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PASSION
PASSION

On note avec étonnement la quasi-disparition du terme passion dans le vocabulaire de la psychologie contemporaine, qui utilise bien plus volontiers les concepts de tendance, d’affect ou de pulsion. La notion ne figure même pas à l’index de manuels aussi classiques que ceux de Munn et de O. Fenichel; et, s’il se rencontre encore parfois dans la psychiatrie classique d’école française ou chez les psychologues qui s’en inspirent, l’usage en demeure solidaire d’une tradition descriptive. Serait-ce parce que son emploi recèle un élément qui s’apparente à un jugement de valeur, répudié aussi bien dans l’esprit d’une méthodologie expérimentale que par les tenants d’une psychanalyse d’orientation positiviste?

Inclination qui s’exagère, dérèglement de la raison par l’appétit sensible, gauchissement unilatéral de la vie de la représentation, la passion irait en effet de pair avec une détérioration de la volonté dans la poursuite de ses fins; elle serait marque de ce qui en l’homme ressortit à la matière, source de passivité et puérile dépendance. Ainsi, Descartes considère la passion moins comme opinion que comme surprise de l’âme par le corps, tumulte d’origine physique et auquel le concours de la volonté fait défaut. La discrimination passionnelle s’y trouve en quelque sorte forcée et ne peut se perpétuer que sous l’incitation renouvelée du monde extérieur; rien n’est peut-être plus instructif que l’historique du concept, avec la distorsion radicale de sens qui le frappe, permettant au XIXe siècle l’éloge de cette même passion, dont le décri plus ou moins nuancé parcourt l’histoire. Mais il semble qu’aujourd’hui le constat de notre carence s’effectue sous de nouveaux auspices et, en particulier, que le lyrisme de l’aliénation se soit substitué au discours apologétique de la passion.

C’est que la passion, jusqu’à Kant, n’a de sens qu’au sein d’un dualisme, comme affection ou phénomène passif de l’âme, dont la cause est rapportée au corps. Autrement dit, elle caractérise emblématiquement la fissure fondamentale du sujet et s’avère le fondement de son impuissance à saisir le vrai, quand bien même elle contribuerait accidentellement à son approche. Or, en dissociant la passion de l’affection, Kant ouvre la voie à une nouvelle conception de la passion, comme mode de réalisation par excellence de la subjectivité. Rapportant, en effet, la passion non au sentiment de plaisir et de peine mais à la faculté de désirer, Kant y voit une folie qui contredit la raison dans son principe formel: un élément est pris pour le tout, si bien qu’est rendue impossible toute détermination de la volonté par le libre arbitre. Mais la passion, pour la première fois dans l’histoire des idées, caractérise le sujet, et lui seulement, puisqu’elle ne saurait être attribuée à un être dépourvu de volonté.

Ainsi, paradoxalement, cette conception, en tant qu’elle fait de la passion une détermination de la raison pratique, fonde la théorie hégélienne de la passion comme objectivation de l’esprit subjectif pratique, au niveau de la psychologie. L’on aboutit alors à cet éloge célèbre de la passion: «Rien de grand n’a jamais été accompli, ni ne saurait s’accomplir sans passion.» Car le rôle contradictoire de la volonté une fois mis en lumière par les apories de la doctrine kantienne, le sujet comprend le caractère «incontournable» s’attachant à la naturalisation de sa volonté. Bien plus, il saisit la nécessité d’assumer ce dessaisissement qui, dans le cas de la passion, s’opère au profit d’un objet unique. L’unicité formelle de sa détermination élève alors la passion à la dimension du sublime, pour la soustraire à toute considération d’ordre moral: point n’est besoin d’apprécier la valeur de ce qui se trouve justifié par sa seule réalité! Toute détermination est passion, négation du sujet abstraitement libre, mais négation positive, puisque négation de ce même sujet dans son mouvement vers le concret. Le développement de la passion paraît alors, pour reprendre ce terme de Hegel, «ruse» stratégique de la raison, œuvrant dans l’histoire.

Mais quel est le lien entre passion et existence, c’est ce que n’a pas montré Hegel. Et tel est bien le problème auquel doit s’attacher toute pensée hostile à une spéculation abstraite. Aussi Kierkegaard commencera-t-il par définir comme passion toute existence digne de ce nom.

1. La passion, sommet de la subjectivité

«Il est impossible d’exister sans passion», non parce que toute action présuppose une passion, mais parce que seul un intérêt passionné peut vouer le sujet à exister pleinement, c’est-à-dire à pénétrer son existence par la conscience. Il faut donc réfléchir à la signification de l’existence pour le penseur subjectif. Tout d’abord, l’existence ne peut être pensée sans mouvement, et le mouvement ne peut être conçu sub specie aeterni . Il semble, par suite, y avoir une antinomie entre l’existence et la pensée, dans la mesure où cette dernière serait éternelle; et, à la limite, l’existence peut se définir comme ce qui ne se laisse pas penser. Cependant, celui qui pense existe, et l’on ne saurait esquiver le problème essentiel de la constitution d’une continuité ou éternité autre qu’abstraite.

Il appartient alors, dit Kierkegaard, non à la pensée pure, mais à la passion, d’introduire la continuité «momentanée» dans le mouvement de l’existence, en engendrant la décision et la répétition. Bien plus, la passion à son paroxysme produit l’«éternité concrète», puisqu’elle est «anticipation de l’éternel» dans une existence au sens vrai. L’homme passionné peut alors se rapprocher de l’unique vérité pour un homme existant, c’est-à-dire de la subjectivité.

Toutefois, en tant que la passion signifie une attention aiguë à l’existence, elle ne saurait se dissocier du doute ; «la présupposition de douter, rappelle Kierkegaard dans le Post-scriptum aux miettes philosophiques , devrait requérir toute une vie d’homme», et on ne saurait certes l’évacuer par la simple mention de sa nécessité. Qu’est-ce alors que la passion, sinon l’incertitude, seul mode d’existence d’un penseur authentique?

Précisons le lieu de cette incertitude. Kierkegaard renouvelle pour ce faire le mythe platonicien du char ailé: attelons à la voiture d’un cocher, d’ordinaire impassible, une haridelle et un Pégase; alors la passion s’éveillera chez notre conducteur, soucieux d’harmoniser l’allure incohérente de la pauvre rosse avec celle ailée du divin coursier. Tel est l’homme pris entre l’éternité et la vie d’ici-bas, dès lors qu’il s’attelle au paradoxe de l’existence et s’efforce passionnément de l’assumer. La passion définit donc l’existence, mais non celle du cocher endormi; bien plutôt l’existence historique de ce conducteur livrant le seul combat intéressant.

Quand un existant est «le plus près d’être en même temps à deux endroits», il est passionné, dit Kierkegaard. Mais être à la fois des deux côtés n’est pas accordé à un existant. Pareillement, on ne peut pas atteindre la vérité, mais seulement l’approcher, si bien que toute définition de la vérité se doit d’accuser la tension de l’intériorité. Dès lors, dire que la passion est incertitude et dire qu’elle est le sommet de la subjectivité revient à la définir comme seul mode d’accès à la vérité, puisque seul mode d’intériorisation possible de l’incertitude objective. Que la vérité réside dans ce «coup d’audace» où l’incertitude est maintenue par la passion, que l’essence de la passion soit d’être paradoxale, telle est la clé de l’anthropologie kierkegaardienne, dont on trouve un bref résumé à la fin des Étapes sur le chemin de la vie : «Il y a trois sphères d’existence: esthétique, éthique, religieuse [...]; la sphère esthétique est celle de l’immédiateté ; la sphère de l’éthique, celle de l’exigence (et tellement infinie que l’individu fait toujours faillite); la sphère religieuse, celle de l’accomplissement.»

La première sphère se caractérise par la passion imaginaire de l’immédiateté qui entraîne l’individu à se réaliser absolument dans des buts relatifs. Le pathos suprême est alors celui de la parole et du désintéressement poétique. «Quand un individu se rejette lui-même pour saisir quelque chose de grand, il est inspiré esthétiquement», dit Kierkegaard. Aussi est-il essentiellement heureux, mais quand le malheur devient plus fort que lui, sa passion de l’immédiateté se transforme en désespoir. Car l’individu esthétique n’a jamais sa dialectique en lui: il «perçoit le malheur, mais ne le comprend pas» comme souffrance, c’est-à-dire qu’il l’attribue à une cause extérieure sans saisir son enracinement dans l’existence propre. La passion révèle alors son caractère illusoire, par la dépendance qu’elle crée à l’égard des causes extérieures.

C’est seulement dans la sphère du religieux que la passion, s’intériorisant, se dévoile, dans son fondement, passion de l’infini. L’action religieuse est alors reconnaissable à la souffrance, c’est-à-dire au mouvement d’approfondissement dans l’existence qui caractérise le pathos existentiel. Bien plus, l’homme religieux exige la souffrance, dans le même sens où l’homme immédiat demande le bonheur. Car tout comportement se doit d’être absolu, lorsqu’il s’agit d’un but absolu; et vouloir absolument signifie vouloir l’infini; ce qui est folie au sens du fini.

La vérité de la passion comme passion de l’infini s’exprime dans cette insatisfaction qui pousse l’homme immédiat à la recherche perpétuelle de nouvelles jouissances, sans que jamais d’aucune il puisse se satisfaire pleinement. Mais qu’est alors l’infini de Kierkegaard, sinon cet Autre, dont la présence nous hante, dans l’incertitude de notre identité?

2. Hantise de l’immédiateté et transfiguration mystique de la passion

Aussi bien définirons-nous l’expérience passionnelle comme la perpétuation d’un doute et d’un étonnement. Si le sujet s’y révèle impuissant à se poser comme le sujet de l’actualisation de ses fins, la passion affirme tout autant la carence de l’autre à lui en assurer la détermination.

Allons alors plus loin, et surprenons à travers quelques exemples le lieu de consécration de la passion. Que la définition kierkegaardienne de la vérité se rapproche de celle de la foi, pour fuir le domaine de la science objective, le philosophe le reconnaît lui-même; mais, si l’exaspération de la subjectivité est propre à faire surgir de la vérité son critère même, c’est que la foi consacre l’ignorance de la passion, en l’illimitant dans la nouvelle dimension de l’absurde.

On en prendra pour témoignage l’inquiétude saisissante de saint Anselme au début du Proslogion ; celle-ci se trouve déterminée à un triple niveau: quant au lieu d’incarnation, au signe salvateur et à la parole conductrice. Tout d’abord s’affirme l’incertitude concernant la demeure du Seigneur: «Seigneur, si tu n’es pas en moi, si tu es absent, te chercherai-je? mais si tu es partout présent, pourquoi ne te vois-je pas?» S’ébauche une réponse: «Tu habites une lumière éternelle», dit l’Écriture; mais à nouveau la subjectivité s’effraie de l’imprécision de cette parole: «À quels signes , à quel aspect te reconnaîtrai-je?» Et la plainte élégiaque s’élève comme nostalgie d’une vision («Jamais je ne l’ai vu, Seigneur mon Dieu, je ne connais pas ton visage»), qui se transforme bientôt en angoisse, celle du sujet délaissé, sans guide en sa terre d’exil. «Que fera ton serviteur, anxieux de ton amour, et rejeté loin de ta face?» Mais l’aveu passionné réussit encore à émerger du désarroi, croyance indéfectible en l’assouvissement possible d’un désir qui tisse l’être. «Il désire passionnément te voir (anhelat videre te ), et ton visage lui manque jusqu’à l’excès.» Le halètement de l’homme assoiffé de sens parcourt ainsi ce texte, où la parole est ramenée à son sens premier de manque à être et de manque à voir. Car, si Dieu était présent, l’homme illuminé de sa présence se dilaterait tout entier dans cette jubilatio sine verbis dont parle saint Augustin, et qui est en même temps négation de l’individualité, mort du sens, tel qu’il se réfracte de la parole dans l’écriture. Mais cela n’est possible que parce que la vision, comme abolition de la distance, symbolise l’immédiateté d’une communication.

On atteint alors une définition profonde de la passion, comme paradoxe d’une volonté qui s’efforce de supprimer toute médiation, ce qui ne saurait finalement s’effectuer sans l’abolition de soi-même ou de l’objet aimé. Rien d’étonnant à ce que, dans le langage de la théologie, cette approche s’établisse sous les auspices de la vision, puisque la dérobade de l’Autre à l’appel du sujet ne cesse d’y être masquée par l’absence des manifestations divines. D’autre part, que la visibilité historique de Dieu ait été en même temps passion dans un corps incarné et parole défaillante («Père, éloigne ce calice de mes lèvres») suffit à fonder la vérité de la passion individuelle, qui peut ainsi devenir tout à la fois assimilation au Dieu visible et assomption en lui d’une visibilité nouvelle. On comprend alors la signification du martyre comme renouvellement extérieur de la passion divine. Mais, si le rapport à la vue prédomine dans la passion, on pourrait montrer que la hantise de figurabilité, de silence et de présence immédiate s’explique par celle du retour à une situation où l’objet n’était pas signifié, par la mise hors circuit du foyer de symbolisation.

3. Laïcisation de la mystique

Passion et discours

Dès le départ de la longue élaboration philosophique de la passion, sa dépendance du discours paraît, il est vrai, établie. Catégorie ou genre de l’être irréductible à tout autre, le 神見礼﨟 aristotélicien ne saurait se concevoir sans action; et l’élaboration de cette notion comme affection superficielle et détermination accidentelle de l’être est solidaire de la constitution d’une physique et d’une théorie générale de l’attribution. Cependant, la passion prend, au niveau de la Rhétorique , un contenu psychologique, en tant qu’espèce de persuasion produite par le discours. La passion, comme le plaisir et la peine, appartient en effet au genre de l’assentiment et du refus, fondant par là même le caractère positif ou négatif du jugement. «Admettons, écrit Aristote, que les passions sont les causes qui font varier les hommes dans leurs jugements, et auxquelles s’attachent la peine et le déplaisir, comme la colère, la pitié, la crainte, et toutes les autres passions de ce genre, ainsi que leurs contraires» (1.378 a). Cependant, alors que le plaisir et la peine se rapportent à la sensation, la passion concerne l’image proposée par l’orateur. Autrement dit, au niveau de la psychologie, point de passion sans discours. Telle est l’originalité de l’analyse proposée par Aristote: toute passion possède des raisons qu’on peut grouper sous trois chefs – la disposition par laquelle on y est porté, la personne à laquelle elle s’adresse, et le motif spécifique qui l’alimente. Ainsi, par exemple, la pensée de l’outrage est essentielle à la colère, puisque, cette pensée absente, il ne saurait y avoir de colère; et par ailleurs, comme dédain non mérité, elle est cause efficiente de cette colère pour un homme contrarié dans son désir. Aussi Aristote peut-il authentifier la passion comme moyen efficace de persuasion, en lui assignant une position coordonnée à la persuasion par enthymèmes.

Le paradoxe des lettres d’amour

Situons par rapport à cette tradition le paradoxe que constituent les lettres d’amour. «Il me semble que je fais le plus grand tort du monde aux sentiments de mon cœur, de tâcher de vous les faire connaître en les écrivant», dit en commençant la Religieuse portugaise. L’écriture ne peut qu’apparaître superflue, voire déplacée, lorsqu’il s’agit d’une évidence aussi aveuglante que cette totale orientation d’une vie par rapport à l’être aimé; et le champ de confirmation de ces sentiments ne saurait rien avoir de commun avec les pauvres lignes écrites à ce sujet: «Que je serais heureuse, si vous en pouviez bien juger par la violence des vôtres !» Mais toute plainte est injuste à l’égard de celui qui lui a fait connaître les délices de la passion; et, en même temps, le rappel de l’amour passé risquerait de déplaire à celui qui, en proie à une nouvelle passion, fait fi de la précédente. Aussi, la lettre ne peut-elle que célébrer l’éloge de l’amour, «honneur» et «religion» en la femme qui est assez grande pour s’y abandonner tout entière. La passion devient alors force d’expression, jalouse d’elle-même et de sa continuité, plus même que de son objet: «Je ne mets plus mon honneur et ma religion qu’à vous aimer éperdument toute ma vie, puisque j’ai commencé à vous aimer.» Autrement dit, il s’agit de figer l’amant dans la figure qu’il occupera à un moment déterminé de son existence, en ce temps béni dont on ne saurait promouvoir le retour. Et l’on obtient par là un bénéfice secondaire, à savoir la perpétuation idéale de ce qui ne saurait s’inscrire dans la durée: l’instantanéité de la plénitude amoureuse. La passion, amour entravé, développe alors toute sa force au niveau symbolique qu’en son essence elle aspire à déserter.

On trouve chez mademoiselle de Lespinasse un procédé analogue quand, pour décrire son amour au chevalier de Guibert, elle se met à peindre le caractère passionné de son amant et la liaison de la passion au sublime. «Vous êtes ardent, vous êtes passionné (...). La nature ne vous a point fait pour être heureux, elle vous a condamné à être grand.» Cependant, s’introduit dans le texte une distorsion radicale. «Vous seriez capable de tout ce qui est fort, de tout ce qui est grand: mais vous ne ferez jamais que des choses de mouvement...» Autrement dit, la passion dont mademoiselle de Lespinasse fait crédit à son amant est d’avance dépréciée, on ne sait encore au nom de quels critères. Précisons comment est entendue cette passion. Tout d’abord, elle est goût de l’action, ou plus exactement de ce que l’auteur appelle des «actes détachés». N’est-ce point dire que la passion ne saurait s’épanouir dans le registre harmonieux d’une continuité intersubjective? Puis, si la passion est goût de l’action, ce serait en tant que chaque nouvelle position de la subjectivité paraît ressentie comme une tentative décisive de confirmation de soi. Aussi bien s’agit-il d’actions d’éclat, encore que la nature de cet éclat ne soit point précisée. Et, troisièmement, la passion étoufferait dans un rapport immédiat à son objet, ce qui n’est pas sans faire réfléchir à la possibilité d’une communication directe entre amants. Cherchons à appliquer les critères de la passion ainsi définie au sentiment de mademoiselle de Lespinasse qui se dit atteinte d’un mal «lent et incurable». Comment sa passion à elle qui «n’existe plus à rien» pourrait-elle souffrir l’action? Pourquoi serait-elle avide de nouveautés, alors que seul importe d’être ramené à ce qu’on a aimé et souffert? Et par quelle contrainte enfin cette passion séparerait-elle les amants que leur souffrance commune rapproche? Certes, il ne s’agit plus ici, comme chez la Religieuse portugaise, d’un culte de l’objet aimé, substitut de la divinité, ni d’une passion jalouse de son objet, si abstrait celui-ci soit-il devenu. Mais la subjectivité s’éprend d’elle-même, de sa mobilité et de sa concentration en l’état d’amour, et mademoiselle de Lespinasse ne fait que donner un nouveau tour à la formule augustinienne: «Non amabam, sed amare amabam », quand elle écrit: «Je fais mieux qu’aimer, je sais souffrir.» Ainsi, la souffrance d’amour s’accroît de cette étrange oscillation entre le marquis de Mora et le chevalier de Guibert, qui lui permet tour à tour de se sentir coupable et victime, tandis que de la réciprocité d’amour elle s’exclut chaque fois à nouveau. C’est ainsi que Julie de Lespinasse se meurt, malade d’un amour dont son entourage croit encore que monsieur de Mora est l’objet, alors que ses lettres la disent tout entière au chevalier de Guibert. «Je vous aime comme il faut aimer», écrit-elle cependant. Par-delà le plaisir ou le malheur, l’amour semble viser une autre dimension qui nous paraît proche de la 嗀諸福﨎見, ce don qui dans la Septante exclut la réciprocité. Mais, pour reprendre le terme de Philon d’Alexandrie, l’ 見益精晴嗀礼靖晴﨟 (don en retour) constituant une loi de l’existence par l’échange perceptif qui la sous-tend, la créature doit s’épuiser dans ce mouvement désespéré vers la 嗀諸福﨎見.

La passion passionnée d’elle-même

On peut alors montrer avec Bergson comment la plus grande perfidie de la passion consiste à «contrefaire le devoir». Ainsi en est-il de la Religieuse portugaise, continuant d’aimer, puisqu’elle a commencé à aimer. Dès lors, l’amour confinant à la mystique, la marge de déception s’illicite, puisque l’illusion ne porte pas tant sur l’objet et ses qualités intrinsèques que sur ce qu’on attend de la passion elle-même.

Mais, dans la mesure où l’amour exclut la déception par suite de l’incertitude qui le constitue originairement, il semble qu’il faille moins parler de devoir que de souveraine fierté, inhérente à l’amour. Si déjà chez Aristote l’on voyait comment la passion surgissait au niveau du discours, peut-être peu de lettres plus que celles de mademoiselle de Lespinasse donnent autant le sentiment du nécessaire surenchérissement de la passion sur elle-même, sous forme d’art. La lecture de ces documents n’est pas sans remplir d’une certaine irritation: l’expression y paraît trop spontanée, le désir d’outre-passer les normes de la décence et du bon goût s’y réalise avec trop de puissance, tandis que le combat contre la pudeur féminine donne à la passion un éclat et une force qu’elle semble ne pouvoir atteindre chez l’homme. La passion paraît s’y trouver trop réelle pour être sublime: la femme s’arrache à sa propre réserve, et cette violence à laquelle elle consent lui coûte déjà tant qu’elle en rend impossible le combat contre une passion déjà si développée. Car le conflit ne se perpétue pas tant entre la passion et un élément extérieur qu’au sein de la passion elle-même, au niveau de son objet et des pulsions contradictoires qui la composent. Par suite, l’auteur s’identifie trop étroitement à son désir pour pouvoir le signifier pleinement, et son correspondant s’avère trop présent pour pouvoir devenir le support d’une idéalisation à valeur universelle. Comment alors arracher la passion au cycle du mensonge se faisant vérité? Et peut-on, tout en se passionnant de passion, trouver une issue qui ne soit point celle de la folie ou de la mort?

4. Le délire passionnel: du processus de défense à la sublimation

Conversion et régulation de la passion

La vocation de la passion à se métamorphoser en pensée de la passion nous est apparue liée au caractère inaccessible de l’être auquel elle s’adressait. Hantise de l’immédiateté, la passion ne cesse paradoxalement d’amplifier la distance entre objet et sujet du désir; il semble qu’elle vise alors à promouvoir un discours – ou, de façon plus générale, une expression – où elle trouverait son propre fondement, grâce à une repersonnalisation et à une transmutation de l’absent. Mais la vulnérabilité de cette reconstruction apparaît pleinement dans le registre où elle n’emporte pas l’adhésion: celui d’une ire qui n’a pas su traverser l’épreuve de l’illusion, et s’élever à ce qu’il est convenu d’appeler «sublimation» artistique, religieuse ou scientifique. Il faut alors analyser de plus près la nature de cette fuite et des substituts trouvés.

La passion, si médiocre soit-elle, s’efforce de perpétuer, en leur donnant son assentiment, des émotions d’une certaine qualité. Ainsi, selon Sénèque, «aucune des impulsions qui frappent l’esprit par hasard ne doit être appelée passion [...]. La passion consiste non pas à être ému (moveri ) par l’idée que fait naître son objet, mais à s’y abandonner (permittere se illi ) et à suivre ce mouvement fortuit.» L’inscription de l’émotion dans la durée caractérise donc la conversion passionnelle, pour autant que le sujet permet l’accès de l’émotion à la conscience – bien plus qu’il ne le favorise. Et la métamorphose de l’impulsion en élan (impetus ) caractérise l’assomption d’un mouvement, auquel le consentement de l’âme doit prêter ses lettres de noblesse.

Mais, d’autre part, la mobilité de la passion et l’extrême «inquiétude» qui la caractérise exigent la découverte continuelle de nouveaux aspects propres à son objet, de sorte que, suivant le mot de Pascal, la constance passionnelle «n’est qu’une inconstance arrêtée et enfermée dans un même sujet». Aussi, lorsque les prétextes à cette idéalisation de l’objet manquent dans la réalité, la passion peut-elle édifier sans fondement des pans entiers de cristallisation. Le passionné se comporte alors à bien des égards comme l’artiste qui se détourne de la réalité pour laisser jouer librement ses désirs érotiques et ambitieux; ou comme l’homme de science affirmant envers et contre tous – tels F. H. C. Crick et J. W. Watson à propos de la structure hélicoïdale de l’ADN – sa croyance indéfectible en un modèle que rien ne peut encore démontrer. Nul démenti ne semble alors pouvoir être infligé au passionné, nul échec ne paraît susceptible de l’abattre, dans la mesure même où sa volonté obstinée passe outre à toute infirmation immédiate de l’événement.

De là découle l’aspect régulateur de la passion, principe d’orientation et source de sens. Car, si l’autre est toujours l’objet et le propos de la passion, l’assentiment d’autrui ne saurait être requis à titre de condition nécessaire, dès lors qu’il ne s’agit plus de la constitution d’«un» champ perceptif universalisable, mais de la redistribution des valeurs au sein d’un champ orienté. Pour reprendre la comparaison kantienne, tandis que le principe d’orientation dans l’espace a valeur constitutive, puisque constitué a priori par le sentiment de gauche et de droite, le même principe dans la pensée ne peut avoir de signification que régulatrice: c’est une hypothèse ou un postulat. La qualité esthétique, pragmatique ou scientifique du système où ce principe se trouve mis en œuvre fournira donc le seul critère de son appréciation. Aussi bien, dit Freud, l’artiste échappe à l’enfermement artistique, dans la mesure où les fantasmes auxquels il a donné la forme de «réalités effectives» d’une nouvelle sorte (Wirklichkeiten ) «valent aux yeux des hommes comme de précieux reflets de la réalité» (Realität ). Autrui se trouve alors le seul garant de la valeur du détour effectué, ou plus exactement la passion n’est justifiée que comme détour.

Prenons pour exemple l’avarice. La discipline qu’elle exige acquiert ses titres à l’estime qu’on lui porte pour autant que la raison s’y propose des fins plus nobles qu’une jouissance immédiate. Et, si rien n’est plus sublime que la passion de l’argent mise au service de l’amour paternel, rien ne semble plus ridicule que le sacrifice de plaisirs à la seule garantie de leur possibilité et la transformation d’un moyen en fin en soi. On parlera alors de délire dans la mesure où s’indique ici la perte de la fonction symbolique elle-même. Si l’or n’a de valeur que par suite de conventions d’échanges, retirer l’argent du circuit du commerce pour l’accumuler sans autre but que de le regarder équivaut à une coupure radicale d’avec autrui. Se produit alors une évolution comparable à la régression des névrosés, avec une inhibition plus ou moins totale de la sociabilité et des pulsions érotiques qui composent cette tendance. La passion s’avère dès lors un type de folie, dont il appartient à la science d’assigner les causes dans l’histoire même du patient.

Certes, la tentative avait d’illustres précédents. Les stoïciens, au premier chef, avaient défini la passion comme tendance tyrannique, mouvement déraisonnable de l’âme et contraire à sa nature. Le développement de la passion ne saurait s’effectuer sans un viol de la raison, puisque celle-ci non seulement perd sa fonction législatrice, mais voit sa médiation demeurer stérile, tandis que son adhésion est finalement forcée. Et, si l’on n’a point repéré et combattu les premiers signes avant-coureurs et les premières menaces de la passion, celle-ci croît en véritable parasite, hors d’atteinte de la réflexion. On trouve chez les insensés une «prédisposition» à cette «maladie» qui se développe sur un terrain de faiblesse générale, consécutif à une agitation exagérée de l’âme. Aussi y a-t-il entre l’insensé et le sage un fossé infranchissable: à l’usage du premier, l’on peut constituer un système de recettes empiriques, une parénétique; mais seul le second est capable de parvenir à la maîtrise totale de ses passions.

Psychanalyse et destin des pulsions

Cet abîme entre le fou et l’homme normal, Freud s’est appliqué à le combler: la psychanalyse a, en effet, pour objet non tant de soumettre la volonté à la pulsion que d’enraciner cette dernière dans l’histoire du sujet, en référence aux stades d’évolution libidinale. Ainsi, dans sa tentative pour reconstituer la genèse des pulsions et leur destinée, Freud a pu rapporter l’origine de l’avarice à l’érotisme anal; et, de proche en proche, s’est vu confirmer le sentiment exprimé par Bossuet: «Ôtez l’amour, il n’y a plus de passion; posez l’amour, vous les faites naître toutes.» Si toute passion tire en effet sa force de l’amour, c’est qu’aucune ne saurait s’expliquer sans référence aux positions occupées par la libido, lors de l’évolution phylogénétique et ontogénétique.

Toutefois, il faudrait distinguer deux sortes de passions: les passions contradictoires et déchaînées issues du ça, tendant à se satisfaire anarchiquement, et les passions venues du surmoi, tout autant résidus des premiers choix d’objet opérés par le ça que formations destinées à réagir énergiquement contre ces choix, par suite des identifications relatives au complexe d’Œdipe. L’«intérêt» n’est alors qu’une transposition de la passion. «Léonard de Vinci, écrit Freud, n’était pas dénué de passions [...]. Mais, ayant changé la passion en soif de savoir, il s’abandonna désormais à l’investigation avec la ténacité, la continuité, la pénétration qui n’appartiennent qu’à la passion.» Cet intérêt se situe par-delà l’amour et la haine. «Il n’aimait ni ne haïssait, mais se demandait d’où venait ce qu’il devait aimer ou haïr, quelle en était la signification [...]. La haine et l’amour perdaient pour lui leur signe (Vorzeichen ).» C’est dire que la passion ne constitue plus un pouvoir de discrimination; bien au contraire, il s’agit d’apprécier l’origine et le sens de cette passion, en un recul qui emprunte toute sa force à la passion ainsi mise en perspective. «On attend, pour aimer, de connaître; mais alors se produit un ersatz. Parvenu à la connaissance, on ne peut plus ni bien haïr, ni bien aimer.» Le moyen est à nouveau érigé en fin, et la passion investigatrice, issue de la curiosité sexuelle, poursuit son destin de façon autonome vers un but non sexuel, «éventuellement, dit Freud, plus élevé dans l’estimation des hommes». Ce décalage entre la passion et sa vérité, on l’avait déjà vu chez Kierkegaard sous forme de tension entre l’esthétique et le religieux; puis on l’a reconnu au niveau des lettres d’amour dans l’ivresse qui saisissait l’être de sa propre passion. Enfin, au sein du détour que constitue l’expression, on surprend le fondement de la possibilité de retrouvailles ultimes avec le réel, tout autant que celui d’une scission définitive, l’aliénation mentale.

5. Passion et destinée

E. Burke voyait déjà, dans les passions relatives à la conservation de soi, la source des plus vives jouissances que l’âme puisse ressentir, car on y trouve «une idée de douleur et de danger, sans y être actuellement exposé». La force de représentation inhérente à la passion semble, certes, l’indice d’une puissance de l’âme qui, comme le dit Kant à propos du sublime, «dépasse toute mesure des sens»; encore faut-il que la menace d’une subversion totale du sujet y demeure masquée. Généralisant la proposition de Burke, on pourrait dire que toute passion doit comporter la représentation d’un danger, comme si la hantise d’une mort possible pouvait seule donner du prix à l’arrachement qu’elle symbolise.

Or, c’est bien à cette description que Freud a donné un statut, dégageant par exemple les mécanismes de défense qui, susceptibles d’œuvrer à des degrés divers, assurent, sous l’influence des pulsions conservatrices du moi, la métamorphose de l’amour en haine. Tout d’abord le refoulement, exigé par le surmoi, peut apparaître sous forme d’amnésie, ou bien sous celle d’une simple disjonction des rapports de causalité, permettant la neutralisation d’un contenu représentatif. La forme primitive de l’aveu «Je t’aime» une fois déniée, «Je l’aime» se transforme aisément en «Je le hais» par un phénomène de mutation en son contraire. Mais ce second mécanisme ne peut entrer en jeu que grâce au processus de projection, requis par le narcissisme. L’investissement libidinal du moi, exigeant la conformité de la satisfaction libidinale aux intérêts du moi, réalise en effet cette contradiction suivant laquelle le dehors doit s’assimiler au dedans. Aussi, lorsque le retour se fait de l’extérieur, équivaut-il à la simple réapparition du refoulé intérieur. Et l’on obtient la séquence suivante, requise par le développement de la logique passionnelle: «Je ne l’aime pas – Je le hais – parce qu’il me persécute.» Le désir du sujet s’affirme alors en contravention avec les exigences du surmoi; et, sous forme d’un rapport passionnel à autrui, pointe enfin la victoire des forces pulsionnelles, trouvant un nouveau biais pour manifester leur puissance.

L’essentiel est ici que toute passion tire sa force du refoulement de la passion opposée. Aussi bien, et réciproquement, il n’y a point de conversion à l’autre sans désespoir latent d’un abandon possible, et sans indignation cachée de son insuffisante parousie. On voit quelle vigueur l’expérience psychanalytique a pu assurer à la tradition dynamique, issue de Leibniz, selon laquelle nul état de l’âme ne serait compréhensible sans une disposition et préparation permanentes à la douleur: «l’inquiétude». Celle-ci, rappelons-le, consiste en ces demi-douleurs et ces demi-plaisirs, ces sollicitations imperceptibles qui, tenant l’âme constamment en alerte, viennent à s’exaspérer dans les passions; de sorte que la joie, par exemple, signifie seulement cet état où le plaisir prédomine, mais d’où l’inquiétude ne saurait être bannie.

Étendant aux groupes sociaux et aux théories ce qui a été dit des individus, il faudrait alors montrer comment, en temps de guerre, les peuples entiers peuvent ne plus obéir qu’à la voix des passions, au service desquelles sont mis tous leurs intérêts. Et, assurément, cet enthousiasme dépourvu de calcul qu’on pouvait déjà voir, par exemple, à l’œuvre dans l’eschatologie des mouvements millénaristes, loin de rappeler la froide manie des pervers ou l’inertie dépressive des abouliques, montre avec éclat la force révolutionnaire inhérente à la passion.

La passion, comme telle, s’avère, certes, «inutile», pour reprendre le mot sartrien, puisque totalement contingente, dans le délaissement d’où elle surgit. Et si elle doit conduire à s’approprier dans la méfiance ce soi qui est toujours à distance de soi, on constate qu’elle tend à s’aliéner dans un objet qu’elle érige en rempart de son angoisse, pour mieux affirmer sa tragique dépendance.

Solution provisoire au conflit entre pulsion de vie et pulsion de mort, elle porte à l’absolu l’inquiétude humaine en quête d’un objet qui puisse lui assurer ses limites. Fuite en avant, elle ne cesse de prêter existence à l’absent.

Aussi est-elle capable de transfigurer le monde, dessinant un «horizon» où l’homme est susceptible de se développer. Processus de défense contre l’angoisse, elle est en même temps puissance d’oubli et force d’ancrage sur cette terre. Car, si la passion s’enthousiasme d’elle-même dans le défi qu’elle jette au néant, comment ne pas reconnaître dans le goût de soi et l’amour du destin la source et le point d’appui de l’élan passionnel? Invoquons, dans cette perspective, le contre-témoignage de Dostoïevski: «Je me forgeais des aventures et j’inventais la vie afin de vivre n’importe comment [...]. Je m’efforçais de tomber amoureux. Je souffrais, je vous l’assure. Au fond de l’âme, je ne croyais pas souffrir , j’étais prêt à railler [...]. Et tout cela, par ennui, messieurs, par ennui. L’inertie m’accablait.» La conscience dépassionnée apparaît ici comme ce qui se refuse de croire à l’être, à l’immédiat, au possible, si bien que l’on tente de se distraire par une vie imaginaire, discréditée d’avance comme seulement imaginaire .

Or qu’est-ce que la passion sinon la soif de passion, par laquelle toute frontière entre l’imaginaire et le réel se veut supprimée? Que la passion ne réfléchisse plus sur sa propre absence de fondement, aussitôt paraîtra la profonde injustice qui la constitue, aveugle à tous les dangers, sourde à tous les avertissements. Mais, si elle illimite alors la capacité de souffrance, si elle libère cette énergie qui consiste dans l’assomption de son propre désir, n’est-ce point parce que le courage en constitue le ressort? N’est-ce point que la passion se hausse à la vertu? Sans doute cette perspective reste-t-elle bien éloignée des moralistes qui refuseront toujours de confondre, sinon le sublime et le pathétique, du moins le bon et le passionnel; reste que la passion nous semble à bien des égards l’indice en chaque sujet d’une exigence qui le définit et le coefficient, pourrait-on dire, de son humanité.

passion [ pasjɔ̃ ] n. f.
passiun « passion du Christ » 980; lat. imp. passio « souffrance » pâtir
1Vx Souffrance. « Bernard Palissy souffrait la passion des chercheurs de secrets » (Balzac). Souffrir mort et passion.
Mod. Les souffrances et le supplice du Christ (cf. Chemin de la croix). Liturg. Semaine de la Passion, qui précède la semaine sainte. — Fruit de la passion : fruit exotique, produit par la passiflore, au parfum acidulé. ⇒ grenadille, maracuja. Sorbet aux fruits de la passion. Arbre de la passion : passiflore; fleur de la passion, sa fleur. — Mus. Oratorio ayant pour sujet la Passion. « La Passion selon saint Jean, saint Matthieu », de Bach.
2Vx Tout état ou phénomène affectif. émotion, sentiment. « Traité des passions de l'âme », de Descartes (1649). « La nature, qui n'est pas sensible, n'est pas susceptible de passions » (Pascal).
3(1572) Surtout plur. État affectif et intellectuel assez puissant pour dominer la vie de l'esprit, par l'intensité de ses effets, ou par la permanence de son action. Obéir, résister à ses passions, à sa passion. Maîtriser, dompter, vaincre ses passions. « On déclame sans fin contre les passions; on leur impute toutes les peines de l'homme, et l'on oublie qu'elles sont aussi la source de tous ses plaisirs » (Diderot ). « il n'y a réellement que les grandes passions qui puissent enfanter les grands hommes » (Helvétius). Il n'y a pas de passion. Collect. Aveuglement de la passion. « Je ne sus jamais écrire que par passion » (Rousseau).
4Spécialt L'amour, quand il apparaît comme un sentiment puissant et obsédant. adoration, amour. Déclarer, avouer, témoigner sa passion. flamme. L'amour-passion. Passion subite. emballement (cf. Coup de foudre). Une folle passion. Les transports, les égarements de la passion. « Une passion exclusive, une de ces passions d'hommes qui n'ont pas eu de jeunesse. Il aimait Nana avec un besoin de la savoir à lui seul » (Zola). « malgré sa passion pour moi, au fond, elle ne pensait qu'à elle » (Queneau et H. Mills, « Monsieur Ripois », film).
5Vive inclination vers un objet que l'on poursuit, auquel on s'attache de toutes ses forces. La passion du jeu, de la liberté, du pouvoir; de voyager. Sa passion pour l'opéra.
Objet d'une telle inclination. « La peinture, au siècle de Jules II et de Léon X, n'était pas un métier comme aujourd'hui; c'était une religion pour les artistes, une passion pour les femmes » (Musset). « Je t'adore, ô ma frivole, Ma terrible passion » (Baudelaire) . Tout sacrifier pour sa passion. C'est sa passion. faible.
6Affectivité violente qui nuit au jugement. « Aborder sereinement les grands problèmes moraux et philosophiques de la science, les résoudre sans passion » (Duhamel). Déchaîner les passions.
Opinion irraisonnée, affective et violente. Céder aux passions politiques, religieuses, nationales. fanatisme. Les passions et les préjugés.
7La passion : ce qui, de la sensibilité, de l'enthousiasme de l'artiste, passe dans l'œuvre. ⇒ chaleur, émotion, 1. feu, flamme, lyrisme, pathétique, sensibilité, vie. Œuvre, page pleine de passion.
8Expression d'un état affectif d'une grande puissance. Parler avec passion. ardeur, emportement, enthousiasme, 1. fougue, véhémence. Il fait tout avec passion.
⊗ CONTR. 1. Calme, détachement; lucidité. Raison.

passion nom féminin (bas latin passio, -onis) Littéraire. État affectif intense et irraisonné qui domine quelqu'un (surtout pluriel) : Vaincre ses passions. Mouvement affectif très vif qui s'empare de quelqu'un en lui faisant prendre parti violemment pour ou contre quelque chose, quelqu'un : Juger sans passion. Amour considéré comme une inclination irrésistible et violente : Un film où la passion est dominante. Penchant vif et persistant : Avoir, être pris par la passion du jeu. Ce qui est l'objet de ce penchant : L'histoire, c'est sa passion. Dans la philosophie scolastique et classique, ce qui est subi par quelqu'un ou quelque chose, ce à quoi il est lié ou par quoi il est asservi, par opposition à l'action. Récit hagiographique des épreuves des martyrs, dont on faisait lecture au service liturgique à l'anniversaire de leur mort. Composition musicale inspirée par la passion du Christ. Au XVe s., mystère représentant la passion de Jésus-Christ. ● passion (citations) nom féminin (bas latin passio, -onis) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Ce sont les passions et non les intérêts qui mènent le monde. Mars ou la Guerre jugée Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Toutes les passions, comme le nom l'indique, viennent de ce que l'on subit au lieu de gouverner. Minerve ou De la sagesse Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Nous respectons la raison, mais nous aimons nos passions. Propos Gallimard Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 Il en est des passions nobles comme des vices : plus elles se satisfont, plus elles s'accroissent. Les Marana Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 Un enfant est un grand politique dont on se rend maître comme du grand politique… par ses passions. Mémoires de deux jeunes mariées Jules Amédée Barbey d'Aurevilly Saint-Sauveur-le-Vicomte 1808-Paris 1889 […] Les passions tendent toujours à diminuer, tandis que l'ennui tend toujours à s'accroître. Une vieille maîtresse Pierre Bayle Le Carla 1647-Rotterdam 1706 La raison ne peut tenir contre le tempérament, elle se laisse mener en triomphe ou en qualité de captive, ou en qualité de flatteuse. Réponse aux questions d'un provincial Georges Bernanos Paris 1888-Neuilly-sur-Seine 1948 C'est une grande duperie de croire que l'homme moyen n'est susceptible que de passions moyennes. Les Grands Cimetières sous la lune Plon Prosper Jolyot de Crais-Billon, dit Crébillon fils Paris 1707-Paris 1777 […] Ce qu'on croit la dernière fantaisie d'une femme est bien souvent sa première passion. Les Égarements du cœur et de l'esprit Prosper Jolyot de Crais-Billon, dit Crébillon fils Paris 1707-Paris 1777 Une femme, quand elle est jeune, est plus sensible au plaisir d'inspirer des passions, qu'à celui d'en prendre. Les Égarements du cœur et de l'esprit René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Je ne suis point d'opinion […] qu'on doive s'exempter d'avoir des passions ; il suffit qu'on les rende sujettes à la raison, et lorsqu'on les a ainsi apprivoisées, elles sont quelquefois d'autant plus utiles qu'elles penchent plus vers l'excès. Correspondance, à Élisabeth, 1er septembre 1645 René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 La philosophie que je cultive n'est pas si barbare ni si farouche qu'elle rejette l'usage des passions ; au contraire, c'est en lui seul que je mets toute la douceur et la félicité de cette vie. Correspondance, à l'abbé Picot, 28 février 1648 René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Les hommes [que les passions] peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie. Les Passions de l'âme René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Nous voyons [… que les passions] sont toutes bonnes de leur nature, et que nous n'avons rien à éviter que leurs mauvais usages ou leurs excès. Les Passions de l'âme Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 Les passions détruisent plus de préjugés que la philosophie. Discours sur la poésie dramatique Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 Il n'y a que les passions et les grandes passions, qui puissent élever l'âme aux grandes choses. Pensées philosophiques Charles Fourier Besançon 1772-Paris 1837 Ma théorie se borne à utiliser les passions réprouvées telles que la nature les donne, et sans y rien changer. Théorie de l'unité universelle Joseph Arthur, comte de Gobineau Ville-d'Avray 1816-Turin 1882 La beauté est belle ; la passion, l'amour absolu sont plus beaux et plus adorables. Nouvelles asiatiques Gabriel Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues Bordeaux 1628-Istanbul 1685 J'ai éprouvé que vous m'étiez moins cher que ma passion. Lettres de la religieuse portugaise Claude Adrien Helvétius Paris 1715-Paris 1771 Rien n'est plus dangereux que les passions dont la raison conduit l'emportement. Notes, maximes et pensées Joseph Joubert Montignac, Corrèze, 1754-Villeneuve-sur-Yonne 1824 Les passions des jeunes gens sont des vices dans la vieillesse. Pensées Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de La Fayette Paris 1634-Paris 1693 Les passions peuvent me conduire, mais elles ne sauraient m'aveugler. La Princesse de Clèves Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de La Fayette Paris 1634-Paris 1693 Il n'y a de passions que celles qui nous frappent d'abord et nous surprennent ; les autres ne sont que des liaisons où nous portons volontairement notre cœur. Les véritables inclinations nous l'arrachent malgré nous. Zaïde François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 L'absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Si nous résistons à nos passions, c'est plus par leur faiblesse que par notre force. Maximes Marguerite Hessein, Mme de La Sablière Paris 1636-Paris 1693 Il est difficile de vaincre ses passions, et impossible de les satisfaire. Pensées chrétiennes Isidore Ducasse, dit le comte de Lautréamont Montevideo 1846-Paris 1870 Le roman est un genre faux, parce qu'il décrit les passions pour elles-mêmes : la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'est rien ; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Poésies, I Julie de Lespinasse Lyon 1732-Paris 1776 Il n'y a que le malheur qui soit vieux ; il n'y a que la passion qui soit raisonnable. Lettres, à M. de Guibert Guy de Maupassant château de Miromesnil, Tourville-sur-Arques, 1850-Paris 1893 De toutes les passions, la seule vraiment respectable me paraît être la gourmandise. Amoureux et primeurs, in le Gaulois Henry Millon de Montherlant Paris 1895-Paris 1972 Académie française, 1960 Tout ce qui n'est pas passion est sur un fond d'ennui. Aux fontaines du désir Gallimard Napoléon Ier, empereur des Français Ajaccio 1769-Sainte-Hélène 1821 Presque jamais l'homme n'agit par acte naturel de son caractère, mais par une passion secrète du moment, réfugiée, cachée dans les derniers replis du cœur. Cité par Las Cases dans le Mémorial de Sainte-Hélène Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Ce sont nos passions qui esquissent nos livres, le repos d'intervalle qui les écrit. À la recherche du temps perdu, le Temps retrouvé Gallimard Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz Montmirail 1613-Paris 1679 Les effets de la faiblesse sont inconcevables, et je maintiens qu'ils sont plus prodigieux que ceux des passions les plus violentes. Mémoires Jean-Jacques Rousseau Genève 1712-Ermenonville, 1778 Nos passions sont les principaux instruments de notre conservation. Émile ou De l'éducation François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Qui veut détruire les passions, au lieu de les régler, veut faire l'ange. Lettres philosophiques, XXV Marguerite de Crayencour, dite Marguerite Yourcenar Bruxelles 1903-Mount Desert Island, Maine [É.-U.], 1987 La passion comblée a son innocence, presque aussi fragile que toute autre. Mémoires d'Hadrien Plon Friedrich Nietzsche Röcken, près de Lützen, 1844-Weimar 1900 La musique offre aux passions le moyen de jouir d'elles-mêmes. Vermöge der Musik genießen sich die Leidenschaften selbst. Le Gai Savoir passion (difficultés) nom féminin (bas latin passio, -onis) Orthographe Avec ou sans majuscule selon le sens. 1. Une passion (avec p minuscule) = un sentiment d'attachement puissant et exclusif. Les dérivés de passion prennent deux n : passionné, passionnel, etc. 2. La Passion (avec p majuscule) : l'ensemble des évènements de la vie de Jésus, de son arrestation à sa mort. ● passion (expressions) nom féminin (bas latin passio, -onis) La passion du Christ, ou la Passion, les derniers jours de la vie de Jésus, de son arrestation, le jeudi 13/14 nisan, à sa mort, le vendredi 14/15 nisan. Dimanche de la Passion, autrefois dimanche précédant le dimanche des Rameaux. (Depuis la réforme de 1969, le nom est accolé à celui des Rameaux : dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur.) Fleur ou arbre de la Passion, nom usuel des passiflores. Fruit de la Passion, nom usuel de la grenadille. Office de la Passion, célébration liturgique qui commémore la Passion le vendredi saint. Temps de la Passion, les deux semaines qui précèdent Pâques. ● passion (homonymes) nom féminin (bas latin passio, -onis) passions forme conjuguée du verbe passerpassion (synonymes) nom féminin (bas latin passio, -onis) Littéraire. État affectif intense et irraisonné qui domine quelqu'un (surtout pluriel)
Synonymes :
- appétit
- désir
- tentation
Mouvement affectif très vif qui s'empare de quelqu'un en lui...
Synonymes :
- fanatisme
- parti pris
- préjugé
Contraires :
- détachement
Amour considéré comme une inclination irrésistible et violente
Synonymes :
- adoration
- feu
- flamme (littéraire)
- idolâtrie
Penchant vif et persistant
Synonymes :
- amour
- culte
- emballement
- engouement
- goût
- maladie (familier)
- marotte (familier)
- rage
- toquade (familier)
Ce qui est l'objet de ce penchant
Synonymes :
- folie
- péché mignon (familier)

passion
n. f.
d1./d (Le plus souvent au Plur.) Mouvement violent de l'âme résultant d'un désir intense, d'un penchant irrésistible. être esclave de ses passions.
d2./d Affection très vive, presque irrésistible qu'on éprouve pour une chose. La passion du jeu.
Objet de cette affection. Sa passion, c'est la musique.
d3./d Amour ardent. Aimer qqn avec passion.
d4./d Prévention exclusive, opinion irraisonnée, où l'affectivité perturbe le jugement et la conduite. Le déchaînement des passions politiques.
d5./d (Avec une majuscule.) La Passion: les souffrances du Christ sur le chemin de la Croix et son supplice. La Passion selon saint Jean.
|| Fruit de la Passion: fruit de la passiflore. Syn. grenadille, maracuja, (Antilles fr., Guyane, Haïti, Réunion) barbadine, (Madag.) grenadelle, (Haïti) grenadia et grenadine.

⇒PASSION, subst. fém.
A. —[Avec une idée de durée de la souffrance ou de succession de souffrances] Action de souffrir; résultat de cette action.
1. HIST. RELIG. CHRÉT.
a) Au sing. [Gén. avec une majuscule] Souffrances, supplices qui précédèrent et accompagnèrent la mort de Jésus-Christ. La Passion; la Passion du Christ, du Sauveur, du Seigneur; le Mystère de la Passion; le récit de la Passion. Tous les vendredis, en mémoire de la Passion douloureuse de Notre Seigneur, et pendant le Carême tous les jours, elle se faisait donner en secret la discipline avec sévérité (MONTALEMBERT, Ste Élisabeth, 1836, p.46). Quand Jésus commençait sa longue passion, Le crachat qu'un bourreau lança sur son front blême Fit au ciel à l'instant même Une constellation! (HUGO, Châtim., 1853, p.226). Au moment de la Passion tous les apôtres abandonnèrent le Christ (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p.225).
P. anal. Supplices subis par les martyrs. La Passion de Saint Sébastien (Ac.).
LITURGIE
Dimanche de la Passion. Deuxième dimanche avant Pâques. En avril 1919 (...) ce devait être entre le dimanche de la Passion et celui de Pâques (GREEN, Journal, 1941, p.84).
Jour de la Passion. Jour anniversaire de la Passion du Christ. Le 12 avril 1261, jour de la Passion (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p.226).
Semaine de la Passion. ,,La semaine sainte consacrée au souvenir des souffrances et de la mort du Sauveur`` (MARCEL 1938).
b) Absol. [Gén. avec une majuscule]
) Récit évangélique, cérémonie liturgique ayant pour thème la Passion. La Passion selon saint Jean, saint Luc, saint Matthieu. La Passion selon S. Marc (...). L'agencement du récit semble comporter, après une introduction (...), deux parties: la passion secrète (...) et la passion intérieure décrivant l'abandonnement réalisé progressivement (...). La seconde partie, ou passion physique (...), présente successivement le jugement (...) par les Juifs qui condamnent Jésus comme Messie, par Pilate qui le condamne comme Roi des Juifs, puis l'exécution du jugement (...), crucifixion, mort, sépulture (Bible Suppl. t.6 1960, p.1474). V. agonisant ex. 33.
) Spécialement
Sermon sur les souffrances de Jésus-Christ que l'on prêche durant la semaine sainte. Il a prêché la Passion (Ac. 1935). J'ai entendu la Passion de tel prédicateur (Ac. 1935). Bourdaloue a composé plusieurs Passions (Ac. 1935).
THÉÂTRE MÉDIÉV. Mystère du Moyen Âge dont le sujet traite la passion du Christ. Jouer une Passion (Lar. encyclop.).
Confrérie, confrères de la Passion. (Association de) jeunes clercs qui, sous Charles VI et jusqu'à la fin du XVIIes., avaient le monopole de ces représentations et qui, au XVIIes., étaient devenus une association détenant des privilèges sur le théâtre à Paris. Le privilège exclusif des confrères de la Passion ne s'étendait qu'aux Mystères (SAINTE-BEUVE, Tabl. poés. fr., 1828, p.177). À l'Hôtel de Bourgogne (...) Valleran Le Conte doit sous-louer le produit des loges et de l'amphithéâtre; en février 1612, il joue avec la troupe italienne de Jean-Paul Alfieri et les Confrères de la Passion saisissent la recette (G. MONGRÉDIEN, J. ROBERT, Les Comédiens fr. du XVIIes., Paris, éd. du C.N.R.S., 1981, p.198).
(Théâtre de) la Passion. Troupe théâtrale qui, de nos jours, joue des pièces à caractère religieux, en particulier la Passion de Jésus-Christ. Le Théâtre de la Passion de Nancy vient de perdre l'un des siens (...). Camille Kleinclauss (...) a fait ses débuts sur la scène de la Passion (...) dans les bras de sa mère, lors de la scène de l'entrée du Christ à Jérusalem. Il (...) participa, comme comédien, à tous les spectacles du Théâtre de la Passion d'avant et après la Seconde Guerre mondiale (L'Est Républicain, 8 mai 1985, p.2).
MUS. Version musicale de la Passion du Christ, inspirée du texte des Évangiles. Êtes-vous allé (...) à la grand'messe? (...) Vous eussiez entendu chanter l'admirable Passion de saint Mathieu (VALÉRY, Corresp. [avec Gide], 1891, p.72). Les grandes Passions (...) composées depuis le XVIIIes. par les maîtres protestants allemands, et surtout les chefs-d'oeuvre de Bach, Passion selon saint Jean et Passion selon saint Mathieu, tiennent un rang intermédiaire entre l'ancienne Passion liturgique et l'oratorio moderne, qui a pour texte, au lieu des versets de l'Évangile, un poème plus ou moins analogue au plan et au style de l'opéra (BRENET Mus. 1926, p.313).
PEINT. ,,Suite de toiles représentant la passion du Christ`` (HUGUES, Expr. atelier, s.d.).
) [Dans des syntagmes]
BLASON
Croix de la Passion. ,,Croix dont la barre est placée vers le haut comme celle où Jésus fut attaché`` (Ac. Compl. 1842).
Clous de la Passion. Clous de forme particulière, évoquant ceux utilisés pour la crucifixion du Christ. Les Machiavelli de Florence portaient d'argent à la croix d'azur anglée de quatre clous de la passion (Ac. Compl. 1842).
BOT. Fleur de la passion. Synon. de grenadille, passiflore, passionnaire. En ce temps-là j'étais crédule Un mot m'était promission Et je prenais les campanules Pour les fleurs de la passion (ARAGON, Rom. inach., 1956, p.153). V. passionnaire B ex. de Bouillet.
Fruit de la passion. Fruit de cette plante. Sorbet aux fruits de la passion. Les marchands d'arôme (...) s'orientent vers les fruits exotiques. Des yaourts aux fruits de la passion sont apparus. Le marché est assez lent à réagir (Le Monde dimanche, 26 juill. 1981, p.XIV).
2. Vx ou littér. [Le plus souvent dans un cont. métaph., p.allus. à la Passion du Christ; gén. avec une majuscule] Ce qui est subi, supporté de très pénible; grande souffrance (généralement corporelle), tourment. Que dire de ces villageois qui suspendent une oie vivante pour la décoller de loin au tranchant du bâton? Leur maladresse prolonge son martyre, et ils s'amusent pendant plus de deux heures, de la Passion de cette pauvre bête (MERCIER Néol. 1801). Jésus-Christ n'eût pas fondé une croyance s'il n'avait eu ses quarante jours de passion... Or, ma passion à moi..., ma croix, c'est Sainte-Hélène (DUMAS père, Napoléon, 1831, VI, 4, p.151):
1. Mais n'appartient-il pas à toute mère de souffrir, et, depuis Celle dont nous adorons le fruit ineffable, n'y-a-t-il pas quelque adoucissement pour les autres à faire comparaison de leurs douleurs, malgré tout bornées, avec toute cette Passion dont Elle fut crucifiée dans son amour?
TOULET, Tendres mén., 1904, p.162.
Loc. fig., fam. Souffrir mort et passion. Éprouver de très vives souffrances, être torturé par quelque chose. Il hésitait à chaque moment dans son discours: je souffrais mort et passion de l'entendre, à l'entendre (Ac.). Dans la torture de cette vie, où elle souffrait mort et passion, Germinie (...) était revenue au verre qu'elle avait pris un matin des mains d'Adèle et qui lui avait donné toute une journée d'oubli (GONCOURT, G. Lacerteux, 1864, p.153).
PATHOL., rare. Nom de plusieurs maladies très douloureuses.
Passion (hystérique). Synon. affection hystérique (v. affection2 I C). La passion ou affection hystérique, à laquelle on donne souvent le nom de vapeurs, et qui fait le tourment de bien des femmes, (...) a beaucoup de rapport avec l'affection mélancolique et hypocondriaque, à laquelle les hommes sont plus sujets (GEOFFROY, Méd. prat., 1800, p.490).
Passion iliaque. Synon. colique de miserere (v. ce mot B). La passion iliaque consiste dans une irritation spasmodique de l'intestin, annoncée par une constipation opiniâtre et des vomissements de matières fécales qui se trouvent entraînées par un effet de la perturbation du mouvement péristaltique (Encyclop. méthod. Méd. t.11 1824).
B.Vx. [P. oppos. à action volontaire]
1. HIST. PHILOS., PHYSIOL.
a) ,,Chez Aristote, celle des dix catégories (gr. pathos) qui désigne l'accident consistant à subir une action`` (MORF. Philos. 1980). Un corps en repos ne nous fournit aucune idée d'une puissance active capable de produire du mouvement; et quand le corps lui-même est en mouvement, ce mouvement est dans le corps une passion plutôt qu'une action (COUSIN, Hist. philos. mod., t.3, 1847, p.161). Le couple action-passion, effort-résistance, ne commande pas exclusivement ni même essentiellement mon rapport au monde (RICOEUR, Philos. volonté, 1949, p.316):
2. ... les passivités (...) forment la moitié de l'existence humaine. Cette expression veut dire, tout naïvement, que ce qui n'est pas agi, en nous, est par définition, subi. Mais elle ne préjuge en rien des proportions suivant lesquelles action et passion se divisent notre domaine intérieur. En fait, les deux parts, active et passive, de nos vies sont extraordinairement inégales.
TEILHARD DE CH., Milieu divin, 1955, p.72.
b) ,,Chez les cartésiens, elliptiqt (pour: passions de l'âme): tous les états de l'âme résultant des impressions produites par les esprits animaux; ou même (Descartes) tous ceux qui ne se rattachent pas à la volonté`` (FOULQ.-ST-JEAN 1962); p.ext., ,,tous les mouvements de la sensibilité en général`` (FRANCK 1875). Synon. émotion. [Descartes] substitue à ces trois facultés [la concupiscible, l'irascible et la raisonnable] six passions primitives, qui sont l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse (BERN.-DE ST-P., Harm. nat., 1814, p.266). Descartes (...) dans son Traité des passions (...) a fait voir que la passion, quoiqu'elle soit toute dans un état de nos pensées, dépend néanmoins des mouvements qui se font dans notre corps; c'est par le mouvement du sang, et par la course d'on ne sait quel fluide qui voyage dans les nerfs et le cerveau, que les mêmes idées nous reviennent (ALAIN, Propos, 1911, p.112):
3. ... des trente-huit «passions» qu'étudie Descartes [dans le Traité des passions], la plupart concernent des conduites interpersonnelles (...). Ce sont des «inclinations» à l'action, qui sont d'abord données, «reçues en l'âme»; la notion est très voisine de celle d'attitude au sens large. Les passions de Descartes sont donc orientées vers quelque chose, vers des «objets»...
Traité sociol., 1968, p.341.
2. GRAMM. Rôle du sujet qui reçoit l'action. Le passif marque la passion du sujet (Ac.). [Le participe] est toujours l'expression de la qualité du sujet qui est, soit dans le présent, soit dans le passé. Il n'y a là ni action, ni passion; c'est toujours un état, et le même état, dans des époques différentes (DESTUTT DE TR., Idéol. 2, 1803, p.95).
C. —[Avec une idée de démesure, d'exagération, d'intensité]
1. Domaine de l'esprit et des sentiments. Tendance d'origine affective caractérisée par son intensité et par l'intérêt exclusif et impérieux porté à un seul objet entraînant la diminution ou la perte du sens moral, de l'esprit critique et pouvant provoquer une rupture de l'équilibre psychique. La clinique ne connaît pas d'avares qui «guérissent»; leur passion se renforce d'un culte intolérant qui les rend agressifs pour tous ceux qui semblent le contester peu ou prou (MOUNIER, Traité caract., 1946, p.536). V. amour ex. 1, 112:
4. ... son avarice s'était accrue comme s'accroissent toutes les passions persistantes de l'homme. Suivant une observation faite sur les avares, sur les ambitieux, sur tous les gens dont la vie a été consacrée à une idée dominante, son sentiment avait affectionné plus particulièrement un symbole de sa passion. La vue de l'or, la possession de l'or était devenue sa monomanie.
BALZAC, E. Grandet, 1834, p.212.
SYNT. Passion aveugle, déchaînée, dévorante, effrénée, égoïste, exclusive, fébrile, furieuse, généreuse, impétueuse, véhémente, violente; passions humaines; passions mauvaises; folle, grande, noble, vive passion; ardeur, assaut, asservissement, choc, conflit, entraînement, fièvre, fureur, ravage, tumulte, violence de la/des passion(s); la passion aveugle, naît, s'assoupit, se calme, se réveille; assouvir, calmer, contenir, dominer, faire taire, maîtriser, modérer, réfréner, réprimer, retenir, satisfaire, suivre, vaincre sa/ses passion(s); commander, être exposé, imposer silence, lâcher la bride/les rênes, obéir, résister, se laisser aller à ses passions/aux passions; assouvir, dominer, éprouver, éveiller une/des passions; lutter contre une/des passion(s); être l'esclave de ses passions.
Passion dominante. Passion qui exerce le principal empire sur une personne. La passion dominante s'y fait aisément reconnaître [chez le malade]: l'avare tient sur ses trésors enfouis les propos les plus indiscrets; tel autre meurt assiégé de religieuses terreurs (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p.255). V. dominant ex. de About.
Passion de/pour + subst. Je n'ai eu qu'une passion dans ma vie, c'est la passion des femmes. Mais autant j'étais passionné, autant j'étais difficile dans mes choix (JANIN, Âne mort, 1829, p.115). J'étais jalouse de la place qu'elle [ma mère] occupait dans le coeur de mon père car ma passion pour lui n'avait fait que grandir (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p.108).
En partic. [Avec une valeur laud., la passion comme source de volonté] Tendance dominante qui, contrôlée par la raison, sert de moteur à l'action, permet la réalisation de grandes entreprises. Nous verrons avec quelle passion brûlante Gandhi ne cesse de combattre cette iniquité sociale [la question des parias] (ROLLAND, Gandhi, 1923, p.42):
5. ... pour faire la guerre, il fallait être rempli d'un amour, d'une passion véhémente, il fallait être exalté par une ivresse, sans quoi elle restait inhumaine et absurde. Quelle était donc la passion si forte qu'elle pouvait ainsi soulever, entraîner l'homme? Était-ce un idéal de justice, de beauté, de fraternité?
ROY, Bonheur occas., 1945, p.387.
♦[Le plus souvent avec un compl. déterminatif] Passion de + subst. ou verbe à l'inf. Passion du bien, de la justice, de la liberté, de la vérité. Des hommes intrépides, guidés par (...) la passion des découvertes, avaient reculé pour l'Europe les bornes de l'univers (CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p.121). La passion de savoir qui anime un autodidacte, dans son travail solitaire (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p.88).
(Faire qqc.) avec passion. (Faire quelque chose) avec une extrême ardeur, avec exaltation (généralement avec idée de persistance). Ah! si tu lis dans mon coeur, tu sais combien il désire la vérité; tu sais qu'il la recherche avec passion (VOLNEY, Ruines, 1791, p.24).
2. En partic., domaine des sentiments
a) Amour violent et exclusif inspiré par une personne et dégénérant parfois en obsession. Synon. adoration, ardeur (poét.), feu (poét.), flamme (poét.), idolâtrie. Ô mon Dieu! (...) tu retireras de mon coeur le trouble et l'orage de la passion qui me tourmente, comme tu retires d'un mot la tempête qui a soulevé la mer (KRÜDENER, Valérie, 1803, p.175). Sévères jusqu'à la cruauté pour les jeunes filles qui ont succombé à la passion, nous sommes d'une indulgence plus que plénière pour les jeunes garçons qui font la même chose (LE DANTEC, Savoir! 1920, p.71). V. amour ex. 116, 129, exalter ex. 3:
6. ... est-ce une passion? est-ce l'amour? L'amour n'existant pas sans la connaissance intime des plaisirs qui le perpétuent. La duchesse était donc sous le joug d'une passion; aussi en éprouva-t-elle les dévorantes agitations, les involontaires calculs, les desséchants désirs, enfin tout ce qu'exprime le mot passion [it. ds le texte]: elle souffrit.
BALZAC, Langeais, 1834, p.308.
SYNT. Passion éteinte, refroidie, morte; aveuglement, bouillonnement, brasier, embrasement, feu, orage, ouragan de la/des passion(s); la passion brûle, consume, couve, dévore; allumer, attiser, éteindre la/les passion(s); rallumer sa/ses passion(s). V. aussi supra syntagmes C 1.
L'amour-passion. Variété la plus intense de l'amour. [M. de Meilhan] a dit encore en parlant des femmes et de l'amour-passion (car l'expression est de lui), et en convenant qu'il ne l'avait jamais éprouvé: «En France, les grandes passions sont aussi rares que les grands hommes» (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t.10, 1854, p.106). V. amour ex. 126.
Locutions
Aimer (qqn) de passion (vx), à la passion, avec passion. Aimer (quelqu'un) intensément, violemment, de façon exclusive. Trop fière pour confier son malheur à personne et trop honnête pour tromper aucun homme, elle a rompu avec M. de La Marche, qu'elle aimait à la passion, et qui l'aimait de même (SAND, Mauprat, 1837, p.329). Non, elle [Mme Récamier] n'a jamais aimé, aimé de passion et de flamme (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t.1, 1849, p.125).
Faire une passion. Inspirer un grand amour. Je fais une passion à mon tour (...) et j'épouse (DUMAS père, Demois. St-Cyr, 1843, I, 2, p.96).
P. méton. Objet de la passion amoureuse:
7. Un jeune homme pauvre peut seul savoir ce qu'une passion coûte en voitures, en gants, en habits, linge, etc. Si l'amour reste un peu trop de temps platonique, il devient ruineux. Vraiment, il y a des Lauzuns de l'école de droit auxquels il est possible d'approcher d'une passion logée à un premier étage.
BALZAC, Peau chagr., 1831, p.120.
b) Absol. Tendance naturelle à éprouver des sentiments d'une intensité peu commune; affectivité, émotion, sentimentalité, sensibilité. Mme Lavenelle est sèche comme un parchemin (...) et surtout sans passion, sans possibilité d'être émue (STENDHAL, Souv. égotisme, 1832, p.48). Leur conseil [des femmes] peut être excellent, mais à condition de le rectifier sans cesse et de l'expurger de cette part de passion et d'émotivité qui, presque toujours, chez la femme, vient sentimentaliser la pensée (GIDE, Journal, 1940, p.61).
c) Domaine de l'expression
) Domaine du comportement physique ou psychique. Expression intense des émotions, des sentiments. Synon. ardeur, chaleur, élan, exaltation, feu, fièvre, transport; anton. calme, détachement, froideur. Parler avec passion. [Outougamiz] saisit la chaîne d'or, la regarde avec passion, la veut jeter dans le torrent, puis la presse contre son coeur et la suspend de nouveau sur sa poitrine (CHATEAUBR., Natchez, 1826, p.388). Les baisers remplis de passion, et tels que jamais elle n'en avait reçu de pareils, lui firent tout à coup oublier que peut-être il aimait une autre femme (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p.66).
) Domaine des arts (litt., mus., peint.). Expression intense des émotions de l'artiste ou de ses personnages. Synon. chaleur, feu, flamme, lyrisme, pathétique, sensibilité. Chanter, danser avec passion; oeuvre, page pleine de passion. Le Conservatoire est graduellement arrivé à une interprétation sans vie et sans passion, froide comme une leçon bien apprise, officielle comme un texte de loi (P. LALO, Mus., 1899, p.346). Les deux préfaces pleines de vie et de passion composées par Lefranc pour le Gargantua et le Pantagruel de la grande édition Champion des OEuvres de Rabelais (L. FEBVRE, Sur Rabelais, [1931] ds Combats, 1953, p.248). Ce mélange unique de talents et de facultés contraires, de passion et de sécheresse, de force créatrice et de pouvoir destructeur, expliquent assez le prestige extraordinaire qui l'entoure [Picasso] (GILLET, Art fr., 1938, p.177).
d) Vieilli. Vif désir, volonté de. Je me souviens de la passion avec laquelle vous désiriez de rentrer dans votre jolie maison de Greenock, et je comprends tout ce que cette espérance frustrée a dû vous laisser de chagrins (NODIER, Fée Miettes, 1831, p.93).
Passion de + subst. ou verbe à l'inf. J'ai une terrible passion de ton retour (STAËL, Lettres div., 1794, p.553). Je suis plus calme aujourd'hui parce qu'elle n'oppose pas un obstacle positif à ma passion de la voir (CONSTANT, Journaux, 1815, p.431).
3. Fam., domaine du corps ou de l'esprit. Asservissement, dépendance à quelque chose; manie tyrannique. La passion de l'alcool, du tabac, des courses:
8. ... si l'amour naît de la communion des personnes, la passion ne jaillit au contraire que du contact des choses: tout devient nature, force, animalité. Rien ne marque mieux cette aliénation réciproque que la passion du jeu, en laquelle s'achève toute passion. Nul succès ne dépend plus de moi; je dois tout à la fatalité et à la roulette. J'obéis.
J. VUILLEMIN, Essai signif. mort, 1949, p.215.
D.P. ext. [Sens affaibli] Très vive attirance, goût extrême, penchant très vif et persistant pour quelque chose ou quelqu'un, pour un type d'activité, un domaine de la recherche, de l'art, etc. Synon. amour, emballement, engouement, enthousiasme, folie, marotte (fam.); anton. aversion, haine, horreur, indifférence. Se livrer à sa passion. Rilke écrit à Benvenuta (...): (...) je fus repris à l'improviste par cette vieille passion [le piano]. Il faut que tu le saches: ce fut sans doute la plus grande passion de mon enfance et aussi mon premier contact avec la musique (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p.76).
[Le plus souvent avec un compl. déterminatif]
Passion de/pour + subst. La passion de l'automobile, des chevaux, des études, des femmes, des mathématiques, de la musique, des papillons, d'un pays. La passion de la botanique, que J. J. Rousseau eut l'avantage de développer en elles (JOUY, Hermite, t.3, 1813, p.181). L'impératrice Joséphine a manifesté un goût prononcé, voire une passion, pour l'orfèvrerie (GRANDJEAN, Orfèvr. XIXes., 1962, p.12).
Passion de + verbe à l'inf. La passion de voyager. [Jean Martin] a comme bien des Français la passion de connaître (LEPRINCE-RINGUET, Atomes et hommes, 1957, p.78).
Locutions
Aimer à la passion (qqc.). Aimer extrêmement, à la folie. Des pastilles que M. De C. m'a rapportées de Constantinople; j'aime cette odeur à la passion (JOUY, Hermite, t.2, 1812, p.37). Cet homme est fou de la danse, je m'ennuie à voir danser; il ne peut souffrir la comédie, j'aime la comédie à la passion (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1950, p.266).
(Faire qqc.) avec/sans passion. (Faire quelque chose) avec, sans grand enthousiasme, grand intérêt. Étudier, faire, préparer (qqc.) avec/sans passion; pratiquer l'équitation, la chasse avec passion. Cette Histoire socialiste [de Jaurès] que nos vingt ans dévorèrent avec passion (L. FEBVRE, A. Mathiez, [1932] ds Combats, 1953, p.345).
Avoir la passion de, avoir une passion pour. Avoir un intérêt, un goût extrême pour. Avoir une passion pour le sport. Mon père, né dans les états de Gérold, avoit la passion des voyages (GENLIS, Chev. Cygne, t.2, 1795, p.183).
Avoir de la passion. [En parlant d'une chose] Présenter beaucoup d'intérêt pour. On peut concevoir (...) qu'on «mise», à quelque jeu de hasard que ce soit, par exemple à la roulette (...), des enjeux tout à fait symboliques, des «haricots» par exemple. Mais pour que le jeu ait quelque passion il faut que ces légumes soient investis (...) d'une autre valeur qu'alimentaire (Jeux et sports, 1967, p.448).
Prendre en passion (qqc./qqn) (vieilli). S'intéresser vivement à; être enthousiasmé, emballé par. Prendre en passion son élève. J'ai vu des officiers prendre cette existence [la vie militaire] en passion au point de ne pouvoir la quitter quelque temps sans ennui (VIGNY, Serv. et grand. milit., 1835, p.69).
Se prendre de passion pour (qqc./qqn). Ce jour, mardi, excellente musique le soir, de la princesse et de Batta. Je me prends de passion pour ce dernier (DELACROIX, Journal, 1854, p.188).
Tenir en passion (qqn). [En parlant d'un événement] Intéresser vivement (quelqu'un). Synon. tenir en haleine. Pas de nouvelles! —Mais un miracle, un prodige Qui tient depuis deux mois Paris en passion! (HUGO, Marion Del., 1831, p.196).
P. méton. Objet de ce goût extrême, de ce penchant. [Le Comte Strogonof] était grand protecteur des arts (...) Son tic, sa passion, l'objet principal de ses pensées habituelles était l'église cathédrale de Notre-Dame de Casan (J. DE MAISTRE, Corresp., 1811, p.66). Deux délicieuses ombrelles: l'une en soie rose, à glands d'argent, à manche de nacre, ma passion, mon amour (ÉLUARD, Donner, 1939, p.37). Sa plus forte passion, c'est la chasse (DUPRÉ 1972).
E.Péjoratif
1. Domaine du comportement intellectuel, pol., idéol. [La passion en tant qu'état affectif est caractérisée par l'impulsivité, la non-maîtrise de soi, la violence] Jugement irraisonné qui manque d'objectivité et peut conduire au fanatisme; emportement polémique dû à l'affectivité qui perturbe le jugement et la conduite. Synon. parti(-)pris (v. parti), préjugé, prévention; anton. lucidité, mesure, raison. Xénophon me choque par sa partialité pour Lacédémone. Il parle souvent avec passion de leurs ennemis (MICHELET, Journal, 1820, p.75). J'espère que ce n'est [ta lettre] qu'un de ces premiers mouvements de passion politique qui nous aveuglent pour un moment sur la nature d'une démarche mais qu'avec un peu de réflexion la conscience de l'homme nous fait juger et condamner (LAMART., Corresp., 1831, p.386):
9. Hugo De Groot, ayant éprouvé lui-même la vanité des luttes religieuses, consacra son oeuvre majeure (...), à montrer l'intérêt pour l'humanité de substituer des modes de pensée et d'action rationnels au déchaînement des passions. Continuateur peut-être inconscient des canonistes espagnols, il affirme ainsi, au-dessus des querelles dogmatiques ou dynastiques, l'existence d'une loi naturelle, mais qui (...) dérive des rapports mêmes de sociabilité entre communautés humaines.
CHAZELLE, Diplom., 1962, p.20.
SYNT. Passion confessionnelle, partisane, religieuse, nationale; la passion égare, ne raisonne pas; céder aux passions; discuter, juger, parler avec/sans passion; se dépouiller de toute passion; se laisser aveugler, égarer par la passion; jugements de passion.
2. En partic. Vice, ,,goût très marqué, souvent exclusif pour une composante particulière et considérée comme aberrante de l'activité sexuelle (sadisme, masochisme, fétichisme, sodomie, etc.)`` (CELLARD-REY 1980). [Magnard] emporté, à l'âge dangereux, par une passion charnelle défendue (L. DAUDET, Brév. journ., 1936, p.19).
(Personne) à passions. (Personne) dont le comportement sexuel est marqué par une passion, qui a recours à un vice pour satisfaire sa sexualité. Vous êtes encore trop jeune pour bien connaître Paris, vous saurez plus tard qu'il s'y rencontre ce que nous nommons des hommes à passions (BALZAC, Goriot, 1835, p.58). Arg. Mec à passions (SANDRY-CARR. 1963). Un gars à passions (CAR. Argot 1977).
REM. 1. Passionisme, subst. masc. Attitude consistant à considérer l'amour sous l'aspect de la passion. Le passionisme est peut-être un des traits qui caractérisent le mieux la conception de l'amour depuis huit siècles (J. GUITTON, Essai sur l'amour humain, 1938, p.41 ds RHEIMS 1969). 2. Passionnalité, subst. fém. Caractère de ce qui est soumis à la passion (supra C). Swinburne (...) a cette flamme, ce délire du cerveau et des sens, cette exacerbation de la passionnalité qui est bien la caractéristique de notre fin de siècle (G. MOUREY ds R. indépendante, juin 1889, n° 32, p.376).
Prononc. et Orth.:[], [-]. MART. Comment prononce 1913, p.38: ,,Je ne conseille pas de fermer l'a dans passion``. FOUCHÉ Prononc. 1959, p.85: L'[] ne fait que se survivre dans (...) passion``. MARTINET-WALTER 1973 [a], [] (9/7). Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.I. Action de souffrir A. 2e moitié Xes. «supplice subi par un martyr» (St Léger, éd. J. Linskill, 240); fin Xes. «supplice subi par le Christ pour le rachat de l'humanité» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 12); 1119 «récit du supplice du Christ dans les Évangiles» (PHILIPPE DE THAON, Comput, 2750 ds T.-L.: E ço lisant truvum Enz en la passïun); 1402, 4 déc. art dram. Confrarie de la Passion (Lettre patente de Charles VI ds L. PETIT DE JULLEVILLE, Les Mystères, t.1, p.417; cf. A. THOMAS ds Romania t.21, p.606); 1671, 26 mars «sermon sur le thème de la Passion» (SÉVIGNÉ, Lettres, éd. M. Monmerqué, n° 149, t.2, p.130: ... aller à la Passion du P. Bourdaloue). B. 1er quart XIIes. «souffrance physique» (Lapidaire de Marbode, 401 ds STUDER-EVANS, p.44); 1135 (WACE, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis [ms. A], 680). II. Affection de l'âme A. 1. Déb. XIIIes. passion d'amor (Chastoiement d'un père à son fils, éd. A. Hilka et W. Söderhjelm, version en vers, A, 388: Si se sont bien aveseié: Quant n'i truevent [li mire] mal ne dolor Que ce est passion d'amor); ca 1265 (BRUNET LATIN, Trésor, éd. Fr. J. Carmody, II, XIV, 2, p.183: en l'ame de l'home sont .III. poissances, c'est abit, pooir et passion. Passions sont si come amour, leesce et misericorde; et totes choses de quoi ensieut volenté et moleste sont sous ces choses de passion); 1569 «souffrance torturante provoquée par l'amour» (RONSARD, 7e l. des poèmes; sonnets, II, éd. P. Laumonier, t.15, p.228: ... telle passion De mon amour donne assez tesmoignage); 1572 plur. manifester ses passions a sa dame (DESPERIERS, Nouv. recreat., fol. 290 r° (éd. L. Lacour II, 388) ds GDF. Compl.); 2. début XVIes. passion partizane «parti pris» (D'AUBIGNÉ, Tragiques, Aux lecteurs ds OEuvres, éd. E. Réaume et F. de Caussade, t.4, p.8); 1607 sans passion «sans parti pris» (H. D'URFÉ, L'Astrée, 1re part., IV, éd. H. Vaganay, t.1, p.127); 3. 1621 «vive affection pour quelque chose» ici, la liberté (MALHERBE, trad. XXXIIIe livre de Tite Live, chap.32 ds OEuvres, éd. L. Lalanne, t.1, p.439); 4. 1671 «(en parlant d'une personne) objet d'affection» (E. FLÉCHIER ds Rec. des oraisons funèbres; duc de Montausier, Paris, 1808, p.19); 5. 1674 «chaleur, sensibilité animant une oeuvre littéraire» (BOILEAU, Art poétique, III ds OEuvres, éd. F. Escal, p.169: Que dans tous vos discours la passion émuë Aille chercher le coeur, l'échauffe et le remuë). B. philos. 1370 «fait de subir; impression reçue par le sujet [opposé à action]» (N. ORESME, Ethiques, éd. A. D. Menut, V, 8, fol. 96d, p.289: Car se un a esté navré et l'autre le ait navré... tele accion et tele passion sont divisees par inequalité [note 5:] Il prent ici passion pour souffrance distinguée contre accion; si comme estre batu, estre occis... c'est passion; et faire teles choses, c'est accion); 1558 «conditions (péché, misère, mort...) que l'homme subit de nature» (CALVIN, Bible, Lyon, Michel Du Boys, Actes, XIV, 14: Nous sommes aussi hommes, subjects à mesmes passions que vous); 1649 (DESCARTES, Passions de l'âme, 1re part., art.1 ds OEuvres, éd. A. Bridoux, p.695: tout ce qui se fait ou arrive de nouveau est généralement appelé par les philosophes une passion au regard du sujet auquel il arrive, et une action au regard de celui qui fait qu'il arrive). Empr. au lat. passio, -onis, formé sur le part. passé du verbe pati «souffrir». Son empl. étant attribué une 1re fois par le grammairien Charisius (IVes.) à Varron au sens de «douleur morale», passio est réellement att. dep. le IIes. (Apulée) au sens de «fait de subir, de souffrir, d'éprouver» (empl. au sens de «action de subir de l'extérieur», comme quasi-synon. de «accident» —passio opposé à natura —par AMBROISE, Hexameron, 2, 3, 14 ds BLAISE Lat. chrét.), spéc. «souffrance physique, douleur, maladie» (IIIes., CAELIUS AURELIANUS); empl. pour désigner les souffrances du Christ (textes patristiques, dep. Tertullien), celles des martyrs (TERTULLIEN ds BLAISE Lat. chrét.), le récit des martyres (397, concile de Carthage, ibid.), le dimanche avant Pâques (VIIe s., Sacramentaire de Gélase, ibid.). Passio connaît à partir de la fin du IIIe-déb. IVes. un empl. actif au sens de «mouvement, affection, sentiment de l'âme» (ARNOBE, ST AUGUSTIN, ibid.), spéc., le plus souvent au plur. et d'empl. péj., «les passions»: passiones peccatorum, passiones carnales. Pour l'évolution du mot fr., v. aussi E. LERCH ds Arch. rom. t.22, 1938, pp.320-49. Fréq. abs. littér.:13844. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 26770, b) 16369; XXes.: a) 16892, b) 17098.
DÉR. Passionniste, subst. masc. et adj. a) Subst. masc. ) Membre d'une congrégation masculine, vouée à la contemplation et à la prédication de la Passion du Christ. Au mont Albane, un peu au-dessous du couvent des Passionnistes (SAINTE-BEUVE, Volupté, t.2, 1834, p.274). Empl. subst. fém. Membre d'une congrégation féminine fondée par Paul de la Croix en 1748 sur le modèle de celle des hommes. (Ds Nouv. Lar. ill., QUILLET 1965). ) Au plur. Sectaires chrétiens qui niaient la Trinité des personnes divines en faisant du Fils et de l'Esprit des modes du Père et prétendaient que Dieu le Père était né et avait souffert sur la croix. (Ds Ac. Compl. 1842). b) Adj. [En parlant d'une pers.] Auteur de poèmes sur la Passion. Poètes passionnistes (T. C. DE LA VILLEMARQUE, Le Grand mystère de Jésus, 1865, p.LXXXIX ds LITTRÉ). []. ,,L'[] ne fait que se survivre dans passioniste [sic], passionnaire, passionnant, passionné, passionnel, passionnément, passionner`` (FOUCHÉ Prononc. 1959, p.85). Prop. CATACH-GOLF. Orth. Lexicogr. 1971, p.209: -ioniste. 1res attest. a) 1834 subst. masc. nom donné aux membres de la Congrégation pour la propagation de la Croix fondée par Paul Danel dit Paul de la Croix, et dont les statuts furent approuvés en 1741 [Théol. cath.] (SAINTE-BEUVE, loc. cit.), 1903 subst. fém. nom donné aux membres d'une congrégation religieuse ayant le même fondateur (Nouv. Lar. ill.), b) 1842 nom donné à une hérésie des IIe-IIIes. qui niait la Trinité des personnes divines [Théol. cath., s.v. monarchianisme] (Ac. Compl.), c) 1865 adj. «auteur de poèmes sur la Passion» (T. C. DE LA VILLEMARQUE, loc. cit.); de passion, suff. -iste; le lat. médiév. passionnitae, sens B, est relevé par DU CANGE chez Philastre, évêque de Brescia, 2e moitié IVes.
BBG. —AUERBACH (E.). Rem. sur le mot passion. Neuphilol. Mitt. 1937, t.38, pp.218-224; P.M.L.A. 1941, t.56, pp.1192-1196. —DAUZAT Ling. fr. 1946, p.21. —GOHIN 1903, p.338. —SPITZER (L.). Romania. 1939, t.65, p.123. —STROSETZKI (Ch.). Konversation... Frankfurt am Main, 1978, p.122.

passion [pɑsjɔ̃; pasjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 980, passiun « passion du Christ »; lat. impérial passio « souffrance ». → Pâtir.
1 Vx. (Poét. ou archaïque). Souffrance. || « Toutes les passions d'un vaisseau qui souffre » (→ Gouffre, cit. 5, Baudelaire). || « Bernard Palissy souffrait la passion des chercheurs de secrets » (→ Inventeur, cit. 2, Balzac). — ☑ Loc. Souffrir mort et passion : souffrir intensément.
1 Ce n'est pas contre la mort que nous nous préparons; c'est chose trop momentanée. Un quart d'heure de passion sans conséquence, sans nuisance, ne mérite pas des préceptes particuliers.
Montaigne, Essais, III, XII.
Mod. Les souffrances et le supplice (du Christ) Croix (chemin de la). → Fermer, cit. 29; grandeur, cit. 19; ignominieux, cit. 2. || Le récit de la Passion dans l'Évangile selon saint Jean, saint Matthieu. || Sermon sur la Passion de Jésus-Christ, prêché par Bossuet le vendredi saint de 1660. || « Jésus souffre dans sa passion les tourments que lui font les hommes… » (Pascal). || La semaine de la Passion, qui précède la semaine sainte. || Le dimanche de la Passion, qui ouvre cette semaine, où l'on commence à dire l'office de la Passion. || Le temps de la passion : les deux semaines qui séparent Pâques du dimanche de la Passion.Représentations dramatiques de la Passion dans les mystères du moyen âge.(XIVe). || Confrérie, confrères de la Passion, qui avaient le monopole de ces représentations.
2 Voici le moment d'entrer dans la nuit. Quand il (Jésus) aura franchi ce seuil, sa Passion commencera (…) il descend, contourne le Temple que la lune de Pâques éclaire, atteint un enclos au bas du mont des Oliviers.
F. Mauriac, Vie de Jésus, « Gethsémani ».
Fruit de la passion : fruit exotique, produit par la passiflore, au parfum acidulé (Syn. : grenadille, maracudja). || Sorbet aux fruits de la passion.
tableau Noms de fruits.
Mus. Oratorio ayant pour sujet la Passion. || La Passion selon saint Jean, saint Matthieu, de Bach.
2 (V. 1265, et jusqu'au XVIIIe). Vx. État ou phénomène affectif, agitation « de l'âme selon les divers objets qui se présentent à ses sens » (Furetière). Affection, cœur, courage (vx), émotion, sentiment. || La volupté, la douleur, la cupidité, l'aversion, la colère, la crainte, l'espérance sont des passions. || Définition de la passion donnée par Descartes dans son Traité des passions de l'âme (1649). → Agent, cit. 4; émotion, cit. 3. || La terreur et la pitié, passions types de la tragédie (→ Favori, cit. 2). || La théorie aristotélicienne de la purgation des passions. Catharsis. || « L'indignation (cit. 1) est une passion bonne et louable » (Ronsard).« La nature, qui n'est pas sensible, n'est pas susceptible de passions » (→ Nature, cit. 47, Pascal). || Absence de passions chez le sage. Apathie, ataraxie.
3 (…) Aristote (…) ne veut pas qu'on en compose une (tragédie) d'un ennemi qui tue son ennemi, parce que, bien que cela soit fort vraisemblable, il n'excite dans l'âme des spectateurs ni pitié, ni crainte, qui sont les deux passions de la tragédie (…)
Corneille, Héraclius…, Au lecteur.
4 Y a-t-il rien de plus bas (…) que cette passion (la colère), qui fait d'un homme une bête féroce ? et la raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvements ?
Molière, le Bourgeois gentilhomme, II, 3.
5 Les P. T. S. (partisans) nous font sentir toutes les passions l'une après l'autre : l'on commence par le mépris (…) on les envie ensuite, on les hait, on les craint, on les estime quelquefois, et on les respecte; l'on vit assez pour finir à leur égard par la compassion.
La Bruyère, les Caractères, VI, 14. Cf. Partisan, cit. 5.
3 (V. 1155). Cour. « Tendance d'une certaine durée, accompagnée d'états affectifs et intellectuels, d'images en particulier, et assez puissante pour dominer la vie de l'esprit, cette puissance pouvant se manifester soit par l'intensité de ses effets, soit par la stabilité et la permanence de son action » (Lalande).
REM. Ce sens moderne est dès le XVIe s. en concurrence avec le sens défini ci-dessus (2.). Dans la langue classique, des expressions générales comme la passion ou les passions participent souvent des deux sens (idée de « passivité » et idée de « tendance »). La passion, généralement considérée comme une « faiblesse » au XVIIe s., est volontiers réhabilitée au XVIIIe et regardée comme une « force ».
Une, des passions. || La passion, les passions de qqn. || Suivre, n'écouter que ses passions. || Obéir, résister, commander à ses passions (→ Affranchir, cit. 14; appétit, cit. 5; assaut, cit. 9; cause, cit. 20; étroit, cit. 6; foncer, cit. 6; force, cit. 19; frein, cit. 6; infinité, cit. 2; libérer, cit. 7; liberté, cit. 36; libre, cit. 9). || Domination, tyrannie, empire des passions. || Assouvir, satisfaire ses passions, lâcher la bride aux passions. || Imposer silence à ses passions. || Se cuirasser contre les passions. || Exposé aux passions. Inflammable. || Calmer (cit. 4 et 5), modérer, refréner, contenir, comprimer, maîtriser, réprimer, dominer, dompter, vaincre… ses passions (→ Espagnol, cit. 3; guerre, cit. 31). || Les passions et la raison (→ Diviser, cit. 11; enthousiasme, cit. 6; foule, cit. 9; 1. logique, cit. 7; lumière, cit. 33). || Grandes passions, passions ardentes, vives, impétueuses, violentes, véhémentes… (→ Agiter, cit. 6; élan, cit. 8; éloquent, cit. 2; impétuosité, cit. 3; indignation, cit. 5; midi, cit. 13). || La jalousie (cit. 2), passion stérile. || Ardeur, brasier, effervescence, embrasement, feu, fièvre, incandescence… des passions. || Bouillonnement, ébullition, fureur des passions. Exaltation, éréthisme, excitation, folie, furie, rage. || Assaut, choc, conflit, orage, ouragan, ravage, tumulte des passions. || Passions mauvaises(→ Asile, cit. 23; corrompre, cit. 14; grouillant, cit. 1). || Danger des passions (→ Aveuglement, cit. 11; église, cit. 3; empoisonner, cit. 17; ennemi, cit. 12; faute, cit. 36; folie, cit. 11). || L'océan des passions. || La mer des passions humaines (→ Fermenter, cit. 3). || Passions nobles, généreuses (→ Fond, cit. 57). || Force que peuvent donner les passions (→ Auxiliaire, cit. 1). || Éloquence des passions.|| « Du vague des passions » (Chateaubriand, le Génie du christianisme, II, III, IX).
6 Les passions ont une injustice et un propre intérêt qui fait qu'il est dangereux de les suivre, et qu'on s'en doit défier, lors même qu'elles paraissent les plus raisonnables.
La Rochefoucauld, Maximes, 9.
7 (…) je ne sais s'il n'est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passions des hommes, que de vouloir les retrancher entièrement.
Molière, Tartuffe, Préface.
8 Nous devons peut-être aux passions les plus grands avantages de l'esprit (151). — Aurions-nous cultivé les arts sans les passions ? et la réflexion toute seule nous aurait-elle fait connaître nos ressources, nos besoins et notre industrie ? (153). — Les passions ont appris aux hommes la raison (154).
Vauvenargues, Maximes et Réflexions.
9 On parla des passions. Ah ! qu'elles sont funestes ! disait Zadig. Ce sont les vents qui enflent les voiles du vaisseau, repartit l'ermite : elles le submergent quelquefois; mais sans elles il ne pourrait voguer.
Voltaire, Zadig, XX.
10 On déclame sans fin contre les passions; on leur impute toutes les peines de l'homme, et l'on oublie qu'elles sont aussi la source de tous ses plaisirs (…) il n'y a que les passions, et les grandes passions, qui puissent élever l'âme aux grandes choses. Sans elles, plus de sublime, soit dans les mœurs, soit dans les ouvrages (…)
Diderot, Pensées philosophiques, I.
11 (…) il n'y a réellement que les grandes passions qui puissent enfanter les grands hommes.
C.-A. Helvétius, De l'esprit, III.
12 Il (Saint-Évremond) a éprouvé les passions, il les a laissées naître, et les a, jusqu'à un certain point, cultivées en lui, mais sans s'y livrer aveuglément; et même lorsqu'il y cédait, il y apportait le discernement et la mesure.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 26 mai 1851.
Collectivt. || La passion. || Nature, puissance de la passion (→ Dénouer, cit. 19; discipline, cit. 14; formule, cit. 15; fusion, cit. 3; implacable, cit. 7; invective, cit. 2; lyrique, cit. 4). || Entraînement, aveuglement de la passion. || La passion est égoïste, exclusive. — ☑ Loc. adv. Avec passion, par passion, ou (vx) de passion. Passionnément (→ Aimer, cit. 12; aventure, cit. 10; écrasant, cit. 1; hisser, cit. 12; 3. mal, cit. 50; même, cit. 25). || « Je ne sus jamais écrire que par passion » (→ Glacer, cit. 16, Rousseau). || Faire semblant de faire par passion ce que l'on fait par intérêt (→ Bonheur, cit. 20).
13 Si la passion conseille quelquefois plus hardiment que la réflexion, c'est qu'elle donne plus de force pour exécuter.
Vauvenargues, Maximes et Réflexions, 125.
14 La passion est toute l'humanité. Sans elle, la religion, l'histoire, le roman, l'art, seraient inutiles.
Balzac, Avant-propos, Pl., t. I, p. 12.
Étude, analyse, connaissance, peinture, représentation, expression… de la passion, des passions dans la littérature, dans l'art (→ Beau, cit. 101; couleur, cit. 8; épopée, cit. 2; éprouver, cit. 23; étudier, cit. 16; exemple, cit. 11; expression, cit. 26 et 31; expressionnisme, cit. 1; 1. geste, cit. 1).
15 Les faiblesses de l'amour y passent pour de vraies faiblesses; les passions n'y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause (…)
Racine, Phèdre, Préface.
16 Il est si vrai que le christianisme jette une éclatante lumière dans l'abîme de nos passions, que ce sont les orateurs de l'Église qui ont peint les désordres du cœur humain avec le plus de force et de vivacité. Quel tableau Bourdaloue ne fait-il point de l'ambition ! Comme Massillon a pénétré dans les replis de nos âmes, et exposé au jour nos penchants et nos vices !
Chateaubriand, le Génie du christianisme, II, III, II.
17 Sans doute, nous sommes loin ici des certitudes de la chimie (…) Nous ne connaissons point encore les réactifs qui décomposent les passions et qui permettent de les analyser.
Zola, le Roman expérimental, I.
4 (V. 1279). Spécialt. Cour. Amour puissant, exclusif et obsédant. Adoration, aimer, amour. || Théorie de Stendhal selon laquelle l'amour-passion s'oppose à l'amour-goût, à l'amour physique et à l'amour de vanité (→ Amour, cit. 15; emporter, cit. 29). || La passion de qqn pour qqn, sa passion. || Déclarer, avouer, témoigner sa passion (→ Ardent, cit. 28; ménager, cit. 9). || La passion qu'on a (cit. 27), qu'on éprouve, qu'on ressent (→ Cacher, cit. 13; coquetterie, cit. 3; double, cit. 15; égarer, cit. 9). || La passion qu'on nourrit… pour qqn (→ Muer, cit. 7). || Inspirer une passion à qqn (→ Imprescriptible, cit. 2). Tête (tourner la). || L'objet de sa passion. Idole (→ Érotomanie, cit.). || Captif, prisonnier, esclave de sa passion. Ensorcelé. || Fureurs (→ Convulsif, cit. 1), transports (→ durer, cit. 9), excès (cit. 14), paroxysme, vivacité, emportements (→ Fioriture, cit. 4), enivrement, flamme (cit. 13) de la passion (→ Fulgurant, cit. 8). || Être transporté, ivre de passion. || Passion malheureuse (→ Empoisonner, cit. 22), folle (→ Enivrer, cit. 25), sans issue (→ Estival, cit. 2). || Passion ardente, brutale, affolante, brûlante, désordonnée, enragée, éperdue, insatiable, insensée (→ Héros, cit. 20), illégitime (cit. 1), interdite (→ Interdit, cit. 12). || Passion incestueuse (→ Dramaturge, cit. 2). || Regards chargés, brûlants de passion (→ Consolateur, cit. 3; languissement, cit.). Couver (des yeux). || Effets de l'absence (cit. 6) sur la passion. || Passion refroidie, éteinte, morte. || Passion qui couve, se réveille… || Passion subite et passagère. Béguin, caprice, emballement, passade (→ Coup de foudre).
Collectivt. || La passion. || Le flamenco (cit. 1 et 2), danse de la passion. || Racine, peintre de la passion (→ Corps, cit. 35). || Fatalité de la passion. || Idée romantique de la passion purificatrice, rédemptrice…
18 (…) ce ne sont point (au théâtre) des traits morts et des couleurs sèches qui agissent, mais des personnages vivants, de vrais yeux, ou ardents, ou tendres et plongés dans la passion (…) enfin, de vrais mouvements, qui mettent en feu tout le parterre et toutes les loges (…)
Bossuet, Maximes et Réflexions sur la comédie, IV.
19 (…) et le cri le plus énergique que la passion ait jamais fait entendre, est peut-être celui-ci :
Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit,
Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit.
Il y a là-dedans un mélange des sens et de l'âme, de désespoir et de fureur amoureuse, qui passe toute expression.
Chateaubriand, le Génie du christianisme, II, III, II.
20 La passion est le pressentiment de l'amour et de son infini auquel aspirent toutes les âmes souffrantes. La passion est un espoir qui peut-être sera trompé. Passion signifie à la fois souffrance et transition; la passion cesse quand l'espérance est morte. Hommes et femmes peuvent, sans se déshonorer, concevoir plusieurs passions; il est si naturel de s'élancer vers le bonheur ! mais il n'est dans la vie qu'un seul amour.
Balzac, la Duchesse de Langeais, Pl., t. V, p. 220.
21 Il en arrivait maintenant à une passion exclusive, une de ces passions d'hommes qui n'ont pas eu de jeunesse. Il aimait Nana avec un besoin de la savoir à lui seul, de l'entendre, de la toucher, d'être dans son haleine.
Zola, Nana, XIII.
5 (Déb. XVIIe). Vive inclination vers un objet que l'on poursuit, auquel on s'attache de toutes ses forces. || Avoir une passion pour qqch. Sang (avoir dans le sang). || La passion qu'on a pour l'or (→ Espagnol, cit. 2), les richesses (→ Alchimiste, cit. 2). Appétit, avidité (cit. 6), avarice, convoitise. || L'amour de soi, passion innée, antérieure (cit. 1) à toute autre. || Les chirurgiens (cit. 2) ont une passion jalouse pour leur ministère. || La curiosité (cit. 20) n'est pas un amusement mais une passion. || Une passion brûlante pour le bien (→ Haine, cit. 34). || Se prendre d'une belle passion pour les mathématiques. Éprendre (s'). || Porter à la patrie une passion intransigeante (cit. 3). Culte. || Passion irrésistible et ridicule pour une activité. Maladie, manie.Avoir la passion de… (suivi d'un subst.). || Avoir la passion des femmes (→ Affranchir, cit. 10), des jeunes filles (cit. 25). || La passion du jeu (cit. 37), des voyages (→ Éteindre, cit. 38), de l'art (→ Frénétique, cit. 3), de la musique (→ Fureur, cit. 7). || La passion de l'étude (→ Instruire, cit. 24), de la lecture, de la science, de la liberté (→ Furie, cit. 4). || La passion du pouvoir ( Ambition).La passion de… (suivi d'un infinitif). Désir. || Passion de régner (→ Amour, cit. 11), de connaître (→ Éprouver, cit. 27), de moraliser et d'évangéliser (cit. 3), de soigner et de guérir (cit. 7), de vivre (→ Malheur, cit. 8).
22 La sotte vanité semble être une passion inquiète de se faire valoir par les plus petites choses (…)
La Bruyère, les Caractères de Théophraste, « De la sotte vanité ».
23 La passion de l'hôtesse pour les bêtes n'était pourtant pas sa passion dominante (…) c'était celle de parler.
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 590.
24 Ah ! cette terre, comme il avait fini par l'aimer ! et d'une passion où il n'entrait pas que l'âpre avarice du paysan, d'une passion sentimentale, intellectuelle presque, car il la sentait la mère commune, qui lui avait donné sa vie, sa substance, et où il retournerait.
Zola, la Terre, II, I.
25 Il avait deux passions, en apparence innocentes et dont il souffrait pourtant. D'abord la passion des pipes (…) L'autre passion de Moineau, pour démodée qu'elle fût, trouvait du moins à s'assouvir. Il faisait partie d'une société de croquet et jouait assidûment dans les allées du Luxembourg.
G. Duhamel, Salavin, III, III.
(1671). Objet d'une telle inclination. Cœur (tenir au); faible (le). || La musique est sa seule passion. || L'égalité, notre passion naturelle (→ Envie, cit. 6). || L'étude (cit. 7) était sa vocation, sa passion (→ aussi Géologie, cit. 3). || Le travail était devenu sa passion (→ Fureur, cit. 9). || Il y a des moments où la vie n'est pas la plus grande passion des hommes (→ Intérêt, cit. 10).
26 La peinture, au siècle de Jules II et de Léon X, n'était pas un métier comme aujourd'hui; c'était une religion pour les artistes (…) une passion pour les femmes.
A. de Musset, Nouvelles, « Fils du Titien », V.
(Appliqué à une personne). || « Je t'adore, ô ma frivole (cit. 9), Ma terrible passion » (Baudelaire). || Cet enfant, c'est sa passion ! Faible.
6 Affectivité violente qui nuit au jugement. || La passion altère (cit. 6) le jugement. || Problèmes philosophiques qu'il faut résoudre sans passion (→ Avocat, cit. 17). Partialité. || Suivre la passion au lieu de la raison (→ Boutade, cit. 5). || La passion nous rend sourds et aveugles (→ Fallacieux, cit. 5). || La passion ne raisonne pas (→ Imputation, cit. 2). || Passion et parti pris (→ Je m'en-fichisme, cit. 1). || Sa passion l'emporte.
27 (Je vous demande) de raisonner ensemble (…) avec un esprit détaché de toute passion.
Molière, le Malade imaginaire, III, 3.
28 (Le livre de Michelet sur la Renaissance) est écrit avec une passion contagieuse, souvent maladive (…) on est étonné de se sentir remué par des mouvements si brusques et si puissants; on voudrait revenir à la sérénité du raisonnement et de la logique, et on ne le peut pas (…)
Taine, Essais de critique et d'histoire, « Michelet », I.
Opinion irraisonnée, affective et violente. || Céder aux passions politiques, religieuses, nationales… Fanatisme (→ Bigotisme, cit. 1; division, cit. 9; histoire, cit. 25; homogénéité, cit. 3; nationalisation, cit.). || La passion partisane (→ 1. Détacher, cit. 29). || Les passions et les préjugés (→ Colorer, cit. 9). || Flatter (cit. 26) les passions du moment. || Épouser (cit. 12) la passion et les haines de qqn. || Irriter (cit. 19), déchaîner, attiser les passions de la foule. Démagogie. || Événement qui excite les passions. Levain (figuré).
29 La vision des historiens eux-mêmes a souvent été troublée par leur propre tendance; la plupart, engagés dans les conflits de leur temps, ont porté leurs passions politiques, religieuses ou nationales dans l'histoire du passé; ils en ont fait un plaidoyer ou un acte d'accusation.
Ch. Seignobos, Hist. sincère de la nation franç., Introduction.
7 Ce qui, dans une œuvre, est le signe, l'indice de la sensibilité, de l'enthousiasme de l'artiste. Animation, chaleur, émotion, feu, flamme, lyrisme, pathétique, sensibilité, vie… || Œuvre, page pleine de passion, palpitante de passion (→ Évertuer, cit. 7). || « Cet écrivain n'a mis que de l'esprit où il eût fallu de la passion » (Académie).
30 Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue.
Boileau, l'Art poétique, III.
31 M. Michelet a laissé grandir en lui l'imagination poétique (…) Son histoire a toutes les qualités de l'inspiration : mouvement, grâce, esprit, couleur, passion, éloquence; elle n'a point celles de la science (…)
Taine, Essais de critique et d'histoire, Michelet, I.
CONTR. Calme, détachement, liberté, lucidité.
DÉR. Passionnaire, passionnel, passionner, passionnette, passionniste.

Encyclopédie Universelle. 2012.