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HUMUS
HUMUS

L’humus est la matière organique transformée par voie biologique et chimique et incorporée à la fraction minérale du sol, avec laquelle elle contracte des liens physico-chimiques plus ou moins étroits. Par extension, le mot «humus» désigne l’ensemble de la matière organique du sol, y compris les résidus d’origine végétale, peu transformés et incomplètement incorporés au sol minéral: c’est dans cette seconde acception qu’on parle de «type d’humus» ou d’«humus forestier», ce terme désignant l’ensemble des horizons de surface du sol, colorés par la matière organique.

Les caractères morphologiques qui sont à la base de la classification des types d’humus traduisent les deux processus antagonistes d’évolution de la matière organique dans le sol: la minéralisation, ou décomposition rapide de la matière organique fraîche avec libération de composés minéraux; l’humification, ou élaboration plus lente, à partir de certains de ces composés minéraux et de la matière organique non encore minéralisée, de «composés humiques» résistant à l’action microbienne.

Les fonctions de l’humus sont multiples, et elles jouent un grand rôle dans les propriétés physico-chimiques des sols, qu’ils soient agricoles ou forestiers: l’humus est le support biologique fondamental qui fait du sol un milieu vivant et assure sa fertilité.

1. La matière organique du sol et son évolution

D’après la définition qui précède, le mot «humus» désigne, dans son sens le plus étroit, la fraction de la matière organique du sol qui a subi une transformation plus ou moins rapide, d’origine biologique et aussi physico-chimique; il s’agit essentiellement de composés colloïdaux, généralement hydrophiles et de couleur foncée, qui ne montrent plus, à l’œil ou au microscope, la structure organisée de la matière végétale originelle. Ces «composés humiques» – c’est ainsi qu’on les désignera pour éviter toute confusion – contractent avec les éléments minéraux fins du sol (argiles et gels minéraux) des liaisons étroites par l’intermédiaire d’ions à charge positive dits «cations de liaison» (fer, aluminium). Ces liens physico-chimiques ont pour effet de «stabiliser» les composés humiques et de ralentir leur décomposition par voie microbienne.

Au sens le plus large du terme, qui désigne l’ensemble des horizons organiques, l’humus comporte également une proportion variable de débris organiques originels (le plus souvent d’origine végétale); à l’inverse des composés humiques, cette matière organique fraîche se décompose rapidement, en milieu biologiquement actif, en libérant une forte proportion de composés minéraux plus ou moins solubles ou gazeux (ammoniac se transformant par nitrification en nitrates, phosphates, sulfates, gaz carbonique), d’où le terme de minéralisation employé souvent pour désigner cette phase de la décomposition. Une autre partie de la matière première végétale se transforme par voie microbienne, s’enrichit par «réorganisation» de certains des composés minéraux simples précédemment libérés (azote, soufre, phosphore), et donne ainsi naissance aux composés humiques qui, étant plus résistants à l’action microbienne, s’accumulent à la partie supérieure du profil, jusqu’à ce qu’un équilibre s’établisse entre le rythme de leur formation et celui de leur décomposition annuelles: ce deuxième aspect de l’évolution de la matière organique est désigné par le terme d’humification.

Évolution de la matière organique du sol

En fait, l’évolution de la matière organique fraîche qui donne naissance à l’humus ne se poursuit pas de la même façon selon qu’on se trouve en présence d’un sol à végétation permanente (forêt, steppe, pelouse) ou d’un sol cultivé.

Dans les sols à végétation permanente , on observe une stratification caractéristique des horizons humifères, visible surtout sous forêt, les débris organiques les moins transformés se trouvant à la surface (litière ou horizon AoL, composée de débris à structure organisée), et les composés humiques les plus transformés, en proportion de plus en plus grande vers la profondeur: ils constituent l’essentiel de la matière organique des horizons A1 (ou Ah), constitués par un mélange intime de composés humiques et d’éléments minéraux.

Sous végétation herbacée , où dominent les Graminées (steppe, prairie, pelouse), cette stratification est déjà moins nette, car la plus grande partie de la matière organique fraîche qui s’incorpore annuellement au sol provient non de la litière superficielle, mais de la décomposition interne, sur place, des racines.

Dans les sols régulièrement travaillés (culture), la distinction entre les deux types de matière organique devient pratiquement impossible. La matière organique originelle est incorporée mécaniquement, sous forme de fumier de ferme, amendements organiques ou débris de récolte; sa décomposition est généralement accélérée par le travail du sol qui donne un «coup de fouet» à l’activité biologique: 60 à 70 p. 100 de la masse d’un amendement organique facilement décomposable disparaît en deux ans par minéralisation très rapide; en même temps, certains composés transitoires intermédiaires prennent naissance (polysaccharides et polyuronides de synthèse microbienne), mais ils se décomposent encore assez vite (G. Monnier, 1963). Il ne reste finalement dans le sol que les composés humiques les plus stables (acides humiques), qui se décomposent très lentement (1 à 2 p. 100 par an; S. Hénin et J. Dupuis, 1945).

Enfin, il faut faire une place à part aux types d’humus qui se forment en conditions écologiques défavorables (végétation dite acidifiante, résineux, bruyères, climat humide et froid, enfin milieu pédologique pauvre en argiles, minéraux altérables, ou mal aéré). Dans ces conditions défavorables, la matière première se minéralise et s’humifie très lentement. Sous la litière de débris frais se forme un horizon particulier (horizon Ao), composé de débris végétaux incomplètement transformés, à trame cellulaire encore visible, au moins à la partie supérieure; cette couche organique est incomplètement incorporée aux horizons minéraux; quand elle est très épaisse (10 à 20 cm), elle se superpose au sol minéral sans qu’aucun mélange ne se produise (humus brut ou mor , ou encore, en langage courant, «terre de bruyère»).

Biochimie de l’humus

Il est très difficile de séparer, à l’aide de réactifs chimiques notamment, la matière organique incomplètement transformée des composés humiques de néoformation microbienne, ce qui permettrait de définir un «taux d’humification» de la matière organique du sol. On a longtemps utilisé la soude, en solution décinormale, mais ce réactif n’extrait pas tous les composés humiques (notamment dans les sols calcaires), alors qu’au contraire il solubilise une partie de la matière organique fraîche par un phénomène d’oxydation. On remplace maintenant la soude par d’autres réactifs tels que le pyrophosphate de sodium à un dixième de mole par litre, mais l’extraction, là encore, n’est pas complète. Dans certaines méthodes modernes, on fait appel à une combinaison de plusieurs procédés physiques (densimétrie, tamisage à l’eau, ultrasons, centrifugation, électrophorèse) et chimiques (pyrophosphate), mais ces procédés, longs et délicats, ne peuvent être mis en œuvre que dans les laboratoires de recherche.

Les composés extraits par les réactifs alcalins sont généralement fractionnés en deux parties, l’une précipitable par H2S4 à pH 1 (acide humique ), l’autre non précipitable (acide fulvique ). On a désigné par le terme d’humine la fraction non extractible par ces procédés et pourtant transformée biologiquement, donc distincte de la matière première; mais cette fraction, mal connue puisqu’on ne peut l’isoler, est en fait un mélange hétérogène de composés de natures très diverses, certains étant encore relativement proches de la matière première végétale, d’autres étant au contraire plus transformés encore que les acides fulviques (AF) et humiques (AH). Ces derniers, qui ont pu être isolés et purifiés, ont fait l’objet d’études approfondies, et on connaît mieux actuellement leur structure physico-chimique et leur mode de formation. On les classe en général en fonction de leur degré de solubilité décroissante (dans l’eau d’abord, puis dans les réactifs alcalins), qui traduit bien le degré de «polymérisation», et aussi la perte progressive des groupements fonctionnels; l’ensemble des composés humiques extractibles (AF et AH) et une partie de l’humine (l’humine «insolubilisée» ou «néoformée») offrent en effet une structure homogène et sont formés de «matériaux de base» semblables: polyphénols, acides phénols, semi-quinones, qui s’assemblent en un «noyau» plus ou moins condensé et grossièrement sphérique, entouré de chaînes aliphatiques (essentiellement peptides, également saccharides), plus ou moins ramifiées et repliées sur elles-mêmes; d’abord solubles, ces «précurseurs» prennent naissance au cours de la décomposition des litières: sous l’influence des composés minéraux les plus actifs contenus dans le sol (oxyhydroxydes d’aluminium et de fer en milieu acide, CaC3 en milieu calcaire), et des enzymes oxydants d’origine microbienne, ces composés s’insolubilisent et se polymérisent progressivement:

Il faut noter que l’importance du noyau aromatique condensé augmente au détriment des chaînes aliphatiques lorsqu’on progresse des AF vers l’humine.

En fait, chaque catégorie peut être subdivisée en sous-catégories:

– AF: AF libres , à petites molécules, souvent mobiles, extraits facilement dans une solution faiblement acide (Tiurin, 1951); AF liés aux acides humiques , à molécules plus grosses, extraits par les réactifs alcalins en même temps que les AH;

– AH: acides humiques bruns , peu colorés, à molécules moyennes, riches en groupements fonctionnels, liés à la matière minérale par les ions Al et Fe; acides humiques gris , très foncés, presque noirs, à grosses molécules, pauvres en groupements fonctionnels, très étroitement liés à la matière minérale; humine néoformée (non extractible aux réactifs alcalins): comporte aussi deux formes, l’une à évolution rapide, qui apparaît dans les milieux où les oxyhydroxydes de fer actifs (liés aux argiles) sont abondants (humus des sols bruns tempérés), l’autre à évolution lente, caractéristique des climats très contrastés (climats de steppe).

Cette seconde forme d’humine néoformée est associée aux acides humiques gris: ces deux types de composés résultent d’une évolution prolongée, appelée maturation, des acides humiques extractibles, lorsqu’ils sont soumis à des alternances saisonnières d’humectation et de dessiccation, et confèrent aux sols une couleur noire (chernozems); il s’agit de formes très stables, c’est-à-dire qu’elles résistent à la biodégradation microbienne, et leur âge moyen, mesuré à l’aide du 14C, est souvent de plusieurs milliers d’années; de ce fait, elles sont incorporées très profondément (action des lombrics).

À l’inverse, les formes peu polymérisées et riches en groupements fonctionnels qui dominent en climat atlantique peu contrasté (sols bruns) sont peu «stables» et facilement biodégradables; elles se renouvellent rapidement («turnover rapide») et sont peu abondantes dans les profils, qui restent peu colorés, même dans les horizons humifères A1, en général peu épais: il s’agit des AF, des AH bruns et de l’humine insolubilisée par le fer.

Une place à part doit être faite aux «humines jeunes», dont l’origine est bien différente, et qui, encore proches de la matière vivante, ne résultent pas de processus d’insolubilisation. Nous distinguerons ainsi:

les humines microbiennes , formées de la biomasse microbienne vivante ou morte et des composés aliphatiques (saccharides, protéines) qui en dérivent; elles contractent des liens étroits avec les argiles gonflantes et semi-gonflantes; elles peuvent être «stabilisées» par pénétration entre les feuillets de ces argiles: de ce fait, elles peuvent être abondantes dans certains sols riches en ce type d’argile (chernozems, vertisols).

l’humine héritée : fragments de membranes incomplètement décomposées, dans lesquels la lignine partiellement oxydée peut contracter des liaisons peu stables avec les argiles; cette humine héritée est résistante à la biodégradation et s’accumule dans certains humus, soit très acides (moders et mors), soit au contraire riches en calcaire actif (mulls carbonatés). Dans le premier cas, elle est «conservée» par l’acidité, qui ralentit l’activité microbienne; dans le second, elle est «stabilisée» chimiquement par la formation de pellicules de carbonate de calcium précipité, formant une véritable membrane protectrice.

Processus biologiques de l’humification

Pour l’étude de ces processus, nous comparerons deux milieux, l’un très favorable à l’activité biologique, l’autre, au contraire, peu favorable, et nous dirons ensuite quelques mots des cas intermédiaires.

– Sur les matériaux minéraux, bien pourvus en eau mais suffisamment aérés, également riches en minéraux altérables libérant en quantité suffisante les cations indispensables à l’humification (calcium, fer, aluminium), on observe généralement une végétation dite «améliorante» (ormes, frênes, aulnes, tilleuls, graminées, etc.) dont la litière, riche en azote et en composés hydrosolubles très fermentescibles, se décompose en moins d’un an.

Les lombrics sont très abondants dans un tel milieu; ils divisent la litière, entraînent les fragments en profondeur et en ingèrent une partie: ils favorisent ainsi l’activité microbienne et provoquent un contact étroit entre éléments minéraux et organiques. La plus grande partie des composés organiques, solubles ou insolubles, est minéralisée et libère dioxyde de carbone et ammoniac (susceptible de subir ensuite la «nitrification» par oxydation microbienne), mais une fraction minoritaire se transforme en composés humiques et s’associe aux argiles par les processus décrits plus haut. C’est ainsi que se forment les agrégats argilo-humiques dont il sera question dans le paragraphe suivant.

Si les composés solubles hérités des litières disparaissent ainsi très rapidement, les membranes insolubles évoluent plus lentement: la cellulose, les hémicelluloses sont hydrolysées plus rapidement que la lignine, et elles libèrent de manière progressive des glucides solubles qui s’ajoutent à ceux qui préexistaient dans les litières. Quant à la lignine, dans les milieux légèrement acides et non calcaires, elle se fragmente en «monomères» (polyphénols solubles) sous l’action des champignons de «pourriture blanche». Ces monomères, ainsi que certains tanins et des polyphénols synthétisés par les micro-organismes, s’incorporent aux noyaux des AF et des AH (Y. Dommergues et F. Mangenot, 1970).

Ces processus, essentiellement biologiques, caractérisent seuls les climats tempérés atlantiques: ils donnent naissance à des «mull forestiers», peu épais et peu colorés, à «turnover» rapide. C’est seulement en climat de steppe, très contrasté, qu’intervient la maturation décrite précédemment; l’humus est alors de couleur foncée, souvent noire, et très profondément incorporé.

Sur les sables quartzeux acides et pauvres en minéraux altérables, c’est généralement une végétation «acidifiante», à feuilles durcies, peu décomposables, qui se développe: résineux (pin, épicéa) et éricacées (bruyères); l’évolution des litières qui en résulte est alors bien différente: la transformation de la matière organique fraîche étant très lente, celle-ci s’incorpore mal au sol minéral. Un horizon Ao se constitue en surface; suivant son épaisseur, on aura affaire à un moder ou à un mor (voir classification).

La population de lombrics est remplacée par une population bien moins active, d’Enchytréides (cas des moders), voire de Collemboles, Acariens, Tardigrades (cas des mors). Ils fabriquent des boulettes fécales de 20 à 50 microns environ, contenant surtout des fragments de membranes incomplètement altérés (humine héritée ). Au sein de ces boulettes fécales, pauvres en argile, la liaison humus-argiles est beaucoup moins intime et stable que dans les agrégats du mull, fabriqués par les lombrics.

Quant aux éléments hydrosolubles libérés au cours de la décomposition des litières, ils ont souvent un effet toxique, et résistent à la biodégradation microbienne. Certains tannins condensés (catéchol des bruyères) exercent une action tannante à l’égard des protéines, dont ils bloquent la minéralisation, ce qui compromet encore davantage la nutrition azotée des plantes (Handley, 1954).

Ces composés solubles ou pseudosolubles, très résistants, sont entraînés en profondeur dans les profils, généralement très filtrants (sables), et ils exercent sur la fraction minérale une action importante qui influence l’ensemble de la pédogenèse (podzolisation).

Les cas intermédiaires concernent les feuillus sociaux (hêtre, chêne) se développant sur des matériaux minéraux présentant certains défauts (acidité, argiles de mauvaise qualité, mauvaise aération). La décomposition des litières intervient dans une période de 2 à 5 ans: l’humus formé dépend alors très étroitement du milieu minéral, et ses caractères sont intermédiaires entre ceux des deux cas précédents (mull acide et mull-moder).

Propriétés des composés humiques

Les composés humiques sont des colloïdes hydrophiles, donc très avides d’eau, en présence de laquelle ils gonflent; cependant, s’ils sont soumis à une dessiccation très accentuée, ils peuvent devenir hydrophobes et ne se réhumectent que très progressivement. Il s’agit de colloïdes «électronégatifs», dont les charges négatives sont dues à des groupements fonctionnels carboxyles ou phénoliques. Ces charges leur permettent de jouer un rôle important dans le «pouvoir absorbant» du sol à l’égard des cations. La «capacité d’échange» des colloïdes humiques, c’est-à-dire la quantité maximale de cations qu’ils peuvent absorber, est plus élevée que celle des argiles, et elle est de l’ordre de 2 à 5 milliéquivalents par gramme; précisons qu’il s’agit surtout de charges variables avec le pH, ce qui signifie que la valeur de la capacité d’échange s’accroît rapidement à mesure que le pH du milieu augmente. Les composés humiques les plus polymérisés, donc insolubles, contractent des liaisons plus ou moins solides avec les argiles par l’intermédiaire de certains des cations absorbés, Fe3+ ou Al3+ notamment; il se constitue ainsi le «complexe argilo-humique», qui forme dans le sol à bonne activité biologique de petits agrégats suffisamment stables pour résister à la dispersion par les pluies. Ces agrégats fins se rassemblent eux-mêmes en grumeaux plus gros, qui confèrent au sol une structure caractéristique. Au contraire, dans les milieux biologiquement peu actifs (humus brut), de tels agrégats ne se forment pas; les composés pseudosolubles non polymérisés l’emportent sur les formes insolubles; ces composés solubles ont la propriété de «complexer» les ions lourds, naturellement peu solubles au pH du sol (Fe3+, Al3+, Mn2+), et d’augmenter considérablement leur solubilité. La formation de ces complexes favorise donc l’entraînement de ces ions par l’eau d’infiltration (migrations), en particulier dans certains sols filtrants, acides et biologiquement très peu actifs (podzols). En outre, ces composés, en général très acides, sont «agressifs» à l’égard des constituants minéraux du sol dont ils accélèrent l’altération (altération biochimique).

2. Classification des types d’humus

La classification des types d’humus est fondée essentiellement sur les caractères morphologiques des horizons humifères de surface: incorporation et décomposition plus ou moins complète des débris végétaux frais; présence ou absence d’agrégats ou de grumeaux formés par le complexe argilo-humique (d’autant plus gros et mieux individualisés que le milieu est plus actif); épaisseur relative des horizons humifères précédemment définis L A0, A1; couleur plus ou moins foncée de ces horizons. Ces caractères traduisent assez fidèlement les deux processus antagonistes d’évolution de la matière organique antérieurement définis: minéralisation plus ou moins rapide de la matière organique fraîche (matérialisée par la disparition ou la persistance de la litière, la présence ou l’absence d’un horizon A0); humification, variant aussi quantitativement et qualitativement en fonction du degré de polymérisation et de stabilisation des composés humiques formés. Étant donné l’importance de l’économie de l’eau et de l’aération dans les processus de minéralisation et d’humification, ces facteurs ont été pris en considération de façon prioritaire dans la plupart des classifications des humus: elles séparent les humus formés en milieu mal aéré (anaérobiose), tels que les tourbes et les anmoors, dans lesquels ces processus sont souvent ralentis, des humus formés en milieu aéré, en général plus favorables à la transformation rapide des résidus végétaux par voie microbienne. Dans tous les types fondamentaux décrits, des sous-types sont en outre distingués en liaison avec le facteur acidité et aussi avec l’humidité moyenne plus ou moins importante du milieu (préfixe xéro- , milieu sec; hydro- , milieu humide).

Si les critères morphologiques priment, certains critères chimiques ou biologiques sont souvent pris aussi en considération pour caractériser les types d’humus: rapport carbone/azote (C/N) d’autant plus bas que le milieu est plus actif; taux de minéralisation de l’azote obtenu par incubation à l’étuve pendant un temps déterminé, etc.

Les types d’humus ont été désignés par des termes d’origine scandinave et leur définition a été ensuite reprise, en 1953, par W. Kubiena [cf. PÉDOLOGIE].

Humus des milieux aérés

Mull

Le mull est un humus biologiquement très actif caractérisant les milieux aérés et peu acides: la litière se décompose rapidement et il ne se forme pas d’horizon A0 intermédiaire; l’humification est active, il se forme des composés humiques abondants qui s’incorporent à la matière minérale au sein de l’horizon A1; les complexes argilo-humiques bien individualisés confèrent au sol une structure en grumeaux qui assure son aération; l’activité animale, notamment celle des lombrics, est considérable, elle joue un grand rôle dans la formation rapide du mélange matière minérale-matière organique; le rapport C/N est en général bas, inférieur à 20, voisin de 10 dans les meilleures formes.

Le mull forestier acide est peu épais; il s’observe sous forêt feuillue non dégradée par l’homme. Le mull carbonaté des sols calcaires est caractérisé par un horizon A1 plus foncé, plus épais, à gros grumeaux très stables; le calcaire actif joue un rôle important dans la stabilisation et la conservation des composés humiques. Le mull chernozemique , saturé de calcium et de magnésium échangeables, mais non calcaire, est formé d’acides humiques fortement polymérisés (acides humiques gris) et d’humines stabilisées (néoformée et microbienne). La pénétration de la matière organique est profonde et peut atteindre un mètre: cet horizon A1 noir, très épais, caractérise les sols noirs d’Ukraine (chernozems), appelés pour cette raison «isohumiques».

Moder

Le moder est un humus souvent acide, peu actif sur le plan biologique. La décomposition plus lente de la litière donne naissance à un horizon A0 de 1 à 2 cm, noir, qui passe progressivement à un horizon A1 de quelques centimètres, mal structuré, à faible liaison entre l’argile et l’humus, et dont la limite avec les horizons minéraux plus clairs est brutale. Le moder caractérise les forêts résineuses de montagne ou certaines forêts feuillues de plaine, en voie de dégradation, en particulier sur les roches mères acides et pauvres en réserves calciques.

Mor (ou humus brut)

Le mor est un humus généralement très acide dont l’activité biologique, très faible, est réduite à celle de certains champignons acidiphiles. Les litières se décomposent lentement et donnent naissance à un horizon A0 épais de 5 à 20 cm, superposé au sol minéral; cet horizon se subdivise lui-même en deux parties, la couche de fermentation (F), en surface, à structure fibreuse, composée surtout de débris à structure encore organisée, et la couche humifiée (H), située en dessous, formée de fines boulettes fécales, de couleur noire et à structure finement granuleuse. L’horizon mixte A1 est peu développé et est formé d’une juxtaposition de particules minérales et de particules organiques sans liaison apparente. Le rapport C/N est élevé et généralement supérieur à 30 dans l’horizon A0. Les humus bruts caractérisent les stations défavorables, dans lesquelles un ou plusieurs facteurs écologiques ralentissent l’activité microbienne: climat froid et humide (haute montagne), roche mère sableuse, aération locale insuffisante, matière première à décomposition naturellement difficile (feuilles de résineux, débris d’éricacées, notamment de bruyères, d’où l’expression «terre de bruyère» parfois employée).

Humus des milieux mal aérés

D’autres types d’humus caractérisent les milieux soumis à des conditions d’anaérobiose qui freinent l’activité microbienne (notamment celle qui préside à la décomposition de la matière organique fraîche), soit temporairement (anmoor), soit de façon permanente (tourbe).

Anmoor

L’anmoor est un humus hydromorphe, formé dans des stations à nappe permanente dont les oscillations assurent néanmoins (notamment en été) des phases d’aération. La décomposition de la matière organique est certes ralentie, mais l’humification, favorisée par les alternances de saturation par l’eau et de dessiccation relative, est encore bonne: il s’ensuit la formation d’un horizon A1 très foncé, brun ou noir, riche en matière organique, assez bien incorporé sur une profondeur de 20 à 40 cm; cet horizon offre en général une structure massive et une consistance plastique et collante. Il en existe des variétés acides et des variétés neutres, lorsque les eaux de la nappe sont bien minéralisées.

Tourbes

Les tourbes caractérisent les milieux à anaérobiose presque permanente [cf. TOURBIÈRES]; elles peuvent atteindre des épaisseurs de plusieurs mètres d’une matière organique faiblement transformée par des fermentations anaérobiques, sauvegardant certains éléments originels de la plante, tels que la lignine. La matière première joue un grand rôle dans le type de tourbe formé: en montagne, dans les cuvettes mal drainées, où se rassemblent les eaux pluviales, il s’agit des débris de mousses (sphaignes), qui donnent des tourbes très acides, très pauvres en azote et en impuretés minérales (tourbières hautes, dites aussi «supra-aquatiques»). Cette tourbe a été souvent exploitée et fournit un combustible médiocre. Dans les plaines alluviales, alimentées par une nappe phréatique d’eau bien minéralisée, la tourbe se forme aux dépens d’une végétation de graminées ou de cypéracées; elle n’est pas acide et elle est beaucoup plus riche en azote et en cendres (tourbe basse, dite aussi «infra-aquatique»). Les tourbes en cours de formation sont généralement fibreuses («fibrist»); asséchées, elles évoluent vers une forme plus humifiée, de couleur noire, à structure finement polyédrique («saprist», muck en anglais).

3. Fonctions de l’humus

Dans les sols agricoles, c’est surtout la matière organique transformée (humus au sens strict) qui joue le rôle fondamental: d’abord elle assure la structure en agrégats, donc l’aération du sol, et favorise une économie favorable de l’eau et de l’air; elle rend ainsi perméables les sols à granulométrie déséquilibrée (sols argileux ou limoneux, souvent tassés, dits «battants»); inversement, elle augmente la capacité de rétention de l’eau dans les sols qui sont au contraire trop perméables ou dépourvus d’éléments fins (sables).

Sur le plan chimique, grâce à la formation du complexe argilo-humique, l’humus constitue la partie essentielle du complexe absorbant et retient les engrais ou les amendements minéraux (par exemple à base de potassium, calcium, magnésium) incorporés au sol. Enfin, sur le plan physiologique, il stimule l’absorption, par les racines, du phosphore et de l’azote (R. Chaminade, 1958). Dans les sols agricoles, surtout ceux qui sont caractérisés par une granulométrie mal équilibrée, le maintien d’un «taux humique» constant, par l’usage des engrais verts et l’incorporation d’amendements organiques, est nécessaire au maintien de la fertilité.

Dans les sols forestiers, l’humus exerce également ces mêmes fonctions, mais il joue aussi un rôle important dans la nutrition des plantes, en particulier la nutrition azotée: il constitue un intermédiaire entre le système radiculaire de la plante et la litière qui tombe annuellement sur le sol; il stocke provisoirement les réserves d’azote, tant celles qui proviennent de la litière que celles qui résultent de la fixation biologique de l’azote atmosphérique, et les restitue aux plantes de façon progressive sous la forme minérale (ammoniacale ou nitrique, cette dernière forme l’emportant sur la première dans les milieux les plus actifs).

Lorsque la minéralisation de l’azote se fait régulièrement, ce qui est le cas des mulls peu acides et bien aérés, la nutrition azotée est bien assurée (forêts feuillues bien entretenues). Si, au contraire, on a affaire à des mors très acides ou à des humus tourbeux, la minéralisation est lente, l’azote restant bloqué sous une forme inassimilable dans l’horizon A0: la nutrition azotée est alors très mal assurée (landes à bruyères, certaines forêts résineuses en montagne).

humus [ ymys ] n. m.
• 1755; mot lat. « sol »
Matière organique du sol provenant de la décomposition partielle des matières animales et végétales. terreau (cf. Terre végétale). Humus forestier. Couche d'humus. Une odeur « de forêt, d'humus, de feuilles pourrissantes » (Perec ).

humus nom masculin (latin humus, sol) Matière colloïdale du sol issue de la décomposition et de la transformation chimique et biologique des débris végétaux. Ensemble des matières organiques se trouvant dans la couche superficielle d'un sol. ● humus (difficultés) nom masculin (latin humus, sol) Prononciation [&ph109;&ph97;&ph109;&ph103;], le h est muet, le s final se prononce.

humus
n. m. Cour. Matière brun-noir d'aspect terreux formée de débris végétaux plus ou moins décomposés. L'humus des sous-bois.
|| PEDOL Mélange d'acides organiques provenant de la décomposition des végétaux (humus vrai).

⇒HUMUS, subst. masc.
Terre brune noirâtre provenant de la décomposition de débris végétaux et/ou animaux dans le sol et qui contribue à sa fertilité. Synon. terre végétale. Couche d'humus; terre pauvre/riche en humus. Au fond du val, (...) des pâturages d'herbe drue avaient poussé avec cette opulence lourde des végétations nourries par l'humus noir des terrains d'alluvion (MOSELLY, Terres lorr., 1907, p. 207). L'odeur de l'humus était joyeuse et anisée (GIONO, Eau vive, 1943, p. 70) :
... Le mot inhumer veut dire déposer un corps dans l'humus. Cette couche superficielle, qui n'a guère dans nos contrées plus d'un pied de profondeur, est formée des débris de fossiles, et surtout de végétaux, dont elle est à la fois le tombeau et le berceau.
BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 237.
PÉDOL. Colloïde organique du sol (de couleur foncée), relativement stable et résistant à l'action microbienne, provenant de la décomposition de la matière organique fraîche par l'action de bactéries ou d'autres organismes vivants. Dans les montagnes humides, la richesse en humus est telle que les effets de la nature de la roche mère sont effacés par le temps : l'acidification est un phénomène général même sur les sols développés sur roche-mère calcaire (WOLKOWITSCH, Élev., 1966, p. 99).
Humus acide/brut. Accumulation à la surface du sol minéral de matériaux organiques légèrement décomposés et à réaction acide (d'apr. MÉTRO 1975). Dans les sols dégradés l'humus se décompose très lentement, il devient un humus brut acide qui forme une épaisse couche superficielle que l'on appelle « l'horizon AO ». Sa décomposition produit des éléments solubles très acides (COCHET, Bois, 1963, p. 48).
Humus doux. Type d'humus qui provient de la décomposition complète des substances organiques, généralement saturé en base et à minéralisation rapide (d'apr. VILLEN. 1974). [L']humus doux forestier (...) résulte d'une décomposition rapide en milieu aéré (PLAIS.-CAILL. 1958).
Au fig. et p. métaph. La faute n'est-elle pas l'humus même de la vertu? Ne convient-il pas de pécher, avec mesure sans doute, (...) pour rétablir l'équilibre et faire jouer les contrastes révélateurs? (DUHAMEL, Journ. Salav., 1927, p. 84). Ces mots durs et noirs, (...) même aujourd'hui (...) gardent leur opacité : c'est l'humus de ma mémoire (SARTRE, Mots, 1964, p. 38).
REM. 1. Humicole, adj. Qui vit et se développe sur les sols riches en humus (d'apr. PLAIS.-CAILL. 1958). 2. Humifère, adj. [En parlant d'une terre] Qui est riche en humus. Sol, terrain humifère, fortement humifère. Enfouissement (...) hors de portée des racines des couches humifères superficielles (LEVADOUX, Vigne, 1961, p. 97). 3. Humification, subst. fém. Transformation de la matière organique en humus. Des modes de l'humification dépend (...) l'évolution de toutes les couches inférieures du sol (PLAIS.-CAILL. 1958). 4. Humine, subst. fém. Un des constituants (non acide) de l'humus (d'apr. PLAIS.-CAILL. 1958).
Prononc. et Orth. : [ymys]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1765 (Encyclop. t. 8). Empr. au lat. humus « sol, terre ». Fréq. abs. littér. : 98.
DÉR. Humique, adj. Qui a rapport à l'humus; qui contient de l'humus. Matière, produit, sol humique. Les éléments végétaux encore discernables sont noyés dans une substance amorphe, humique (LAPPARENT, Abr. géol., 1886, p. 201). Tous les charbons humiques (...) sont des tourbes évoluées (E. SCHNEIDER, Charbon, 1945, p. 273). [ymik] 1re attest. 1834 (A.-J.-L. JOURDAN, Dict. (...) des termes usités dans les sc. nat., I, 606 : acide humique); de humus, suff. -ique.

humus [ymys] n. m.
ÉTYM. 1755, Encyclopédie; mot lat. humus « sol ».
Matière organique du sol, provenant de la décomposition des végétaux par les bactéries ou les champignons. Sol, terre (végétale), terreau. || De l'humus Humique. || Épais humus, humus forestier (→ Forêt, cit. 3; gratter, cit. 8). || Partie acide, non acide ( Humine) de l'humus. || Couche d'humus. || Terre riche en humus. || Terres humifères, trop riches en humus et peu fertiles. || Qui est dans l'humus Humicole.
1 Là commence l'humus de l'Ukrayne (sic), une terre noire et grasse d'une profondeur de cinquante pieds, et souvent plus, qu'on ne fume jamais, et où l'on sème toujours du blé.
Balzac, Lettre sur Kiew, in Œ. diverses, t. III, p. 681.
2 Une proportion de cinq à six centièmes d'humus dans le sol constitue un élément très important de fertilité. Quand elle n'existe pas, il importe d'y suppléer par l'apport d'engrais organiques : fumier ou engrais verts. Quand, au contraire, une terre contient trop d'humus, elle est peu fertile ou même infertile. Telles sont celles qui en renferment plus du quart de leur poids.
P. Poiré, Dict. des sciences, art. Humus.
DÉR. Humine, humique.
COMP. Humicole, humifère, humification.

Encyclopédie Universelle. 2012.