NOBLESSE
Toutes les sociétés traditionnelles, quelque niveau de civilisation qu’elles aient atteint, ont possédé leur noblesse. Mais le mot recouvre des réalités si diverses – dans le temps comme dans l’espace – qu’il n’est guère possible d’en donner une commune définition. De plus, les noblesses sont mal connues. Autant les aristocraties, qui en sont le «couronnement», ont suscité d’études – souvent fort anecdotiques – autant sont rares les recherches historiques ou sociologiques de valeur. Ce paradoxe, signalé dès 1936 par Marc Bloch, n’est pas le moindre d’une connaissance historique en pleine réévaluation. La lacune est d’autant plus surprenante que nombre de noblesses survivent, et jouent encore leur rôle dans les sociétés contemporaines. Les idéaux nobiliaires, qui ont servi des siècles durant de modèles suprêmes, marquent encore une partie des idéologies actuelles. Cette méconnaissance est liée à l’hostilité suscitée dans certains pays par ce groupe numériquement peu nombreux (en règle générale moins de 2 à 3 p. 100 de la population totale). La haine a atteint son paroxysme pendant la Révolution française de 1789 et s’est prolongée à travers tout le XIXe siècle, suscitant attaques, apologies et caricatures. Il nous semble donc vain de vouloir, à l’heure actuelle, dresser un tableau comparatif des divers types de noblesse de l’histoire humaine, depuis les «biens-nés» des sociétés primitives, les Eupatrides de la Grèce antique, les samouraïs du Japon, et les noblesses européennes. Pareille entreprise serait prématurée, et, de ce fait, devrait se borner à des considérations d’un tel niveau de généralité qu’elles en perdraient beaucoup de leur intérêt. La noblesse est, sans doute, «l’une des formes et l’un des symboles de la vanité universelle» (P. Goubert). On s’en tiendra cependant ici au survol, forcément sommaire, des noblesses d’Europe occidentale depuis la fin de l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Ce choix est d’ailleurs justifié par l’histoire linguistique. Le mot noble apparaît dans la langue «française» au XIe siècle dans la Vie de saint Alexis . Dérivé du latin (nobilis , signifiant d’abord connu), c’est une création médiévale issue d’un surgeon bas-latin. Mais le fait a précédé l’apparition du terme.
L’origine: un débat d’historiens (XVIIIe-XXe s.)
Origines et justification de l’existence de la noblesse sont deux aspects d’une même question âprement débattue, entre autres au cours du grand débat idéologique du XVIIIe siècle. Conflits sociaux du XIXe siècle, antagonismes nationaux (franco-allemand surtout) en ont avivé la virulence. Naissance, richesse, mérite: tels sont les trois termes du débat posé devant l’opinion publique, dans la période prérévolutionnaire. Mais le XVIIIe siècle n’a fait que développer une critique antérieure, parfois stéréotypée au point d’emprunter argumentations et expressions aux écrivains satiriques latins du Haut-Empire. Cette critique porte sur deux aspects inséparables: l’origine et l’idéologie de la noblesse. Les thèmes antagonistes sont faciles à identifier. À l’affirmation de Molière: «Non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas» (Dom Juan , IV, 4) s’oppose l’adage du Traité de la Noblesse (G. E. de La Roque, 1690): «Il y a dans les semences je ne sçay quelle force, et je ne sçay quel principe qui transmet les inclinaisons des Pères à leurs descendants» – adage que Paul Valéry dans Mauvaises Pensées raccourcit d’une manière saisissante, dans la formule: «La noblesse est une propriété mystique de la liqueur séminale.» Le deuxième élément de la controverse porte sur l’utilité sociale. De La Roque débute certes l’introduction de son Traité par l’affirmation – antérieure d’un siècle à 1789 –: «Tous les hommes sont égaux», mais il la nuance immédiatement en soulignant la nécessité des hiérarchies. C’est la pensée de Montesquieu, confondant dans ses corps intermédiaires noblesse de robe et noblesse d’épée. Le dialogue se poursuit tout le long du siècle philosophique, du Dictionnaire philosophique «portatif» de Voltaire à l’Histoire philosophique dans les deux Indes de Raynal.
Mais l’intérêt du grand public s’est rapidement porté vers des arguments plus frappants tirés de l’histoire. Se fondant sur l’utilité militaire de la noblesse, le comte de Boulainvilliers souligne que la noblesse descend des conquérants germains. La suprématie sociale se fonde donc sur le droit de conquête des valeureux guerriers, dont la «vertu» est proche de l’état de nature, sur les Gallo-Romains, descendants dégénérés d’une civilisation corrompue. Corollaire: le roi, «primus inter pares », n’est qu’un noble primitivement désigné par ses pairs, qui l’élèvent sur le pavois. L’arme ainsi trouvée se révéla vite à double tranchant. B. Chérin, G. Mably et l’abbé G. Raynal inversèrent l’argumentation, et le sort que lui firent, quelque trente années plus tard, les historiens romantiques: A. Mignet, A. Thierry, F. Guizot et A. Thiers est bien connu. Les «communes» – entendons le Tiers État – descendent sans doute des Gallo-Romains, mais ceux-ci étaient des «civilisés». Les ancêtres de la noblesse n’ont formé «qu’une horde de sauvages, uniquement capables de détruire». La querelle s’apaisa quelque peu avec la chute des Bourbons. Elle rebondit au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, avivée par la guerre de 1870: historiens allemands et français s’opposent, les premiers cherchant à prouver les origines germaniques des institutions médiévales (et donc de la noblesse), les seconds affirmant la survie des strates sociales de l’Empire romain. Troisième rebondissement: la passion raciale vient se surajouter à ces débats éteints. Utilisant quelques thèmes du comte de Gobineau, certains théoriciens du nazisme (Rosenberg et Hitler) identifièrent la Révolution de 1789 à une lutte raciale opposant le peuple, formé d’éléments raciaux inférieurs, à une noblesse «aryenne» d’origine «indo-germanique».
Ces polémiques aboutirent du moins à une affirmation qui paradoxalement fit l’unanimité des historiens: la décadence continue de la noblesse au cours des siècles. Il est évident que, si déclin il y a, il s’est forcément opéré par paliers, et comporte des temps faibles et des temps forts. L’évolution n’est pas, non plus, identique de pays à pays, ni même de région à région. La thématique des déclins de la noblesse est à revoir. Par-delà ces polémiques, comment peut-on poser le problème des origines de la noblesse européenne? Deux remarques préliminaires s’imposent. D’une part, la simple consultation d’une généalogie ascendante de type Kekule-Stradonitz démontre que, partant de nos jours, le nombre possible d’ancêtres théoriques dépasse, de beaucoup, la population totale de l’Europe du XIe siècle. D’autre part, la logique «génétique» de la noblesse multiplie le nombre des mariages consanguins ou endogamiques. La disposition implexe est, de ce fait, l’un des éléments majeurs de toute compréhension de la noblesse (et même de la simple histoire politique médiévale ou moderne). Dans ces conditions, tout est question de temps et de lieux. La noblesse lilloise descend, en 1789, presque entièrement d’anoblis dont les plus anciens datent du XVIe siècle. Le même phénomène se retrouve, plus atténué, en Franche-Comté. En revanche, la noblesse bretonne compte, à la même date, une minorité nobiliaire d’extraction ancienne infiniment plus forte (un tiers au moins). Ces remarques imposent une conclusion évidente, quoique presque toujours négligée. Les historiens soulignent à l’envi, surtout en France, le conflit de l’ancienne noblesse (d’épée) contre la nouvelle noblesse (surtout de robe). Celui-ci a, certes, son importance; il ne doit cependant pas masquer le fait que l’usure démographique de toute strate sociale provoque nécessairement un renouvellement périodique profond. La noblesse n’a pas manqué à la règle. Mais plus qu’en d’autres catégories sociales, ce renouvellement s’est accompagné du maintien d’une grande partie des traits extérieurs du groupe.
La fusion des élites gallo-romaines et barbares (Ve-XIIe s.)
Les noblesses d’Europe occidentale semblent être nées des conséquences de la fusion des élites barbares et des élites gallo-romaines. Après une première réaction d’hostilité, dont le témoin est Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont-Ferrand (v. 430-v. 487) et la panique une fois passée, les intérêts terriens communs, la nécessité d’employer les cadres traditionnels compétents, le rôle de l’Église latine «qui est, en elle-même, le triomphe d’une caste aristocratique romaine» (R. Fossier) aboutirent à un mélange des chefs locaux avec les cadres des envahisseurs. Les mariages mixtes, progressivement autorisés par les législations barbares, complètent ces rapprochements. Mais cette fusion est, évidemment, très variable de région à région. En Gaule du Nord, la panique fait refluer la majeure partie de la noblesse sénatoriale vers le sud du pays. Dans les îles Britanniques, la fuite d’une partie de la population indigène vers les «trois péninsules» ouest provoque un retour des catégories dirigeantes à un état de caste guerrière. En Italie, l’aristocratie est décimée par les Lombards et par les Byzantins. Mais, tôt ou tard, plus ou moins complète, la fusion s’opère sans que l’on puisse toujours donner davantage de précisions. Une seule certitude: le pourcentage des éléments barbares est presque partout plus fort dans la «noblesse» que dans le reste de la population. La mise en place définitive de cette noblesse s’opère au cours de la deuxième vague d’invasions, du IXe au Xe siècle. L’effondrement de l’Empire carolingien, surtout dans l’Ouest européen, permet l’édification du système féodal qui, comme on le sait, se fait à partir d’éléments préexistants, remontant les uns au Bas-Empire, les autres aux traditions indigènes ou barbares. Les châteaux – d’abord refuges sommaires composés de palissades et d’un donjon de bois édifiés en hâte sur des «mottes» naturelles ou artificielles, puis constructions de plus en plus complexes de pierre – imposent aux paysages européens une marque nobiliaire et féodale jusqu’à nos jours indélébile. Nombre de villages ou de villes s’agglomèrent autour de ces remparts-refuges. Ainsi, le XIe siècle constitue probablement la première apogée de cette «primitive» noblesse issue des mondes mérovingiens et carolingiens. Ce système, fondé sur une richesse terrienne et la suprématie militaire du cavalier de plus en plus lourdement armé, repose dans une large mesure sur la cohésion d’une famille «clanique» où l’étendue géographique et numérique du groupe familial importe plus que sa durée diachronique.
La première grande crise nobiliaire (XIIe-XIVe s.)
La cohérence de la domination incontestée de cette noblesse est, dès le XIIe siècle, partout ébranlée par la renaissance urbaine et la montée des premières bourgeoisies, qui marquent la réapparition d’une puissance fondée sur l’argent. Dans le centre de l’Europe, l’autorité royale ou ducale avait d’ailleurs toujours imposé une certaine limitation à la puissance nobiliaire. Il en va désormais de même dans l’Occident médiéval. Enfin les croisades en Espagne et en Terre sainte affaiblissent durablement les groupes nobiliaires: numériquement, mais surtout financièrement.
Devant cette montée des périls les noblesses réagissent plus ou moins spontanément. Elles se donnent leurs premières structures juridiques, dont le fondement repose sur un droit d’aînesse de forme extrêmement variée, qui dans ses premiers éléments remonte au XIe siècle. Une grande partie de la culture médiévale reste cependant marquée par l’influence et les idéaux nobiliaires, au point que certains historiens allemands ont pu parler d’une première Adelskultur (culture aristocratique). Cette grande crise, sous-jacente au XIIIe siècle, éclate au cours des deux siècles suivants. Elle marque surtout l’Occident. Les rares grandes batailles de la guerre de Cent Ans (Crécy, Azincourt) fauchent la fleur de la noblesse française, qui paie en outre, comme partout, son tribut aux grandes pandémies de l’époque. Elle se trouve, enfin, atteinte dans ses œuvres vives par le jeu combiné des pertes accumulées dans les tournois, le jeu, les rançons, le coût de l’équipement militaire (forteresses, cuirasses, devenues inutiles devant les armes à feu), les dépenses somptuaires, la ruine aussi des campagnes due aux ravages des expéditions de pillage. Les reconstructions elles-mêmes – souvent aléatoires ou prématurées – coûtent cher. Aussi le personnel nobiliaire va-t-il se renouveler profondément par l’intrusion de familles nouvelles anoblies de diverses manières. Ce schéma, valable pour l’Occident français et anglais, demanderait, pour l’Italie ou l’Europe centrale, des retouches considérables. La noblesse italienne s’est, très tôt, «urbanisée», plus que toute autre, et participe activement aux entreprises commerciales. À Venise, la noblesse locale domine l’armement maritime jusqu’à la généralisation de l’assurance maritime (XIVe s.), donc aussi longtemps que l’entreprise commerciale comporte un risque considérable. Dans le Saint Empire romain germanique, les noblesses, d’abord tenues en bride, acquièrent une indépendance grandissante. En outre, le «Drang nach Osten » (la poussée vers l’est) leur offre un champ d’expansion considérable, quasi colonial, sans qu’ils aient à connaître de désastres analogues à ceux de la guerre de Cent Ans. En Italie comme en Europe orientale l’État est fondé sur la noblesse. Partout, cependant, elle a à lutter contre la puissance grandissante des villes. D’où une réaction généralisée, particulièrement forte aux XIVe et XVe siècles, qui se traduit, par exemple, dans l’art allemand, par la prolifération des emblèmes héraldiques grâce à laquelle A. Dürer trouva une partie de la clientèle de ses gravures sur bois. Ce mouvement, qui eut de très grandes conséquences dans le domaine juridique, reste mal connu.
Alternances de l’époque moderne (XVIe-XVIIIe s.)
Le XVIe siècle est, en France, l’époque d’un brassage des populations nobiliaires, qui se prolonge durant la première moitié du XVIIe siècle pour s’atténuer par la suite. Vers 1650, la noblesse ne comporte plus que peu d’éléments rattachés par filiation directe à l’époque médiévale. L’entrée en noblesse se fait par l’achat d’offices anoblissants, de lettres de noblesse, qui restent vénales jusqu’à la guerre de la Succession d’Espagne (1701-1714), ou, plus simplement, par l’usurpation quand elle est socialement acceptée. État et aristocratie tendent à limiter les possibilités d’anoblissement: dès la fin de la deuxième moitié du XVIe siècle apparaissent l’interdiction des anoblissements par achat de terres, le contrôle des lettres de noblesse, les pressions fiscales, etc. L’efficacité de ces mesures reste limitée, car les besoins fiscaux d’une royauté toujours aux abois empêchent toute stabilisation durable. Ce n’est qu’au cours du règne de Louis XIV que l’aristocratie devient de plus en plus une caste, en dépit de l’échec apparent des réformes de la noblesse. Vers 1715, cependant, la législation contre les anoblis est devenue très complète, et l’usurpation, sans être impossible, devient difficile. Vauban, dans sa Dixme royale , trace en réalité tout un programme de «réaction nobiliaire» – qui sera en grande partie réalisé au cours du XVIIIe siècle.
Ainsi, au XVIe siècle – époque où la noblesse incorpore quantité d’éléments bourgeois – succède un XVIIe siècle ambigu – où les «morales du grand siècle» oscillent entre les idéaux cornéliens-nobiliaires et ceux d’un Racine jansénisant et bourgeois. Au XVIIIe siècle, la fermeture de la noblesse devient de plus en plus effective, pour culminer entre 1770 et 1789 dans ce que L. Halphen appela, le premier, une «réaction nobiliaire» (cette thèse est cependant remise en cause par les historiens contemporains). À la vérité, celle-ci est, en grande partie, imposée par la royauté et la bureaucratie, soucieuse de limiter la fuite devant l’impôt. Les preuves administratives de l’état de noblesse deviennent de plus en plus complexes. À la veille de la Révolution est ajoutée à la vieille définition patrilinéaire, seule valable dans la majeure partie du «droit» nobiliaire français, la preuve par quartiers provenant des méthodes généalogiques d’Europe centrale que pratiquaient les abbayes nobiliaires de Lorraine et d’Alsace. Or, la croissance numérique et la prise de conscience de la bourgeoisie française sont telles que le maintien d’une structure sociale fermée ne peut, à la longue, se perpétuer. La Révolution française s’explique, en partie, par cette opposition de plus en plus difficilement tolérée.
En Europe centrale, l’évolution générale est marquée par la guerre de Trente Ans. Au cours du XVIe siècle, le poids relatif de la noblesse n’a cessé de diminuer. Les États passés à la Réforme et l’évolution économique avaient besoin de cadres théologiques et administratifs nouveaux, que seule pouvait offrir la bourgeoisie urbaine. Les armées elles-mêmes, placées entre les mains d’entrepreneurs de guerre, convenaient de plus en plus mal aux mentalités nobiliaires. La guerre de Trente Ans renverse la tendance. Les armées privées fondées sur le mercenariat s’étaient avérées dangereuses pour les États et ruineuses pour les populations. La tendance générale est donc de transformer le chef mercenaire en officier sujet de son prince. Le noble s’insère facilement dans ces armées nouvelles, qui offrent des débouchés multiples, même aux cadets. La reconstruction rurale s’opère, de son côté, dans le cadre d’une seigneurie revitalisée (alors que la reconstruction française, postérieure à la guerre de Cent Ans, s’était faite en partie au détriment de la seigneurie, au profit du domaine et des contrats de location tels que le métayage). Une partie de la noblesse s’introduit dans les rouages des divers États. Comme en France, celle-ci est composée d’éléments anoblis, qui s’assimilent facilement au cours de la deuxième moitié du XVIIe siècle, telle la erste Gesellschaft autrichienne, alors que la «deuxième société» du XVIIIe siècle sera moins bien considérée: c’est l’aspect germanique de la «réaction nobiliaire» du XVIIIe siècle. Face à ces noblesses, les bourgeoisies d’Europe centrale sortent singulièrement affaiblies du conflit; elles ne recommencent à compter quelque peu qu’après 1700. Il s’établit ainsi une espèce de «consensus» tacite entre les princes et les noblesses, fondé sur l’intérêt réciproque.
L’Europe moderne se divise en plusieurs zones nobiliaires. Au nord-ouest, la noblesse anglaise, après une crise d’adaptation profonde au cours du XVIIe siècle, domine la vie politique en participant très activement à la vie économique du pays. L’absence de toute barrière sociale efficace entre bourgeoisie et noblesse, la faiblesse permanente de l’armée de terre lui donnent une profonde originalité qui lui permet d’éviter, au cours du XVIIIe et du XIXe siècle, des crises politiques et sociales trop graves. En France, la noblesse, profondément renouvelée au XVIe siècle, se ferme au XVIIIe siècle. En Europe centrale, les États princiers lui permettent de retrouver son influence après qu’elle s’est enrichie d’apports extérieurs. De la Suède à la Hongrie s’étend une quatrième zone d’États que l’on a parfois qualifiés de «républiques aristocratiques». La noblesse y domine, parfois même, comme en Pologne, au détriment de l’ensemble de l’État, qui perd dans la paralysie totale jusqu’à son indépendance. En Suède, la lutte entre royauté et noblesse provoque l’intervention indirecte de l’étranger. En Hongrie, en revanche, la noblesse magyare, recatholicisée au début du XVIIe siècle, conserve sa prédominance sur le monde rural hongrois et une indépendance politique relative, mais importante. En Russie, la puissance des tsars s’appuie sur une noblesse de fonction, très militarisée, et que la puissance publique paie par l’asservissement paysan, ce qui va à contre-courant de toute l’évolution sociale européenne. Enfin, dans les péninsules méditerranéennes, l’émiettement des États explique la variété des noblesses italiennes, qui fait contraste avec le bloc ibérique, apparemment monolithique. En Italie, cependant, la noblesse est entrée très tôt dans les bureaucraties étatiques et y conserve toujours un rôle social considérable. En Espagne, elle a fourni à la littérature européenne quelques-uns de ses types les plus remarquables: chevaliers errants de Cervantès (mais dont les conquistadores ont démontré ce que pouvait la force d’un mythe littéraire), grands d’Espagne, de Don Juan au comte Almaviva du Barbier de Séville , hidalgos appauvris des romans picaresques.
Intégration ou disparition (XIXe-XXe s.)
«L’Europe française des lumières» avait été celle de la noblesse européenne, porteuse de cette deuxième «Adelskultur », ou temps du baroque et du rococo. La Révolution française, prolongée par l’épopée impériale, fut l’époque de la lutte de cette aristocratie de langue française contre les tendances démocratiques incarnées par les armées républicaines. La noblesse française, qui réussit cependant à survivre, sort diminuée de la décennie 1789-1799. Numériquement réduite, elle a perdu droits seigneuriaux, dîmes inféodées; les biens des émigrés ont été confisqués. Sa position morale, politique et sociale est devenue difficile, en dépit de la création de la noblesse impériale. Le rétablissement est cependant rapide: récupération des biens confisqués non vendus, «milliard» des émigrés, pénétration dans les nouvelles administrations dont celle des finances, etc. Ce rétablissement s’opère, il est vrai, au prix d’une double évolution. D’une part, la disparition d’une protection institutionnelle rend possible la pénétration bourgeoise. Premier Empire et Restauration mènent encore une importante politique d’anoblissement. Après 1830, l’usurpation des titres nobiliaires, plus ou moins assortie de consensus de la «vieille noblesse», devient fréquente: il en résulte souvent une profonde transformation de celle-ci. D’autre part, les nobles prennent place parmi les notabilités, mais trop étroitement associée au légitimisme, la noblesse perd définitivement sa prééminence politique, sauf dans certaines régions, dans l’Ouest par exemple. Tout comme la Révolution, le légitimisme, à son tour, conduit cette même noblesse à la perte de certains des avantages provisoirement recouvrés lors de la Restauration. Elle y gagne des revanches inattendues, parfois amorcées dès la Monarchie de Juillet ou le Second Empire. Peu représentée dans la société militaire de la première moitié du XIXe siècle, la noblesse s’y réintroduit en force au cours de la deuxième moitié du siècle: elle subit aussi de très fortes pertes humaines lors des deux conflits du XXe siècle. À côté de l’armée, diplomatie et administrations particulières deviennent, elles aussi, des terrains privilégiés plus ou moins réservés à certaines strates de la noblesse. Enfin, la noblesse libérale devient fréquemment orléaniste, et, de ce fait, fusionne assez facilement avec les éléments les plus riches de la bourgeoisie, quoique en province quelques groupes restent à l’écart.
En Europe orientale, la civilisation nobiliaire de la fin de l’époque moderne survit jusqu’en 1917 en Russie, et, sous certains aspects, jusqu’en 1945 dans les autres pays. En Russie, elle est marquée par la terrible tare du servage, dont elle accepte mal la suppression (1861). Par-delà l’anecdote humaine, Anna Karénine est aussi, et peut-être surtout, le roman de la noblesse russe du XIXe siècle. En Europe centrale, les événements de 1848 brisent, mais pas entièrement, la seigneurie. En Prusse, les « Junkers », au-delà de l’Elbe, sont à la fois grands propriétaires fonciers, cadres de l’armée et de l’administration du royaume puis de l’Allemagne wilhelmienne (1871-1918). Ils ont contribué à forger une certaine Allemagne, avec ses forces et ses faiblesses. Bismarck est, à certains égards, un représentant typique de ce groupe.
Contemporain des sociétés industrielles du nord de l’Europe, le roman Le Guépard du prince de Lampedusa rappelle les dilemmes de la noblesse sicilienne et italienne face à l’État piémontais qui cherchait à faire l’unité. Mais, par-delà les différences, souvent très fortes, d’un pays à l’autre, il subsiste, tout au long du XIXe siècle, une vision du monde commune à l’ensemble des noblesses européennes. Le film La Grande Illusion de Jean Renoir situe assez bien cet état d’esprit particulariste, qui remplace, de plus en plus, les supports extérieurs, juridiques ou autres, que les États contemporains refusent progressivement à la noblesse. Mais ce goût affiché de l’uniforme, qui est le dénominateur commun de tous ces groupes, ne doit pas dissimuler leurs liens avec le monde des affaires. La hantise de la dérogeance, née vers la fin du Moyen Âge dans les pays méditerranéens et latins – et qui n’a jamais affecté la totalité du monde nobiliaire européen –, appartient au passé.
Que subsiste-t-il, aujourd’hui, de cette longue histoire nobiliaire? Tout d’abord le fait que les pamphlets, les attaques (justifiées ou non), les caricatures ne doivent pas masquer le «miracle» nobiliaire. Voici un groupe humain très minoritaire, constamment attaqué, n’excédant guère 2 p. 100 de la population totale, qui se maintient, sous des formes très diverses, depuis dix siècles. Il l’a fait en s’appuyant tantôt sur une armature juridique extérieure, tantôt sur son seul dynamisme interne. Groupe dominant, certes, mais qui se trouve aussi la plupart du temps dans une attitude de demi-opposition politique, tant au Moyen Âge que sous l’Ancien Régime, à plus forte raison aux XIXe et XXe siècles. Force «réactionnaire», élément-frein vis-à-vis du dynamisme du capitalisme commercial, puis financier et industriel, tout en y participant de plus en plus, la noblesse a été l’un des éléments les plus visés par la révolution russe de 1917. Mais on rencontre aussi des nobles dans toutes les minorités révolutionnaires, même à des postes dirigeants, depuis le maréchal Davout jusqu’aux révolutionnaires enterrés dans l’enceinte du Kremlin.
Le vrai paradoxe semble cependant se situer ailleurs. Si ce schéma ainsi décrit s’approche de la réalité, il y eut, pour le moins, quatre époques de renouvellement plus ou moins complet de la noblesse: au haut Moyen Âge, du XIVe au XVe siècle, du XVIe au XVIIe siècle, au XIXe enfin. En sorte que sa continuité «séminale» est plus que douteuse, une infime minorité de familles mises à part, réduite d’ailleurs, dans le meilleur des cas, à des filiations patrilinéaires. Par contre, les valeurs nobiliaires, elles, ont survécu à ces vicissitudes historiques, et on en mesure la portée à la part prise par la noblesse dans la culture européenne. On peut regretter que ce bilan qui est énorme n’ait pas été dressé. Ce qui ne doit pas masquer le prix payé, car elles ont toutes vécu attachées au flanc du monde paysan, effectuant une énorme ponction qui, dans certains pays, a pris des proportions dramatiques. On s’explique aisément les «fureurs paysannes».
noblesse [ nɔblɛs ] n. f.
• noblesce 1155; de noble
♦ Caractère, état, qualité de ce qui est noble.
I ♦ (Sens génér.)
1 ♦ Grandeur des qualités morales, de la valeur humaine. ⇒ dignité, élévation, magnanimité. « La noblesse est la préférence de l'honneur à l'intérêt » (Vauvenargues). « toute noblesse vient du don de soi-même » (Larbaud). Noblesse d'âme, de caractère, d'esprit. ⇒ fierté, grandeur. Noblesse de vues. ⇒ hauteur.
2 ♦ Caractère noble du comportement, de l'expression ou de l'aspect physique. ⇒ dignité, distinction, majesté. « L'aisance, la noblesse de ces citoyens fiers et tranquilles » (Renan).
II ♦ Spécialt (noblace 1279)
1 ♦ Condition du noble. Titres de noblesse (selon l'ordonnance du 25 août 1817). ⇒ chevalier, 1. baron, vicomte, comte, marquis, duc, prince. Les armoiries, le blason, la couronne, signes de noblesse. Être de haute noblesse. ⇒ lignage. Quartiers de noblesse. Noblesse paternelle. Noblesse utérine. Noblesse d'épée, d'office ou de robe. Noblesse personnelle, qui ne se transmet pas aux descendants. Noblesse de finance, acquise par l'achat de lettres de noblesse. — Loc. prov. Noblesse oblige : la noblesse crée le devoir de faire honneur à son nom. — LETTRES DE NOBLESSE : lettres patentes du roi par lesquelles il conférait la noblesse pour services rendus, ou moyennant finance. Par métaph. « Le yachting acquiert ses lettres de noblesse aux quatre expositions universelles (1867, 1878, 1889, 1900) » (Jeux et Sports, 1967).
2 ♦ Classe des nobles. ⇒ aristocratie. Origines féodales de la noblesse. Privilèges de la noblesse sous l'Ancien Régime. — Une partie de cette classe. Ancienne noblesse, antérieure à la Révolution; nouvelle noblesse, créée depuis la Révolution. Noblesse d'Empire, celle qui tient ses titres de Napoléon Ier. Appartenir à la haute noblesse, à la plus ancienne, à la plus illustre. La petite noblesse. — Noblesse anglaise (⇒ gentry) .
⊗ CONTR. Bassesse, infamie. Familiarité. — Roture.
● noblesse nom féminin Condition de noble : Noblesse héréditaire. Classe sociale constituée par les nobles : La noblesse d'Empire. Caractère de quelqu'un, de quelque chose qui est grand, élevé, généreux : La noblesse de cœur. Caractère majestueux, distingué, de l'aspect physique, de la démarche, de la manière d'être de quelqu'un. Dans le domaine littéraire ou artistique, caractère de pureté sévère et de majesté : Noblesse de style. ● noblesse (citations) nom féminin Pierre Augustin Caron de Beaumarchais Paris 1732-Paris 1799 Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! Le Mariage de Figaro, V, 3 Guillaume Bouchet, sieur de Brocourt Poitiers 1513-1594 La vraie noblesse s'acquiert en vivant, et non pas en naissant. Les Sérées Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 Si la noblesse est vertu, elle se perd par tout ce qui n'est pas vertueux ; et si elle n'est pas vertu, c'est peu de chose. Les Caractères, De quelques usages Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Non, non, la naissance n'est rien où la vertu n'est pas. Dom Juan, IV, 4, Dom Louis Jacques Perret Trappes 1901-Paris 1992 Dans le cas peu probable où la fin des temps serait indéfiniment reconduite, nous dirons, en consolation, que la noblesse de l'homme est de poser des questions sans réponse. Bâtons dans les roues Gallimard Franz Liszt Doborján, Hongrie, aujourd'hui Raiding, Autriche, 1811-Bayreuth 1886 Extension de « noblesse oblige » : le génie n'oblige pas moins que la noblesse. Erweiterung von : « Noblesse oblige. » Nicht minder als der Adel verpflichtet das Genie. Über Paganini ● noblesse (expressions) nom féminin Noblesse de cloche, noblesse conférée par les fonctions de maire ou d'échevin dans certaines villes. Noblesse d'épée, noblesse acquise au Moyen Âge par des services militaires ; ensemble des familles de noblesse ancienne. Noblesse graduelle ou au second degré, noblesse acquise après que deux générations successives ont exercé une charge pendant vingt ans. Noblesse militaire, noblesse conférée par certains grades de l'armée. Noblesse de robe ou d'offices, noblesse acquise par l'achat de certaines charges de judicature. Noblesse titrée, noblesse de ceux qui possèdent un titre nobiliaire. Noblesse oblige, maxime tirée de Maximes et Réflexions du duc de Lévis (1808), et signifiant que l'on doit faire honneur à son rang. Recevoir, conquérir ses lettres de noblesse, avoir acquis une grande notoriété, être élevé à une certaine dignité. ● noblesse (synonymes) nom féminin Condition de noble
Synonymes :
Contraires :
- prolétariat
- roture
Caractère de quelqu'un, de quelque chose qui est grand, élevé, généreux
Synonymes :
- dignité
- générosité
- grandeur
- héroïsme
- magnanimité
- sublimité
Contraires :
- bassesse
- indignité
- vilenie
Caractère majestueux, distingué, de l'aspect physique, de la démarche, de...
Synonymes :
- allure
- majesté
Dans le domaine littéraire ou artistique, caractère de pureté sévère...
Contraires :
- familiarité
- grossièreté
- trivialité
- vulgarité
noblesse
n. f.
d1./d Dans certaines sociétés et à certaines époques, classe sociale dont les membres jouissent légalement de privilèges.
— Par ext. Catégorie sociale constituée par les descendants des membres de cette classe.
d2./d Condition, état de noble. Avoir ses lettres de noblesse: avoir une origine ancienne et illustre.
— Prov. Noblesse oblige: une personne noble ou occupant une position élevée doit se conduire en fonction de son rang.
d3./d élévation des sentiments, grandeur d'âme. J'admire sa noblesse de coeur.
|| Caractère noble (sens 3); distinction. Noblesse des gestes, du visage.
⇒NOBLESSE, subst. fém.
A. —HISTOIRE
1. [Avec insistance à la fois sur la qualité et p. méton. sur les pers. qui peuvent s'en prévaloir]
a) Qualité par laquelle quelqu'un est noble. Titres de noblesse; quartiers de noblesse. Les armes conféroient la Noblesse: la Noblesse se perdoit par la lâcheté; elle dormoit seulement quand le noble exerçoit une profession roturière non dégradante (CHATEAUBR., Ét. ou Disc. hist., t.3, 1831, p.368). Les Sigognac ont des armes parlantes; ils portent d'azur à trois cigognes d'or, deux et une. Leur noblesse est fort ancienne. Palamède de Sigognac figurait glorieusement à la première croisade (GAUTIER, Fracasse, 1863, p.446). V. anoblir ex. 1, 2, 6 et anoblissement ex. 1:
• 1. ... les fonctions de juger et de combattre, et les propriétés ou bénéfices qui y étoient attachés, étoient simplement viageres sous les deux premières races des rois de France, (...) elles sont devenues héréditaires sous le nom de noblesse [it. ds le texte] ainsi que les bénéfices sous le nom de fiefs, au commencement de la troisième.
BONALD, Essai analyt., 1800, p.173.
b) Syntagmes
— Ancienne noblesse, vieille noblesse. Noblesse existant avant la Révolution de 1789. Vous trouverez des manières dans l'ancienne noblesse, et dans la nouvelle des formes. Les seigneurs vous accueilleront avec cette grâce vraiment française et cette politesse chevaleresque, apanage de la haute naissance (COURIER, Pamphlets, Au réd. «Censeur», 1820, p.45). M. de Viargue, était un des derniers représentants de la vieille noblesse du pays (ZOLA, M. Férat, 1868, p.43):
• 2. Tous les nouveaux nobles, quelle que soit leur origine, se sont hâtés de répéter dans le même esprit: il faut que le Tiers puisse députer des gentilshommes. La vieille noblesse, qui se dit la bonne, n'a pas le même intérêt à conserver cet abus; mais elle sait calculer. Elle a dit: nous mettrons nos enfants dans la chambre des communes, et, en tout, c'est une excellente idée que de nous charger de représenter le Tiers.
SIEYÈS, Tiers état, 1789, p.39.
— Haute noblesse. Noblesse qui est à la fois la plus ancienne et la plus illustre. M. de Brossard (...) se prétend de la plus haute noblesse, descendant de Louis le Gros, je crois (STENDHAL, H.Brulard, t.1, 1836, p.398):
• 3. ... leur orgueil se nourrit de l'espérance de n'être plus confondues dans la foule des gentilshommes. Ainsi la haute noblesse consentirait de bon coeur à rejeter dans la chambre des communes le reste des nobles avec la généralité des citoyens.
SIEYÈS, Tiers état, 1789p.59.
— Lettres de noblesse ou d'anoblissement. Lettres patentes du roi par laquelle il conférait la noblesse pour services rendus ou moyennant finance. En septembre 1664 un édit avait révoqué toutes les lettres de noblesse accordées depuis 1634 (BRASILLACH, Corneille, 1938, p.413). V. anoblir ex. 3:
• 4. Les lettres de noblesse datent en France de Philippe le Hardi: elles avaient pour but principal l'exemption des impôts que le Tiers État payait seul. Mais les anciens nobles de France ne regardaient jamais comme leurs égaux ceux qui n'étaient point nobles d'origine...
STAËL, Consid. Révol. fr., t.2, 1817, p.208.
♦P. métaph. L'idée de spéculation n'est certes pas sortie des esprits avec la chute de Law, mais le haut commerce ne paraît pas avoir conquis encore ses lettres de noblesse (E. SCHNEIDER, Charbon, 1945, p.118). Le yachting acquiert ses lettres de noblesse aux quatre expositions universelles (1867, 1878, 1889, 1900) (Jeux et sports, 1967, p.1543).
— Noblesse de cloche. Noblesse qui avait été acquise par l'exercice de fonctions de maire ou d'échevin. Quelque bourgeois y a gravé [sur la porte] les insignes de sa noblesse de cloches, la gloire de son échevinage oublié (BALZAC, E. Grandet, 1834, p.6).
— Noblesse dormante. Noblesse qui était suspendue, mise en sommeil, pour une cause de dérogeance temporaire: pendant la durée du mariage d'une femme noble avec un non-noble ou, dans certaines provinces, durant l'exercice d'une profession dérogeante. (Ds LITTRÉ, GUÉRIN 1892, DG).
— Noblesse d'Empire, noblesse de l'Empire, noblesse impériale. Noblesse conférée par Napoléon à ses guerriers les plus glorieux ou à ceux qui avaient rendu d'éminents services civils. Vous avez plaidé pour Mademoiselle de Miremont, qui tient à la nouvelle noblesse, la noblesse de l'Empire (SCRIBE, Camaraderie, 1837, I, 6, p.254). Robert (...) unissait, sans s'en rendre compte, à l'amour de la démocratie le dédain de la noblesse d'Empire (PROUST, Guermantes 1, 1920, p.79):
• 5. La noblesse n'est rien si elle n'est une chose ancienne de plusieurs générations. Tant qu'il existe un témoin de sa naissance, elle n'est pas (...). De là vient le soin des familles patriciennes de faire oublier la date et de cacher le parchemin du titre primordial (...). Aussi belle, assurément, sera dans cent ans l'origine de la noblesse impériale et la légende n'en sera pas obscure.
VIGNY, Mém. inéd., 1863, p.62.
— Noblesse d'épée. Noblesse très ancienne, parfois considérée comme originaire et dont les hommes se consacrent traditionnellement au métier des armes. Synon. noblesse de race. Les membres des parlements français eux-mêmes (...) n'ont jamais pu se faire considérer comme les égaux de la noblesse d'épée (STAËL, Consid. Révol. fr., t.2, 1817, p.311). Un beau gaillard en uniforme, avec un tricorne sous le bras et une carte dépliée devant lui. —«Noblesse d'épée?» —«Presque...» (MARTIN DU G., Thib., Belle sais., 1923, p.894).
— Noblesse d'extraction, noblesse de race. Noblesse de naissance transmise par la ligne paternelle dont l'origine remonte aux grands feudataires ou même au-delà, se perdant dans la nuit des temps. Synon. noblesse de sang, de parage, de nom et d'armes, d'épée. Ce n'est point une noblesse de race, mais une magistrature héréditaire, à laquelle sont attachés les honneurs, à cause de l'utilité dont les pairs sont à la chose publique, et non en conséquence de l'héritage de la conquête, héritage qui constitue la noblesse féodale (STAËL, Consid. Révol. fr., t.2, 1817p.208). Ces nobles de campagne étaient des paysans comme les autres, mais chefs des autres. Anciennement il n'y en avait qu'un dans chaque paroisse: ils étaient les têtes de colonne de la population; personne ne leur contestait ce droit, et on leur rendait de grands honneurs. Mais déjà, vers le temps de la Révolution, ils étaient devenus rares. Les paysans les tenaient pour les chefs laïques de la paroisse, comme le curé était le chef ecclésiastique (...). Cette petite noblesse de race avait disparu en grande partie (RENAN, Souv. enf., 1883, p.27):
• 6. ... vers le milieu du dix-septième siècle, une grande confusion s'était répandue dans l'ordre de la noblesse; des titres et des noms avaient été usurpés. Louis XIV prescrivit une enquête, afin de remettre chacun dans son droit. Christophe fut maintenu, sur preuve de sa noblesse d'ancienne extraction, dans son titre et dans la possession de ses armes.
CHATEAUBR., Mém., t.1, 1848, p.18.
— Noblesse de finance. Noblesse acquise par l'achat de titres, de lettres de noblesse. (Ds LITTRÉ, GUÉRIN 1892, DG, Lar. Lang. fr., Lexis 1975).
— Noblesse par lettres. Noblesse conférée par le souverain pour services rendus. (Ds DG, Lexis 1975).
— Noblesse militaire. Noblesse conférée, à la fin de l'Ancien Régime, pour service à l'armée pendant une certaine durée ou pour l'appartenance à certains grades. (Ds LITTRÉ, GUÉRIN 1892, Lar. Lang. fr., Lexis 1975).
— Noblesse personnelle. Noblesse qui n'était pas transmissible. (Ds GUÉRIN 1892, Lar. Lang. fr., Lexis 1975).
— Noblesse de robe. Noblesse acquise par l'exercice présent ou passé de certaines charges, p. oppos. à noblesse d'épée. Synon. plus rare noblesse d'office. M. Myriel était fils d'un conseiller au parlement d'Aix; noblesse de robe (HUGO, Misér., t.1, 1862, p.7). La noblesse s'en prenait à la vénalité et à l'hérédité des charges qui constituaient une autre aristocratie: car le Tiers État était en réalité la noblesse de robe (BAINVILLE, Hist. Fr., t.1, 1924, p.202):
• 7. Jean-Jacques Olier est né à Paris (...). Sa famille appartenait, depuis quelque cinquante ans, à la noblesse de robe: le bisaïeul marchand drapier à Chartres; le grand-père, conseiller-secrétaire du roi en 1556, et allié aux Molé; le père, grand audiencier de France.
BREMOND, Hist. sent. relig., t.3, 1921, p.428.
— Nouvelle noblesse. V. noblesse d'Empire.
— Petite noblesse. Noblesse qui est moins ancienne et surtout moins illustre. Le but de ces randonnées (...) était quelque goûter, ou garden-party, chez un hobereau ou un bourgeois fort indignes de la marquise. Mais celle-ci, quoique dominant de très haut, par sa naissance et sa fortune, la petite noblesse des environs, avait, (...) tellement peur de décevoir quelqu'un qui l'avait invitée, qu'elle se rendait aux plus insignifiantes réunions mondaines du voisinage (PROUST, Sodome, 1922, p.765):
• 8. Le gentilhomme avait cédé morceau par morceau sa terre aux paysans, ne se réservant que les rentes seigneuriales, qui lui conservaient l'apparence plutôt que la réalité de son ancien état. Plusieurs provinces de France, comme celle du Limousin, dont parle Turgot, n'étaient remplies que par une petite noblesse pauvre, qui ne possédait presque plus de terres et ne vivait guère que de droits seigneuriaux et de rentes foncières.
TOCQUEVILLE, Anc. Rég. et Révol., 1856, p.156.
c) Proverbes et loc.
♦Noblesse oblige. Il faut vivre conformément à son rang et, p. anal., se conduire en faisant honneur au nom que l'on porte, à la famille à laquelle on appartient, à la position que l'on occupe. Tout ce que je viens de vous dire peut se résumer par un vieux mot: noblesse oblige! (BALZAC, Lys, 1836, p.164). Le caractère de cette noble fille était un exemple bien frappant de la maxime: noblesse oblige. Je ne connais rien de généreux, de noble, de difficile qui fût au-dessus de sa générosité et de son désintéressement (STENDHAL, H. Brulard, t.1, 1836, p.310):
• 9. Ces jeunes Anglais pensaient sérieusement à ressusciter la Chevalerie, son code de l'honneur, son respect religieux de la femme. La féodalité pouvait être périmée mais l'attitude féodale, qui considérait les hommes comme liés entre eux par des devoirs réciproques, restait la plus souhaitable. Ils regrettaient le temps où la règle de vie avait été «noblesse oblige».
MAUROIS, Disraëli, 1927, p.151.
♦Noblesse vient de vertu. La véritable grandeur, la seule supériorité proviennent de la valeur personnelle, du mérite, de la vertu. (Ds Ac. 1798, 1878, LITTRÉ, GUÉRIN 1892).
♦Soutenir noblesse (vieilli). Vivre, mener un train conforme à la noblesse de sa naissance. (Ds Ac. 1798, 1878, LITTRÉ, GUÉRIN 1892, DG).
2. P. méton. Ensemble des gentilshommes et des anoblis plus partic., à la fin de l'Ancien Régime, ordre qui, avec ceux du clergé et du Tiers-État, constituait l'ensemble de la population française. Ordre de la noblesse; privilèges de la noblesse; noblesse/bourgeoisie; noblesse/clergé. Cette croisade si fatale, dans laquelle devait périr l'élite de la noblesse française (JOUY, Hermite, t.4, 1813, p.27). Le clergé et la noblesse se résignaient déjà à prêter main-forte aux vainqueurs pour écraser l'ennemie commune, la République (ZOLA, Fortune Rougon, 1871, p.103). V. anoblir ex. 2, anobli ex. 3, anoblissement ex. 1 in fine et aristocratie ex.3:
• 10. ... l'aristocrate tenait à marquer sa dignité par la manière de vivre. Il portait l'épée;; sa carrière était celle des armes. Conseiller-né du prince, il acceptait de le servir comme ministre, diplomate, gouverneur ou intendant (...). Le gentilhomme entrait aussi dans l'Église. Mais il dérogeait s'il acceptait un emploi subalterne ou recherchait un gain mercantile; Colbert excepta le commerce de mer, sans grand succès. L'évolution économique, par la puissance de l'argent, avait donc été néfaste à la noblesse féodale.
LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p.51.
— Assemblée de noblesse. Assemblée de gentilshommes. (Ds Ac. 1798, 1878, LITTRÉ, GUÉRIN 1892).
— Noblesse couronnée. Princes de la famille royale. (Ds BESCH. 1845-46, Lar. 19e-Lar. Lang. fr.).
— Noblesse présentée. Les nobles qui vivent à la Cour. Synon. noblesse de Cour. (Ds LITTRÉ, GUÉRIN 1892).
— Noblesse de province, p. oppos. à noblesse de Cour.
— Noblesse titrée. Les nobles qui ont un titre de noblesse (de duc, comte, marquis), p. oppos. à la simple noblesse. (Ds Lar. Lang. fr., Lexis 1975).
3. Dans la plupart des pays, des civilisations occidentales et à certaines époques, ordre social constitué par la naissance, la conquête ou dont les membres exercent certaines fonctions et détiennent en contrepartie certains privilèges; p.méton. ensemble de ses membres ou de leurs descendants. Noblesse allemande, anglaise. La noblesse romaine, n'ayant rien à faire ni militairement, ni politiquement, doit être ignorante et paresseuse (STAËL, Corinne, t.1, 1807, p.291). Les signatures de la chancellerie de Malte, qui fait foi pour la noblesse du monde entier (VILLIERS DE L'I.-A., Corresp., 1877, p.232). La noblesse bavaroise et les Stände[ordres, États] du Wurtemberg continuaient leur opposition; mais la pensée de renoncer à leurs privilèges ne les effleurait pas (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963p.615):
• 11. Dans les temps féodaux, on considérait la noblesse à peu près du même oeil dont on considère aujourd'hui le gouvernement: on supportait les charges qu'elle imposait en vue des garanties qu'elle donnait. Les nobles avaient des privilèges gênants, ils possédaient des droits onéreux; mais ils assuraient l'ordre public, distribuaient la justice, faisaient exécuter la loi, venaient au secours du faible, menaient les affaires communes. À mesure que la noblesse cesse de faire ces choses, le poids de ses privilèges paraît plus lourd, et leur existence même finit par ne plus se comprendre.
TOCQUEVILLE, Anc. Rég. et Révol., 1856, p.95.
Rem. De nos jours, ce terme, désignant l'ensemble des descendants actuels de la noblesse est assez peu attesté. Association de la Noblesse Française (A.N.F.). La noblesse française ne représente qu'une infime minorité de la population en France. Serait-elle beaucoup plus en qualité? Est-elle encore une élite (...)? Aurait-elle perdu son âme au contact de la vie moderne et du monde des affaires? Est-elle seulement un reflet du passé? (E.DE SÉRÉVILLE, A. DE SAINT SIMON, Dict. de la noblesse fr., Paris, 1975, préf., p.18). On rencontre plus facilement l'adj. noble adjoint au terme famille pour désigner les descendants, plus rarement le subst.: Qu'est-ce qu'un noble? Nous ne parlerons que de la définition juridique: descendre d'un auteur en possession de la noblesse française (E.DE SÉRÉVILLE, A. DE SAINT SIMON, Dict. de la noblesse fr., Paris, 1975, préf., p.16).
B. —Au fig.
1. [En parlant de qqn]
a) [de son aspect physique, de son maintien, des composantes de la personnalité] Pureté des traits, caractère de beauté sobre; impression de majesté, de dignité; attitude reflétant un mélange harmonieux de dignité, de grâce et d'élégance. Noblesse naturelle; noblesse du visage; air de noblesse. Leur front est large, uni, blanc, poli comme celui des plus belles femmes d'Angleterre ou de Suisse; mais la ligne régulière, droite et large du nez donne plus de majesté et de noblesse antique à la physionomie (LAMART., Voy. Orient, t.1, 1835, p.155). C'est à cette habitude de porter des fardeaux assez lourds sur leur tête, que les indigènes (...) doivent souvent la noblesse de leur allure et de leur port (GIDE, Journal, 1927, p.866). L'extraordinaire noblesse d'un visage aux lignes si simples, si pures que ni l'âge, ni la souffrance, ni même l'empâtement d'une mauvaise graisse n'en altéraient jamais la bienveillance profonde, l'expression de calme et lucide acceptation (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p.1362).
b) [de son comportement, de ses sentiments] Dignité, élévation des idées et des sentiments; mélange de générosité, de dépouillement et d'élégance. Noblesse d'âme, de caractère, de coeur. La haute noblesse du clergé catholique est due tout entière au célibat (J. DE MAISTRE, Pape, 1819, p.292). Pas de noblesse sans courage. La noblesse, c'est le côté dur de l'homme; et pourtant elle n'est qu'un sentiment, et très secret. Ce n'est pas l'esbroufe. La vie n'est rien, sans noblesse (CHARDONNE, Attach., 1943, p.124):
• 12. ... la vraie noblesse est dans le caractère, dans le mérite personnel, dans la distinction morale, dans l'élévation des sentiments et du langage, dans la dignité de la vie et le respect de soi-même. Ceci est mieux que du jacobinisme et l'inverse de l'égalitarisme brutal. Au lieu de rabaisser tout le monde. C'est le droit à monter...
AMIEL, Journal, 1866, p.222.
2. [En parlant de qqc.] État, caractère de ce qui est noble. Noblesse du style, de l'expression, des propos.
a) Caractère de beauté sobre, de majesté, de détachement, d'élégance; absence de vulgarité. Il y a des arts sans noblesse; ceux dont le but est l'utilité pratique et matérielle; on les nomme des métiers (COUSIN, Hist. philos. mod., t.2, 1846, p.190). À l'autre bout de Madrid, s'étend le quartier royal qui a de la noblesse et du style, et qui découvre le seul paysage de cette ville sans perspectives (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1933, p.219).
b) BEAUX-ARTS (archit., peint., sculpt.). L'Église fut sévère pour le Caravage parce qu'il s'écartait de la grande tradition chrétienne, faite de noblesse et de beauté (MÂLE, Art relig., 1932, p.7). Pour que ces visions fussent dignes de Dieu, il [le Tintoret] voulait qu'elles fussent nobles; et il tirait sa noblesse de l'idéalisation du dessin, de la transfiguration par la lumière, du lyrisme de la couleur (MALRAUX, Voix sil., 1951, p.442):
• 13. La hardiesse bourguignonne était reconnaissable, plus belle à son goût que l'ogive écrasée de la Chaise-Dieu. Il suffisait de se rappeler la splendeur de Cluny. Toute la flamme du gothique, et plus de mesure. Toute la noblesse du plein cintre, ses certitudes de pensée, sa sérénité.
MALÈGUE, Augustin, t.2, 1933, p.135.
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1140 «fête, réjouissance pompeuse» (GEFFREI GAIMAR, Estoire des Engleis, éd. A. Bell, 6507); 2. 1155 «fait de l'emporter sur les autres par sa valeur, sa dignité» d'une personne (WACE, Brut, éd. I. Arnold, 9031); ca 1280 d'une chose (GIRART D'AMIENS, Escanor, 3 ds T.-L.: Et qui bel conmence et define, l'uevre en est plus bele et plus fine Et de plus grant noblece asez); 1674 en parlant du style (BOILEAU, Art poétique, I, v. noble I B 1 d); 3. ca 1280 coll. «ensemble de personnages de grande valeur, de grande qualité» (GIRART D'AMIENS, op. cit., 3184 ds T.-L: ... la grant noblece De la Table Rëonde i vint). B. 1. Fin XIIIe s. noblace «qualité de celui qui est noble de naissance» [d'apr. FEW t.7, p.159a] (LAUR., Somme, ms. Chartres 371, fol. 5 r° ds GDF. Compl., sans cont.); 1331 noblesche (Cart. noir de Corbie, BN 17758, fol. 104 r°, ibid.); ca 1465 l'estat de noblesse (JEAN DE BUEIL, Le Jouvencel, 2e part., XIX, éd. L. Lecestre, t.2, p.82); 1607 noblesse de robbe longue (E. PASQUIER, Recherches, tables, non foliotées); 1615 petite noblesse (F. MAYNARD, Manifeste ds Satires fr. du XVIIe s., éd. F. Fleuret et L. Perceau, t.1, p.69); 1678 haute noblesse (G. A. DE LA ROQUE, Traité de la noblesse et de ses espèces, IX, p.22); 2. ca 1490 coll. «l'ensemble des nobles» (Violier des hist. rom., 47 d'apr. FEW, loc. cit., p.158a). Dér. de noble1; suff. -esse. Fréq. abs. littér.: 2969. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 6134, b) 4786; XXe s.: a) 3109, b) 2956. Bbg. DUB. Pol. 1962, p.353. —DUBY (G.). Hist. des sociétés médiév. Annuaire du Collège de France. 1971, t.71, pp.527-529. —DUCH. Beauté 1960, p.134. —VARDAR Soc. pol. 1973 [1970], p.273.
noblesse [nɔblɛs] n. f.
ÉTYM. V. 1138, noblesce « fête pompeuse »; de noble.
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♦ Caractère, état, qualité de ce qui est noble.
———
I (Sens général).
1 Grandeur des qualités morales, de la valeur humaine. ⇒ Beauté, dignité, élévation, générosité (1.), gentillesse (1., vx), magnanimité. || Noblesse d'âme (cit. 66), de caractère, de cœur, d'esprit (→ Effacement, cit. 4; froideur, cit. 5). || Noblesse de vues. ⇒ Hauteur. || Vertus qui donnent de la noblesse à l'homme. ⇒ Ennoblir. || Revendiquer le monopole (cit. 6) de la noblesse. || Nature sans noblesse. ⇒ Distinction, fierté, générosité (2.), grandeur. || La noblesse d'une nature se reconnaît dans l'épreuve (cit. 30).
1 La noblesse est la préférence de l'honneur à l'intérêt; la bassesse, la préférence de l'intérêt à l'honneur.
Vauvenargues, De l'esprit humain, XLV.
2 Ô noblesse ! ô beauté simple et vraie ! déesse dont le culte signifie raison et sagesse, toi dont le temple est une leçon éternelle de conscience et de sincérité, j'arrive tard au seuil de tes mystères; j'apporte à ton autel beaucoup de remords.
Renan, Souvenirs d'enfance…, II, I.
3 C'est une grande preuve de noblesse que l'admiration survive à l'amitié.
J. Renard, Journal, 25 mai 1897.
4 Servir, être bon à quelque chose, bien faire à autrui; toute noblesse vient du don de soi-même.
Valery Larbaud, A. O. Barnabooth, Journal, III, 7 août.
♦ (En parlant des actes, des sentiments humains). || Essuyer (cit. 15) un outrage avec noblesse. || Résoudre avec noblesse les grands problèmes moraux de la science (→ Avocat, cit. 17). || Noblesse dans la conduite (cit. 27). || Noblesse des procédés, des sentiments (→ Fille, cit. 28). — Noblesse d'une entreprise, d'un art, d'une science.
♦ Littér. Au plur. Actions, sentiments nobles. || Les noblesses du véritable amour (→ Exclusivité, cit. 1). || « Les facultés du génie sont indépendantes (cit. 14) des noblesses de l'âme » (Balzac).
2 (V. 1155). Caractère noble (du comportement, de l'expression, ou de l'aspect physique). ⇒ Dignité, distinction, majesté. || « L'aisance (cit. 3), la noblesse de ces citoyens fiers et tranquilles » (Renan). || Son attitude n'est pas sans noblesse. || Cavaliers à l'air de noblesse (→ Genet, cit. 1). || Front (cit. 2) plein de noblesse. — Répliques d'une excessive noblesse (→ 2. Lapidaire, cit. 1).
5 Fontanes pouvait, dans l'habitude familière, avoir par moments le ton tranchant, ou même l'air vaurien comme le lui disait Mme Du Fresnoy; mais dès qu'il prenait la parole en public, la mesure, la gravité, la noblesse naturelle se retrouvaient en lui.
Sainte-Beuve, Chateaubriand…, t. II, p. 99.
6 (…) sa douceur extrême et la noblesse ingénue de son maintien avaient révolté ces petites souillasses qui la traitèrent de « poseuse » (…)
Léon Bloy, la Femme pauvre, I, IV.
♦ Littér., arts. Caractère de majesté, de beauté grave. ⇒ Grandiose. || « La noblesse de l'expression est une des cinq sources du grand » (cit. 73, Boileau). || Noblesse du style. || Mot qui l'emporte en noblesse sur son synonyme (→ Inhumer, cit. 1). — Noblesse d'un portrait, d'un buste (cit. 7). || Tableau, personnage sans noblesse (→ 1. Froid, cit. 27).
7 Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse :
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
Boileau, l'Art poétique, I.
8 En somme, rien n'est si commun que cette élégance et cette noblesse de convention. Rien de trouvé, rien d'imaginé, rien d'inventé dans ce style. Ce qu'on a vu partout, rhétorique, ampoule, lieux communs, fleurs de collège, poésie de vers latins.
Hugo, Cromwell, Préface.
———
II (1279, noblace). Dans l'ordre social.
1 Condition du noble. || Hiérarchie des titres de noblesse français (⇒ Nobiliaire), selon l'ordonnance du 25 août 1817, art. 12. ⇒ Chevalier, baron, vicomte, comte, marquis, duc, prince (→ aussi Généalogiste, cit. 1 et 2). || Les armoiries, le blason, la couronne, signes de noblesse. || La particule n'est pas nécessairement une marque de noblesse. || L'usurpation d'un titre de noblesse est punie par l'art. 259 du Code pénal. — Noblesse d'extraction, de naissance, de race (⇒ fam. Gentilhommerie). || Être de haute noblesse. ⇒ Lignage. || Quartiers de noblesse. || Établir que sa noblesse remonte à l'an 1400 (→ Généalogiste, cit. 3). — Noblesse paternelle, de parage, de sang. || Noblesse utérine (cf. l'adage : Le ventre anoblit). — Noblesse d'épée. || Noblesse d'office ou de robe. || Noblesse de finance, acquise par l'achat de lettres de noblesse. || Noblesse de lettres (⇒ Anoblissement). — Noblesse héréditaire, transmissible (⇒ Majorat). || Noblesse personnelle, qui ne se transmet pas aux descendants. || Noblesse authentique. || Attester, prouver sa noblesse. — Noblesse douteuse, incertaine (cit. 10). — Avantages (cit. 2) qui s'attachaient à la noblesse. ⇒ Nom. || Faire sentir sa noblesse d'une manière insultante (cit. 2). || Être entiché de noblesse. — Déroger à noblesse (⇒ Déchoir, cit. 3).
9 Si la noblesse est vertu, elle se perd par tout ce qui n'est pas vertueux; et si elle n'est pas vertu, c'est peu de chose.
La Bruyère les Caractères, XIV, 15.
10 — Le Seigneur (…) apporte à Arlequin ses lettres de noblesse (…)
Arlequin : Allons, me voilà noble : je garde le parchemin; je ne crains plus que les rats, qui pourraient bien gruger ma noblesse (…) Ma noblesse ne m'oblige-t-elle à rien ? car il faut faire son devoir dans une charge.
Marivaux, la Double Inconstance, III, 4.
11 La noblesse est un héritage, comme l'or et les diamants.
Vauvenargues, Réflexions, « Sur la noblesse ».
12 Savez-vous bien, madame, que je prouve déjà près de vingt ans de noblesse; que cette noblesse est bien à moi, en bon parchemin, scellé du grand sceau de cire jaune; qu'elle n'est pas, comme celle de beaucoup de gens, incertaine et sur parole, et que personne n'oserait me la disputer, car j'en ai la quittance !
Beaumarchais, Add. au suppl. du mémoire à consulter, éd. Furne, III, p. 144.
13 La noblesse est une dignité due à la présomption que nous ferons bien, parce que nos pères ont bien fait.
Joseph Joubert, Pensées, XVI, LIV.
14 À cette époque, vers le milieu du dix-septième siècle, une grande confusion s'était répandue dans l'ordre de la noblesse; des titres et des noms avaient été usurpés. Louis XIV prescrivit une enquête, afin de remettre chacun dans son droit. Christophe fut maintenu, sur preuve de sa noblesse d'ancienne extraction, dans son titre et dans la possession de ses armes, par arrêt de la Chambre établie à Rennes pour la réformation de la noblesse de Bretagne.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. I, p. 17.
15 Les De Genillé se résignaient d'autant moins à leur situation difficile, qu'ils se considéraient comme d'une noblesse infiniment plus relevée que les De Champcenais, dont le titre était fort douteux.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XIII, p.177.
16 La noblesse résulte aujourd'hui de la possession d'un titre nobiliaire. — Le port, comme nom patronymique, de simples noms de terres non titrées ne relève donc en aucune façon de la législation propre aux titres de noblesse (…) Les titres de noblesse sont considérés comme étant des accessoires du nom patronymique; ils ne font pas partie du nom, ils lui sont seulement adjoints.
Dalloz, Petit dict. de droit, p. 879.
♦ ☑ Loc. Noblesse oblige : la noblesse crée le devoir de soutenir dignement son rang, de faire honneur à son nom.
17 Lorsqu'on est issu d'une famille illustre, l'on doit apprendre à ses enfants que si le public est disposé à honorer en eux le mérite de leurs parents, il s'attend à en trouver les traces chez leurs descendants… Noblesse oblige.
G. de Levis, Maximes et Réflexions, p. 12-13.
18 Le caractère de cette noble fille était un exemple bien frappant de la maxime : Noblesse oblige. Je ne connais rien de généreux, de noble, de difficile, qui fût au-dessus de sa générosité et de son désintéressement.
Stendhal, Vie de Henry Brulard, p. 29.
2 Classe des nobles. ⇒ Aristocratie. || Origines féodales de la noblesse. || Sang « bleu » (cit. 6) de la noblesse. || Charge qui donne rang parmi la noblesse. ⇒ Anoblir (cit. 1). || Le bourgeois gentilhomme (cit. 2) de Molière veut forcer l'accès de la noblesse. || Fréquenter (cit. 7), hanter (cit. 7) la noblesse. — Prérogatives, privilèges de la noblesse sous l'Ancien Régime (→ Exemption, cit. 2). || Rôle de la noblesse dans une monarchie (cit. 1), dans un gouvernement monarchique (cit. 1). || Noblesse et tiers état (cit. 94). || Les députés de la noblesse en 1789. — Une partie de cette classe. || Ancienne noblesse, celle qui est antérieure à la Révolution; nouvelle noblesse, celle qui a été créée depuis la Révolution. || Noblesse d'Empire, celle qui tient ses titres de Napoléon Ier. || Appartenir à la haute noblesse, (vieilli) à la noblesse d'ancienne roche, à la plus ancienne, à la plus illustre (opposée à la petite noblesse). — Noblesse de cour (cit. 9), de province. || Le corps de la noblesse des États provinciaux (→ Monsieur, cit. 1). — Une noblesse pauvre (→ Clinquant, cit. 1).
19 Le besoin d'argent a réconcilié la noblesse avec la roture, et a fait évanouir la preuve des quatre quartiers.
La Bruyère les Caractères, XIV, 10.
20 Il n'y a rien que l'honneur prescrive plus à la noblesse que de servir le prince à la guerre : en effet, c'est la profession distinguée, parce que ses hasards, ses succès et ses malheurs même, conduisent à la grandeur.
Montesquieu, l'Esprit des lois, IV, II.
21 La noblesse, disent les nobles, est un intermédiaire entre le roi et le peuple (…) Oui, comme le chien de chasse est un intermédiaire entre le chasseur et les lièvres.
Chamfort, Maximes, « Sur la noblesse », XXXVIII.
22 (…) le culte de la noblesse, mêlé et s'accommodant d'un certain esprit de révolte contre elle, doit, héréditairement puisé sur les glèbes de France, être bien fort en son peuple. Car Françoise (…) si seulement elle apprenait (…) que le fils cadet du duc de Guermantes s'appelait généralement le prince d'Oléron, s'écriait : « c'est beau ça ! » et restait éblouie comme devant un vitrail.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. VI, p. 41.
♦ Noblesse anglaise (⇒ Gentry, cit. 1), germanique, polonaise (→ Brillant, cit. 10)…
23 La noblesse anglaise s'ensevelit avec Charles Ier sous les débris du trône (…) On a vu la maison d'Autriche travailler sans relâche à opprimer la noblesse hongroise.
Montesquieu, l'Esprit des lois, VIII, IX.
3 (XIe). || Noblesses, n. f. pl. Hist. Livrées, insignes conférés comme marque d'honneur (dans un tournoi, etc.).
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CONTR. (Du I.) Abjection, bassesse, ignominie, infamie, misère. — Familiarité. — (Du II.) Roture.
Encyclopédie Universelle. 2012.