de la durée) qui donne au morceau sa vitesse, son allure caractéristique. ⇒ Mesure (supra cit. 31), mouvement, tempo (→ Charleston, cit. 1; mélodie, cit. 1). || Modifications du rythme, au cours de l'exécution d'un morceau (⇒ Agogique; rubato). || Rythme binaire, ternaire, qui procède par groupe de deux, trois temps; par groupes pairs ou impairs. || Rythme syncopé. — Rythme endiablé (→ Frénésie, cit. 5). || Marquer (cit. 27) le rythme. ⇒ Rythmer. || Avoir le sens du rythme. || Traitement spécifique du rythme dans le jazz. ⇒ Swing.
2 Les musiciens jouent ici un jazz qui (…) n'est que l'expression haletante, exaspérée, de la fièvre new yorkaise. La salle est vide : c'est la « récession »; à moins que le public ne puisse tolérer ces orages de rythmes; à vrai dire, il est impossible de les supporter longtemps, au bout d'une demi-heure nous nous sentons rompus.
S. de Beauvoir, l'Amérique au jour le jour, p. 340.
♦ Au rythme de… || Le cortège avançait lentement au rythme monotone (cit. 3) des deux tambours. || Les Noirs (cit. 50) qui dansaient au rythme des blues. ⇒ aussi Son (au son de).
3 Arts. Distribution des grandes masses, des pleins et des vides, des lignes dominantes dans un espace; répétition d'un motif ornemental… || Le rythme harmonieux d'une colonne grecque. ⇒ Eurythmie.
3 Il y a en architecture, comme en musique, des rhythmes d'une symétrie harmonieuse qui charment l'œil et l'oreille sans l'inquiéter; l'esprit prévoit avec plaisir le retour du motif à une place marquée d'avance (…)
Th. Gautier, Voyage en Russie, I, XV.
a Le rythme des vagues (→ Ondulation, cit. 5). || Le rythme du cœur. || Rythme d'une respiration. || Perturbation d'un rythme. ⇒ Arythmie. — Ils vivent au rythme des saisons.
4 Il m'est difficile de soustraire mes pensées au rythme de la marche, et, comme mon pas était assez régulier, je scandais ces méchantes phrases sur un air de polka.
G. Duhamel, Salavin, I, II.
b Didact. || Rythme biologique : distribution temporelle périodique des phénomènes biologiques, mise en évidence dans le monde vivant (animal et végétal). ⇒ Biorythme (syn.). — Rythme exogène, dû à l'influence du milieu (lumière, température, hygrométrie…) : rythme diurne ou nycthéméral (rythme jour-nuit), rythme de marée, rythme annuel, rythme lunaire ou sélénien; rythme endogène, dû à des facteurs génétiques, réglé par des mécanismes internes (⇒ Horloge [interne]) : rythme cardiaque, respiratoire, alimentaire, cérébral (rythme alpha…), rythme génital (cycle menstruel…). || Période, amplitude d'un rythme biologique. || Rythme circadien : rythme biologique endogène d'environ 24 heures. || Rythme polyphasique du nourrisson. || Étude des rythmes biologiques. ⇒ Chronobiologie.
4.1 La manifestation la plus importante de la sensibilité viscérale est liée aux rythmes. L'alternance de sommeil et de veille, de digestion et d'appétit, toutes les cadences physiologiques forment une trame sur laquelle s'inscrit toute l'activité. Ces rythmes sont généralement liés à une trame plus large qui est l'alternance des jours et des nuits, celle des changements météorologiques et saisonniers.
A. Leroi-Gourhan, le Geste et la Parole, t. II, p. 99.
2 Allure, vitesse à laquelle s'exécute une action, se déroule un processus, une suite d'événements. || Le rythme régulier et continu de l'aggravation (→ Crise, cit. 3). || Le rythme de la vie moderne. || Changer de rythme. || Ne pas pouvoir suivre le rythme. || Le rythme de la production, des souscriptions (→ Réconfortant, cit.). || Chacun va à son rythme.
5 Et le mouvement ainsi déclenché ne fait que s'accélérer : le progrès des sciences et de leur utilisation se développe à un rythme toujours plus rapide, comme s'enfle avec une vitesse croissante la boule de neige qui dévale sur les flancs de la montagne.
L. de Broglie, Physique et Microphysique, p. 363.
♦ Spécialt. || Rythme rapide de l'action dans une pièce de théâtre, un film, un roman. || Cela manque de rythme, c'est mou. — Cin. || Rythme du montage.
6 (…) S'il est une esthétique du cinéma, elle a été découverte, en même temps que l'appareil de prise de vues et le film en France, par les frères Lumière. Elle se résume en un mot : « Mouvement ». Mouvement extérieur des objets perçus par l'œil, auquel nous ajouterons le mouvement intérieur de l'action. De l'union de ces deux mouvements peut naître ce dont on parle tant et ce que l'on perçoit si peu souvent : le rythme.
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DÉR. Rythmé, rythmer, rythmies. — (Du même rad.) Rythmique.
COMP. Biorythme.
Encyclopédie Universelle. 2012.