ennui [ ɑ̃nɥi ] n. m.
1 ♦ Vx Tristesse profonde, grand chagrin. ⇒ tourment. « Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis » (Racine).
2 ♦ Peine qu'on éprouve de quelque contrariété; cette contrariété. ⇒ désagrément, embarras, préoccupation, 1. souci, tracas; fam. embêtement, emmerdement, empoisonnement, enquiquinement. Avoir des ennuis. Se créer, se préparer bien des ennuis. ⇒ difficulté. Quel ennui ! ⇒fam. 1. barbe, poisse; très fam. chierie, chiotte. « Tu ne crains pas qu'on te fasse des ennuis ? » (Sartre). Il a eu des ennuis avec la justice. L'ennui, c'est que... : ce qu'il y a d'ennuyeux, c'est que... ⇒ problème. Attirer des ennuis à qqn. « À ceux-ci je n'ai pas causé de si grands tourments, tout au plus des ennuis » (Colette). — Des ennuis d'argent, de santé, de voiture. Des ennuis mécaniques. ⇒ 2. panne.
3 ♦ (XIIIe) Impression de vide, de lassitude causée par le désœuvrement, par une occupation monotone ou dépourvue d'intérêt. Éprouver de l'ennui. ⇒ s'ennuyer. Bâiller d'ennui. Vaincre l'ennui (cf. Tuer le temps). Ce film est d'un ennui ! « L'ennui naquit un jour de l'uniformité » (La Motte-Houdar). « Je travaille toujours pour ne pas mourir d'ennui » (Proudhon). « presque tous les métiers sécrètent l'ennui à la longue » (Romains).
4 ♦ Mélancolie vague, lassitude morale qui fait qu'on ne prend d'intérêt, de plaisir à rien. ⇒ abattement, fam. cafard, dégoût (de la vie), langueur, 3. mal (du siècle), morosité, neurasthénie, spleen (cf. Idées noires). Chateaubriand « a comme engendré cet ennui incurable, mélancolique, sans cause, [...] le mal de René » (Sainte-Beuve). Ennui qui vient du mal du pays. ⇒ nostalgie.
⊗ CONTR. Satisfaction; amusement, distraction, 1. plaisir.
● ennui nom masculin (de ennuyer) Désagrément, contrariété passagère provoqués par une difficulté, un obstacle, un empêchement, etc. : Avoir des ennuis avec la justice. Difficulté, chose ennuyeuse qui met dans l'embarras : Un ennui mécanique. Lassitude morale, impression de vide engendrant la mélancolie, produites par le désœuvrement, le manque d'intérêt, la monotonie (au singulier seulement) : À la campagne je meurs d'ennui. ● ennui (citations) nom masculin (de ennuyer) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 L'ennui est une sorte de jugement d'avance. Minerve ou De la sagesse Gallimard Henri Frédéric Amiel Genève 1821-Genève 1881 On se lasse d'être quarante ans dans sa propre compagnie ; on finit par se subir comme un ennui et se traîner comme un boulet. Journal intime, 20 septembre 1866 Jules Amédée Barbey d'Aurevilly Saint-Sauveur-le-Vicomte 1808-Paris 1889 […] Les passions tendent toujours à diminuer, tandis que l'ennui tend toujours à s'accroître. Une vieille maîtresse Anthelme Brillat-Savarin Belley 1755-Paris 1826 La table est le seul endroit où l'on ne s'ennuie jamais pendant la première heure. Physiologie du goût Henri Calet Paris 1903-Vence 1956 Pour que je travaille, il me faut m'enfermer à double tour dans l'ennui. Acteur et témoin Mercure de France François René, vicomte de Chateaubriand Saint-Malo 1768-Paris 1848 Tout me lasse : je remorque avec peine mon ennui avec mes jours, et je vais partout bâillant ma vie. Mémoires d'outre-tombe François René, vicomte de Chateaubriand Saint-Malo 1768-Paris 1848 Je m'ennuie de la vie. Les Natchez Eugène Delacroix Saint-Maurice, Val-de-Marne, 1798-Paris 1863 Le secret de n'avoir pas d'ennuis, pour moi du moins, c'est d'avoir des idées. Journal, 14 juillet 1850 Emmanuel Arène 1856-1908 et Gaston Arman de Caillavet Paris 1869-Essendiéras, Dordogne, 1915 et Robert Pellevé de La Motte-Ango, marquis de Flers Pont-l'Évêque 1872-Vittel 1927 Académie française, 1920 Les choses ennuyeuses ont toujours un prestige que les choses amusantes n'ont pas. Le Roi Librairie théâtrale Eugène Fromentin La Rochelle 1820-Saint-Maurice, commune de La Rochelle, 1876 Sais-tu quel est mon plus grand souci ? C'est de tuer l'ennui. Celui qui rendrait ce service à l'humanité serait le vrai destructeur des monstres. Dominique abbé Ferdinando Galiani Chieti 1728-Naples 1787 Toutes les méthodes agréables d'apprendre aux enfants les sciences sont fausses et absurdes, car il n'est pas question d'apprendre ni la géographie ni la géométrie, il est question de s'accoutumer au travail, c'est-à-dire à l'ennui. Lettre à Mme d'Épinay Julien Green Paris 1900-Paris 1998 Académie française, 1971 L'ennui est un des visages de la mort. Journal Plon Antoine Houdar de La Motte, dit aussi La Motte-Houdar Paris 1672-Paris 1731 Académie française, 1710 L'ennui naquit un jour de l'uniformité. Fables, les Amis trop d'accord Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 L'ennui est entré dans le monde par la paresse. Les Caractères, De l'homme Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse En t'en venant la vase et les pâles roseaux, Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux. Poésies, l'Azur Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 Ô miroir ! Eau froide par l'ennui dans ton cadre gelée […]. Poésies, Hérodiade Henry Millon de Montherlant Paris 1895-Paris 1972 Académie française, 1960 Tout ce qui n'est pas passion est sur un fond d'ennui. Aux fontaines du désir Gallimard Henry Millon de Montherlant Paris 1895-Paris 1972 Académie française, 1960 Le bonheur ne m'ennuie jamais. Carnets Gallimard Charles Nodier Besançon 1780-Paris 1844 Académie française, 1833 Tous les hommes qui s'ennuient dans une planète passent leur pauvre vie à en aller chercher une autre. Léviathan le Long Blaise Pascal Clermont, aujourd'hui Clermont-Ferrand, 1623-Paris 1662 L'éloquence continue ennuie. Pensées, 355 Commentaire Chaque citation des Pensées porte en référence un numéro. Celui-ci est le numéro que porte dans l'édition Brunschvicg — laquelle demeure aujourd'hui la plus généralement répandue — le fragment d'où la citation est tirée. Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Il y a des moments de la vie où une sorte de beauté naît de la multiplicité des ennuis qui nous assaillent […]. À la recherche du temps perdu, la Fugitive Gallimard Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 Dans l'Orient désert quel devint mon ennui ! Bérénice, I, 4, Antiochus Jules Renard Châlons, Mayenne, 1864-Paris 1910 La peur de l'ennui est la seule excuse du travail. Journal, 10 septembre 1892 Gallimard Jacques Rigaut Paris 1899-Paris 1929 L'ennui, c'est la vérité à l'état pur. Écrits, Papiers posthumes Gallimard François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 L'homme est né pour vivre dans les convulsions de l'inquiétude ou dans la léthargie de l'ennui. Candide Aristote Stagire 384-Chalcis 322 avant J.-C. Toute chose nécessaire est par nature ennuyeuse. Métaphysique, IV, 5 (traduction J. Tricot) Commentaire Citation d'Événos de Paros, sophiste et poète du Ve s. avant J.-C. Alphonse de Prât de Lamartine Mâcon 1790-Paris 1869 La France s'ennuie. Discours, 10 janvier 1839 Commentaire C'est en 1839, dans un discours à la Chambre des députés, que Lamartine lança cette phrase fameuse : « La France est une nation qui s'ennuie. » Quelques années plus tard, il rendit lui-même témoignage du succès de sa formule dans un autre discours, prononcé à Mâcon : « J'ai dit, il y a quelques années, à la tribune, un mot qui a fait le tour du monde[…] j'ai dit un jour : La France s'ennuie ! » abbé Ferdinando Galiani Chieti 1728-Naples 1787 L'éducation tout entière se réduit à ces deux enseignements : apprendre à supporter l'injustice et apprendre à souffrir l'ennui. Tutta l'educazione si riduce a questi due insegnamenti : imparare a sopportare l'ingiustizia e imparare a soffrir la noia. Lettere, 3 avril 1773 Giacomo Leopardi Recanati, Marches, 1798-Naples 1837 Les maux sont moins néfastes au bonheur que l'ennui. I mali sono meno dannosi alla felicità che la noia. Zibaldone, III, 229 ● ennui (synonymes) nom masculin (de ennuyer) Désagrément, contrariété passagère provoqués par une difficulté, un obstacle, un...
Synonymes :
- désagrément
- difficultés
- emmerde (populaire)
- emmerdement (populaire)
- mécontentement
- souci
- tracas
Contraires :
Difficulté, chose ennuyeuse qui met dans l'embarras
Synonymes :
- anicroche (familier)
- embêtement (familier)
- empoisonnement (familier)
- os (familier)
- pépin (familier)
- tuile (familier)
Lassitude morale, impression de vide engendrant la mélancolie, produites par...
Synonymes :
- cafard (familier)
- dégoût
- mélancolie
- spleen
Contraires :
- allégresse
- euphorie
- gaieté
- joie
- plaisir
ennui
n. m.
d1./d Lassitude morale, absence d'intérêt pour toute chose. L'ennui naît de l'uniformité. être rongé par l'ennui. Mourir d'ennui.
|| Absence de tout intérêt, sentiment de vide que produit qqch. Il ne ressent que de l'ennui pour ce travail monotone.
d2./d Sentiment désagréable que provoque un souci, une contrariété; ce souci, cette contrariété. Causer des ennuis à qqn. Avoir des ennuis d'argent.
⇒ENNUI, subst. masc.
A.— Vieilli ou région. Abattement causé par une grave peine, une profonde douleur. Il est tombé dans un ennui et dans une faiblesse qui ont donné frayeur pour sa vie (Maîtres sonneurs) (VINCENT, Lang. et style rust. Sand, 1916, p. 184).
— En partic. Nostalgie, regret de quelqu'un ou quelque chose et, absol., mal du pays. Que l'ennui de toi me prenne (FLAUB., Corresp., 1849, p. 95). Il avait l'ennui... Il pleurait tout le temps (RAMUZ, Gde peur mont., 1926, p. 86).
— [Avec réf. à l'emploi cour. dans la lang. class.; en partic. cf. RACINE, Bérénice, I, 4 : Dans l'Orient désert quel devint mon ennui!] :
• 1. Aussi comprend-on que Françoise avait pu dépérir, les premiers jours, en proie (...) à un mal qu'elle appelait elle-même l'ennui, l'ennui dans ce sens énergique qu'il a chez Corneille ou sous la plume des soldats qui finissent par se suicider parce qu'ils s'« ennuient » trop après leur fiancée, leur village.
PROUST, Le Côté de Guermantes 1, 1920, p. 19.
B.— Moderne
1. Sentiment de lassitude.
a) Sentiment de lassitude coïncidant avec une impression plus ou moins profonde de vide, d'inutilité qui ronge l'âme sans cause précise ou qui est inspiré par des considérations de caractère métaphysique ou moral. Ennui incurable; accablé, rongé d'ennui, languir d'ennui. [Emma] sentait l'ennui plus lourd qui retombait sur elle (FLAUB., Mme Bovary, t. 1, 1857, p. 73). Je suis l'ennui et la navrance en personne! (VALÉRY, Corresp. [avec Gide], 1891, p. 125). La promenade est une invention de l'ennui; on promène l'ennui (ALAIN, Propos, 1932, p. 1088) :
• 2. Tout me lasse : je remorque avec peine mon ennui avec mes jours, et je vais partout baîllant ma vie.
CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 1, 1848, p. 337.
Rem. 1. Dans ce sens, le mot est souvent associé à abattement, langueur, mélancolie, tristesse. 2. Le mot apparaît avec majuscule pour désigner l'ennui personnifié. C'est l'Ennui! — l'œil chargé d'un pleur involontaire (BAUDEL., Fl. du Mal, Paris, Gallimard, 1857-61, p. 6).
b) Sentiment de fatigue, de découragement provoqué par l'inaction ou le manque total d'intérêt de quelqu'un ou quelque chose. Ennui mortel, sans nom; air d'ennui; baîller d'ennui. Tout ici respire un ennui mortel! (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 522). Le concert s'acheva dans l'atmosphère d'ennui spéciale à ces sortes d'assemblées (VOGÜÉ, Morts, 1899, p. 407). Je reproche à la politique quelle qu'elle soit, l'énorme ennui qu'elle dégage (GREEN, Journal, 1949, p. 314).
SYNT. Ennui écrasant, féroce, profond; geste, impression, moment d'ennui; crever, mourir d'ennui; tromper l'ennui; avec/ sans ennui.
— [Avec compl. prép. de désignant ce qui cause l'ennui] L'ennui de transcrire des pièces secrètes (STENDHAL, L. Leuwen, t. 2, 1835, p. 260). Ennui de ces longues conversations où rien n'avance (RENARD, Journal, 1906, p. 1095).
Rem. Dans ce sens, le mot apparaît souvent en assoc. avec dégoût, désœuvrement, fatigue, oisiveté.
2. Sentiment de désagrément, de contrariété, voire d'inquiétude, motivé par une cause extérieure passagère plus ou moins grave. Cause d'ennui; pour comble d'ennui; avoir de l'ennui du côté de qqn ou qqc. Il laisse percer son ennui de ne pouvoir se faire jouer (GONCOURT, Journal, 1882, p. 208). Je m'en tire assez bien, au grand ennui des Jaubert qui espéraient sournoisement me voir grondée (COLETTE, Cl. école, 1900, p. 150) :
• 3. Avons-nous une destinée? Sommes-nous libres? Quel! ennui de ne pas savoir! Quels ennuis si l'on savait.
RENARD, Journal, 1889, p. 26.
— P. méton., au sing. et au plur. Ce qui cause le sentiment de contrariété ou d'inquiétude. Ennui mécanique; ennui d'argent, de chauffage, de santé; être assailli d'ennuis. (Quasi-)synon. accident, anicroche, pépin (fam.). Toujours des ennuis de ménage (CLAUDEL, Corresp. [avec Gide], 1910, p. 125). Elle risquait de créer aux Van Bergen toute sorte d'ennuis et de difficultés (VAN DER MEERSCH, Empreinte dieu, 1936, p. 88). À cent kilomètres environ d'Hassetché nous eûmes un ennui de voiture (THARAUD, Alerte en Syrie! 1937, p. 221).
♦ Avoir des ennuis. Se trouver dans une situation difficile. Quelques-uns de mes confrères qui craignent d'avoir des ennuis à la Libération (MONTHERL., Demain, 1949, II, 3, p. 724).
— En partic. Avoir des démêlés avec quelqu'un. Mlle Emma Siller a des ennuis avec son propriétaire (GIDE, Journal, 1911, p. 339).
♦ L'ennui/le seul ennui, c'est que. (Quasi-)synon. le hic, c'est que. Le seul ennui est qu'il va falloir attendre (ZOLA, Dr Pascal, 1893, p. 222). L'ennui c'est qu'il n'a pas pris l'argent (CLAUDEL, Échange, 1954, III, p. 788).
Rem. La docum. atteste ennuyance, subst. fém., lang. pop. région. Synon. de ennui. a) [Correspond à B 1 a] J'ai eu souvent de l'ennuyance, mais plus jamais (...) à partir du moment où cette petite main-là s'est nichée toute tiède dans la mienne (GENEVOIX, É. Charlebois, 1944, p. 43). b) [Correspond à B 2 b] Personne à qui compter mes ennuyances (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, R. Prudent, 1886, p. 645).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Jusqu'au XVIIIe s. on prononçait aussi bien [], qui n'a prévalu qu'au XIXe s., que []. Cette dernière prononc. est encore cour. dans le Midi de la France (cf. ennemi). La persistance de la nasale dans l'initiale s'explique p. anal. avec des mots du type enfermer, etc. Étymol. et Hist. 1. 1re moitié XIIe s. « tristesse profonde, chagrin, dégoût » (Psautier Oxford, éd. Fr. Michel, CXVIII, 28 : Sermeilla la meie aneme pur ennui [prae taedio]); 1658 par affaiblissement « lassitude d'esprit, manque de goût, de plaisir » (PASCAL, Pensées, éd. Ph. Sellier, Projet de 1658, IX Divertissement, § 168); 2. 1130-40 « contrariété très forte, tourment » tournera a grant enui (WACE, Conception ND, 448 ds KELLER, p. 104b). Déverbal de ennuyer. Fréq. abs. littér. :5 415. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 8 008, b) 8 827; XXe s. : a) 8 029, b) 6 636. Bbg. ARNOLD (W.). Ennui, spleen, nausée, tristesse. N. Spr. 1966, t. 15, pp. 159-173. — BIANCHINI (A.). Le Développement du mot ennui de la Pléiade jusqu'à Pascal. Cultura neolatina. 1952, t. 12, pp. 225-238. — DUMONCEAUX (P.). Lang. et sensibilité au 17e s. Genève, 1975. — JOHNSTON (O.M.). Old French enui, annui, anoi, enoi, ennui, ennuy, applied to persons. Mod. Lang. Notes. 1930, t. 45, pp. 32-34. — SAGNES (G.). L'Ennui ds la litt. fr. de Flaubert à Laforgue. Paris, 1969.
ennui [ɑ̃nɥi] n. m.
ÉTYM. Déb. XIIe; déverbal de ennuyer.
❖
1 Vx (langue class.). « Tourment de l'âme causé par la mort de personnes aimées, par leur absence, par la perte d'espérances, par des malheurs quelconques » (Littré). ⇒ Affliction, chagrin, désespoir, désolation, douleur (cit. 15), peine, tourment (→ Abîme, cit. 6; coûter, cit. 9). || L'ennui qui vous dévore (Racine, Bérénice, II, 4).
1 Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis (…)
Racine, Iphigénie, IV, 4.
2 (Un, des ennuis). Peine qu'on éprouve d'une contrariété; cette contrariété. ⇒ Anicroche, 1. aria, avanie, désagrément, embarras, préoccupation, souci, tracas; (fam.) chiotte, embêtement, emmerde, emmerdement. || Avoir des ennuis, toutes sortes d'ennuis. || Chacun a ses ennuis. || Causer (cit. 5), faire, susciter, attirer des ennuis à qqn. ⇒ Tracasserie. || Se créer des ennuis. || Vous vous préparez bien des ennuis. ⇒ Complication, difficulté; déboire, déception, misère. || Je sais les ennuis que cela m'a coûtés. || C'est, pour lui, un sujet d'ennui. ⇒ Fardeau, mécontentement. || Être accablé d'ennuis (cf. En baver, en chier). || Ruminer ses ennuis. || Confier des ennuis à qqn. || Quel ennui ! (⇒ fam. Barbe, poisse). — (Qualifié). || Avoir des ennuis professionnels. || Avoir des ennuis d'argent. → (fam.) Être dans la mélasse, dans la mouise, la purée… || Ennuis de santé. || Ennuis de famille. || Les ennuis de la vieillesse. || Les ennuis du métier. ⇒ Inconvénient, incommodité. — ☑ Prov. Un ennui ne vient jamais seul. — L'ennui, c'est que… : ce qu'il y a d'ennuyeux, c'est que…
2 Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.
La Fontaine, Fables, IV, 9.
3 Maintenant, mon enfant, je ne suis plus qu'une vieille sœur, incapable peut-être de soulager vos ennuis, mais non pas de les partager.
A. de Musset, les Caprices de Marianne, I, 2.
4 L'organiste songe à sa famille et rumine ses ennuis pendant qu'il joue (…)
Huysmans, En route, p. 17.
5 Des ennuis, tout le monde en a, mais on ne s'ennuie pas.
J. Renard, Journal, 26 juil. 1894.
6 La plupart de nos ennuis sont notre création originale.
Valéry, Autres rhumbs, p. 184.
7 Elle assurait que la lettre d'amour en conserve ne fait plaisir à personne, qu'elle peut engendrer mille ennuis, et que plutôt que de susciter des malheurs posthumes, elle avait détruit toutes les siennes (…)
Colette, l'Étoile Vesper, p. 185.
8 — Tu sais, je ne pars pas aujourd'hui, dit Mathieu. — Je sais. Tu ne crains pas qu'on te fasse des ennuis ?
Sartre, le Sursis, p. 86.
♦ Spécialt. Mauvais fonctionnement (d'un objet nécessaire). || Des ennuis mécaniques, de chauffage. — J'ai des ennuis avec ma voiture (même sens global, mais valeur normale de ennui).
3 (XIIIe). L'ennui; un ennui (qualifié). Malaise, impression de vide, de lassitude causée par l'inaction (⇒ Désœuvrement, cit. 1, 3), par une occupation monotone ou dépourvue d'intérêt (⇒ Fatigue, lassitude). || Éprouver de l'ennui. ⇒ Ennuyer (s'). || L'ennui fait paraître le temps long. || L'ennui le rend impatient (⇒ Impatience). ☑ Crever, mourir (→ 1. Mourir, cit. 39), périr, sécher d'ennui. → Moutonnerie, cit. || Ils me feront mourir, périr d'ennui (→ Assassiner, vx; tuer). || L'ennui me tue. || Un ennui mortel, pesant, profond (→ fam. Assommement). || Ce travail monotone, fastidieux me remplit, m'accable d'ennui. ⇒ Monotonie (→ Critique, cit. 7). || L'ennui de la vie quotidienne. || L'ennui des mois d'hiver. || Livre, spectacle qui distille, engendre, sécrète l'ennui, donne de l'ennui (→ Dédommager, cit. 3). || Ce conférencier sue l'ennui. || L'ennui pèse sur l'auditoire. || Donner des signes d'ennui. || Bâiller, s'étirer par ennui. || Moue d'ennui. || Bâiller d'ennui. || S'avaler la langue d'ennui (→ Bouder, cit. 6). || Savoir éviter l'ennui. || Lutter contre l'ennui (→ Asile, cit. 26). || Ne laisser aucune place à l'ennui. (→ Plein, cit. 12). || Chasser, dissiper, tromper, tuer, vaincre l'ennui (→ Tuer le temps; et aussi attente, cit. 3; boire, cit. 10). || Ne pas connaître l'ennui. || N'avoir pas une minute d'ennui. || Ce film est d'un ennui ! ⇒ Ennuyeux.
9 L'ennui est entré dans le monde par la paresse (…)
La Bruyère, les Caractères, XI, 101.
10 Je me meurs d'ennui quand je vous entends, vous autres riches, parler de vos intérêts et de vos affaires.
Racine, Traductions, Le banquet de Platon.
11 C'est un grand agrément que la diversité.
Nous sommes bien comme nous sommes.
Donnez le même esprit aux hommes,
Vous ôtez tout le sel de la société.
L'ennui naquit un jour de l'uniformité.
La Motte-Houdar, Fables, « Les amis trop d'accord ».
12 Un enfant oisif est sujet à l'ennui (…)
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Lettre 5.
13 L'ennui, ce fléau de la solitude (…)
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Entretiens sur les romans, p. 14.
14 (…) tous ces hommes du grand monde, sans esprit, qui vont aux eaux promener leur ennui entourèrent madame de Larçay (…)
Stendhal, Mina de Vanghel.
15 L'ennui est la grande maladie de la vie; on ne cesse de maudire sa brièveté, et toujours elle est trop longue, puisqu'on n'en sait que faire.
A. de Vigny, Journal d'un poète, p. 86.
16 (…) je ne puis travailler, et pourtant je travaille toujours pour ne pas mourir d'ennui.
17 (…) l'ennui n'est fait que pour les esprits vides et pour les cœurs qui ne sauraient être blessés de rien (…)
E. Fromentin, Dominique, p. 111.
18 Elle fait une moue d'ennui, de dédain aussi un peu, comme regrettant d'être venue à un spectacle qui languit, qui n'est guère amusant.
Loti, Mme Chrysanthème, IV, p. 47.
18.1 Mer des Sargasses; aube en larmes, et clartés tristes sur l'eau grise. Certes, si j'avais pu choisir, je n'aurais pas ramé vers ces parages. L'ennui ! pourquoi le dire ! Qui ne l'a pas connu ne le comprendra pas; qui l'a connu demande à s'en distraire. L'ennui ! c'est donc vous, mornes études de notre âme, quand autour de nous les splendeurs, les rayons défendus se retirent. Les rayons sont partis, les tentations nous abandonnent; rien ne nous occupe plus, hors nous-mêmes, dans les aurores désenchantées.
Gide, le Voyage d'Urien, in Romans, Pl., p. 41.
19 Qui n'a point de ressources en lui-même, l'ennui le guette et bientôt le tient.
Alain, Propos sur le bonheur, p. 126.
20 (…) il n'y a point d'affection qui ne périsse si l'ennui s'y met.
Alain, les Aventures du cœur, p. 61.
21 Les personnes valides croient toujours que de l'immobilité forcée naît l'ennui.
Colette, l'Étoile Vesper, p. 9.
22 (…) presque tous les métiers sécrètent l'ennui à la longue.
J. Romains, Knock, p. 29.
4 Mélancolie vague, lassitude morale qui fait qu'on ne prend d'intérêt, de plaisir à rien. ⇒ Abattement (cit. 3, 7), accablement (cit. 9), cafard (fam.), découragement (cit. 1), dégoût (de la vie, de tout), hypocondrie, langueur, lassitude, mal (du siècle), mélancolie, morosité, neurasthénie, noir (idées noires, papillons noirs), spleen, tristesse, vide (→ Araignée, cit. 10; bas, cit. 6; brouillard, cit. 13; bruyant, cit. 4; défaillance, cit. 2). || Être accablé d'ennui. || Un ennui incurable, sans cause. || Son ennui vient du mal du pays. ⇒ Nostalgie. || Tomber dans un profond, un immense ennui. || Dépérir, languir d'ennui. || Traîner son ennui comme un fardeau. || Sauver qqn de l'ennui. || Guérir de l'ennui.
23 Mais, ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d'ennui; ils sentent alors leur néant sans le connaître : car c'est bien être malheureux que d'être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu'on est réduit à se considérer, et à n'en être point diverti.
Pascal, Pensées, II, 164.
24 Cattien, dans son ouvrage De Institutis Cœnobiorum, parle d'une maladie particulière, acedia, et en fait le sujet de son dixième livre. L'acedia est l'ennui propre au cloître, surtout dans le désert et quand le religieux vit seul; une tristesse vague, obscure, tendre, l'ennui des après-midi. Le besoin de l'infini vous prend; on s'égare en d'indéfinissables désirs; c'est le moment où l'on se perdrait volontiers dans le tourbillon du désert avec Pharan, où l'on s'écrierait avec René : Levez-vous vite, Orages désirés (…)
Sainte-Beuve, Port-Royal, t. I, I, VIII. (Cf. aussi Balzac, Un prince de la Bohème, Pl., t. VI, p. 829).
25 Connaissez-vous l'ennui ? non pas cet ennui commun, banal, qui provient de la fainéantise ou de la maladie, mais cet ennui moderne qui ronge l'homme dans les entrailles et, d'un être intelligent, fait une ombre qui marche, un fantôme qui pense.
Flaubert, Correspondance, 87, 7 juin 1844.
26 Je crois, disait-il (Chateaubriand), que je me suis ennuyé dès le ventre de ma mère. Il a comme engendré cet ennui incurable, mélancolique, sans cause, si souvent doux et enchanteur dans son expression, sauvage et desséchant au fond, et mortel au cœur, mortel à la bonne et saine pratique familière des vertus, — le mal de René, qui a été celui de tout notre âge, maladie morale (…) Le voilà donc à sa source cet ennui qui va s'épancher à travers le monde, qui cherchera partout l'infini et l'indéterminé, le désert (…)
Sainte-Beuve, Chateaubriand, t. I, p. 81.
27 Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde;
C'est l'Ennui !
Baudelaire, les Fleurs du mal, Au lecteur.
28 On dira peut-être que le monde est depuis longtemps familiarisé avec l'ennui, que l'ennui est la véritable condition de l'homme. Possible que la semence en fût répandue partout et qu'elle germât çà et là, sur un terrain favorable. Mais je me demande si les hommes ont jamais connu cette contagion de l'ennui, cette lèpre ? Un désespoir avorté, une forme turpide du désespoir, qui est sans doute comme la fermentation d'un christianisme décomposé.
Bernanos, Journal d'un curé de campagne, I, p. 11.
29 Nous avions pensé d'abord que l'auto tuerait l'ennui. Rien ne tue l'ennui. Si nous pressons la voiture, c'est que la route est longue et que l'ennui nous poursuit.
G. Duhamel, Scènes de la vie future, VI, p. 99.
♦ L'ennui de… (et inf.). || L'ennui de vivre.
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CONTR. Allégresse, bonheur, divertissement, euphorie, gaieté, joie, liesse, plaisir, récréation, réjouissance, satisfaction.
Encyclopédie Universelle. 2012.