espèce [ ɛspɛs ] n. f.
• XIIIe; vraie espesse « révélation de Dieu » v. 1200; lat. species « aspect, apparence », fig. « nature, catégorie »
I ♦ Vx ou relig. Apparence sensible des choses.
1 ♦ Anciennt Philos. Objet immédiat de la connaissance sensible.
2 ♦ (1545) Théol. Les espèces : le corps et le sang de Jésus-Christ. Communier sous les deux espèces (pain et vin).
3 ♦ Littér. Sous les espèces de : sous la forme de. « Verlaine y figurait sous les espèces sordides d'un mendiant ou d'un chemineau » (Valéry).
II ♦ (v. 1260) Mod. et cour.
1 ♦ Classe (de personnes, de choses) définie par un ensemble particulier de caractères communs. ⇒ catégorie, genre, qualité, sorte, type. Les différentes espèces de verres. — (Plus cour. pour les choses abstraites) « Mentir pour nuire est calomnie, c'est la pire espèce de mensonge » (Rousseau).
♢ Loc. Cela n'a aucune espèce d'importance. — De la même espèce : comparable, semblable (⇒ nature, ordre) . « Le néant et l'orgueil sont de la même espèce » (Hugo). De toute espèce, variés, très différents. Des personnages, des objets de la même espèce, de toute espèce (ou de toutes espèces). ⇒ acabit, farine, nature, ordre, sorte. — Je ne discute pas avec des gens de votre espèce, comme vous. Le seul de son espèce, unique en son genre. « Ils la classeraient parmi les dévotes de l'espèce la plus commune » (F. Mauriac ).
2 ♦ Vx et péj. Personne. Une sotte espèce.
3 ♦ (XVIe) UNE ESPÈCE DE : personne ou chose qu'on ne peut définir précisément et qu'on assimile à une autre par approximation. ⇒ genre, manière, sorte. Une espèce de manteau. Ressentir une espèce de malaise. « Une espèce d'uniforme brun à boutons d'or qui tenait du livreur et de l'employé de banque » (Aragon) . — Péj. (Personnes) Renforce une injure, une qualification péjorative. Espèces d'abrutis ! « Une espèce d'idiot qui n'a jamais été reçu bachelier » (Labiche).
♢ Fam. (faute cour.) Espèce de accordé avec le nom qui suit (valeur d'adj.). « L'homme de la rue [...] dit : un espèced'imbécile » (Duhamel).
4 ♦ (1670) Dr. Situation de fait et de droit soumise à une juridiction; point spécial en litige. ⇒ affaire, cause; 1. cas. La présente espèce. Cet argument n'est pas valable en l'espèce, dans ce cas.
♢ Loc. Cas d'espèce, qui nécessite une interprétation de la loi. Cour. C'est un cas d'espèce, qui ne rentre pas dans la règle générale, qui doit être étudié spécialement (cf. Cas de figure). — En l'espèce : en ce cas particulier.
III ♦ ESPÈCES
1 ♦ (1496) Anciennt Monnaie métallique. ⇒ pièce. Espèces d'or, d'argent. Espèces sonnantes et trébuchantes, pièces ayant le poids légal.
♢ Mod. Monnaie ayant cours légal. ⇒ billet, pièce; liquidité, numéraire. « La fortune était surtout faite de terres et de maisons; les espèces rares » (Toulet) .
♢ Cour. EN ESPÈCES : en argent (opposé à en nature); par ext. en argent liquide (opposé à par chèque, etc.) . ⇒fam. cash. Régler un achat en espèces.
2 ♦ Pharm. Mélange de plantes séchées et cassées en petits morceaux servant à préparer des infusions.
IV ♦
A ♦ Didact.
1 ♦ Log. Division du genre. Ensemble des caractères d'une espèce. ⇒ spécificité. Les attributs d'une espèce. Échantillon représentatif d'une espèce. ⇒ spécimen.
2 ♦ Biol. Groupe naturel d'individus descendant les uns des autres dont les caractères génétiques, morphologiques et physiologiques, voisins ou semblables, leur permettent de se croiser. L'espèce, unité de base de la taxinomie. ⇒ taxon. Espèces animales, végétales, bactériennes. Divisions de l'espèce. ⇒ sous-espèce; race, variété. Par ext. Espèce écologique, éthologique, séparée des formes semblables par une différence d'habitat ou de comportement. Espèce naturalisée, introduite dans un nouveau milieu et capable d'y vivre. Espèce en voie de disparition. Croisement d'espèces différentes. ⇒ hybridation; interspécifique. Origine et évolution des espèces. ⇒ évolution, génétique, mutation; darwinisme; lamarckisme, transformisme. Espèces d'arbres. ⇒ essence. La nature « passe d'une espèce à une autre espèce par des nuances imperceptibles » (Buffon).
B ♦ (humaine espèce 1370) Cour. ESPÈCE HUMAINE, ou absolt L'ESPÈCE : les hommes. La sauvegarde de l'espèce humaine. La conservation, la reproduction de l'espèce. Le moi « a la vérité; il a la santé; il n'erre pas; à lui de purifier l'espèce; à lui de la condamner, ou de s'y préférer » (Suarès).
● espèce nom féminin (latin species) Ensemble d'individus animaux ou végétaux, vivants ou fossiles, à la fois semblables par leurs formes adultes et embryonnaires et par leur génotype, vivant au contact les uns des autres, s'accouplant exclusivement les uns aux autres et demeurant indéfiniment féconds entre eux. Nature propre à plusieurs êtres vivants ou à plusieurs choses qui permet de les faire entrer dans une classe, une catégorie distincte des autres : Il y a plusieurs espèces de délinquants. Les différentes espèces de couteaux. Renforce une injure adressée à quelqu'un : Tu pourrais faire attention, espèce d'idiot. En droit, point précis en litige ; cas particulier dont il s'agit. (On dit aussi cas d'espèce.) ● espèce (citations) nom féminin (latin species) Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 La société ne fait-elle pas de l'homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d'hommes différents qu'il y a de variétés en zoologie ? […] Il a donc existé, il existera de tout temps des espèces sociales comme il y a des espèces zoologiques. La Comédie humaine, Avant-propos ● espèce (difficultés) nom féminin (latin species) Genre Une espèce de = quelque chose ou quelqu'un qui ressemble à un, à une... C'est une espèce d'écrivain sans talent. Il se sert pour ce travail d'une espèce de marteau en cuivre. Recommandation Éviter l'emploi au masculin un espèce de (même s'il est fréquent dans l'expression orale relâchée). Accord Une espèce de :dans cet emploi, l'adjectif s'accorde avec le complément de espèce : une espèce de sculpteur fou. Mais quand espèce a son sens plein, « ensemble d'êtres vivants féconds entre eux », l'accord peut se faire avec espèce ou avec son complément : une espèce de mammifères particulièrement féconde ou particulièrement féconds. Orthographe 1. De toute espèce s'emploie plutôt au singulier : des gens de toute espèce. 2. Diverses espèces de commande le pluriel lorsqu'il est suivi d'un nom concret : diverses espèces d'animaux. Avec un nom abstrait, le singulier est admis : il y a diverses espèces de peur : celle causée par le danger, celle que provoquent les situations inconnues, la nuit, le bruit. 3. Cas d'espèce. Toujours au singulier : un cas d'espèce, des cas d'espèce. ● espèce (expressions) nom féminin (latin species) Une espèce de, indique une ressemblance entre une chose et une autre ; une sorte, un genre de : Sa maison est une espèce de château. De cette espèce, de son espèce, de ce, de son genre : Je me méfie des individus de son espèce. De la plus belle espèce, indique un superlatif : Un menteur de la plus belle espèce. En l'espèce, en la circonstance, en l'occurrence. Espèce humaine, les êtres humains. Espèce chimique, élément ou combinaison chimique. Grandeurs de même espèce, grandeurs ayant les mêmes équations aux dimensions (exemple : travail et quantité de chaleur). ● espèce (synonymes) nom féminin (latin species) Ensemble d'individus animaux ou végétaux, vivants ou fossiles, à la...
Synonymes :
- race
- type
- variété
Nature propre à plusieurs êtres vivants ou à plusieurs choses...
Synonymes :
- façon
- genre
- manière
- nature
- sorte
espèce
n. f.
rI./r
d1./d BIOL Ensemble des individus offrant des caractères communs qui les différencient d'individus voisins classés dans le même genre, la même famille, etc. Espèces d'oiseaux en voie de disparition. L'espèce humaine. L'ébénier est une espèce menacée.
— Il ne connaît que des gens de son espèce, comme lui.
— De même espèce, proche, comparable.
|| Une espèce de...: une personne, une chose difficile à décrire et que l'on assimile à une autre qui lui est comparable. Ce n'est pas de la prose, mais une espèce de poème libre.
— Péjor., Fam. (Précédant un terme d'injure ou marquant le mépris.) Espèce d'imbécile!
d3./d DR Cas particulier sur lequel il s'agit de statuer.
|| Cas d'espèce, qui rend nécessaire une interprétation de la loi.
— Cour. Cas spécial, à examiner à part.
|| En l'espèce: en la circonstance, dans ce cas particulier.
rII./r Plur.
d1./d PHILO Dans les philosophies scolastiques, représentations intelligibles abstraites des images reçues par les sens.
d2./d RELIG CATHOL Apparences du pain et du vin après la transsubstantiation. Les saintes espèces.
d3./d Anc. Monnaies d'or et d'argent.
|| Mod. Payer en espèces, en argent liquide (par oppos. à par chèque, etc.).
Encycl. Biol. - Pour définir l'espèce, on adopte généralement comme critère la fécondité des hybrides: des individus de la même espèce mais appartenant à des variétés différentes donnent des hybrides qui sont féconds entre eux, alors qu'un croisement entre individus d'espèces différentes donne des hybrides stériles; par ex., le mulet, hybride issu d'un âne et d'une jument, est stérile. On désigne l'espèce par deux noms (nomenclature binominale); par ex., Panthera leo, le lion, appartient au genre Panthera, à l'intérieur duquel leo désigne l'espèce par rapport à Panthera tigris, le tigre. Une espèce est caractérisée par un nombre constant de chromosomes, aux formes également constantes, qui constituent le matériel génétique de l'espèce, ou génome.
⇒ESPÈCE, subst. fém.
I.— Gén. au plur.
A.— HIST. PHILOS. (métaphys. scolast.). Image extérieure des objets affectant les sens et y produisant le phénomène de la perception.
♦ Espèces sensibles. Images perçues par les sens (espèces-images) :
• 1. ... Locke n'est pas sceptique sur l'existence des corps; malgré sa théorie des idées, il s'en faut bien qu'il soit idéaliste. Loin de là, il se rattache à la grande famille péripatéticienne et sensualiste, dans laquelle la théorie des espèces et des espèces sensibles, avait l'autorité d'un dogme et la fonction de donner et d'expliquer le monde extérieur. Des espèces sensibles, le dix-septième siècle en masse, et Locke en particulier ont fait les idées sensibles, pourvues de toutes les qualités des espèces, représentatives de leurs objets et en émanant.
COUSIN, Hist. philos., XVIIIe s., t. 2, 1829, p. 346.
♦ Espèces intelligibles, espèces-idées. Images ainsi perçues, interprétées en concepts par l'intelligence. Il est certain que les universaux, les espèces intelligibles et les essences des choses n'ont de rapport avec aucune chose actuellement existante (GILSON, Espr. philos. médiév., 1932, p. 25).
— P. métaph., lang. cour. Sous les espèces (l'espèce) de. Sous l'image, la représentation d'une personne ou d'une chose. N'est-il pas remarquable de voir le clerc, et sous la haute espèce du métaphysicien, enseigner au laïc que le réel est seul considérable et que le supra-sensible n'est digne que de ses risées? (BENDA, Trahis. clercs, 1927, p. 126).
— Loc. fig. Brouiller, confondre les espèces. Semer la confusion dans les esprits en mêlant les images et représentations qui s'y forment.
Rem. Attesté uniquement ds les dictionnaires.
B.— P. ext., THÉOL. CATH. Pain et vin consacrés au cours de la célébration eucharistique en signe de la présence du Christ offert à la communion du prêtre et des fidèles. Espèces consacrées, eucharistiques, sacramentelles, saintes; communier (communion) sous les deux espèces; les espèces du pain et du vin. La dévotion de Pécuchet s'était développée. Il aurait voulu communier sous les deux espèces, chantait des psaumes (FLAUB., Bouvard, t. 2, 1880, p. 126). Si Jésus vous était indifférent, il vous serait bien égal de consommer ou de ne pas consommer les espèces saintes (HUYSMANS, En route, t. 1, 1895, p. 247) :
• 2. Notre humanité assimilant le monde matériel, et l'hostie assimilant notre humanité, la transformation eucharistique déborde et complète la transsubstantiation du pain de l'autel. De proche en proche, elle envahit irrésistiblement l'univers. C'est le feu qui court sur la bruyère. C'est le choc qui fait vibrer le bronze. En un sens second et généralisé, mais en un sens vrai, les espèces sacramentelles sont formées par la totalité du monde, et la durée de la création est le temps requis pour sa consécration.
TEILHARD DE CH., Milieu divin, 1955, p. 154.
Rem. S'emploie plus rarement au sing. Cette pomme n'est pas plus un mythe que l'espèce eucharistique (BLOY, Journal, 1903, p. 200).
II.— Au sing. ou au plur.
A.— TAXINOMIE. Niveau de la classification des êtres vivants, placé immédiatement sous le genre et comprenant lui-même des sous-espèces et des variétés. Lorsqu'un genre est bien fait, toutes les races ou espèces qu'il comprend, se ressemblent par les caractères les plus essentiels et les plus nombreux (LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 32) :
• 3. Un genre est naturel, lorsque les espèces du genre ont tant de ressemblances entre elles, et par comparaison différent tellement des espèces qui appartiennent aux genres les plus voisins, que ce rapprochement d'une part, cet éloignement de l'autre ne peuvent avec vraisemblance être mis sur le compte du jeu fortuit de causes qui auraient fait varier irrégulièrement, d'une espèce à l'autre, les types d'organisation.
COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 249.
— HIST. NAT.
1. ZOOL. Ensemble d'êtres vivants possédant des caractères anatomiques, morphologiques et physiologiques communs, qui reproduisent entre eux des êtres semblables et également féconds :
• 4. On a appelé espèce, toute collection d'individus semblables qui furent produits par d'autres individus pareils à eux. Cette définition est exacte; car tout individu jouissant de la vie, ressemble toujours, à très-peu près, à celui ou à ceux dont il provient. Mais on ajoute à cette définition, la supposition que les individus qui composent une espèce ne varient jamais dans leur caractère spécifique, et que conséquemment l'espèce a une constance absolue dans la nature.
LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 54.
• 5. La génération étant le seul moyen de connaître les limites auxquelles les variétés peuvent s'étendre, on doit définir l'espèce, la réunion des individus descendus l'un de l'autre ou de parens communs, et de ceux qui leur ressemblent autant qu'ils se ressemblent entre eux...
CUVIER, Le Règne animal, Paris, Déterville, t. 1, 1817, p. 19.
• 6. Flourens fait remarquer avec raison que ce signe secret de la reproduction annonce l'unité d'espèce chez les animaux à travers les plus grandes dissemblances de formes, tandis que les plus grandes ressemblances de formes n'indiquent rien sur (ce) point quand la faculté de reproduction manque. C'est ainsi que le bouledogue et la levrette de manchon, quoique deux animaux d'un aspect si différent, se reproduisent, tandis que l'âne et le cheval, qui se ressemblent au point de se confondre presque à l'œil, ne peuvent faire qu'un mulet improductif.
TOCQUEVILLE, Corresp. [avec Gobineau], 1852, p. 197.
• 7. Si nous ne tenons pas compte d'animaux tels que le chat et l'abeille qui ne modifient pas profondément l'existence humaine, nous pouvons compter sur nos doigts les espèces domestiques importantes. Quand nous aurons énuméré les chiens, les vaches, les moutons, les chèvres, les cochons, les chevaux, les ânes, les chameaux et les rennes, nous en aurons presque épuisé la liste.
LOWIE, Anthropol. cult., 1936, p. 52.
SYNT. a) [Suivi ou précédé d'un adj.] Espèce animale, antédiluvienne, bovine, canine, chevaline, commune, domestique, fossile, inférieure, protégée, sauvage, supérieure, vivante, zoologique; grande, petite espèce. b) [Suivi d'un déterminant introduit par de] Espèce de mammifères, de poissons, de reptiles; espèces d'insectes, d'oiseaux. c) [Suivi d'un subst.] L'espèce méduse, l'espèce bouvreuil. d) [Précédé d'un déterminant] Classification, conservation, croisement, division, évolution, origine, propagation, reproduction de l'espèce (des espèces). e) Espèces en voie de disparition.
2. BOT. Espèce botanique, cultivée, fruitière, végétale; espèce de plantes, de végétaux, d'arbres :
• 8. Heureux d'avoir enfin appris, hier, le nom de la curieuse plante dont j'élève ici, dans sept pots grande quantité de rejetons. C'est une des trente-six espèces connues de « kalanchoé(s) », crassulacées, toutes tropicales. Elle a cette particularité de se reproduire, non seulement par graines (sans doute), mais aussi bien, ou mieux, par rejetons...
GIDE, Journal, 1942, p. 150.
♦ Espèce linnéenne. Espèce définie par Linné dans la classification des végétaux (et ensuite des animaux). Les débuts de la génétique (...) ébranlèrent (...) la notion d'espèce linnéenne (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 772).
♦ Spéc., gén. au plur. Variété(s) de plantes utilisées soit en infusions soit en décoctions et dont chaque mélange possède des vertus thérapeutiques et curatives qui lui sont propres. Espèces amères, apéritives, diurétiques, émollientes, pectorales, purgatives :
• 9. C'est l'époque de l'année où les plantes sont en plein développement, c'est le moment où on les cueille pour les tisanes; ce sont entre autres les fameuses « herbes de la Saint-Jean », composées de vingt-cinq espèces différentes, d'une valeur officinale reconnue et dont on fait, en outre, des croix que l'on cloue aux portes des étables (Île-de-France).
MENON, LECOTTE, Vill. Fr., t. 1, 1954, p. 113.
B.— Autres domaines
1. BIOL., CHIM. BACTÉRIOL. Corps, substances simples ou composées ayant des propriétés identiques. Il est fort probable qu'il y a eu évolution génétique des espèces chimiques (RUYER, Esq. philos. struct., 1930, p. 313). Tous les virus d'une espèce donnée ne sont pas de taille uniforme (P. MORAND, Confins vie, 1955, p. 47).
2. MATH. Ensemble de figures ou de formes géométriques semblables. Un genre de solides compris dans la classe des prismes, et comprenant l'espèce du cube (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 334).
3. MÉD. [Appliqué aux maladies] On classe les maladies ou espèces morbides en genre, ordre, espèce, exactement comme les espèces animales ou végétales (BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 97).
4. MINÉR. Espèces minérales cristallines. Ensemble de minéraux ayant même composition chimique et même structure cristalline. L'argonite, le marbre, la craie, qui sont autant d'espèces pour le géologue, sont pour lui identiques comme corps chimiques (BERNARD, Princ. méd. exp., 1878 p. 83).
C.— Cour., gén. au sing. L'espèce humaine ou absol. l'espèce. L'espèce humaine est âgée d'un million d'années à peu près (P. ROUSSEAU, Hist. transp., 1961, p. 7).
— Plus spéc.
1. [Envisagée relativement à la notion d'individu] Dans une famille animale, les individus sont identiques (...) dans l'espèce humaine chaque individu veut être étudié et approfondi pour lui-même (VUILLEMIN, Essai signif. mort, 1949, p. 66) :
• 10. Les Pharisiens et les Esséniens méditèrent, après Moïse et d'après lui, sur l'individualité de chaque homme considérée relativement à l'espèce; et, tandis que Moïse avait surtout enseigné l'unité de cette espèce et le lien éternel, au point de vue virtuel et divin, de l'individu, dans sa vie présente et en tant que vivant actuellement, avec cette espèce, ils ont fait pour ainsi dire aux hommes particuliers ou aux individus la répartition de la vie spécifique et collective, affirmant non seulement ce que Moïse avait affirmé, c'est-à-dire l'unité de vie entre l'individu et l'espèce, mais encore la vie éternelle de l'individu dans l'espèce.
P. LEROUX, Humanité, t. 2, 1840, p. 662.
2. [Envisagée relativement à la notion de genre ou de race dans l'humanité] Les peuples qui habitent ces terres sont en général de l'espèce des nègres (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. 115) :
• 11. ... que la fatalité soit mise directement dans une certaine organisation de la matière ou dans la volonté de Dieu qui a voulu faire plusieurs espèces humaines dans le genre humain et imposer à certains hommes l'obligation, en vertu de la race à laquelle ils appartiennent, de n'avoir pas certains sentiments, certaines pensées, certaines conduites, certaines qualités qu'ils connaissent sans pouvoir les acquérir, cela importe peu au point de vue où je me place qui est celui de la conséquence pratique des différentes doctrines philosophiques.
TOCQUEVILLE, Corresp. [avec Gobineau], 1853, p. 202.
SYNT. Conservation, devenir, dignité, origine, perpétuité, propagation, unité de l'espèce.
♦ Rare. L'espèce homme (pour l'espèce humaine). Qu'était-ce donc que ce premier homme, sinon l'homme même, l'espèce homme, l'humanité? (P. LEROUX, Humanité, t. 2, 1840 p. 505).
P. ext. [Suivi d'un subst. de qualité] Le père Malgras (...) était dans l'espèce journaliste et dans l'espèce homme un accident (GONCOURT, Ch. Demailly, 1860, p. 20). Cf. aussi l'espèce commis-voyageurs (STENDHAL, Lamiel, 1842, p. 169), l'espèce escroc (HUGO, Travaill. mer, 1866 p. 165), l'espèce princes-marchands (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p. 291).
♦ Le génie de l'espèce. L'ensemble des caractères distinctifs propres à l'espèce humaine. Avec la passion amoureuse, l'homme (...) remplit les desseins du génie de l'espèce (GAULTIER, Bovarysme, 1902, p. 194).
♦ L'espèce femelle ou absol. l'espèce. Jamais je ne conviendrai avec une dame qu'elle a raison : c'est donner à votre invincible espèce trop d'avantage sur nous (J. DE MAISTRE, Corresp., t. 1, 1793, p. 44).
3. Loc. diverses
— Gén. péj.
♦ [Avec ellipse du déterminant] (De) la pire espèce. Un militaire qui trahit, un traître en uniforme... C'est la pire espèce de toutes! (SCRIBE, Bertrand, 1833, I, 6, p. 133).
♦ De ton (son, votre, cette) espèce. Comme toi (lui, elle, vous). Nul rapport entre ceux-là et moi, je ne suis pas de leur espèce (MONTHERL., Pasiphaé, 1936, p. 118). Jl'aperçois qui discute le bout de gras avec autre zozo de son espèce (QUENEAU, Exerc. style, 1947, p. 78).
— [Qqf. avec une valeur laudative] De la grande, de nouvelle espèce. Philosophe de la grande espèce (TAINE, Philos. art, t. 1, 1865, p. 252).
— De toute espèce. De toute condition, de toute sorte :
• 12. ... je n'ai jamais senti de haine en moi contre mon prochain de toute espèce.
Moi. — Qu'entendez-vous par votre prochain de toute espèce?
Lui. — Je m'entends, monsieur : je veux dire les hommes, les choses, les bêtes, et même les arbres et les plantes, tout ce qui est notre parent de corps ou d'âme, enfin, monsieur, ici-bas, tout ce qui est proche de nous, tout ce qui habite ou tout ce qui compose ce monde où Dieu nous a mis comme j'ai mis ces animaux dans cet enclos pour vivre en paix et en amitié autour de moi.
LAMART., Tailleur pierre, 1851, p. 433.
Rem. S'emploie plus rarement au plur. pour désigner aussi bien des animés que des inanimés concr. ou abstr. Quatre rangées de voitures de toutes sortes, de toutes espèces (GONCOURT, Journal, 1870, p. 597). Des oiseaux de toutes espèces (MORAND, Londres, 1933, p. 269).
4. [Appliqué par restriction à une pers., gén. en mauvaise part]
a) Vieilli. (C'est) une sotte, une pauvre espèce. Une personne sans grand mérite, ni valeur morale. Pauvre espèce! toute l'ambition d'un vilain est d'avoir un bel attelage de bœufs et un beau fumier (MÉRIMÉE, Jacquerie, 1828, p. 261).
— Absolument
♦ Homme mal élevé, ou de basse condition. Quand les femmes s'affichent, ce n'est presque jamais pour un honnête homme, c'est pour une « espèce » (CHAMFORT, Max. et pens., 1794, p. 40) :
• 13. C'est à cette même époque [le XVIIIe s.] que paraît le terme nouveau d'espèce, par où l'on exprime le contraire des qualités qui constituent l'honnête homme. Je n'oserais pas affirmer qu'on ne pût trouver ce mot chez les écrivains du siècle précédent. Je ne me rappelle pas l'y avoir jamais vu; en revanche, je le rencontre sans cesse dans les livres de Chamfort, de Duclos, de Rivarol.
SARCEY, Mot et chose, 1862, p. 149.
♦ Femme entretenue, ou de mauvaise réputation. Un homme (...) passant sa vie à jouer, à ripailler (...) le soir assis au boulevard à côté d'une espèce (A. DAUDET, Rois en exil, 1879, p. 128).
b) Loc. (rare). En l'espèce de. En la personne de. Elle n'hésita pas (...) à demander la protection des Turcs, en l'espèce de l'Atâbeg d'Alep Zengi (GROUSSET, Croisades 1939, p. 134).
1. Sorte, catégorie, variété de.
a) [Le compl. déterm. désigne un animé] :
• 14. Deux espèces d'hommes sont aujourd'hui le fléau de la société : d'une part, ce sont ces vieux écoliers de Diderot et de d'Alembert qui se plaisent encore aux moqueries sur la Bible, aux déclamations de l'athéisme, aux insultes au clergé; de l'autre, ce sont ces esprits bornés et violents qui disent la religion en péril, parce que nous avons une charte, parce que les divers cultes chrétiens sont reconnus par l'État et surtout parce que nous jouissons de la liberté de la presse.
CHATEAUBR., Essai Révol., t. 1, 1797, p. XLVIII.
b) [Le compl. déterm. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Le bienheureux gastronome peut arroser tout cela d'au moins trente espèces de vins à choisir (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 291). Chaque espèce de gouvernement a son caractère propre (LAMENNAIS, Religion, 1825, p. 33).
2. [Avec une valeur d'approximation] Catégorie de personnes ou de choses que l'on a du mal à définir ou à classer.
a) [Le déterm. désigne un animé] Un personnage d'une soixantaine d'années qui avait une espèce de figure d'homme d'affaires et l'air d'un coquin (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 333). Une espèce de savant, un membre de je ne sais quelle académie (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 48) :
• 15. C'était une espèce de géant roux, aux cheveux plantés droit sur le crâne, aux pieds et aux mains monstrueux, et qui avait dans tout son corps cette gaucherie particulière aux êtres démesurés.
MOSELLY, Terres lorr., 1907, p. 257.
b) [Le déterm. désigne un inanimé concr.] Sur sa tête une espèce de petit bonnet de veuve, ou de béguin d'enfant ou de pensionnaire en pénitence (CHATEAUBR., Mém., t. 4, 1848, p. 427). C'est le tombeau d'un évêque dont j'ai oublié le nom, personnage gras et barbu, vautré dans une espèce de baignoire (GREEN, Journal, 1935, p. 17) :
• 16. ... après m'être aventuré sous une espèce de porte cochère dans une espèce de cour terminée vers la gauche par une espèce de corridor, j'ai débouché tout à coup sur une assez grande place parfaitement obscure et déserte.
HUGO, Rhin, 1842, p. 82.
Rem. On peut rencontrer dans la lang. pop. le tour en espèce de, raccourci pour en une espèce de. Un jeu d'dames en papier avec des pions en espèce de pain à cacheter (BARBUSSE, Feu, 1916, p. 190).
c) [Le déterm. désigne un inanimé abstr.] Une espèce de pudeur l'empêchait de raconter nûment ce qu'avait été là-bas sa vie de chaque jour (MARTIN DU G., Thib., Pénitenc., 1922, p. 791). Une espèce de rage le dévorait, noire et féroce (POURRAT, Gaspard, 1931, p. 200).
SYNT. Une espèce d'admiration, d'amour, d'angoisse, de bonheur, de colère, de culte, de curiosité, de délire, d'effroi, de fierté, de fièvre, de folie, de fureur, de honte, d'horreur, d'ivresse, de sourire, de stupeur, de terreur.
3. [Avec une valeur de renforcement, le tour espèce de remplit souvent une fonction adj.]
— Fam. ou péj.
a) [Dans des phrases affirmatives ou négatives] C'est une espèce d'andouille à qui j'ai mis un marron (COURTELINE, Client sér., 1897, 2, p. 30).
b) [Dans des phrases exclamatives, sert à renforcer une injure] Voulez-vous bien lâcher mon cheval, espèce d'enflé! (A. DAUDET, Nabab, 1877, p. 55) :
• 17. Il me raconte avec enthousiasme le courage de B. qui, dans le métro, lorsqu'il voit un curé, a soin de se mettre contre lui, puis après quelques instants, à voix très haute :
« Est-ce que vous avez bientôt fini de me tripoter comme ça? espèce de salaud! vieux cochon! ... et dire qu'on confie des enfants à des êtres pareils ... »
GIDE, Journal, 1931, p. 1071.
c) [Dans des phrases négatives, en partic. dans le tour aucune espèce d'importance] On est comte ou on n'est pas comte, ça n'a aucune espèce d'importance (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 722).
Rem. La valeur adj. que peut prendre le tour espèce de se traduit qqf. dans la lang. parlée (plus rarement dans la lang. écrite) par l'accord du mot avec son compl. Un espèce de tuberculeux (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 329). Cet espèce de Jean-Foutre (DRUON, Gdes fam., t. 1, 1948, p. 164). Cet espèce de beau garçon (ARAGON, Rom. inach., 1956, p. 242).
III.— Gén. au sing. [Avec une valeur abstr.] Nature, essence, qualité d'une personne ou d'une chose. Je ne sais de quelle espèce est l'amitié que le brave homme (...) peut avoir pour vous (MUSSET, Le Temps , 1831, p. 66).
A.— Expr. diverses, lang. cour.
♦ En espèce de (rare). En qualité de. On l'avait fait demander non pour soigner, mais pour constater, en espèce de notaire (PROUST, Guermantes, 1921, p. 342).
♦ De cette espèce. C'est la vertu récompensée et autres gentillesses de cette espèce (CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1805, p. 10).
♦ De nouvelle espèce. D'une nouvelle nature. Une foi humaine d'une espèce toute nouvelle (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 82). Des sensations d'espèce neuve (MALÈGUE, Augustin, t. 2, 1933, p. 81). Une sorte de pudeur de nouvelle espèce (VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 169).
♦ De la première, de la seconde espèce. Les péchés de la seconde espèce sont plus graves (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1906, p. 322).
B.— Emplois techn.
1. DR. Point particulier et litigieux sur lequel il s'agit de statuer. Un juriste dirait : voilà des « espèces ». Un casuiste : des « cas » (MAURRAS, Avenir intellig., 1905, p. 25). Cas d'espèce. Cas non prévu par la loi et qui doit être spécialement examiné. P. ext., lang. cour. Un système de primes à étudier dans chaque cas d'espèce (BRUNERIE, Industr. alim., 1949, p. 176) :
• 18. Le pouvoir judiciaire est, en fait, et beaucoup plus que le pouvoir gouvernemental, préposé à l'exécution des lois, puisque juger c'est, à l'occasion d'un différend, appliquer la loi à un cas d'espèce.
VEDEL, Dr. constit., 1949, p. 160.
♦ L'espèce du crime, du délit. Sa nature. Éclairés sur l'espèce des délits et des crimes à réprimer et disposant d'une échelle assez élastique de peines, les tribunaux apprécieront (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 178).
— Loc. prép. Dans, en l'espèce. Dans le cas juridique présent. Considérant qu'en l'espèce, Lagoupille (...) ne semble avoir scandalisé la moralité des clients (...) [le Tribunal] acquitte Lagoupille (COURTELINE, Client sér., 1897, p. 78). P. ext., lang. cour. En la circonstance. La Jérusalem du Diable, qui, dans l'espèce, se trouvait être le palais épiscopal de Nancy (BARRÈS, Colline insp., 1913, p. 155).
2. MATH. D'une espèce donnée. Dont la nature est connue. Courbes de la première espèce (LEBESGUE, Intégr. et rech. fonctions primit., 1904, p. 3). L'équation intégrale de deuxième espèce (Gds cour. pensée math., 1948, p. 416). Grandeurs d'une même espèce (BOURBAKI, Hist. math., 1960, p. 157). Triangle donné d'espèce. Dont la mesure des trois angles est connue (attesté ds la plupart des dict. gén.).
♦ PHYS. Mouvement perpétuel de deuxième, de troisième espèce (cf. RUYER, Cybern., 1954, p. 13 et 28).
Prononc. et Orth. :[]. Enq. : /espes/. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) XIIe s. vraie espesse « signe, révélation (de Dieu) » (Alexis, ms. S, éd. Paris et Pannier, 1298), attest. isolée; b) 1314 « apparence » (H. DE MONDEVILLE, Chirurgie, éd. A. Bos, § 210 et 215); c) 1545 spéc. théol. « présentation matérielle de l'eucharistie, apparence (le pain) sous laquelle est offert le corps du Christ » (CALVIN, Institution chrétienne, éd. J.-D. Benoît, IV, XVII, 13); av. 1656 « id. » au plur. (A. ARNAULD, Lettre citée par PASCAL, Provinciales, XVI, éd. L. Lafuma, Œuvres, p. 447); 2. a) 1269-78 « catégorie d'êtres vivants du même type » ici « genre humain » (J. DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 6939); b) 1314 plus gén. « catégorie, sorte » (H. DE MONDEVILLE, op. cit., 1826); d'où 3. 1587 espèce de « sorte de » ceste espece de magiciens (LANOUE, Discours politiques et militaires, 136 ds LITTRÉ); 1725 report de l'accord de l'article sur le nom complément un espèce de Dictionnaire (GRANDVAL, Le Vice puni ou Cartouche, p. IV). 4. 1670-81 dr. (O. PATRU, Plaidoié, 9 ds RICH.). Empr. au lat. class. species « vue, regard » d'où « apparence, aspect, type, cas particulier (terme de dr.), catégorie » et spéc. en lat. chrét. « matière d'un sacrement (en parlant du sel du baptême) ». Fréq. abs. littér. :14 891. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 29 685, b) 20 020; XXe s. : a) 13 789, b) 18 978. Bbg. DAUZAT Ling. fr. 1946, p. 9, 15, 49. — GOHIN 1903, p. 295. — LABORIAT (J.). Le Sexe des anges. Déf. Lang. fr. 1974, n° 74, p. 15. — MAT. Louis-Philippe 1951, p. 229. — RAYMONDIS (L.-M.), LE GUERN (M.). Le Lang. de la justice pénale. Paris, 1976, pp. 127-128.
espèce [ɛspɛs] n. f.
ÉTYM. XIIIe; « épice », v. 1130; vraie espesse « révélation de Dieu », v. 1200; du lat. species « aspect, apparence », fig. « nature, catégorie ».
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I Vx ou relig. Apparence sensible.
1 Hist., philos. Objet immédiat de la connaissance sensible considéré comme une réalité intermédiaire entre la connaissance et la réalité connue (Lalande). || Espèces sensibles (perçues par les sens), espèces intelligibles, espèces-idées (perçues par l'intelligence).
1 (…) Vous vous trompez, mes yeux;
Vous aviez autrefois des ressorts infaillibles
Qui portaient en mon cœur les espèces visibles.
Corneille, Clitandre, Variante.
2 La plus commune opinion est celle des péripatéticiens, qui prétendent que les objets de dehors envoient des espèces qui leur ressemblent, et que ces espèces sont portées par les sens extérieurs jusqu'au sens commun (…)
Malebranche, De la recherche de la vérité, III, II, II.
2 (1545). Théol. || Les espèces, dans le sacrement de l'eucharistie, le corps et le sang de Jésus-Christ sous les apparences du pain et du vin, après la transsubstantiation. || Les espèces du pain et du vin. || Les saintes, les célestes espèces (→ Communier, cit. 1). — ☑ Loc. cour. Communier sous les deux espèces (pain et vin). — REM. Le mot est rare au sing. (pris collectivement). || « L'espèce eucharistique » (L. Bloy, Journal, 1903, in T. L. F.).
3 Chose étrange et bien digne que la foi vienne
Au secours de nos sens et de l'esprit humain,
Que l'espèce du vin tout entier te contienne,
Que tu sois tout entier sous l'espèce du pain.
Corneille, l'Imitation de J.-C., IV, 369.
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II
1 Nature propre, commune (à plusieurs personnes ou choses), qui permet de les considérer comme appartenant à un groupement distinct, une catégorie. ⇒ Genre, qualité, sorte. || Les différentes espèces de verres, d'assiettes d'un service de table. || Quelle espèce de papier utilisez-vous ? — Les diverses espèces de délits. || Les différentes espèces de péché (→ Démon, cit. 13). || La calomnie (cit. 2) est la pire espèce de mensonge. || C'est une espèce d'homme méprisable. ⇒ Engeance. || Je ne lui ai fait aucune espèce de reproche (Académie). ☑ Loc. Cela n'a aucune espèce d'importance. — De… espèce. || De cette espèce, de la même, d'une autre espèce. ⇒ Nature, ordre. — De toute espèce, variés, très différents. || Des personnages de toute espèce. ⇒ Acabit, calibre, condition, état, farine, poil (de tout poil). → Catéchiser, cit. 2. — Des lectures, des distractions de toute espèce (→ Aiguillonner, cit. 5). — Il est de mon espèce. ⇒ Congénère. || Il était avec un voyou de son espèce. ⇒ Comme (comme lui). || Ce bibelot est le seul de son espèce (→ Unique en son genre). || Je ne veux pas discuter avec un homme de votre espèce, tel que vous.
4 Que vous êtes heureuse d'avoir ces nouveaux venus ! Qu'ils sont bons chacun en leur espèce !
Mme de Sévigné, 643, 26 août 1677.
5 Le néant et l'orgueil sont de la même espèce.
Hugo, la Légende des siècles, XIII, « L'épopée du ver ».
6 Je te cherche querelle, manant ! Querelle… à un homme de ton espèce !
A. de Musset, Barberine, I, 2.
7 (…) ils la classeraient parmi les dévotes de l'espèce la plus commune.
F. Mauriac, la Pharisienne, p. 173.
2 Péj. et vieilli. Groupe, ensemble (de personnes, d'êtres vivants).
8 Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ?
La Fontaine, Fables, VII, 1.
9 À moi les proposer ! Hélas ! Ils font pitié.
Voyez un peu la belle espèce !
La Fontaine, Fables, VII, 5.
♦ Vx. (Une, des espèces). Personne. || Une sotte espèce. Iron. || Une belle espèce. || Une pauvre espèce, une espèce : personne sans mérite, pour laquelle on n'a aucune estime.
10 Comme si ce n'était pas trop honorer de pareilles espèces que de faire attention à leurs procédés (…)
Rousseau, les Confessions, XII.
11 Il faudrait, en particulier, s'attarder sur espèce, ce mot méprisant dans sa généralité, hautement caractéristique de l'époque (XVIIIe s.), et qu'on trouve déjà dans Hamilton : il y a long-tems (longtemps) que nous le connaissons pour la plus pauvre espèce d'Angleterre.
F. Brunot, Hist. de la langue franç., p. 1094.
♦ Vx. Femme méprisable.
3 (1587). || Une espèce de : personne ou chose qu'on ne peut définir précisément et qu'on assimile à une autre par approximation. ⇒ Façon (I., 6.), manière (I., 4.), sorte (2.). || Une espèce de lit en branchages; une espèce de gilet boutonné par derrière. || Une espèce de tumeur, d'excroissance. || Les Normands naviguaient sur des espèces de radeaux (→ Dévaster, cit. 1). || Une espèce de calèche, de cabriolet… (→ 1. Berlingot, cit.; capote, cit. 2). || Une espèce de joie amère (cit. 10), d'appréhension. || Une espèce de pudeur, une espèce de folie. || Elle éprouve à son égard une espèce de répulsion (→ Aversion, cit. 11). || L'Académie (cit. 1) française est une espèce de tribunal. || C'est une espèce de prophète. || Une espèce d'agent secret, de délégué. — Spécialt. Péj. En parlant de qqn qui n'a pas toutes les qualités requises par son état. || Une espèce de poète; une espèce d'avocat. — Péj. (Personnes). Renforçant une injure, une qualification péjorative (→ ci-dessous cit. 14, 15). || Espèce d'imbécile ! ⇒ Bigre (de), bougre (de); maudit, sacré. || Regardez-moi cette espèce d'abruti !
12 (…) une espèce de comédie en musique et ballet (…)
Molière, le Grand Divertissement royal, I.
13 (…) une vieille paysanne, espèce de Caliban femelle (…)
Balzac, la Peau de chagrin, Pl., t. IX, p. 22.
14 Le parrain de Maurice (…) une espèce d'idiot qui n'a jamais pu être reçu bachelier.
E. Labiche, le Point de mire, I, 10.
15 Ah, ah ! Vous n'en savez rien, espèces de mufles (…)
Léon Bloy, la Femme pauvre, II, XV, p. 248 (→ Cornichon, cit. 2).
16 (…) des hommes d'âge avec des moustaches, les uns en habit, les autres avec une espèce d'uniforme brun à boutons d'or qui tenait du livreur et de l'employé de banque.
Aragon, les Beaux Quartiers, p. 396.
17 (…) faute d'un nom exact, on donne un nom en marquant qu'il ne convient pas tout à fait : une espèce de vaurien, une sorte de géant, l'homme, une espèce de Maure, saisit un pistolet qu'il étreignait encore (…)
Brunot, la Pensée et la Langue, p. 81.
17.1 Ils me sentent patriote, ou plutôt l'homme qui sans cesse fait penser à une espèce d'orgueil qui les mettra dedans.
Drieu la Rochelle, la Comédie de Charleroi, p. 199.
♦ Fam. et cour. (emploi fautif). || Espèce de accordé avec le nom qui suit (en valeur d'adj.). || Un espèce de chapeau, un espèce de fou (au lieu de une espèce de chapeau, une espèce de fou).
18 Il est toujours certain que c'est un espèce de vagabond.
19 L'homme de la rue fait, de ces locutions, un usage non seulement intempérant mais encore vicieux. Il dit : « un espèce d'imbécile ».
G. Duhamel, la Défense des lettres, II, XIV, p. 216.
4 ☑ Loc. En l'espèce de… : en la personne de…
5 Math. || Grandeurs de la même espèce : grandeurs de même nature ne différant que par la quantité. || Triangle donné d'espèce, par la mesure de ses trois angles.
6 (1670). Dr. Situation de fait et de droit soumise à une juridiction, et qui a fait ou doit faire de sa part l'objet d'une décision (Capitant); point spécial en litige. ⇒ Affaire, cause; cas. || La présente espèce. || Une espèce analogue. || Cet argument n'est pas valable en l'espèce.
♦ ☑ Loc. Cas d'espèce, qui nécessite une interprétation de la loi. — Cour. || C'est un cas d'espèce, qui ne rentre pas dans la règle générale, qui doit être étudié spécialement.
20 La question de savoir dans quels cas l'identité de cause existe varie suivant les espèces; à cet égard, il paraît impossible de tracer des règles générales. Dans les espèces suivantes, la jurisprudence a reconnu qu'il n'y avait pas identité de cause entre les demandes et par suite l'autorité de la chose jugée n'a pas été admise (…)
Dalloz, Nouveau répertoire, art. Chose jugée, no 99.
♦ ☑ Loc. En l'espèce : dans ce cas particulier.
7 Méd. || Espèces morbides : maladies.
B Espèces (1496, au sing.; 1570, au plur.).
1 Anciennt. Monnaie métallique (opposé aux billets). ⇒ Pièce. || Espèces d'or, espèces d'argent. ☑ Loc. Payer en espèces sonnantes et trébuchantes, avec des pièces ayant le poids légal. — Au sing. (vx). || L'espèce est rare. ⇒ Monnaie.
21 Il ne manque qu'une petite circonstance à notre satisfaction : c'est de recevoir de l'argent. C'est ce qu'on ne voit point ici; l'espèce manque, c'est la vérité.
Mme de Sévigné, Lettres, 455, 9 oct. 1675.
22 — En quelles espèces était cette somme ?
— En bons louis d'or…
Molière, l'Avare, V, 1.
23 (…) toute l'espèce vieille sortira donc de l'État qui fait la refonte, et le profit en sera pour les banquiers.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXII, 10.
♦ Mod. Monnaie ayant cours légal (opposé à chèque, en nature). || Le capital et les espèces d'une comptabilité. || Quantité d'espèces monnayées en circulation. ⇒ Numéraire. || Préférer les espèces.
24 À Ribamourt, la fortune était surtout faite de terres et de maisons; les espèces, rares (…)
P.-J. Toulet, la Jeune Fille verte, p. 173.
♦ Cour. || En espèces : en argent(opposé à en nature, par chèque). ⇒ Argent (II., 2.). || Paiement en espèces. → Payer, cit. 3. || Recevoir la somme de mille francs en espèces. || Somme payable en espèces. || Conversion des valeurs en espèces (→ Argent liquide).
2 Pharm. Mélange de plantes séchées et cassées en petits morceaux servant à préparer des infusions ou des décoctions médicinales. || Espèces apéritives ou diurétiques, espèces astringentes, émollientes.
———
III
A Didact., sc.
1 Log. Division du genre. || Ensemble des caractères d'une espèce. ⇒ Spécificité. || Les attributs d'une espèce. || Terme désignant une espèce. ⇒ Appellatif. || Échantillon de l'espèce. ⇒ Spécimen, et aussi spécial, spécifier, spécifique.
25 Noble et roturier sont des espèces par rapport à homme; et homme qui est genre par rapport à noble et roturier est une espèce par rapport à animal (…)
25.1 (…) ce qu'il faut recenser, ce sont les noms du vêtement (ensembles, pièces, empiècements, détails et accessoires), autrement dit encore : ses espèces. L'espèce (blouse, jumper, caraco, bonnet, toque, capeline, collier, escarpins, jupe, etc.) forme l'unité terminologique nécessaire et suffisante pour constituer un support ou un objet. On pourrait dire d'une autre manière que l'espèce appartient au plan de dénotation du langage; ce n'est donc pas à son niveau que l'on risque de trouver des élaborations rhétoriques, même si sa désignation est souvent d'origine métaphorique (col-Danton, châle-chaufferette, vert-mousse, etc.).
R. Barthes, Systèmes de la mode, p. 96.
♦ (Dans des sciences particulières). Minér. || L'espèce minéralogique est définie par la composition chimique, la forme cristalline et les propriétés physiques.
2 (XVIIIe). Sc. nat. Ensemble de tous les individus semblables ayant en commun des caractères qui les distinguent au sein d'un même genre et qui sont capables d'engendrer des individus féconds. || L'individu et l'espèce. ⇒ Génétique. || Division de l'espèce. ⇒ Race, variété, type. || Classification des espèces. || De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle, œuvre de Darwin. ⇒ Évolution, sélection; évolutionnisme, transformisme. || Variation des espèces par mutation. || Dégénérescence d'une espèce. || Croisement d'espèces différentes (⇒ Hybridation, hybride). — Espèces végétales. || Espèce commune (cit. 22) d'une plante. || Espèce rare. || Une bonne espèce de fruits. || Espèce d'arbres. ⇒ Essence. — Espèces animales (→ Anatomie, cit. 2). || Croisement de deux races d'une même espèce. ⇒ Métis. || Espèces d'oiseaux, de poissons, de mammifères. || Espèces d'animaux domestiques (cit. 5). || Les espèces ovine, bovine, porcine, caprine, chevaline, canine. || On compte plus de 800 000 espèces animales et près de 250 000 espèces végétales (d'après Pratt, cité par J. Rostand).
26 (…) pour faire un système, un arrangement, en un mot une méthode générale, il faut que tout y soit compris; il faut diviser ce tout en différentes classes, partager ces classes en genres, sous-diviser ces genres en espèces, et tout cela suivant un ordre dans lequel il entre nécessairement de l'arbitraire. Mais la nature marche par des gradations inconnues et par conséquent elle ne peut pas se prêter totalement à ces divisions, puisqu'elle passe d'une espèce à une autre espèce par des nuances imperceptibles (…)
Buffon, Hist. nat. des animaux, Œ., t. I, 1, p. 6.
27 La vie (…) est dominée par des actions dissymétriques. Je pressens même que toutes les espèces vivantes sont primordialement, dans leur structure, dans leurs formes extérieures des fonctions de la dissymétrie cosmique.
27.1 (…) le naturaliste distribue les êtres vivants en des groupes hiérarchiquement combinés de telle sorte que chacun d'eux représente une collection de groupes moins élevés. Ainsi, la classe des Mammifères contient plusieurs ordres; un de ces ordres contient plusieurs familles; une de ces familles, plusieurs genres; un de ces genres, plusieurs espèces. On est convenu de compter à une même espèce tous les êtres qui, d'une part, se ressemblent étroitement par la structure et par la physiologie, et qui, d'autre part, constituent un ensemble autonome, c'est-à-dire non relié par des types intermédiaires aux ensembles voisins. On admet, en outre, que les individus appartenant à une même espèce peuvent s'unir entre eux pour donner des produits indéfiniment fertiles (interfécondité), alors que le croisement de deux espèces différentes, lorsqu'il n'est pas impossible, aboutit à la formation d'hybrides inféconds (interstérilité). Mais ces deux critères, similitude morphologique et convenance reproductrice, laissent subsister fréquemment une marge d'indétermination.
Jean Rostand, Idées nouvelles de la génétique, p. 84.
28 Par moi les espèces se perpétuent, j'ai ordonné qu'un homme engendre toujours un homme et que le petit chien soit un chien (…)
Sartre, les Mouches, III, II.
29 (…) je songe aux incertitudes de la biologie, dont les mots étaient faits pour désigner des espèces tranchées et qui découvre soudain la continuité des formes vivantes.
Sartre, Situations I, p. 203.
30 La notion d'espèce est à la base de toutes les données de la génétique. Zoologistes et botanistes s'accordent pratiquement à distinguer les espèces animales et végétales et à les classer dans des groupes hiérarchisés : genres, ordres, classes, embranchements. Les limites entre espèces voisines sont souvent difficiles à tracer. Dans chacune, les individus diffèrent par la variation des divers caractères et ainsi se délimitent les subdivisions de l'espèce (variétés, races, etc.). À côté de la similitude générale, il y a un second critérium, celui de la fécondité illimitée du croisement entre les individus. Il peut lui aussi être en défaut; il y a, en effet, dans un certain nombre de cas, des croisements parfaitement féconds entre des individus que tous les systématiciens s'accordent à ranger dans des espèces distinctes.
Maurice Caullery, Génétique et Hérédité, I, I, p. 8.
B (1269; humaine espèce, 1370). || Espèce humaine : les hommes; l'humanité. || Le célibat peut être considéré comme nuisible à l'espèce humaine (→ Célibat, cit. 4). — Absolt. || L'espèce : les hommes. ⇒ Homme (→ Caractère, cit. 13). || La conservation, la propagation de l'espèce. || Le génie de l'espèce.
31 La nature a fait présent à l'homme de deux puissants organes; de la digestion et de la génération. Par l'un elle a assuré la vie à l'individu, par l'autre l'immortalité à l'espèce (…)
Rivarol, Notes, pensées et maximes, II, p. 19.
32 Le moi est l'universelle pierre de touche; il a la vérité; il a la santé (…) il n'erre pas; à lui de purifier l'espèce; à lui de la condamner, ou de s'y préférer. Le moi reste la seule puissance et le seul juge. Il n'a qu'à vouloir.
André Suarès, Trois hommes, « Ibsen », V, p. 132.
33 Certes, la notion d'espèce est une notion assez mal définie, souvent difficile à démêler de celle de race; et le fait que tous les types humains peuvent se croiser avec fruit ne suffit point à démontrer rigoureusement l'unité de notre espèce.
J. Rostand, l'Homme, I, p. 10.
34 (…) si la propagation de l'espèce n'exigeait l'accouplement des amants, toute notre musique et toute notre poésie n'existeraient pas.
A. Maurois, Terre promise, p. 215.
35 La pollution de l'air et de l'eau, la multiplication des névroses et des délinquances nous avertissent que l'espèce court à sa perte, si elle ne se connaît plus comme un morceau de la nature.
Emmanuel Berl, le Virage, p. 162.
♦ Vx et péj. || L'espèce femelle : les femmes.
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COMP. Sous-espèce.
Encyclopédie Universelle. 2012.