Akademik

amitié

amitié [ amitje ] n. f.
amistié 1080; lat. pop. °amicitatem, accus. de °amicitas, class. amicitia
1Sentiment réciproque d'affection ou de sympathie qui ne se fonde ni sur les liens du sang ni sur l'attrait sexuel; relations qui en résultent. affection, camaraderie, sympathie. « La camaraderie mène à l'amitié » (F. Mauriac). « L'amitié entre homme et femme est délicate, c'est encore une manière d'amour » (Cocteau). Une preuve d'amitié. Une solide, une ancienne amitié. Avoir de l'amitié pour qqn. Se lier d'amitié avec qqn. Faire qqch. par amitié pour qqn. Vieilli Amitié particulière : liaison homosexuelle.
Rapports amicaux. entente. L'amitié entre nos deux pays.
2Marque d'affection, témoignage de bienveillance. J'espère que vous nous ferez l'amitié de venir. Au plur. Faites-lui toutes mes amitiés : dites-lui de ma part bien des choses amicales. Mes amitiés à votre mari.
⊗ CONTR. Antipathie, inimitié.

amitié nom féminin (latin populaire amicitas, latin classique amicitia) Sentiment d'affection entre deux personnes ; attachement, sympathie qu'une personne témoigne à une autre : Être lié d'amitié avec quelqu'un. Bienveillance, gentillesse, courtoisie chaleureuse manifestées dans les relations sociales, privées, mondaines : Dire un mot d'amitié. Fais-nous l'amitié de venir dîner. Relations entre collectivités fondées sur le bon voisinage, la bonne entente, la collaboration : Conclure un traité d'amitié.amitié (citations) nom féminin (latin populaire amicitas, latin classique amicitia) Sébastien Roch Nicolas, dit Nicolas de Chamfort près de Clermont-Ferrand 1740-Paris 1794 Académie française, 1781 Amitié de cour, foi de renards et société de loups. Maximes et pensées François René, vicomte de Chateaubriand Saint-Malo 1768-Paris 1848 L'amitié ? Elle disparaît quand celui qui est aimé tombe dans le malheur, ou quand celui qui aime devient puissant. Vie de Rancé Georges Moinaux, dit Georges Courteline Tours 1858-Paris 1929 Les vieilles amitiés s'improvisent. La Philosophie de G. Courteline Flammarion Eugène Delacroix Saint-Maurice, Val-de-Marne, 1798-Paris 1863 Cette vie d'homme qui est si courte pour les plus frivoles entreprises est pour les amitiés humaines une épreuve difficile et de longue haleine. Journal, 1er mars 1824 Raymond Payelle, dit Philippe Hériat Paris 1898-Paris 1971 L'amitié est un exercice de l'âme que les femmes ne pratiquent pas. Belle de jour Gallimard Marcel Jouhandeau Guéret 1888-Rueil-Malmaison 1979 Ce n'est ni l'amitié ni la bonté qui nous manquent, mais nous qui manquons à l'amitié et à la bonté. Chroniques maritales Gallimard Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 Les femmes vont plus loin en amour que la plupart des hommes ; mais les hommes l'emportent sur elles en amitié. Les Caractères, Des femmes Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 L'amour commence par l'amour ; et l'on ne saurait passer de la plus forte amitié qu'à un amour faible. Les Caractères, Du cœur Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 L'amour et l'amitié s'excluent l'un l'autre. Les Caractères, Du cœur Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre ceux qui sont nés médiocres. Les Caractères, Du cœur Pierre Choderlos de Laclos Amiens 1741-Tarente 1803 La haine est toujours plus clairvoyante et plus ingénieuse que l'amitié. Les Liaisons dangereuses François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 La plupart des amis dégoûtent de l'amitié, et la plupart des dévots dégoûtent de la dévotion. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié. Maximes Gustave Le Bon Nogent-le-Rotrou 1841-Paris 1931 L'amitié est plus souvent une porte de sortie qu'une porte d'entrée de l'amour. Aphorismes du temps présent Flammarion André Malraux Paris 1901-Créteil 1976 Le difficile n'est pas d'être avec ses amis quand ils ont raison, mais quand ils ont tort. L'Espoir Gallimard Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. » Essais, I, 28 Commentaire Montaigne parle de son amitié avec La Boétie. Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Un bon mariage, s'il en est, refuse la compagnie et conditions de l'amour. Il tâche à représenter celles de l'amitié. Essais, III, 5 la nature Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu château de La Brède, près de Bordeaux, 1689-Paris 1755 L'amitié est un contrat par lequel nous nous engageons à rendre de petits services afin qu'on nous en rende de grands. Mes pensées Henry Millon de Montherlant Paris 1895-Paris 1972 Académie française, 1960 Quelques-uns prennent pour de l'amitié ce qui est de la charité. Les Prisonniers Gallimard René de Obaldia Hong-kong 1918 Les petits oiseaux entretiennent l'amitié. Les Richesses naturelles, les Amitiés difficiles Julliard Henri de Régnier Honfleur 1864-Paris 1936 Académie française, 1911 Les feux de l'amour laissent parfois une cendre d'amitié. « Donc… » Kra Jules Renard Châlons, Mayenne, 1864-Paris 1910 C'est une grande preuve de noblesse que l'admiration survive à l'amitié. Journal, 25 mai 1897 Gallimard Jules Romains, pseudonyme littéraire devenu ensuite le nom légal de Louis Farigoule Saint-Julien-Chapteuil, Haute-Loire, 1885-Paris 1972 Académie française, 1946 Trois copains qui s'avancent sur une ligne n'ont besoin de personne, ni de la nature, ni des dieux. Les Copains Gallimard Louis Antoine Léon Saint-Just Decize 1767-Paris 1794 Celui qui dit qu'il ne croit pas à l'amitié, ou qui n'a point d'amis, est banni. Fragments sur les institutions républicaines Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon Paris 1675-Paris 1755 Le nerf et le principe de la haine et de l'amitié, de la reconnaissance et de la vengeance est le même. Mémoires Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Paris 1626-Grignan 1696 L'amitié se réchauffe quand on est dans les mêmes intérêts. Correspondance, à M. de Pomponne, 11 octobre 1661 Alexis Clérel de Tocqueville Paris 1805-Cannes 1859 En politique, la communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés. Souvenirs Honoré d'Urfé Marseille 1567-Villefranche-sur-Mer 1625 Ne savez-vous que l'amitié n'a point d'autre moisson que l'amitié, et que tout ce qu'elle sème, c'est seulement pour en recueillir le fruit ? L'Astrée Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues Aix-en-Provence 1715-Paris 1747 La haine des faibles n'est pas si dangereuse que leur amitié. Réflexions et Maximes Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues Aix-en-Provence 1715-Paris 1747 La haine n'est pas moins volage que l'amitié. Réflexions et Maximes François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux. Œdipe, I, 1, Philoctète Théocrite Syracuse vers 300-vers 250 avant J.-C. Tout a du prix, venant de l'amitié. Idylles, XXVIII, 25 (traduction Legrand) Bible Si tu veux te faire un ami, commence par l'éprouver et ne te hâte pas de te confier à lui. Ancien Testament, EcclésiastiqueVI, 7 Commentaire Citation empruntée à la « Bible de Jérusalem ». Emily Brontë Thornton 1818-Haworth 1848 L'amour à la sauvage églantine est pareil, Et l'amitié pareille au houx, Sombre est le houx, quand l'églantine est tout en fleur, Mais lequel fleurit avec plus de constance ? Love is like the wild rose-briar, Friendship like the holly-tree, The holly is dark when the rose-briar blooms But which will bloom most constantly ? Love and Friendship Friedrich Nietzsche Röcken, près de Lützen, 1844-Weimar 1900 Des femmes peuvent très bien lier amitié avec un homme ; mais pour la maintenir — il y faut peut-être le concours d'une petite antipathie physique. Frauen können recht gut mit einem Manne Freundschaft schließen ; aber um diese aufrechtzuhalten — dazu muß wohl eine kleine physische Antipathie mithelfen. Humain, trop humain amitié (expressions) nom féminin (latin populaire amicitas, latin classique amicitia) Amitié particulière, liaison homosexuelle entre adolescents. ● amitié (synonymes) nom féminin (latin populaire amicitas, latin classique amicitia) Sentiment d'affection entre deux personnes ; attachement, sympathie qu'une personne témoigne...
Synonymes :
- attachement
- camaraderie
- familiarité
- intimité
Contraires :
- animosité
- antipathie
- aversion
- haine
- hostilité
- inimitié

amitié
n. f.
d1./d Affection mutuelle qui lie deux personnes en l'absence de liens de famille et d'attirance sexuelle. Se lier d'amitié avec quelqu'un.
|| Amitié particulière: relation homosexuelle.
d2./d Témoignage d'affection bienveillante. Faites-nous l'amitié d'accepter ce cadeau. Transmettez mes amitiés à votre époux. Ant. antipathie, inimitié.

⇒AMITIÉ, subst. fém.
Relation d'ami.
I.— [Les êtres intervenant dans la relation sont exclusivement des animés]
A.— [La relation d'amitié est de nature pers.]
1. [La relation a pour obj. de créer ou d'entretenir, etc. une communauté de nature affective et vertueuse] Une amitié désintéressée, avoir de l'amitié pour quelqu'un, une preuve d'amitié :
1. Aimer, sentir, c'est là cette ivresse vantée
Qu'aux célestes foyers déroba Prométhée.
Calliope jamais daigna-t-elle enflammer
Un cœur inaccessible à la douceur d'aimer?
Non; l'amour, l'amitié, la sublime harmonie,
Tous ces dons précieux n'ont qu'un même génie :
Même souffle anima le poète charmant,
L'ami religieux, et le parfait amant.
A. CHÉNIER, Épîtres, 1794, p. 183.
2. ... les passions proprement dites renferment toujours un desir. Dans la haine, est le desir de faire de la peine; dans l'amitié, le desir de faire plaisir : et ces desirs dépendent de la faculté que nous nommons volonté. Mais l'état doux ou pénible qu'éprouve l'homme qui aime ou hait un autre homme, est une véritable sensation interne.
A.-L.-C. DESTUTT DE TRACY, Éléments d'idéologie, Idéologie proprement dite, 1801, p. 39.
3. L'amitié est une harmonie entre deux êtres qui ont les mêmes besoins. Ainsi elle est plus commune chez les faibles que chez les puissants; elle est plus grande d'un enfant à un enfant, que d'un enfant à un vieillard; elle est plus forte dans l'âge des passions que dans le premier âge; elle est plus constante dans l'âge viril que dans l'adolescence et la jeunesse, (...). L'amitié naît d'abord des besoins physiques, et elle peut subsister assez longtemps par les simples relations de plaisirs, de goûts, d'exercices, d'intérêts. Elle s'étend ensuite aux besoins intellectuels, et s'augmente par les lumières et les études des mêmes arts et des mêmes sciences; enfin elle devient vertu, parce qu'elle demande des sacrifices, de la reconnaissance et de l'indulgence, ...
J.-H. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, p. 309.
4. Mais comment accuser d'égoïsme celui de tous les écrivains [Montaigne] qui a le mieux parlé de l'amitié, parce qu'il a parlé de ce qu'il a senti? de toutes les passions, de tous les sentimens dont le cœur humain est susceptible, l'amitié est peut-être le seul qui exclue l'égoïsme. Aimer, c'est en quelque sorte déplacer son existence; c'est vivre dans un autre, pour un autre.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 5, 1814, p. 91.
5. Le phénomène de l'amitié s'explique toujours à mes yeux par une comparaison physique; il faut en quelque sorte que deux êtres aient le temps de s'attacher l'un l'autre par des accidents d'âme comme ces insectes qui ne tendent leurs toiles qu'après avoir été sonder chaque fois le terrain pour chaque fil qu'ils posent et encore y reviennent-ils à plusieurs reprises; mais il y a aussi, j'aime à le croire, certaines âmes qui se sentent et s'apprécient d'un seul jet.
H. DE BALZAC, Correspondance, 1825, p. 266.
6. Je nie que la confusion soit possible entre l'amour, qui a l'individuation pour base, et l'amitié, forme de la sympathie, c'est-à-dire d'un fait, où le moi devient, en quelque sorte, le non-moi.
É. PAILLERON, Le Monde où l'on s'ennuie, 1869, III, 4, p. 148.
7. L'amitié est un pacte, où l'on fait la part des défauts et des qualités. On peut juger un ami et une amie, tenir compte de ce qu'ils ont de bon, négliger ce qu'ils ont de mauvais et apprécier exactement leur valeur, tout en s'abandonnant à une sympathie intime, profonde et charmante.
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, Lettre trouvée sur un noyé, 1884, p. 903.
8. Tout le monde sait que nous aimons qui nous ressemble, quiconque pense et sent comme nous. Mais le phénomène contraire ne se rencontre pas moins fréquemment. Il arrive très souvent que nous nous sentons portés vers des personnes qui ne nous ressemblent pas, précisément parce qu'elles ne nous ressemblent pas. Ces faits sont en apparence si contradictoires que, de tout temps, les moralistes ont hésité sur la vraie nature de l'amitié et l'ont dérivée tantôt de l'une et tantôt de l'autre cause. (...). Ce que prouve cette opposition des doctrines, c'est que l'une et l'autre amitié existent dans la nature. La dissemblance, comme la ressemblance, peut être une cause d'attrait mutuel.
É. DURKHEIM, De la Division du travail social, 1893, pp. 17-18.
9. L'amitié, un oiseau d'amour qui a la queue coupée.
J. RENARD, Journal, 1896, p. 370.
10. La plupart des amitiés ne sont guère que des associations de complaisance mutuelle, pour parler de soi avec un autre.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, L'Adolescent, 1905, p. 238.
11. La société des amis est toujours une société idéale. Elle est un échange continu. Tandis que dans nos rapports ordinaires avec les autres hommes nous ne parvenons le plus souvent à la cordialité qu'en lui sacrifiant l'ardeur de nos pensées, la seule amitié nous révèle une vie intense et, par un miracle, tendre et cordiale cependant. Un ami ouvre en nous les chambres fermées.
J. GUÉHENNO, Journal d'un homme de quarante ans, 1934, p. 133.
12. Apprends à repousser l'amitié, ou plutôt le rêve de l'amitié. Désirer l'amitié est une grande faute. L'amitié doit être une joie gratuite comme celles que donne l'art, ou la vie. Il faut la refuser pour être digne de la recevoir : elle est de l'ordre de la grâce...
S. WEIL, La Pesanteur et la grâce, 1943, p. 72.
a) [La relation affective, même ardente, est gén. distincte en tant que telle des relations familiales ou amoureuses ou des simples relations mondaines]
[Entre pers. de même sexe] :
13. Emma avoit pris pour Célanire la plus vive amitié; elle alloit sans cesse la voir dans son monastère, elle parloit souvent d'elle, et j'allois chez la princesse Emma avec plus d'assiduité que jamais...
Mme DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, t. 1, 1795, p. 111.
14. ... sans nous en être aperçus, nous nous trouvâmes liés d'une solide amitié. J'avais déjà un ami d'un caractère tout semblable au mien. J'en eus un, dans Poret, d'un caractère opposé; mais c'est cette différence (qui n'est d'ailleurs que dans la forme) qui a rendu notre liaison si calme et si heureuse; des contrastes naissent les harmonies.
J. MICHELET, Mémorial, 1822, p. 214.
15. Après ce pacte, les deux amis échangèrent les manitous de l'amitié. Outougamiz donna à René le bois d'un élan, qui tombant chaque année, chaque année se relève avec une branche de plus, comme l'amitié qui doit s'accroître en vieillissant. René fit présent à Outougamiz d'une chaîne d'or.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, p. 155.
16. Ces deux hommes venaient, je crois, d'épouser les deux sœurs, deux Nantaises fraîches et roses; ils s'aimaient beaucoup, une forte amitié de matelots; toujours de quart ensemble, toujours ivres ensemble, toujours se battant ensemble, l'un s'était marié pour faire comme l'autre, l'autre se jeta à l'eau pour sauver son ami ou faire comme lui, — se noyer.
E. SUE, Atar Gull, 1831, p. 3.
17. Enfin, ils se comprenaient, ils étaient bâtis l'un pour l'autre. L'amitié avec un homme, c'est plus solide que l'amour avec une femme. Il faut dire une chose, Coupeau et Lantier se payaient ensemble des noces à tout casser.
É. ZOLA, L'Assommoir, 1877, p. 618.
18. Blérot était mon ami d'enfance, mon plus cher camarade; nous n'avions rien de secret. Nous étions liés par une amitié profonde des cœurs et des esprits, une intimité fraternelle, une confiance absolue l'un dans l'autre. Il me disait ses plus délicates pensées, jusqu'à ces petites hontes de la conscience qu'on ose à peine s'avouer soi-même. J'en faisais autant pour lui.
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, Un Sage, 1883, p. 916.
19. Il est faux de prétendre que les petites brouilles entretiennent l'amitié. Christophe en voulait à Otto des injustices que Otto lui faisait commettre. Il essayait bien de se raisonner, il se reprochait son despotisme. Sa nature loyale et emportée, qui, pour la première fois, faisait l'épreuve de l'amour, s'y donnait tout entière et voulait qu'on se donnât tout entier. Il n'admettait pas le partage en amitié. Étant prêt à tout sacrifier à l'ami, il trouvait légitime, et même nécessaire, que l'ami lui sacrifiât tout.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Le Matin, 1904, p. 166.
20. J'avais été très lié avec Marcel Sembat jadis, avant, je crois, qu'il ne fût député. Puis il me sembla que nous n'avions plus aucune idée essentielle en commun et il me fut un mort, car l'amitié, c'est pour moi une collaboration, une affirmation à deux, une union de désirs et de préférences.
M. BARRÈS, Mes cahiers, t. 14, juill. 1922-avr. 1923, p. 127.
21. J'ai rencontré, je crois, un ami, j'ai eu la révélation de l'amitié. Cet aveu surprendrait beaucoup de mes anciens camarades, car je passe pour très fidèle à certaines sympathies de jeunesse. (...). Mais ce ne sont que des sympathies. Je comprends maintenant que l'amitié peut éclater entre deux êtres avec ce caractère de brusquerie, de violence, que les gens du monde ne reconnaissent volontiers qu'à la révélation de l'amour.
G. BERNANOS, Journal d'un Curé de campagne, 1936, p. 1210.
22. Ils ne s'égaraient même pas sur le sens de leur amitié, qui n'était qu'une complicité assez forte d'adolescents trop menacés pour ne pas éprouver le prix des liens d'équipe, trop solitaires pour ne pas s'efforcer de remplacer la réalité des compagnes nocturnes par les reflets de la camaraderie virile : ...
P. NIZAN, La Conspiration, 1938, p. 25.
[Entre pers. de sexe différent] :
23. Les pures amitiés durables avec les jeunes femmes ne sont possibles, je le vois, qu'à condition d'insensibilité fréquente, d'oubli de leur part et de détournement perpétuel de leur tendresse sur d'autres êtres qui ne sont pas nous. Puisqu'en restant attentives et vives, ces amitiés, au dire des conseillers rigides, ne sont jamais que prétendues innocentes, osons plus, osons mieux, ayons-les donc tout à fait coupables! » ...
Ch.-A. SAINTE-BEUVE, Volupté, t. 2, 1834, pp. 59-60.
24. ... je crus (...) longtemps que les transports et les jalousies de l'amour étaient inconciliables avec la divine sérénité de l'amitié, et, à l'époque où je connus Rollinat, je cherchais l'amitié sans l'amour comme un refuge et un sanctuaire où je pusse oublier l'existence de toute affection orageuse et navrante.
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 4, 1855, p. 94.
25. C'est une chose étrange que les femmes demandent à leur ami d'être un homme. Il n'y a pas d'exemple d'amitié entre une femme et un Abélard ou un impuissant.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, août 1857, p. 396.
26. Vous m'aimez tellement que vous ne m'aimez plus du tout. Vous supposez m'aimer et c'est votre bonheur, c'est le bonheur que vous avez rêvé capricieusement pour vous, c'est vous-même que vous aimez uniquement en moi. Votre amitié ressemble à une escroquerie.
M. JOUHANDEAU, Monsieur Godeau intime, 1926, p. 215.
27. ... ajoutant qu'il n'y avait pas de commune mesure entre ce que signifiait pour moi une amitié masculine et une amitié féminine, je marquais qu'à vrai dire à celle-ci je ne pouvais pas en toute conscience imputer le terme strict d'amitié : toutes les couleurs de la tendresse, du besoin d'actif dévouement, de l'intimité de l'échange, en un mot d'une atmosphère perpétuellement mouvante y jouent; ...
Ch. DU BOS, Journal, mai 1927, p. 269.
28. Désir d'atteindre la pureté d'une femme et de la toucher dans un monde où le fait que je suis un homme n'a plus à lui porter d'ombrage. N'ayant jamais accepté de moi que mon amitié, elle m'a appris à mettre tout mon cœur dans un échange de pensées et il me semble naturel maintenant que ma qualité intellectuelle s'affirme comme un gage éclatant de son influence sur moi. Elle est ma grande amie.
J. BOUSQUET, Traduit du silence, 1935-1936, p. 36.
29. Il dit : — L'amitié n'est donc pas possible entre un homme jeune et une jeune femme? — Si, l'espèce d'impuissance qu'est cette amitié doit être possible dans certains cas. Par exemple, avec une très jeune fille. Quand j'avais dix-huit ans, je n'aurais rien désiré de plus que ce qui est; une amitié masculine, et, avec vous, c'eût été pour moi le rêve. Mais la femme que je suis, dont vous n'avez jamais ignoré l'âge, la solitude, le trouble, la détresse, le besoin d'amour, ayant en vous cet ami magnifique, comment voulez-vous qu'elle ne soit pas menée à l'aimer? Je vous ai offert mon amour. Vous l'avez repoussé. (...). À l'avenir, dans vos relations avec les femmes, ne soyez pas « trop gentil », Costals. Par pitié pour elles. Et puis, gravez dans votre tête cet axiome : « Pas d'amitié avec les jeunes filles. » Parce que chacune d'elles croira que vous la préférez.
H. DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles, 1936, pp. 971-972.
b) [La relation d'amitié peut s'établir à l'intérieur d'une relation d'affection familiale]
[Entre époux] :
30. ... comme je te l'ai dit souvent, le temps arrivera, et il est peut-être déjà arrivé, où ton amour fini ne vaudra pas mon amitié constante. Cette idée est triste. Il est très vrai que j'aurais trouvé beaucoup de bonheur dans une union douce et fraternelle avec toi.
G. DE STAËL, Lettres de jeunesse, 1791, p. 432.
31. Journée triste, mais importante. Données positives : 1. Ma femme ne m'aime plus guère, 2. Elle est venue ici par un reste d'amitié pour moi, mais elle aurait mieux aimé rester en Allemagne sans moi, ...
B. CONSTANT, Journaux intimes, déc. 1815, p. 455.
32. En ce moment Louise regretta de n'avoir pas d'enfants, afin de se retrancher dans l'amour maternel et de s'y abriter contre les orages de la passion : à un autre homme que son mari, elle eût pu tout avouer, lui dire ses combats intérieurs, ses souffrances; mais il n'existait même pas assez d'amitié entre les deux époux pour que la femme pût se confier à son mari.
CHAMPFLEURY, Les Bourgeois de Molinchart, 1855, p. 186.
33. ... elle fonçait sur le pauvre Chourie encore tout moulu de plaisir, avec les imprécations ordinaires à l'épouse outragée. En présence de cette malchance, M. de la Vallée-Chourie désirait ardemment reconquérir l'amitié de sa femme, mais en même temps jugeait indélicat d'abandonner sa maîtresse...
R. BOYLESVE, La Leçon d'amour dans un parc, 1902, p. 50.
34. ... considérons de plus près l'amitié entre époux. Quelle est la constitution et quelle est la justice politique qui y ressemble? C'est, dit-il, l'aristocratie, c'est-à-dire le gouvernement le plus parfait et le plus rare, où le meilleur gouverne, entendez le meilleur de chacun, et pour les actions auxquelles chacun est le plus propre.
ALAIN, Propos, 1924, p. 600.
[Entre les autres membres d'une famille] :
35. ... on dit qu'un fils doit être l'ami de son père. Ce n'est point cette sorte d'intimité que la nature et l'éducation établissent entre eux. Le sentiment qui les unit est sans doute aussi tendre; mais il n'est pas le même. L'amitié suppose une égalité parfaite, des devoirs réciproques et rigoureusement semblables; elle s'offense de toute idée de subordination; or, on doit convenir que cette amitié-là, du moins, n'est point celle qui doit régner entre un père et ses enfants. Les mots consacrés par le vieil usage me paraissent bien mieux choisis : Amour paternel, piété filiale.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 2, 1812, p. 150.
36. Combien de sœurs ont vieilli jusqu'au tombeau, irréprochables dans l'amitié! Mais il y a une harmonie peut-être plus touchante et plus forte que la fraternelle et la sororale, c'est l'amitié réciproque d'un frère et d'une sœur. Dans celle de frère à frère ou de sœur à sœur, il y a consonnance, mais dans celle-ci il y a, de plus, de doux contrastes. L'amitié entre les frères a je ne sais quoi de brusque et de rude, d'emporté, d'incivil; il entre quelquefois dans celle des sœurs de la faiblesse, de la politique et même de la jalousie; mais l'amitié entre le frère et la sœur est une consonnance mutuelle de faiblesse et de protection, de grace et de vigueur, de confiance et de franchise.
J.-H. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, p. 319.
37. La pudeur du vétérinaire lui semblait dissimuler un mauvais mystère, impression d'autant plus désagréable qu'il avait une grande amitié pour sa belle-sœur Hélène, et même une secrète admiration.
M. AYMÉ, La Jument verte, 1933, p. 68.
c) [La relation d'amitié peut s'établir à l'intérieur ou à la suite d'une relation amoureuse] :
38. Enfin si, comme je le désire ardemment, l'amitié peut remplacer l'amour entre Germaine et moi, ce n'est que si, nos liens ayant été brisés, nous nous rapprochons par la convenance de nos esprits et la renaissance de nos souvenirs.
B. CONSTANT, Journaux intimes, févr. 1803, p. 35.
39. Après dix ans de séparation, un malheur commun réunit de nouveau deux personnes qui se haïssaient depuis long-temps pour s'être aimées quelques mois : Mme de Cénis devint l'amie de M. de Senneterre; et celle dont l'amour eut tant à se plaindre est aujourd'hui citée comme un modèle de la plus tendre et de la plus constante amitié. Je suis fâché que le cadre étroit où je suis resserré ne me permette pas de qartir de ce fait et d'une foule d'autres qui se présentent à-la-fois à mes yeux et à ma mémoire, pour venger les femmes du reproche injuste que leur font Plutarque et ses nombreux échos, de ne pas être susceptibles d'amitié.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 2, 1812, p. 247.
40. ... tant que je vous aimerai, et lorsque, devenue plus âgée, cet amour aura cessé, l'amitié qui lui succédera n'a point de visage et est toute incorporelle. Mais pour, dans ce moment, n'avoir que de l'amitié, je ne saurais, cela m'est impossible, et voilà pourquoi je ne puis plus vous voir, puisque vous rejetez mon hommage.
H. DE BALZAC, Correspondance, 1822, p. 162.
41. Les liaisons entre les deux sexes produisent des amitiés d'un caractère particulier. Tout ce qui en amour survit aux sens peut s'appeler amitié. Chez les sauvages, l'amour n'est qu'un désir plus passager que l'amour chez la plupart des oiseaux. Mais à mesure que la culture de l'esprit fait des progrès, l'amour devient de plus en plus le lien d'une amitié vive et durable.
Ch.-V. BONSTETTEN, L'Homme du Midi et l'homme du Nord, 1824, p. 124.
42. Tous les romans deviennent courts;
Et je ne puis long-temps encore
Prolonger celui des amours.
Heureux qui peut dans sa maîtresse
Trouver l'amitié d'une sœur!
Des plaisirs je te dois l'ivresse,
Et des tendres soins la douceur.
Des héros, des prétendus sages
Les longs romans, qui font pitié,
Ne vaudront jamais quelques pages
Du doux roman de l'amitié.
P.-J. DE BÉRANGER, Chansons, t. 1, Les Romans, 1829, p. 224.
43. ... quand on apporte dans une affection profonde quelque chose de plus que la flamme ondoyante du cœur, quand l'esprit et le caractère et les goûts et l'humeur, tout y va, ce n'est plus un paradoxe que l'amour et l'amitié commensaux du même logis.
M. DE GUÉRIN, Correspondance, 1837, p. 270.
d) [La relation d'amitié nuance de son type d'affectivité des situations, des gestes, des sentiments] :
44. Car, dans ce siècle de lumières et de sensibilité, l'amitié se manifeste, et se prouve sur-tout par la multiplicité des lettres et des billets. Mais dans le siècle grossier où florissoient les chevaliers du Cygne, on ne prouvoit l'amitié que par des actions, par un dévouement sans bornes; on partageoit sa fortune avec son ami, on exposoit sa vie pour lui, on s'en tenoit là, et (puisqu'il faut trancher le mot) on ne s'écrivoit point.
Mme DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, t. 1, 1795, p. 23.
45. Les deux amis arrivèrent chez eux sans avoir échangé une parole. En certaines circonstances de la vie, on ne peut que sentir son ami près de soi. La consolation parlée aigrit la plaie, elle en révèle la profondeur. Le vieux pianiste avait, comme vous le voyez, le génie de l'amitié, la délicatesse de ceux qui, ayant beaucoup souffert, savent les coutumes de la souffrance.
H. DE BALZAC, Le Cousin Pons, 1847, p. 101.
46. Quand on le vit rester à Fayt, quand on apprit surtout qu'il était revenu à la foi, les camarades de Belgique lui marquèrent une amitié qui s'exprimait de plusieurs manières, en sourires, en paroles, en poignée de main, délicatement, fraternellement.
R. BAZIN, Le Blé qui lève, 1907, p. 335.
47. Mme de Fontanin buvait son thé à petites lampées, tenant la tasse tout près de son visage rieur, et, à travers la buée, elle faisait de petits signes d'amitié à Jacques. Son regard, à force de clarté et de tendresse, donnait une impression de lumière, de chaleur; ...
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, Le Pénitencier, 1922, p. 794.
48. Ah! qu'il était bon de sentir Grayson avec soi. Nombreux parmi eux étaient ceux qui naviguaient avec lui depuis plusieurs années. Pour l'un, c'étaient dix ans, pour un autre quatre. Ils le rencontraient dans la coursive, ils le heurtaient dans la chaufferie, et toujours un mot d'amitié, un sourire, et quelquefois une poignée de mains. Il connaissait son métier, il était toujours juste et impassible.
É. PEISSON, Parti de Liverpool, 1932, p. 213.
49. Le ton, sauf deux ou trois petites erreurs certainement inaperçues, continuait d'être parfait, plaisant, d'une semi-camaraderie respectueuse. Les yeux d'Anne se fixèrent sur les siens, pour la première fois, lui sembla-t-il, avec quelque chose imitant la sécurité d'une ancienne amitié, et dans cette amitié une nuance de plaisir, de confiance, de repos.
J. MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, t. 2, 1933, p. 134.
Loc. [Marquant le désintéressement] En signe d'amitié, par amitié :
50. Il avoit rencontré Vernyct sur la route, et, voyant emmener un homme par un piquet de gendarmes, il accourut, et, reconnoissant Vernyct, il lui serra la main en signe d'amitié, et pria les gendarmes de le laisser parler à son cousin.
H. DE BALZAC, Annette et le criminel, t. 3, 1824, p. 207.
51. Ma mère c'était pas tant par intérêt qu'elle lui faisait des remarques, c'était aussi par amitié.
L.-F. CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 53.
Proverbial. Les petits cadeaux entretiennent l'amitié :
52. Vous le voyez, ce ne sont de tous côtés que dons et félicitations; c'est bien, les petits cadeaux entretiennent l'amitié des familles comme celle des princes et des nations.
A. DE MUSSET, Revue des Deux Mondes, 31 déc. 1832, p. 99.
Rem. 1. Au plur., amitié désigne les relations amicales d'une pers. avec des pers. différentes, ou les marques d'amitié à l'intérieur d'une même relation (infra I B 1 rem.), ou, p. méton., ces pers. mêmes :
53. Ce bon cousin me dit des amitiés charmantes, des choses qui vont au cœur et ne peuvent passer sur les lèvres.
E. DE GUÉRIN, Journal, 1835, p. 74.
54. Ovide a dit, avec raison : Heureux, tu compteras des amitiés sans nombre, Mais adieu les amis, si le temps devient sombre.
F. PONSARD, L'Honneur et l'argent, 1853, IV, 6, p. 111.
55. De douces et fraternelles amitiés m'entouraient déjà de sollicitudes et de dévouements dont je ne méconnaissais pas le prix : mais, par une combinaison sans doute fortuite de circonstances, aucun de mes anciens amis, homme ou femme, n'était précisément d'âge à me bien connaître et à me bien comprendre, ...
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 4, 1855, p. 94.
56. Nous nous déshabillâmes. Elle déjà au lit, un mot d'elle, une petite amitié (une petite tape) me fit tout oublier. Le bonheur d'être presque appelé me remit et le malade baisa tendrement la malade au bord de son lit.
J. MICHELET, Journal, août 1857, p. 339.
57. On le savait violent, mais aussi fidèle à ses amitiés que tenace dans ses haines ...
A. MAUROIS, La Vie de Disraëli, 1927, p. 180.
58. Je lui ai connu des amitiés féminines, mais je crois tout intellectuelles, où il déployait une séduction incomparable. Comme tout artiste, il avait eu sa « muse juive ». Nous l'avions su captif d'une amitié singulière pour une « baragouine trilingue », ...
J.-É. BLANCHE, Mes modèles, 1928, p. 24.
Rem. 2. L'adj. poss. exprime la (les) pers. qui aime(nt) (ex. 22, 26, 28, 30); le compl. d'un nom déterminé (prép. de) exprime la même relation (ex. 16, 33, 36, 42); un adj. jouant un rôle déterminatif distinctif (ex. 27, 29, 58) exprime génér. une relation d'amitié réciproque.
Rem. 3. La pers. qui est l'obj. de l'amitié s'exprime d'ordinaire par un compl. (prép. pour, ex. 13, 31, 37); pour peut être remplacé par avec qui exprime un lien plus intime (cf. lier amitié avec qqn, ex. 17, 23, 29); entre marque la réciprocité (ex. 25, 32, 34, 36).
P. anal.
♦ [La relation d'amitié a pour obj. d'établir une communion intime entre un être hum. et un être spirituel] (Quasi)-synon. plus fréq. amour.
♦ [Le « partenaire » est Dieu, obj. ou suj. de l'amitié, ou un autre être spirituel] :
59. Élisabeth qui avait déjà choisi la Sainte Vierge pour sa protectrice et son avocate suprême, avait aussi une vénération et, comme le dit un manuscrit, une amitié toute particulière pour Saint Jean l'Évangéliste, à cause de la pureté virginale dont cet apôtre était le type.
Ch. DE MONTALEMBERT, Hist. de sainte Élisabeth de Hongrie, 1836, p. 17.
60. Voyez Jésus avec son Jean bien-aimé, avec Marthe et Marie qu'il aimait. Quelle tendresse, quelle vie en eux jusqu'au Calvaire où il voulut les avoir! Sa sainte mère, Marie Madeleine, les autres femmes qu'il aimait et le disciple bien-aimé se tenaient au pied de la croix. Divin modèle d'amitié, d'union dans la douleur.
E. DE GUÉRIN, Lettres, 1839, p. 323.
61. Ce qui reste d'obscur et d'incertain s'éclaircira, je l'espère, et bien plus heureusement. Car enfin, dans l'obscurité, vous n'êtes pas seule; vous avez la providence, la tendre et sainte amitié.
J. MICHELET, Journal, 1848, p. 608.
62. Pascal pourrait dire comme le calviniste Bunyan « cette nuit-là, le Christ fut un Christ précieux pour moi ». Entendez : à partir de cette nuit-là, où j'ai reçu enfin le signe attendu, où une bienheureuse expérience m'a rendu certain de l'amitié particulière que le Christ a pour moi.
H. BREMOND, Hist. littéraire du sentiment religieux en France, t. 4, 1920, p. 370.
63. Ainsi se comprend ce paradoxe qu'à la fin le saint enveloppe d'un universel amour d'amitié, et de piété, — incomparablement plus libre, mais plus tendre aussi et plus heureux que l'amour de concupiscence du voluptueux ou de l'avare — tout ce qui passe dans le temps, et toute la faiblesse et la beauté des choses, tout ce qu'il a quitté.
J. MARITAIN, Humanisme intégral, 1936, p. 82.
64. ... on a l'impression qu'il se tient un peu à l'écart de son œuvre, il se donne tout entier à la dernière, elle le révèle plus librement qu'aucune autre, (...) dans tout le plein de sa libre confiance, de sa libre amitié avec Dieu. Dieu seul peut comprendre Pierre Corneille, au moment où il écrit, Dieu seul peut comprendre sa jeunesse déçue, sa fougue, sa résignation à la paix, son dévouement, sa crainte. Tous les démons qu'il porte en lui, il les libère dans cette œuvre, qui, plus qu'aucune autre, est une offrande.
R. BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, p. 212.
65. Mais ne pouvons-nous sauver du désespoir un être qui nous aime, tout en demeurant dans l'amitié de Dieu, tout en restant unis à Dieu étroitement? C'est horrible que de haïr, que de torturer une créature dont le seul crime est de ne pouvoir se passer de nous.
F. MAURIAC, Asmodée, 1938, II, 4, p. 73.
Rem. La prép. de exprime tantôt que Dieu est suj., tantôt qu'il est obj. de l'acte d'aimer (ex. 65); pour est rare dans ce dernier cas (ex. 62). Avec exprime une relation d'une particulière intimité (mystique, ex. 64 et supra rem. 3). En indique une amitié (entre 2 pers.) selon l'esprit de Dieu et en communion intime avec lui :
66. Votre lettre m'est un nouveau témoignage de la fidèle amitié en Dieu que vous portez à mon mari; cette amitié m'a toujours profondément touchée. J'ai éprouvé, en effet, beaucoup d'angoisse devant ce long et lointain séjour dans l'Afrique noire, qu'il a souhaité — mais si j'avais plus de foi je ne me tourmenterais pas ainsi. Tous ceux qui aiment André Gide, comme mérite d'être aimée cette âme très noble, doivent prier pour lui.
A. GIDE, P. CLAUDEL, Correspondance, lettre de Mme A. G. à P. C., 1899-1926, p. 244.
♦ [L'obj. de l'amitié est un être coll., les hommes vivant en société, la patrie, l'humanité] :
67. C'est une grande gloire pour nos vieilles communes de France, d'avoir trouvé les premières le vrai nom de la patrie. Dans leur simplicité pleine de sens et de profondeur, elles l'appelaient l'amitié. La patrie c'est bien en effet la grande amitié qui contient toutes les autres. J'aime la France, parce qu'elle est la France, et aussi parce que c'est le pays de ceux que j'aime et que j'ai aimés. La patrie, la grande amitié, où sont tous nos attachements, nous est d'abord révélée par eux; ...
J. MICHELET, Le Peuple, 1846, p. 271.
68. Je comprenais les hommes, comme je comprenais jadis mes problèmes, en vivant avec eux, en les aimant d'une amitié déférente et réservée, en pensant à eux la nuit.
J. GIRAUDOUX, Simon le Pathétique, 1926, p. 61.
69. Le problème n'est pas de supprimer l'intérêt privé, mais de le purifier et de l'anoblir; de le saisir dans des structures sociales ordonnées au bien commun, et aussi (et c'est le point capital), de le transformer intérieurement par le sens de la communion et de l'amitié fraternelle.
J. MARITAIN, Humanisme intégral, 1936, p. 201.
♦ [La relation d'amitié a pour obj. et parfois pour suj. un animal ou un élément naturel personnifié] :
70. ... on fait en secret des vœux pour que le vent contraire ne tombe pas si vite, pour que la nécessité vous laisse un jour encore savourer cette volupté intime qui attache l'homme à la terre. On fait amitié avec la côte, avec la petite lisière de gazon ou d'arbustes qui s'étend entre la mer et les rochers; ...
A. DE LAMARTINE, Voyage en Orient, t. 2, 1835, p. 352.
71. Sans l'alliance du chien contre les bêtes féroces et celle de l'oiseau contre les serpents et les crocodiles (que l'oiseau tue dans l'œuf même), l'homme à coup sûr était perdu. L'utile amitié du cheval lui vint de même.
J. MICHELET, L'Oiseau, 1856, p. 297.
72. Justement, ses regards s'arrêtèrent, par une habitude invincible, sur une vigne qu'il possédait dans cet endroit (...). Partant pour ses tournées en forêt, il lui arrivait souvent de faire un détour, malgré lui, pour ainsi dire : une petite visite d'amitié qu'il lui rendait. Les années où la récolte était bonne, il aimait s'arrêter sous les cerisiers plantés en bordure, contemplant les pampres ensoleillés, la lourde opulence des grappes noires.
É. MOSELLY, Terres lorraines, 1907, p. 283.
73. ... j'aimais les animaux, j'admirais leur sagesse et les interrogeais assez anxieusement durant le jour pour qu'ils vinssent, dans la nuit, m'enseigner la philosophie naturelle. Les oiseaux n'étaient point exceptés de mon amitié ni de ma vénération : j'aurais chéri Navarin comme un père, j'aurais comblé ce vieux Cacique de respects et d'égards, je me serais fait son disciple docile, s'il l'eût permis. Mais il ne me permettrait pas même de le contempler. (...) J'aurais voulu connaître la cause de cette inimitié.
A. FRANCE, Le Petit Pierre, 1918, p. 43.
74. Il s'était pris d'amitié pour le lapin blanc apprivoisé du petit Pierre. Le lapin s'appelait Arthur. On voyait tout le jour Reynold auprès du feu ou sur le seuil de la cuisine avec Arthur dans ses bras. Il lui grattait le front, le caressait comme un chat, jouait avec lui, l'embrassait sur le museau, riait aux éclats. Et Arthur fronçait son nez mobile, et agitait ses immenses oreilles. Il y avait une vraie amitié entre ce gamin et cette bête.
M. VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 385.
2. [La relation d'amitié est une relation d'accueil, de bienveillance accordée ou reçue, de service; p. méton. acte de bienveillance] :
75. Je passai chez Mme Poinsot (...). De là, chez M. Carré, qui me parla sur-le-champ de mon concours et me parut désirer m'avoir pour l'aider; ces perspectives ne m'ont pas quitté l'esprit depuis. J'allai ensuite chez Mme Millon qui me reçut avec bonté. Je trouvais partout de l'amitié et de la bienveillance, ce jour-là.
J. MICHELET, Journal, 1821, p. 154.
76. ... « Aussi, pourquoi n'avez-vous pas mieux employé vos amis? Pourquoi n'êtes-vous pas venu vous-même à moi? — Sire, tous ceux qui vous approchaient de fort près ne songeaient guère qu'à eux, leur amitié n'allait pas au delà de la bienveillance : parler, demander pour un autre s'appelait user son crédit, et on le réservait tout entier pour soi; ... »
E.-D. DE LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 1, 1823, p. 827.
77. Il accueillit avec grande amitié le Roi et ses oncles; il avait de bonnes raisons pour cela, car la France était le seul des grands royaumes de la chrétienté qui soutînt le pape d'Avignon. Outre les indulgences, il accorda au Roi, aux Princes, et même au sire de Coucy, la nomination à beaucoup de bénéfices; ...
P. DE BARANTE, Hist. des ducs de Bourgogne, t. 1, 1821-1824, p. 414.
78. Il m'a recherché ici, et offert tout ce que sa familiarité au divan et au sérail pouvait lui procurer pour moi : accès partout, amitié de quelques principaux officiers de la cour, facilités pour tout voir et tout connaître, qu'aucun voyageur chrétien n'a jamais pu obtenir, pas même les ambassadeurs. J'ai préparé avec son assistance une visite complète du sérail, ...
A. DE LAMARTINE, Voyage en Orient, t. 2, 1835, p. 412.
79. Les sentiments de M. de Coantré à son hôpital peuvent être résumés ainsi : profonde amitié et parfait dévouement pour les blessés, parce que c'étaient des gens du peuple; haine pour les infirmières, le gestionnaire, les visiteurs, bref, pour tout ce qui appartenait à la classe aisée. Ce qui est étrange, c'est que, malgré tout ce qu'ils auraient pu penser de cet homme en bonne santé et à l'abri, titré, pauvre, follement incompétent, traité de haut par le personnel, et en somme assez ridicule, les soldats l'aimaient bien.
H. DE MONTHERLANT, Les Célibataires, 1934, p. 764.
80. Ils s'installaient, l'un entrepreneur, l'autre filateur, l'autre métallurgiste. Ils avaient l'amitié des ministères et la considération des banques.
M. VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 466.
81. ... l'épicier d'Heuchin, M. Pamyre, qui est un brave homme (deux de ses fils sont prêtres), m'a tout de suite reçu avec beaucoup d'amitié. C'est d'ailleurs le fournisseur attitré de mes confrères. Il ne manquait jamais de m'offrir, dans son arrière-boutique, du vin de quinquina et des gâteaux secs.
G. BERNANOS, Journal d'un Curé de campagne, 1936, p. 1035.
Locutions
En toute amitié, par amitié pour :
82. ... il s'écrie : « C'en est trop! Ô noire ingratitude! Ô inhospitalière maison à laquelle j'ai tout sacrifié! » Et, là-dessus, c'est l'énuméré des inappréciables avantages auxquels il a renoncé par amitié pour moi et attachement à nos libérales institutions : un million de dot! (...) La royauté d'une peuplade nègre! Est-ce que je sais! ... confondu, j'offre timidement une augmentation de cent francs à titre de compensation. Il accepte.
G. COURTELINE, Messieurs-les-Ronds-de-Cuir, 1893, 3e tabl., III, p. 117.
83. Mais il est nécessaire que vous les lisiez pour comprendre toute la portée du conseil que je vous donne ici, en toute amitié : s'il n'y a rien dans tout ce que je vous ai écrit pour vous engager à m'aimer, persuadez-vous que cet homme n'était pas fait pour vous plaire et que vous devez chercher un ami parmi ceux qui lui ressemblent le moins.
J. BOUSQUET, Traduit du silence, 1935-1936, p. 251.
♦ [Avec une nuance de plaisir] Faire à qqn l'amitié de + inf. :
84. Le hasard a voulu que je reçusse, la semaine dernière, trois invitations pour le même jour : le bonnetier me priait de lui faire l'amitié, le financier de lui faire le plaisir, et M. le prince de N. de lui faire l'honneur de venir passer la soirée chez lui. Je ne voulais pas refuser le premier; je désirais aller chez le second, et je ne pouvais me dispenser de me rendre à l'invitation du troisième.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 2, 1812, p. 203.
85. ... veuillez mettre en prison. Veuillez, c'est comme on dit : faites-moi l'amitié, obligez-moi de grâce, rendez-moi ce service, à la charge d'autant. Je suis votre serviteur, cela s'entend.
P.-L. COURIER, Pamphlets politiques, Lettres au rédacteur du « Censeur », 1819-1820, p. 17.
♦ [Dans la langue de la conversation vive] Faites-moi l'amitié de croire que :
86. ... tu as connu Stanley, Timour, Gustave Adolphe et pas mal d'autres. Tous les gens qui font ces romans extraordinaires que tu lis le soir, en bavant, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une goutte de pétrole dans ta lampe, tous ces gens ont pioché le dictionnaire Larousse. Et tu me feras l'amitié de croire que je ne suis pas plus bête qu'un autre.
G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, p. 101.
3. [La relation d'amitié est proche de la passion amoureuse dont elle exprime souvent l'aspect non physique] :
87. Il ignore que l'amitié peut être l'amour, l'entente la liaison, l'affinité la connivence. Il ne sait rien, il ne devine rien, de vous, de moi...
J. GIRAUDOUX, Cantique des cantiques, 1938, 4, p. 59.
a) [Entre pers. de sexe différent] :
88. ... lui, à l'aurore de sa vie, dans l'effervescence des passions, on le jette à dix-huit ans dans une solitude délicieuse, près d'une femme qui lui prodigue la plus tendre amitié, près d'une femme jeune et sensible, et qui l'a peut-être devancé dans un coupable amour. J'étois épouse et mère, Élise, et ni ce que je devois à mon époux, à mes enfans, ni respect humain, ni devoirs sacrés, rien ne m'a retenue; j'ai vu Frédéric, et j'ai été séduite.
Mme COTTIN, Claire d'Albe, 1799, p. 175.
89. ... toute fille est déshonorée et probablement damnée qui se laisse parler d'amour ou d'amitié, peu importe le mot, pendant plus de quarante jours et qui ne demande pas à l'homme qui prétend l'aimer s'il a le projet de consacrer ses sentiments par le sacrement du mariage.
— Mais si l'homme qui éprouve de l'amitié pour la jeune fille est déjà marié?
— Alors, c'est l'affreux péché d'adultère qui fait la gloire suprême des jeunes gens et qui, en France, marque les rangs entre eux.
STENDHAL, Lamiel, 1842, p. 101.
90. ... je comprends que vous l'ayez aimée! D'ARCY. — Ce mot ne peut s'appliquer qu'avec réserve à l'affection qui nous unit. J'eus pour elle une de ces amitiés d'enfance qui embaument toute une vie et servent de chemin couvert à l'amour, en permettant une grande familiarité.
E. RENAN, Drames philosophiques, L'Abbesse de Jouarre, 1886, I, 5, p. 627.
91. Il n'y a pas de risque que nous nous aimions : nous sommes trop bons amis, pour cela. — Que vous êtes gentil! répondait-elle, en riant. Sa saine nature répugnait, autant que celle de Christophe, à l'amitié amoureuse, cette forme de sentiment chère aux âmes équivoques, qui biaisent toujours avec ce qu'elles sentent. Ils étaient de bons camarades.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, p. 1041.
92. Christophe ouvre les yeux, retient son souffle, et, le cœur attendri, regarde auprès de lui le cher visage las de l'amie endormie, et sa pâleur d'amour... Leur amour n'était point une passion égoïste, C'était une amitié profonde, où le corps voulait aussi sa part.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Les Amies, 1910, p. 1173.
93. Le respect de Concha était celui d'une loyale vassale et non d'une maîtresse entretenue; (...) tout de suite elle fixa les limites de sa dépendance. Je connaissais enfin une nouvelle espèce d'amitié, qui n'est point basée sur des goûts communs, et une espèce de passion de laquelle le désir n'est qu'un des éléments. Un sentiment non explicable en mots humains,...
V. LARBAUD, A. O. Barnabooth, 1913, p. 355.
94. Jean et Florentine, était-ce possible que, se raillant continuellement l'un l'autre comme ils le faisaient, ils pussent être amis? Cela, parfois se voyait. Des êtres continuellement aux prises, se blessant à tour de rôle et incapables pourtant de vaincre une attraction physique ... Mais, à la réflexion, une amitié entre Florentine, qu'il savait fière, et Jean qu'il connaissait sarcastique et mordant, lui parut tout à fait impossible.
G. ROY, Bonheur d'occasion, 1945, pp. 359-360.
b) [Entre pers. de même sexe] :
95. Est-ce qu'elle ne marchait pas chaque jour sur des infamies plus grandes? Est-ce qu'elle ne coudoyait pas, chez les ministres, aux Tuileries, partout, des misérables comme elle, qui avaient sur leur chair des millions et qu'on adorait à deux genoux! Et elle songeait à l'amitié honteuse d'Adeline d'Espanet et de Suzanne Haffner, dont on souriait parfois aux lundis de l'impératrice.
É. ZOLA, La Curée, 1872, p. 510.
96. Les marchands pauvres savaient cela et s'adressaient plus volontiers à celles qui couchaient ainsi sur la mousse près de leurs sanctuaires en plein vent; mais parfois, ceux-là mêmes ne se présentaient pas, et alors les pauvres filles unissaient leur misère deux à deux par des amitiés passionnées qui devenaient des amours presque conjugales, ménages où l'on partageait tout, jusqu'à la dernière loque de laine, et où d'alternatives complaisances consolaient des longues chastetés.
P. , Aphrodite, 1896, pp. 72-73.
97. Une bonne grosse fille réjouie, vigoureuse et indisciplinée comme moi, avec laquelle je m'entends très bien, autant que l'on peut s'entendre au Sacré-Cœur, où l'on n'admet pas — et on a bien raison — ce que l'on appelle « des amitiés particulières ».
GYP, Souvenirs d'une petite fille, t. 2, 1928, p. 307.
98. ... je ne crois pas qu'il ait d'amis intimes. Je le lui ai demandé l'autre jour. Il ne m'a pas répondu directement mais m'a dit, en me pressant tendrement contre lui : — l'amitié, c'est l'antichambre de l'amour. Et, en effet, il me paraît aujourd'hui que cette grande amitié que j'avais hier encore pour Rosita et pour Yvonne n'était que provisoire et que mon premier véritable ami, c'est Robert.
A. GIDE, L'École des femmes, 1929, pp. 1266-1267.
99. ... Byron était un refoulé, qui préférait les adolescents aux femmes, comme il est visible par ses amitiés bizarres avec Eddington, Niccolo Giraud, lord Clare, etc. ...
H. DE MONTHERLANT, Les Lépreuses, 1939, p. 1447.
100. Si c'était moi qui dirigeais ce collège, je vous jure bien qu'il n'y aurait pas d'amitiés particulières. Mais vous, vous fermez les yeux, et puis, quand il vous plaît, vous les rouvrez.
H. DE MONTHERLANT, La Ville dont le prince est un enfant, 1951, III, 3, p. 910.
101. Claudie se mit à rire : « Vernon obéit au doigt et à l'œil à sa femme afin de se faire pardonner ses amitiés masculines; parce qu'il est de la pédale comme personne; ...
S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 250.
Rem. La prép. avec peut exprimer une relation particulièrement intime (ex. 99).
B.— [La relation d'amitié est de nature sociale]
1. [Relations mondaines ou de politesse] :
102. ... il cultivoit l'amitié de l'Empereur, et se ménageoit à la Cour, où sa politesse le faisoit aimer des Grands.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme, t. 2, 1803, p. 420.
103. Madame de Sablé, ingénieuse, friande et peureuse, amie de M. de La Rochefoucauld (...) ne resta pas moins remplie d'agitations et de susceptibilités, de ces exigences qu'on porte dans les amitiés mondaines : ...
Ch.-A. SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 2, 1842, p. 207.
104. J'apprends que la bonne Mme de Nittis travaille à me démolir dans l'esprit de la princesse. Ce devait être : il en a été ainsi de toutes ses relations. D'abord des amitiés qui ont la passion des véritables amours, puis du refroidissement, et à la suite du refroidissement, la haine des gens qu'elle a aimés.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, mars 1885, p. 434.
105. ... je n'avais peut-être pas tort de sacrifier les plaisirs non seulement de la mondanité, mais de l'amitié, à celui de passer tout le jour dans ce jardin. Les êtres qui en ont la possibilité (...) ont aussi le devoir de vivre pour eux-mêmes; or l'amitié leur est une dispense de ce devoir, une abdication de soi. La conversation même qui est le mode d'expression de l'amitié est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquérir.
M. PROUST, À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, pp. 906-907.
P. méton., au plur. dans les formules de politesse. Signe d'amitié, expression de l'amitié. Envoyer, faire, transmettre ses amitiés :
106. Adieu, mon bien cher père, (...) mille hommages à Mmes Br, Pinlevé, etc., amitiés à tes amis.
V. HUGO, Correspondance, 1825, p. 426.
107. Je vous serre affectueusement la main. Ma femme désire vivement connaître la vôtre et lui envoie ses amitiés.
P. CLAUDEL, A. GIDE, Correspondance, lettre de P. C. à A. G., 1899-1926, p. 89.
108. Alors, fais bien mes amitiés à ton mari, et dis-lui que je n'ai pas voulu le réveiller pour ne pas le déranger. FANNY. — Je le lui dirai. MARIUS. — Alors, au revoir.
M. PAGNOL, Fanny, 1932, III, 3, p. 180.
Rem. Dans les formules toutes faites, le sens de amitié(s) n'est pas nécessairement affaibli (cf. supra I A 1 rem. 1) :
109. Je m'oubliais avec vous, oubliez-vous avec moi. Mille tendres et respectueux sentiments à Madame Aimé. Souvenir à M. Lainé. Longue amitié à vous.
A. DE LAMARTINE, Correspondance, 1835, p. 126.
110. Adieu, mon cher ami. Croyez à ma sincère amitié.
A. DE TOCQUEVILLE, Correspondance avec Henry Reeve, 1844, p. 76.
2. [Relations politiques]
a) [À l'intérieur d'un groupement : relations de partisans] :
111. Ce besoin continuel d'être soutenu dans l'attaque ou dans la défense, ranime singulièrement tous les sentiments de bienveillance, et fait de l'amitié un lien d'autant plus sacré, qu'il semble tenir à la chose publique, et à tous les intérêts les plus chers à l'homme qui pense. Je ne sais si, en Angleterre ou en Amérique, il se trouve des amis entre hommes de partis différents; mais une telle amitié seroit mise à tant d'épreuves, qu'elle ne pourroit se maintenir que chez des hommes d'une rare vertu. Chez une nation éminemment sociable, il y auroit des amitiés de convenance qui remplaceroient les amitiés politiques que Cicéron appelle amicitioe forenses.
Ch.-V. BONSTETTEN, L'Homme du Midi et l'homme du Nord, 1824, p. 121.
112. Messieurs, On vient de vous distribuer au nom du père Gérard un livret contre M. de Lamartine, que l'amitié et l'estime de ses concitoyens présentent à vos suffrages. Nous l'avons engagé à y répondre; il s'y est noblement refusé.
A. DE LAMARTINE, Correspondance, 1834, p. 53.
113. Était-ce sa faute, si on lâchait ce gros fainéant pour venir à lui? Et il se défendait d'avoir recherché la popularité, il ne savait pas même comment tout cela s'était fait, la bonne amitié du coron, la confiance des mineurs, le pouvoir qu'il avait sur eux, à cette heure. Il s'indignait qu'on l'accusât de vouloir pousser au gâchis par ambition, il tapait sur sa poitrine, en protestant de sa fraternité.
É. ZOLA, Germinal, 1885, p. 1341.
114. J'ai appris que le Zèphe Maloret n'est pas un farouche du bénitier et qu'il se sent de l'amitié pour les Républicains.
M. AYMÉ, La Jument verte, 1933, p. 89.
b) [Relations internationales] :
115. En une nuit, vingt-sept mille Prussiens pénètrent dans la Hollande : à leur approche, les factieux prennent la fuite, les portes s'ouvrent, et le Stadhouder, replacé sur le trône, devient plus puissant que jamais. Bientôt son ressentiment contre la France, son amitié pour l'Angleterre, sa reconnaissance envers la Prusse, forment et cimentent la triple alliance.
MARAT, Les Pamphlets, Offrande à la Patrie, 1789, p. 19.
116. Déjà vieille alliée de la Russie, amie et, si l'on peut dire, « commère » de l'Angleterre, bonne camarade de l'Italie, la France est lourdement grevée de tout ce que représentent de charges et d'inimitiés les dessous de tant d'amitiés! Ne s'étant même pas privée de nouer des sous-alliances, fort compliquées, trop compliquées, avec les meilleurs amis de nos plus sûrs ennemis, la République est lancée sur un flot de nouvelles difficultés internationales...
Ch. MAURRAS, Kiel et Tanger, 1914, pp. 231-232.
117. ... le souverain lui avait affirmé qu'il n'existait aucune entente entre l'Espagne et l'Allemagne, et que, bien au contraire, lui, le roi, désirait faire une politique d'amitié avec la France; la cour et la reine mère étaient sans doute favorables à l'alliance allemande, mais cette influence était sans effet sur le roi qui avait arrêté dès le début tout essai de négociation avec l'Allemagne. Le roi avait ajouté cependant que si la politique espagnole au Maroc subissait un échec, ce serait du même coup la ruine de sa politique d'amitié avec la France.
J. JOFFRE, Mémoires, 1931, p. 111.
118. Antoine ne put contenir un mouvement d'irritation : — « de telle façon que cette coûteuse amitié franco-russe, par laquelle nos diplomates se sont vantés d'acheter une assurance de sécurité, se trouve être aujourd'hui exactement le contraire! Non pas une garantie de paix, mais un danger de guerre »!
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 356.
Spéc., DIPLOM. Traité d'amitié :
119. La politique de Louis XIV restait fidèle à son principe : entourer la France de forteresses et de tranchées, fermer toutes les trouées, barrer les routes d'invasion. C'est pourquoi le roi voulut, dès le début de la campagne, s'emparer de Mons et de Namur, qui couvrent la vallée de l'Oise. Ne pouvant emporter de front ce système imprenable, l'ennemi songea à le tourner par la Suisse. Les traités d'amitié conclus avec les cantons nous mirent encore à l'abri de ce côté-là.
J. BAINVILLE, Histoire de France, t. 1, 1924, p. 247.
Rem. P. oppos. à alliance, amitié souligne notamment la durée, la profondeur ou l'efficacité du lien :
120. Maître Jean de Moravie, savant docteur en théologie, parla pour le roi de Bohême, et fit un très-beau discours latin où il représenta les alliances et l'amitié qui subsistaient depuis si long-temps entre la maison de France et la maison de Luxembourg.
P. DE BARANTE, Hist. des ducs de Bourgogne, t. 2, 1821-1824, p. 256.
121. Il maintint d'abord la paix qu'il trouva rétablie entre la Russie et la France, après les campagnes de Suwaroff et de Korsakoff, sous Paul 1er. En 1802, il contracta une alliance, qui devint une amitié durable, avec Frédéric-Guillaume III.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 150.
122. Les millions d'entre nous qui restent debout, ou bien sur la terre nationale préparant les coups de la vengeance, ou bien frappant l'ennemi de leurs armes, (...) ou bien travaillant à l'étranger afin de lui garder ses amitiés et son rayonnement, ne veulent rien que servir la France, ne rêvent que lui être fidèles.
Ch. DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1954, p. 672.
123. En acquérant ce produit, l'acheteur acquiert en même temps des espoirs d'être bien ou mieux traité en tant que demandeur de crédit, des chances particulières de développer ses relations d'affaires avec une zone « active » de l'économie mondiale, des amitiés politiques puissantes.
F. PERROUX, Économie du XXe siècle, 1964, p. 60.
II.— [L'obj. de la relation est de la nature du goût vif pour une valeur] Synon. plus fréq. amour.
A.— [L'obj. désigne une catégorie d'êtres hum. ou des animaux] :
124. Mme ÉVRARD. — Je me dis quelquefois : « Monsieur est bon, sensible : s'il a tant d'amitié pour les enfans d'autrui, qu'il auroit donc d'amour pour des enfans à lui! »
J.-F. COLLIN D'HARLEVILLE, Le Vieux célibataire, 1792, III, 4, p. 70.
125. Il avait une grande amitié pour les bêtes et manquait de vendre un cheval à bon prix pour le plaisir de le garder huit jours de plus; ou bien il revendait au prix d'achat pour être agréable à un ami. Le pire était qu'il prêtât de l'argent à tort et à travers. Son commerce de bestiaux déclina rapidement; ...
M. AYMÉ, La Jument verte, 1933, p. 35.
B.— [L'obj. et parfois le suj. désignent des choses] :
126. Ils en vinrent tous deux à ne plus quitter les halles. Ce fut leur volière, leur étable, la mangeoire colossale où ils dormaient, s'aimaient, vivaient, sur un lit immense de viandes, de beurres et de légumes. Mais ils eurent toujours une amitié particulière pour les grands paniers de plumes. Ils revenaient là, les nuits de tendresse.
É. ZOLA, Le Ventre de Paris, 1873, p. 772.
127. ... Qu'importe, au loin, la vie, et les appels des cors!
Les liesses du cuivre énamouré sont brèves,
Et notre âme sait bien qu'il n'y a que les rêves
Qu'on puisse aimer toujours comme on aime les morts.
Les rêves! Eux, du moins, sont une amitié sûre,
Joyaux où dort une lumière qui s'azure
Éternelle et multicolore comme l'eau...
Et cela met en nous un trésor frais et beau.
G. RODENBACH, Le Règne du silence, 1891, p. 156.
128. Mais bientôt, c'est le plaisir de Paris, l'amitié pour Paris, qui nous paraît la suprême parure de cette pièce. Dans Mélite, dans La Veuve, c'est un Paris intellectuel, idéal, qui se profile sur l'horizon. Ici, c'est le Paris de Louis XIII dans sa réalité physique, sa gentillesse, les beaux cavaliers, les jeunes femmes hardies...
R. BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, p. 122.
129. La loi de l'amour règne jusque dans les moindres processus naturels : le métal fond par désir de se marier à l'air; la lumière est la forme de l'amour entre les êtres inanimés; le son est amitié entre les choses du même sexe; et, « de même que l'amitié nous prépare à l'amour, de même, par le frottement des corps semblables, naît la nostalgie (la chaleur), et l'amour (la flamme) jaillit ».
A. BÉGUIN, L'Âme romantique et le rêve, 1939, p. 103.
130. Accord entre le goémon bai brun, fraîchement arraché, et le bleu neuf du ciel ... Toutes sortes d'amitiés entre les odeurs, des couleurs, des bruits et des présences renaissaient après l'hiver, ...
H. QUEFFÉLEC, Un Recteur de l'île de Sein, 1944, p. 149.
Spéc., B.-A. Harmonie existant entre les éléments d'une composition plastique ou musicale :
131. Ce qui frappe [dans la musique] (...) c'est la ressemblance ou la dissemblance des rythmes qui se succèdent, l'amitié ou la haine qu'ils semblent se témoigner, s'attirant pour s'unir, ou se rapprochant pour se combattre.
LALOY, Aristoxène de Tarente, 1904, p. 350.
132. Il y a, il me semble, deux espèces de variations, l'une, qui tient de près à l'ornement, consiste à imiter le thème, mais en remplaçant les sons tenus et les passages francs par des traits rapides et des intervalles plus serrés; ce qui peut n'être qu'un jeu; mais si le thème est assez fort, il domine encore par-dessus les variations; c'est comme un chant silencieux que l'auditeur recompose, et cela l'invite à chanter aussi en lui-même; c'est pourquoi il y a toujours de l'amitié dans les plus belles variations. (...). L'autre variation, plus moderne, pourrait être appelée modulante; la mélodie, déjà affirmée, revient, mais trompe un peu l'attente, et s'égare en des chemins nouveaux, toutefois soutenue et portée aussitôt par une harmonie qui efface l'ancienne et fait comme un départ encore; ...
ALAIN, Système des beaux-arts, 1920, pp. 125-126.
C.— [L'obj. désigne des œuvres littér., des œuvres d'art et p. méton. un artiste en tant qu'il en est l'auteur] :
133. Il aurait dû se rappeler l'attrait irrésistible que le saint Georges de Donatello exerçait sur Miss Bell. Il admirait aussi cette figure fameuse; mais il gardait une amitié particulière au saint Marc, rustique et franc, qu'ils pouvaient voir dans sa niche, à gauche : ...
A. FRANCE, Le Lys rouge, 1894, p. 185.
134. Réponse de Maurice Barrès au discours de Jean Rivain : Je suis très touché de votre amitié pour l'Homme libre. Je crois bien que je demeure toujours étroitement d'accord avec ce petit livre de ma vingt-quatrième année.
M. BARRÈS, Mes cahiers, t. 13, 1920-1922, p. 251.
135. Roquin s'était procuré du vieux chêne, l'avait amené à la nuance voulue, et par surcroît de précaution avait posé un couvre-joint, après avoir reproduit en creux un motif pris à l'ornementation latérale des panneaux. Depuis il avait gardé de l'amitié pour ce bel ouvrage; et lui donnait toujours, à un moment ou à l'autre de ses visites, quelque signe d'attention, Il y accrochait en particulier des réflexions qui lui étaient chères sur l'habileté des artisans d'autrefois comparés à celles des ouvriers d'aujourd'hui.
J. ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, le 6 octobre, 1932, p. 290.
136. ... Richelieu, même s'il a eu la vanité des amateurs, n'a pas plus de raison de jalouser le succès du Cid que celui d'autres œuvres. Il le fait jouer chez lui, il pensionne son auteur. Mais faut-il conclure de là, comme on l'a fait, à l'amitié de Richelieu pour l'auteur du Cid?
R. BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, pp. 155-156.
D.— [Amitié(s) désigne une association ou une publication servant d'organe à une association d'encouragement aux études ou au culte d'un homme (écrivain, etc.) célèbre ou d'une cause importante] L'Amitié guérinienne, L'Amitié Charles Péguy, Les Amitiés catholiques françaises, Les Amitiés France-Israël.
Rem. Amitié(s) a pour concurrent plus fréq. Les Amis de.
REM. GÉN.,
1. Syntagmes fréq.
a) Amitié + adj. : absolue, ardente, bienfaisante, charmante, confidentielle, déférente, désintéressée, durable, éternelle, fanatique, fervente, indéfectible, intime, particulière, passionnée, profonde, respectueuse, sentimentale, solide, sûre, spirituelle, tendre, vive; adj. + amitié : ancienne, belle, bienveillante, bonne, constante, divine, douce, étroite, fausse, fidèle, forte, grande, longue, pure, sainte, triste, véritable, vieille, vraie.
b) Amitié + subst. : amitié de (x) années, d'enfance, de rencontre subst. + d'amitié : démonstrations, formule, liens, marques, mot, preuve, propos, protestation, regard, relations(s), signe, témoignage, visite; subst. + de l'amitié : constance, douceur, joie.
c) Amitié (suj.) + verbe : consoler, s'établir, exister, s'exprimer, grandir, lier, se nouer, succéder, unir; verbe + amitié : faire, lier; verbe + l'/son/une amitié : accepter, accorder, briser, cultiver, dire, donner, gagner, garder, marquer, offrir, prouver, rompre, ruiner, témoigner; verbe + à l'amitié : répondre à; verbe + avec amitié : accueillir, recevoir, regarder; verbe + de l'amitié : abuser, éprouver, nourrir, porter; verbe + d'amitié : combler, se prendre; verbe + en amitié : prendre.
Noter chez A. Gide le syntagme faire l'amitié, forgé sur le modèle du syntagme faire l'amour :
137. Je comprends que l'intimité n'est désirable et possible qu'avec un très petit nombre. (Moi qui la voulais avec tous!) l'intimité est-elle même désirable? Qu'est-elle? Le sentiment de la présence ne suffit-il? Savoir que l'autre est là. Qu'il y a quelqu'un d'autre. J'ai voulu jusqu'alors faire l'amitié, comme on « fait l'amour ». C'est ridicule. Cela vient de ce que je ne veux pas faire l'amour.
A. GIDE, P. VALÉRY, Correspondance, lettre de A. G. à P. V., nov. 1891, p. 133.
2. Assoc. paradigm.
a) (Quasi-)synon. accord, affection, affinité, alliance, amour, assistance, association, attachement, attrait, bienveillance, bonté, camaraderie, charité, communion, complicité, confiance, connivence, dévouement, échange, entente, estime, fraternité, fraternisation, intérêt, intimité, liaison, lien, passion, relation, sentiment, solidarité, sympathie, tendresse, union.
b) Anton. haine, hostilité, indifférence, inimitié, ressentiment.
Prononc. :[amitje]. Les principaux cas d'une prononc. [t] de t dans le groupe ti suivie d'une voyelle ou de e sont, d'apr. KAMM. 1964, p. 173, les suiv. : 1. t précédé de s, actuellement (ex. bestiaux) ou anciennement (ex. châtier); 2. formes verbales en -tiez et -tions; 3. tenir, ses dér. et leurs formes verbales; 4. subst. et adj. en -tier, -tière (ex. laitière); 5. terminaison -tième (ex. septième); 6. part. fém. des verbes en -tir (ex. rôtie) et subst. dér. des mêmes verbes (ex. sortie); 7. groupe ti à la fin d'un préf. (ex. antialcoolisme). À ces règles s'ajoute une liste de mots non classés, parmi lesquels figure amitié.
Étymol. ET HIST. — A.— Mil. XIe s. amistet « affection entre deux personnes en dehors des liens du sang ou de l'attrait des sexes » (Alexis, str. 33c ds GDF. Compl. : Por amistet ne d'ami ne d'amie); dit pour amour a) 1re moitié XIIe s. amistet de Deu (Charlem., 154, ibid. : Vinc en Jerusalem pur l'amistet de Deu); b) 1558 « amour entre deux êtres de sexe différent » (Marguerite D'ANGOULEME, Heptam., 3e journée, prol. ibid. : Il y a des dames qui en leurs amitiez n'ont cherché nulle fin que l'honnesteté); 1590-1600 amitié paternelle (MALHERBE, Poés., 11 ds DG); p. ext. 1. 1680 « inclination de qqn pour qqc. » (RICH. : Amitié. Prendre de l'amitié pour un mot); 2. 1690 « affinité (d'une chose pour une autre) » (FUR. : Amitié. Il y a de l'amitié entre la vigne et l'ormeau); 3. 1789 « alliance entre souverains » (MARAT, Pamphlets, supra ex. 115). B.— 1re moitié XVe s. « marque d'amitié, salutation » (Pèlerinage de Charlemagne, éd. Koschwitz-Thurau, 190 ds T.-L. : Charlemaignes l'en rent amistez et saluz).
Du lat. amicitatem, acc. de amicitas issu du lat. class. amicitia par changement de déclin. Lat. amicitia attesté au sens A dep. PLAUTE, Merc., 846 ds TLL s.v., 1892, 49 : sex sodales repperi, vitam, amicitiam, civitatem, laetitiam, ludum, iocum; cf. avec « amour » (OVIDE, Ars, 1, 720 ibid., 1893, 21 : intret amicitiae nomine tectus amor); à l'emploi 1 (AUGUSTIN, Serm., 20, 2 ibid., 1893, 33 : quamdam familiaritatem et amicitiam cum peccato); à l'emploi 2 (CICÉRON, Lael., 24 ibid., 1894, 76 : Empedoclem vaticinatum esse ... quae in rerum natura ... constarent quaeque moverentur, ea contrahere amicitiam, dissipare discordiam); à l'emploi 3 (CÉSAR, Gall., 1, 3, 1 ibid., 1894, 28 : Helvetios cum proximis civitatibus pacem et amicitiam confirmare). Le sens B ne semble pas attesté en latin.
STAT. — Fréq. abs. litt. :9 557. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 19 355, b) 12 733; XXe s. : a) 9 315, b) 11 703.
BBG. — BACH.-DEZ. 1882. — BAILLY (R.) 1969 [1946]. — BAR 1960. — BÉL. 1957. — BÉNAC 1956. — BOISS.8. — BONNAIRE 1835. — BRUANT 1901. — DAIRE 1759. — DUP. 1961. — DUPIN-LAB. 1846. — FÉR. 1768. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — GOUG. Lang. pop. 1929, p. 70. — Gramm. t. 1 1789. — GUIZOT 1864. — LACR. 1963. — LAF. 1878. — LAFON 1963. — LAL. 1968. — LAV. Diffic. 1846. — LEP. 1948. — LE ROUX 1752. — MARCEL 1938. — NOTER-LÉC. 1912. — ROS.-IOUD. 1955. — SOMMER 1882. — Synon. 1818.

amitié [amitje] n. f.
ÉTYM. V. 1590; amistet, mil. XIe; lat. amicitatem, accusatif de amicitas; du lat. class. amicitia, de amicus. → Ami.
A
1 Sentiment d'affection ou de sympathie d'une personne pour une autre, ou entre deux personnes ( Ami), qui ne se fonde ni sur la parenté, ni sur l'attrait sexuel; relations qui en résultent. Affection, attachement, camaraderie, inclination, liaison, sentiment, sympathie, tendresse, union. || De l'amitié. Amical. || L'amitié et l'amour. Amour.
1 En l'amitié de quoi (dont) je parle, elles (les âmes) se mêlent et (se) confondent l'une en l'autre d'un mélange si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais (…)
Montaigne, Essais, I, 27 (→ Aimer, cit. 8).
2 Mais enfin l'amitié n'est pas du même rang,
Et n'a point les effets de l'amour ni du sang.
Corneille, Horace, III, 5.
3 L'amour et l'amitié s'excluent l'un l'autre.
La Bruyère, les Caractères, IV, 7.
4 L'amour naît brusquement, sans autre réflexion, par tempérament ou par faiblesse : un trait de beauté nous fixe, nous détermine. L'amitié au contraire se forme peu à peu, avec le temps, par la pratique, par un long commerce. Combien d'esprit, de bonté de cœur, d'attachement, de services et de complaisance dans les amis, pour faire en plusieurs années bien moins que ne fait quelquefois en un moment un beau visage ou une belle main !
La Bruyère, les Caractères, IV, 3.
5 Le temps, qui fortifie les amitiés, affaiblit l'amour.
La Bruyère, les Caractères, IV, 4.
6 Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, qu'un ménagement réciproque d'intérêts, et qu'un échange de bons offices; ce n'est enfin qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner.
La Rochefoucauld, Maximes, 83.
7 Quelque rare que soit le véritable amour, il l'est encore moins que la véritable amitié.
La Rochefoucauld, Maximes, 473.
8 L'attachement peut se passer de retour, jamais l'amitié.
Rousseau, Émile, IV.
8.1 Amitié, mariage de deux êtres qui ne peuvent pas coucher ensemble.
J. Renard, Journal, 5 oct. 1892.
8.2 Et bien loin de me croire malheureux de cette vie sans amis, sans causerie, comme il est arrivé aux plus grands de le croire, je me rendais compte que les forces d'exaltation qui se dépensent dans l'amitié sont une sorte de porte-à-faux visant une amitié particulière qui ne mène à rien et se détournant d'une vérité vers laquelle elles étaient capables de nous conduire.
Proust, le Temps retrouvé, Pl., t. III, p. 987.
8.3 L'amitié n'étant pas un instinct, mais un art, et un art qui réclame un contrôle continu, beaucoup d'incrédules lui cherchent des mobiles analogues à ceux qui les animent. Des intérêts sexuels ou des intérêts d'argent.
Cocteau, Journal d'un inconnu, p. 192.
Une amitié, l'amitié… (dans un contexte précisé). || L'amitié de qqn pour qqn, son amitié pour qqn. || L'amitié de qqn (sans compl. second), celle qu'il (ou elle) porte (au locuteur, à une personne de référence).Une amitié, l'amitié (de qqn) : le sentiment amical d'une personne pour une autre. || Elle ne lui rend pas son amitié. || Il a mon amitié. || « Cette amitié animale et caressante » (→ Aimer, cit. 9.1, Maupassant).
9 L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux.
Voltaire, Œdipe, I, 1.
9.1 Y a-t-il rien de plus doux que d'être sûr de l'amitié de quelqu'un ? J'étais sûr de la sienne, absolument sûr. Et même cette amitié (…) me touchait plus que n'aurait dû faire une bienveillance ordinaire (…)
Marivaux, le Paysan parvenu, II, in Romans, Pl., p. 623.
L'amitié réciproque, partagée de deux personnes. || Une amitié : les sentiments amicaux de chacun des amis pour l'autre; la relation qui en résulte (ex. : une amitié partagée, durable, l'histoire d'une amitié, une longue amitié). || Une amitié affectueuse, chaleureuse ( Chaleur), cordiale. || Une amitié étroite, fraternelle, touchante, véritable. || Franche, grande, sincère amitié. || Une amitié désintéressée. || Une amitié intéressée.(En parlant de la relation dans le temps). || Ferme, constante, fidèle, solide, inébranlable amitié. || Une vieille amitié. || Une amitié qui résiste à toutes les épreuves. || Une amitié à la vie, à la mort.
9.2 Si ton ami boite du pied droit, boite du gauche, pour que votre amitié reste dans un équilibre harmonieux.
J. Renard, Journal, 10 mai 1906.
L'estime et l'amitié, et les amitiés.
10 L'estime n'exclut pas nécessairement l'amitié, mais il semble rare qu'elle contribue à la faire naître.
Martin du Gard, les Thibault, VI, 10.
Amitié entre homme et femme. || Amitié amoureuse (cit. 10.2), tendre. || Amitié pure, respectueuse. || Amitié conduite par l'amour (→ 1. Pouvoir, cit. 23). || Amitié entre époux.
11 Ce qui fait que la plupart des femmes sont peu touchées de l'amitié, c'est qu'elle est fade quand on a senti de l'amour.
La Rochefoucauld, Maximes, 440.
12 L'amitié peut subsister entre des gens de différents sexes, exempte même de toute grossièreté. Une femme cependant regarde toujours un homme comme un homme; et réciproquement un homme regarde une femme comme une femme. Cette liaison n'est ni passion, ni amitié pure; elle fait une classe à part.
La Bruyère, les Caractères, IV, 2.
13 Entre homme et femme, l'amitié est un des plus délicats commerces qui se puissent concevoir.
Edmond Jaloux, le Jeune Homme au masque, p. 131.
14 L'amitié entre homme et femme est délicate, c'est encore une manière d'amour. La jalousie s'y déguise.
Cocteau, la Difficulté d'être, De l'amitié, p. 84.
15 Alors, pendant quelques mois, elle eut ce qu'elle avait toujours souhaité : l'amitié amoureuse, attentive mais respectueuse, d'un homme qu'elle admirait.
A. Maurois, Terre promise, XXXIII.
15.1 (…) un homme n'aime pas l'amitié d'une femme dont il n'aime pas l'amour.
Montherlant, Pitié pour les femmes, p. 54
D'amitié. || Une preuve d'amitié. || Un geste d'amitié. Amical. || En signe d'amitié. || Déclarations, paroles d'amitié (→ ci-dessous, cit. 25). || Marque (cit. 15) d'amitié.Aimer qqn d'amitié, sous la forme de l'amitié (→ ci-dessous, cit. 23). || Se lier d'amitié avec qqn. || Se prendre d'amitié pour qqn.(Dans des syntagmes verbaux). Vx. || Faire amitié avec qqn, établir une amitié avec lui (→ Faire l'amour). || Prendre amitié pour qqn (→ ci-dessous, cit. 17). || Avoir, éprouver de l'amitié pour qqn; porter, vouer de l'amitié à qqn. || Gagner l'amitié de qqn. || Prendre qqn en amitié. || L'amitié dont vous m'honorez. || Jurer amitié, promettre son amitié. || Protester de son amitié. || Répondre à l'amitié de qqn. || Conserver, cultiver, entretenir, fortifier, cimenter l'amitié, une amitié. || Leur amitié se relâche. || Perdre, trahir une amitié. || Renoncer à une amitié. || Rompre une amitié. || Nouer (cit. 7), renouer une amitié (→ Ragaillardir, cit. 1, Molière).
Commerce, rapports, relations d'amitié. || Partager le pain et le sel de l'amitié. || Déclaration, démonstrations, marques, protestations d'amitié. || Les plaisirs et les devoirs de l'amitié.
16 Oui, Monsieur, je veux faire amitié avec vous, et lier ensemble un petit commerce de visites et de divertissements.
Molière, le Mariage forcé, 12.
17 Apprenez que le capitaine de ce vaisseau (…) prit amitié pour moi; qu'il me fit élever comme son propre fils.
Molière, l'Avare, V, 5.
18 N'appréhendez-vous pas que je ne sois d'humeur
À dire à mon mari cette galante ardeur,
Et que le prompt avis d'un amour de la sorte
Ne pût bien altérer l'amitié qu'il vous porte.
Molière, Tartuffe, III, 3.
19 Monsieur, l'amitié qui me lie à Monsieur votre frère me fait prendre intérêt à tout ce qui vous touche.
Molière, les Femmes savantes, V, 4.
20 Je lui vouai dès lors une amitié sincère.
Racine, la Thébaïde, II, 1.
21 Les amitiés renouées demandent plus de soins que celles qui n'ont jamais été rompues.
La Rochefoucauld, Maximes, 560.
22 Sensible à l'amitié, il la cultivait avec soin, mais il la voulait modérée; il en chérissait les liens, il en aurait redouté la chaîne.
Marmontel, Mémoires, XI.
23 Si je ne vous aimais que d'amitié j'avoue que je ne vous aimerais pas tant qu'elle.
Voltaire, Lettres, 23.
24 M… me disait : « J'ai renoncé à l'amitié de deux hommes : l'un, parce qu'il ne m'a jamais parlé de lui; l'autre, parce qu'il ne m'a jamais parlé de moi. »
Chamfort, Maximes et Pensées.
25 (…) des déclarations d'amitié, des serrements de main, des embrassades (…)
Chateaubriand, Mémoires, III, 2.
Prov. Les petits présents entretiennent l'amitié.
Faire qqch. par amitié pour qqn. || Je vous dis ceci en toute amitié.(Une, des amitiés). || Amitié particulière : liaison de caractère passionnel entre personnes du même sexe (cf. le titre du roman de Roger Peyrefitte, les Amitiés particulières; → ci-dessous, cit. 25.2).Les amitiés masculines (d'un homme).
25.1 Une bonne grosse fille réjouie, vigoureuse et indisciplinée comme moi, avec laquelle je m'entends très bien, autant que l'on peut s'entendre au Sacré-Cœur, où l'on n'admet pas — et on a bien raison — ce que l'on appelle « des amitiés particulières ».
Gyp, Souvenirs d'une petite fille, 1928, t. II, p. 307, in T. L. F.
25.2 L'amitié qui nous fut si chère est entre tes mains, après avoir été entre les miennes. (…) Elle fait que déjà nous vivons ensemble, quoique séparés. Sache-le, si tu voulais l'ignorer encore : notre amitié s'appelle l'amour.
Roger Peyrefitte, les Amitiés particulières, p. 412-413.
25.3 Hier, visite d'un religieux (…) Il me parle aussi des amitiés particulières dans l'ordre. On appelle cela des crises affectives : « Cela passe ou cela dure, peu importe, c'est ainsi, mon fils. » Ainsi leur parle-t-on.
J. Green, Journal, Ce qui reste de jour, 4 nov. 1967, p. 45.
Relations affectives (d'un animal) avec les êtres humains.
2 Relations amicales entre nations. || Traité d'amitié. Accord, entente, intelligence (bonne). || L'amitié entre nos deux pays.|| « La patrie, c'est bien la grande amitié qui contient toutes les autres » (Michelet).
3 Vieilli. Marque d'affection, témoignage de bienveillance. Bienveillance, bonté, sympathie. || Le ministre l'a reçu avec amitié. Amicalement.
Fam. || Faire l'amitié de…, terme de politesse amicale. || Faites-moi l'amitié de vous occuper de cette affaire, ayez la bonté, la complaisance, l'obligeance, faites-moi la faveur, rendez-moi le service de… || J'espère que vous me ferez l'amitié de venir.
26 Nous vous serons obligées de la dernière obligation, si vous nous faites cette amitié.
Molière, les Précieuses ridicules, 9.
4 a Sentiment affectueux, amical (à l'égard d'un objet non humain). || L'amitié (d'une personne) pour un animal. || L'amitié pour un lieu, un paysage… || « Le plaisir de Paris, l'amitié pour Paris » (Brasillach, Corneille, in T. L. F.). || Amitié pour une œuvre, un livre…
b Littér. Situation protectrice.
26.1 Assis dans l'amitié de mes genoux.
Saint-John Perse, Éloges.
B Plur. Paroles obligeantes, témoignage d'affection. || Faire mille amitiés. Amabilité, compliment. || Vous lui ferez, vous lui direz mes amitiés : dites-lui de ma part bien des choses affectueuses.
27 Il vient de nous quitter en nous faisant mille sortes d'amitiés.
Mme de Sévigné, 217.
28 Mme du P…, qui vous fait mille amitiés.
Mme de Sévigné, 15.
Dans les formules de politesse :
29 Toutes mes amitiés, et mes hommages aux pieds de Madame.
Mallarmé, Lettre à Odilon Redon, 1er janv. 1888, p. 134.
CONTR. Antipathie, aversion, désunion, discorde, dissentiment, éloignement, haine, hostilité, inimitié.
DÉR. Amiteux ou amitieux.

Encyclopédie Universelle. 2012.