HOMOSEXUALITÉ
Qualifiée par le désir envers un être du même sexe, l’homosexualité (de l’allemand Homosexualität ) soulève des polémiques et pose un problème social spécifique qui amène à la distinguer, d’une part, de l’amitié, d’autre part, de la pédophilie, du travestissement et du transexualisme. Dans l’homosexualité masculine, on distingue la recherche de l’adolescent (le 神見晴﨟 grec, le puer romain, qui n’étaient pas des impubères) par un adulte, l’attachement amoureux entre adolescents (les «amitiés particulières» de la théologie morale) et l’androphilie liant des adultes; ces divisions, bien qu’utiles, ne sont pas toujours très tranchées. L’homosexualité entre dans le cadre des principaux comportements sexuels relationnels, à côté de l’hétérosexualité et de la bisexualité; sa présence dans toutes les cultures, notée par Schopenhauer, en fait une constante de l’anthropologie, à toutes les époques et dans tous les milieux sociaux; elle n’a pas été l’apanage de l’aristocratie, comme l’a cru Albert le Grand. Depuis le XVIe siècle au moins, un milieu homosexuel masculin est apparu dans les grandes villes occidentales; il possède son argot et fait l’objet d’une surveillance et d’un fichage policiers.
1. Les homosexuels et la société
Le droit pénal
Le statut social de l’homosexualité a subi au cours de l’histoire de fortes fluctuations. Le relativisme pénal en cette matière était déjà noté par Sextus Empiricus. Condamnée chez les Assyriens, les Égyptiens, les Hébreux et les Incas, elle fut en Grèce, à Rome et en Chine une pratique courante et bien tolérée, comme l’avait souligné Hume pour la Grèce. Après l’établissement du christianisme à Rome, elle devint passible de mort dans tout l’Occident chrétien jusqu’à la fin du XVIIIe siècle: aux lois romaines des IVe et VIe siècles succédera l’application des peines frappant l’hérésie ou le crime de lèse-majesté divine, à partir de la fin du XIIIe siècle. Homosexualité et bestialité seront alors régulièrement associées, dans les textes comme dans la pratique judiciaire. Certaines villes ont eu des lois propres: ainsi à Bologne, au début du XIIIe siècle, la peine était le bannissement perpétuel; au XVe siècle, Florence a essayé de la combattre en encourageant la prostitution féminine, puis a prévu le bûcher à la deuxième récidive.
En France, le Code pénal laïcisé de 1791 avait abandonné le crime de sodomie; les pays ayant adopté le Code Napoléon furent alors des exceptions en Europe; mais l’Allemagne unifiée fut dotée en 1871 de la disposition prussienne réprimant l’homosexualité masculine (paragr. 175, abrogé seulement en 1969). Au Royaume-Uni, la dernière exécution capitale eut lieu à une date relativement proche, en 1835. En 1861 et en 1885, de nouvelles lois y ont établi des peines de prison pour les relations masculines; elles ont été abrogées seulement entre 1967 et 1982. Pendant cette même période, aux États-Unis, plus de la moitié des États ont abrogé des dispositions similaires. En Russie, avant la révolution d’octobre 1917, les peines prévues étaient légères et les poursuites exceptionnelles; une loi d’avril 1934 a introduit d’importantes peines de prison pour l’homosexualité masculine, à la suite de la découverte prétendue d’une conspiration homosexuelle en 1933. En France, la restriction introduite en 1942 et confirmée en 1945, qui réprimait les rapports homosexuels entre une personne majeure et un mineur ou entre des mineurs a été abrogée par la loi du 4 août 1982; ce qui constitue un alignement sur la législation des pays scandinaves et des Pays-Bas. Cependant, plusieurs États européens conservent des dispositions interdisant l’homosexualité en dessous d’un certain âge: 18 ans en Allemagne de l’Ouest, Autriche, Belgique et Tchécoslovaquie, 20 ans en Hongrie et en Suisse, 21 ans en Bulgarie et au Royaume-Uni, 23 ans en Espagne.
Culture et société
Selon Freud, le besoin sexuel serait en lui-même un facteur de division sociale. De fait, l’hérétique en amour a souvent été perçu comme un ennemi public, notamment par Zola et Gorki, et jugé non socialisable. Dans les périodes de vives tensions sociales, on imputait aux adversaires de mauvaises mœurs, en particulier des pratiques homosexuelles; lors de la Réforme, catholiques et protestants s’en accusèrent mutuellement; les jésuites en furent taxés, notamment par Voltaire. On se renvoyait aussi cette imputation d’homosexualité d’une nation à une autre, depuis les Grecs, qui incriminaient les Perses ou les Celtes; Du Bellay a stigmatisé ainsi les mœurs italiennes, coupables de ce qu’il appelait le vice étranger . Au XIXe siècle, les Français en furent accusés par les Anglais, puis les Allemands par les Français dans les dernières années du siècle.
Des communistes, tels Barbusse et Gorki, ont vu dans le désir homosexuel un vice bourgeois, lié à la décadence et au nazisme; symétriquement, dans les années de la guerre froide, le maccarthysme américain a fait la chasse aux homosexuels autant qu’aux communistes. Les libres penseurs européens ont étendu la réputation faite aux jésuites à tout le clergé, établissant ainsi une image homosexuelle de la religion, la cause en étant, selon eux, la règle du célibat ecclésiastique. Ce renversement, venant après des siècles d’assimilation de l’écart sexuel à l’hérésie, à l’idolâtrie ou à l’athéisme, ne laisse pas de surprendre; il souligne en tout cas la permanence de l’attitude qui stigmatise l’homosexuel comme porteur d’une altérité radicale, sociale, religieuse ou nationale. Plus précisément, on considère – en le leur reprochant – les rapports homosexuels comme transgressant allègrement toutes les barrières entre les classes sociales ou les classes d’âge de manière à constituer des milieux homosexuels masculins, cette analyse et ce grief étant bien antérieurs à la théorie freudienne qui voit, avec raison, dans l’homosexualité sublimée la source des sentiments sociaux et de l’esprit de corps. Dans des sociétés postpatriarcales comme celles de l’Occident contemporain, les relations masculines peuvent effectivement être perçues comme une dangereuse subversion de la société masculine, comme une trahison et une destruction partielle de l’idéal viril; dans ce cas, c’est l’homosexualité passive exclusive, celle des bardaches (chez les Indiens d’Amérique) ou des efféminés, qui est particulièrement visée. Un support d’identification collective masculine serait alors menacé. Mais il se trouve que les hommes homosexuels sont souvent capables et désireux d’entretenir des relations sociales avec les femmes, l’amour masculin n’apparaissant anti-social que dans une société à forte prédominance masculine; ce n’est plus vrai dans une société mixte, dans laquelle se trouve réalisée l’égalité des sexes ou qui s’en approche; l’homosexualité favoriserait alors une sociabilité entre les sexes que les désirs hétérosexuels n’encouragent pas, thèse qui semble bien présente dans Le Misanthrope de Molière. Enfin, la contribution importante des homosexuels à la culture est fréquemment relevée, et elle n’a pas manqué d’être utilisée par les porte-parole de la revendication homosexuelle; l’apport de la pédérastie grecque aux progrès de l’éducation et à la sensibilité artistique a été noté par Winckelmann, Stendhal et Nietzsche. Mais d’autres, tels Proudhon et Hitler, ont rendu l’homosexualité responsable de la décadence de la civilisation hellénique.
De la nature à la norme
Les observations concernant l’homosexualité animale sont nombreuses et anciennes; on en trouve chez Plutarque, Edwards et Buffon notamment. Elles ont été invoquées pour combattre l’idée que ces relations seraient contre nature, opinion avancée par le platonisme et par la théologie juive et chrétienne depuis Philon le juif, Jean Chrysostome et Augustin; Chrysostome sentait justement la nécessité de nier l’existence de l’homosexualité animale. Que l’homosexualité ne soit pas contre nature fut le leitmotiv du Corydon de Gide (écrit entre 1909 et 1918), cette thèse se trouvant anticipée dans quelques passages de Montaigne, de Vauvenargues, de Diderot et de Bentham. La conception aristotélicienne de la nature, qui est ici en cause, est scientifiquement dépassée; depuis le milieu du XIXe siècle, l’homosexualité n’a plus guère été dite contre nature que dans quelques traités de médecine légale ou articles de codes pénaux; le débat s’est déplacé sur les questions de norme et de moralité. Raffalovich et Alétrino ont soutenu l’existence d’un type normal d’homosexuels, qui auraient la même valeur morale et la même utilité sociale que les meilleurs d’entre les hétérosexuels, et dont l’homosexualité serait innée. Les normes sociales contemporaines, véhiculées par les publications psychologiques ou sexologiques, traversent l’homosexualité plus qu’elles ne la rejettent, peut-on dire désormais.
Le problème moral et religieux
La Bible condamne à plusieurs reprises les rapports homosexuels (Genèse, XVIII et XIX; Lévitique, XVIII et XX; Juges, XIX; Sagesse, XIV; Romains, I; I Corinthiens, VI); elle les associe parfois à l’idolâtrie. Parallèlement, on y trouve des injonctions portant sur l’hétérosexualité (Genèse, I et II; Marc, X). Dans l’histoire de l’Église, l’homosexualité tant féminine que masculine sera stigmatisée comme étant contre nature; elle sera aussi dite contre la raison par Pierre Damien (qui en faisait, de plus, une impulsion diabolique) et par Albert le Grand. En 1976, le pape Paul VI a réaffirmé cette condamnation en insistant sur les textes pauliniens et en associant l’homosexualité au refus de Dieu et au désordre. La morale catholique considère, en effet, que, Dieu ayant créé les finalités naturelles, c’est s’opposer à sa volonté que de les enfreindre par un usage désordonné de la faculté sexuelle. L’activité homosexuelle demeurant précisément un péché de cette sorte, les fidèles homosexuels, depuis l’apparition dans plusieurs pays de groupes de chrétiens homophiles, sont encouragés au contrôle d’eux-mêmes et bénéficient d’un soutien pastoral particulier.
Les philosophes des Lumières ont introduit une morale laïque fondée sur le double critère de l’utile et de l’agréable. Ébauchée chez Vauvenargues, elle a été développée par Voltaire, Hume, Diderot et surtout par Bentham dans son Essai sur la pédérastie , longtemps inédit; selon Bentham, l’absence, dans le cas de l’homosexualité, de dommage causé à autrui et la vanité des craintes concernant les risques de dépopulation ôtent à la réprobation tout autre fondement que ceux de l’antipathie personnelle pour le plaisir d’autrui ou du dogmatisme religieux. La morale des valeurs promue par Nietzsche a contribué au renouvellement du débat; et il est maintenant admis que, si l’on fait abstraction de la perspective religieuse, la condamnation morale de l’homosexualité s’effondre, comme l’a fait remarquer Gabriel Marcel. Elle n’a pas plus de sens aux yeux des rationalistes, pour lesquels l’interdiction de nuire à autrui est la base de la morale, y compris dans le domaine de la sexualité.
Aspects sémantiques
On a cru souvent, à tort semble-t-il, que la question homosexuelle était un sujet presque universellement tabou. Or, d’une façon générale, et bien avant l’irruption du thème homosexuel dans la littérature du XIXe siècle, l’Occident chrétien s’est montré, sur ce sujet, plutôt bavard, en dépit de quelques précautions oratoires; si les homosexuels ont été discrets, voire secrets, l’homosexualité est bien présente dans les textes. Depuis la Renaissance, elle a été caractérisée comme vice, péché, crime ou perversion, mais, aussi souvent, comme passion, goût, amour, voire art ou science; on peut en déduire que son rejet par la société n’a jamais été systématique ni total. Le vocabulaire concernant l’homosexualité dans la langue française est riche, ainsi que Voltaire et Proust en portent témoignage. L’opposition actuelle homosexuel/hétérosexuel, qui est en vigueur depuis la fin du XIXe siècle, a été précédée par le couple d’adjectifs unisexuel/bisexuel, chez Fourier et Proudhon notamment; mais d’autres termes, plus populaires, sont attestés depuis la fin du XVIIe siècle. La langue classique contient des mots parfois transposés du grec et du latin, et véhiculant toujours des jugements de valeur à connotation religieuse, tels que «antiphysique», «bougre» et «bougrerie», «sodomie» et «sodomite». Mais on trouve aussi des expressions plus originales et plus neutres: «amour des garçons», «amour philosophique», «en être», «lesbienne», «sodomiste». Longtemps, il n’y eut aucun mot pour désigner l’hétérosexualité masculine; puis, à la fin du XVIe siècle, apparaissent des expressions telles que «amour des femmes» ou «goût des femmes», qui traduisent une reconnaissance de l’hétérosexualité par le milieu homosexuel ou qui désignent celle-ci comme étant en opposition avec l’homosexualité. Dès cette époque, la minorité statistique des amoureux de personnes du même sexe se trouve compensée par l’existence de cette symétrie linguistique, dont la revendication homosexuelle ne manquera pas de faire un large usage. Avec l’expression de «troisième sexe», forgée à la fin du XVIIIe siècle et utilisée notamment par Balzac, se trouve établie, sur le modèle des genres de la langue latine, une équivalence à trois termes, où prendra sa source un séparatisme homosexuel qui sera entretenu ultérieurement par des dénominations telles que «uraniste» (de l’allemand Urning ) et «gai» (de l’américain gay ), sur la voie engagée dans les années 1860 par le magistrat allemand Ulrichs. Celui-ci soutenait l’existence, dans tous les cas d’homosexualité masculine, d’un hermaphrodisme somato-psychique – un «esprit de femme dans un corps d’homme». Sa théorie, répandue par l’emploi des mots «uraniste» et «uranisme», fut reprise en Allemagne par Hirschfeld, puis critiquée de façon définitive par Freud. Signalons enfin qu’un vocabulaire de la bisexualité est attesté depuis le début du XVIIIe siècle.
L’étude psychologique
De nombreuses études sur la psychologie homosexuelle ont été publiées depuis la Seconde Guerre mondiale, à partir de données statistiques. Mais, comme les échantillons sur lesquels reposent celles-ci étaient constitués de malades ou de détenus, ou encore de militants d’organisations homosexuelles, ils ne peuvent être considérés comme représentatifs d’une réalité qui demeure multiforme et sur laquelle le plus souvent les individus concernés gardent le secret. La question est complexe et son étude n’a pas encore atteint un niveau d’objectivité scientifique satisfaisant; ce qui semble acquis, c’est l’échec de l’hypothèse d’un déterminisme organique, génétique ou hormonal. Reste la ressource de combiner les différentes approches possibles, dont celle qui est fournie par la critique et l’histoire littéraires. Bien avant Freud, des écrivains ont exprimé la possibilité d’une homosexualité latente chez certains êtres, en particulier chez les futurs homosexuels, dont le désir serait, sous sa forme première, méconnu. Se reconnaître tel constituerait la phase initiale d’une identité homosexuelle, alors subie plus que choisie. Suivraient l’acceptation de celle-ci et la déclaration qu’on en fait à l’entourage familial ou professionnel. Il est possible, au contraire, de supposer qu’il existe au moins un élément de choix délibéré dans cette forme d’opposition aux normes familiales, ce que confirme l’emploi, pour caractériser celle-ci, de termes tels que «hérétique» ou «non-conformiste» dans la langue classique. L’acceptation est un processus souvent graduel, qui peut n’être qu’un phénomène adaptatif ou, aussi bien, correspondre à une construction de la personnalité. L’assomption de l’identité homosexuelle serait de nature psycho-sociologique; elle est, par là, analogue à un engagement politique, philosophique ou religieux, et inséparable, au stade de son achèvement, de la découverte des milieux homosexuels. Le fait que cette identité puisse disparaître, ou apparaître tardivement, phénomène que l’on a pu décrire comme une conversion, témoigne de la part de liberté dont on peut créditer l’homosexuel. Le culte voué aux images féminines idéales dans les cas d’homosexualité efféminée est, au premier abord, un paradoxe qui ne peut être levé que par l’investigation psychanalytique. Plus généralement, de même que le rapport amoureux à des individus du même sexe se rencontre chez les hétérosexuels, certaines formes de relations à l’autre sexe sont présentes dans l’homosexualité; le caractère efféminé est le plus facilement repérable, mais le moins admis socialement, et cela depuis Aristophane. Sartre a étendu à tous les homosexuels le tempérament féminin, que Proust décrivait chez certains d’entre eux, pour lui les plus intéressants. Le problème ainsi posé revient à une pétition de principe qui consiste à supposer que le désir pour un homme ne peut émaner que d’une femme.
Le milieu homosexuel étant presque complètement caché à la société hétérosexuelle, l’adolescent qui s’oriente vers l’homosexualité souffre d’une absence de modèles concrets; on peut lui supposer une inclination à l’originalité. Par la suite, le secret dans lequel on se tient souvent face à l’entourage est compensé par le contact avec le milieu homosexuel, situation qui, souvent dramatisée à l’excès, n’est pas plus difficile à vivre que celle d’un homme marié ayant une maîtresse ou d’un célibataire fréquentant les prostituées. L’aveu n’est, d’ailleurs, pas forcément le signe d’une libération; celle-ci résiderait plutôt dans l’évitement simultané de l’exhibitionnisme et de la dissimulation.
La brièveté et la multiplicité des relations homosexuelles, chez l’homme, ont été attribuées à l’opprobre social qui rendrait difficiles des liaisons longues, non anonymes. Toutefois, cette promiscuité, caractérisée par un échange verbal réduit et une absence de tendresse, ne se retrouve pas dans le lesbianisme ; des caractéristiques spécifiques de la sexualité masculine sont donc aussi en cause ici. D’une façon générale, la capacité d’amour est la même que dans l’hétérosexualité; les couples stables sont moins rares qu’on ne pourrait le penser; le partage entre rôle masculin et rôle féminin y est moins tranché que dans l’hétérosexualité. En ce qui concerne la spécificité des choix d’objets, on peut dire que la gérontophilie est exceptionnelle et la pédérastie minoritaire. La bisexualité est relativement fréquente, même dans le mariage, qui est souvent dû, dans ce cas, à des conseils extérieurs, la future épouse n’étant pas mise dans le secret.
La revendication homosexuelle
À l’époque où Racine constatait que le Banquet de Platon faisait l’apologie de l’amour des garçons, on connaissait plusieurs textes grecs mettant en scène la polémique entre les défenseurs de l’amour des femmes et leurs antagonistes, et quelques poésies françaises agitant la querelle du lesbianisme. Pendant la Révolution française, plusieurs descriptions satiriques de groupes homosexuels ont été publiées, mais l’existence de tels groupes n’est pas encore établie avec certitude.
Une forme militante est apparue en Allemagne dans les années 1860 avec les publications d’Ulrichs. Cet auteur, qui prônait la thèse de l’innéité, revendiquait la liberté et l’égalité pour une minorité opprimée, qu’il assimilait aux minorités religieuses; il s’attira immédiatement les sarcasmes d’Engels. Ses idées furent reprises par Hirschfeld et le premier mouvement homosexuel allemand (1897-1933). Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les États-Unis et plusieurs pays européens verront s’organiser des mouvements homosexuels, favorisés par le retentissement des rapports Kinsey (1948 et 1953) et par la laïcisation de la morale sexuelle, notamment avec les progrès de la contraception. Ce développement a pris une dimension politique, lorsque le mouvement homosexuel tenta de se modeler, à la fin des années 1960, sur le féminisme et sur les luttes de libération nationale, comme ce fut le cas avec le Gay Liberation Front de New York en 1969 et avec le Front homosexuel d’action révolutionnaire à Paris en 1971. Ces groupes d’inspiration marxiste ont transposé l’analyse de classe à l’organisation sociale de la sexualité, qui serait un reflet des rapports de production capitalistes. L’homosexualité révolutionnaire qu’ils défendent, et dont un des paradoxes est de ne se manifester que dans le monde libre, apparaît de plus en plus contestable. Les progrès du mouvement réformiste contemporain, qui s’inscrit dans la continuité de l’expression homosexuelle littéraire, sont plus significatifs; cette tendance semble avoir réussi à modifier l’attitude de l’opinion publique et à faire que le dernier des préjugés, comme disait Verlaine, soit en régression. En plus de ses clivages politiques ou religieux, le mouvement homosexuel est divisé sur l’attitude à adopter vis-à-vis des sado-masochistes et des pédophiles; il retrouve son unité en refusant tout traitement médical et toute distinction discriminatoire dans l’âge de la majorité sexuelle. Une association internationale intervient auprès d’instances telles que le Conseil de l’Europe ou l’Organisation mondiale de la santé; elle essaye aussi d’améliorer le sort des homosexuels des pays communistes.
La conception moderne des droits de l’homme, qui tend à garantir la liberté sexuelle au même titre que les libertés politique ou religieuse, donne satisfaction, pour l’essentiel, à ces revendications.
2. L’homosexualité et la psychanalyse
L’homosexualité paraît moins un «vice» de la nature qu’une manifestation de vérité sur les malfaçons que peut souffrir l’accès régulier à la sexualité de l’être parlant. Elle illustre à sa manière, en effet, ce moment originel où la fixation libidinale se fait, à l’âge de l’enfant, sur une image que ne distingue aucun autre trait que d’être «homo», image semblable quoique latéralement inversée par le miroir. L’image de soi va être, dès lors, le prototype des objets pouvant provoquer une attraction sexuelle, et la question nouvelle qui surgit est celle du repérage de la crise psychique qui provoque ordinairement son délaissement au profit d’une image hétérosexuée. Une telle disposition est parfaitement étrangère aux règles de l’éthologie animale, la reconnaissance du partenaire sexuel se fixant, chez l’animal, à un âge également précoce, mais grâce à des signes généralement très différenciés de ceux de sa propre image. Mais, chez l’être parlant, le narcissisme se trouve à l’origine de la relation libidinale et entretient une tension nostalgique, dévalorisatrice à l’égard des substituts à venir.
La crise qui cause de telles substitutions a été repérée dès 1900 par Freud comme étant celle de l’œdipe et, dès le départ, l’accent fut ainsi porté sur cet accès à la sexualité assez original, voire unique en biologie, pour passer par un abandon de l’objet désiré. Mais il fallut à Freud la tardive élaboration de sa psychologie collective (1920), et sans doute l’épreuve qu’il dut subir de la part de ses élèves, pour que l’amour de soi pût lui paraître prévalent sur celui de l’objet ou, dans le meilleur des cas, creuser son lit.
L’homosexualité, au moins chez le mâle, peut apparaître ainsi comme la vérité d’une relation hétérosexuée dont les partenaires n’ont plus valeur que de semblants. Ordinairement sublimée, elle entretient les plaisirs de la camaraderie, la vie en groupe, le club, voire un goût pour l’humanisme.
Genèse structurale de l’homosexualité masculine
Comment l’homosexualité peut-elle, dans certains cas, prendre le dessus? Disons net qu’elle n’est pas réponse à une quête métaphysique et que la passion de la vérité sait, en général, respecter les pudeurs ou rester sans conséquence. Certes, les contributions d’écrivains homosexuels de talent semblent contrarier cette assertion, et leur irrespect, leur penchant à la démystification entretenir activement cette quête de l’authenticité qui agite notre temps. On verra plus loin les limites de cette aspiration. Mais, quoi qu’il en soit, et pas plus que les autres identifications sexuelles, l’«homo» n’est l’effet d’un choix éthique. Inconscientes, comme on sait, ses déterminations relèvent d’une «typicité» aujourd’hui assez bien établie.
Les autobiographies s’y réfèrent sans fard et racontent, pour s’en féliciter ou s’en plaindre, une disposition œdipienne. Débonnaire ou terrifiant, pantouflard ou galant, voire absent du foyer dès l’origine, le père réel, le géniteur, tient néanmoins une place centrale. Chacune de ses figures se trouve, en effet, régulièrement désavouée et condamnée sans jamais trouver grâce. Cette haine fait partie du message, explicite ou non, que le petit garçon reçoit de sa mère et qui ne concerne le père réel que par procuration, s’il est vrai que c’est le père symbolique qui, à travers lui, est visé: celui dont la figure, écrit Lacan, s’identifie, depuis l’orée des temps historiques, avec la Loi, et à l’égard duquel une femme nourrit volontiers un grief essentiel puisqu’il semble la dispenser de la castration et, du même coup, de la reconnaissance. Mère, elle attend de son fils adoubé chevalier une vengeance décisive contre l’instance assez injuste pour la faire servante et assez absurde pour, notamment, séparer une mère de son produit.
L’élection ainsi faite par celle-ci de son garçon et le désinvestissement fréquent de la fille en disent long sur la secrète identification maternelle; il apparaîtra clairement, en effet, que son produit mâle réalise son idéal, la représente pour cette vie à venir pleine de revanche, où, dûment armé cette fois et bien fait à la ressemblance de ce père idéal coupable d’un amour restrictif pour les garçons, il peut le bafouer en menant à son terme cette restriction même.
Assurément, l’amour de cette mère n’est pas moins identiquement restrictif, puisque comme celui du père il se réserve également au mâle et répète une exclusion de la fille; mais il privilégie ce mâle-là, parce qu’il campe sur des positions féminines, c’est-à-dire relève d’un ordre logique, celui de l’Autre, qui ignore la finitude. C’est là une façon de triompher de la malfaçon paternelle originelle en montrant l’efficace d’une genèse où la créature Autre n’est pas moins virile, sans rien devoir pourtant à la castration.
Une compétition est ainsi engagée entre cette mère et le père symbolique quant à la faculté de créer un homme véritable ; le défi de la mère est donc de le faire seule, de sorte que lui soit épargnée cette condition malheureuse et faussement absolue qu’est la castration. Le bénéfice est multiple, puisque cette réussite supplée l’incapacité de ce père à fonder la femme, situe la mère comme détentrice de l’objet significatif, tente de subvertir la catégorie de l’Autre au profit d’un ensemble unique constitué désormais de semblables.
Le devenir de l’homosexuel mâle est ainsi réglé par le message qu’il reçoit de cet Autre ici incarné par sa mère, et dont il lui suffit de retourner l’adresse, faire de l’impératif de son «tu» son «je» pour entendre sa propre parole, venue, dans sa bouche, le déterminer. Cette intimité indissociable qui les lie semble soutenue par la face unique d’une bande de Mœbius où le sous-entendu de l’un commande immanquablement l’explicite articulé par l’autre, dans un mouvement de parfaite réversion. Ce duo qui se résout en un, comme deux corps réunis de part et d’autre d’une unique peau (fait clinique que nous avons introduit avec le concept de mur mitoyen ), sera le prototype exigé des relations amoureuses à venir et leur donne un style paranoïaque caractéristique, puisqu’un mouvement de l’un suffit pour agiter l’autre.
La relation au phallus
Ce mouvement et cette agitation ne sont pas quelconques ni désordonnés, puisque le premier moteur immobile et parfait qui les déclenche et les entretient est intuitivement connu: il s’agit bien du phallus.
La question maintenant posée est de montrer comment il prend cette importance réelle dans l’homosexualité. Il peut paraître surgir, en effet, de façon paradoxale si l’on considère que, dans la règle, afin de faire prévaloir l’ordre de l’amour et l’économie du don par rapport au conflit et à la dette, son signifiant est banni du discours maternel. Mais, d’être ainsi explicitement refoulé du propos de la mère, il en devient l’élément organisateur manifeste, c’est-à-dire qu’il ne laisse pas subsister la moindre énigme quant à ce qui en soutient la signifiance. Ainsi, à l’Urverdrängung («refoulement originaire») et au suspens qu’il entretient communément dans la signification, le pari maternel substitue en toute clarté le signifiant interdit et voue, dès lors, la parole du fils à une singulière transparence: puisque, dans ce cas, le signifiant représente l’objet (proscrit) pour un autre signifiant et en devient le signe.
Il convient de souligner, en effet, la particularité du fantasme pervers, qui, de présentifier l’objet en toute clarté et sans rémission, induit une éclipse du sujet et, du même coup, se défait au profit de la pulsion. Cette particularité du fantasme chez le pervers est sensible dès son propos qui ne peut s’adresser à un autre qu’en l’invitant au partage exalté de l’objet ainsi célébré, prosélytisme qui n’est que l’effet d’une contrainte.
Nous sommes ainsi conduits à proposer une formule générale du fantasme pervers: organisé par un signifiant explicitement refoulé dans l’Autre et désignant sans ambiguïté l’objet cause d’un désir que le sujet ne peut soutenir qu’en s’abolissant, d’où la pulsion.
La chaîne signifiante est tendue et vectorisée par l’impératif catégorique d’une signification absolue, et la réalisation du désir ne peut s’accomplir qu’avec la saisie, idéalement manuelle donc, de l’objet causal situé maintenant au foyer lumineux d’une irrésistible gravitation. Dans cette chaîne, la métaphore risque d’être rare, du fait de la carence apparente du non-sens; et, pour la même raison, l’humour. La métonymie est, par contre, privilégiée avec un souci réaliste qui culmine dans le dévoilement cru de l’objet, proposé comme ultime vérité. Cette vérité est provocatrice pourtant, car défensive contre le non-sens, pas moins perçu dans l’Autre, qu’il n’y a pas de rapport sexuel par exemple, et qui fait que l’exaltation de la mainmise masque surtout l’angoisse.
La clinique de l’homosexualité, bêtement logicienne, se déduit de sa structure. C’est ainsi que le signifiant refoulé dans l’instance maternelle Autre se distinguera toujours de l’Urverdrängung , parce que celle-ci se fonde sur la Loi prescrite par le père symbolique, alors que le refoulement maternel ne relève que du caprice. Qu’il reste ainsi à jamais infondé expose à douter en permanence de la présence de l’instrument, qui devrait pourtant être le garant même de la certitude, et à vérifier sans cesse une présence toujours portée à s’évanouir. Nombre de conduites homosexuelles, provocatrices, tel le souci de se faire publiquement reconnaître, ou bien impulsives, comme celles qui consistent simplement à tourner autour de tel lieu malodorant consacré ou à fréquenter des clubs spécialisés sans passer à l’acte, s’imposent comme effets de ce besoin de vérification.
Assurément, le sentiment de la dette existe puisque la présence du signifiant privilégié dans l’Autre se raconte d’après le mythe d’un sacrifice, d’une privation, d’un renoncement volontaire que la mère aurait consentis pour faire donation à son fils. Ainsi s’expliquent l’intolérance à une vie sexuelle de la mère, ressentie comme une véritable trahison, parce qu’incompatible avec le mythe, mais aussi, en retour, ce sentiment de devoir accomplir pour elle le vœu auquel elle a sacrifié: être d’une perfection assez remarquable et remarquée pour réaliser son idéal et représenter le surhomme, épargné par la castration.
De telles prémisses entraînent que la sainteté de la mère fait la perversion du fils. Dans cet ordre, avec le refoulement, l’interdit, certes, est en place; mais c’est un interdit pour rire, qui ne résiste pas aux exigences de l’amour.
Si l’objet a bien disparu et si cette perte garantit la signifiance de la chaîne verbale, sa résurgence triomphante est toujours possible et même nécessaire puisqu’elle témoigne alors qu’il ne se protège d’aucune limite formellement établie. La catégorie de l’impossible ne saurait ici valoir, pas plus que celle de l’Autre, puisque l’objet à retrouver est celui-là même qui était connu depuis toujours, et seulement mis à gauche.
On retiendra encore que ce jeu de cache-cache propre à la mère semble bien ce qui, dans tous les cas , spécifie son être: ce rapport en éclipse qu’elle institue avec les objets dits «prégénitaux» (sein, fèces, par exemple) entre aisément en concurrence avec l’impératif paternel qui tranchera éventuellement en faveur de leur perte définitive.
La position éthique de la mère peut ne pas paraître infondée si l’on considère que la jouissance qu’elle aménage est parfaite puisqu’elle est celle-là même de l’objet et non d’un semblant, et ce grâce à un fantasme porteur de l’évanouissement du sujet: «plus de jouir», tel que Lacan en a introduit le concept. Mais elle pèche manifestement, par contre, avec son exigence d’une idéalisation qui, réalisable seulement par le renoncement au sexe, voue dès lors son fils à la contradiction d’une sexualité exigée et pourtant honteuse vis-à-vis d’elle; encore qu’elle soit, bien entendu, parfaitement avertie et sache, complice bienveillante ou charitable pour l’imperfection qu’il y a à désirer autre que soi, fermer les yeux.
Particularités cliniques
Le lien à l’Autre ainsi noué définitivement par ce mécanisme de l’éclipse rend compte de la valeur de modèle qu’a prise la relation mèreils pour les relations amoureuses à venir, et aussi de la place centrale que la mère ne manquera jamais de se voir réserver dans l’économie de son enfant: aucune des rencontres à venir ne pourra égaler la perfection de leur duo, qui laisse la nostalgie d’un amour réussi. Au point que le couple homosexuel pourra se trouver obsédé par l’impossibilité d’avoir une progéniture qui lui permette de répéter plus fidèlement encore l’investissement initial.
On a vu que cette démarche était soutenue par la révocation du père symbolique et de l’injustice qu’il promeut. Notons qu’une référence fréquente se maintient pourtant avec le père imaginaire , dans la mesure où celui-ci n’est pas marqué par la castration, et que, avec l’androgynie qui le particularise, il serait l’inspirateur de cet ordre nouveau dont la mère s’est faite le soldat.
Avec sa célébration, voire l’amour qu’enseigne pour lui une religion révélée, alors que le père réel reste définitivement déchu, se bouclent les modalités de la relation au père telles qu’elles organisèrent, chez la mère, son combat. Et cet Autre maternel, organisé en défense contre les méfaits du père symbolique, paraît avoir l’avantage de rendre compte directement des particularités cliniques de l’homosexualité mâle, qui sont les suivantes:
1. la résurgence de la phase du miroir dans une relation au partenaire dont sont attendues une fusion et une réciprocité qui permettent de s’aimer presque parfaitement dans l’autre et de jouir de soi-même;
2. l’ambivalence affective extrême à l’égard du partenaire, la haine venant rappeler qu’il ne saurait parfaitement tenir lieu de l’objet primordial – maternel – néanmoins perdu;
3. la fréquence d’une dissociation complète entre l’objet d’amour idéalisé et celui de la jouissance perverse, ces traits rappelant le conflit, toujours aigu dans l’homosexualité, entre l’exigence, en ce qui concerne le partenaire, d’une similitude parfaite et celle, néanmoins, d’une altérité qui entretienne le désir;
4. le défaut d’une garantie symbolique, entretenant l’angoisse d’une éclipse définitive de l’objet (d’où le désir d’une sanction, d’un châtiment corporel assez décisif pour faire marque: ici surgit la figure érotique du «vieux monsieur»);
5. la fragilité de l’imaginaire qui contribue à donner valeur de témoin, de scansion, de progrès à l’objet fétiche, support d’une permanence toujours apte à la saisie;
6. l’envahissement par la signification phallique qui contribue à entretenir une distinction pouvant être poussée jusqu’à la parodie des imagos mâle et femelle; plutôt que d’une différence de structure entre l’une et l’autre, il s’agit surtout de jeux de rôles, distincts mais fréquemment interchangeables, entre participants d’un même ensemble interprétant un scénario unique à la gloire du phallus ; la «folle» y participe, montrant que tout peut s’en dire; on peut évoquer encore ces mères qui ont amené leur garçon à investir l’image d’une petite fille, idéale d’être aussi bien la représentante du phallus; les rôles restent interchangeables, même si l’emporte l’estime accordée au héros viril;
7. l’importance instrumentale de la main, puisque le pénis réel permet un contact (mais peu spécifique) et non la saisie.
L’homosexualité féminine
L’homosexualité féminine est différente, car elle prend beaucoup moins son inspiration dans l’Autre maternel. À ce titre, elle peut paraître beaucoup plus audacieuse, si c’est de sa propre autorité qu’elle se décide et si la mère est moins là celle qui émet le message que son destinataire.
Chevalier au service de celle-ci, dans une position de rivalité avec le père ou l’homme au foyer, la fille, en effet, va montrer qu’elle est plus apte que lui à assurer le bonheur d’une femme; sans doute à cause du dépit que lui cause la castration de ce père incapable d’assurer la légitimation de sa fille (en lui donnant un enfant, par exemple), elle s’appuie sur sa position féminine, c’est-à-dire imaginée non castrée, pour démontrer qu’elle peut être à la fois plus virile et plus aimante que lui.
Un style garçonnier dès lors se dégage, qui désarçonnera définitivement (puisque ce pourrait être simple coquetterie d’adolescente) les prétendants éventuels intimidés par une liberté d’action et de parole qui ébranle leur propre castration et les angoisse. À ce titre, on pourrait dire que l’homosexuelle est un garçon enfin réussi, mais dont le père a peine à se réjouir, puisque c’est en faisant qu’il soit récusé qu’elle affirme sa virilité.
Là encore, on est surpris par le caractère aléatoire ou contingent de l’instrument puisque peuvent suffire pour assurer la satisfaction une allure virile et un simulacre de pénétration, à défaut d’un postiche.
L’envie du pénis, bien que déniée, reste néanmoins nostalgie plus ou moins secrète. Aussi l’image virile est-elle, là encore, privilégiée, et on notera qu’il n’y a pas ici de «folles», les transsexuelles mises à part.
La relation au phallus imaginaire est encore ici centrale, mais à partir d’une disposition née d’une compétition proprement œdipienne avec le père et qui se conclut non sur le renoncement, mais sur l’affectation d’un triomphe narcissique. Cependant, la différence de structure avec l’homosexualité mâle explique pourquoi le pénis, s’il est narcissiquement investi, ne l’est pas comme objet, outre qu’il reste évocateur d’une déception. On ne pourrait donc dire que le fantasme de l’homosexuelle est pervers, puisqu’il est vrai que la mère, laissée à un autre, constitue bien l’objet perdu.
Si perversion il y a pourtant, elle tient moins à une spécificité de l’objet qu’à l’accomplissement narcissique dont, pour le sujet, il est l’occasion et qui est le véritable objet du fantasme: la femme aimée n’est ainsi que la circonstance occasionnelle d’une réalisation de l’image virile narcissiquement investie et qui est, pour elles deux, l’enjeu véritable de la relation. Il n’est pas rare que, l’âge venant, cette image soit plus difficile à faire valoir et que sa défection produise une crise de dépersonnalisation ou de phobie.
On voit la différence essentielle avec le transsexuel, qui semble n’attribuer de valeur phallique qu’à la position féminine; dans son cas, l’attribut pénien peut être éprouvé comme erreur de la nature, comme infirmité qu’il reviendrait à la chirurgie de réparer.
Les couples d’homosexuelles connaissent les mêmes difficultés que celles des couples d’homosexuels mâles, s’il est vrai que le défaut d’une légitimation par un père symbolique fait resurgir de façon persécutrice le moindre défaut de la relation comme stigmate de la castration, dont il s’agissait pourtant de se défaire.
Mais, à côté de ces liaisons instables, tumultueuses, voire paranoïaques, fonctionnent des couples fixés et qui mènent une existence parfaitement bourgeoise, c’est-à-dire respectueuse des valeurs consacrées.
Notre époque se montre heureusement plus libérale à l’égard de l’homosexualité, et celle-ci semble de plus en plus socialement acceptée. Il est vrai que l’homosexuel n’a pas choisi son destin et que les mêmes forces qui ailleurs conduisent à l’hétérosexualité se sont trouvées révéler ici au sujet, à sa profonde surprise parfois et sans qu’il y puisse mais, qu’il était d’un autre bord. Seule la religion peut condamner à l’opprobre ou à l’exclusion.
Cela posé, un jugement éthique paraît possible, qui partirait moins du besoin général de réassurance narcissique induit par une sexualité différente et que nous formulerions à partir de cette question: l’homosexualité donne-t-elle au sujet plus de liberté à l’égard de cet ordre du langage qui, par le biais de l’inconscient, nous détermine? On ne peut répondre que par la négative. La perversion est un système de contraintes et de dépendances plus astreignant encore que celui qu’elle récuse pour son insuffisance, son prosaïsme ou sa bêtise. C’est pourquoi on ne peut considérer que la perversion homosexuelle soit porteuse d’émancipation, un envahissement par l’ordre phallique paraissant avoir des incidences essentiellement conservatrices, même s’il s’oppose au mauvais goût établi.
homosexualité [ ɔmɔsɛksɥalite ] n. f.
• 1891; de homosexuel
♦ Tendance, conduite des homosexuels. Homosexualité masculine. ⇒ inversion, pédérastie, uranisme. Homosexualité féminine. ⇒ lesbianisme, saphisme.
● homosexualité nom féminin Déviation du désir vers le même sexe, tant dans les fantasmes que dans la relation corporelle. ● homosexualité (citations) nom féminin Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Il n'y avait pas d'anormaux quand l'homosexualité était la norme. À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe Gallimard ● homosexualité (synonymes) nom féminin Déviation du désir vers le même sexe, tant dans les...
Contraires :
- hétérosexualité
homosexualité
n. f. Sexualité des homosexuels.
⇒HOMOSEXUALITÉ, subst. fém.
Comportement sexuel caractérisé par l'attirance, exclusive ou occasionnelle, d'un individu pour un individu du même sexe. Synon. inversion (sexuelle); synon. partiels lesbianisme, pédérastie, pédophilie, saphisme, tribadisme, uranisme; anton. hétérosexualité. Ainsi naît l'homosexualité. Si celle-ci comporte des prédispositions congénitales, elle est loin d'être fatale, et des éducations absurdes en portent souvent la responsabilité (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 151). Parmi les termes les plus ambigus de la psychanalyse il faut ranger l'homosexualité. Elle est et n'est pas ce qu'on pense. Il n'y a pas de limite rigide : ici normal, un peu plus loin anormal. Souvent ce qu'on nomme homosexualité latente est ignoré du sujet lui-même (CHOISY, Psychanal., 1950, p. 80) :
• ... un certain immobilisme social, dans un régime patriarcal, en obligeant l'individu à réprimer son agressivité et à chercher les faveurs du père ou du suzerain à force de soumission, engendre des traits culturels aussi divers que la pratique de l'homosexualité, la croyance que la maladie est due au péché, ou le formalisme dans les rites magiques.
Traité sociol., 1968, p. 399.
Prononc. : []. Étymol. et Hist. 1891 (Dr CHATELAIN ds Annales médico-psychol., t. 14, p. 330). Prob. empr. à l'all. Homosexualität (dep. 1869, texte anonyme attribué à K. Kertbeny [pseudonyme de K.M. Benkert], d'apr. J.-C. Féray ds Arcadie n° 325, p. 12 et p. 19, note 4), comp. de l'élém. formant homo- (homo-) et de Sexualität (sexualité). Fréq. abs. littér. : 34. Bbg. FÉRAY (J.-C.). Une Histoire critique du mot homosexualité. Arcadie, 1981, n° 326, pp. 115-124, n° 327, pp. 171-181, n° 328, pp. 246-258.
homosexualité [ɔmɔsɛksɥalite; omosɛksɥalite] n. f.
ÉTYM. 1891, cit. 1; de homosexuel.
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♦ Tendance, conduite des homosexuels (opposé à hétérosexualité). ⇒ Homophilie, inversion (sexuelle). || Homosexualité masculine. ⇒ Pédérastie. || Homosexualité féminine. ⇒ Saphisme, tribadisme. || Homosexualité et sodomie. ⇒ Uranisme.
1 L'individu n'a de goût que pour son propre sexe : inversion de l'instinct génital, homosexualité congénitale ou acquise.
Dr Chatelain, Annales médico-psychologiques, t. XIV, sept. 1891, p. 330.
2 (…) l'homosexualité, tout comme l'hétérosexualité, comporte tous les degrés, toutes les nuances : du platonisme à la salacité, de l'abnégation au sadisme, de la santé joyeuse à la morosité, de la simple expansion à tous les raffinements du vice. L'inversion n'en est qu'une annexe. De plus tous les intermédiaires existent entre l'exclusive homosexualité et l'hétérosexualité exclusive.
Gide, Corydon, Premier dialogue, III.
3 Il ne vivait pas du tout son homosexualité comme le font la plupart, désormais, de façon triomphante, agressive, militante, dure, prononcée… L'obscénité en vitrine… Boîtes sado-maso, valse du cuir… Torses, poils, muscles, piscines d'argile, mer gluante…
Ph. Sollers, Femmes, p. 131.
Encyclopédie Universelle. 2012.