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SENSIBILITÉ
SENSIBILITÉ

Tout organisme vivant, unicellulaire ou pluricellulaire, est engagé dans une succession d’interactions avec son milieu. Ces interactions sont de deux types: d’une part, des échanges qui concernent l’énergie sous des formes diverses (chimique, électromagnétique, thermique, mécanique...) et dont on peut faire le bilan thermodynamique, et, d’autre part, des processus dans lesquels l’énergie fournie par le milieu joue uniquement un rôle de déclencheur et provoque, de la part de l’organisme, des dépenses qui sont prises en compte dans le bilan des échanges énergétiques. C’est ce second type d’interaction avec le milieu qui témoigne de ce que les auteurs classiques ont appelé l’irritabilité . Claude Bernard la définit comme «la propriété de réagir d’une certaine manière sous l’influence des excitants extérieurs».

On passe de cette irritabilité diffuse, non sélective, à la sensibilité, à mesure que se différencient des récepteurs spécialisés et que, parallèlement, se développe la possibilité de réponses plus variées. Une des conditions de maintien d’une espèce étant l’adaptation de ses réponses aux variations du milieu, il s’ensuit que les organismes qui ont survécu et que l’on peut observer aujourd’hui sont ceux qui possèdent la possibilité de détecter, dans leur milieu, les stimuli capables de commander les réponses opportunes [cf. COMPORTEMENT ANIMAL].

On envisagera d’abord l’aspect biologique du phénomène de sensibilité et l’on tentera de faire l’inventaire – jamais achevé – des propriétés du milieu qui peuvent déclencher les processus sensoriels; ensuite, on analysera les mécanismes physiologiques mis en jeu, en considérant essentiellement les étapes périphériques, car les mécanismes d’intégration centrale relèvent plus du domaine de la perception que de celui de la sensation.

1. La sensibilité dans le monde animal

La différenciation des récepteurs et l’apparition du système nerveux

Chez les Protistes du groupe des Amibes, on est plus près de l’irritabilité que de la sensibilité; c’est toute la cellule qui subit l’action des agents extérieurs et fournit les réponses, mais on observe, chez de nombreux autres unicellulaires, la différenciation de cils ou flagelles à fonction locomotrice et, chez certains Flagellés, la présence d’un organite photorécepteur situé à la base du flagelle (épaississement paraflagellaire).

Chez les Métazoaires, la différenciation progressive d’éléments récepteurs, effecteurs, conducteurs et intégrateurs s’effectue suivant des voies qui ne se prêtent guère à une description linéaire. Les schémas de la figure 1 constituent une tentative de description des étapes possibles de la formation du système nerveux. Le myoépithélium primitif (a) a des propriétés assez proches de celles que l’on observe chez les Parazoaires: la population cellulaire de certains Spongiaires forme un tissu tout à la fois récepteur, conducteur et effecteur. La conduction est alors de type électrotonique, et ce mode de diffusion lente de l’excitation persistera alors même que des éléments nerveux se seront différenciés. L’apparition d’éléments sensoriels doués d’autorythmicité constitue une étape importante de l’évolution (d). Ces cellules autorythmiques, perdant ensuite leur fonction sensorielle, pourraient être à l’origine des premières jonctions de type synaptique entre éléments sensoriels et éléments contractiles (e, f). C’est à partir d’éléments sensoriels interconnectés (f), faisant ensuite synapse avec les cellules de la couche musculaire (g) et perdant ultérieurement leurs propriétés réceptrices (h), que se formeraient les chaînes conductrices que l’on trouve (i) chez certaines Actinies et Méduses.

À ces stades élémentaires, les neurones sensoriels sont extrêmement nombreux dans l’épithélium, notamment chez les Anémones de mer et beaucoup de Vers. Il est fréquent d’en compter plus d’un millier par millimètre carré. On a peu de données concernant la différenciation fonctionnelle progressive de ces neurones sensoriels qui, chez les espèces les plus primitives, répondent à toutes sortes de stimulations, puis acquièrent peu à peu leur spécificité. Dispersés d’abord dans l’épiderme, ils se groupent ensuite pour former des organes sensoriels.

Lorsque la symétrie bilatérale succède à la symétrie circulaire, l’animal présente un pôle antérieur qui, au cours des déplacements, est la partie du corps qui entre la première en contact avec les milieux explorés. Corrélativement, on constate une centralisation du système nerveux (formation d’une chaîne ganglionnaire) et une accumulation des récepteurs sensoriels au pôle explorateur avec développement d’un ganglion cérébral, première ébauche de cerveau. Ce processus de céphalisation et ses conséquences, apparents chez les Vers plats (fig. 2 a), sont beaucoup mieux marqués chez les Annélides. Chez le lombric (fig. 2 b), 30 p. 100 des cellules sensorielles sont encore dispersées dans l’épiderme, soit isolées, soit groupées en bourgeons, mais la majorité se trouve rassemblée dans le premier segment qui dispose ainsi d’une forte concentration de neurones répondant électivement aux stimuli mécaniques ou chimiques ou à la lumière. Chez certains Vers Polychètes, le phénomène est plus accentué et la «tête» porte des palpes, des antennes, des ocelles avec cristallin et mécanisme accommodateur, ainsi qu’un organe nuqual que l’on suppose chémorécepteur et qui joue peut-être un rôle dans le choix des aliments.

L’inventaire n’est pas achevé des divers types de sensibilité dont sont dotées les différentes espèces. Néanmoins, cet inventaire est assez avancé, et l’on connaît bien aujourd’hui l’univers sensoriel de nombreux animaux.

Le problème de la désignation et de la classification des récepteurs

L’une des conditions préalables à la description correcte de ces univers était relative au langage. L’énumération traditionnelle des cinq sens: vue, ouïe, toucher, goût, odorat, est évidemment incomplète; l’homme est encore sensible, par exemple, aux mouvements de ses membres, aux accélérations que subit son corps ou à la distension de sa vessie. Néanmoins, ces appellations sont d’usage courant et, en dépit de leur référence à une expérience subjective, leur utilisation ne crée aucune ambiguïté, au moins tant que l’on reste assez haut dans l’échelle zoologique. Les complications commencent lorsqu’on traite des sensibilités dans l’ensemble du règne animal. Dira-t-on que le lombric «voit» avec ses photorécepteurs épidermiques ou que le poisson-chat «goûte» avec les bourgeons gustatifs qu’il a sur tout le corps, y compris la nageoire caudale? Cette difficulté a été perçue par les biologistes allemands de la fin du XIXe siècle, Beer, Bethe et Uexküll. Soucieux d’éliminer de la psychologie animale tout anthropomorphisme, ils ont proposé une classification des récepteurs fondée sur la nature du stimulus normalement efficace: les mécanorécepteurs sont excités par les stimuli mécaniques, pression, contact, vibration, étirement; les thermorécepteurs sont excités par les variations de température; les photorécepteurs sont excités par la lumière; les chémorécepteurs sont excités par la composition chimique du milieu (aérien ou liquidien), et les électrorécepteurs (présents chez certains Poissons) sont excités par de très faibles courants électriques.

Le physiologiste britannique C. S. Sherrington (1906) regroupe les différents récepteurs dans trois catégories, en fonction de leur situation et de leur rôle. Les extérocepteurs sont situés à la surface du corps et sont sensibles aux actions du milieu extérieur. Les propriocepteurs sont sensibles aux actions du corps sur lui-même, mouvements, accélérations; ils sont situés dans les muscles, tendons et articulations, mais le labyrinthe de l’oreille interne des Vertébrés et les statocystes des Invertébrés sont également des propriocepteurs. Sherrington considère comme intérocepteurs les récepteurs de la «surface interne» du corps, c’est-à-dire essentiellement de la paroi du tube digestif.

L’usage a conservé, avec la terminologie des objectivistes allemands, les trois catégories de Sherrington, en incluant toutefois dans la sphère intéroceptive l’ensemble des sensibilités viscérales (annexes du tube digestif, appareil urogénital, appareil circulatoire), voire les sensibilités hypothalamiques.

Le tableau présente, pour les sensibilités les mieux connues, une classification en fonction des deux critères objectiviste et fonctionnaliste.

Dans ses grandes lignes, cette classification est relativement satisfaisante. Cependant, la réalité se laisse rarement découper en blocs autonomes, et l’on se doit de signaler certaines difficultés. Ainsi, les «soies» sensorielles des Insectes, mécanorécepteurs tégumentaires, sont des tangorécepteurs (récepteurs de contact) et aussi des récepteurs de vibrations aériennes, donc des phonorécepteurs en même temps que des propriocepteurs, récepteurs de la position relative des différents segments du corps. La ligne latérale, qui renseigne le poisson sur le mouvement relatif de son corps par rapport à l’eau, est, à ce titre, un propriocepteur ; mais elle répond également aux vibrations et est donc un extérocepteur. Il en est de même pour les statocystes de nombreux Invertébrés, qui renseignent l’animal sur sa position par rapport à la verticale, mais sont sensibles pareillement aux vibrations (on les appelle d’ailleurs indifféremment statocystes ou otocystes).

On notera que des termes comme osmorécepteur (récepteur d’odeur) ou algorécepteur (récepteur de douleur) utilisés parfois et qui se réfèrent non au stimulus mais à l’effet qu’il produit ne répondent pas exactement au souci qui animait les fondateurs de la terminologie objectiviste. Il est vrai qu’avec le terme de photorécepteur les objectivistes enfreignent eux aussi la règle qu’ils se sont donnée: la stimulation est constituée par des vibrations électromagnétiques, et la lumière, comme l’odeur, est l’effet produit par la stimulation. Au terme d’algorécepteur on préférera cependant celui de nocicepteur qui se réfère au comportement de l’animal tentant de se soustraire à une stimulation nocive; à ce propos, le problème reste posé de l’existence de récepteurs spécifiques dont l’excitation, même modérée, pourrait provoquer exclusivement des sensations de caractère nociceptif [cf. SOMESTHÉSIE].

Les univers sensoriels

Faire l’inventaire des stimuli efficaces, décrire un univers sensoriel, c’est, en termes d’informatique, déterminer quels sont les agents, externes ou internes, qui constituent des entrées . En réponse, l’organisme, par son système nerveux, élaborant des sorties , la tâche de l’éthologiste, du psychologue, du physiologiste est de détecter ces sorties témoignant de l’existence des entrées.

Les méthodes expérimentales

Chez l’Homme, cette tâche est facilitée par l’utilisation du langage, car le sujet témoigne: «je vois une lueur», «j’entends un sifflement», «je sens l’odeur de camphre»... Chez l’animal, dans certains cas, l’entrée peut être objectivée par une sortie réflexe facile à observer (contraction pupillaire, réflexe de grattage, réflexe optomoteur de nombreux Vertébrés et Arthropodes, réflexe de déroulement de la trompe chez le papillon) ou par un comportement plus complexe tel que l’orientation des femelles de criquet en direction du point d’où provient l’émission sonore du mâle. Mais l’absence de réponse, surtout lorsqu’il s’agit de stimuli de faible intensité et qui ont été donnés plusieurs fois, ne signifie pas que ces stimuli ne sont pas efficaces. On le vérifie en recourant, au moins pour un certain nombre d’espèces, à la technique des réflexes conditionnés. Un chat, par exemple, peut être indifférent à un certain son, mais, si celui-ci est suivi régulièrement d’un choc électrique, l’animal apprend très vite à se déplacer – il peut ainsi éviter le choc – dès qu’il entend le son, et le déplacement est le signe que le stimulus a été efficace. Lorsqu’un doute subsiste concernant l’efficacité d’un stimulus, l’exploration électrophysiologique permet, dans bien des cas, d’apporter une réponse; un stimulus est efficace lorsqu’il provoque, à partir du récepteur, l’émission d’un message sensoriel que l’on détecte par sa composante électrique.

On applique ces diverses méthodes, séparément ou concurremment, à la mesure des sensibilités, absolue et différentielle. Ces mesures de sensibilité se font par la détermination de seuils. Un seuil est une valeur statistique. On donne, par exemple, à un certain agent physique une intensité suffisamment élevée pour qu’il constitue un stimulus efficace dans 100 p. 100 des cas et une intensité suffisamment faible pour qu’il ne soit jamais efficace. Entre ces deux niveaux, le taux d’efficacité augmente à mesure que l’intensité augmente. On définit habituellement le seuil absolu comme la valeur qu’il faut donner au stimulus pour qu’il ait 50 p. 100 de chances d’être efficace. De même, le seuil différentiel se définit comme la variation du stimulus, à partir d’une certaine valeur de référence, qui est efficace dans 50 p. 100 des cas.

Les caractères élémentaires du stimulus

Un stimulus est généralement défini par plusieurs paramètres, et l’on peut faire varier chacun d’eux. Aussi, pour un inventaire méthodique des performances sensorielles d’un organisme, faut-il distinguer indépendamment, lorsque cela est possible, les différents caractères élémentaires qui définissent le stimulus: qualitatif, quantitatif, spatiaux et temporels.

Caractère qualitatif

Le caractère qualitatif est lié d’abord au type de récepteur sur lequel la stimulation est efficace, mais l’organisme le mieux équipé n’est sensible qu’à une fraction très réduite des phénomènes qui se manifestent dans son milieu. Il s’agit donc de préciser, par la mesure des seuils absolus, quels sont les stimuli efficaces et dans quelle marge ils le sont. On sait (cf. AUDITION, COMPORTEMENT ANIMAL, VISION) que ce que certains animaux voient et entendent est différent de ce que l’homme appelle lumière et son. L’abeille voit l’ultraviolet, mais ne voit pas le rouge extrême, et, sans parler des chauves-souris, les petits rongeurs entendent des fréquences de 60 000 à 90 000 hertz qui sont des ultrasons pour l’homme.

À l’intérieur d’un domaine sensoriel, vision et audition en particulier, la détermination des seuils différentiels permet de mesurer quelle est la limite de sensibilité aux variations de longueur d’onde ou de fréquence.

Caractère quantitatif

Pour qu’un stimulus d’une certaine nature soit efficace, encore faut-il que son énergie ne soit pas trop faible. Elle ne doit pas non plus dépasser certaines valeurs au-delà desquelles, pour certains récepteurs, la modification subie serait irréversible.

La détermination des seuils absolus d’intensité permet de mesurer l’extrême limite de sensibilité d’un système sensoriel. Dans un grand nombre de cas, on est étonné de la finesse de cette sensibilité. Ainsi, l’Homme perçoit la lueur d’une bougie à 27 kilomètres, et, d’après les mesures précises qui se sont multipliées dans les dernières décennies, on estime que, dans les conditions optimales, quelques quanta (de 2 à 14) absorbés par les récepteurs rétiniens suffisent à déclencher une sensation lumineuse. Ce résultat est en accord avec les données de l’électrophysiologie pratiquée sur le Chat, et des expériences de même type faites sur les photorécepteurs des Arthropodes semblent indiquer des valeurs très peu supérieures. Le seuil absolu de pression acoustique, pour des fréquences de 1 000 à 3 000 hertz, est de l’ordre de 2 . 10 size=15 pascal chez l’homme jeune. Nous percevons un enfoncement rapide de la peau d’une amplitude de 0,5 micromètre environ. Le seuil de détection du sucrose dans une solution correspond à des concentrations molaires de l’ordre de 0,02 pour l’Homme, 0,005 pour le taon et 0,000 6 pour la mouche Calliphora , et l’on sait que, chez le bombyx mâle, il suffit de quelques molécules de la substance répandue dans l’air par la femelle pour déclencher le comportement de recherche.

Les seuils différentiels d’intensité s’expriment habituellement par le rapport de la variation efficace au niveau de référence (seuil différentiel relatif). Les résultats dépendent beaucoup des conditions expérimentales. Chez l’Homme, le seuil différentiel relatif est de l’ordre de 2 p. 100 pour l’intensité lumineuse, de 10 p. 100 pour l’intensité auditive, de 15 p. 100 pour les pressions cutanées et de 10 à 30 p. 100 pour les intensités gustatives.

Caractères spatiaux et temporels

On atteint ici la limite entre ce qui relève de l’aspect sensoriel élémentaire et ce qui relève de l’aspect perceptif. Nous ne retiendrons que les caractères qui font l’objet d’un codage au niveau même des récepteurs.

Une source lumineuse, une ombre, une pression sur la peau sont localisées dans l’espace, et les comportements de fuite, de défense ou au contraire de poursuite, de recherche seraient impossibles sans la détection du «signe local» de la stimulation. Ce signe local est plus ou moins précis: si deux sources lumineuses sont très proches l’une de l’autre, elles sont confondues, et l’on peut mesurer le seuil de discrimination spatiale par la distance angulaire qui doit les séparer pour qu’elles cessent d’être confondues.

Outre la durée, la discontinuité est le caractère temporel codé dans le message sensoriel. Dans un grand nombre de cas, la détection sensorielle est la détection d’une discontinuité, d’une variation, de caractère qualitatif ou quantitatif, et l’on peut dire que cette détection est d’autant plus aisée que la variation est plus rapide. Mais, si la séquence se répète à un rythme suffisamment élevé, la discontinuité ne sera plus perçue: on aura atteint la fréquence dite fréquence critique de fusion.

2. Les mécanismes physiologiques

Le message sensoriel, transduction et codage

Un stimulus entraîne une réponse de l’organisme s’il est capable de déclencher, chez les Métazoaires évolués, une succession de processus dont les trois étapes essentielles sont: l’ébranlement du récepteur, l’activité du système nerveux central et l’activité de l’effecteur.

On a schématisé dans la figure 3 le fonctionnement de l’organisme répondant à une stimulation sensorielle. La stimulation provoque, au niveau du récepteur, une excitation , phénomène physiologique qui se traduit par l’envoi dans les voies afférentes d’un message sensoriel destiné au système nerveux central. À partir de ce message, le système nerveux central élabore les ordres qui sont transmis aux effecteurs (musculaires ou glandulaires) par les voies efférentes. Le système nerveux central peut envoyer également des ordres aux récepteurs eux-mêmes pour en modifier la réceptivité en agissant sur les organes annexes (orientation des pavillons auditifs, modifications du diamètre de la pupille) ou, dans certains cas, pour en moduler la sortie. Cette possibilité est symbolisée par la liaison rétroactive 1. La liaison rétroactive 2 symbolise la possibilité que des informations en provenance de l’effecteur soient envoyées au système nerveux central, lui permettant ainsi de «suivre» l’exécution de ses ordres. La liaison 3 symbolise la situation dans laquelle la réponse modifie la stimulation. Ainsi, dans le simple réflexe d’«essuyage» de la grenouille spinale, le mouvement de la patte, en écartant le papier filtre imbibé d’acide, provoque la cessation de la stimulation nociceptive.

On étudiera plus spécialement ici la partie gauche du schéma, soit, d’une part, les mécanismes dits de transduction par lesquels on passe de la stimulation à l’excitation et, d’autre part, les principes du codage qui préside à l’élaboration du message sensoriel vecteur de l’information . Car la fonction des récepteurs sensoriels est de fournir au système nerveux central, en un langage qui lui soit intelligible, des informations sur les stimulations qu’ils captent . Ces informations concerneront les diverses caractéristiques énumérées plus haut. Comme toutes celles qui circulent dans le système nerveux, elles seront codées sur la base d’une distribution temporelle (rythme d’émission) et spatiale (répartition des éléments rythmiques dans une population de neurones) des potentiels d’action (cf. système NERVEUX).

Les trois types de transducteurs-codeurs

Les structures chargées d’opérer la transduction servent d’intermédiaires – elles réalisent ce que les informaticiens dénomment l’interface – entre le monde extérieur, ou intérieur, et le système nerveux. Sur le plan anatomique, si l’on considère la localisation du site jouant le rôle de capteur responsable de la transduction, et celle du site responsable de l’émission des potentiels d’action du message sensoriel, on trouve trois types de dispositifs (fig. 4).

Dans le type I, c’est le même neurone qui assume les fonctions de transduction et d’émission des potentiels d’action. Ce type de neurone sensoriel récepteur est de loin le plus répandu dans l’ensemble du monde animal. Il est de règle chez les Invertébrés (à l’exception de certains photorécepteurs d’Arthropodes) et il est représenté, chez les Vertébrés en particulier, par les chémorécepteurs de l’épithélium olfactif, les mécanorécepteurs tégumentaires et les propriocepteurs musculaires et tendineux. La figure 5 donne quelques exemples. Mis à part le photorécepteur d’Annélide, on distingue une partie distale, simple ou ramifiée, et une partie proximale qui assure la jonction avec le système nerveux central. La partie distale joue le rôle de capteur et elle peut être solidaire de structures associées amplificatrices – c’est le cas (fig. 5 c) de la «soie» sensorielle – ou protectrices. Le corps cellulaire est plus ou moins éloigné du site transducteur; son rôle est trophique, et le cas du neurone sensoriel des ganglions spinaux prouve que ce corps cellulaire n’est nullement essentiel au processus de transduction.

Dans le type II, le neurone sensoriel n’est plus que générateur de potentiels d’action. La fonction de transduction est assumée par une ou plusieurs cellules réceptrices en liaison synaptique avec lui. Un tel système se rencontre essentiellement chez les Vertébrés où il est représenté par les chémorécepteurs gustatifs, les récepteurs auditifs et vestibulaires et les récepteurs de la ligne latérale des Poissons et de certains Amphibiens. La figure 6 représente les types de contacts synaptiques que l’on trouve au niveau des cellules ciliées transductrices du système acoustico-vestibulo-latéral. Le contrôle centrifuge s’exerce soit après la transduction (terminaison efférente postsynaptique en a), soit sur la transduction elle-même (terminaison efférente en b). On conçoit que le fonctionnement d’un tel dispositif puisse dépasser en complexité celui du dispositif de type I.

Dans le type III, dont le modèle n’existe que dans la rétine des Vertébrés, le capteur (photorécepteur) et le générateur de potentiels d’action sont séparés par un élément de liaison, et, au niveau des deux jonctions synaptiques ainsi établies sur la chaîne longitudinale, s’articulent des liaisons transversales. De plus, la possibilité a été démontrée, chez certaines espèces, d’un contrôle centrifuge précédant l’émission du message sensoriel. Parvenu à ce degré de complexité, le système transducteur-codeur de type III est capable de réaliser un véritable prétraitement de l’information.

C’est par le site transducteur que les dispositifs sensoriels se différencient des autres structures nerveuses. Dans un grand nombre de neurones récepteurs (type I), ce site transducteur se trouve au niveau de l’expansion distale que l’on a souvent décrite comme dendritique. En fait, le microscope électronique révèle que, dans beaucoup de cas, il s’agit d’une formation de nature ciliaire, authentifiée par la couronne de neuf paires de microtubules qui apparaît en coupe transversale avec ou sans doublet central. La figure 7 montre des récepteurs de divers types qui sont tous des dérivés ciliaires. Mais, dans la plupart des cas, ces cils ont perdu leur motilité (les cils des cellules olfactives des Vertébrés font exception à cet égard). Que la cellule porte des cils ou des microvillosités, il s’agit toujours d’évaginations d’où résulte un accroissement de la surface cellulaire. Si, chez les Vertébrés, la cellule olfactive porte des cils, la cellule gustative porte des microvillosités. De même, dans le domaine des photorécepteurs, on trouve des dérivés ciliaires chez tous les Vertébrés et chez certains Prochordés, Échinodermes et Cœlentérés, mais, dans les autres groupes, les cellules visuelles de type rhabdomérique avec microlamelles ou microvillosités sont extrêmement nombreuses. L’accroissement de la surface membranaire, assez fréquent, n’est pas non plus la règle absolue; le mécanorécepteur représenté par la figure 5 c en témoigne.

Le mécanisme de la transduction

On dispose aujourd’hui d’études suffisamment nombreuses et variées pour proposer un schéma général du fonctionnement des récepteurs sensoriels.

Le potentiel de récepteur

C’est au niveau de la membrane du transducteur qu’agissent les stimuli quels qu’ils soient, cette action s’exerçant directement ou par l’intermédiaire des structures associées. Ainsi la déformation mécanique de la membrane (torsion, étirement, distension) dans le cas des mécanorécepteurs, l’adsorption à sa surface des molécules stimulatrices dans le cas des chémorécepteurs, l’impact des photons sur les molécules de photopigments ont pour conséquence de modifier sa perméabilité à certains ions. Pour les photorécepteurs des Vertébrés, on observe une diminution de perméabilité aux ions Na+ (fermeture des canaux membranaires Na+) et, pour les cellules ciliées du labyrinthe des Vertébrés, une augmentation de perméabilité aux ions K+. Mais, dans la majorité des cas, il s’agit d’une augmentation de perméabilité aux ions Na+. Comme la concentration en Na+ du milieu extérieur est supérieure à la concentration interne, il s’ensuit un envahissement transitoire par le Na+ de la région transductrice, d’où une dépolarisation transitoire qui constitue le potentiel de récepteur. Quels que soient le type de récepteur et la nature du stimulus, il a toujours, à de menues variantes près, le même décours en fonction du temps (fig. 8).

Dans la transduction, le phénomène physiologique initial est donc constitué par une variation des flux ioniques, conséquence de l’ouverture ou de la fermeture des canaux transmembranaires. L’énergie ainsi dépensée est fournie par le métabolisme cellulaire de même que celle qui est nécessaire, au repos, pour maintenir des concentrations ioniques différentes de part et d’autre de la membrane cellulaire.

Un transducteur sensoriel n’est donc nullement un transformateur d’énergie , c’est un capteur disposant de ses propres ressources énergétiques. La stimulation ne fait que libérer une énergie potentielle, elle ne la crée pas, pas plus que l’ouverture d’une vanne ne crée l’énergie du fluide libéré par cette ouverture. De même que l’énergie libérée est d’autant plus grande que la vanne est plus ouverte, l’amplitude du potentiel de récepteur est d’autant plus grande que l’action du stimulus sur la membrane est plus importante. On envisagera plus bas la forme de la fonction qui relie l’une à l’autre ces deux variables.

La genèse des potentiels d’action

Le schéma de la figure 9 résume le principe de la genèse des potentiels d’action. Avant la stimulation, les deux sites transducteurs (T) et générateur (G) se trouvaient au même potentiel de repos, mais, en faisant naître le potentiel de récepteur, la stimulation amène le site T à un potentiel inférieur au site G, d’où un courant, un transfert de charges, de G à T; il en résulte une dépolarisation du site G, c’est le potentiel générateur . Lorsque le potentiel générateur atteindra ou dépassera une certaine valeur (potentiel critique), le site G donnera naissance à des potentiels d’action. Ces derniers seront les éléments du message sensoriel envoyé au système nerveux central en conséquence de la stimulation.

L’interposition de une ou deux synapses entre le site transducteur et le site émetteur ne modifie pas ce schéma général.

Le codage des caractères élémentaires de la stimulation

Le message sensoriel est donc constitué par les potentiels d’action émis dans une fibre, s’il s’agit d’une cellule sensorielle isolée, ou dans une population de fibres s’il s’agit d’un organe sensoriel complexe. Ce message contient les informations fournies par la ou les cellules du récepteur. Une question se pose alors: quelles informations peuvent être ainsi fournies et selon quels principes? En d’autres termes, que «disent» les récepteurs sensoriels au système nerveux central? Et comment le disent-ils? Pour répondre, on envisagera successivement le codage du caractère quantitatif (codage de l’intensité), du caractère qualitatif (codage permettant l’identification de la stimulation) et, dans la mesure où ils sont déjà codés dans le message initial, des caractères spatio-temporels.

Codage de l’intensité

Relation entre l’intensité de la stimulation et l’amplitude du potentiel de récepteur

La membrane du transducteur sensoriel constitue la frontière qui sépare l’univers des stimulations de l’univers organique; à ce niveau se situe la discontinuité fondamentale qui a tant préoccupé les philosophes, les psychologues et les physiologistes depuis la publication des Elemente der Psychophysik de G. T. Fechner en 1860 [cf. PSYCHOPHYSIQUE].

Le potentiel de récepteur constitue le premier chaînon de la suite de processus qui aboutit, chez l’Homme, aux appréciations subjectives. La formulation de la fonction susceptible d’exprimer la relation entre l’amplitude du potentiel de récepteur et l’intensité de la stimulation revêt donc, au regard des préoccupations de la psychophysique, une importance particulière.

La figure 10 donne les résultats d’une expérience dans laquelle on a mesuré l’amplitude du potentiel de récepteur d’une cellule visuelle de Vertébré en fonction du logarithme de l’énergie lumineuse stimulatrice. On ne pourrait se contenter ici de la simple relation logarithmique fechnérienne que dans la marge relativement étroite des valeurs moyennes. La courbe tracée en tireté, qui s’ajuste le mieux aux points expérimentaux, est celle d’une fonction tangente hyperbolique [cf. EXPONENTIELLE ET LOGARITHME] qui peut s’écrire y = J/(J + 1), y étant le rapport du potentiel de récepteur V, obtenu pour une stimulation d’intensité I, au potentiel de récepteur maximal Vmax que le transducteur puisse fournir et J la valeur du stimulus I exprimée en unités telles que, pour J = 1, y = 0,5. Si l’on transfère les valeurs de I sur une échelle logarithmique, avec une échelle telle que LnJ = 2 x , la relation devient:

soit:

d’où:

La courbe est symétrique par rapport au point y = 1/2 et a ses asymptotes à y = 0 et y = 1 (fig. 10).

On retrouve cette fonction dans de nombreuses autres expériences de même type et on peut la considérer comme une expression convenable de la fonction de transfert – ou plus exactement de couplage – des transducteurs sensoriels. Les résultats qui semblent faire exception s’expliquent aisément. Tel est le cas des récepteurs d’étirement pour lesquels on obtient une relation linéaire entre le potentiel de récepteur et l’élongation du récepteur. Mais cette élongation n’est pas la stimulation; elle résulte de la tension mécanique appliquée et, comme le potentiel de récepteur, elle est proportionnelle au logarithme de cette tension. D’autre part, la marge de variation de la tension applicable à de tels récepteurs est très étroite, inférieure à une unité logarithmique, et, dans de telles conditions, on n’obtient qu’un fragment de courbe, trop court pour présenter une inflexion.

Relation entre l’amplitude du potentiel de récepteur et la fréquence des potentiels d’action

La figure 11 concerne des tracés obtenus dans un œil d’Arthropode (Limulus ). Il s’agit d’un récepteur de type II (fig. 4), et la microélectrode introduite en G détecte à la fois le potentiel générateur et les potentiels d’action. La fréquence croît à mesure que l’amplitude du potentiel générateur augmente, et, au cours d’une même décharge, les fluctuations du potentiel générateur se traduisent par des fluctuations parallèles de la fréquence des potentiels d’action. On a montré, dans les domaines les plus divers, que cette fréquence est directement proportionnelle à l’amplitude du potentiel générateur, donc du potentiel de récepteur. Les droites de la figure 12 expriment cette proportionnalité pour le photorécepteur de Limulus et pour le récepteur d’étirement de l’Écrevisse.

Relation entre l’intensité de la stimulation et la fréquence des potentiels d’action

En conséquence des deux relations que l’on vient d’observer – relation du type tangente hyperbolique du logarithme entre l’amplitude du potentiel de récepteur et l’intensité stimulatrice, puis relation de proportionnalité simple entre la fréquence des potentiels d’action et cette amplitude –, la fonction tangente hyperbolique du logarithme devrait constituer une bonne approximation de la relation cherchée entre message sensoriel et stimulus. Cependant, les résultats expérimentaux couvrent rarement une marge d’intensité assez large pour que la courbe en S apparaisse en totalité (fig. 13). En outre, lorsqu’il s’agit de dispositifs de type II et plus encore de type III (fig. 4), les contrôles centrifuges et les interactions latérales, en modulant l’activité du système, introduisent dans le message d’autres éléments d’information qui masquent parfois la liaison fondamentale entre fréquence et intensité.

Pour les mécanorécepteurs cutanés des Vertébrés, la relation de proportionnalité simple trouvée entre la fréquence des potentiels d’action et l’amplitude de la déformation cutanée peut s’expliquer, comme dans le récepteur d’étirement, par le fait que l’amplitude de la déformation n’est pas la mesure adéquate du stimulus.

Le phénomène de recrutement

Fréquemment, la fibre afférente qui conduit le message sensoriel vers le système nerveux central concerne plusieurs transducteurs, les ramifications multiples de cette fibre pouvant soit constituer chacune un transducteur (cas des terminaisons tactiles), soit faire synapse chacune avec une cellule réceptrice. Si l’on admet que les probabilités d’excitation sont réparties à l’intérieur de la population de transducteurs (qui dans certains cas est de plusieurs centaines) suivant une courbe normale, on en déduit que l’augmentation d’intensité de la stimulation a pour effet de provoquer, au niveau de la population, de ce qu’on peut appeler une unité réceptrice , un accroissement progressif du nombre de transducteurs actifs. À l’échelle d’un organe sensoriel complexe, formé de plusieurs unités réceptrices, voire de plusieurs milliers, on appliquera le même raisonnement. On a donc un double phénomène de recrutement, des transducteurs en relation avec une fibre afférente, et des fibres afférentes elles-mêmes. L’évolution de ce recrutement en fonction de l’intensité se traduit par l’intégrale de la courbe normale de probabilité, la courbe en S connue comme ogive de Galton. Ainsi, à mesure que l’intensité de la stimulation croît, l’activité de chaque transducteur croît selon la fonction th et le nombre de récepteurs actifs croît selon l’intégrale de la courbe normale de probabilité. L’intervention de ce second phénomène ne modifie guère l’allure de la loi générale; en effet, entre les deux fonctions, le coefficient de corrélation est de 0,997.

Codage des caractères qualitatifs

La nature de la sensation est conditionnée par le type de récepteurs stimulés et, en conséquence, par le type de voie afférente et de relais centraux activés. Ainsi, on sait qu’une sensation visuelle peut être obtenue par une pression sur l’œil («trente-six chandelles») ou par le passage d’un courant modéré à travers le globe oculaire (phosphène électrique). Une même stimulation, à l’inverse, est capable de provoquer des sensations différentes selon le récepteur sollicité. Une vibration électromagnétique de 760 nanomètres de longueur d’onde atteignant la rétine produit une sensation visuelle, mais, atteignant la peau, produit une sensation thermique. Une vibration aérienne de 15 hertz provoque à la fois une sensation auditive et une sensation tactile localisée surtout au niveau de l’oreille.

J. Müller (1840) est le premier à avoir clairement formulé l’idée que la nature de la sensation n’était pas immanente aux stimuli, mais relative aux nerfs que ces stimuli excitent. L’expression d’énergie spécifique des nerfs qu’il utilise pour décrire le phénomène n’est pas satisfaisante, mais l’affirmation du principe est fondamentale. Il se demande même si la spécificité est liée aux nerfs eux-mêmes ou aux centres nerveux, et il n’exclut pas cette dernière possibilité. On a montré depuis que l’on pouvait effectivement provoquer chez l’Homme des sensations tactiles ou visuelles par stimulation électrique des zones du cortex cérébral relatives à la somesthésie ou à la vision [cf. HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX]. Dans les conditions normales, c’est néanmoins à l’entrée du système sensoriel, c’est-à-dire lorsque le stimulus attaque le transducteur, soit directement, soit à travers les structures associées, que se décide la nature de la sensation.

Au-delà de ce premier tri, il s’opère encore, à l’intérieur de chaque domaine sensoriel, des discriminations qualitatives, discrimination des couleurs du spectre, des hauteurs des sons, des goûts ou des odeurs. Quelle est la base de telles discriminations?

Helmholtz (1856) avait parfaitement conçu la réponse à cette question lorsqu’il transposait à l’échelle des fibres nerveuses le principe que Müller avait formulé à l’échelle des nerfs. La discrimination qualitative à l’intérieur d’un domaine sensoriel est effectivement fondée sur la propriété que possèdent certaines fibres de ne répondre qu’à un type particulier de stimulation. Cette spécificité peut être liée aux structures associées comme dans le cas de l’oreille (cf. AUDITION), elle peut être liée au transducteur lui-même comme dans le cas de l’œil [cf. VISION]. Il se produit, à l’entrée, une sorte de filtrage (c’est le terme qu’utilisait déjà Helmholtz), et la spécificité se trouve affinée ultérieurement par le jeu des interactions latérales, soit au niveau périphérique, soit à des niveaux plus centraux.

Codage de certains caractères spatiaux

Pour les récepteurs dispersés au niveau tégumentaire, mécanorécepteurs et, lorsqu’ils existent, thermorécepteurs, photorécepteurs et chémorécepteurs, le codage de la localisation de la stimulation est implicite: si telle fibre de la région caudale est excitée, c’est que le stimulus s’est exercé dans la région caudale. La structure du système est telle qu’à une localisation périphérique du récepteur stimulé correspond une localisation centrale de l’excitation. Chez les Mammifères existe une somatotopie corticale, représentation du corps sur le cortex [cf. SOMESTHÉSIE]. On retrouve ce codage du caractère spatial par la distribution spatiale de l’excitation, dans les systèmes visuels capables de former des images: à une situation particulière du stimulus dans le champ visuel correspond une situation particulière de l’image sur la rétine, donc l’excitation de certaines fibres du nerf optique et finalement l’excitation d’un point particulier du cortex; on a une rétinotopie corticale [cf. VISION].

On conçoit également que la discrimination spatiale, au niveau du tégument ou au niveau de la rétine, dépende de la densité des fibres sensorielles. Cette densité conditionne la finesse de la trame à travers laquelle l’espace est analysé.

Dans le cas d’organes pairs (yeux, oreilles), la dissymétrie de stimulation, liée à la situation du stimulus par rapport à la tête, constitue un facteur important de la localisation spatiale.

Le codage de la durée et le phénomène d’adaptation

Dans le cas du photorécepteur de Limulus , l’émission de potentiels d’action dure tant que dure la stimulation (fig. 11). Il n’en est pas toujours ainsi, et les photorécepteurs de certains autres Arthropodes n’émettent qu’un ou deux potentiels d’action au début de la stimulation en dépit du maintien du potentiel de récepteur (fig. 14). Cette dualité existe aussi dans les mécanorécepteurs [cf. TONUS MUSCULAIRE]. Il existe, par exemple, chez de très nombreuses espèces, deux types de récepteurs d’étirement, l’un qui fournit des potentiels d’action tant que dure la stimulation, l’autre qui n’émet qu’au début de l’étirement. Les potentiels de récepteur dans les deux cas ont des décours assez semblables; c’est donc la zone génératrice G qu’il faut rendre responsable de ce phénomène, dont le mécanisme est mal expliqué. Les structures associées peuvent également être responsables du type de réponse. Ainsi le corpuscule tactile de Pacini ne répond qu’au début et à la fin d’une pression exercée sur la peau et à condition que les variations soient rapides. C’est que les enveloppes entourant, encapsulant la terminaison nerveuse jouent le rôle d’un filtre mécanique privilégiant les fréquences de l’ordre de 200 à 300 hertz.

Il existe ainsi deux types de récepteurs: les uns à adaptation lente qui sont susceptibles de coder l’intensité et la durée du stimulus, ce sont les récepteurs dits statiques ou toniques ; ils renseignent l’organisme sur des états plus ou moins durables; les autres, à adaptation rapide ou très rapide, répondent essentiellement aux changements d’état, ce sont les récepteurs dits dynamiques ou phasiques . Ils ne peuvent coder la durée, et, si leur adaptation est très rapide, ils sont également incapables de coder l’intensité. La figure 15 donne deux autres types de réponses assez répandues. En c, le récepteur ne répond qu’à la cessation du stimulus et, en d, il répond à l’établissement et à la cessation. De telles caractéristiques s’expliquent soit par l’existence d’interactions latérales, inhibitrices, soit par l’intervention des structures associées. Bien qu’il y ait perte d’information dans certains messages, le fonctionnement simultané des quatre dispositifs a, b, c et d apporte au système nerveux central plus que ne le feraient quatre dispositifs identiques au type a. De plus, les dispositifs de type phasique sont particulièrement aptes à traduire le caractère répétitif d’une stimulation intermittente.

Les processus centraux d’intégration sensorielle

Selon les espèces, les informations sensorielles qui cheminent dans les centres nerveux franchissent un nombre plus ou moins grand de relais. Le réseau nerveux ainsi parcouru se caractérise par l’existence de structures simultanément divergentes (la même fibre fait synapse avec plusieurs neurones) et convergentes (le même neurone reçoit les terminaisons synaptiques de plusieurs fibres). Les terminaisons peuvent être excitatrices ou inhibitrices, et il existe de plus des neurones assurant des liaisons transversales également inhibitrices ou excitatrices. Sur la base d’un tel schéma, on conçoit qu’à chaque relais puissent s’effectuer certaines opérations de traitement de l’information afférente.

Sans aborder de façon exhaustive le problème des mécanismes de ces opérations, on rappellera certains phénomènes assez généraux, fondés sur l’inhibition latérale et sur la convergence, qui interviennent dans le traitement des informations sensorielles.

L’inhibition latérale joue un rôle essentiel dans la mise en forme des messages sensoriels; en accentuant les contrastes, elle augmente les possibilités de discrimination. On a montré son rôle tant dans le domaine visuel que dans les domaines auditif et tactile.

La convergence intervient sous diverses formes. La convergence d’éléments de même nature permet un accroissement de la sensibilité dans la mesure où elle est la condition d’une sommation spatiale . La convergence d’éléments de même nature, symétriquement disposés par rapport au plan médian de l’organisme, permet la confrontation de messages issus de récepteurs fonctionnant par paires. C’est là le fondement essentiel de la localisation de la stimulation dans l’espace pour l’audition, la vision (troisième dimension), et dans une certaine mesure l’olfaction.

C’est aussi sur des phénomènes de convergence avec intervention d’actions inhibitrices que sont fondées les étonnantes propriétés de certains neurones observés chez les Mammifères supérieurs et qui ne répondent qu’à des particularités très spécifiques de la stimulation (mouvement dans une certaine direction d’une ligne ne dépassant pas une certaine dimension et possédant une certaine orientation, pour tels neurones de l’aire visuelle; ligne mélodique d’un cri de reconnaissance particulier, pour tels neurones de l’aire auditive).

Quant à la convergence d’éléments de nature différente, elle permet l’établissement de liaisons entre informations hétérogènes, sensorielles ou non sensorielles; elle est ainsi à la base des mécanismes d’intégration qui sous-tendent les conduites perceptives.

Il faut insister sur le caractère très général des mécanismes qui viennent d’être étudiés. Ils sont à l’œuvre avec des variantes, des simplifications, des complications, chez tous les Métazoaires, aussi bien que chez l’Homme et les animaux supérieurs.

On aura remarqué aussi que, contrairement au réalisme matérialiste de la croyance populaire, la sensation n’est nullement l’image fidèle, le reflet, du monde extérieur. Elle n’est qu’un ensemble d’informations codées concernant certaines caractéristiques d’un monde dont la physique révèle combien il est éloigné de l’image grossière qu’en donnent les sens, mais, et c’est ce qui importe, ces informations sont suffisantes pour assurer la pérennité de l’espèce.

Information sensorielle et informatique

Les «fenêtres sensorielles» peuvent nous paraître très étroites; pour l’ingénieur, l’information qu’elles admettent reste néanmoins considérable et, s’agissant par exemple de la vision, l’informaticien ne peut manquer de s’interroger: comment une rétine qui est chaque seconde «arrosée» par des milliards de photons parvient-elle à extraire de cet énorme bruit le signal précis qu’elle enverra au cerveau? Quel ordinateur serait capable de traiter les centaines de millions de bits qu’une rétine peut recevoir par seconde? Et ce questionnement fournit à la physiologie un éclairage qui vient en enrichir la problématique.

L’obstacle à surmonter tient à cette disproportion existant entre l’énormité de l’information incidente et la capacité de traitement des systèmes sensoriels; pour le système visuel humain, elle serait de l’ordre d’une cinquantaine de bits par seconde. Une compression des données est donc nécessaire.

Dans le cas où les besoins de l’animal sont très spécifiques, le problème est résolu par l’existence de détecteurs également très spécifiques et ne répondant qu’aux objets ou aux conditions (température, éclairement, etc.) nécessaires à la survie; toutes les autres stimulations sont sans effet. Mais tel n’est pas le cas des animaux supérieurs et a fortiori de l’Homme dont les besoins variés et variables nécessitent une grande flexibilité adaptative. La limitation des marges de réponse des récepteurs mais aussi des neurones et réseaux de neurones traitant l’information (limites de fréquence temporelle ou spatiale) opère déjà une réduction des données. Cette réduction, selon l’informaticien, peut se poursuivre par une compression fondée sur diverses stratégies et, en particulier, sur la réduction de la redondance et la filtration du bruit , les deux processus n’étant pas indépendants.

La redondance abonde: par exemple, dans une image quelconque divisée en surfaces élémentaires (pixels), la probabilité de trouver près d’une surface claire ou d’une surface sombre une surface identique est très élevée. Les pixels clairs ou sombres, disent les informaticiens, sont fortement corrélés. Tous les pixels d’une page blanche ont la même valeur, et l’on peut donc éliminer cette redondance sans perdre d’information. L’essentiel de l’information nécessaire pour caractériser une structure, un objet, une scène quelconques est concentré sur les bords, les contours, là où la corrélation diminue, et le dessin au trait ou la caricature n’ont pas attendu la théorisation pour, sans le savoir, appliquer ce principe. Dans la réception sensorielle, les systèmes que nous avons appelés phasiques et qui sont sensibles non à la valeur de la stimulation mais à sa dérivée en fonction du temps ou de l’espace sont d’efficaces réducteurs de redondance, de même que les processus d’inhibition latérale.

Mais, si une part de la redondance peut être éliminée avec bénéfice pour le traitement de l’information sensorielle, cette élimination doit être tempérée par le fait que la présence de redondance est facteur de structuration et a donc un aspect positif. Ainsi l’écran d’un poste de télévision non accordé ne comporte aucune redondance, aucune corrélation: la valeur des pixels est répartie (dans l’espace et dans le temps) de manière aléatoire, la «neige» observée ne contient aucune information, elle n’est que bruit. En revanche, s’il apparaît par exemple un cercle clair sur fond sombre, la redondance devient considérable mais le bruit diminue à l’avantage du signal. L’exploitation de la redondance apparaît ainsi comme un moyen de lutter contre le bruit. Dans les systèmes sensoriels, la sommation spatiale et la sommation temporelle ont précisément pour effet d’opérer le renforcement des redondances et (du fait de son caractère aléatoire) l’atténuation du bruit, c’est-à-dire de faciliter l’émergence du signal.

sensibilité [ sɑ̃sibilite ] n. f.
• 1314; bas lat. sensibilitas
1Propriété (d'un être vivant, d'un organe) d'être informé des modifications du milieu (extérieur ou intérieur) et d'y réagir par des sensations. esthésie, excitabilité, réceptivité, sensation. Sensibilité tactile ou extéroceptive, viscérale ou intéroceptive, proprioceptive. Sensibilité différentielle : sensibilité à une différence entre deux stimulations.
2Propriété de l'être humain sensible (I, 2o), traditionnellement distinguée de l'intelligence et de la volonté. affectivité, cœur. « Un je ne sais quoi de frémissant qui trahissait une sensibilité restée vive et neuve » (Bourget). Une sensibilité à fleur de peau. La sensibilité de l'artiste. « La sensibilité n'est guère la qualité d'un grand génie [...] Ce n'est pas son cœur, c'est sa tête qui fait tout » (Diderot). Œuvre empreinte de sensibilité. « Des pages pleines de sensibilité » (Gautier). émotion, sentiment. La sensibilité romantique, propre aux artistes, aux hommes de l'époque romantique.
Spécialt Faculté d'éprouver la compassion, la sympathie. humanité, pitié, tendresse. Manquer de sensibilité. « La sensibilité qui les rend humains » (Madelin).
3Aptitude à détecter et à amplifier de faibles variations (d'une grandeur). La sensibilité d'un instrument de mesure. Aptitude à réagir rapidement à un contact. Sensibilité d'un explosif. Télécomm. Sensibilité d'un récepteur, son aptitude à capter les signaux. — Photogr. Réponse d'une émulsion photographique à une quantité de lumière donnée ( ASA, DIN, ISO). Mesure de sensibilité. sensitométrie. Sensibilité à... : le fait d'être sensible, de réagir à...
Psychol. Sensibilité d'un test, son degré d'aptitude à la discrimination et au classement des individus.
4Polit. Opinion, tendance, courant. Les diverses sensibilités à l'intérieur d'un parti.
⊗ CONTR. Insensibilité; froideur; dureté.

sensibilité nom féminin (bas latin sensibilitas, du latin classique sensibilis) Aptitude d'un organisme à réagir à des excitations externes ou internes. Aptitude à réagir plus ou moins vivement à quelque chose : La sensibilité du marché financier aux variations du dollar. Aptitude à s'émouvoir, à éprouver des sentiments d'humanité, de compassion, de tendresse pour autrui : Un enfant d'une grande sensibilité ; manifestation de cette aptitude : Roman d'une grande sensibilité. Opinion, tendance, courant politique : L'existence de sensibilités différentes chez les socialistes. Métrologie Qualité d'un instrument de mesure dont le dispositif indicateur éprouve un grand déplacement pour une variation déterminée de la grandeur à mesurer. Neurologie Fonction du système nerveux lui permettant de recevoir et d'analyser des informations. Pyrotechnie Aptitude d'un explosif à réagir sous l'effet d'une excitation donnée (choc, onde de choc, élévation de température, étincelle électrique, etc.). Télécommunications Aptitude d'un récepteur radioélectrique à fournir à la sortie un signal de niveau et de qualité convenables, avec un signal d'entrée plus ou moins faible. ● sensibilité (citations) nom féminin (bas latin sensibilitas, du latin classique sensibilis) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Tout homme est sensible quand il est spectateur. Tout homme est insensible quand il agit. Vigiles de l'esprit Gallimard Maurice Barrès Charmes, Vosges, 1862-Neuilly-sur-Seine 1923 Ce n'est pas la raison qui nous fournit une direction morale, c'est la sensibilité. La Grande Pitié des églises de France Plon Paul Léautaud Paris 1872-Robinson 1956 Les hommes sensibles préfèrent le soir au matin, la nuit au jour, et la beauté des femmes mûres à celle des jeunes filles. Passe-temps Mercure de Francesensibilité (difficultés) nom féminin (bas latin sensibilitas, du latin classique sensibilis) Sens et emploi Ne pas employer l'un pour l'autre ces deux mots qui présentent une importante nuance de sens. 1. Sensibilité = faculté de percevoir des sensations, d'éprouver des sentiments : réagir avec intelligence et sensibilité. Le mot ne comporte aucune nuance péjorative ou négative. 2. Sensiblerie = sensibilité outrée, affectée ou déplacée ; le mot est toujours péjoratif. La sensiblerie qui fait pleurer à la fin des mélodrames. ● sensibilité (expressions) nom féminin (bas latin sensibilitas, du latin classique sensibilis) Sensibilité générale, réponse d'une émulsion à l'énergie d'un rayonnement électromagnétique, exprimée par une valeur numérique. Sensibilité spectrale, aptitude de réponse d'une émulsion sensible à un rayonnement de longueur d'onde déterminée. ● sensibilité (synonymes) nom féminin (bas latin sensibilitas, du latin classique sensibilis) Aptitude d'un organisme à réagir à des excitations externes ou...
Contraires :
- insensibilité
Aptitude à s'émouvoir, à éprouver des sentiments d'humanité, de compassion...
Synonymes :
- coeur
- émotivité
Contraires :
- apathie
- détachement
- dureté
- froideur
- impassibilité
- indifférence
- sécheresse

sensibilité
n. f.
d1./d Caractère d'un être sensible physiquement. Sensibilité à la douleur.
|| Spécial. PHYSIOL Ensemble des fonctions sensorielles.
d2./d Propriété d'un élément anatomique qui peut être excité par des stimuli.
d3./d Caractère d'une personne sensible, au point de vue affectif, esthétique, moral.
d4./d Propriété d'un instrument, d'une chose sensible. Sensibilité d'une balance.
|| PHOTO Sensibilité d'une émulsion photographique: la plus ou moins grande rapidité avec laquelle une image peut être enregistrée par cette émulsion.
|| PHYS Rapport entre la variation de la grandeur de sortie d'un appareil et la variation correspondante de la grandeur d'entrée. Sensibilité d'une cellule photoélectrique.

⇒SENSIBILITÉ, subst. fém.
I. — [Propriété ou faculté d'un être vivant, d'un organe]
A. — Dans le domaine physique
1. Propriété de la matière vivante de réagir de façon spécifique à l'action de certains agents internes ou externes. La lumière irrite d'abord avec une certaine force les fibres de la rétine; la sensibilité mise en jeu contracte ou dilate la pupille par une action tout à fait indépendante de la volonté (MAINE DE BIRAN, Influence habit., 1803, p. 59):
1. Au-dessus de la sensibilité purement organique des tissus élémentaires, ou des organes pris à part et non reliés au système général de la vie animale, mais à une grande distance encore de la sensibilité qui appartient aux animaux supérieurs, se place certainement la sensibilité propre aux animaux des classes inférieures, privés de centres nerveux...
COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 521.
En partic. Vulnérabilité. Si, une fois germé, le blé se rit des intempéries, il est, en naissant, d'une sensibilité extrême. Un froid un peu vif le gèle (PESQUIDOUX, Chez nous, 1921, p. 138).
2. a) Propriété des êtres vivants supérieurs d'éprouver des sensations, d'être informés, par l'intermédiaire d'un système nerveux et de récepteurs différenciés et spécialisés, des modifications du milieu extérieur ou de leur milieu intérieur et d'y réagir de façon spécifique et opportune. Sensibilité auditive, cutanée, visuelle; troubles de la sensibilité. Sentir une sensation est un acte de la sensibilité proprement dite; et sentir que cette sensation nous vient d'un tel corps et par tel organe, c'est sentir un rapport entre cette sensation et ce corps ou cet organe; c'est un acte de jugement (DESTUTT DE TR., Idéol. 1, 1801, p. 47). Ma canne prolonge ma sensibilité tactile et musculaire de quatre-vingt-cinq centimètres. Elle prolonge et elle transforme toutes mes sensibilités, sauf la sensibilité thermique. Je perçois, avec ma canne, des sensations que je n'obtiendrais pas avec ma main. Ma canne est une tige de résonance (DUHAMEL, Maîtres, 1937, p. 91). V. sensitif A 1 ex. de Maine de Biran.
Rem. On emploie dans ce sens, et p. oppos. à sensibilité morale (infra I B 1), sensibilité physique: On doit distinguer les émotions que nous fait éprouver la sensation des objets extérieurs, de celles qui nous viennent des idées, des pensées, en un mot, des actes de notre intelligence; les premières constituent la sensibilité physique, tandis que les secondes, par leur susceptibilité plus ou moins grande, caractérisent la sensibilité morale (LAMARCK, op. cit., p. 287).
[Constr. avec un compl. prép. introd. par à désignant l'agent perçu par les sens] Sensibilité à la chaleur, à la douleur, au froid. Ce dont encore je souffrais le plus, c'était ma sensibilité maladive au moindre changement de la température. J'attribuais, à présent que mes poumons étaient guéris, cette hyperesthésie à ma débilité nerveuse, reliquat de la maladie (GIDE, Immor., 1902, p. 401).
[Constr. avec un adj. spécifiant la nature de la sensibilité]
Sensibilité différentielle. Sensibilité à une différence entre deux stimuli. Même les animaux inférieurs accèdent à un rudiment de comportement perceptif (...) ils se constituent une sensibilité différentielle susceptible de les faire fuir un environnement biologiquement préjudiciable et de les faire rentrer dans l'environnement favorable (J. VUILLEMIN, Être et trav., 1949, p. 17).
Sensibilité extéroceptive ou superficielle. Sensibilité mise en jeu par les organes récepteurs superficiels; en partic., sensibilité aux variations de l'environnement perçues par les récepteurs superficiels et les organes des sens. La sensibilité intéroceptive est la première à fonctionner à cause même de l'importance de l'alimentation, de la digestion. Elle prend ainsi une place privilégiée et c'est son organe, la bouche, qui fait le pont entre l'enfant et le monde extérieur. Elle sera supplantée ensuite par la sensibilité extéroceptive (LAFON 1963). Les troubles sensitifs objectifs portent sur la sensibilité superficielle: le malade perçoit mal la piqûre et commet des erreurs de localisation (QUILLET Méd. 1965, p. 353).
Sensibilité intéroceptive ou profonde. Sensibilité aux variations qui se produisent à l'intérieur du corps, sensibilité donnant des informations sur la vie végétative. Les troubles sensitifs objectifs portent (...) sur la sensibilité profonde: on la recherche à l'aide d'un diapason appliqué sur certaines régions osseuses superficielles; le malade ne perçoit pas les vibrations (QUILLET Méd. 1965, p. 353). V. supra ex. de LAFON 1963 et infra ex. de Mounier.
Sensibilité proprioceptive. Sensibilité relative aux mouvements du corps, aux attitudes, aux postures, à l'équilibre. Le geste peut avoir deux origines et deux polarisations radicalement différentes. Tantôt, il regarde pour ainsi dire en dedans; il est commandé par une impression viscérale ou musculaire (sensibilité interoceptive) ou par un de ces schémas posturaux sans but extérieur, où le corps joue une sorte de monologue moteur avec la conscience de ses attitudes, avec son équilibre ou simplement avec le libre jeu de ses ébats (sensibilité proprioceptive) (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 192).
b) [En parlant d'un appareil sensoriel, d'un organe ou d'une partie du corps]
Aptitude variable à reconnaître et à discerner des excitations plus ou moins faibles, à ressentir très vivement certaines excitations. Le genre d'influence qu'exerce sur toutes les parties, un organe majeur et prédominant, dépend (...) du degré de sa sensibilité propre, et de l'importance de ses fonctions. La vive sensibilité d'un organe peut être due au grand nombre de nerfs qui l'animent (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 413). Rachel, ma sœur aînée, devient aveugle. Sa vue a beaucoup baissé ces derniers temps (...). Il paraît que c'est la sensibilité rétinienne qui faiblit (GIDE, Faux-monn., 1925, p. 1161).
En partic. Aptitude à ressentir la douleur, à réagir douloureusement ou de façon vulnérable, à l'action de certains agents. Emphysème, ce n'est pas douteux. Et, pour être tout à fait franc, je crois possible que vous conserviez longtemps une certaine sensibilité des muqueuses (MARTIN DU G., Thib., Épil., 1940, p. 891).
B. — Dans le domaine affectif
1. [En parlant d'une pers.] Faculté de ressentir profondément des impressions, d'éprouver des sentiments, de vivre une vie affective intense. Sensibilité aiguë, maladive, vive; sensibilité à fleur de peau, d'écorché (vif); extrême sensibilité; être dépourvu de sensibilité. Gautier expose la théorie, qui est la sienne, qu'un homme ne doit se montrer affecté de rien, que cela est honteux et dégradant, qu'il ne doit pas montrer de sensibilité, et surtout dans ses amours, — que la sensibilité est un côté inférieur en art et en littérature (GONCOURT, Journal, 1863, p. 1354). Gise avait du mal à dominer sa sensibilité. Pour un rien, maintenant, les larmes l'étouffaient (MARTIN DU G., Thib., Consult., 1928, p. 1087).
Rem. Dans la distinction class. des trois facultés, la sensibilité s'oppose à l'intelligence et à la volonté: La faculté de penser se subdivise (...) en sensibilité proprement dite, en mémoire, en jugement et en volonté (LAMARCK, Philos. zool., t. 2, 1809, p. 372).
♦ [En parlant d'un artiste] Faculté d'éprouver des sentiments et aptitude à les traduire, à les exprimer dans une création artistique. Sensibilité d'un écrivain, d'un peintre; jouer d'un instrument avec sensibilité. Il y a de l'airain dans le style de Buffon. Rousseau avait une sensibilité bien plus fine et plus exquise. Ses descriptions sont moins pompeuses que celles de Buffon, mais elles ont plus de charme (CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1815, p. 74). La sensibilité créatrice, dans ses formes les plus relevées et ses productions les plus rares, me paraît aussi capable d'un certain art que tout le pathétique et le dramatique de la vie ordinairement vécue (VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 217).
[P. méton.;] [en parlant d'une œuvre] Qualité d'une œuvre où se manifestent et s'expriment avec force les sentiments de l'artiste. Page, musique pleine de sensibilité; œuvre d'une grande sensibilité. Quelques défauts dans le plan et dans la contexture de la pièce sont compensés par une sensibilité profonde, par des situations du plus grand intérêt et des beautés du premier ordre (JOUY, Hermite, t. 4, 1813, p. 365). J'ai lu avec un plaisir par moments très vif le Kyra Kyralina d'Istrati, de saveur si particulière, tout en faisant songer à certains récits des Mille et une nuits, ou à quelque roman picaresque; mais d'une sensibilité beaucoup plus chatoyante que Lesage ou Smollett (GIDE, Journal, 1940, p. 28).
En partic. Faculté d'éprouver de la sympathie, de la compassion, de l'amour. Sans être prodigue de son argent, il l'était de sa sensibilité; il avait facilement la larme à l'œil; et le spectacle d'une misère l'émouvait sincèrement, d'une façon qui ne manquait pas de toucher la victime (ROLLAND, J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 831). La citoyenne Rochemaure montra de la sensibilité; elle s'émut à l'idée des souffrances d'Évariste et de sa mère et rechercha les moyens de les adoucir (FRANCE, Dieux ont soif, 1912, p. 95).
[Constr. avec un compl. prép. introd. par pour (vieilli) ou par à, indiquant l'objet de la sensibilité] Aptitude à porter un intérêt profond à (quelqu'un/quelque chose), à être particulièrement touché par (quelqu'un /quelque chose). Sensibilité pour le malheur des autres. Il y a bien une sorte de sensibilité à l'esthétique de la construction philosophique comme il y a une sensibilité à l'élégance de la construction mathématique (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 57). Quelle joie de lecture quand on reconnaît l'importance des choses insignifiantes! Quand on complète par des rêveries personnelles le souvenir « insignifiant » que nous confie l'écrivain! L'insignifiant devient alors le signe d'une extrême sensibilité pour des significations intimes qui établissent une communauté d'âme entre l'écrivain et son lecteur (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 77).
[Constr. avec un adj. indiquant le domaine dans lequel s'exerce la sensibilité] Sensibilité esthétique, musicale. C'est notre sensibilité verbale qui est brutalisée, émoussée, dégradée... Le langage s'use en nous. L'épithète est dépréciée. L'inflation de la publicité a fait tomber à rien la puissance des adjectifs les plus forts (VALÉRY, Variété III, 1936, p. 283). L'aveugle est souvent doué d'une grande sensibilité artistique, le sourd, contraint à monologuer avec ses pensées, est volontiers dogmatique et autoritaire (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 221).
2. [Constr. avec un adj. ou un compl. prép. introd. par de désignant un groupe de pers., une époque] Manière particulière d'éprouver des sentiments caractéristiques, de réagir sur le plan affectif. Sensibilité allemande, française; sensibilité bourgeoise, populaire; sensibilité moderne, romantique; sensibilité d'artiste, d'enfant; sensibilité de bourgeois. Le socialisme, sous ses deux aspects, le réformiste et l'insurrectionnel, n'en reste pas moins un des visages permanents de la pensée et de la sensibilité contemporaines (J.-R. BLOCH, Dest. du S., 1931, p. 22):
2. J'étais né doué d'une sensibilité féminine. Jusqu'à quinze ans je pleurais, je versais des fleuves de larmes par amitié, par sympathie, pour une froideur de ma mère, un chagrin d'un ami, je me prenais à tout et partout j'étais repoussé. Je me refermais comme une sensitive.
VIGNY, Journal poète, 1833, p. 986.
P. méton., POL. Tendance à l'intérieur d'un parti, d'une organisation politique. Ce parti (...) est aussi un parti-patchwork où existent ce que l'on appelle pudiquement des « sensibilités » diverses. Autrement dit: des courants (Le Nouvel Observateur, 12 sept. 1981, p. 27, col. 1).
II. — [Propriété d'un instrument, d'un appareil, d'un matériau]
A. — Aptitude à détecter de faibles grandeurs ou variations.
1. PHYS. Aptitude à mesurer ou à enregistrer un phénomène ou une grandeur, les variations les plus faibles d'un phénomène ou d'une grandeur. Sensibilité d'une balance, d'un appareil de mesure; sensibilité d'une cellule, d'un hygromètre, d'un thermomètre. Ces variations d'intensité sont indiquées par un galvanomètre. La sensibilité de cet appareil est exquise; il répond à toutes les radiations dans l'intervalle d'une octave (H. POINCARÉ, Théorie Maxwell, 1899, p. 66). La possibilité de détecter aisément l'existence des minerais uranifères: les rayonnements qu'ils émettent rendent possible une prospection par compteurs de radiations de sensibilité très élevée (GOLDSCHMIDT, Avent. atom., 1962, p. 91).
2. TÉLÉCOMM. Aptitude d'un récepteur à capter des signaux plus ou moins faibles. Sensibilité d'un tuner. Tout dépend de la sensibilité du récepteur; avec ceux dont on dispose aujourd'hui on emploie relativement peu d'énergie: 4 à 5 HP jusqu'à 100 kilomètres et 700 à 800 HP pour communiquer avec les antipodes (WARCOLLIER, Télépathie, 1921, p. 304). Dans toute liaison de télécommunications, par fil ou sans fil, dans toute réception de signaux, la sensibilité du récepteur est un facteur essentiel (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 272).
B. — Aptitude à réagir plus ou moins rapidement.
1. a) PHOT. ,,Rapidité avec laquelle une émulsion photographique peut fournir une image latente ou une image visible, sous l'action de la lumière ou de radiations actiniques`` (POLLET Phot. 1970). On parvenait à accroître la sensibilité générale des émulsions, et par conséquent la rapidité de la prise de vue instantanée dans toutes les conditions de couleurs et de lumières (PRINET, Phot., 1945, p. 42). Fondant son réalisme sur la nudité du visage, Dreyer avait pris prétexte de la sensibilité de la pellicule panchromatique, alors une nouveauté, pour refuser maquillage, postiches, perruques (SADOUL, Cin., 1949, p. 222).
Degré, indice de sensibilité. ,,Valeur numérique permettant de déterminer les conditions d'exposition d'une surface sensible`` (Phot. 1979).
b) PYROTECHNIE. Degré de réaction d'une substance explosive, plus ou moins grande aptitude à s'amorcer sous l'effet d'une action extérieure (choc, élévation de la température, etc.). La sensibilité à la chaleur est étudiée (...) en échauffant progressivement l'explosif et en déterminant la température à laquelle il s'enflamme (VENNIN, CHESNEAU, Poudres et explosifs, 1914, p. 119). Le chimiste suédois Nobel a eu l'idée, pour diminuer la sensibilité de la nitroglycérine (...), de la faire absorber par un sable spécial appelé kieselguhr (J. CAHEN, BRUET, Carrières, 1926, p. 101).
2. Au fig., dans le domaine de l'écon. Aptitude, capacité plus ou moins grande (d'un marché, d'une industrie, etc.) de réagir de façon positive ou négative à des facteurs extérieurs. Instabilité chronique des prix des passages et des taux de fret. Ceux-ci en particulier, sont exposés à varier fréquemment et d'une façon si brutale et si ample que les sommes payées par les chargeurs peuvent parfois ne correspondre en rien au prix de revient du transport. Cette sensibilité du commerce maritime apparaît en pleine lumière lorsque surviennent des crises économiques (M. BENOIST, PETTIER, Transp. mar., 1961, p. 17). Description géographique des marchés de vente et étude de ces marchés dans leurs conditions de stabilité, d'élasticité, leur sensibilité à la conjoncture politique et économique (Traité sociol., 1967, p. 265).
C. — PHYS. Résistance d'un matériau.
Sensibilité à l'entaille, à l'effet d'entaille. Diminution de la résistance à la rupture provoquée par une surface hétérogène (entaille, craquelure, etc.). (Dict. XXe s.).
Sensibilité à la rupture. Résistance variable aux facteurs pouvant provoquer une rupture (Dict. XXe s.).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1314 « qualité par laquelle un sujet est sensible aux impressions physiques » (HENRI DE MONDEVILLE, Chirurgie, 1540 ds T.-L.); 2. a) 1662 « attachement, intérêt pour quelque chose » (PASCAL, Pensées, Papiers non classés, 427, 194, éd. L. Lafuma, p. 554); b) 1671 « faculté de percevoir les impressions morales » (POMEY); c) 1678 « sentiment d'humanité, de pitié » (LA ROCHEFOUCAULD, Réflexions et maximes morales, éd. A. Regnier, t. 1, p. 192); d) 1680 « reconnaissance d'un bienfait reçu » (RICH. t. 2); 3. a) 1798 « aptitude à réagir rapidement à un contact (en parlant d'objets matériels) » sensibilité d'une balance (Ac.); b) 1858 phot. « propriété qu'ont certaines substances de s'impressionner sous l'action de la lumière » (CHESN. t. 2). Empr. au lat. tardif sensibilitas « sens, signification, sentiment, sensibilité », dér. de sensibilis, v. sensible. Fréq. abs. littér.: 3 626. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 7 006, b) 3 389; XXe s.: a) 4 792, b) 4 743. Bbg. GOHIN 1903, p. 300. — SCKOMM. 1933, pp. 39-48, 116-120.

sensibilité [sɑ̃sibilite] n. f.
ÉTYM. 1314; bas lat. sensibilitas, de sensibilis. → Sensible.
Propriété d'un être, d'un organe, d'un objet sensible (I.).
1 J. Lachelier a fait (…) remarquer qu'il serait fâcheux de renoncer au mot sensibilité, qui est bien français et dont le sens est réellement un sous toutes ses formes (…). « Réceptivité d'impressions, avec tendance à réagir sur ces impressions » (…) Il serait en effet regrettable et même impossible de proscrire un mot aussi usuel, quand le contexte ne laisse pas de place à une confusion; mais ce n'est pas toujours le cas.
A. Lalande, Voc. de la philosophie, art. Sensibilité.
1 Propriété qu'a un être vivant (ou un de ses organes) d'être informé des modifications du milieu extérieur comme de son milieu intérieur et d'y réagir d'une façon adéquate. Excitabilité, impression, réceptivité, sensation.REM. On parle souvent, en ce sens, de sensibilité physique (→ Psychologie, cit. 1). — On distingue traditionnellement outre la sensibilité propre aux cinq sens classiques ( Sensoriel), la sensibilité générale superficielle (thermique, douloureuse) et la sensibilité profonde (musculaire, articulaire, viscérale, osseuse). Cénesthésie, kinesthésie; → Estomac, cit. 7; excitation, cit. 3; moelle, cit. 8; peau, cit. 3. || Sensibilité des organes, des antennes (cit. 2), de la rétine (→ Excitation, cit. 13), d'un nerf (cit. 1)
Sensibilité différentielle : sensibilité à une différence entre deux stimulations… || Sensibilité amortie (cit. 6) par l'habitude. || Usure de la sensibilité (→ Anesthésie, cit. 2; et aussi blaser, cit. 7). || Surmenage, exaltation de la sensibilité (→ Impressionnabilité, cit.; jeu, cit. 81). || « La sensibilité est une sorte de guitare (cit. 7) que les objets extérieurs font vibrer » (Flaubert).Troubles, anomalies de la sensibilité. Analgésie, anesthésie, hypéresthésie.
2 La sensibilité est, dans le corps vivant, une propriété qu'ont certaines parties de percevoir les impressions des objets externes, et de produire en conséquence des mouvements proportionnés au degré d'intensité de cette perception.
Fouquet, in Encycl. (1765), art. Sensibilité.
3 Les manifestations de la sensibilité et de la sensoricité sont nombreuses, chacune faisant appel (…) à des récepteurs spécialisés, et se transmettant vers les centres par des conducteurs individualisés (…)
Parmi les messages qui peuvent ainsi venir aux centres et les informer, les uns peuvent n'atteindre que des centres relativement inférieurs, demeurer inconscients (…) les autres entrent dans le champ de la conscience, donnent naissance à une sensation qui pourra devenir perception (…) En même temps, la conscience s'imprègne de quelque chose de particulier, d'une tonalité spéciale, agréable ou désagréable, que les psychologues désignent du nom de charge affective de la sensation.
R. Fabre et G. Rougier, Physiologie médicale, p. 413.
2 Propriété de l'être humain sensible (I., 2.), traditionnellement distinguée de l'intelligence ou de l'esprit et de la volonté. Affectivité, cœur, émotivité, entrailles, fibre. || Sensibilité vive, extrême, exquise… (→ Délice, cit. 2; exercer, cit. 6; frémissant, cit. 6; inanimé, cit. 4; ordinaire, cit. 14; paysage, cit. 4).Sensibilité de l'artiste, sa sensibilité d'homme doublée de l'aptitude à la faire passer dans sa création. Émotion, passion, sentiment (→ Ardent, cit. 24; fulguration, cit. 2; nuire, cit. 11; renouveler, cit. 8). || La sensibilité de Racine, de Rousseau, de Chopin,…(En parlant d'une génération, d'une époque, considérée en particulier à travers les œuvres de ses écrivains et de ses artistes). || La sensibilité romantique, propre aux artistes, aux hommes de l'époque romantique. || Sensibilité moderne et sensibilité classique (→ Distinguer, cit. 2; expression, cit. 28).
4 Le dirai-je ! Pourquoi non ? La sensibilité n'est guère la qualité d'un grand génie (…) Ce n'est pas son cœur, c'est sa tête qui fait tout (…) Au reste, lorsque j'ai prononcé que la sensibilité était la caractéristique de la bonté de l'âme et de la médiocrité du génie, j'ai fait un aveu qui n'est pas trop ordinaire, car si Nature a pétri une âme sensible, c'est la mienne.
Diderot, Paradoxe sur le comédien, Pl., p. 1039-1074.
5 Fabre d'Églantine a dit : « La sensibilité de Marat ». Et ce mot a étonné ceux qui confondent la sensibilité avec la bonté, ceux qui ignorent que la sensibilité exaltée peut devenir furieuse. Les femmes ont des moments de sensibilité cruelle. Marat, pour le tempérament, était femme et plus que femme, très nerveux et très sanguin.
Michelet, Histoire de la Révolution franç., IV, VI.
6 La sensibilité (…) a horreur du vide. Elle réagit spontanément contre la raréfaction des excitations (…) Le tracement d'un décor sur une surface trop nue, la naissance d'un chant dans un silence trop ressenti, ce ne sont que des réponses, des compléments, qui compensent l'absence d'excitations (…) Cette analyse (…) conduit à modifier assez profondément la notion que l'on a d'ordinaire de la sensibilité. On groupe sous ce nom des propriétés purement réceptives (…) mais (…) il faut aussi lui attribuer des vertus productives.
Valéry, Variété, Théorie poétique et esthétique, t. I, Pl., p. 1409.
Par ext. Qualité d'une œuvre empreinte de la sensibilité de l'artiste. || Page, musique pleine de sensibilité (→ Intérêt, cit. 30; mugir, cit. 3).
Spécialt. Caractère d'une personne sensible (I., 2.). Amour, attendrissement, compassion, humanité, pitié, sympathie, tendresse (→ 1. Flétrir, cit. 15). || Affectation de sensibilité. Sensiblerie. || Sensibilité prête à servir toute grande cause (cit. 59; → aussi 2. Idéal, cit. 9). || Être dépourvu de sensibilité (→ Obliger, cit. 18). || Sensibilité émoussée (cit. 11).
7 Il y a une sensibilité physique et organique, qui, purement passive, paraît n'avoir pour fin que la conservation de notre corps et celle de notre espèce par les directions du plaisir et de la douleur. Il y a une autre sensibilité que j'appelle active et morale qui n'est autre chose que la faculté d'attacher nos affections à des êtres qui nous sont étrangers.
Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, 2e dialogue.
8 — Jacques, vous êtes un barbare; vous avez un cœur de bronze.
— Non, monsieur, non, j'ai de la sensibilité; mais je la réserve pour une meilleure occasion.
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 673.
9 L'émotion débordait, la noblesse morale ruisselait, le cœur se fondait en effusions éperdues; les écluses étaient lâchées à la redoutable sensibilité germanique; elle diluait l'énergie des plus forts, elle noyait les faibles sous ses nappes grisâtres : c'était une inondation (…)
R. Rolland, Jean-Christophe, La révolte, I, p. 388.
Faculté d'éprouver de la compassion, de la sympathie. || Sensibilité pour… (vieilli), sensibilité à… : intérêt profond porté à… || Sensibilité pour les malheurs d'autrui (→ Épaisseur, cit. 3). || La sensibilité de l'homme aux petites choses (→ Insensibilité, cit. 3).Aptitude à être particulièrement touché par… || Être d'une grande sensibilité aux moindres reproches (Académie). Susceptibilité.
10 Mme de Clèves s'était bien doutée que ce prince s'était aperçu de la sensibilité qu'elle avait eue pour lui (…) Ce lui était une grande douleur de voir qu'elle n'était plus maîtresse de cacher ses sentiments et de les avoir laissés paraître au chevalier de Guise.
Mme de La Fayette, la Princesse de Clèves, II.
3 Aptitude à détecter et à amplifier de faibles variations (d'une grandeur); aptitude à réagir rapidement (à un contact, une action physique, mécanique) Sensible, (I., 3.); délicatesse, finesse. || Sensibilité d'une balance, d'un instrument de mesure; du papier et des plaques photographiques (→ Exposition, cit. 13; gélatine, cit.), d'une anche de hautbois. || Sensibilité d'un explosif. Par métaphore. || Réactif (cit. 3) d'une extrême sensibilité.
Spécialt (sc. et techn.). || Sensibilité d'un matériau à la rupture. || Sensibilité à l'entaille : accroissement de la sensibilité à la rupture lorsque la surface devient hétérogène.Degré de réaction d'un explosif sous l'effet d'une excitation.
11 Ce phénomène est connu sous le nom de sensibilité thermique des propergols solides.
J.-F. Théry, les Carburants nouveaux, p. 78.
Aptitude d'un récepteur à capter les signaux. || La sensibilité, « pour un tuner c'est la possibilité de recevoir des signaux très faibles. Cette sensibilité est exprimée en microvolts du signal nécessaire pour une réception convenable » (Lexique des termes de haute fidélité, « Fisher handbook », 1966).
(Écologie). || Sensibilité du milieu aux interventions humaines.
Par anal. (psychol.). || Sensibilité d'un test, son degré d'aptitude à la discrimination et au classement des individus.
CONTR. Insensibilité; apathie, froideur, glace; aridité, cruauté, dessèchement, dureté, endurcissement.

Encyclopédie Universelle. 2012.