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ÉPARGNE
ÉPARGNE

Comme tout bien économique, l’épargne fait l’objet d’une offre et d’une demande sur un marché. Elle est formée et demandée pour financer l’investissement.

L’investisseur a pour prototype le capitaliste de l’époque classique, qui obéit à l’injonction de Marx: «Accumulez, accumulez, c’est la Loi et les Prophètes», et finance ainsi la croissance de son capital. Ce capitaliste-là a cédé le pas à la grande société anonyme, souvent multinationale ou nationalisée, qui finance ses investissements sur ses bénéfices épargnés (c’est-à-dire non distribués) et en sollicitant l’épargne du public par l’émission d’actions ou en plaçant des emprunts obligataires. Le public épargnant est sollicité aussi par l’État et les collectivités locales, qui cherchent à financer, grâce à l’emprunt, les excédents des dépenses sur les recettes publiques.

Le demandeur ou collecteur d’épar-gne, c’est encore l’intermédiaire financier (banques, compagnies d’assurances, caisses d’épargne...), qui emprunte, non pour investir, mais pour placer, non pour former directement du capital, mais pour aider d’autres à le faire en reprêtant les sommes empruntées, autrement dit en transformant l’épargne collectée.

L’investisseur est aussi le particulier qui sécrète sa propre épargne en vue de se constituer un patrimoine.

Demandeur et offreur d’épargne peuvent se confondre: là où un agent autofinance son investissement, le marché de l’épargne est supprimé. Mais le développement continu de l’économie de marché tend à dissocier le demandeur de l’offreur d’épargne, à réduire la place de l’autofinancement. Si la demande de fonds épargnés est motivée par un projet d’investissement, l’offre d’épargne obéit à ses lois propres: nullement «résiduelle», l’offre totale d’épargne d’un agent s’analyse au contraire en une somme algébrique de demandes d’instruments financiers à l’actif et au passif d’un patrimoine.

L’épargnant, par opposition à l’investisseur, est précisément celui dont la demande de placements l’emporte sur celle d’emprunts, défalcation faite des investissements autofinancés. L’analyse de l’«offreur» d’épargne se ramène alors à celle de tout demandeur, dont le comportement est étudié en fonction de ses caractéristiques propres et des qualités du produit: besoin auquel correspond ce produit, son prix, sa production, sa distribution, sa promotion.

L’épargne, pourtant, agrégat algébrique de demandes de prêts et d’emprunts, n’est pas un bien quelconque, mais au contraire une variable décisive pour l’action. Après l’«épargne-frugalité», érigée en dogme de conduite économique vertueuse, c’est-à-dire condition d’enrichissement, par les théoriciens du XIXe siècle, la surépargne des années 1930 fut rendue responsable par les théoriciens d’alors de la dépression et du chômage, et la surconsommation devint vertu. La controverse rebondit dans les années 1960 entre le principe de l’épargne et celui de la consommation, le premier recommandant le développement de l’épargne comme condition de la croissance dans la stabilité des prix (Jeanneney), le second prônant la consommation – fût-elle alimentée par l’inflation du crédit – comme moteur de l’expansion. La controverse présente bien des points communs avec celle, déjà séculaire et toujours actuelle, qui oppose dans le domaine monétaire les partisans du principe de circulation aux tenants du principe de banque.

Variable stratégique de la politique économique, l’épargne est enfin l’enjeu du secteur des intermédiaires financiers depuis l’apparition massive d’une nouvelle classe d’épargnants – les salariés – dissociée des investisseurs traditionnels, les entreprises.

L’étude statistique du marché global de l’épargne s’est enrichie depuis la Seconde Guerre mondiale grâce aux progrès de la Comptabilité nationale, qui a mis en évidence la part croissante de l’épargne collective (surtout publique) dans le financement des investissements, et des tableaux d’opérations financières, qui analysent les mécanismes de la transformation des dépôts en prêts. La théorie de l’offre d’épargne individuelle – plus exactement du comportement patrimonial de l’épargnant – s’est constituée plus tardivement, prolongeant l’analyse de la demande en fonction des prix relatifs sous la contrainte de budget (niveau du revenu) du consommateur.

L’analyse théorique a progressé à partir du moment où des vérifications statistiques ont pu être multipliées sur les hypothèses de conduite proposées par la théorie. Ces vérifications ont permis de décrire empiriquement des comportements dont la connaissance fonde l’action commerciale des grands collecteurs et éclaire la politique de l’épargne des gouvernements.

1. Le marché de l’épargne

L’évolution du marché de l’épargne se caractérise par une grande stabilité du taux de l’épargne nationale, en longue période (on observe toutefois une baisse quasi générale de ces taux dans le monde, depuis la fin des années 1970). Sa structure s’est cependant profondément transformée, tant en ce qui concerne la proportion des divers groupes d’épargnants qu’en ce qui concerne la nature des placements demandés.

Avant la Première Guerre mondiale, pour autant que les données, fragmentaires et fragiles, permettent d’en juger (tabl. 1), l’épargne nationale des pays développés représentait entre 10 et 20 p. 100 du produit national brut. La contribution des particuliers, notamment des entrepreneurs individuels, représentait de 70 à 80 p. 100 du total; la part des sociétés et des administrations était minime.

Un demi-siècle plus tard, dans les décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, l’épargne nationale brute dépasse couramment 20 p. 100 du P.N.B. dans les pays développés (tabl. 2). L’augmentation du taux d’épargne résulte du développement de l’épargne sociétaire (autofinancement) et surtout de l’épargne publique.

Cette épargne collective (privée et publique) est parfois qualifiée d’épargne forcée , parce qu’elle est prélevée sur les consommateurs par le biais des marges d’autofinancement incorporées aux prix de vente, prélevée sur les actionnaires sous forme de bénéfices non distribués, prélevée sur les contribuables par la fiscalité. Sans elle, l’épargne nationale n’aurait peut-être pas progressé autant, surtout à une époque où la dépréciation monétaire décourageait l’épargnant individuel, mieux protégé par ailleurs des risques de maladie, de chômage, de vieillesse grâce aux systèmes d’assurance sociale qui se sont développés dans le monde occidental depuis Beveridge.

Malgré ces transformations, les ménages restent encore, jusqu’à la fin des années 1980, le groupe qui contribue le plus à l’épargne nationale des pays développés, mais leur part, de 70 à 80 p. 100 vers 1900, tombe à environ 50 p. 100 dans la seconde moitié du siècle (tabl. 3). Dans les pays en voie de développement, en revanche, leur contribution était sensiblement inférieure, l’épargne publique et les transferts de capitaux extérieurs étant les principales sources de financement des investissements. Caractérisé par un plan de financement où domine l’épargne publique et externe, le modèle de développement du Tiers Monde non communiste se différenciait profondément de celui du XIXe siècle, à financement surtout privé et interne.

Dans l’épargne des ménages, la part directement investie en actif d’entreprises individuelles, en immobilier et en valeurs mobilières a régressé par rapport à la part indirectement investie. Celle-ci est déposée sous forme de placements liquides et semi-liquides (livrets d’épargne), en fonds de placement (S.I.C.A.V.) ou en contrats d’assurance, puis transformée par les intermédiaires financiers qui gèrent les instruments de placement. La régression relative de l’entreprise individuelle au profit du salariat, d’une part, la politique des institutions financières proposant une palette extrêmement variée de «produits» financiers, notamment dans les années 1980, pour attirer l’épargne salariale de masse, d’autre part, expliquent ce changement de structure.

On assiste ainsi à une transformation accrue de l’épargne collectée, ainsi qu’à une lente déspécialisation des institutions financières, accompagnée de fusions et de concentrations d’établissements.

La transformation se mesure à la part d’emplois à moyen et long terme nourris par des dépôts à vue: en 1952, le système bancaire français accusait au passif 80 p. 100 de dépôts à vue (les caisses d’épargne, 93 p. 100). Les banques prêtaient à vue 57 p. 100 de leurs ressources (en grande partie au Trésor), le solde était employé en prêts à court ou moyen terme. En 1967, les dépôts à vue collectés par les banques atteignaient 93 p. 100 de leur passif (97 p. 100 pour les caisses d’épargne) et elles prêtaient 63 p. 100 à court et moyen terme et 13 p. 100 à long terme. Les caisses d’épargne, par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations, avaient accru leur pourcentage de prêts à long terme de 43 p. 100 en 1952 à 79 p. 100 en 1967. C’était l’apogée de la transformation. Depuis, banques et caisses d’épargne ont consolidé leur passif, à la fois pour minimiser leurs dépôts à vue et parce que leurs clients veulent désormais un intérêt pour compenser l’inflation. En 1982, les liquidités des banques ne représentent plus que 35 p. 100 de leur passif et celles de la Caisse des dépôts 82 p. 100; emprunts et obligations forment l’essentiel de leurs autres ressources. Leurs prêts à moyen et long terme à l’économie atteignent 70 à 80 p. 100 de leur actif.

Simultanément, les établissements se sont déspécialisés : cependant que les banques de dépôts cherchaient à attirer – grâce au compte de chèques – la clientèle des bas et moyens revenus, dont les encaisses consistaient auparavant en numéraire et dépôts en caisse d’épargne, les caisses d’épargne s’efforçaient d’offrir à leurs déposants tous les services d’une banque et y parvenaient dans la plupart des pays étrangers.

La concurrence par les prix – c’est-à-dire par les intérêts créditeurs offerts aux déposants – étant de moins en moins pratiquée, les intermédiaires financiers ont cherché à attirer les dépôts en diversifiant la gamme et en améliorant la qualité des services offerts. Ils tendaient ainsi à devenir progressivement des conseils en gestion, sinon même les gestionnaires, du patrimoine de leurs clients, qui voulaient mettre leur avoir à l’abri de l’inflation dans une société dont la croissance même semblait la sécréter inéluctablement.

2. La théorie de l’épargne

Jusque vers 1970, la théorie de l’épargne ne figurait pas parmi les branches les plus développées de la théorie économique. On pouvait difficilement la comparer à la théorie de la croissance économique, à celle du commerce international, à la théorie monétaire, à celle de l’entreprise, ou, même, à celle de la demande du consommateur. Et cependant, quoiqu’elle n’ait jamais joué un rôle majeur dans la pensée économique – sinon dans les années trente, où l’excès d’épargne fut rendu responsable de la stagnation – elle est l’une des plus anciennes théories économiques.

Schématiquement, deux phases principales se distinguent dans l’histoire de ce secteur particulier de la pensée économique. La première période, classique, part des physiocrates français et inclut Smith, Ricardo, Say, Malthus, Mill et Marx. La seconde période, moderne, commence approximativement avec Marshall, Irving Fisher et Rist, passe par Keynes, Pigou, Hicks et Boulding, et conduit à Katona, Goldsmith, Friedman et Ferber.

La période classique

L’approche des auteurs les plus anciens était macro-économique et sociologique. Pour eux, la société était divisée en deux groupes socio-économiques. Chaque groupe, caractérisé par un type particulier de revenu, avait une fonction spécifique à assumer à l’intérieur de la machine économique. Ces deux classes étaient les capitalistes , ou entrepreneurs, ou industriels, et les travailleurs , ou salariés, ou prolétaires.

Le premier groupe d’individus était «entreprenant», c’est-à-dire qu’il avait prise sur ses revenus, ou profits . Il déterminait le taux de croissance des profits par un taux d’accumulation ou d’épargne, en réinvestissant une partie de ses profits dans l’entreprise. Sa fonction spécifique était d’investir et, ce faisant, il déterminait le taux global de la croissance économique.

Le second groupe était composé d’individus «passifs», en ce sens qu’ils n’avaient aucune prise sur leurs revenus, ou salaires . Ils n’étaient pas en position d’épargner et d’accumuler du capital, car leurs salaires étaient entièrement consacrés à leur survie ou à leur consommation. Lorsque le niveau général des salaires augmentait – uniquement par suite de pressions collectives –, le surplus allait à des dépenses de consommation plus importantes, permettant, par exemple, une meilleure éducation des enfants.

La fonction d’épargne des capitalistes dans ce modèle lie le taux d’accumulation A/P au taux de profit q (q = P/K), au taux de rotation du capital c (l’inverse de l’espérance de vie du stock de capital K) et au taux de croissance des profits r :

Pour le capitaliste individuel, le taux de rotation du capital peut être considéré, en première approximation, comme une variable exogène, déterminée par la structure physique du capital. Le taux de profit peut être considéré de façon similaire, car c’est le rapport des profits globaux (qui sont déterminés résiduellement) aux immobilisations techniquement nécessaires pour assurer une production donnée. Adam Smith disait: «Un intérêt double est considéré au dire des marchands comme un profit bon, modéré, raisonnable; terme que je soupçonne de ne pas signifier autre chose qu’un profit courant et habituel» (La Richesse des nations ).

Parce que les profits globaux sont déterminés résiduellement, chaque entrepreneur s’efforce d’en accroître sa part aux dépens de ses concurrents. Pour cela, il essaie d’imprimer aux profits de son entreprise un taux de croissance supérieur à celui de ses rivaux. Cela signifie que, pour la classe capitaliste prise dans son ensemble, il existe un taux normal de croissance des profits (en ce sens qu’il est l’espérance mathématique d’une distribution). Les capitalistes dont les profits ne croissent pas au taux normal disparaissent à long terme et deviennent salariés, ceux dont les profits augmentent plus vite s’agrandissent et absorbent leurs rivaux.

Le taux de rotation du capital et le taux de profit étant donnés, le taux d’accumulation (ou encore taux d’épargne) du capitaliste individuel est déterminé par le taux de croissance du profit qu’il s’efforce d’atteindre.

Le cas des travailleurs est plus simple. Pour eux la consommation égale le revenu:

Parce qu’ils n’ont aucun moyen d’accumuler, ils n’ont aucun contrôle possible sur leurs revenus. Les membres les plus «entreprenants» de cette classe émigrent vers les colonies où, selon leur tempérament et les circonstances, ils espèrent accumuler un stock initial de capital à force de travail, en devenant chercheurs d’or ou en faisant «suer le burnous»...

Il n’est pas sans intérêt de signaler que le modèle classique, dans lequel seul le profit était source d’épargne, le salaire étant entièrement consommé, se trouve partiellement confirmé par les recherches économétriques modernes. Divers auteurs (Stone, Taubman) ont subdivisé le revenu total en revenu du travail et revenu du capital et découvert une propension à épargner beaucoup plus élevée en fonction de ce dernier.

Le modèle moderne

Lorsqu’on passe de ce modèle plutôt fruste, quoique peu éloigné des conditions du XIXe siècle, au modèle moderne du comportement de l’épargnant, le tableau devient à la fois plus simple et plus complexe.

Plus simple, car les auteurs modernes ne divisent pas, comme les classiques, la société en deux classes. Le matériel statistique distingue naturellement les agriculteurs, les autres professions indépendantes, les salariés, les inactifs et les retraités. Mais, dans la littérature, Fisher, par exemple, présente un modèle de comportement du ménage moyen qui n’est explicitement ni entrepreneur ni salarié, et Boulding déclare que certains ménages sont plus «entreprenants» que d’autres, car, bien que non entrepreneurs, ils achètent et revendent incessamment biens immobiliers, équipement ménager, objets d’art ou valeurs mobilières. Cela indique que la théorie moderne de l’épargne postule seulement un modèle de comportement d’épargne parmi les ménages, et non deux comme dans le modèle classique, et que ce comportement n’est pas très différent de celui du capitaliste du XIXe siècle ou d’une entreprise moderne: le ménage essaie d’imprimer à son revenu un taux de croissance désiré. Pour y parvenir, il doit accumuler, et le salarié moderne est, à cet égard, en bien meilleure posture que son aïeul du XIXe siècle.

De ce point de vue, le modèle moderne du comportement de l’épargnant est plus simple (et plus général) que le modèle classique. Mais, par d’autres aspects, il est beaucoup plus complexe.

Keynes et le niveau absolu du revenu

La théorie moderne a d’abord cherché, après Keynes, à expliquer l’épargne globale par le niveau absolu du revenu:

où E et R représentent l’épargne et le revenu et u un résidu aléatoire. (Une autre forme de cette expression relie le taux d’épargne E/R au revenu.)

«Les individus sont disposés, en moyenne et en général, à accroître leur consommation à mesure que leur revenu s’élève, mais moins que l’accroissement du revenu.» En vertu de cette «loi psychologique fondamentale» de Keynes, le taux d’épargne croîtrait lorsque le revenu s’élève. Si les enquêtes de budgets familiaux semblent bien corroborer cette hypothèse au niveau micro-économique, l’analyse des séries chronologiques globales sur longue période conduit plutôt à la rejeter, car le taux d’épargne des ménages est resté très stable pendant cinquante ans, malgré une forte hausse des revenus.

L’hypothèse du revenu relatif

En proposant l’hypothèse du revenu relatif Modigliani et Duesenberry cherchèrent à lever cette contradiction: sur le plan micro-économique, le taux d’épargne d’un individu dépendrait, non du niveau absolu de son revenu, mais de sa place dans la distribution des revenus:

figure le revenu moyen, e et r l’épargne et le revenu individuels.

Sur le plan macro-analytique, cette théorie repose sur le phénomène de la diffusion sociologique des comportements de consommation (effets d’imitation ou d’émulation), qui fait que le modèle de consommation (en niveau et structure) d’une catégorie pilote à l’époque t 0 revient le modèle dominant à l’époque t 1.

Il s’ensuit que la consommation observée pendant une période est fonction du revenu durant cette période et de la consommation maximale observée dans le passé (et, par suite, du revenu correspondant à cette consommation passée). La fonction d’épargne devient alors:

où R0 figure le revenu maximal précédemment atteint.

Contrairement à l’hypothèse du revenu absolu, celle du revenu relatif permet d’expliquer la stabilité du taux d’épargne malgré la forte hausse du niveau de vie constatée en longue période. Les deux hypothèses postulent cependant que l’épargne dépend du seul revenu courant ou d’une combinaison du revenu courant et du revenu antérieur maximal, alors que les décisions d’investissement ou de placement des agents économiques et celles d’épargne que ces décisions induisent s’inscrivent dans la durée.

Une chronique du revenu serait, dès lors, un meilleur facteur explicatif de l’épargne que le revenu instantané ou décalé des deux premières hypothèses.

La théorie du revenu permanent

Une troisième théorie, vulgarisée par Friedman sous le nom de théorie du revenu permanent (mais dont l’origine remonte au «flux du revenu» de Fisher [1907] et au «revenu normal» de Hicks [1936] ou encore au «revenu subjectif» de Lindahl [1939]), fait dépendre l’épargne, c’est-à-dire les décisions affectant le patrimoine de l’individu, du revenu attendu par celui-ci au cours de son existence.

Le modèle moderne introduit ainsi le facteur temps avec sa notion de «profil de carrière». Ce concept s’exprime par deux échéanciers de ressources et de consommation:

où R0 est la «fortune» dans son acception de valeur en capital, c’est-à-dire la valeur actualisée de la perspective de revenus – du travail et du capital matériel – que le ménage escompte jusqu’à la fin de ses jours. i R0 est alors le revenu normal, ou permanent, selon la définition de Fisher et Friedman. De même:

où C0 est la valeur actualisée de la perspective de dépenses ou de consommation que le ménage prévoit jusqu’au terme de son existence.

Dans ces deux échéanciers est incluse la valeur des services rendus par les biens durables du ménage, dont la consommation est étalée sur plusieurs années. Le taux d’actualisation utilisé est le taux auquel le ménage peut emprunter.

Comparé à l’égalité classique (salaire = consommation, C = R), on a maintenant l’expression:

La consommation tout au long d’une vie est égale ou inférieure au revenu de toute une vie. Cela est naturellement compatible avec:

La consommation d’une période t peut être plus grande ou plus petite que le revenu de la même période.

Il faut, dès lors, expliquer et déterminer la fonction d’épargne:

Si la consommation de la vie entière est égale au revenu (C0 = R0), l’épargne ou la désépargne d’une période sert seulement à compenser la désépargne ou l’épargne d’une autre période. Le motif de l’épargne n’est alors qu’un motif de trésorerie de longue période, doublé d’un motif de sécurité ou de prévoyance. Selon Sten Thore, le cycle de vie d’une famille peut se décomposer en quatre phases: dans un premier temps, le ménage désépargne (il emprunte en anticipant sur l’augmentation attendue de son revenu) pour investir en biens durables; puis il épargne – son revenu continuant à augmenter, alors que ses dépenses sont plus ou moins stationnaires – pour rembourser ses dettes antérieures; ensuite, alors que son revenu devient stationnaire ou commence à diminuer, mais que sa consommation diminue elle aussi, puisque ses enfants ont grandi et ne sont plus une charge, le ménage peut continuer à épargner en plaçant son épargne; enfin, dans la dernière phase de sa vie, le ménage tire sur ses réserves accumulées pour financer ses dépenses de consommation qui ont dépassé un revenu réel en déclin.

Toutefois, lorsque l’épargne nette de la vie entière est positive (C0 麗 R0), les sommes épargnées et investies (par opposition à celles qui sont dépensées en biens durables) sont source de nouveaux flux de revenus, qui altèrent non seulement le profit temporel du flux, mais plus fondamentalement changent son niveau aussi bien que sa composition: dans le cas d’un salarié, un revenu du capital s’ajoute à celui de son travail. Le motif de l’épargne n’est plus seulement la trésorerie et la prévoyance. Il s’y ajoute un motif de spéculation ou de rendement.

L’épargne étant un bien complexe (la somme algébrique des variations apportées à la marge d’un patrimoine à l’actif et au passif), son offre totale est certes soumise au revenu par une contrainte de budget; sa structure est en revanche déterminée par la structure du patrimoine et des prix des biens qui le composent.

La théorie de l’effet de patrimoine

Parallèlement à la théorie du revenu permanent, et la complétant, se développe une théorie de l’effet de patrimoine qui s’inspire du Traité de la monnaie et des travaux de Pigou, Boulding et Patinkin. Cette théorie permet d’intégrer à la fois les taux d’intérêt et l’inflation parmi les facteurs déterminant l’offre d’épargne, et d’analyser ainsi le rôle du motif de spéculation.

Le patrimoine est en effet un ensemble d’éléments dont la valeur se modifie (à l’actif et au passif), d’une part en conséquence de l’accumulation des dividendes ou intérêts créditeurs ou débiteurs, d’autre part en raison des plus-values ou des moins-values de bilan provoquées par les variations de la structure des prix relatifs et de sa moyenne, le niveau général des prix – qui lui-même détermine la valeur de la monnaie. Si l’on postule que le ménage s’efforce au minimum de conserver la valeur réelle de son patrimoine, il oriente sa demande à l’actif et au passif de son bilan de telle sorte que la valeur nominale moyenne du patrimoine, après défalcation des revenus perçus et versés, croît à un taux au moins égal à celui du niveau général des prix.

Il s’ensuit que le patrimoine doit comprendre des avoirs dont les cours augmentent sensiblement plus vite que l’indice général des prix, puisque les encaisses et les créances libellées en monnaie se déprécient à raison même de la hausse de cet indice. Cette dépréciation à l’actif est, il est vrai, plus ou moins compensée au passif par la dépréciation équivalente des dettes non indexées.

Face à l’indice général des prix, qui définit la valeur de la monnaie, le ménage s’efforce de se doter d’un portefeuille de biens, de créances et de dettes représenté par un deuxième indice des prix qui, à la hausse, évolue plus vite et, à la baisse, plus lentement que l’indice général.

Globalement, les ménages qui ne parviennent pas à se constituer un tel patrimoine subissent un prélèvement sur leur avoir au profit de ceux qui réussissent: l’inflation redistribue les patrimoines.

3. Le comportement de l’épargnant

Mesure statistique de l’épargne

Les travaux économétriques sur la conduite de l’épargnant, commencés vers 1945 aux États-Unis (Katona), en 1950 en Europe (Lydall), ne reposaient guère d’abord sur la théorie de l’épargne. L’effort premier des chercheurs tendait à améliorer l’estimation statistique de l’épargne, condition de tout progrès dans l’analyse.

La mesure de l’épargne se heurte en effet à des difficultés que l’on rencontre moins dans le cas des biens de consommation: premièrement, l’épargne est très inégalement répartie à l’intérieur de la population, créant des problèmes d’échantillonnage; deuxièmement, le patrimoine est un sujet sur lequel les gens sont naturellement discrets, ce qui soulève des problèmes de technique d’enquête, de conception de questionnaires et de validation des résultats.

L’importance du problème à résoudre était telle que les chercheurs ont eu tendance à perdre de vue le modèle théorique du comportement de l’épargnant et les hypothèses à vérifier que ce modèle impliquait.

Le résultat a été que la plupart des enquêtes exécutées jusqu’en 1960 environ n’étaient qu’une adaptation des enquêtes classiques sur les budgets familiaux.

Les variables observées (revenu, épargne, biens durables, liquidités) se rapportaient à une année seulement, de sorte qu’il était impossible de vérifier les principales hypothèses du modèle théorique. Cette vérification exige une chronique des revenus, de l’épargne et du patrimoine couvrant une période de plusieurs années pour chaque ménage de l’échantillon, et de préférence la constitution d’un panel (interviews répétées).

Quelques sondages expérimentaux de ce type ont été tentés, et les premiers résultats sont prometteurs. En attendant que se développent ces nouveaux instruments permanents d’observation – et pour éclairer les décisions des autorités monétaires et des institutions financières –, il importe d’exploiter au mieux les enquêtes classiques, si insatisfaisantes qu’elles soient au regard de la théorie.

Les principaux résultats concernent l’effet de la profession et de l’âge sur l’épargne totale d’une part, sur la structure du patrimoine d’autre part.

Profession, âge et épargne totale

Le tableau 4 résume les résultats des enquêtes en divers pays pour les années cinquante et soixante. Les valeurs absolues des propensions marginales à épargner sont moins significatives que leur rang: dans tous les pays, les entrepreneurs individuels ont la plus haute propension à épargner, suivis des salariés. La propension de la population inactive est voisine de zéro.

Ce dernier résultat s’explique aisément: la population inactive est surtout composée de retraités et de personnes âgées qui ont tendance à puiser dans leur épargne passée, donc à désépargner, afin de maintenir leur niveau de vie en dépit de la diminution de leurs revenus à la retraite et d’une baisse de leurs ressources en termes réels, du fait de l’inflation.

La différence de comportement entre les salariés et les indépendants doit être attribuée à l’effet combiné de deux facteurs distincts: les entrepreneurs individuels ont plus de possibilités d’investissement que les salariés; le taux de profit d’une entreprise individuelle est souvent très supérieur à ce qu’offre le marché financier au salarié. En outre, l’exigence de l’amortissement contraint les entrepreneurs individuels à un autofinancement, et donc à une épargne brute, élevé.

De leur côté, les salariés sont en quelque sorte affranchis du besoin de se constituer un patrimoine par une autre forme d’épargne forcée: leurs propres contributions et celles de leurs employeurs à la Sécurité sociale et aux caisses de retraite.

L’étude hollandaise de 1960 sur l’épargne des salariés comportait des questions sur les versements à une assurance nationale (cotisations salariales et patronales); quand ces cotisations sont ajoutées au revenu et à l’épargne et qu’une nouvelle propension marginale à épargner (incluant cette épargne «obligatoire») est estimée, sa valeur atteint le double de celle qui figure dans le tableau 4 (0,22 au lieu de 0,11).

Cela indique qu’il existe une certaine substitution entre l’épargne «libre», ou spontanée, et l’épargne «obligatoire», correspondant aux cotisations de Sécurité sociale.

Le tableau 5 met en lumière l’influence de l’âge sur l’épargne des ménages. Les jeunes et les plus âgés ont un taux d’épargne bas ou négatif. Les premiers désépargnent, car ils empruntent en anticipant sur leur revenu futur en hausse afin d’acheter et d’équiper leur logement. Les seconds désépargnent en consommant leur capital pour maintenir leur niveau de vie face à des ressources réelles qui décroissent. L’épargne est donc en fait due aux personnes d’âge moyen qui font parfois un effort spécial immédiatement avant leur retraite. Une analyse de quelques résultats de l’enquête suédoise sur l’épargne révèle une relation négative entre la propension marginale à épargner actuelle et l’évolution attendue du revenu au cours des cinq années suivantes. Plus le revenu attendu est élevé en fonction du revenu actuel, plus la propension marginale à épargner est basse, et inversement.

Structure du patrimoine et demande d’actifs

Approche statique

Le tableau 6 donne une vue statique de la richesse des ménages analysée en trois grandes catégories.

Le premier groupe de biens, l’actif d’usage , est composé du logement et de son équipement (réfrigérateur, machine à laver, automobile). Ce sont des biens de consommation durables, mais qui atteignent des prix élevés et sont souvent achetés à crédit, si bien qu’ils font concurrence à l’épargne financière et deviennent une des raisons pour lesquelles les gens épargnent. L’actif d’usage forme la plus grosse partie de la richesse de la majorité de la population: les salariés. Son importance relative est moindre pour les gens riches et les indépendants.

Le deuxième groupe est composé des liquidités et semi-liquidités (numéraire, comptes à vue et à terme, dépôts et livrets d’épargne). C’est la plus importante composante de la richesse des salariés après l’actif d’usage et c’est fréquemment leur seul avoir. Mais elle ne représente qu’une petite fraction de la richesse des gens aisés, qui semblent maintenir un coefficient de liquidité constant de l’ordre de 10 p. 100.

Le troisième groupe, l’actif de rapport , comprend soit l’outil des entrepreneurs individuels (entreprises et stocks évalués à leur valeur marchande), soit les avoirs financiers des familles les plus riches. On remarquera que le rapport patrimoine / revenus est élevé (de 8 à 10) parmi les gens les plus riches, qui sont aussi plus âgés que le reste de la population. Ce rapport est important aussi (de 4 à 5) dans le cas des agriculteurs, surtout à cause du poids des terres dans la richesse totale des petits propriétaires.

Ces résultats mettent en évidence un phénomène de saturation de l’actif d’usage ainsi qu’une tendance à l’accroissement de la part de l’actif de rapport lorsque le patrimoine mesuré en années de revenus s’élève: le coefficient de liquidité reste en revanche approximativement constant.

La structure de patrimoine des catégories à bas revenus, où dominent l’actif d’usage et les liquidités, est plus vulnérable à l’inflation que celle des catégories élevées, comprenant un actif de rapport important.

Approche dynamique

Le tableau 7 offre une approche plus dynamique du phénomène observé; l’élasticité de la demande de chaque actif en fonction du patrimoine total le permet en effet.

L’élasticité est subdivisée en une élasticité-diffusion, qui montre comment le pourcentage de propriétaires augmente avec la richesse, et une élasticité-accumulation indiquant l’accroissement relatif de la valeur d’un bien quand la fortune totale s’élève. Les biens patrimoniaux se répartissent en deux groupes selon que leur élasticité totale est inférieure ou supérieure à l’unité.

Dans le premier groupe se retrouvent les liquidités et l’actif d’usage, biens très largement répandus dans la population et dont l’élasticité-diffusion, nulle ou négligeable, dénote un fort degré de saturation sur le marché. Le second groupe est constitué de l’actif de rapport. L’élasticité-diffusion est élevée, de tels biens étant rarement présents dans les petits patrimoines, mais leur diffusion augmente vite quand la richesse s’accroît. L’élasticité-accumulation est très dispersée en fonction de l’âge et atteint l’unité dans le cas de la demande de valeurs mobilières par les ménages de plus de cinquante-quatre ans.

Ces résultats comportent, en outre, un effet d’âge et un effet de génération .

L’effet d’âge joue dans l’ordre où les différents biens sont acquis durant la vie du ménage: en premier lieu, celui-ci acquiert un actif d’usage (maison, biens durables) et souscrit une assurance. Dans une large mesure, les liquidités sont un fonds de roulement et se maintiennent dans une relation à peu près constante avec le revenu, lui-même lié à la richesse.

L’effet de génération intervient dans la plus grande diversité du patrimoine des générations plus jeunes. Assurance, liquidités, automobiles sont plus largement diffusées parmi les ménages jeunes, mais cela est vrai aussi pour l’actif de rapport. À l’inverse, la propriété du logement est, systématiquement et à tous les niveaux de richesse, moins répandue chez les jeunes. Plutôt que d’immobiliser un capital important dans l’actif d’usage «logement», les jeunes d’outre-Atlantique semblaient préférer le faire travailler et rapporter. Il est regrettable à cet égard que les enquêtes sur l’épargne ne tiennent pas encore compte des «investissements dans la personne» (les dépenses d’éducation), l’un des placements en plus rapide expansion et peut-être l’un des emplois les plus rentables de l’épargne contemporaine.

Les résultats des travaux sur l’épargne entrepris depuis 1955 mettent en évidence une évolution très significative du comportement des particuliers face à l’épargne. Jadis, l’épargne-créatrice (Rist) était l’apanage d’une minorité, les possédants; la majorité ne pouvait prétendre qu’à une modeste épargne-réserve , en bas de laine ou caisse d’épargne.

De nos jours, une fraction croissante de la population place une part importante de son avoir en actifs de rapport. Les institutions financières l’y incitent dans leurs efforts pour étendre le champ de collecte des disponibilités; les entreprises aussi, qui proposent à leurs salariés des systèmes d’intéressement. La recherche d’une protection contre l’inflation – ou des plus-values de bilan que celle-ci engendre – constitue enfin un puissant adjuvant. Ainsi, alors que, dans le monde occidental développé, la population dans son ensemble a pris la condition de salariés, elle en vient à adopter des comportements de capitaliste dès lors qu’il s’agit de gérer son patrimoine; car elle a maintenant un patrimoine, qui représente en moyenne près de trois années de revenus.

La politique économique de l’État, les relations entre syndicats patronaux et ouvriers doivent désormais tenir compte de cet esprit capitaliste élargi: la société tout entière dépend de l’épargne individuelle de masse, pour financer ses équipements collectifs et son expansion, comme pour contribuer au développement du Tiers Monde.

épargne [ eparɲ ] n. f.
XVIIe; espergne v. 1265; de espargner épargner
1Gestion où les dépenses sont maintenues à un niveau inférieur aux recettes en vue de constituer des réserves. économie. Rembourser une dette par l'épargne. Les grands bourgeois « reconnaissent chez le paysan toutes les vertus bourgeoises, et particulièrement, le goût de la propriété et de l'épargne » (Chardonne). Écon. Part du revenu qui n'est pas consacrée à la consommation. Taux d'épargne. « L'épargne des ménages résulte d'un choix entre consommation et non-consommation » (R. Barre). Épargne-réserve, épargne-prévoyance, en attente d'une dépense. ⇒ thésaurisation; épargnant. Compte d'épargne en actions (C. E. A.). Plan d'épargne-retraite. Compte, plan d'épargne-logement : produit d'épargne rémunérée permettant au souscripteur d'emprunter à un taux d'intérêt privilégié pour financer l'acquisition ou l'amélioration d'une habitation. — Cour. Caisse d'épargne : organisme rémunérant l'épargne des particuliers déposée sur des livrets et dont les fonds sont, en France, gérés par la Caisse des dépôts et consignations.
2Par ext. Vieilli Les sommes épargnées, économisées. économie, fam. 2. magot, réserve (cf. Bas de laine). Vivre de ses épargnes, placer ses épargnes. Mod. L'ÉPARGNE. Ensemble des sommes mises en réserve ou employées à créer du capital. Rémunération de l'épargne ( intérêt) . Emprunt faisant appel à l'épargne du pays. La petite épargne : l'ensemble des économies de petits épargnants.
3Fig. Action de ménager, d'utiliser une chose avec modération. économie. L'épargne du temps, des forces.
Grav. Dans la gravure sur métal, Partie de la planche qui, recouverte d'un enduit protecteur, n'est pas attaquée par l'acide. Taille d'épargne : manière de tailler le bois en faisant apparaître en relief les parties qui seront reproduites après encrage.
⊗ CONTR. Dilapidation, gaspillage. Consommation.

épargne nom féminin (de épargner) Partie non consommée du revenu d'un agent économique, employée pour constituer un capital : Rémunération de l'épargne à 9 %. Action consistant à mettre en réserve une somme d'argent qu'on ne dépense pas ; économie : À force d'épargne, il s'était constitué un petit capital. Économie dans l'emploi de quelque chose : Épargne de temps. Céramique Partie d'une poterie laissée à l'état nu, tandis que le reste de la pièce est recouvert d'émail ou de couleur. ● épargne (expressions) nom féminin (de épargner) Caisse d'épargne et de prévoyance, également appelée caisse d'épargne Écureuil, établissement à but non lucratif ayant pour mission la collecte de l'épargne et le développement de la prévoyance pour la satisfaction des besoins collectifs et familiaux. Épargne forcée ou involontaire, épargne imposée à l'individu par le groupe dont il dépend. (Ce sont par exemple les prélèvements opérés par l'État et les collectivités publiques sous forme d'impôts destinés à couvrir des dépenses d'investissement, les cotisations obligatoires perçues par les organismes de sécurité sociale en vue de la couverture des risques futurs.) Épargne individuelle, épargne résultant du choix opéré par l'individu, à partir de son revenu, entre consommation et non-consommation. Épargne nationale, fraction du revenu national qui n'est pas consacrée à l'acquisition de biens de consommation. Taille d'épargne, manière de creuser la surface d'un matériau de façon à former un dessin avec les parties non attaquées. (Sont des tailles d'épargne les bas-reliefs en méplat, les émaux champlevés et les gravures en relief destinées à l'estampe [sur bois le plus souvent], dans lesquelles les parties « épargnées » apparaissent en noir à l'impression.) Bassin d'épargne, bassin destiné à réduire la consommation d'eau à chaque éclusée par rétention, grâce à un système de vannes approprié, d'une partie de la vidange du sas en vue de la restitution lors du remplissage. Aliment d'épargne, substance, telle que le thé, le café, qui stimule l'organisme et lui permet de poursuivre un effort en utilisant ses réserves, sans autre apport alimentaire. ● épargne (synonymes) nom féminin (de épargner) Navigation intérieure. Bassin d'épargne
Synonymes :
- économiseur

épargne
n. f.
d1./d Action d'épargner (de l'argent); somme épargnée. Encourager l'épargne.
|| Caisses d'épargne: établissements publics qui reçoivent les dépôts des épargnants, à qui sont versés des intérêts.
d2./d FIN Fraction d'un revenu qui n'est pas affectée à la consommation immédiate.
d3./d TECH Taille d'épargne: taille, manière de graver dans laquelle les parties de la planche destinées à prendre l'encre sont épargnées, c.-à-d. laissées en relief.

⇒ÉPARGNE, subst. fém.
Action d'épargner; résultat de l'action.
A.— Domaine cour.
1. Action d'épargner sur la dépense par réduction ou suppression ou sur l'emploi par consommation moindre ou nulle; ce qu'on ménage, ce qui est épargné. Je n'ai pas grand'chose, trois mille francs, le fruit de vingt-cinq ans d'épargnes et de privations (BALZAC, Cous. Pons, 1847, p. 229).
a) [Épargne évaluable en argent] :
1. Une épargne faite sur les services productifs de l'industrie, des capitaux et des terres, est une épargne aussi réelle qu'une épargne faite sur l'emploi de la matière première. On épargne sur les services productifs de l'industrie, des capitaux et des terres; soit en tirant plus de service des mêmes moyens de production, soit en absorbant moins de moyens de production pour obtenir les mêmes produits. Toutes ces épargnes, au bout de peu de temps, tournent en général au profit de la société...
SAY, Traité d'écon. pol., 1832, p. 445.
Souvent au plur. Sommes d'argent épargnées. Aux époques des revers, [ils] apportent leurs minces épargnes pour soutenir la famille qui les a nourris en ses prospérités (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 357). L'état encourage les petites épargnes en les recueillant, en les défendant, en les gardant, en les administrant (Fondateurs 3e Républ., Ferry, 1884, p. 266).
Épargne-logement. ,,Système d'encouragement à l'épargne individuelle en vue de la construction ou de l'acquisition d'un logement permettant au bout de 18 mois d'épargne d'obtenir un prêt dont le montant et la durée sont calculés en fonction de l'importance de l'épargne et de sa durée`` (BARR. 1974).
Ce qui est épargné et se matérialise par une possibilité de revenu supplémentaire. L'égalité de l'épargne et de l'investissement se réalise spontanément, ou peut être réalisée par des ordres obéis (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 159) :
2. ... en même temps que vous assurerez mieux l'épargne de l'ouvrier contre les conversions forcées de la dette flottante, vous aviserez aux moyens de rendre cette épargne productive...
PROUDHON, Les Confessions d'un révolutionnaire, 1849, p. 214.
Spécialement
Bassin d'épargne. Bassin proche d'une écluse servant de réservoir à l'eau de l'éclusée et évitant ainsi de prélever une eau nouvelle dans le bief supérieur lors du prochain remplissage de l'écluse :
3. Lorsqu'on vidange le sas de l'écluse, on envoie l'eau dans les bassins d'épargne voisins et la réserve ainsi constituée est renvoyée dans le sas au moment du remplissage de sorte qu'on n'aura à prélever, dans le bief supérieur, qu'une fraction seulement du volume d'une éclusée.
BOURDE, Les Trav. publ., 1929, p. 369.
Caisse d'épargne (cf. caisse II B 2 c).
b) [Non évaluable en argent] On ne sortira de ce labyrinthe du travail individuel et isolé que par une grande organisation scientifique, où tout sera fait sans épargne comme sans déperdition de forces (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 249) :
4. Les Anglais par leurs apports de troupes m'ont permis de relever des corps d'armée qui m'ont fait des réserves; de plus il y a chaque jour des blessés, des tués dans toutes les parties du front; si je puis retirer des troupes du front, c'est une épargne d'usure... Joffre ds
BARRÈS, Mes cahiers, t. 11, 1914-17, p. 159.
2. P. méton. Les individus qui épargnent, qui effectuent l'épargne. La petite épargne. Les autres (...) criaient que la bourgeoisie était la vertu, le travail, l'épargne de la nation (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 374) :
5. ... si j'avais été au courant de cette histoire, j'aurais donné l'ordre de suspendre les paiements et me serais fait déclarer en faillite. Pour avoir le plaisir de ruiner la petite épargne.
LARBAUD, A. O. Barnabooth, 1913, p. 160.
3. Le fait de l'épargne, le phénomène en soi pris dans sa généralité. La tendance à l'épargne ou la prodigalité (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Chambre, 1884, p. 987). Mesures propres à garantir la monnaie et à faire renaître l'épargne (Combat, 19-20 janv. 1952, p. 5, col. 2). Épargne nationale (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 179) :
6. ... la firme (...) possède sur le territoire une capacité d'épargne et d'investissement relativement très élevée.
PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 181.
B.— Domaine techn.
1. GRAV. Taille d'épargne ou taille en épargne. Procédé consistant à laisser en relief les parties qui doivent apparaître sur le dessin, en ne les taillant pas, dans la gravure sur bois, ou en les protégeant de l'action de l'acide, dans la gravure sur cuivre :
7. Autrefois la gravure en bois s'appelait gravure en taille d'épargne, et ce mot exprimait fort bien l'opération qui consiste à épargner tous les traits dont se compose l'image qu'il s'agit de mettre en relief.
Ch. BLANC, Gramm. des arts du dessin, 1876, p. 646.
2. HORTIC. (Poire d')épargne. Variété de poire de moyenne grosseur, juteuse, de récolte précoce. Synon. cuisse-madame (s.v. cuisse II A 1). Cf. GONCOURT, Sœur Philom., 1861, p. 147.
3. ORFÈVR. Mélange contenant du blanc d'Espagne, de la gomme et du sucre que l'on étend sur certaines parties que l'on veut brunir, lors de la dorure. Comme on tient souvent à conserver le mat sur certaines parties de l'objet, on recouvre ces parties d'une épargne formée de blanc d'Espagne, ... (WURTZ, Dict. chim., t. 2, vol. 1, 1873, p. 628).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1155 faire esparne « donner quartier » (WACE, Brut, éd. I. Arnold, 306); 2. 1269-78 esperne « somme épargnée » (J. DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 5026). Déverbal de épargner. Fréq. abs. littér. :355. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 672, b) 381; XXe s. : a) 409, b) 489.

épargne [epaʀɲ] n. f.
ÉTYM. XVIIe; espergne, v. 1265; esparne « action de faire quartier », v. 1155; déverbal de espargner, épargner.
1 Gestion où les dépenses sont maintenues à un niveau inférieur aux recettes en vue de constituer des réserves. Économie, ménage (vx), parcimonie. || Vivre dans l'épargne. || Épargne rigoureuse, sévère. Frugalité. || Épargne excessive, sordide. Avarice, lésine. || Amasser un capital; amortir, rembourser une dette par l'épargne (→ Amortir, cit. 8). || Esprit d'épargne, amour de l'épargne. || Aisance acquise par une soigneuse épargne.Vx. || Épargne de bouche : diminution des dépenses sur la nourriture.
1 (…) elle est nourrie et élevée dans une grande épargne de bouche (…)
Molière, l'Avare, II, 5.
2 (…) cette rigoureuse épargne qu'on exerce sur nous (…)
Molière, l'Avare, I, 2.
3 De l'épargne sordide : cette espèce d'avarice est dans les hommes une passion de vouloir ménager les plus petites choses sans aucune fin honnête.
La Bruyère, les Caractères de Théophraste.
4 Usez d'épargne, mais non pas aux dépens de toute libéralité. Ayez l'âme d'un roi et les mains d'un sage économe.
Joseph Joubert, Pensées, V, LXXXIV.
5 (…) ils (les grands bourgeois) reconnaissent chez le paysan toutes les vertus bourgeoises, et particulièrement, le goût de la propriété et de l'épargne.
J. Chardonne, l'Amour du prochain, p. 168.
6 La vertu du bourgeois consistait (au XVIe siècle) à régler ses dépenses d'après ses ressources, et même à obtenir un excédent de recettes. Cet idéal explique le sens pris en français par les mots qui désignent la tenue d'une maison : ménager (tenir un ménage) a signifié épargner; économie (règle de la maison) est devenu synonyme d'épargne.
Ch. Seignobos, Hist. sincère de la nation franç., p. 280.
Écon. polit. Le fait de s'abstenir de consommer, dans le but de mettre en réserve de l'argent, etc. ou de créer des sources nouvelles de revenu.
Écon. || Épargne-réserve ou épargne-prévoyance, pour les besoins futurs. Épargnant. || Épargne-économie, créatrice de capitaux.(En France). || Épargne-logement, investie dans la construction. || Plan d'épargne-logement : système de prêt et de dépôt bancaire assorti d'intérêts, en principe lié à l'acquisition d'un logement.
7 Le mot épargne sert à désigner (…) deux catégories d'actes très différents (…) Il faudrait avoir deux mots différents pour la désigner (…)
L'épargne-économie. C'est l'art de satisfaire à ses besoins en consommant le moins de richesses possible, c'est-à-dire à tirer le meilleur parti des denrées ou de l'argent qu'on a à sa disposition, à les économiser (…)
Épargne-prévoyance (…) Ce n'est plus (…) la consommation économisée, c'est la consommation différée. L'homme (…) songe à ses besoins futurs (…) comme le dit très bien la locution populaire, il « met quelque chose de côté » (…) une poire pour la soif, comme on dit.
Charles Gide, Cours d'économie politique, t. II, p. 531 et 535.
8 Qu'est-ce que l'épargne ? Une abstention. L'homme qui ne dépense pas l'intégralité de son revenu épargne; il transforme en capital la portion de son revenu non dépensé. C'est le plus souvent en monnaie que se fait l'épargne (…) Mais il y a d'autres formes d'épargne. L'épargne (…) est un sacrifice du présent à l'avenir (… la) fonction économique de l'épargne est d'une importance capitale (…) elle est la condition de la création des biens de production.
Henri Truchy, Cours d'économie politique, t. II, p. 185.
9 L'épargne est l'origine du capital comme elle est la justification morale du capitalisme, puisqu'elle représente une privation, un effort et même un sacrifice. Car celui qui ne consomme pas tout ce qu'il a gagné pense aux autres au lieu de penser à lui-même. Il pense à ses enfants, à ses successeurs. Il pense, sans le savoir, à tout le monde.
J. Bainville, la Fortune de la France, p. 98.
10 L'utilitarisme était la philosophie de l'épargne : il perd tout sens quand l'épargne est compromise par l'inflation et les menaces de banqueroute.
Sartre, Situations II, p. 274.
Caisse d'épargne : établissement ayant pour objet de recevoir en dépôt les économies de faible montant et de leur servir un intérêt capitalisé annuellement. || Caisse nationale d'épargne, établissement public d'État (loi du 9 avril 1881). || La Caisse nationale d'épargne ou Caisse postale, reçoit les dépôts par l'intermédiaire des bureaux de poste. || Caisses d'épargne privées, établissements d'utilité publique. || Livret de Caisse d'épargne, compte d'épargne ( belgicisme Carnet). || L'écureuil, symbole des Caisses d'épargne, en France. || Déposer, retirer de l'argent à la Caisse d'épargne.
11 Le ménage a déteint sur elle. L'ombre de la caisse d'épargne est sur son front.
Ed. et J. de Goncourt, Journal, janv. 1855, t. I, p. 62.
2 Par ext., vieilli. Ensemble des sommes épargnées, économisées. Économie, II., 2., réserve; 2. bas (de laine), magot, tirelire. || Vivre de ses épargnes, placer ses épargnes. || Faire une épargne considérable (→ Dot, cit. 3).
12 Qui se pourrait dîner de la fumée du rôt, ferait-il pas une belle épargne ?
Montaigne, Essais, III, V.
Mod. Écon. Ensemble des sommes mises en réserve ou employées à créer du capital. || Une partie de l'épargne est formée de sommes thésaurisées, le reste alimentant le marché monétaire (dépôts en banque), et le marché financier (achats d'actions, d'obligations). || Emploi de l'épargne; rémunération de l'épargne ( Intérêt). || Emprunt faisant appel à l'épargne du pays. || Montant total de l'épargne dans un pays. || Accumulation de l'épargne, des épargnes (→ Capitalisme, cit. 3).La petite épargne : l'ensemble des économies de petits épargnants. || « Ce désastre financier a surtout atteint la petite épargne » (Académie).
13 C'est l'accumulation des épargnes qui forme les capitaux.
J.-B. Say, Épitomé, in Littré.
(1470). Hist. Trésor central du royaume, établi par François Ier. || Trésorier de l'épargne.Par ext. Trésor d'un souverain.
14 Mon épargne depuis en sa faveur ouverte.
Corneille, Cinna, II, 1.
15 Quelques officiers qui sont au trésor royal ont été à même temps et officiers de l'épargne et officiers du trésor royal, parce que, lors de leur premier établissement, on disait l'épargne, et aujourd'hui l'on dit le trésor royal.
Vaugelas, Nouvelles remarques. Observations de M, p. 215, in Pougens.
3 (V. 1534). Fig. Action de ménager, d'utiliser une chose avec modération; résultat de cette action. Économie. || L'épargne du temps, des forces. || Aliment d'épargne.
16 (…) dans ces réserves obscures de l'hérédité que certaines émotions, agissant en cela comme, sur l'épargne de nos forces emmagasinées, les médicaments analogues à l'alcool et au café, nous rendent disponibles.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XII, p. 190.
4 (1543). Gravure. || Taille en épargne (vx), taille d'épargne : manière de tailler le bois en faisant apparaître en relief les parties qui seront reproduites après encrage.(Dans la gravure sur métal). Partie de la planche qui, recouverte d'un enduit protecteur, n'est pas attaquée par l'acide.
5 (XXe). Techn. || Bassin d'épargne : bassin qui, dans une écluse, permet de récupérer l'eau éclusée.
6 (Déb. XVIIe). || Poire d'épargne, ou Épargne : poire que l'on récolte à la fin de juillet (et que l'on peut conserver).
CONTR. Désépargne; dilapidation, gaspillage, prodigalité. — Consommation, débours, dépense, frais.

Encyclopédie Universelle. 2012.