DEVENIR
Tout devient. Il n’est guère de notion plus ample et plus essentielle que celle du devenir. L’homme moderne est fasciné par le spectacle de la diversité et du changement dans la nature, dans la pensée, dans la vie humaine: «Partout la cohue la plus bigarrée; quand une chose disparaît, une autre prend aussitôt sa place» (Hegel). L’accélération de l’histoire rend plus sensible cette fluidité du réel, au détriment de ses aspects relativement stables.
Chacun constate le devenir. Mais qui dira ce qu’il est? Les efforts pour le comprendre rencontrent des difficultés remarquables. Souvent, faute de pouvoir le définir adéquatement, on ne le désigne que partiellement, en renvoyant à l’une de ses modalités concrètes: mouvement, altération, évolution...
Cet embarras incite parfois des philosophes à nier l’existence effective du devenir, ainsi que des objets qu’il affecte, et à ne les tenir que pour de simples apparences, la réalité se trouvant tout entière détenue par l’être dispensé du devenir, l’être permanent. Mais ne faut-il pas alors exiler celui-ci dans un au-delà inaccessible, loin du monde concret où tout naît et périt?
Même si on le réduisait indûment à n’être qu’une apparence, le devenir susciterait encore l’interrogation. La variété de ses formes invite à mettre en question l’unité de son principe, à rechercher les conditions de sa possibilité et de son intelligibilité. On indiquera ici quelques-unes des directions dans lesquelles peut s’engager la recherche.
1. La diversité du devenir
Le concept d’un devenir unique et continu est-il justifiable? En fait, dans les champs d’observation et de réflexion qui s’offrent à l’homme, se détachent de multiples objets dispersés, qualitativement différents, et qui se distinguent précisément par leurs changements spécifiques.
La spécificité des changements
Chaque être a sa manière propre de naître, de se développer et de périr. Les modalités du changement paraissent donc très discordantes. Les changements de type mécanique, chimique, biologique ou historique ne peuvent ni se confondre entre eux, ni se réduire les uns aux autres. Ainsi, la naissance d’un enfant ne consiste pas simplement en un changement de place!
Chaque type de changement se différencie à son tour en de nombreuses variétés: un déplacement n’est pas un renversement, un déménagement n’est pas une bousculade...
Les changements, continuels, n’excluent pas une stabilité relative. Une civilisation ne meurt que parce qu’elle a d’abord duré. La permanence d’objets définissables peut être comprise comme un changement plus lent que celui de ses témoins, ou comme l’équilibre momentané de changements opposés les uns aux autres.
L’activité humaine parvient à fixer provisoirement des systèmes artificiels, clos et protégés (machines, montages expérimentaux, etc.). Ils consistent en une connexion de changements ou d’équilibres internes. À la longue, le devenir universel les dissout ou les emporte.
Certains philosophes saisissent le devenir comme un absolu inanalysable. Bergson, par exemple, l’assimile à la durée pure: qualitatif, il resterait étranger à toute mesure et rebelle à tout usage.
Mais Bergson lui-même, quand il en traite, évite-t-il de le fractionner en mouvements parcellaires et d’y découper des objets déterminés (le mouvement d’une main )? Pour laisser intact un devenir absolument continu, il faudrait s’abstenir d’en rien dire et d’y rien faire.
Notre époque ne se contente ni de la seule contemplation ni d’une activité restreinte au domaine des choses géométriquement stables. Elle prétend agir sur les changements eux-mêmes: hâter les maturations, infléchir les évolutions (en particulier l’évolution humaine). Elle ne consent pas à attendre patiemment, comme le conseillait Bergson, que le morceau de sucre se soit de lui-même dissous. Elle brusque les fusions.
Or, pour que les changements soient contrôlables et orientables, il est nécessaire qu’ils se distinguent les uns des autres, que chacun ait sa structure, son rythme, sa qualité. Mais la détermination ne va pas sans négation, sans exclusion et sans rupture. La pensée n’implique-t-elle pas elle-même une rupture avec les autres changements objectifs?
Les changements et le devenir
Les changements se différencient par la scansion qui leur est propre, par le rapport original de l’espace et du temps qu’ils nouent, par leur composition avec d’autres mouvements. On apprécie le rythme de chacun d’entre eux par rapport à celui des autres, et on le juge de manière critique, en rectifiant sans cesse les termes de référence: une rose pourvue de conscience, disait Fontenelle, imaginerait facilement, dans sa vie d’un jour, que le jardinier est éternel.
La variation infinie des rythmes du changement procure une impression kaléidoscopique, capable de faire douter du lien des divers changements entre eux, avec ceux qui leur sont simultanés et avec ceux qui leur succèdent. Autour de chaque changement typique se dessinent des processus qui paraissent radicalement indépendants. Quelle parenté établir, à première inspection, entre le changement de lieu et le changement d’idée, entre le fonctionnement biologique et l’histoire humaine?
Chaque type de changement semble d’abord ne pouvoir se transformer et passer dans un autre. L’altérité irréductible (Fremdheit ) régnerait, les changements ne s’engendreraient pas les uns les autres, ne deviendraient pas eux-mêmes ce qui leur est d’abord étranger, ne s’aliéneraient pas (Entfremdung ).
S’il en était vraiment ainsi, ne devrait-on pas renoncer à un usage rigoureux du mot devenir? Il faudrait se contenter de la saisie des différences, dépourvues de toute connexion et réunies seulement par commodité sous l’unité fragile du signe qui les désigne: le mot changement .
L’acceptation, en dernière instance, de ce chaos tumultueux, de cette «cohue bigarrée» conduirait à un mobilisme dont Cratyle fut le représentant théorique dans l’Antiquité, et qui interdit l’établissement de toute loi, la détermination de tout progrès, la possibilité de toute intellection, l’enchaînement de tout récit vivant. Le disparate n’a pas d’histoire.
2. L’unité du devenir
Il est bien difficile, tant du point de vue théorique que du point de vue pratique, de se satisfaire de ce disparate, comme il est d’autre part impossible d’admettre un devenir indifférencié. Justement, le devenir ne réunit-il pas l’unité et la dispersion, l’identité et la différence?
Le changement du changement
Quelles sont les conditions d’une telle unification? Signalons-en quelques-unes, rangées selon l’exigence d’une fondation de plus en plus stricte du devenir.
Plusieurs auteurs présentent celui-ci comme «la série des changements» (Lalande). Dans cette définition, le devenir se trouve réduit au minimum. Du moins l’idée de série suppose-t-elle l’analogie des termes associés, même si le principe d’organisation leur reste extérieur.
Mais il y a mieux que des séries: des enchaînements de changements. Ceux que la technique humaine produit intentionnellement, mais aussi ceux que l’observation active et l’expérimentation découvrent. La maturation du fruit succède régulièrement à l’épanouissement de la fleur. Ainsi se tissent des séquences de devenir, constituées par la connexion de moments différents.
L’analyse révèle en outre la présence, enveloppée et intégrée, de certaines formes du changement dans d’autres. La maturation du fruit, altération biologique, est spécifique: elle ne s’accomplirait pas sans que s’effectuent des transformations chimiques qui, à leur tour, impliquent des déplacements. Le mouvement intervient d’ailleurs dans tous les changements, sans qu’ils puissent se réduire intégralement à lui.
Néanmoins, un véritable devenir, qui est autre chose et plus que la somme des changements, répond à de plus hautes exigences. Son unité réclame que chaque type de changement ne reste pas éternellement identique à lui-même, que son apparition ne soit pas un commencement absolu, ni sa disparition un anéantissement. Il faut que le changement s’altère. Le devenir, c’est ce changement du changement, la connexion profonde entre tous les changements. Exemples: les transformations de l’énergie illustrent le passage à des niveaux divers de changement; la mort d’un animal est transfert du niveau biologique au niveau simplement chimique du devenir.
Quantité et qualité
Hegel a minutieusement analysé ce changement du changement: c’est un renversement, le saut d’un changement à un autre, qualitativement distinct. Il se produit lorsqu’un certain degré de modification quantitative du premier changement est atteint. L’accroissement de la quantité entraîne donc la mutation de la qualité. Inversement, toute modification quantitative s’opère par adjonction répétée d’unités, de singularités qualitatives. Hegel a donné de ce jeu du changement qualitatif et du changement quantitatif de nombreux exemples. Ainsi, l’abaissement progressif de la température de l’eau provoque, au degré zéro, la mutation du liquide en solide; au degré cent, la mutation du liquide en vapeur.
Techniquement, c’est en opérant sur la quantité d’un changement que l’on obtient la transformation prévue de sa qualité. Mais le changement quantitatif des qualités, en même temps qu’il rend compte des ruptures, assure l’unité et la continuité du devenir. Une continuité absolue, ou une discontinuité absolue des changements, nous priverait de toute possibilité de les connaître et empêcherait toute action sur eux. Le devenir se présente comme la continuité d’une discontinuité dans le temps et l’espace, comme l’unité d’une diversité. Il est le lien des ruptures, d’abord caché, mais fondamental: «le lien du lien et du non-lien».
Hegel a voulu être le théoricien de ce devenir à la fois continu et différencié. Il a tenté de le conceptualiser et de livrer ainsi la condition logiquement nécessaire de tous les changements concrets, en particulier de l’histoire vivante. Ses héritiers marxistes voient en cela son principal mérite: «Dans le système de Hegel, pour la première fois, le monde entier de la nature, de l’histoire et de l’esprit était représenté comme un processus, c’est-à-dire comme étant engagé dans un mouvement, un changement, une transformation et une évolution constants, et l’on tentait de démontrer l’enchaînement interne de ce mouvement et de cette évolution» (Engels).
On pressent aisément l’ampleur des problèmes philosophiques soulevés par une telle conception: elle requiert un statut positif de la contradiction interne, l’effectivité de l’aliénation, la position d’un monde unitaire.
Hegel conceptualisait si intrépidement le devenir qu’il allait jusqu’à le tenir pour purement logique, indépendant des conditions spatio-temporelles: une sorte de «devenir intemporel» posé idéalistement comme condition et comme source des changements concrets. Mais son discours sur le devenir restait rarement fidèle à cette position de principe.
3. Devenir et dialectique
La pensée du devenir est passée, au cours de l’histoire, par des avatars contradictoires, et elle compose un processus, un moment du devenir universel. Même, cet enchaînement d’attitudes changeantes à l’égard du devenir fournit un modèle du devenir en général, parce qu’il intègre ses moments opposés à une totalité dynamique. Le devenir de la pensée enseigne à penser tout devenir: dialectiquement.
La dévaluation philosophique du devenir
En général, la philosophie classique s’est défiée du devenir; elle a tenté de le prohiber ou de le dénaturer. Le plus souvent, il n’a pénétré dans les systèmes que contre l’intention de leurs auteurs, comme en fraude.
Certes, au départ de la philosophie occidentale, Héraclite s’est fait le philosophe du devenir: «Tout coule, proclamait-il, l’homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve!» La notion du devenir connaîtra beaucoup plus tard, au XIXe siècle, une élaboration abstraite très minutieuse, et, par comparaison, la pensée d’Héraclite peut paraître naïve. Cependant, Héraclite discernait dans le changement la contradictorialité interne qui en est la condition et le moteur; il reconnaissait le néant comme abstraction valable. Aussi Hegel ne craint-il pas d’affirmer: «Il n’y a pas une proposition d’Héraclite que je n’aie reprise dans ma logique.»
Entre-temps, et malgré quelques concessions inévitables, c’est surtout contre cette pensée héraclitéenne du devenir que la métaphysique s’est édifiée.
Au nom d’une logique que Hegel qualifie de «logique de l’entendement», une logique du bon sens qui établit un accord facile entre les idées fixées, d’une part, et entre ces idées et les objets déterminés et mis en œuvre par une technique encore rudimentaire, d’autre part, les Éléates nièrent, non pas le devenir, trop évident, mais sa valeur et son intelligibilité: ils l’abaissèrent au rang de simple apparence et voulurent préserver toute essence de sa contamination. Les Éléates admettaient que le devenir implique à la fois l’être et le néant, mais ils déniaient au néant toute possibilité d’être et parvenaient ainsi à justifier, du moins formellement, leur refus du devenir: «L’être est; le non-être n’est pas», prétendait Parménide.
En conséquence, les Éléates posaient, au-delà du devenir sensible, et donc du monde concret, l’Être qui se garde pur de tout néant, l’Être absolument stable, immobile et éternel. L’un d’entre eux, Zénon, mit en évidence les antinomies auxquelles on aboutit lorsque l’on tente de penser le mouvement selon les exigences de la logique non dialectique. Sans le vouloir, il révélait ce qui sera le principe de toute logique dialectique: la reconnaissance de la contradiction incluse dans tout changement, dans toute réalité, dans toute pensée.
Paradoxalement, comme l’a remarqué Hegel et comme l’avait senti Platon, Zénon, en chassant le devenir de l’essence pensée, effectuait une opération intellectuelle, et accueillait donc subrepticement le devenir dans la pensée elle-même, avec ses contradictions immanentes.
On peut s’interroger sur les causes de la contestation du devenir par de nombreux philosophes classiques, à la suite des Éléates. Résulte-t-elle d’exigences logiques autonomes, ou bien n’est-ce pas le besoin d’exclure le devenir qui se pourvoit d’une logique docile? Ce besoin n’aurait-il pas lui-même des racines idéologiques? La négation du devenir est un encouragement et une justification pour les attitudes socialement et scientifiquement conservatrices.
Cette négation comporte d’ailleurs une part de vérité, et elle a fait preuve d’une grande fécondité. En prélevant partialement un aspect du réel, elle en favorise l’étude minutieuse, bien qu’abstraite. Elle permet l’exploration des moments logiques du devenir, aussi utile pour l’étude de ce dernier que la dissection du cadavre l’est pour la connaissance de la vie.
Des théories moins conservatrices s’efforcent de replonger les moments, distingués ainsi abstraitement, dans le flux du devenir. Elles rétablissent les connexions sans effacer les distinctions et montrent ainsi la réalité complexe, la nécessité, l’unité différenciée et l’intelligibilité du devenir.
La logique du devenir
Avec Hegel, on assiste à une réhabilitation intégrale du devenir, et même dans ses modes les plus évanescents: «Les montagnes impérissables ne sont pas supérieures à la rose vite effeuillée dans sa vie qui s’exhale.» C’est le changement historique, particulièrement fiévreux à son époque, qui inspire Hegel, en imposant à son attention une sorte de grossissement et de prototype de tous les autres changements.
Pour comprendre, autant que possible, le devenir, Hegel mit au point la dialectique dont certains de ses prédécesseurs avaient élaboré des rudiments.
Cette méthode s’efforce de saisir intellectuellement la vie et le devenir. Y parvient-elle? Certains en doutent. Du moins Hegel pensait-il que la tâche de la dialectique est de dissoudre les concepts figés par l’entendement, de résoudre les oppositions, de surmonter les ruptures. Dans sa forme la plus abstraite, la connaissance ultime se résume en l’intellection du devenir et de ses moments constitutifs: «Savoir qu’il y a la contradiction dans l’unité et l’unité dans la contradiction, c’est cela le savoir absolu; la science consiste à connaître cette unité dans son entier développement.»
Pourtant, ce devenir unificateur, s’il est compris dans sa nature et ses moments, pose à son tour d’embarrassantes questions. Est-il sans fin? La totalité du devenir reste-t-elle en tant que totalité, immuable, en repos? Hegel constatait que «le vrai est le délire bachique dont il n’y a aucun membre qui ne soit ivre; et puisque ce délire résout en lui immédiatement chaque moment qui tend à se séparer de tout, ce délire est aussi bien le repos translucide et simple».
La boucle bouclée, le devenir n’a plus qu’à recommencer son entier développement. La conception hégélienne de la circularité suggère ce retour éternel, et Engels lui-même, sans chagrin apparent, a imaginé «la succession des mondes éternellement répétée dans le temps infini». Lénine, toujours sensible à la spontanéité créatrice et à la nouveauté de la vie, ne se complaît pas moins à l’image héraclitéenne d’un devenir répétitif: «Le monde, unité du tout [...], a été, est et sera un feu éternellement vivant qui s’allume et s’éteint selon des lois.»
1. devenir [ dəv(ə)nir ] v. intr. <conjug. : 22>
• 1080; lat. devenire « arriver », bas lat. « devenir »
♦ Verbe d'état s'employant avec un attribut
1 ♦ Passer d'un état à (un autre), commencer à être (ce qu'on n'était pas). ⇒ changer, évoluer, se transformer. Devenir vieux (vieillir), grand (grandir), plus petit (rapetisser), riche (s'enrichir)... Il est devenu riche et célèbre. Il devient fou. « Elle le croyait malade et craignait qu'il le devînt davantage » (France). Devenir général, ministre. Elle est devenue sa femme. — L'entreprise devient prospère. La situation devenait difficile. La citrouille devint un carrosse. Devenir une source de désagrément.
2 ♦ Être dans un état, avoir un sort, un résultat particulier (dans les phrases interrogatives ou dubitatives). Qu'allons-nous devenir ? J'ignore ce que tout ceci deviendra. ⇒ donner, 1. être. Que deviendra sa fortune après sa mort ? Que sont devenues vos belles résolutions ? — Que voulez-vous devenir ? quelle carrière voulez-vous suivre ? « Que deviendrais-je sans le rire ? Il me purge de mes dégoûts. Il m'aère » (Cocteau). ⇒ 1. faire. Qu'est devenue cette personne ? où est-elle ? que fait-elle ? Qu'étiez-vous donc devenu ? Nous vous cherchions depuis une heure. « il y a bien longtemps que je l'ai perdu de vue. Qu'est-il devenu, au fait ? » (Sarraute). Qu'est devenu mon chapeau ? où est-il passé ?
♢ Fam. Que devenez-vous ? Qu'est-ce que tu deviens ? se dit pour demander des nouvelles d'une personne qu'on n'a pas vue depuis quelque temps (cf. Comment ça va ?).
3 ♦ Absolt, philos. Changer, évoluer. « Nous sommes parce que nous devenons » (Daniel-Rops).
⊗ CONTR. Rester.
devenir 2. devenir [ dəv(ə)nir ] n. m.
• 1839; de 1. devenir
♦ Littér. Passage d'un état à un autre; suite des changements. ⇒ changement. La conscience est en perpétuel devenir. ⇒ évolution, mouvement. Philosophie du devenir. ⇒ dynamisme. Le devenir du monde. ⇒ 1. avenir, futur.
⊗ CONTR. Immobilité, stabilité.
● devenir verbe intransitif (latin devenire, arriver à) Passer d'un état à un autre : D'ouvrier spécialisé, il est devenu contremaître. Le rêve est devenu réalité. Avoir telle ou telle issue, tel ou tel résultat : Que sont devenus mes amis d'enfance ? ● devenir (citations) verbe intransitif (latin devenire, arriver à) Charles Du Bos Paris 1882-La Celle-Saint-Cloud 1939 Il s'agit à tout moment de sacrifier ce que nous sommes à ce que nous pouvons devenir. Approximations Le Rouge et le Noir André Gide Paris 1869-Paris 1951 Dès l'instant que j'eus compris que Dieu n'était pas encore mais qu'il devenait, et qu'il dépendait de chacun de nous qu'il devînt, la morale en moi fut restaurée. Journal Gallimard Louis Carette, dit Félicien Marceau Cortemberg, Belgique, 1913 Académie française, 1975 On ne devient pas un autre homme. Mais, en nous et autour de nous, tout change. Les Années courtes Gallimard Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Nous ne devenons pas autres pour mourir. J'interprète toujours la mort par la vie. Essais, II, 11 Charles Péguy Orléans 1873-Villeroy, Seine-et-Marne, 1914 Quarante ans est un âge terrible. Car c'est l'âge où nous devenons ce que nous sommes. Victor-Marie, comte Hugo Gallimard Georges Poulet Chênée 1902-Bruxelles 1991 L'être humain n'a jamais le temps d'être, il n'a jamais le temps que de devenir. Mesure de l'instant, Fénelon Plon Claude Roy Paris 1915-Paris 1997 On ne naît pas innocent. On peut le devenir. Descriptions critiques, Colette Gallimard Johann Wolfgang von Goethe Francfort-sur-le-Main 1749-Weimar 1832 Aussi longtemps que tu n'auras pas saisi ceci : meurs et deviens ! Tu ne seras qu'un triste compagnon sur une terre sans lumière. Solang du das nicht hast Dieses : Stirb und Werde ! Bist du nur ein trüber Gast auf der dunklen Erde. Nostalgie bienheureuse Pär Lagerkvist Växjö 1891-Stockholm 1974 L'être humain a besoin d'être flatté, sinon il ne devient pas ce qu'il est destiné à devenir, pas même à ses propres yeux. Le Nain Friedrich Nietzsche Röcken, près de Lützen, 1844-Weimar 1900 Que dit ta conscience ? — « Tu dois devenir celui que tu es. » Was sagt dein Gewissen ? — « Du sollst der werden, der du bist. » Le Gai Savoir Oswald Spengler Blankenburg, Harz, 1880-Munich 1936 Le cosmos des Grecs anciens était l'image d'un Univers qui ne devient pas, mais qui est. En conséquence, le Grec lui-même était un homme qui jamais ne devint, mais qui toujours fut. Was der Grieche Kosmos nannte, war das Bild einer Welt, die nicht wird sondern ist. Folglich war der Grieche selbst ein Mensch, der niemals wurde, sondern immer war. Le Déclin de l'Occident Robert Louis Balfour Stevenson Édimbourg 1850-Vailima, près d'Apia, îles Samoa, 1894 Être ce que nous sommes et devenir ce que nous sommes capables de devenir, tel est le seul but de la vie. To be what we are, and to become what we are capable of becoming, is the only end of life. Études familières sur les hommes et les livres ● devenir (difficultés) verbe intransitif (latin devenire, arriver à) Conjugaison Comme venir. Avec l'auxiliaire être. ● devenir (expressions) verbe intransitif (latin devenire, arriver à) Que devenez-vous ?, formule de politesse pour prendre des nouvelles de quelqu'un que l'on n'a pas vu depuis un certain temps. ● devenir (synonymes) verbe intransitif (latin devenire, arriver à) Passer d'un état à un autre
Synonymes :
- changer
- évoluer
- se faire
Avoir telle ou telle issue, tel ou tel résultat
Synonymes :
- advenir
● devenir
nom masculin
Mouvement progressif par lequel les choses se font ou se transforment : La science est dans un perpétuel devenir.
Avenir, futur de quelqu'un, de quelque chose : Le devenir de la démocratie.
● devenir (synonymes)
nom masculin
Mouvement progressif par lequel les choses se font ou se...
Synonymes :
- évolution
- mutation
devenir
n. m. PHILO Transformation des choses, des êtres; ensemble des changements dans leur déroulement temporel. Les philosophies du devenir s'opposent aux philosophies de l'être, qui insistent sur la permanence.
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devenir
v. intr.
d2./d Avoir tel ou tel résultat, tel ou tel sort, telle ou telle issue. Je ne l'ai pas vu depuis des années, qu'est-il devenu?
I.
⇒DEVENIR1 (EN), verbe intrans.
Région. (Centre, Ouest, Canada). Venir ou revenir de quelque part. [Le soldat :] M. de Pontchartrain ne va pas mieux (...). J'en deviens (...) [je l'ai trouvé] dans des cotons (ESPARBÈS, Guerre dentelles, 1896, p. 15). Oui, Madame, j'en deviens, j'ai rapporté le linge et les robes (M. DONNAY, Georgette Lemeunier III, 1 ds DUPRÉ 1972).
Rem. Canada 1930 cite aussi, dans le même sens : billet aller (et) devenir; de même : en devenir à + inf. « en arriver à ». Il va devenir à ne plus entendre.
Prononc. et Orth. Cf. devenir2. Étymol. et Hist. Ca 1282 (Gouvernement des rois, 105, 18 ds T.-L.); rare en a. fr., cf. T.-L.; de nouv. 1807 (J.-F. MICHEL, Dict. expr. vicieuses). Emploi de devenir2 né sous l'infl. de venir, plutôt qu'héritage du lat. class. devenire « aboutir à; venir de ».
II.
⇒DEVENIR2, verbe intrans.
Être engagé dans un processus évolutif devant aboutir à un changement d'état.
I.— [L'état, aboutissement du processus, est exprimé par l'attribut du suj.]
A.— [Avec, éventuellement, expr. de l'état ant., point de départ du processus]
1. Usuel. [Seul est exprimé l'état, aboutissement du processus]
a) [L'attribut est un adj. qualificatif ou un équivalent]
) [Attribut d'un suj. nom. ou nom.-verbal (inf.)]
— [L'attribut est un adj.]
♦ [Le suj. désigne un être animé] Des deux adversaires, l'un ne change pas, l'autre change et devient plus fort (MICHELET, Introd. Hist. univ., 1831, p. 404). Faut-il qu'on devienne odieux en devenant trop parfait (RENAN, Drames philos., Prêtre Nemi, 1885, III, 3, p. 577). Maîtriser les chameaux qui devenaient nerveux (BENOIT, Atlant., 1919, p. 78) :
• 1. Il est des crimes si odieux qu'à discuter seulement la culpabilité de l'accusé l'on devient aussitôt suspect — comme si l'horreur que doit inspirer le crime devait ici s'opposer à tout examen, et que l'on fût suspect d'immoralité pour avoir gardé la tête libre.
PAULHAN, Les Fleurs de Tarbes, 1941, p. 88.
♦ [Le suj. désigne un élément matériel inanimé] La roche devient de plus en plus sèche (FLAUB., Champs et grèves, 1848, p. 314). Les lésions sont déjà profondes (...) au moment où elles deviennent accessibles à l'observateur (CADET DE GASSICOURT, Mal. enf., t. 2, 1880-84, p. 3). Le paysage devint presque invisible (JOUVE, Scène capit., 1935, p. 185).
♦ [Le suj. désigne un état, une situation, une entité abstr., etc.] Cette disparité deviendrait plus sensible (SAY, Écon. pol., 1832, p. 249). Que mon absence lui devînt insupportable (BOSCO, Mas Théot., 1945, p. 183). L'être, désormais, m'était devenu en quelque manière, tangible, savoureux (TEILHARD DE CH., Milieu divin, 1955, p. 160).
— [L'attribut est un part., en emploi adj.]
♦ Part. prés. Le principal courant de la vallée du Creek rouge devenait de plus en plus menaçant (VERNE, Île myst., 1874, p. 601). Les Irlandais devaient se libérer eux-mêmes en devenant tempérants, justes et charitables (MAUROIS, Ariel, 1923, p. 111). La lutte se prolonge encore et devient épuisante (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 301).
♦ Part. passé. Le combat devient plus vif et plus acharné que la veille (COTTIN, Mathilde, t. 2, 1805, p. 173). Cette similitude peut nous devenir connue (Théol. cath. t. 4, 1, 1920, p. 1213). Quand on est devenu bien résigné (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 325).
P. plaisant. Quand, en Chine, un Chinois devient décapité (PONCHON, Muse cabaret, 1920, p. 248).
— [L'attribut est un syntagme nom. prép.] Devenir à charge. Exposer sa vie devint à la mode (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 4). Je devins de mauvaise humeur (GOBINEAU, Nouv. asiat., 1876, p. 189). Presque tous les pneus américains sont devenus de type conducteur (TINARD, Automob., 1951, p. 347) :
• 2. Pour en terminer avec cette question du commandement allié, il convient d'ajouter qu'une décision des gouvernements en date du 2 mai, supprima le comité exécutif créé trois mois auparavant et devenu désormais sans objet.
FOCH, Mémoires, t. 2, 1929, p. 44.
Rem. 1. Dans plusieurs ex., l'attribut adj. se trouve au comparatif exprimant ainsi une idée de progression. Cf. supra les ex. où l'adj. (ou son équivalent) est précédé de plus ou de plus en plus. Son état devenoit pire chaque jour (CHATEAUBR., Génie, t. 1, 1803, p. 441). 2. La docum. atteste pour le genevois le syntagme devenir mort ,,cesser de vivre, être mort`` (J. HUMBERT, Nouv. gloss. genev., 1852, p. 152) que l'on trouve en outre chez CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 568 : De Tournai nous allâmes à Bruxelles : là je ne trouvai ni le baron de Breteuil, ni Rivarol, ni tous ces jeunes aides de camp devenus morts ou vieux, ce qui est la même chose. 3. Devenir + adj. est souvent le doublet d'un verbe (intrans. ou pronom.) dérivé de l'adj., offert en alternance : devenir rouge/ rougir; devenir grand/grandir; devenir sage/s'assagir; devenir calme/se calmer. La constr. adj. permet de suppléer à l'absence de verbe : Son visage [de Maxime de Trailles] devenait livide, rougissait, jaunissait tour à tour (BALZAC, Gobseck, 1830, p. 408); elle permet aussi de nuancer l'expr. : bien mûrir « devenir mûr dans de bonnes conditions »; devenir bien mûr « devenir tout à fait mûr ».
) [En constr. impers.]
— Il devient + adj. + de + inf. Il devenait gênant d'écouter des choses désagréables pour chacun (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 362). Il me devint impossible de me contenir (BILLY, Introïbo, 1939, p. 188). Il devient difficile de limiter mon expérience à un seul registre sensoriel (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 263).
— Il devient + adj. + que + ind. Il devenait pourtant visible que, dans l'esprit et aux regards des Anglais, l'empereur se trouvait à présent plus haut qu'il n'avait été jusque-là (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 440). Il devint manifeste que l'union soviétique ne paraissait plus intéressée à conclure un accord (GOLDSCHMIDT, Avent. atom., 1962, p. 196).
b) [L'attribut est un subst.]
) [Subst. sans article ni déterminatif]
— [Le suj. désigne une pers.; l'attribut désigne souvent un état professionnel] Je deviens maintenant historien sans cesser d'être écrivain de mémoires (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 291). Il [son fils] devenait homme de mois en mois : de mois en mois elle [Jeanne] devenait une vieille femme (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 212). Les États qui ne sont pas membres de l'organisation peuvent devenir parties au statut de la cour internationale de justice (Charte Nations Unies, 1946, p. 100) :
• 3. Les jeunes gens qui se proposaient de devenir maîtres d'école, ou plutôt les jeunes gens à qui on pensait pour en faire des maîtres d'école, pour les faire devenir maîtres d'école faisaient d'abord trois ans à l'école primaire supérieure...
PÉGUY, L'Argent, 1913, p. 1138.
♦ En partic. [P. oppos. à maître et p. réf. au dicton latin fiunt oratores, nascuntur poetae] On entend répéter tous les jours (...) que la couleur est un don du ciel; que c'est un arcane impénétrable à celui qui n'a pas reçu l'influence secrète; que l'on devient dessinateur et que l'on naît coloriste : rien n'est plus faux que ces adages (CH. BLANC, Gramm. arts dessin, 1876, p. 560). On ne naît pas femme, on le devient (BEAUVOIR, Deux. sexe, t. 2, 1949, p. 13).
♦ Pop. Devenir bel homme. ,,Engraisser`` (CARABELLI, [Lang. pop.]).
— [Le suj. désigne une chose] Le rêve devient réalité la science devient gloire, et la servitude service (VIGNY Serv. et grand. milit., 1835, p. 129). La pesanteur devenant à un certain moment fatigue, et la fatigue douleur (BERGSON, Essai donn. imm., 1889, p. 32) :
• 4. « On a pitié d'un fou; mais quand la démence devient fureur, on le lie. La tolérance qui est une vertu devient alors un vice »...
GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1952, p. 153.
) [Subst. précédé d'un art. déf. ou indéf., ou d'un déterminatif]
— [Le suj. désigne une pers.] Plusieurs jeunes filles, dont l'une n'a que dix ans, deviennent la proie du vainqueur à la vue de leurs parents captifs (SAINTE-BEUVE, Tabl. poés. fr., 1828, p. 187). Chateaubriand, l'homme de sentiment et d'enthousiasme, devenait mon prêtre et mon initiateur (SAND, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 285). Tellement elle [Pauline] devenait la chose des autres (ZOLA, Joie de vivre, 1884, p. 1050). Je ne sais si Suzanne deviendra jamais une grande comédienne (DUHAMEL, Maîtres, 1937, p. 19) :
• 5. Pour moi, à vingt-six ou vingt-sept ans, une femme change de sexe, devient autre chose qu'une femme, devient quelque chose qu'on ne désire plus. (...) sans parler de la transformation morale : une femme, après le mariage, peut changer moralement comme elle change physiquement, devenir un autre être, comme un garçon peut devenir à seize ans un autre être que celui qu'il était à quatorze.
MONTHERLANT, Le Démon du bien, 1937, p. 1234.
♦ En partic. [Au lieu d'un nouvel état, l'attribut désigne un nouvel être ou une nouvelle substance résultant d'une métamorphose du suj.] Que je devienne l'eau, la tempête et la flamme, La feuille et le sarment (MORÉAS, Stances, 1901, p. 109). Ainsi nous avons la chance d'arriver (...) au moment où (...) Pitoeff devient tout à coup le héros qu'il joue, et se dresse, jeune, illuminé sur le bord d'une tombe (COLETTE, Jumelle, 1938, p. 210) :
• 6. ... nous en tenir à cette petite extase qui consiste à regarder les jeunes nageuses partir du fond de l'anse de Paraggi vers la haute mer ensoleillée : nous sortons de nous-mêmes et nous devenons ces beaux corps vigoureux dans l'eau bleue et pure et transparente comme l'air.
LARBAUD, Jaune, bleu, blanc, 1927, p. 140.
Rem. On rencontre, avec une valeur semblable, un adv. équivalent d'un subst., exprimant une idée de progression. N'étais-tu pas mon ami, et n'es-tu pas devenu plus encore? (MARTIN DU G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 620).
— [Le suj. désigne une chose] La culture devient une industrie, une manufacture (MICHELET, Journal, 1844, p. 570). Le chaland s'évanouit, devient une chose imprécise (MOSÉLLY, Terres lorr., 1907, p. 296) :
• 7. L'église devient une grange, le palais devient une ferme, la tour devient un pigeonnier, la maison devient une baraque, la boutique devient une échoppe, le bassin devient un étang, le citadin devient un paysan; la cité est morte.
HUGO, Le Rhin, 1842, p. 297.
Rem. On rencontre parfois un subst. précédé de l'art. partitif. Je croyais bien que c'était fini, que j'étais devenu du feu et du bruit moi-même (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 23).
) [L'attribut subst. forme syntagme usuel avec le verbe et se présente tantôt sans, tantôt avec un art. déf. ou indéf.]
— Devenir + (un, l') objet de. Elle [Lamiel] devint l'objet de l'attention générale et bientôt des compliments de tous (STENDHAL, Lamiel, 1842, p. 155). Ce mot devient un objet d'études (MARCEL, Journal, 1919, p. 197). Les valeurs ne deviennent objet de science (J. VUILLEMIN, Être et trav., 1949, p. 102).
— Devenir + un/le sujet de. Chacune de ces impressions multiples qui vous attendent à chaque pas devient un sujet de rêverie profonde (DU CAMP, Mém. suic., 1853, p. 43). Le fouriérisme devenait le sujet de cruelles plaisanteries dans le même journal (CHAMPFL., Avent. Mlle Mariette, 1853, p. 58).
— Devenir + (une, la) source de. Cette conversation, menée à travers le quadrille, devint une source de troubles et de fautes, dont souffrirent les autres danseurs (DURANTY, Malh. H. Gérard, 1860, p. 11). Bombardant la surface interne de ce cylindre ils en ionisent le métal qui devient la source d'un plus grand nombre de corpuscules animés de faibles vitesses (M. DE BROGLIE, Rayons X, 1922, p. 134). L'objet religieux (...). Source de significations, il devient source de valeurs (Philos., Relig., 1957, p. 3607).
— Devenir + (un, le) principe de. Cette innocente occupation (...) devint le principe du malheur de ma vie (SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p. 1777). Le devoir devient principe d'action, source d'énergie (AMIEL, Journal, 1866, p. 242). Pour ceux qui sont unis déjà, la pensée devient (...) un principe d'union plus parfaite (BLONDEL, Action, 1893, p. 295).
— Devenir sujet à. M. Bineau devint sujet à des distractions d'auteur (CHAMPFL., Souffr. profess. Delteil, 1853, p. 195).
Rem. Comme pour le verbe être, il y a, en principe, « isotopie » sémantique (animé + animé, inanimé + inanimé, etc.) entre l'attribut et le suj. Mais en raison même du sens du verbe devenir, la corresp. peut être rompue, la position d'attribut devenant le lieu privilégié d'une possibilité de rupture partielle ou totale (créations plus ou moins métaph. ou simples fantaisies verbales). Un grès clair [des façades] devenu couleur d'ambre ou chair de mangue (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1963, p. 255). Parfois, la surprise est atténuée par des loc. du type une sorte de, en quelque manière. Il était devenu une sorte d'idée du mal. (BOSCO, Mas Théot., 1945, p. 195). Cet homme malheureux et orgueilleux n'aimait se rappeler ni ses malheurs ni ses humiliations et, devenu une sorte d'apôtre de la vie simple (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p. 61). Cf. également TEILHARD DE CH., loc. cit., supra I A 1 a) ). Ces créations existent dès la lang. cour. M. Lechevallier (...) est devenu tout miel aux premiers compliments que je lui ai glissés (GIDE, Journal, 1930, p. 1003). C'est dans cette position que se placent parfois des jeux d'opposition : L'incident était devenu événement (DURRY, Nerval, 1956, p. 70); ou des créations « idiolectiques » : Un petit galurin de voyage (...) qui avait fait son temps, était devenu immettable (GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1197).
c) [L'attribut est un pron. ou un syntagme pronom.]
) [Pron. ou syntagme pronom. non interr.] Aussi dévot que le fût devenu le grand tragique (MAURIAC, Vie J. Racine, 1928, p. 192). Notre tâche serait moins de faire être celui que nous voulons devenir (Philos., Relig., 1957, p. 4007) :
• 8. Or je ne l'aimais plus, j'étais, non plus l'être qui l'aimait, mais un être différent qui ne l'aimait pas, j'avais cessé de l'aimer quand j'étais devenu un autre. Or je ne souffrais pas d'être devenu cet autre, de ne plus aimer Albertine;...
PROUST, Le Temps retrouvé, 1922, p. 1038.
— En partic. [Pron. pers. ou poss.] Il lui sembla qu'elle était elle-même cette enfant, sa figure devenait la sienne, sa robe l'habillait (FLAUB., Trois contes, Cœur simple, 1877, p. 28). Il [un homme] m'excitait à devenir plus puissamment moi-même dans la mobilité, l'inconsidération, le déploiement loquace (ARNOUX, Écoute, 1923, p. 139).
♦ [Ou rel. pour reprendre un adj. anticipé] Il essaie (...) de se reprendre (...) incapable qu'il est devenu de se trouver à la hauteur d'une situation exceptionnelle (BRETON, Manif. Surréal., 1er Manif., 1924, p. 14).
) [Pron. ou syntagme pronom. interr.]
— [Interr. dir.]
♦ [Le suj. désigne une pers.] Que deviendroit un colon dans ces tristes solitudes...? (CRÈVECŒUR, Voyage, t. 3, 1801, p. 137). Que deviendrons-nous quand tous se détourneront d'une religion rendue impraticable? (MONTHERL., Port-Royal, 1954, p. 1305).
[Dans l'usage fam. pour s'enquérir sur le sort de qqn qu'on n'a pas vu ou dont on est sans nouvelle depuis qq. temps] J'avais rencontré M. de Nièvres une fois; il m'avait dit :« Que devenez-vous? » ou bien « On ne vous voit plus » (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 217). Qu'êtes-vous devenu depuis ce mauvais dîner que je vous ai fait faire? (BECQUE, Corbeaux, 1882, III, 5, p. 174). « Tu as vu les Dubreuilh? Qu'est-ce qu'ils deviennent? (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 98).
En partic. [Pour exprimer une inquiétude sur le sort du suj.] Je partirai pour Paris (...). J'y verrai les amis de mon père (...). — Et moi, pendant ce temps-là, que deviendrai-je? (DUMAS père, Comment je devins aut. dram., 1833, introd., p. 2). Edgar seul. — Qu'est-ce que je vais devenir? tout ce monde qui est là (...) qui grouille dans les salons (LABICHE, Edgar, 1852, I, 9, p. 229).
[Avec le verbe à l'inf. sans suj. explicite] Que devenir à présent? (FLAUB., Salammbô, t. 2, 1863, p. 98). Que faire? Que devenir? Où aller? Je ne puis cesser de l'aimer (GIDE, Et nunc manet, 1951, p. 1154).
♦ [Le suj. désigne une chose] Que devient dans tout ceci, dira-t-on, l'unité de pensée préconisée? (VERLAINE, Œuvres compl., t. 4, Poètes maud., 1884, p. 85).
— [Interr. indir.] Tout en se demandant ce qu'ils deviendraient plus tard (FLAUB., Tentation, 1849, p. 438). Vous savez ce que sont devenues les actions des sociétés anglaises après la prise de la concession anglaise de Han-Kéou (MALRAUX, Cond. hum., 1933, p. 261). Je restais dans un coin à ne pas savoir que devenir (TRIOLET, Prem. accroc., 1945, p. 304).
2. Plus rare [Avec expr. de l'état ant. désigné par un adj. ou un subst. sans art. introduit par prép. de]
a) Adj. Le jour s'éclaircit, et de gris devient blanc (AMIEL, Journal, 1866, p. 473). M. de Charlus, de dominé devenu dominateur (PROUST, Sodome, 1922, p. 629) :
• 9. Ses ombres [de Cézanne], d'opaques qu'elles étaient quand il pratiquait le métier de Delacroix, s'éclairent progressivement et deviennent aussi transparentes que ses lumières, sans cesser de creuser merveilleusement le papier.
LHOTE, Peint. d'abord, 1942, p. 156.
b) Subst. Cénée, de fille devenue garçon et invulnérable (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 156). Puis de chasseur, l'homme serait devenu pasteur, puis agriculteur (Hist. sc., 1957, p. 1504).
B.— [Avec expr. de certaines modalités du processus en déroulement]
1. [Expr. de la cause ou du moyen]
a) [La cause du processus gén. est exprimée par en ou de quoi, l'idée précise étant explicitée dans le cont.]
— En. Un tyran dans l'impuissance est un tigre muselé qui n'en devient que plus féroce (CHATEAUBR., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 116). — Voulez-vous que je vous prête des livres, Mademoiselle, si vous vous ennuyez le soir? (quelle joie! elle en devient presque rose!) (COLETTE, Cl. école, 1900, p. 116). Sa générosité, qui est proverbiale, revêt souvent une forme si maladroite qu'elle en devient presque blessante (MARTIN DU G., Devenir, 1909, p. 39).
— De quoi. Il n'y a pas de quoi devenir toute blanche, comme si je vous avais frappée au visage (CLAUDEL, Otage, 1911, p. 257). Alors le claxon marche, marche, il y a de quoi devenir fou! (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p. 220).
Rem. La cause précise de l'état, aboutissement du processus, est exprimée soit par de + subst. : L'hôtesse devint rouge de dépit (FLAUB., Mme Bovary, t. 1, 1857, p. 85); soit par de (ou à) + inf. : Il devint très rouge d'avoir ainsi parlé haut (ZOLA, Nana, 1880, p. 1107). Nous devenons pensifs à regarder vivre autour de nous ce monde (TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955, p. 167); soit par en + part. prés. : Elle devint toute pâle en apercevant un homme qu'elle prit pour lui (MONTHERL., J. filles, 1936, p. 984).
b) [Expr. du moyen] En vous faisant une science et une règle de la neutralité vous devenez militants (BLONDEL, Action, 1893, p. 15).
2. [Expr. de modalités subsidiaires]
a) [Rythme du processus] Devenir aussitôt, bientôt, de but en blanc, insensiblement, instantanément, du jour au lendemain, progressivement, promptement, rapidement, subitement, successivement, vite. Elle [Angélique] devint brusquement très rouge (ZOLA, Rêve, 1888, p. 35). Cette garantie n'était pas superflue et me devenait de jour en jour plus nécessaire (FRANCE, Vie fleur, 1922, p. 361).
b) [Facilité du processus] Devenir difficilement, facilement, péniblement. Ah! l'atroce angoisse et qui (...) deviendrait aisément le principe d'une sorte de croisade à rebours (BOURGET, Essais psychol., 1883, p. 63).
c) [Degré de réalité ou phase de réalisation]
— Devenir décidément, fatalement, franchement, naturellement, nécessairement, véritablement. Il est vrai que je deviens effectivement un imbécile, quand je suis en sa compagnie (MONTHERL., Pitié femmes, 1936, p. 1206).
— Commencer à, finir par, réussir à devenir. Paris achevait de devenir une ville de fabriques et de manufactures (TOCQUEVILLE, Anc. Rég. et Révol., 1856, p. 150). Chez les nations orientales, par exemple, où le livre antique ne tarde jamais à devenir sacré (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 208). Par sa lecture internationale en train de devenir considérable (MALÈGUE, Augustin, t. 1, 1933, p. 243).
d) [Imminence, possibilité de la réalisation]
— Apte à, susceptible de devenir. Une bonté qu'on sent prête à devenir agissante (GONCOURT, Journal, 1882, p. 155). Je le sentais sur le point de devenir sentimental et bête (ABELLIO, Pacifiques, 1946, p. 283).
— Pouvoir devenir, menacer, promettre, risquer de devenir. Il eut tant de colère et de chagrin qu'il faillit devenir fou (SAND, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 356). N'est-ce pas annuler tout cet effort par quoi elle [la psychologie de l'art] tend à devenir une réalité à la fois indépendante et neuve, un objet esthétique n'existant que par lui-même? (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 438).
II.— Emploi abs., PHILOS. (et littér. d'inspiration philos.)
A.— [L'accent est mis sur le processus] La vie est mobile. Elle devient, comme tu dis dans ton jargon philosophique (RICHEPIN, Braves gens, 1886, p. 154). Nous ne sommes jamais, nous devenons sans cesse (GREEN, Journal, 1946, p. 177). Croire c'est à la fois devenir et être (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 118) :
• 10. La philosophie moderne place ses valeurs à la fin de l'action. Elles ne sont pas, mais elles deviennent, et nous ne les connaîtrons dans leur entier qu'à l'achèvement de l'histoire.
CAMUS, L'Été, 1954, p. 114.
B.— [L'accent est mis sur l'aboutissement] Le galop soudain des étoiles N'étant que ce qui deviendra (APOLL., Alcools, 1913, p. 108) :
• 11. Elle [l'histoire] forme pour l'imagination une table de situations et de catastrophes, une galerie d'ancêtres, un formulaire d'actes, d'expressions, d'attitudes, de décisions offerts à notre instabilité et à notre incertitude, pour nous aider à devenir.
VALÉRY, Regards sur le monde actuel, 1931, p. 17.
— Au passé composé. Être c'est être devenu, c'est avoir été fait tel qu'on se manifeste (BEAUVOIR, Deux. sexe, t. 1, 1949, p. 25).
— Au part. passé apposé. Je dois, suivant la formule célèbre « devenir ce que j'étais », mais c'est dans un monde lui-même devenu que je dois le devenir. Et dans un monde devenu à partir de ce qu'il est (SARTRE, Être et Néant, 1943, p. 172).
Rem. 1. On rencontre ds la docum. se devenir comme forme de l'emploi abs. L'artiste au même titre que le penseur s'engage et se devient dans son œuvre (CAMUS, Sisyphe, 1942, p. 133). 2. La docum. atteste : a) L'emploi adj. du part. présent. Je voudrais que la danse, et surtout le cinéma harmonisent, dans leur unité devenante, tous ces rapports paradoxaux (FAURE, Espr., formes, 1927, p. 192). b) L'emploi subst. du part. présent. Le devenir n'est pas devenir d'un devenant, c'est-à-dire de quelque chose qui devient et, par suite, pourrait être et ne pas devenir (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 25). c) L'emploi subst. (avec valeur de neutre) du part. passé. L'expérience, a-t-on dit justement, ne saurait atteindre le devenir; elle ne saisit jamais que des devenus (HAMELIN, Élém. princ. représ., 1907, p. 126).
Prononc. et Orth. :[] ou comme var. donnée ds BARBEAU-RODHE 1930 et DUB. [], (je) deviens [d()]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a. Fin Xe s. « commencer à être ce qu'on n'était pas encore » (St Léger, éd. J. Linskill, 124); b) av. 1763 impers. (Abbé Prévost ds FÉR. Crit.); 2. fin Xe s. en phrase interr. ou négative (St Léger, 156); 1549 devenir à rien (EST.); 3. 1864 absol. (RENOUVIER, Essais crit. gén., 3e essai, p. XXII). Du lat. class. devenire, au propre « venir de; arriver à », au fig. « aboutir à, recourir à » d'où, en b. lat., « devenir ». Bbg. MOIGNET (G.). Incidence et attribut du compl. d'objet. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1975, t. 13, n° 1, p. 261.
III.
⇒DEVENIR3, subst. masc.
Action ou fait de devenir (cf. devenir2).
I.— [Comme catégorie ou entité abs. (opposée à l'être immuable)] :
• 1. Où saisir l'essence sinon au niveau de l'existence et du devenir? Mais on ne peut dire que l'être n'est qu'existence. Ce qui devient toujours ne saurait être, il faut un commencement. L'être ne peut s'éprouver que dans le devenir, le devenir n'est rien sans l'être. Le monde n'est pas dans une pure fixité; mais il n'est pas seulement mouvement. Il est mouvement et fixité. La dialectique historique, par exemple, ne fuit pas indéfiniment vers une valeur ignorée. Elle tourne autour de la limite, première valeur. Héraclite, inventeur du devenir, donnait cependant une borne à cet écoulement perpétuel. Cette limite était symbolisée par Némésis, déesse de la mesure, fatale aux démesurés.
CAMUS, L'Homme révolté, 1951, p. 365.
A.— [Le devenir non qualifié] Le bovarysme, comme appareil de mouvement, cette définition fixe son importance à l'égard d'une réalité dont on a constaté qu'elle n'est saisissable que dans le devenir (GAULTIER, Bovarysme, 1902, p. 220). Le surmoi c'est le passé. L'idéal du moi est le devenir. Mais dans le passé dort déjà le devenir (CHOISY, Psychanal., 1950, p. 117).
— P. méton., au sing. avec art. un, plus rarement au plur.
♦ Variété du devenir. Cette idée que le monde a un devenir, une histoire où chaque état sort de l'état antérieur par un développement organique (RENAN, Hist. peuple Isr., t. 1, 1887, pp. 80-81). Une ou plusieurs images claires qui représentent des états et qui servent à distinguer tous les devenirs les uns des autres (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 304) :
• 2. ... comment classer cet ouvrage sec et net [l'Étranger] (...) M. Camus le nomme « roman ». Pourtant le roman exige une durée continue, un devenir, la présence manifeste de l'irréversibilité du temps.
SARTRE, Situations I, 1947, p. 121.
♦ Chose en devenir. La femme n'est pas une réalité figée, mais un devenir (BEAUVOIR, Deux. sexe, t. 1, 1949, p. 72).
Rem. On rencontre parfois devenir précisé en tant que notion philos. rapportée à ses origines hist. : La langue est ainsi dans un perpétuel devenir, comme disent les philosophes (SARCEY, Mot et chose, 1862, p. 5 et cf. ex. 1); les guillemets peuvent remplir, quoique plus vaguement, la même fonction : J'avais été surtout sensible à l'élaboration, aux essais, aux reprises, au « devenir » d'une phrase [musicale] qui se faisait durant la sonate (PROUST, Fugit., 1922, p. 560).
B.— [Le devenir qualifié]
1. [Du point de vue de son déroulement]
a) [En constr. nom.]
) Devenir + adj. Devenir continuel, évolutif; éternel devenir. Le développement spontané, le devenir incessant des choses (TAINE, Derniers Essais de crit. et d'hist., 1893, p. 116). Ce perpétuel devenir qui affecte aussi l'occupation humaine (VIDAL DE LA BL., Princ. géogr. hum., 1921, p. 172) :
• 3. Si nous actualisons les instants virtuels innombrables dont la succession forme le devenir continu, l'éternité entière ne suffira pas pour les dérouler.
JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 49.
) Subst. + de/du + devenir. Continuité, processus du devenir. Son être momentané [de Socrate] s'écoule avec le flot du devenir (GILSON, Esprit philos. médiév., 1931, p. 197). Il entrait tout naturellement dans ce nirvâna Boisrosé, sorte de suspension de tout devenir, de repos définitif (MORAND, Homme pressé, 1941, p. 89).
b) [En constr. verbale] Rare. Le dimanche il travaille jusqu'à midi [Jacques l'Aumône] puis il s'assoit sur un banc et regarde couler le devenir sans faire de réflexions (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 154).
2. [Du point de vue de la nature du temps considéré] Dans la série de présents tout idéaux qui se réalise dans la représentation du devenir historique, le présent véritable ne saurait se rencontrer nulle part (MARCEL, Journal, 1914, p. 82). Les idées romantiques sur le devenir cosmique (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 69).
3. [Autres attributs] Catégorie, notion du devenir; les éléments du devenir. Une section discontinue du devenir (MARCEL, Journal, 1914 p. 9). Le gouvernement de tous par tous reste dans les nuées du devenir (BERNANOS, Enf. humil., 1948, p. 62).
Rem. 1. On rencontre parfois comme qualificatif un compl. prép. de : Un devenir de qualité singulièrement complexe (HAMELIN, Élém. princ. représ., 1907, p. 5). 2. Le syntagme état de devenir se rencontre, malgré l'apparente contradiction des deux termes. La guerre, me disait-il [Saint-Loup], n'échappe pas aux lois de votre vieil Hégel. Elle est en état de perpétuel devenir (PROUST, Temps retr., 1922, p. 752).
II.— [Comme qualifiant ou déterm. d'une chose ou d'un être hum.]
A.— [Devenir comme compl. rapporté à un suj. ou à un déterminé subst.]
1. [En constr. verbale] Avoir un devenir. Parce qu'étant soumis au devenir nous devons en tout commencer par l'imparfait, pour grandir peu à peu jusqu'à l'âge adulte (MARITAIN, Primauté spirit., 1927, p. 212). Mitose et bourgeonnement forment deux cas dans lesquels une cellule est l'origine de deux cellules nouvelles susceptibles d'avoir le même devenir (PLANTEFOL, Bot. et biol. végét., t. 1, 1931, p. 82).
2. [En constr. prép.]
a) [Dans un syntagme verbal] Être en devenir. J'existerais, à mon sens, dans le devenir, l'évolution, la mobilité de l'instant (ARNOUX, Visite Mathus., 1961, p. 203).
b) [Dans un syntagme nom.] Phénomène en devenir. Les substances concrètes dont l'univers est fait sont donc de l'être incomplet, inachevé et en devenir (GILSON, Espr. philos. médiév., 1931, p. 148). La communauté prolétarienne en devenir (MARITAIN, Human. intégr., 1936, p. 274).
3. [En constr. nom.] :
• 4. J'ai lu l'ouvrage de M. Martin Lamm [sur Swedenborg] (...) j'y voyais, de chapitre en chapitre, se dessiner l'extraordinaire Roman d'une vie « seconde », — je dis : roman, parce que j'éprouvais naïvement, pendant ma lecture, ce désir intense de la suite, cette soif du devenir, qui ne nous saisit d'ordinaire que dans les productions destinées à nous faire ressentir les délices de l'aventure...
VALÉRY, Variété V, 1944, p. 267.
B.— [Le devenir en tant que propriété directement attribuée à une entité]
1. [L'entité déterminée est exprimée par un subst. prép. de]
a) [Le subst. est un nom de chose matérielle ou spirituelle] Le devenir de l'univers n'est qu'une évolution (RENAN, Église chrét., 1879, p. 158). Nous ne pouvons manquer de nous demander ce que l'on sait du devenir des spores (PLANTEFOL, Bot. et biol. végét., t. 2, 1931, p. 606). Songer au destin des lettres, c'est songer aussi et surtout au devenir de l'esprit (VALÉRY, Regards sur monde act., 1931, p. 217).
Rem. On rencontre le syntagme tautologique (le) devenir de l'évolution (ZOLA, Travail, t. 2, 1901, p. 6).
b) [Le subst. est un nom de pers.] Plus rare. Ou bien est-ce la douloureuse antinomie du péché et de la foi, qui gouverne le devenir de l'homme (J. VUILLEMIN, Essai signif. mort, 1949, p. 313).
2. [L'entité déterminée est exprimée par un adj. qualificatif-déterminatif autre que poss.] Devenir humain, psychique, terrestre :
• 5. L'âme (...) n'est que la résultante toujours variable des faits multiples et complexes de la vie. L'âme est le devenir individuel, comme Dieu est le devenir universel.
RENAN, L'Avenir de la sc., 1890, p. 181.
3. [L'adj. est un poss. renvoyant à une chose ou un être] Voir les choses de la littérature, de l'art, de la politique, de la science, de la philosophie, dans leur succession, et, comme disent les Allemands, dans leur devenir (THIBAUDET, Hist. litt. fr., 1936, p. 119). L'homme croît, mais c'est son être qui se montre dans l'apparence de son devenir : l'homme ad-vient (RICŒUR, Philos. volonté, 1949, p. 405).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1932 mais sous le verbe. Étymol. et Hist. 1839 (MICHELET, Journal, p. 290). Emploi subst. de devenir2.
STAT. — Devenir1, 2 et 3. Fréq. abs. littér. :29 464 (devenirs : 5). Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 39 832, b) 43 447; XXe s. : a) 41 305, b) 43 194.
1. devenir [dəvniʀ; d(ə)vəniʀ] v. intr. [CONJUG. venir.]
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A Verbe d'état s'employant avec un attribut.
1 Passer d'un état à (un autre), commencer à être (ce que le sujet n'était pas). → Changer, évoluer, se transformer. || Devenir plus important, plus grand (⇒ Augmenter), plus petit (⇒ Diminuer). || Faire devenir… ⇒ Rendre. — (Sujet n. de personne). || Devenir grand, plus grand, plus gros (grandir, grossir). || Devenir petit, plus petit (rapetisser). || Devenir vieux (⇒ Vieillir). || Devenir riche, pauvre. || Il est devenu sage, honnête, bon. || Il est devenu fou. || Vous allez me faire devenir fou ! || Devenir socialiste, communiste. || Devenir catholique : se convertir au catholicisme. || Il deviendra difficilement, fatalement célèbre. || Devenir plus malade, le devenir davantage. → ci-dessous, cit. 5. — (Sujet n. de chose). || L'entreprise devient prospère. || La situation devenait difficile, précaire. || Le temps devient froid. ⇒ Tourner (au froid). — (Impersonnel). || Il devient très bien porté, très à la mode de… || Il devient difficile d'y croire. || Il devenait évident, patent qu'il mentait. || Il devient de plus en plus certain, évident que… — Spécialt. || Devenir général, ministre, professeur, médecin, plombier. || On ne naît pas poète, on le devient. || Il a l'impression d'être devenu un autre. || Elle est devenue sa femme. || Il est devenu mon ami. — Se changer, se transformer. || Le têtard deviendra une grenouille. || Les media deviennent un instrument de propagande. || La citrouille devint un carrosse. || Devenir une source de désagrément, un sujet de dérision.
1 Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie (…)
La Fontaine, Fables, V, 3.
2 L'union de deux choses sans changement ne fait point qu'on puisse dire que l'une devient l'autre : ainsi l'âme étant unie au corps, le feu au bois, sans changement; mais il faut changement qui fasse que la forme de l'une devienne la forme de l'autre, ainsi l'union du Verbe à l'homme.
Pascal, Pensées, VII, 512.
3 (…) je me croyais Grec ou Romain; je devenais le personnage dont je lisais la vie (…)
Rousseau, les Confessions, I.
4 Je changeais à mon gré de nature : j'étais capable de revêtir les figures les plus étranges et les plus extraordinaires, de devenir, par enchantement, roi, dragon, diable, fée (…)
France, le Petit Pierre, VIII, p. 45.
5 Elle le croyait malade et craignait qu'il le devînt davantage.
France, le Crime de S. Bonnard, Œ., t. II, p. 385.
6 (…) un sourire qui pour un rien devenait du rire vraiment (…)
Gide, Si le grain ne meurt, I, I, p. 31.
7 Ainsi, dans les rêves,
On voit une personne en devenir une autre,
Sans le moindre étonnement.
Cocteau, Disc. du grand sommeil, « Délivrance des âmes ».
♦ Fam. || C'est devenu un beau gars, un beau brin de fille.
♦ ☑ Loc. fam. Vx. Devenir à rien : se réduire considérablement. Fig. || Cet enfant devient à rien. ⇒ Maigrir.
8 — (…) Sous ses heureuses mains le cuivre devient or.
— Et l'or devient à rien.
J.-F. Regnard, le Joueur, III, 6.
REM. 1. Lorsque le sujet désigne une chose, dans quelques syntagmes usuels, le déterminant du compl. nominal est un nom exprimé. Devenir un objet, l'objet, un sujet, le sujet, devenir objet, sujet de… || « Ce devoir devient principe d'action, source d'énergie » (Amiel, in T. L. F.).
2. Comme le verbe être, devenir peut introduire des substantifs en valeur adjectivale, alors même que le sujet et le complément n'appartiennent pas à la même catégorie sémantique (comme dans : le bébé est devenu homme; elle est devenue avocat ou avocate, etc.) :|| « Un grès clair devenu couleur d'ambre » (T'Serstevens). || « M. Lechevallier est devenu tout miel » (Gide, Ex., in T. L. F.).
2 Être dans un état, avoir un sort, un résultat particulier (dans les phrases interrogatives ou dubitatives). || Qu'allons-nous devenir ? || J'ignore ce que tout ceci deviendra. ⇒ Donner, être. || Que deviendra sa fortune après sa mort ? || Que sont devenues vos belles résolutions ? — Que voulez-vous devenir ?, quelle carrière voulez-vous suivre ?
9 Dites-nous donc quelle résolution vous prenez, me répondit le ministre; que voulez-vous devenir ?
Marivaux, la Vie de Marianne, VIIe partie.
10 Si l'on pouvait recouvrer l'intransigeance de la jeunesse, ce dont on s'indignerait le plus, c'est de ce qu'on est devenu.
Gide, les Faux-monnayeurs, 1re partie, XVIII, p. 213.
11 Que deviendrais-je sans le rire ? Il me purge de mes dégoûts. Il m'aère.
Cocteau, la Difficulté d'être, p. 186.
♦ Qu'est devenue cette personne ?, où est-elle ? que fait-elle ? || Qu'est devenu votre ami depuis qu'il a quitté la France ? || Qu'étiez-vous donc devenu ? Nous vous cherchions depuis une heure. || Qu'est devenu mon chapeau ?, où est-il passé ? — Fam. || Que devenez-vous ? Qu'est-ce que vous devenez ?, se dit pour demander des nouvelles d'une personne qu'on n'a pas vue depuis quelque temps.
12 Qu'est-ce que vous êtes donc devenu depuis l'autre jour ?
Martin du Gard, Jean Barois, II, La tourmente, IV, p. 298.
12.1 Alain Guimiez… Voyons… il y a bien longtemps que je l'ai perdu de vue. Qu'est-il devenu, au fait ?
N. Sarraute, le Planétarium, p. 166.
♦ (Exprimant l'inquiétude). || Qu'est-ce que nous allons devenir ?
♦ ☑ Ne savoir que devenir : ne savoir que faire, et, par ext., ne pas être à son aise.
13 (…) j'ai oublié ma tabatière; il y a une demi-heure que je ne sais que devenir.
Marivaux, le Paysan parvenu, IV, p. 203.
3 Se devenir. Pron. Rare. Devenir soi-même.
13.1 L'artiste au même titre que le penseur s'engage et se devient dans son œuvre.
Camus, le Mythe de Sisyphe, in Essais, Pl., p. 175.
14 À la conception antique qui opposait l'être et le devenir, le christianisme a substitué celle qui les unit. Nous sommes et nous devenons. Nous sommes parce que nous devenons. En un certain sens, on peut dire qu'on ne devient que ce qu'on est (parce que sur le plan de la terre, on ne peut jamais que révéler lentement une image éternelle); mais, bien plus profondément, on n'est que ce qu'on devient.
Daniel-Rops, Ce qui meurt…, VI, p. 243.
14.1 « Comment expliquez-vous que personne ne fasse la gelée aussi bien que vous ? » (…) « Je ne sais pas d'où que ça devient », répondit Françoise (qui n'établissait pas une démarcation bien nette entre le verbe venir, au moins pris dans certaines acceptions, et le verbe devenir).
Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Pl., t. I, p. 485.
➪ tableau Verbes exprimant une idée de mouvement.
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CONTR. Demeurer, rester, subsister. — Être.
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2. devenir [dəvniʀ; d(ə)v(ə)niʀ] n. m.
ÉTYM. 1839, Michelet in T. L. F.; infinitif substantivé, du verbe 1. devenir.
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♦ Passage d'un état à un autre; suite des changements. ⇒ Changement. || Philosophie du devenir. ⇒ Dynamisme. || Le devenir du monde. ⇒ Futur. || Processus du devenir. || Avoir un devenir. — En devenir. || La conscience est en devenir. ⇒ Évolution, mouvement.
15 L'intuition du devenir, dans l'histoire comme dans la nature, était dès lors l'essence de ma philosophie.
Renan, Souvenirs d'enfance…, V, II, p. 207.
16 Le devenir est infiniment varié. Celui qui va du jaune au vert ne ressemble pas à celui qui va du vert au bleu : ce sont des mouvements qualitatifs différents. Celui qui va de la fleur au fruit ne ressemble pas à celui qui va de la larve à la nymphe et de la nymphe à l'insecte parfait : ce sont des mouvements évolutifs différents. L'action de manger ou de boire ne ressemble pas à l'action de se battre : ce sont des mouvements extensifs différents (…) L'artifice de notre perception, comme celui de notre intelligence, comme celui de notre langage, consiste à extraire de ces devenirs très variés la représentation unique du devenir en général, devenir indéterminé, simple abstraction (…)
H. Bergson, l'Évolution créatrice, IV, p. 303.
17 La guerre, disait-il, n'échappe pas aux lois de notre vieil Hegel. Elle est en état de perpétuel devenir.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XIV, p. 71.
♦ (Qualifié). || Un devenir incessant, perpétuel. || Le devenir continuel (cit. 4) du monde, de l'homme. || Avoir un devenir imprévisible. || Le devenir historique est révolutionnaire (cit. 2).
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CONTR. État, immobilité, permanence, stabilité.
Encyclopédie Universelle. 2012.