MIRACLE
La notion de miracle est une notion religieuse, c’est-à-dire que ce n’est ni un concept philosophique ni un concept scientifique.
Lorsque des philosophes ou des savants, des physiciens ou des métaphysiciens, parlent du miracle, ils traitent en fait d’un autre problème. Ce qui les intéresse, c’est une question de leur ressort: déterminisme ou indéterminisme? nécessité ou contingence? Plus clairement: y a-t-il des lois de la nature? Sont-elles absolues? Admettent-elles des dérogations, des violations? À ces questions, les réponses diffèrent selon les écoles.
Généralement, les philosophes estiment contradictoire qu’un système de lois, s’il existe, là où il existe, puisse souffrir exception: brisé sur un point, il se déferait sur tous les autres. Dans ce sens, pour Spinoza, le miracle ne serait pas un simple caprice: il serait l’impossibilité de l’ordre, la négation de l’idée de monde.
Certains philosophes précisent cependant que nul ne connaît le système du monde, qu’en toute hypothèse il est plus complexe, plus riche et plus fin que les formules qu’on en pourrait donner, qu’en conséquence il y a lieu de distinguer entre ce système universel, mais inaccessible, et les systèmes partiels (les ensembles de relations) qui sont susceptibles de contrôle. En somme, on ne découvre nulle part le déterminisme; on rencontre des déterminismes; non l’ordre total, mais des segments ou des fragments.
De son côté, la science continue à se fonder sur le postulat du déterminisme (s’il n’y avait de l’ordre, il n’y aurait que des données ponctuelles, sans interaction réelle, sans lien intelligible). Mais les manières de concevoir ce déterminisme se relaient et se combattent; de même les manières de définir la loi scientifique (qui, en tout état de cause, a perdu son caractère rigide, impératif).
Bien plus, si l’on en croit l’épistémologie contemporaine, il semble que la science de la nature n’exige pas d’être au clair sur les notions de loi ou de déterminisme (et pas même sur le concept de nature). Il lui suffit de construire idéalement des systèmes hypothético-déductifs et de les faire départager par l’expérimentation. Elle atteint alors du vérifié, ou plutôt, si l’on s’exprime en rigueur, du non-falsifié, du non-démontré-faux. Pour aller de l’avant, pour être efficace, la science n’a besoin que de ce laissez-passer modeste et tacite, provisoire et révocable.
Si physiciens et métaphysiciens parlent d’autre chose quand ils parlent du miracle, mieux vaut consulter l’histoire des religions ou la phénoménologie de la religion. Ce sera une source plus sûre, en tout cas plus directe. Malheureusement, aucun phénomène de culture n’est pur, exempt de tout mélange, pas même la religion; de sorte que la notion de miracle, au terme d’une longue évolution, pourrait bien pâtir d’inévitables compromis.
1. L’homme primitif et les puissances mystérieuses
Pour l’homme archaïque, le merveilleux et le prodigieux sont des index de transcendance qui s’imposent spontanément, qui vont de soi, qui sont «tout naturels». Il se représente le divin, le sacré, le numineux , en termes de puissance, et même de surpuissance, de toute-puissance. Il est aidé en cela par l’imagination, par le jeu normal, quoique ambigu, de l’imagination. Celle-ci se croit souveraine, douée d’une efficacité sans limites: ce qui entraîne nombre de psychologues (pas seulement les psychanalystes) à la doter d’une essence magique, superstitieuse. En fait, l’imagination n’est pas seule en cause, et elle n’est pas nécessairement dupe de ses procédés. Pour elle, l’impossible est possible. Mais cet impossible, elle le rapporte à un pouvoir distinct du sien; elle l’attribue à une puissance qu’elle ne se reconnaît pas. La preuve en est qu’elle la situe au-dessus d’elle et qu’elle voudrait la capter. Elle s’avoue donc dépendante (ce que traduit sa visée de transcendance), illimitée dans ses vœux, mais limitée dans son exercice. (Elle «rêve» la toute-puissance, elle ne se l’arroge pas: ce qui dénote un certain sens du réel.)
Quoi qu’il en soit, l’homme archaïque a d’emblée le sentiment de la puissance, d’une puissance qui le dépasse et qu’il révère. Cette puissance, il l’identifie de façon globale et confuse; elle lui apparaît massive, ininterrompue, incirconscrite; elle pénètre tous les lieux, tous les instants de son existence. Partout diffuse, elle se montre où il lui plaît; elle n’est absente d’aucune donnée, d’aucune réalité. En conséquence, tout peut être numineux et tout est prodigieux, n’importe quel fait, n’importe quel événement peut passer pour miraculeux. C’est trop peu dire que le primitif n’a pas la notion du miracle-exception. Il a la notion contraire: celle du miracle permanent, celle d’un merveilleux qui n’est pas l’exception, mais le régime ordinaire.
Ce n’est pas que l’homme archaïque soit incapable de distinguer entre la force surnaturelle qui anime tout ce qui est, tout ce qui vit, et le plan où il agit lui-même, le plan où s’exerce son savoir-faire: sur ce plan, il procède de façon circonspecte, habile et réfléchie; il éprouve la résistance des choses, il en tient compte, il s’y plie et s’y adapte; il regarde le réel comme suivi, sinon comme consistant. Il a donc deux manières de voir et d’appréhender l’Univers: l’une pour son expérience affective, morale et religieuse; l’autre pour l’utile, le pragmatique, le technique et, d’abord, pour la mise en structures de son système d’échanges, quels que soient ces échanges: les mots, les femmes, les biens (cf. la thèse de C. Lévi-Strauss). Pourtant, malgré cette subtilité dont il convient de le créditer, et qui va loin (elle suppose une aptitude logique semblable à la nôtre, elle dément la «loi de participation» chère à L. Lévy-Bruhl, elle oblige à la refondre presque entièrement), on observe que l’homme archaïque place l’efficience, la causalité déterminante, d’un seul côté: celui des puissances mystérieuses. Son action, même correctement conduite, ne réussit pas en vertu de ses propres mécanismes; elle réussit par la croyance et par le rite, par la magie surajoutée.
Autrement dit, bien qu’il distingue naturel et surnaturel (supranaturel), le primitif ne considère aucun de ses actes comme simplement naturel. C’est en quoi, dans son monde qui est plus que nature, rien n’est miracle, au sens d’exception, et tout est miracle, au sens d’intervention, d’irruption des puissances d’en haut.
C’est là un premier pas (en réalité, un commencement qui est un fondement). Désormais, l’intuition principale est acquise: pas de surface sans profondeur, de visible sans invisible, car la nature passe la nature autant que l’homme passe l’homme. Mais cette intuition (forme et contenu liés) n’est ni rare ni surprenante: elle est journalière et familière.
2. Le prodigieux, signe du gratuit
Un deuxième pas est franchi (ce style de genèse, cette description par stades ou par étapes sont cependant hors chronologie), lorsque l’homme archaïque apprend à déterminer le prodigieux comme ce qui s’oppose au système de règles par lequel il cherche à stabiliser sa propre condition, éventuellement à la protéger (car les forces numineuses sont de deux sortes: secourables ou hostiles). Les différents rituels, qu’il s’agisse de rites négatifs (préservation de l’impur), de rites positifs (participation au sacré), voire de rites réglés contre les règles (sorciers et magiciens sont spécialistes de la transgression, mais de la transgression dans les formes), pourvoient à cette régulation. Ils instituent un monde de la loi, de la coutume et de la tradition, qui désarme l’angoisse, procure l’équilibre et commande, en le délimitant, le comportement normal des individus et des groupes.
Malheureusement (ou plutôt, heureusement), aucun réseau d’impératifs, si serré soit-il, ne parvient à prévoir, à régler tous les cas; l’inquiétude humaine est la plus forte: elle garde en elle quelque chose qui ne peut être ni légalisé, ni ritualisé. Les sociétés archaïques ont beau se conditionner à outrance: toujours subsiste de l’inconditionné, du non-dominé, du non-maîtrisable (même par voie magique, et là est bien la chance de la religion: là où les essais de captation échouent en face de l’inconnaissable, une autre solution sera adoptée, celle de l’oblation, de l’offrande désintéressée). La part de l’inconditionné, de l’irréductible aux règles, à la normalisation, à l’existence ordonnée, voilà ce qui va permettre de définir le prodigieux, voilà ce qui va révéler la puissance dans ce qu’elle a de supranormal, d’extraordinaire. Voilà du même coup ce qui va susciter et exciter le sentiment du gratuit, la conviction que la puissance peut agir hors condition, par-delà les normes et les lois.
Bien entendu, le signe du gratuit, de la pure gratuité ne pourra être que l’insolite, l’inhabituel, puisque tout le reste entre dans la catégorie de l’institué, du conditionné, du «conventionné». Or l’étrange, l’inaccoutumé, ne manque pas de se présenter; s’il peut être déchiffré comme expression du gratuit, spécialement comme index d’une bonté, d’une bienveillance exceptionnelles (car les étrangetés, les singularités malfaisantes inspirent surtout des attitudes de défiance, des rites de conjuration), il devient miraculeux. Dans ce sens, il y a miracle, non parce qu’il y a prodige, mais parce que le prodige témoigne que la puissance a en réserve des trésors qu’aucun effort humain, aucune recette, magique ou pas, ne sauraient conquérir. Le miracle ainsi compris est plus que du merveilleux de fabulation. Il est la découverte émerveillée que l’intime de la puissance se dérobe à toute emprise et que, s’il transparaît par intermittences, nul, jamais, ne dispose du moyen de le faire paraître. À cet égard, il y a un abîme entre miracle et sortilège, entre le prodige qui révèle la grâce et le prodige qui révèle l’adresse, le tour de main du charmeur.
Mais un prodige ne peut signifier la grâce que pour des lecteurs de signes, pour des interprètes entraînés, pour des sujets religieux qui se tiennent à l’affût et à l’écoute. C’est une loi générale de la dialectique et de l’axiologie des symboles: le signe ne «fait signe» qu’à celui qui le scrute et l’interroge, qu’à celui qui y cueille un message dont il possède le code. L’homme archaïque discerne le gratuit, le non-dû, l’inconditionné, parce que l’univers de la règle ne le satisfait pas complètement, parce qu’il aspire à autre chose, parce qu’il veut et ne veut pas la règle, parce qu’en somme il est libre. Et il le discerne dans l’insolite et l’anormal, parce que son univers est saturé de règles, parce que sa perception, y compris sa perception mystique, est comme endormie dans des habitudes soigneusement entretenues, exactement réglées; seuls un réveil, une secousse peuvent l’arracher aux stéréotypes quotidiens. De là le privilège qu’il accorde, qu’il finit par accorder, au prodigieux de rareté, au «puissant» d’exception, à ce qui n’est ni constant, ni fréquent, ni même répétable. Mais ce n’est là qu’une occasion, une circonstance favorable. L’important n’est pas le fait qui sert à la lecture, c’est la lecture elle-même, son déchiffrage du fait. Et l’on sait de reste qu’un homme religieux plus évolué apprendra à lire la grâce sur autre chose que des prodiges, sur autre chose que des événements extérieurs, quels qu’ils soient.
De toute façon, la saisie archaïque du gratuit dans le prodigieux, dans le miraculeux placé hors série parce que hors règle, évite le piège «moderne» du passage à l’interprétation religieuse par défaut d’explication naturelle, par détermination d’un seuil de puissance à partir duquel seraient franchies les bornes de la nature. À l’origine, l’érection du prodige en miracle n’est pas motivée par une évaluation de degrés de puissance, par un calcul, même grossier, de la quantité de force mise en jeu. N’ayant pas la notion d’une nature laissée à ses propres ressources, limitée à ses forces mécaniques, le primitif ne doute pas que la puissance, qui est partout, est partout la même, qu’elle s’emploie tout entière à tout instant. Non seulement il ne prétend pas la mesurer selon des dosages dont il aurait la formule, mais en fait ce n’est pas la puissance qu’il évalue; c’est ce qui est signifié de la puissance dans telle donnée, tel événement qui font ressaut sur une continuité devenue monotone; ou encore, ce n’est pas un fait qu’il apprécie, c’est un message: tout se passe dans le langage des signes. Le prodige est miraculeux, non parce qu’il est prodige (sous-entendu: supérieur à la moyenne, au-dessus des forces communes), mais parce qu’il révèle le plus secret de la puissance, ce qui n’en paraît pas dans une participation réglée: à savoir un type de gratuité qui ne pourra jamais être enserré ni résorbé dans le lacis des lois, dans l’appareil des conventions («l’Esprit souffle où il veut»).
Cette révélation, ce style de révélation, se caractérise par son audace; il contraste avec la religion sociale, chargée de canaliser le numineux, de l’apprivoiser, de l’assagir. Mais cette tension peut être féconde, et sans doute les religions concrètes sont-elles des conciliations plus ou moins déclarées, plus ou moins poussées, entre cette exaltation et cette discipline. Au surplus, les groupes religieux sont réputés pour leur vigilance. Ils n’admettent les révélations privées, les interprétations subjectives que sous réserve de consonance à la foi collective: la croyance aux miracles sera donc surveillée, ce qui préviendra, contiendra, refoulera au besoin, certains délires. Il reste, et c’est le point trop méconnu, que la notion de miracle n’a pas désigné d’abord le fait où entre un surcroît de puissance, mais celui où entre un surcroît d’information qualitative, un surcroît de valeur révélatrice. Le prodigieux n’est miraculeux que s’il atteste le caractère inconditionné de numineux, son caractère de gratuité, ce par quoi il est insondable et inaliénable, impossible à domestiquer.
Cette restitution de sens n’a trait pourtant qu’à l’usage le plus désintéressé du prodigieux, ou, si l’on veut, son usage strictement religieux, dépouillé de toute magie: ce qui suppose une innocence idéale, une sorte d’état de grâce poétique.
Plus prosaïque, l’histoire rappelle que le prodigieux est passible d’un usage beaucoup moins noble, même après avoir été l’inducteur du gratuit: de l’accueil de celui-ci, on voudrait passer (contradictoirement) à sa requête, en quelque sorte à sa réquisition. Dès qu’on sollicite un prodige comme preuve de la puissance, comme preuve de sa présence et de sa complaisance, on retourne au magique, on retourne à la prise. Le miracle, au contraire, était surprise; le non-dû absolu se proposait dans l’inattendu absolu. Aussi bien le miracle-probation, le miracle-démonstration, dérive-t-il d’un autre esprit que le miracle-don. Pour tout dire, il n’est pas miraculeux; il est aventureux, il «tente Dieu », et il est pédagogiquement contestable: c’est de l’impressionnant (pour la sensibilité) utilisé comme argument (pour l’intelligence).
3. L’histoire sacrée et les «œuvres de Dieu»
Un troisième pas est franchi lorsque le prodigieux, signe de grâce, n’est plus perçu en situation «naturelle», mais en situation historique, lorsqu’un groupe religieux particulièrement inventif (Israël) récuse l’animisme, condamne l’idolâtrie, expulse ou retouche les mythes de représentation, leur préfère un mythe d’action, et décide de «signifier» Dieu par une exigence morale, par une intention de perfection dont le rôle pourra rester indéfiniment moteur. (Un tel idéal s’actualise dans l’effort, dans la suppression effective et progressive de ce qui retarde ou compromet l’harmonie universelle, la réconciliation de l’homme avec l’homme et avec la nature, mais il ne devient jamais réalité, réalité totale et définitive: son actualisation même rouvre l’avenir, engendre une nouvelle attente, une nouvelle espérance, car chaque réalisation accroît l’exigence et contient la promesse d’une réalisation meilleure.)
L’avantage de cette position est double. Elle fonde l’histoire comme création de fins, comme devenir orienté, comme modification, de l’homme et du monde. Simultanément, elle obtient un dieu sans visage et sans image, puisque le dieu moral, seigneur de l’histoire, n’est plus objet de représentation, mais source d’action, source d’un dynamisme qui révèle ce que Dieu veut, ce qu’il fait, non ce qu’il est: connu pratiquement , historiquement , par des actes, il ne l’est ni spéculativement , par des notions, ni imaginativement par des représentations. On doit même dire qu’il n’est convenablement désigné que comme dieu caché, en vertu de l’iconoclasme propre à la religion «historique», le trait distinctif de cette religion étant d’en appeler de ce qui est à ce qui doit être, de ne jamais se figer, de se «désétablir» au fur et à mesure qu’elle s’établit (l’acquis n’est conservé que comme tremplin vers d’autres découvertes).
Dans ce contexte, pour employer une formule qui n’est pas une définition, mais une indication, Dieu est ce qu’on fait parce qu’il le fait faire; il est plus encore ce qui reste à faire, parce qu’il exige qu’on dépasse ce qu’on a fait (ou qu’on le défasse, si on l’a mal fait) pour continuer à faire.
Dans ce contexte aussi, la nature n’est plus une symbolique divine adhérente aux choses, y adhérant sans l’intermédiaire de l’homme, sans l’entremise de l’action historique qui n’est pas nature, mais culture, qui n’est pas simple donné, mais créativité, liberté. Il en résulte que, pour la première fois, les choses se mettent à signifier de façon anthropologique, mais non anthropomorphique. Car elles signifient ce que l’homme peut en faire (moralement, religieusement), non ce qu’elles miment de l’homme lorsqu’on les pourvoit d’intentions volontaires, de significations intentionnelles, analogues à celles des consciences.
On devine que, dans ce cadre, qui est celui d’une nature prise en charge par l’histoire, d’une nature comme lieu et instrument de l’histoire, le prodigieux, même «naturel» (surgissant dans la nature, affectant la nature), aura une portée tout autre que pour le fétichisme ou le paganisme. Il sera lui-même «historique», rendu signifiant, pourvu de valeur, par l’idéal choisi comme fin de l’histoire. Il ne sera plus un signe naturel, mais positif, au sens où la positivité, en religion comme en histoire, n’est pas un fait matériel, mais un fait humain. Par là sera dénouée l’équivoque de l’animisme, qui ensemence les âmes dans les choses, les intentions dans les objets; seront surmontés sa prodigalité, son foisonnement de symboles. Dans un univers où les correspondances surabondent, où tout renvoie à tout, où tout peut signifier tout le reste (cas des symboliques naturistes), on devrait dire que rien de particulier n’a à faire signe, puisque déjà tout est signe. Au contraire, pour le judaïsme, il n’y a de signes et significations que ceux d’une histoire qui œuvre dans la nature, qui la transforme et qui finalement ne la voit qu’à travers son propre travail.
Bref, les choses, les réalités du monde, ne risquent plus de confisquer l’attention qu’on leur prête, d’arrêter l’intention qui les prend pour support. Les idoles sont abattues. Ne demeure qu’un vecteur d’action, comme clef de toutes les significations.
En ce point est la trouvaille spécifique du mosaïsme, celle qui renouvelle le symbolisme religieux, celle qui le change de niveau, même dans le réemploi des vieux matériaux. C’est l’histoire, non la nature, qui est sainte (ou la nature ne le devient que par l’histoire). C’est l’action, non ses conditionnements naturels, qui véhicule la révélation. Plus précisément, c’est une alliance, un contrat, une consécration délibérée, qui engage une communauté d’hommes à n’agir que pour Dieu, ce «pour Dieu» impliquant un «par Dieu», un «avec Dieu», sans lesquels il ne serait ni concevable, ni réalisable. Car le Dieu de la Bible, «Dieu de sainteté», n’est pas un dieu local, ni même un dieu spatial occupant tous les espaces – on le localise de façon nomade, on l’intronise de façon transportable, sous la tente, dans l’arche; et le temple lui-même, en son unicité, a pour but d’empêcher qu’on ne l’attache à des lieux culturels qui seraient des foyers de tellurisme religieux (à la mode cananéenne) ou des centres de dévotion régionaliste, particulariste. C’est un dieu, non de l’espace, mais du temps, du temps de l’action. Autant dire un dieu moral. À ce titre, il n’est nulle part, si ce n’est dans les volontés qui se confient à lui. Mais alors il y est pleinement, il y est en personne: elles sont sa volonté, puisqu’elles la font. Quand cette coïncidence des vouloirs va jusqu’à l’identité, quand l’agir de Dieu et l’agir pour Dieu se confondent, l’histoire temporelle dévoile l’éternel, non parce qu’elle le représente, mais parce qu’elle l’accomplit.
C’est pourquoi on peut parler de desseins de Dieu, de gestes de Dieu, chaque fois que le «peuple de Dieu», le peuple qui prend pour vocation et pour destin de se vouer à Dieu, interprète les événements selon son projet religieux. Ce projet est indivisiblement son intention et celle de Dieu, son action et celle de Dieu. Le dieu-volonté fait réellement ce qu’il fait faire, parce que les sujets volontaires, les agents historiques, ne reconnaissent pour fait et bien fait que ce qui est conforme à sa dignité, à sa justice, à l’idée qu’ils en ont. Dès lors, la transcendance est aussi l’immanence; et même, elle n’est que l’immanence, à condition de stipuler que cette immanence est celle d’un agir historique, d’un agir qui se pense lui-même comme advenir de Dieu, sans trêve ni repos.
Or, il est symptomatique que les témoins de cette foi, ses hérauts ou ses écrivains, appellent «miracles de Dieu» tous les faits du passé ou du présent, qu’ils soient embellis par la légende ou qu’ils aient l’urgence de l’actualité, qu’ils commémorent des victoires ou qu’ils remémorent des épreuves, tous les faits dont le sens religieux est de célébrer, de resserrer ou de relancer l’alliance initiale. Les miracles, actes du «dieu vivant», actes du dieu vécu, ne sont que les temps forts du devenir de l’alliance, les tournants principaux de l’histoire du salut. Il y a miracle quand un événement acquiert valeur salutaire, quand d’événement de rencontre il se change en avènement de grâce. L’explication matérielle, ou profane, n’est pas plus rejetée qu’elle n’est recherchée; elle est négligée, inaperçue ou mal aperçue, parfois esquissée, plus souvent enjambée (selon l’âge des rédactions ou des révisions), car elle n’a pas d’intérêt pour la foi. Aux faits eux-mêmes se substituent des faits-valeurs; à la lecture des événements comme événements se superposent une autre lecture, un autre regard, qui sont ceux de la foi comme pôle de l’histoire, comme instauration religieuse de l’histoire.
De ce point de vue, le langage du miracle n’a que les apparences d’une thaumaturgie qui bouleverse l’ordre du monde, qui suspend ou perturbe sa régularité. Le thaumaturgique est bien dans le mode d’expression (lequel préexistait, d’ailleurs, dans le fonds naturaliste que les élites mosaïques eurent à transposer en positivité historique); il figure même dans les parties les plus affinées de la Bible. Mais cet archaïsme profite d’une recharge de sens, qui équivaut à une redéfinition et qui provient de l’entrée en lice du dieu-histoire (ou de Dieu comme volonté immanente à l’histoire). Insistons sur ce remaniement, sur ces inflexions.
Chez les prophètes, ou dans les textes relus, voire récrits, à la lumière de leur enseignement, les miracles sont ce que Dieu fait et fait faire (sans distinction d’une cause première et de causes secondes). Ils sont les «œuvres de Dieu» (Isaïe), les «merveilles de Dieu» (Livre de Job), les «hauts faits» ou les «exploits» de Dieu (Psaumes), ses prodiges (Michée), son secours de dernière heure (Jérémie), sa main qui libère et qui guide (Exode). Pas de différence fondamentale entre ces expressions, ou leurs innombrables variantes (on pourrait multiplier les citations). Elles signifient toutes que le monde et l’histoire, la nature et l’homme sont «dans la main» de Dieu, disons plus, qu’ils sont sa main, la «main puissante de l’Éternel» dans le double déploiement du geste créateur et du geste sauveur (qui, pour l’homme biblique, ne font qu’un, car la création est pour la recréation, le monde pour l’histoire, la nature pour la grâce).
Dans ces conditions, tout est miracle, du moins tout ce qui mène au salut, tout ce qui y contribue; tout est miracle, parce que, selon l’optique judaïque, il n’y a pas, d’un côté, une nature humaine, de l’autre, une nature divine, et pas davantage, d’un côté, une nature extérieure, de l’autre, une attitude intérieure: il n’y a qu’un faire divin qui investit et qui transit le faire humain, qui opère en lui et par lui, qui garantit son triomphe sur les éléments réfractaires. Tout est pensé en termes d’action morale, d’action régénératrice, d’action solidaire: le monde, l’homme et Dieu. Il n’existe ni monde séparé, ni humanité séparée, ni divinité séparée. Ce qui existe, c’est un processus indivis, dans lequel le monde est histoire de l’homme et l’histoire révélation de Dieu, réalisation de Dieu. Dans ce sens, Dieu fait tout; en même temps, il ne fait rien qu’il ne fasse faire, qu’il ne rende efficace et manifeste dans le médiateur humain, aux prises avec la médiation du monde. Là est le perpétuel miracle, mais aussi le seul miracle à considérer: celui d’une action de Dieu dans l’homme et dans le monde de l’homme. Le miracle est cette action même, et rien d’autre. En langage biblique, il est le salut, à moins qu’on ne retienne la formule inverse: le salut est miracle, c’est-à-dire œuvre de Dieu.
Comment expliquer néanmoins que ce miracle-salut, ce miracle tout entier réduit à la grâce, se greffe si aisément sur les miracles de type ancien, sur ceux dont la particularité est d’ébranler un monde ordonné, de bousculer l’ordre en tant qu’ordre? La réponse est dans l’Exode, dans l’Exode qui commente hardiment l’image de la Main puissante et accentue le thème du bon vouloir de Dieu, le thème de sa libre disposition, le thème de son arbitraire, dans l’Exode qui ne traite pas cette image en métaphore, mais en principe de vision et de valorisation. Le miracle, c’est l’arbitraire divin, c’est son intervention soudaine, imprévisible, en coup de force. Mais cet arbitraire divin, qui a tant effrayé la sagesse stoïcienne, n’a rien d’une déraison qui taille en pièces la nécessité; il n’est qu’un autre nom du dieu-histoire, du dieu-action, du dieu-volonté, lequel ne trouve pas en face de lui un monde statiquement constitué et un homme qui subit, un homme passif. L’Exode offre, au contraire, le prototype d’une nature domptée par l’histoire et d’une histoire conduite par l’action de Dieu dans l’action des hommes. L’arbitraire divin, le miracle qui l’exprime, n’a pas à troubler, à disloquer un ordre des choses. En l’occurrence, il n’y a pas d’ordre des choses, d’ordre immuable, d’ordre inhérent aux choses comme telles (le monde juif n’est pas le monde grec). Il n’y a qu’une histoire dont le propre est de changer la face de la terre, sous l’inspiration d’un finalisme militant, d’un finalisme éthique et religieux. L’arbitraire de Dieu n’a pour contingence que celle de l’histoire; il n’a pour motivations que celles d’une volonté qui moralise ou sanctifie les entreprises des agents historiques. De cette manière, la contingence elle-même ne reflète ni l’accident, ni le soubresaut, ni l’incartade; ce qu’elle traduit, ce qu’elle effectue parce qu’elle l’incarne, c’est la grâce. On peut même avancer qu’une contingence par saccades, une contingence de caprice, se trouve exclue de la durée biblique: celle-ci est, dans l’homme, le temps de l’Éternel, de sorte que ce qui arrive, quoi qu’il arrive, c’est toujours Dieu. Si l’on préfère, rien n’arrive ou il n’arrive rien, sauf le «dieu qui vient». Il est l’unique événement. Et quand on le reconnaît tel, on saisit ce qu’est un miracle: non un fait à part, non un fait retranché des autres faits, non un fait dont la trame naturelle cesserait d’être naturelle, mais le fait du salut s’annonçant dans le fait de l’alliance, puis dans les faits qui la prolongent ou la réitèrent.
Que ces faits, pour mieux dévoiler le fait , soient triés, magnifiés, stylisés, c’est indéniable (et le récit des faits remplit le même office que les faits, sinon mieux, car il ne s’empêtre plus dans la péripétie). Contés ou contemplés, sélectionnés et interprétés, les faits s’exhaussent d’eux-mêmes: ils reçoivent l’aura du prodigieux. Mais ce qu’ils ont de miraculeux, ce n’est pas ce prodigieux (malgré l’orchestration épique ou lyrique): c’est leur insertion dans une histoire qui est celle du salut. Est miracle l’événement «sauveur», l’événement «révélateur», et non pas l’anomalie physique ou cosmique qui, hors histoire, hors foi, hors perspective religieuse ne serait qu’une bizarrerie.
4. Les théologiens, l’explication naturelle et la foi chrétienne
Un quatrième pas est accompli, un quatrième pas qui est un écart. Lorsque la curiosité dévie et recherche le sensationnel, lorsque l’anxiété l’emporte sur la foi et qu’elle réclame des preuves tangibles, contraignantes; surtout, lorsqu’un rationalisme naissant (et mal compris) s’emploie à discriminer ce que la nature peut ou ne peut pas produire d’elle-même, l’idée de miracle sombre dans l’équivoque; pis, elle tombe hors de son champ. On quête le prodigieux, l’extraordinaire, l’exceptionnel pour des motifs de satisfaction, de vanité ou d’insécurité égocentriques, et on se met à l’apprécier selon des critères qui n’ont rien de religieux.
On s’efforce, par exemple, de mesurer en quoi l’événement, dans sa facture empirique, ne peut être dit naturel ou humain. On se livre à une analyse dont on n’a guère les moyens, à une analyse de puissance et d’efficience, pour conclure, selon les cas, qu’une cause banale suffit ou qu’il y faut une cause hors du cercle des causes.
Mais ce raisonnement lâche la topique religieuse; il s’égare sur un terrain de science, de fausse science; car personne, ni savant, ni philosophe, ni mystique, personne ne peut dire de quoi la nature est capable (le médecin, qui assure que Dieu seul peut faire mieux que lui, a une moins haute idée de Dieu que de lui-même).
En outre, même le prodigieux s’inscrit dans la nature et doit, pour s’y inscrire, utiliser des processus naturels. (Qu’un physicien, ou un biologiste, ne puisse les maîtriser, les déclencher, les reproduire à volonté, c’est une autre affaire.)
Enfin quoi d’étonnant, quoi de prodigieux, qu’une force jugée toute-puissante fasse des prodiges? Thomas d’Aquin note avec finesse et avec flegme que, pour l’omnipotence, rien n’est miracle, rien n’est prodige. La mesure du prodigieux est donc toute relative, relative à nous, relative à un état des connaissances qui varie sans cesse et qui, dans sa mobilité, déracine tous les jalons, tous les repères.
Les théologiens ont vu l’objection; ils répondent que le croyant ne se mêle pas de science et que, pour détecter le miraculeux, il se borne à relever ce qui échappe au «cours habituel» des choses. Mais cette référence, manipulée par des modernes, devient rapidement suspecte. En effet, même si le cours habituel des choses n’est qu’une expression commode (simple catégorie populaire, ou simple rémanence des enfances de l’esprit dans les psychologies adultes), il reste qu’on a souci d’apposer la signature divine là, et là seulement, où l’on aura tranché que le fait n’est plus ordinaire. Ce jugement abrupt et péremptoire devenant de plus en plus délicat, au fur et à mesure que, dans notre culture, le sens commun se laisse éduquer par la science, les miracles se raréfient; ils tendent à disparaître. Que pourraient-ils signifier au juste, même pour ceux qui croient? Lorsqu’on loge une providence spéciale dans les ratés de l’explication naturelle, dans les défaillances de l’étiologie rationnelle, on ne s’occupe plus de religion; on se préoccupe de prendre la science en défaut, tout en accusant le contrecoup de ses succès. D’après les apologistes, le miracle, au XXe siècle, est un défi à la science. En réalité, c’est la science qui avance et c’est le miracle, leur notion de miracle, qui recule. Ils cherchent, sans le trouver, un concordisme entre science et religion. Au lieu de prétendre que le miracle défie la science, ils feraient mieux d’avouer que la science les impressionne plus encore que le miracle, puisqu’ils n’aboutissent à celui-ci que par une méthode des résidus: Dieu est invoqué quand on se trouve à court de raisons, quand il n’y a plus d’autre principe d’explication. Par où s’insinue ce paralogisme: l’ignorance des causes démontre que la cause est transcendante; et s’impose ce paradoxe: un miraculeux issu des déficits de la science ne reçoit en partage aucun titre mystique; ce n’est qu’un bâtard de religion et de scientisme.
Ces prétentions et ces confusions sont d’autant plus choquantes qu’elles se propagent dans des milieux chrétiens, c’est-à-dire au sein d’une tradition qui a retourné la notion du divin (la Croix comme abaissement de Dieu, comme échec absolu, comme renoncement à tout avoir, à tout pouvoir) et qui n’a plus besoin d’appuyer la grâce sur la puissance et la gloire, ni de la vérifier sur des coups d’éclat, sur des signes dont la mise en demeure n’aurait d’autre crédit, d’autre autorité que ceux de la mise en scène.
Il est vrai que, touchant la notion de miracle, les Écritures chrétiennes ne sont pas unifiées. Elles conservent une couche thaumaturgique, qu’il serait déshonnête d’effacer, et qui, de surcroît, n’est pas homogène (par chassé-croisé d’influences, par apports successifs, par infiltration syncrétique, on ne sait). Les miracles-guérisons peuvent renvoyer soit à un genre littéraire qui a ses lois, son économie (celles de l’hagiographie antique), soit à des phénomènes paranormaux que la psychologie des religions ne regarde plus ni comme aberrants, ni comme exorbitants. Quant aux «faits dogmatiques», leur caractère synthétique et feuilleté, leur manière d’élaborer un donné, de le «doctriner», leur fonction de paradigme attestent suffisamment que leur positivité est d’autre espèce qu’une positivité empirique ou psycho-empirique, même quand celle-ci lui est adjointe; en particulier, la Résurrection est un schème eschatologique, non un concept d’anatomie ou de physiologie trans-terrestre. Mais le Nouveau Testament, qui intègre la thaumaturgie, intègre aussi son contrepoids, son thème compensateur, voire ses règles d’usage. C’est le cas de l’Évangile de Jean (XX, 29), dont le «croire sans voir» agit comme réducteur de toute adhésion sur preuves, de toute foi sur constats. C’est aussi le cas de Matthieu (VII, 22 et XII, 39), de Marc (VIII, 12), de Luc (XI, 29 et XVI, 31), de la Première Épître aux Corinthiens, (I, 22), de tous les passages qui minimisent la portée des signes, des prodiges, et qui dénoncent les évidences trop sensibles.
Cette autocorrection de la foi apostolique incline certains exégètes à estimer qu’à la différence des judaïsmes charnels (infidèles au prophétisme) et des paganismes méditerranéens (assoiffés de merveilleux), le christianisme a de quoi redresser les modes de représentation archaïques dont il hérite: de soi, selon sa visée la plus radicale, il ne serait ni oraculaire, ni «miraculaire».
Il est peu probable néanmoins (et il n’est pas souhaitable) qu’on parvienne jamais à harmoniser tous ces textes; ils ont sédimenté des tendances diverses, inégales, dont quelques-unes demeurent franchement antithétiques. Ce qu’on accordera, c’est que le refus du primat de la puissance pour l’expression du divin, le renversement de la notion de royaume ou de règne (par le service et le sacrifice, non par le triomphe) introduisent une coupure idéologique dans la sémantique du miracle, dans l’histoire des religions, plus particulièrement dans l’histoire du judaïsme et du christianisme (car dans l’un et dans l’autre, c’est une même strate, la strate prophétique, qui rend compte du métamorphisme le plus actif, des transformations les plus profondes et les plus décisives). De cette coupure idéologique, de ces points d’émergence et de rupture, la pensée occidentale a eu quelque conscience. Il serait excessif d’affirmer qu’elle en a tiré toutes les conséquences.
miracle [ mirakl ] n. m.
1 ♦ Fait extraordinaire où l'on croit reconnaître une intervention divine bienveillante, auquel on confère une signification spirituelle. ⇒ merveille, mystère, prodige, signe. Les miracles de Lourdes. Guéri par un miracle. ⇒ miraculé. Qui fait des miracles. ⇒ thaumaturge. — La cour des Miracles. — Cela tient du miracle, est miraculeux. — Fam Croire aux miracles : être crédule et optimiste (cf. Croire au Père Noël).
2 ♦ Littér. Drame médiéval sacré dont le sujet est emprunté à la vie des saints, à la Légende dorée (⇒ mystère). « Le Miracle de Théophile », de Rutebeuf.
3 ♦ Chose étonnante et admirable qui se produit contre toute attente. Tout semblait perdu, et le miracle se produisit. « L'amour est le miracle de la civilisation » (Stendhal). Le miracle grec (de la civilisation grecque). Le miracle économique allemand, japonais. — Par appos. Remède miracle. Il n'y a pas de solutions miracle.
♢ Loc. Faire, accomplir des miracles : obtenir des résultats remarquables, extraordinaires. Crier miracle, au miracle. ⇒ s'extasier. Il n'y a pas de quoi crier miracle. — C'est miracle, ce serait miracle, un miracle si... — Loc. adv. PAR MIRACLE : d'une façon inattendue et heureuse. ⇒ bonheur (par bonheur). Il en a réchappé par miracle. Comme par miracle.
4 ♦ Chose admirable dont la réalité semble extraordinaire. ⇒ merveille. Ce monument est un miracle d'architecture, un miracle d'équilibre. « un miracle d'esprit, d'adresse et de beauté » (Molière).
● miracle nom masculin (latin miraculum) Phénomène interprété comme une intervention divine. Fait, résultat étonnant, extraordinaire, qui suscite l'admiration : Les miracles de la science. Chose merveilleuse en son genre : Le Parthénon est un miracle d'architecture. Hasard merveilleux, chance exceptionnelle : C'est un miracle qu'il ait échappé à la mort. En apposition, indique que quelque chose est inattendu, surprenant dans son efficacité : Un médicament miracle. Genre de récits ou de pièces dramatiques dont l'argument dérive des vies des saints. ● miracle (citations) nom masculin (latin miraculum) Marcel Arland Varennes-sur-Amance 1899-Saint-Sauveur-sur-École, Seine-et-Marne, 1986 Académie française, 1968 Je n'ai jamais aimé une femme qu'autant qu'elle me paraissait un miracle. Carnets de Gilbert Gallimard Jean Calvin, de son vrai nom Cauvin Noyon, Oise, 1509-Genève 1564 Nous doit aussi souvenir que Satan a ses miracles. Institution de la religion chrétienne Pierre Daninos Paris 1913 Le miracle est, avec la vigne, l'une des principales cultures de la France. Les Carnets du major W. Marmaduke Thompson Hachette Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 Tout Paris m'assurerait qu'un mort vient de ressusciter à Passy, que je n'en croirais rien. Une seule démonstration me frappe plus que cinquante faits. Pensées philosophiques Georges Duhamel Paris 1884-Valmondois, Val-d'Oise, 1966 Académie française, 1935 Miracle n'est pas œuvre. Le Notaire du Havre Mercure de France Henri Estienne Paris 1528-Lyon 1598 Il n'est miracles que de vieux saints. Apologie pour Hérodote Louis Jouvet Crozon, Finistère, 1887-Paris 1951 Une vocation est un miracle qu'il faut faire avec soi-même. Écoute mon ami Flammarion Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ? Athalie, I, 1, Joad Jacques Rigaut Paris 1899-Paris 1929 L'incrédulité est plus forte que les miracles. Écrits, Lord Patchogue Gallimard Jules Supervielle Montevideo, Uruguay, 1884-Paris 1960 Ne tournez pas la tête : un miracle est derrière. Gravitations Gallimard Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 Le mépris du dieu pour les esprits humains se marque par les miracles. Suite Gallimard Talmud On ne doit pas compter sur le miracle. Talmud, Pessahim, 64a Anonyme De par le Roi, défense à Dieu De faire miracle en ce lieu. Commentaire Par ordre du roi Louis XV, le 27 janvier 1732, on fit fermer le cimetière de l'église Saint-Médard à Paris, où avait été enterré un diacre janséniste, Pâris. Bientôt, la rumeur s'étant répandue que des miracles s'étaient produits sur la tombe de ce dernier, le cimetière fut envahi et des scènes d'exaltation collective y eurent lieu, qui motivèrent la fermeture du cimetière. Le lendemain un inconnu écrivit cette épigramme sur la porte du cimetière. ● miracle (expressions) nom masculin (latin miraculum) Comme par miracle, d'une manière étonnante, surprenante. Crier (au) miracle, s'extasier, témoigner une grande admiration. Miracle économique, période d'expansion, particulièrement brillante, de certaines économies (R.F.A. d'abord, où est née l'expression, vers 1955), caractéristique des années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Par miracle, de façon heureuse et tout à fait inattendue ; par bonheur. Tenir du miracle, être très étonnant. ● miracle (synonymes) nom masculin (latin miraculum) Phénomène interprété comme une intervention divine.
Synonymes :
- prodige
- signe
Fait, résultat étonnant, extraordinaire, qui suscite l'admiration
Synonymes :
- prodige
miracle
n. m.
d1./d Phénomène réputé contraire aux lois de la nature et attribué à l'intervention divine. Cela tient du miracle.
|| Crier miracle, au miracle: s'extasier devant une chose fort ordinaire.
|| Croire aux miracles: être trop crédule.
d2./d Effet extraordinaire d'un hasard heureux. Par miracle il est sauf.
d3./d Par exag. Fait, chose extraordinaire qui cause la surprise et l'admiration. Ce tableau est un miracle d'harmonie.
d4./d LITTER Au Moyen âge, composition dramatique qui mettait en scène les interventions miraculeuses des saints ou de la Vierge.
⇒MIRACLE, subst. masc.
I. A. — 1. RELIG. Fait positif extraordinaire, en dehors du cours naturel des choses, que le croyant attribue à une intervention divine providentielle et auquel il donne une portée spirituelle. Synon. merveille, prodige, signe. Beau, faux, grand, vrai miracle; le miracle de la Sainte Épine; les miracles de Lourdes; faiseur de miracles (synon. thaumaturge); accomplir, faire, opérer un miracle/des miracles; croire aux miracles. Les merveilles de la vie des saints ne sont pas leurs miracles, mais leurs moeurs (JOUBERT, Pensées, t.1, 1824, p.368). De nombreux miracles ayant constaté sa sainteté, elle [Élisabeth de Hongrie] fut canonisée par le pape Clément IV en 1267 (MONTALEMBERT, Ste Élisabeth, 1836, p.335). V. chiffre II A 3 a ex. de Cocteau:
• 1. Si le miracle est pensable, ce n'est qu'en fonction de la foi, c'est-à-dire par delà le dualisme de la matière objective et de l'interprétation subjective, par delà aussi l'idée d'un ordre historique — dans le présent absolu, (qui n'est que pour la foi).
G. MARCEL, Journal, 1914, p.83.
♦Don des miracles. Pouvoir, charisme surnaturel d'opérer des miracles. Ce concile de Nicée, où l'on vit trois prélats ayant le don des miracles et ressuscitant les morts (CHATEAUBR., Martyrs, t.2, 1810, p.220). J'aurais un séraphin à mon service, ou le don des miracles, que je serais encore embarrassée (BERNANOS, Joie, 1929, p.673).
2. Loc. et proverbe
a) Loc. nom. Cour des miracles. V. cour1 B.
b) Loc. verb.
♦Tenir du miracle (parfois avec une nuance iron.). Être surprenant, prodigieux, paraître inexplicable. Cette guérison (...) tenait du miracle. Il attribua (...) ce succès à l'excellente constitution de la malade (BALZAC, Cous. Pons, 1847, p.159). Cette hospitalité orientale (...) sans analogie possible en Europe, devient vraiment prodigieuse, et tient du miracle (FROMENTIN, Voy. Égypte, 1869, p.128):
• 2. L'électricité, dans cette maison, tenait du miracle (...), elle avait des sauts, des faiblesses. L'ampoule, au bout d'un fil volant accroché à un clou au-dessus de la table, rougissait, éclairait à peine, puis reprenait une blancheur violente...
TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p.23.
c) Proverbe, vx. Il n'est miracle que de vieux saints. Il ne faut attendre de résultat positif que de gens d'expérience. (Dict. XIXe s.).
B. —P. ext.
1. Fait extraordinaire qui porte à l'étonnement et à l'admiration. Synon. merveille, mystère. Attendre un miracle; les miracles de l'art, de l'amour, de la civilisation, de la nature, de la science, de la chirurgie. Mais le continuel miracle, mon enfant, c'est la vie... Ouvre donc les yeux, regarde! (ZOLA, Dr. Pascal, 1893, p.46):
• 3. Le coeur accomplit donc le miracle de maintenir constante la pression sanguine dans un système de vaisseaux dont la capacité et la perméabilité varient sans cesse.
CARREL, L'Homme, 1935, p.233.
— P. iron. Beau miracle. Action tout ordinaire qu'il n'y a pas lieu de vanter. Pourquoi trouvez-vous que j'ai fait son enfance fabuleuse? Est-ce parce qu'il [Hannibal] tue un aigle? Beau miracle dans un pays où les aigles abondent! (FLAUB., Corresp., 1862, p.61). Pardi, aimer, être aimé, le beau miracle quand on est jeune! Ne vous figurez pas que vous ayez inventé cela (HUGO, Misér., t.2, 1862, p.645). V. beau ex. 89.
2. Chose surprenante qui se produit de façon inattendue. Le miracle de la Marne (la bataille de la Marne):
• 4. ... toutes ses démarches pour retrouver Jean demeuraient vaines. Accablée par son malheur, elle s'imagina que le hasard la servirait ce jour même et que ce soir, sans doute, un miracle se produirait: elle rencontrerait enfin le jeune homme.
ROY, Bonheur occas., 1945, p.302.
♦Enfant du miracle. Enfant trouvé ou inconnu, de naissance non identifiée. Mme Dolorès et un enfant inconnu: l'enfant du miracle (MARTIN DU G., Thib., Belle sais., 1923, p.844). Plutôt que le fils d'un mort, on m'a fait entendre que j'étais l'Enfant du Miracle (SARTRE, Mots, 1964, p.13).
♦Miracle chimique (vx). ,,Formation d'un précipité de sulfate de baryum`` (DUVAL 1959).
♦AGRIC. (Blé de) miracle. Variété de froment. On continue les semailles: épeautre, blé rouge d'automne, miracle, seigle (BOSCO, Mas Théot., 1945, p.321).
3. Locutions
a) Loc. verb.
— Accomplir, faire des miracles; faire miracle (fam.)
♦Obtenir des effets surprenants, remarquables; avoir un effet très positif. Synon. faire des merveilles, faire merveille.
[Le suj. désigne une pers.] — Vous avez fait des miracles (...). Paris est devenu la capitale du monde. — Oui, c'est vraiment prodigieux (ZOLA, Curée, 1872, p.342).
[Le suj. désigne une chose] L'amour fait des miracles. Maître Jovelin, dont on lui vantait les baumes et les élixirs, comme faisant miracle dans la circonstance (SAND, Beaux MM. Bois-Doré, t.2, 1857, p.202). Le chirurgien fera l'impossible pour vous les garder [vos jambes] (...), maintenant, la chirurgie fait des miracles (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p.264).
♦Faire des efforts extraordinaires. Faire des miracles d'économie. Tu es profondément injuste (...) avec moi, qui fais des miracles (...) pour écourter autant que possible tes heures de captivité (COURTELINE, Boubouroche, 1893, II, 1, p.53).
— C'est/ce serait (un) miracle si + ind.; c'est/ce serait (un) miracle que + subj.; c'est/ce serait (un) miracle (que) de + inf. (plus rare). C'est, ce serait extraordinaire. C'est un miracle qu'il vive avec une balle dans le ventre (STENDHAL, L. Leuwen, t.2, 1835, p.355). C'est un miracle que de faire cette route en trois jours et demi (BALZAC, Lettres Étr., 1843, p.197). C'est bien miracle (...) s'il ne me parvient pas dès aujourd'hui n'importe quelle enveloppe (GIDE, Isabelle, 1911, p.625). Oui, c'était un miracle pour les passagers de voir tout à coup, hors de la brume, un minuscule voilier qui dansait dans la houle s'approcher du courrier (PEISSON, Parti Liverpool, 1932, p.125).
— Ne pas promettre de miracle. Ne promettre que ce que l'on pourra tenir
b) Loc. adv.
— À miracle (vx ou littér.). Merveilleusement, à la perfection. Synon. à merveille. Belle à miracle. J'ai baisé la main, soyeuse à miracle (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p.97). Il rapportait, de ses discussions avec les employeurs, des récits extraordinaires qu'il mimait à miracle (DUHAMEL, Notaire Havre, 1933, p.84).
— Par miracle. D'une façon inopinée et heureuse. Synon. par bonheur, par chance, par extraordinaire. Comme par miracle; échapper par miracle à un danger, à la mort. Il coula, reparut, faillit se noyer, reprit pied par miracle (VAN DER MEERSCH, Empreinte dieu, 1936, p.68). Interview, coups de téléphone (...) Maintenant je suis seul. La maison, par miracle, est silencieuse (MAURIAC, Journal 3, 1940, p.256).
c) Loc. interjective. Miracle! ô/oh miracle! [Pour exprimer la surprise, l'émerveillement] Vous passez devant la sacristie. Ô miracle! elle est ouverte. Vous y entrez (HUGO, Rhin, 1842, p.103). Il presse à tout hasard la serrure [de la valise]. Oh! miracle! Les valves s'entrouvrent (GIDE, Faux-monn., 1925, p.996).
d) En cont. exclam., [pour marquer sa surprise à une pers. qu'on n'a pas vue depuis longtemps] Comment allez-vous, madame?... Il y a si longtemps qu'on ne vous a vue. C'est un miracle, vraiment (ZOLA, Page amour, 1878, p.993). Quel miracle de vous rencontrer! (...) Vous êtes tellement occupée! on n'ose même plus vous inviter (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.180).
C. —Réussite exceptionnelle.
1. Un miracle de + subst. abstr. Chose ou personne extraordinaire (dans un domaine quelconque).
a) [En parlant de choses] Miracle d'adresse, d'architecture, d'équilibre, d'harmonie, d'imagination. La dentelle est curieuse: c'est un miracle d'habileté féminine; on sort de là avec de la surprise dans les yeux (BENJAMIN, Gaspard, 1915, p.119). Ils avaient décidé de camper près des champs. Les nuits étaient des miracles de fraîcheur et de parfum (GIONO, Que ma joie demeure, 1935, p.444).
b) [En parlant de pers.] Un miracle de beauté, de bonté, de douceur. C'est un bijou d'or et de diamant que cette femme! Vit-on jamais un pareil miracle d'élégance, d'amabilité et de grâce (RENAN, Drames philos., Eau jouvence, 1881, III, 1, p.475). Un vieux tout blanc de peau et de poils, qui allait sur ses soixante-dix ans, un vrai miracle de belle santé dans les mines (ZOLA, Germinal, 1885, p.1418).
— Par antiphrase. Un miracle de bêtise, d'imprudence, de laideur. La grande fille de seize ans était (...) un miracle de perversion et d'abêtissement (ZOLA, Vérité, 1902, p.289). Ce qu'il pue! Une vraie petite rognure, un miracle d'étron concentré (MAGNANE, Bête à concours, 1941, p.337).
2. Le miracle + adj. (gén. ethnique). Réussite spectaculaire et inespérée d'un État, d'un pays (notamment dans le domaine économique ou de la civilisation). Le miracle grec (v. grec ex. 2); le miracle allemand. Un succès si magnifique et un capital si restreint, c'était là le miracle anglais (THARAUD, Dingley, 1906, p.148). Le «miracle grec» c'est beau, mais le miracle français, je veux dire notre expansion au treizième siècle, ce n'est pas mal non plus (BARRÈS, Voy. Sparte, 1906, p.56). Dans le monde entier, des businessmen intéressés et les mass-media complaisantes ont réussi à accréditer l'idée d'un «miracle brésilien». (...) le taux de croissance du P.N.B. produit national brut (...) grimpait en moyenne de dix pour cent par an (Le Nouvel Observateur, 26 avr. 1976, p.57, col. 1).
Rem. Miracle/-miracle est très fréq. au XXe s. comme adj. ou 2e élém. de subst. composé au sens de «très efficace». a) [En parlant de choses] Remède, solution miracle. Les excès de consommation que peut entraîner l'existence d'un produit miracle à l'attirante couleur (R. SCHWARTZ, Nouv. remèdes et mal. act., 1965, p.71). b) [En parlant de pers.] Candidat(-)miracle, homme(-)miracle. Je demande mon chemin et avec un «pur» accent oxfordien, un interlocuteur-miracle — le seul que je rencontre — m'explique que tout est fermé (F Magazine, juill. 1979, p.98, col.1).
II. —LITT. DU MOY. ÂGE. Composition dramatique populaire issue du drame liturgique et précédant les mystères, mettant en scène les miracles de la Vierge ou d'un saint. Les miracles Nostre-Dame. De délicates sculptures qui représentent le miracle de saint Théophile (PROUST, Swann, 1913, p.29):
• 5. Les miracles [it. ds le texte] et les mystères se donnaient en plein jour dans les églises, dans les cours des palais de justice, aux carrefours des villes, dans les cimetières...
CHATEAUBR., Essai litt. angl., t.1, 1836, p.81.
Prononc. et Orth.:[], [-a-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. Mil. XIe s. relig. «fait ne s'expliquant pas par des causes naturelles et qu'on attribue à une intervention divine» (Alexis, éd. C. Storey, 559); 2. 1269-78 «chose étonnante» (JEAN DE MEUN, Roman de la Rose, éd. F. Lecoy, 18928: Et qui voudroit plus bas anquerre des miracles que font en terre li cors du ciel et les esteles, tant an i trouveroit de beles que ja mes n'avroit tout escrit qui tout voudroit metre an escrit); 1659 crier au miracle (CORNEILLE, Œdipe, V, 9); 1688 tenir du miracle (BOSSUET, Variations, 1 ds LITTRÉ); 3.1567 «chose digne d'admiration, merveille» (J. MARTIN, Arch. Vitruve, F. 1o B r° ds IGLF: Un temple consacré à Diane, lequel estoit nombré entre les sept miracles du monde); 4. ca 1580 faire grand miracle de «considérer comme merveilleux» (MONTAIGNE, Essais, I, 26, éd. P. Villey et L. Saulnier, I, p.158); 5. 1690 (FUR.: Miracle, se dit aussi par hyperbole dans des choses moins rares. C'est un miracle de vous voir, un miracle de vous trouver chez vous). II. Ca 1258 «Composition dramatique représentant un épisode de la vie d'un saint» (RUTEBEUF, Le Miracle de Théophile). Empr. au lat. miraculum «prodige, merveille, chose extraordinaire» qui a pris un sens relig. dans la lang. eccl. (v. BLAISE Lat. chrét.). Fréq. abs. littér.:3342. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 4001, b) 3000; XXe s.: a) 5145, b) 6096. Bbg. LÉON-DUFOUR (X.). Miracle, qu'est-ce à dire? Foi Lang. 1977, n°3, pp.174-177. — MACK. t.2 1939, p.54.
❖
1 (V. 1050). Fait extraordinaire où l'on croit reconnaître une intervention divine bienveillante, auquel on confère une signification spirituelle. ⇒ Merveille (I., 2.), mystère, phénomène, prodige, signe (→ Apparition, cit. 8; incrédule, cit. 6). || Vrai, faux (cit. 23) miracle. || Miracles rapportés par la Bible (→ Iconographie, cit. 1). || « Et quel temps fut jamais si fertile (cit. 4) en miracles ? » (Racine). || Faire, opérer des miracles. ⇒ Thaumaturge (→ Illuminé, cit. 22). || Guéri par un miracle. ⇒ Miraculé. || Les miracles de Lourdes.
1 Miracle. C'est un effet qui excède la force naturelle des moyens qu'on y emploie (…)
Pascal, Pensées, XIII, 804.
Cf. toute la section XIII des Pensées, les Questions sur les miracles et les réponses de Saint-Cyran. → aussi Catholique, cit. 2; continuation, cit. 2.
2 Ce n'est plus en illuminant les aveugles, ni en faisant marcher les estropiés, ni en purifiant les lépreux, ni en ressuscitant les morts, que Jésus-Christ (…) fait connaître aux hommes sa divinité (…) ces miracles sensibles (…) étaient les signes sacrés d'autres miracles spirituels qui (…) regardent également tous les temps et tous les siècles.
Bossuet, Sermon pour IIe dim. Avent.
3 Un miracle, selon l'énergie du mot, est une chose admirable; en ce cas, tout est miracle. L'ordre prodigieux de la nature (…) l'activité de la lumière, la vie des animaux, sont des miracles perpétuels. Selon les idées reçues, nous appelons miracles la violation de ces lois divines et éternelles… Plusieurs physiciens soutiennent qu'en ce sens il n'y a point de miracles (…)
Voltaire, Dict. philosophique, art. Miracle, I.
4 Rien ne caractérise mieux un miracle que l'impossibilité d'en expliquer l'effet par les causes naturelles (…)
Buffon, Histoire naturelle, Preuves théor. de la Terre, V.
5 Le miracle est une conception enfantine qui ne peut subsister dès que l'esprit commence à se faire une représentation systématique de la nature… Ce qui me fâche surtout, c'est qu'on dise : « Nous ne croyons pas aux miracles, parce que aucun n'est prouvé »… vît-on un mort ressusciter, le miracle ne serait prouvé que si nous savions ce que c'est que la vie et que la mort, et nous ne le saurons jamais. On nous définit le miracle : une dérogation aux lois de la nature. Nous ne les connaissons pas; comment saurions-nous qu'un fait y déroge ?
France, le Jardin d'Épicure, Œ., t. IX, p. 489 (→ aussi Entreprendre, cit. 24).
6 On ne donne le nom de miracle qu'à un fait sensible, et à un fait exceptionnel, extraordinaire (…) qu'à un fait qui est significatif dans l'ordre religieux (…) Pour qu'un fait soit qualifié miracle, il faut (…) qu'il ne puisse jamais devenir prévisible à coup sûr ni répétable à volonté.
♦ ☑ Loc. Cour des Miracles. ⇒ Cour (cit. 5 et 6).
♦ ☑ Loc. Tenir du miracle. ⇒ Étonnant, extraordinaire (→ Fragilité, cit. 4).
7 (…) Inouï ! Inouï ! C'est extraordinaire ! Pour moi cela tient du miracle… Du miracle, ou, si vous préférez, car sans doute, êtes-vous un esprit laïque, cela tient du merveilleux.
Ionesco, Tueur sans gages, I.
♦ ☑ Fam. Croire aux miracles : être exagérément optimiste ou crédule (→ Croire au père Noël).
2 (Mil. XIIIe, Rutebeuf). Littér. Drame sacré médiéval dont le sujet est emprunté à la vie des saints, à la légende dorée (⇒ Mystère). || Le Miracle de Théophile, de Rutebeuf.
3 (V. 1265). Chose étonnante et admirable qui se produit contre toute attente. ⇒ Merveille (I., 1.). — REM. Dans la langue classique, le mot désigne aussi « ce qui est extrêmement beau et estimable » (Furetière), sans idée d'étonnement ou d'improbabilité. — Sans un miracle, il est perdu ! || Tout semblait perdu et le miracle se produisit. — Les miracles de l'art (cit. 26), de l'amour. || L'amour est le miracle de la civilisation (cit. 4, Stendhal). || Le miracle de la création artistique (→ Maîtrise, cit. 9), de l'inspiration poétique.
8 Demandez à tout bon Français (…) ce qu'il entend par progrès, il répondra que c'est la vapeur, l'électricité et l'éclairage au gaz, miracles inconnus aux Romains.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, V, Expos. univ. 1855, I.
9 Je songe à une formule vieille comme mon pays : « En France, quand tout semble perdu, un miracle sauve la France ».
Saint-Exupéry, Pilote de guerre, XII.
♦ Iron. || Vous avez fait là un beau miracle (Académie), se dit d'une action dont il n'y a pas lieu de se vanter.
♦ Spécialt. || Le miracle grec (cit. 2, Renan) : le phénomène étonnant que constitue la civilisation grecque, son épanouissement. → Hellène, cit. 3.
♦ Par anal. || Le miracle allemand : la renaissance économique de l'Allemagne, après 1945. || « Le “miracle” touristique suisse » (le Monde, 27 nov. 1944, in Gilbert). || Le miracle économique (allemand, français, italien, japonais…, selon les époques).
♦ (Déb. XVIIe). || Un miracle de… : une chose admirable, extraordinaire (dans le domaine qu'indique le complément). ⇒ Merveille. || Un miracle d'architecture (→ Hydraulique, cit. 2), d'imagination, de talent (→ Invention, cit. 16). || Miracle de maquillage (cit. 2). || Un miracle d'équilibre. — (En parlant des personnes). || Un miracle de grâce, de bonté…
10 (…) quand il (le Ciel) exposerait à mes yeux un miracle d'esprit, d'adresse et de beauté, et que cette personne m'aimerait (…)
Molière, la Princesse d'Élide, III, 4.
11 En vérité, il (Berlioz) est un miracle, le phénomène le plus prodigieux de l'histoire de la musique au XIXe siècle. Sa grandeur audacieuse domine toute son époque (…)
R. Rolland, Musiciens d'aujourd'hui, p. 27.
12 (…) je lui prends un sein. Un sein, mon ami ! Un miracle de tiédeur et d'élasticité.
G. Duhamel, Salavin, V, X.
♦ Par antiphr. || Un miracle de laideur, de bêtise…
13 Ce voyage de Varennes fut un miracle d'imprudence. Il suffit de bien poser ce que le bon sens voulait, puis de prendre le contraire (…)
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, XII.
♦ Par appos. || Remède(-)miracle, produit(-)miracle. — REM. Cette construction donne lieu à des composés de formation libre. Cf. Arme-miracle, cuisine-miracle, projet-miracle, solution-miracle, lessive-miracle… in P. Gilbert.
♦ ☑ Loc. Faire, accomplir des miracles : obtenir, avoir des résultats remarquables, extraordinaires (→ Écourter, cit. 1; libéralisme, cit. 1). — ☑ Crier (cit. 36) miracle, au miracle. ⇒ Extasier (s'). || Il n'y a pas de quoi crier miracle. Par exclam. || « Miracle ! criait-on, venez voir… » (La Fontaine, Fables, X, 3).
14 (…) elle avait accompli des miracles pour tout arranger, nettoyer, embellir, raccommodant elle-même les vieux tristes papiers des murs, posant les modestes rideaux de mousseline qui jettent autour d'eux la gaîté blanche.
Loti, Matelot, XIX.
♦ ☑ C'est miracle, ce serait miracle, un miracle, si… (→ Fille, cit. 20). ☑ C'est miracle que (avec le subj.), que de (avec l'inf.) : c'est, ce serait une chose extraordinaire, le résultat d'un hasard heureux…
15 S'il n'a pas été tué vingt fois, c'est miracle (…)
Taine, Philosophie de l'art, t. I, p. 185.
16 C'est miracle que d'être ensemble
Que la lumière sur ta joue
Qu'autour de toi le vent se joue
Aragon, le Roman inachevé, « L'amour qui n'est pas un mot ».
17 Ce serait beaucoup de chance si elle trouvait un train pour Lisbonne. À Lisbonne, ce serait un miracle si elle trouvait un bateau pour New York.
Sartre, la Mort dans l'âme, p. 21.
♦ ☑ Loc. adv. (Fin XVe). Par miracle : d'une façon inattendue et heureuse. ⇒ Bonheur (par). → Copie, cit. 6; coquin, cit. 11; gêne, cit. 9. || Échapper (cit. 3) à qqch. par miracle. || Il en a réchappé par miracle.
♦ ☑ Loc. adv. Vx. À miracle : d'une façon parfaite, avec un succès inespéré et total. ⇒ Parfaitement (→ Imperfection, cit. 5). || Faire qqch. à miracle.
4 (Sans aucune idée d'admiration, ni même d'étonnement). Événement extrêmement improbable (cit. 6).
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DÉR. (Du lat. miraculum) Miraculé.
Encyclopédie Universelle. 2012.