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oublier

oublier [ ublije ] v. tr. <conjug. : 7>
ublier 1080; oblider Xe; lat. pop. °oblitare, de oblitus, p. p. de oblivisci
I
1Ne pas avoir, ne pas retrouver (le souvenir d'une chose, d'un événement, d'une personne). J'ai oublié son nom. J'ai oublié qui doit venir, lequel c'est; pourquoi et comment ils ont pris cette décision.
2Ne plus pouvoir pratiquer (un ensemble de connaissances, une technique). Oublier la pratique d'un métier. J'ai tout oublié en mathématiques. Absolt Il apprend vite et oublie de même.
3Ne plus connaître, ne plus conserver dans la mémoire collective. On oublia l'art gréco-romain pendant le Moyen Âge. Être oublié : ne plus être connu. Cet homme du jour sera bientôt oublié (cf. Tomber dans l'oubli). Impossible à oublier. inoubliable. P. p. adj. Un auteur oublié. Mourir complètement oublié, oublié de tous. Loc. Se faire oublier : faire en sorte qu'on ne parle plus de vous quand on est accusé, critiqué (cf. Faire le mort). Mets-toi au vert et fais-toi oublier quelque temps.
4Cesser de penser à (ce qui gêne). « la gentillesse de quelques-unes faisait oublier leur laideur » (Rousseau). éclipser, effacer. Oublier ses problèmes, ses soucis. Absolt Boire pour oublier.
5Ne pas avoir à l'esprit (ce qui devrait tenir l'attention en éveil). négliger, omettre. Il oublie tout ( écervelé, étourdi) . Oublier la consigne. 1. manger. Vous oubliez l'essentiel ! Oublier ses responsabilités ( abandonner) , ses affaires, son travail. déconnecter, se désintéresser. Loc. Oublier l'heure : ne pas s'apercevoir de l'heure qu'il est, se mettre en retard. En oublier le boire et le manger. (Avec inf.) « N'oubliez pas d'être à ma porte à quatre heures et demie » (Hugo). manquer. Il a oublié de nous prévenir. Loc. fam. Il a oublié d'être bête. (Avec que) Vous oubliez que c'est interdit. N'oublie pas qu'il vient. « J'oubliais qu'il eût un intendant » (La Fontaine).
6Négliger de mettre. omettre. Oublier le vinaigre dans la salade.
(1214) Négliger de prendre. laisser; perdre. Oublier ses clés. Oublier son parapluie au cinéma. « Il s'aperçoit qu'il a oublié son pardessus. Mais où ? » (Malraux ).
7Négliger (qqn) en ne s'occupant pas de lui, en faisant preuve d'indifférence à son égard. Oublier ses amis. délaisser, se désintéresser, se détacher, fam. laisser (tomber). On a vite oublié les absents (cf. Loin des yeux, loin du cœur). P. p. adj. Les victimes oubliées. Subst. Il donne la parole « aux oubliés du rêve américain » (Le Nouvel Observateur, 1992). Fam. Eh bien ! on ne vous voit plus, vous nous oubliez !
Ne pas donner qqch. à (qqn). On l'a oublié dans la distribution. N'oubliez pas le guide, s'il vous plaît ! pensez à lui donner un pourboire.
8Refuser sciemment de faire cas de (qqn), de tenir compte de (qqch.). Vous oubliez vos promesses. Vous oubliez qui je suis : vous manquez aux égards qui me sont dus.
Spécialt Pardonner. Oublier une faute, une injure (cf. Passer l'éponge; fermer les yeux; passer [sur]; faire comme si de rien n'était). N'en parlons plus, c'est oublié. Loc. fam. On oublie tout et on recommence.
II ♦ S'OUBLIER v. pron. (soi oblier v. 1200)
1(Pass.) Être oublié. « Tout s'oublie et se perd au cours rapide des heures » (France). Un tel affront ne s'oublie pas.
2(Réfl.) Cesser d'avoir nettement conscience de son existence personnelle. « je ne rêve jamais plus délicieusement que quand je m'oublie moi-même » (Rousseau).
Ne pas penser à soi, à ses propres intérêts. « Uni à d'autres hommes [...] l'homme se trouve lui-même en s'oubliant » (Maurois). Iron. Il ne s'est pas oublié : il a su se réserver sa part d'avantages, de bénéfices.
3Littér. Manquer aux égards dus à (autrui ou soi-même). « Messieurs, vous vous oubliez, vous manquez de dignité » (Maupassant).
Par euphém. Faire ses besoins là où il ne le faut pas. Le chat « s'oubliait dans tous les coins de la boutique » (Zola).
⊗ CONTR. Rappeler (se), retenir, 1. souvenir (se). 1. Penser (à), songer (à). Occuper (s'occuper de).

oublier verbe transitif (latin populaire oblitare, du lat classique oblitum, de oblivisci, oublier) Laisser quelque chose (quelque part), ne pas le prendre par manque d'attention : Oublier son parapluie dans le train. Ne plus savoir quelque chose, être incapable de se le remémorer, de le retrouver : J'ai oublié comment on devait faire. Il oublie tout ce qu'il lit. Ne pas se souvenir de quelque chose, ne pas l'avoir présent à l'esprit, par un défaut d'attention : Excusez-moi, j'avais complètement oublié ce fait. Ne plus avoir présent à l'esprit quelque chose ou quelqu'un, ne plus y penser, ne plus s'en préoccuper : Oublier ses soucis. C'est quelque chose que je ne n'oublierai jamais. Cesser de penser, de se rappeler des souvenirs pénibles : Boire pour oublier. Ne plus s'occuper de quelqu'un, le délaisser : Vous ne venez plus nous voir ; vous nous oubliez. Ne pas faire quelque chose parce qu'on n'y a pas pensé : Il a oublié de m'apporter son livre. Oublier un rendez-vous. Omettre quelque chose, quelqu'un, le laisser de côté, par mégarde : Nous sommes 10, je n'oublie personne ? Ne pas tenir compte de quelque chose, n'en faire aucun cas et, en particulier, enfreindre un règlement, y manquer : Oublier les règles de la politesse. Pardonner quelque chose : Oublier une injure.oublier (citations) verbe transitif (latin populaire oblitare, du lat classique oblitum, de oblivisci, oublier) Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 Oublier est le grand secret des existences fortes et créatrices. César Birotteau Paul Claudel Villeneuve-sur-Fère, Aisne, 1868-Paris 1955 Rien ne me paraît plus faux que la maxime socratique : Connais-toi toi-même. Le vrai moyen de connaissance serait plutôt : Oublie-toi toi-même. Mémoires improvisés Gallimard Léon Dierx La Réunion 1838-Paris 1912 L'homme est né pour souffrir, oublier et se taire. Poèmes et poésies Sausset Alfred de Musset Paris 1810-Paris 1857 Qu'est-ce donc qu'oublier si ce n'est pas mourir ? Poésies, Lettre à Lamartine Napoléon Ier, empereur des Français Ajaccio 1769-Sainte-Hélène 1821 Ils n'ont rien oublié ni rien appris. Commentaire Au retour de l'île d'Elbe, Napoléon adressa une proclamation aux Français (1er mars 1815). À propos des Bourbons, il disait : « Depuis le peu de mois qu'ils règnent, ils vous ont convaincus qu'ils n'ont rien oublié ni rien appris. » Il reprenait ainsi une formule de Dumouriez. ● oublier (difficultés) verbe transitif (latin populaire oblitare, du lat classique oblitum, de oblivisci, oublier) Conjugaison Attention au redoublement du i aux première et deuxième personnes du pluriel, à l'indicatif imparfait et au subjonctif présent : (que) nous oubliions, (que) vous oubliiez. Construction et registre Oublier que (+ indicatif ou subjonctif) : j'oubliais qu'il était là, j'oubliais qu'il fÛt là. L'indicatif est courant, le subjonctif très soutenu. Ne pas oublier que (+ indicatif) : je n'oubliais pas qu'il était là. ● oublier (expressions) verbe transitif (latin populaire oblitare, du lat classique oblitum, de oblivisci, oublier) Oublier le guide, le serveur, etc., ne pas leur donner de pourboire : N'oubliez pas le guide. Oublier l'heure, ne pas s'apercevoir de l'heure qu'il est et se mettre en retard. Se faire oublier, éviter de se faire remarquer. ● oublier (homonymes) verbe transitif (latin populaire oblitare, du lat classique oblitum, de oblivisci, oublier)oublier (synonymes) verbe transitif (latin populaire oblitare, du lat classique oblitum, de oblivisci, oublier) Laisser quelque chose (quelque part), ne pas le prendre par manque d'attention
Synonymes :
- laisser
Ne plus savoir quelque chose, être incapable de se le remémorer...
Synonymes :
- désapprendre
Contraires :
- retenir
- retrouver
- se rappeler
- se remémorer
- se ressouvenir
- se souvenir de
Ne plus avoir présent à l'esprit quelque chose ou quelqu'un, ne...
Contraires :
- garder en mémoire
- revivre
- revoir
Cesser de penser, de se rappeler des souvenirs pénibles
Synonymes :
- effacer
- noyer
Ne plus s'occuper de quelqu'un, le délaisser
Synonymes :
- abandonner
- lâcher (populaire)
- laisser tomber (familier)
- se détacher
Contraires :
- aider
- assister
- entourer
- fréquenter
- visiter
- voir
Ne pas faire quelque chose parce qu'on n'y a pas pensé
Synonymes :
- négliger
- omettre
Contraires :
- penser à
- songer à
Ne pas tenir compte de quelque chose, n'en faire aucun cas...
Synonymes :
- faillir contre
- manquer à
- pécher contre
Contraires :
- obéir
- observer
- respecter
- suivre
Pardonner quelque chose
Synonymes :
- enterrer
Contraires :
- remâcher
- repenser
- ruminer (familier)

oublier
v.
rI./r v. tr.
d1./d Perdre le souvenir de (qqch, qqn). Oublier sa leçon.
d2./d Ne plus vouloir se souvenir de (qqch). Oublier une injure.
d3./d Négliger. Oublier ses devoirs.
d4./d Laisser par inadvertance. Oublier ses clefs.
d5./d Omettre par inattention. Oublier un nom sur une liste.
|| Oublier l'heure: laisser passer le moment où l'on avait qqch à faire.
d6./d Refuser de prendre en considération. Vous oubliez qui je suis.
rII./r v. Pron.
d1./d (Passif) Sortir de la mémoire. Les détails s'oublient.
d2./d Manquer à ce qu'on doit aux autres, à soi-même. Il s'est oublié jusqu'à l'injurier.
d3./d Par euph. Le chien s'est oublié sur le tapis, il y a fait ses besoins.

⇒OUBLIER, verbe trans.
I.Empl. trans. Perdre, de façon volontaire ou non, définitive ou momentanée, normale ou pathologique, le souvenir d'une personne ou d'une chose.
A. —[Oublier implique un acte plus ou moins involontaire]
1. [Oublier procède d'un défaut de mémoire]
a) Empl. abs. Ne rien garder en mémoire, laisser s'effacer de son souvenir. Oui, madame... Mais une eau délicieuse, l'eau du fleuve Léthé... Oui, c'est pour oublier que je bois, pour oublier la triste condition où je suis tombé!... (CRÉMIEUX, Orphée, 1858, II, 2, p.59):
1. Je me suis souvent demandé si tenir un journal n'était pas contraire à cet instinct qui veut que nous oublions, car oublier, c'est s'alléger d'un poids, et le souvenir nous tire en arrière, nous empêche d'avancer.
GREEN, Journal, 1943-46, p.28.
b) Oublier qqn/qqc.
[Le phénomène est individuel]
♦Ne plus avoir le souvenir de quelqu'un ou de quelque chose. Oublier le temps, le jour où, une date, les événements, une aventure, un visage, cette histoire. Je n'ai pas oublié un mot de notre entretien (JOUY, Hermite, t.4, 1813, p.41). Eh bien! Oubliez-nous, maison, jardin, ombrages! (...) Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas (HUGO, Rayons et ombres, 1840, p.1097). J'ai oublié son nom, mais non l'aspect imposant du château tel qu'il a été encore plusieurs années après cette époque (SAND, Hist. vie, t.2, 1855, p.280):
2. Mon amour pour Dina n'a fait que s'accroître par une intimité chaste et délicieuse, comblant de soins et de tous égards possibles le vieux Judas qui me chérissait, et sa Léa qui me fait oublier ma mère que je perdis enfant.
BOREL, Champavert, 1833, p.129.
Oublier l'heure. Laisser passer l'heure, s'attarder. (Dict. XIXe et XXe s.).
♦Ne plus se rappeler ce que l'on a su, appris. Les premiers vers qui soient entrés dans ma mémoire sont ceux de Louis Racine, dans son poëme de la religion: (...) Ma mère me les apprit, lorsque je ne savois point encore lire; et je me vois toujours sur ses genoux répétant cette belle tirade que je n'oublierai de ma vie (J. DE MAISTRE, Soirées St-Pétersb., t.1, 1821, p.210). On oublie émouvoir et l'on abuse d'émotionner (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p.159).
[Le phénomène est coll.] Ne pas conserver la notion, la mémoire, l'usage, la pratique de. Oublier les traditions, les valeurs ancestrales, ses grands hommes, son histoire. Loin des yeux de leurs concitoyens, bientôt les soldats ne songeront plus à leurs droits, et finiront par oublier la patrie (MARAT, Pamphlets, C'est un beau rêve, 1790, p.234). Se réconcilier, pardonner! quels mots hypocrites. On oublie c'est tout. Oublier les morts, ce n'était pas encore assez. Maintenant, nous oublions les meurtres, nous oublions les meurtriers (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.401).
Se faire oublier. Faire en sorte que les autres ne pensent plus à vous, à ce que vous avez fait. Dans ces soirées, François n'aspirait qu'à se faire oublier de tous, comme il oubliait tout le monde, à l'exception de Mahaut (RADIGUET, Bal, 1923, p.162). Il alla s'enfermer, pour se faire oublier, dans le petit château qu'il avait en Normandie (BILLY, Introïbo, 1939, p.162):
3. Si le mot est donné comme intermédiaire signifiant une réalité transcendante, par essence, au langage, rien de mieux: il se fait oublier, il décharge la conscience sur l'objet.
SARTRE, Sit. II, 1948, p.200.
Au passif. Être oublié. [En parlant d'un écrivain, d'un penseur, d'un ouvrage] Quand on pense que Charcot et d'autres ont fait des travaux mille fois plus remarquables (...) et qu'ils sont presque oubliés! (PROUST, Sodome, 1922, p.1051).
HIST. Ils n'ont rien appris, rien oublié. V. apprendre A 1 b.
2. [Oublier relève d'une négligence, d'un manque d'attention] Ne pas penser à prendre avec soi. Je suis sûre que tu as encore oublié ton mouchoir... (COPPÉE, Bonne souffr., 1898, p.92). —Honoré, tu as oublié ton chapeau. Par ces chaleurs, oublier son chapeau... (AYMÉ, Jument, 1933, p.48):
4. C'était un des violateurs de tombeaux qui avait oublié son parapluie et qui revenait le prendre, accompagné du gardien.
COPPÉE, Bonne souffr., 1898 p.131.
3. [Oublier présuppose un défaut de lucidité, de conscience] Ne plus avoir présent à l'esprit. Il ajouta même que le comte de Richemont, n'ayant pas combattu depuis Azincourt, avait pu oublier la guerre (BARANTE, Hist. ducs de Bourg., t.4, 1824, p.427):
5. Oui, maintenant ta vie est à ce prix. Il te faudrait, pour la supporter, non seulement oublier l'amour, mais désapprendre qu'il existe...
MUSSET, Confess. enf. s., 1836, p.362.
Arg., pop. Oublier le goût du pain. Mourir. Sans moi, cette petite fillette qui fait là ses mines, aurait oublié le goût du pain (LARCHEY, Dict. hist. arg., 2e suppl., 1883, p.112).
Rem. Dans le même sens v. l'expr. arg. oublier de respirer (CAR. Argot 1977).
B. —[Oublier implique un acte volontaire]
1. Omettre, exclure, ne pas prendre en compte. Monsieur et Madame Lebas, dit César. Puis monsieur le président du tribunal de commerce, sa femme et ses deux filles. Je les oubliais dans les autorités (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p.191):
6. À cette époque elle écrivit à sa mère pour lui demander pardon. Sa mère lui répondit qu'elle lui pardonnait et lui conseillait de revenir et qu'elle ne l'oublierait pas dans son testament.
NERVAL, Filles feu, Angélique, 1854, p.559.
Sans oublier, n'oublions pas (pour insister sur un terme d'une énumération). Il emporta ses colifichets de dandy, sans oublier une ravissante petite écritoire donnée par la plus aimable des femmes (BALZAC, E. Grandet, 1834, p.52). Providentielle réunion de grands caractères et de talents... sans oublier les dames incomparables musiciennes, ces ornements du bord!... (CÉLINE, Voyage, 1932, p.151).
2. Écarter de sa pensée un objet de préoccupation ou de ressentiment; vouloir ignorer. Oublier son âge, sa fatigue; oublier les injures; oublie-moi! [La religion] mène au bonheur par les austérités et fait oublier toutes les misères de la vie dans l'espérance céleste que sur mille réprouvés il pourra y avoir un élu (SENANCOUR, Rêveries, 1799, p.130). Tu n'es même pas sûr d'avoir tué Hoederer. Eh bien, tu es dans le bon chemin; il faut aller plus loin, voilà tout. Oublie-le; c'était un cauchemar (SARTRE, Mains sales, 1948, 7e tabl., p.253):
7. Je ne voudrais pas cependant qu'on leur refusât la permission de voir leurs femmes pendant la nuit, et à quelques époques combinées. Il en naîtrait des enfans qui pourraient faire oublier les crimes de leurs pères.
BAUDRY DES LOZ., Voy. Louisiane, 1802, p.331.
Arg. des sports, p.iron. ,,Lâcher un concurrent sans peine, le «semer»`` (PETIOT 1982).
C. —[Oublier suivi d'une complétive (implique tous les mécanismes aberrants de la mémoire relevés supra A et B)]
Oublier + de + inf. C'était l'amour-propre blessé de ceux qu'on avait oublié d'y nommer, et qui y avaient ou croyaient y avoir des droits (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.453). Elle ne regardait plus ses casseroles; elle oubliait de boire et de manger (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p.313). Seulement y avait la distraction: la révolution est distraite. Alors les gars ont oublié de blinder la locomotive (MALRAUX, Espoir, 1937, p.490).
Rem. Oublier à + inf. Constr. correcte auj. uniquement dans l'empl. pronom. (v. infra) mais à l'époque class. tout à fait cour. dans le sens actuel de oublier de.
Oublier + que, comment, si, etc. En faisant dans un cercle étroit le bien de quelques hommes, je parviendrais à oublier combien je suis inutile aux hommes (SENANCOUR, Obermann, t.2, 1840, p.112). On oubliait trop qu'une industrie est une industrie, qu'une spéculation est une spéculation (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p.415). Il n'avait jamais oublié quelle distance séparait encore le paysan parvenu de la grande dame ruinée (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p.71). Didace Beauchemin prit le papier et le retourna en tous sens. Le curé Lebrun se mordit la lèvre. Il avait oublié que son paroissien ne savait pas lire (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p.277).
Rem. Oublier que dans sa forme affirmative peut être suivi du subj. Ce mode exprime alors non plus la réalité du fait mais sa potentialité.
II.Empl. pronom.
A.réfl. [Le suj. est un être vivant]
1. Perdre la conscience de soi; se distraire de son attention, de son effort. C'était, pour la soeur Philomène, la belle heure de sa journée. Elle s'y oubliait, elle se retrempait à la joie et aux enchantements de cette fatigue si douce (GONCOURT, Soeur Philom., 1861, p.132). Pour nous autres c'est assez de voir l'arbre ou la maison; tout absorbés à les contempler, nous nous oublions nous-mêmes. Baudelaire est l'homme qui ne s'oublie jamais (SARTRE, Baudelaire, 1947, p.25). Miracle des femmes! Leur faculté de s'oublier et de renaître ne cessera jamais de provoquer notre admiration (ARNOUX, Roi, 1956, p.56).
S'oublier en, dans. Tous, [les novices] vers la seizième année, au lieu de quitter le collège, y étaient restés, s'oubliant en Dieu (ESTAUNIÉ, Empreinte, 1896, p.40). Il ne s'oublie jamais dans ce qu'il éprouve, de sorte qu'il n'éprouve jamais rien de grand (GIDE, Faux-monn., 1925, p.1184).
S'oublier à + inf. M. le marquis s'oubliait à parler l'argot, cette langue des voleurs (PONSON DU TERR., Rocambole, t.3, 1859, p.441). Mais je m'oublie à écouter ces voix... (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p.34).
Rem. En ce sens, le suj. peut ne pas être un être vivant quand il y a personnification ou méton. Et la science étonnée de ses propres développemens, s'oubliait dans la contemplation d'elle-même (OZANAM, Philos. Dante, 1838, p.260). Tu me livres ta main d'un geste familier, Et je vois aussitôt tes grands yeux s'oublier En un songe lointain (RÉGNIER, Apaisement, 1886, p.52).
2. Considérer l'intérêt d'autrui avant le sien propre; faire preuve d'abnégation. C'est qu'il s'entête alors, car il a son nègre, M. Targu, que c'est une adoration d'homme, quoi! de voir comme il s'oublie pour son maître (SUE, Atar-Gull, 1831, p.34). Ce qui les enivre alors, c'est de s'oublier pour ne penser qu'à l'autre (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p.120).
Par antiphrase. Ne pas s'oublier. Penser à soi, veiller à ses intérêts. En mentionnant une petite boîte de liqueur, il observait que l'empereur ne s'oubliait pas et ne se laissait manquer de rien (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.412).
3. Ne pas prêter attention au sentiment que l'on a de sa dignité, manquer aux convenances, à ses devoirs. Eh! tant mieux, morbleu! dit le préfet s'oubliant tout à fait (STENDHAL, L. Leuwen, t.3, 1835, p.80). Vous vous oubliez, madame. Je ne suis pas une femme de chambre (H. BAZIN, Vipère, 1948, p.54):
8. Le commissaire passa vivement entre les deux et, les écartant avec ses mains: —Messieurs, vous vous oubliez, vous manquez de dignité.
MAUPASS., Bel-Ami, 1885, p.361.
P. euphém. Se laisser aller à faire ses besoins naturels. Depuis la veille, elle avait cette gifle dans la main; ça lui démangeait les doigts, comme aux jours lointains où la petite s'oubliait encore en dormant (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p.335). Il s'éveilla penaud et la mine déconfite: le petit Wilhem s'était oublié dans son lit (LORRAIN, Contes chandelle, 1897, p.107).
B.à sens passif. [Le suj. est une chose] Être effacé ou s'effacer du souvenir. Concluons: puisque tout s'oublie, ne vaut-il pas mieux s'habituer à l'oubli immédiat? (VILLIERS DE L'I.-A., Contes cruels, 1883, p.242). Quand vous serez marié, tant de choses s'oublieront! (R. BAZIN, Blé, 1907, p.144):
9. Toute tradition de guerre et d'amour s'oublie, et mes fables n'auraient pas même le sort de la complainte de Geneviève de Brabant, dont le colporteur d'images ne sait plus le commencement et n'a jamais su la fin.
BERTRAND, Gaspard, 1841, p.159.
Prononc. et Orth.:[ublije], (il) oublie [ubli]. Homon. oublie. Att. ds Ac. dep.1694. Étymol. et Hist. A. Trans. 1. fin Xe s. «ne pas garder dans sa mémoire» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 410); 2. a) ca 1050 «ne pas garder présent à l'esprit, négliger» (Alexis, éd. Chr. Storey, 619: La dreite vide nus funt tres-oblïer); b) ca 1050 (ibid., 157: Mais la dolur ne pothent ublïer); c) ca 1165 (BENOÎT DE STE-MAURE, Troie, éd. L. Constans, 3195: Ne pot oblïer por nul plait Le damage qu'il li ont fait De son pere e de sa lignee); d) 1456-67 oublier son courroux (Cent nouvelles nouvelles, éd. F. P. Sweester, 30, 220). B. Pronom. 1. a) ca 1100 «se relâcher, manquer à ses devoirs» (Roland, éd. J. Bédier, 1258) encore à l'époque class.; b) ca 1120 «négliger de (faire quelque chose)» (St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 305); c) 1176-81 «cesser d'avoir conscience de soi (en partic. dans le vocab. amoureux: entrer dans une sorte de transe)» (CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier Charrette, éd. M. Roques, 715), sur les sens propres à l'a. fr. développés dans la litt. épique et courtoise, v. M. PELAN ds Rom. Jahrb. t.10, pp.59-77; 2. a) ca 1200 «perdre de vue sa dignité» (JEAN BODEL, Saxons, éd. F. Menzel et E. Stengel, 1563); b) 1588 «faire passer l'intérêt d'autrui avant le sien propre par abnégation» (MONTAIGNE, Essais, III, X, éd. P. Villey, t.1, p.1006); c) 1882 «faire ses besoins là où il ne faut pas» (ZOLA, loc. cit.). Du lat. pop. oblitare (v. REW3, n° 6015), dér. de oblitus part. passé du class. oblivisci «ne plus penser à; perdre de vue»; au sens de B 1 c cf. antérieurement l'a. prov. s'oblidar (Marcabru, 1130-50 cité par M. PELAN, ibid., p.75, v. aussi LEVY (E.) Prov.). Fréq. abs. littér.:12979. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 17889, b) 22028; XXe s.: a) 16602, b) 18148.
DÉR. 1. Oubliable, adj. Qui peut être oublié. L'injustice énorme que j'endure et dont pâtissent deux innocentes, me semblerait oubliable si j'obtenais seulement un peu de ce qui m'est dû (BLOY, Journal, 1904, p.195). []. 1res attest. fin du XIVe s. [dans un jeu de mots avec oublieux] (EUSTACHE DESCHAMPS, Balade, 73 ds OEuvres, éd. Queux de Saint-Hilaire, t.1, p.174), ca 1470 «qui peut être oublié» (GEORGES CHASTELLAIN, Chronique, éd. Kervyn de Lettenhove, t.4, p.210), une autre attest. au XVIe s. (v. HUG.), à nouv. au XIXe s. (LITTRÉ Suppl. 1877); de oublier, suff. -able. 2. Oubliance, subst. fém., vx ou région. Faculté d'oublier. Mettre en oubliance. V. mettre en oubli (s.v. oubli II B). La Fontaine, avec son caractère naturel d'oubliance et de paresse, s'accoutuma insensiblement à vivre comme s'il n'avait eu ni charge ni femme (SAINTE-BEUVE, Portr. littér., t.1, 1829, p.55). Elle avait comme mis le champi depuis longtemps en oubliance entière (SAND, F. le Champi, 1848, p.128). []. 1re attest.1re moitié XIIe s. ubliance «oubli, omission» (Psautier d'Oxford, éd. Fr. Michel, IX, 19); de oublier, suff. -ance. 3. Oublieur, -euse, subst. Personne distraite, sur la parole de qui il ne faut pas trop compter. Aussi ce grand artiste inconnu [le maître de musique] tenait-il à la classe aimable des oublieurs, qui donnent leur temps et leur âme à autrui comme ils laissent leurs gants sur toutes les tables et leur parapluie à toutes les portes (BALZAC, Fille Ève, 1839, p.73). [], fém. [-ø:z]. Ac. 1694: oublieux; 1718: oublieux ,,quelques-uns écrivent oublieur``; 1740-1835: oublieur ,,on prononce oublieux``; 1878: oublieur [-]. [] final est muet du XVIe au XVIIIe s. dans certaines catégories de mots dont ceux en -eur (leur fém. en -euse est anal. de honteux, -euse, etc.). [] ne commence à être rétabli qu'à partir du milieu du XVIIIe s. LITTRÉ prononce encore [-ø] et DG propose encore cette prononc. comme var. de [-]. 1res attest. a) 1487 adj. «qui oublie facilement» (LOYS GARBIN, Voc. latin-françoys, s.v. obliviosus), b) 1552 subst. (DENIS SAUVAGE, Hist. de Paolo Jovio, II, 139 ds GDF.), attest. isolées, à nouv. au XIXe s. 1801 (MERCIER Néol.); de oublier, suff. -eur2.
BBG. —LANLY (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.96-97. — PELAN (M.). Rom. Jahrb. 1959, t.10, p.59.

oublier [ublije] v. tr.
ÉTYM. 1080, ublier; oblider, Xe; du lat. pop. oblitare, de oblitus, p. p. de oblivisci.
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I
1 Ne pas garder dans sa mémoire, ne pas retrouver (le souvenir d'une chose, d'un événement, d'une personne); ne plus se souvenir de. Oubli (1.). || Oublier une impression (→ Ineffaçable, cit. 4). || J'ai oublié le terme exact, le titre de cet ouvrage (→ Je ne l'ai plus en mémoire). || J'ai oublié quel film j'ai vu la semaine dernière. || Oublier sa leçon, le nom de qqn.Oublier qqn (→ Incohérent, cit. 4). — ☑ Allus. hist. N'avoir rien appris (cit. 15), rien oublié.
1 Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages !
Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages !
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.
Hugo, les Rayons et les Ombres, XXXIV.
2 J'avais vu Albertine me rappeler à merveille telle parole, que je lui avais dite dans nos premières rencontres et que j'avais complètement oubliée. D'un autre fait enfoncé à jamais dans ma tête comme un caillou elle n'avait aucun souvenir.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XV, p. 142.
3 Parfois je peux vous oublier, pourquoi ne pas le dire ? Parfois je peux rester plusieurs jours sans avoir une seule pensée pour vous, mais sous cet oubli il y a la connaissance que vous continuez à être (…)
Montherlant, le Songe, I, VIII.
Ne pas garder dans la mémoire collective, faire échapper à la postérité. || On oubliera les excommunications qu'il avait fulminées (cit. 6). → aussi Grand, cit. 68. — (Passif). || Cet homme du jour sera bientôt oublié (→ Tomber dans l'oubli).
4 Qu'il est difficile d'être oublié ! Quand nous mourons, nous pourrions croire que nos pauvres amours disparaîtront avec nous. Mais non. Pendant des années, parfois pendant des siècles, les écrits témoins ne cessent de surgir. Comme les villes mortes sortent des sables, les paquets de lettres jaunies émergent des coffrets.
A. Maurois, Vie de Byron, Préface, p. XI.
Faire oublier : être, ou agir de telle sorte qu'on efface le souvenir de (une personne ou une chose) [→ Gloire, cit. 42] ou, du moins, qu'on en détourne l'attention. || Ce livre a fait oublier tous ses devanciers. Éclipser, effacer. || La gentillesse de quelques-unes faisait oublier leur laideur (cit. 3).Faire oublier une question déplacée (→ Étrange, cit. 12), une affaire fâcheuse. Côté (laisser de côté), dormir (laisser dormir). — ☑ Se faire oublier (→ Faire le mort). || Il ne se fait pas oublier : il se fait remarquer, il attire l'attention sur lui.
5 Le mal que nous font les méchants nous fait oublier celui qu'ils se font à eux-mêmes. Nous leur pardonnerions plus aisément leurs vices, si nous pouvions connaître combien leur propre cœur les en punit.
Rousseau, Émile, IV.
Être oublié. Échapper, passer (passer de l'esprit, de la tête), sortir (sortir de la mémoire). || Impossible à oublier. Inoubliable.
Littér. (Suj. n. de chose). Ne pas garder la trace, les signes de (une présence, qqn). → ci-dessus, cit. 1, Hugo.
2 Ne plus pouvoir pratiquer (un ensemble de connaissances, une technique). || Oublier sa langue maternelle (→ Garder, cit. 32). || Oublier la pratique d'un métier. Désapprendre (→ Génération, cit. 18). || Il a oublié les mathématiques, l'orthographe (→ Être brouillé avec).Absolt. || Il apprend vite et oublie de même (Littré).Par ext. Ne plus être accoutumé à qqch. || Nous avions oublié le goût du café pendant l'occupation. || J'ai oublié ce que c'est qu'un ennui (→ Merci, cit. 12.1).
3 Cesser, de manière durable ou momentanée, de penser à (ce qui tourmente, préoccupe). || Oublier ses soucis (→ Brûler, cit. 12), ses tourments (→ Gobelet, cit. 2). || Oublier ses préoccupations. Débarrasser (se). || Grâce à vos plaisanteries, j'ai oublié mes soucis pendant un instant ( Amuser). || En vacances, on oublie tout.Absolt. || Boire pour oublier.Spécialt. Cesser de penser à (ce qui obsède, un amour). || Oublier un être aimé, un homme, une femme (→ Facile, cit. 31; imagination, cit. 8), ne plus être obsédé par son souvenir. || « Allons loin (cit. 26) de ses yeux l'oublier ou mourir » (Racine).
6 Vouloir oublier quelqu'un, c'est y penser. L'amour a cela de commun avec les scrupules, qu'il s'aigrit par les réflexions et les retours que l'on fait pour s'en délivrer. Il faut, s'il se peut, ne point songer à sa passion pour l'affaiblir.
La Bruyère, les Caractères, IV, 38.
7 J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie :
L'oubli seul désormais est ma félicité.
Lamartine, Premières méditations, VI.
Ne m'oubliez pas (n. m. invar.). Myosotis (cit. 1).
7.1 Gilberte ne tarissait pas sur la parfaite éducation de l'état-major, et même des soldats qui lui avaient seulement demandé « la permission de cueillir un des ne-m'oubliez-pas qui poussaient auprès de l'étang » (…)
Proust, le Temps retrouvé, Pl., p. 751.
4 Ne pas avoir à l'esprit (ce qui devrait tenir l'attention en éveil). Négliger, omettre.Oublier l'heure : ne pas s'apercevoir de l'heure qu'il est, se mettre en retard (→ Laisser passer l'heure).En oublier le boire et le manger. || Oublier tout ce qu'on doit faire (→ Ne pas avoir de tête). || Oublier la consigne. Manger.(En mauvaise part). Manquer (à). || Oublier ses responsabilités (→ Fuite, cit. 7), sa foi ( Abandonner), ses affaires, sa famille, son travail. Désintéresser (se). || Oublier son rang (→ Mésallier, cit. 1), son origine. Méconnaître (se; vx). || Oublier toute mesure (→ Note, cit. 13).
Par ext. Perdre de vue; négliger de considérer. || Il est des ouvrages de Plutarque où il oublie son thème (→ Escapade, cit. 1).
8 Il eût été à souhaiter qu'il (Bossuet) n'eût pas oublié entièrement les anciens peuples de l'Orient, comme les Indiens et les Chinois qui ont été si considérables avant que les autres nations fussent formées.
Voltaire, Essai sur les mœurs, Avant-propos.
Spécialt. Négliger de mettre (par mégarde, inadvertance). Omettre. || Oublier le nom de la ville dans une adresse. || Oublier le vinaigre dans la salade. || Tu as encore oublié le sel ! : tu n'as pas mis de sel.Négliger de prendre. Laisser (→ Gosier, cit. 5). || Oublier ses gants au cinéma, son parapluie chez des amis, son pardessus (→ Noir, cit. 45). — ☑ Loc. prov. Il oublierait son nez (supra cit. 28) s'il ne tenait à son visage.
8.1 Jusqu'au déjeuner, d'ailleurs, Lili trouva des prétextes à revenir; elle avait oublié en une fois ce que les femmes oublient en une année chez leur ami, son mouchoir, son face-à-main, un petit cornet acoustique, des sels pour son cœur, car il n'était pas un de ses sens qui ne fût trop tendu ou trop lâché, et qui ne réclamât à toute heure un excitant ou un frein.
Giraudoux, Siegfried et le Limousin, p. 250.
5 Négliger (qqn), ne pas s'occuper de (qqn), faire preuve d'indifférence à l'égard de… || Soyez tranquille au sujet de votre demande, patientez ! on ne vous oublie pas. || Oublier ses amis. Délaisser, déserter, désintéresser (se), détacher (se), laisser (de côté). → Négliger, cit. 2. || On a vite oublié les absents (→ Loin des yeux, loin du cœur).Fam. || Eh bien ! on ne vous voit plus, vous nous oubliez !
9 Hélas ! les couvents tout entiers, qu'était-ce que des in pace, où les familles rejetaient, oubliaient, tel de leurs membres qui était venu de trop, et qu'on immolait aux autres ?
Michelet, Hist. de la Révolution franç., III, II.
Ne pas donner qqch. à (qqn). || N'oubliez pas les pauvres. || N'oubliez pas le guide, s'il vous plaît ! || Être oublié dans les promotions (→ Brouiller, cit. 9); → aussi fam. || Rester en carafe. || Il n'a oublié personne dans ses largesses. Excepter.
Par ext. || On dirait que la mort l'a oublié (→ Chut, cit. 2; impur, cit. 10). || C'est le seul édifice qui reste debout, il semble avoir été oublié par le cataclysme (→ aussi Aubépine, cit. 1). Épargner.
10 Il semblait que le progrès du siècle eût oublié la petite ville; elle était sise à l'écart et ne s'en apercevait pas.
Gide, Si le grain ne meurt, I, II, p. 38.
11 (…) Rieux savait que Tarrou se disait, comme lui, que la maladie venait de les oublier (…) et qu'il fallait maintenant recommencer. Oui, il fallait recommencer et la peste n'oubliait personne trop longtemps.
Camus, la Peste, p. 278.
6 Refuser sciemment de faire cas de (qqn), de tenir compte de (qqch.). || Oublier ses promesses (→ Inconséquent, cit. 3). || Oublier ses mérites, négliger de s'en prévaloir. || Oublier sa fierté (→ Épancher, cit. 19).Vous oubliez qui je suis : vous manquez aux égards qui me sont dus (→ Lambel, cit. 1).
Spécialt. Pardonner. || Oublier une faute, une injure (→ Passer la brosse, l'éponge; fermer les yeux; ne plus parler de; passer [sur]; faire comme si de rien n'était; tirer le rideau). || Oublier un désaccord, une querelle. Enterrer. || Laisser dormir (cit. 26) et oublier toute chose. || « J'oublie en sa faveur un discours qui m'outrage » (→ Injurieux, cit. 1). — ☑ Loc. fam. On oublie tout (et on recommence).Absolt. (→ Merci, cit. 2).
12 Voici une question entre deux maximes : on pardonne les infidélités; mais on ne les oublie point. On oublie les infidélités, mais on ne les pardonne point.
Mme de La Fayette, Lettre à Mme de Sévigné.
13 (…) dans des fautes si sincèrement reconnues, et dans la suite si glorieusement réparées par de fidèles services, il ne faut plus regarder que l'humble reconnaissance du Prince qui s'en repentit, et la clémence du grand Roi qui les oublia.
Bossuet, Oraison funèbre de Louis de Bourbon.
Fam. (Argot). || Oublie ! : ne t'occupe plus de ça. → Ça va comme ça, laisse tomber.
13.1 Gaspard, à Manu. Je regrette, mais je n'ai pas demandé à venir ici.
Manu. Oublie ! Oublie ! (…)
J. Becker et J. Giovanni, le Trou (scénario).
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II (Suivi d'une complétive ou d'une interrogative indirecte).
Oublier à (vx), oublier de (et inf.). Manquer, négliger, omettre. (→ Garnir, cit. 9; heure, cit. 29; insister, cit. 2). || Il a oublié de nous prévenir. — ☑ Loc. fam. Il a oublié d'être bête : il est intelligent.
14 (…) j'ai oublié à lui demander si c'est en long, ou en large.
Molière, le Malade imaginaire, II, 2.
Oublier que…, comment…, si… || Il avait oublié qu'il avait un rendez-vous. || Je n'oublie pas comment, grâce à qui j'ai été tiré d'affaire. || On a maintenant oublié si son investiture était légitime.
REM. Après oublier que à la forme affirmative, on emploie d'ordinaire l'indicatif. Je voudrais vous faire oublier que je suis votre maître (cit. 11). — On emploie aussi le conditionnel si le fait est éventuel (Il oublie que nous aimerions bien être renseignés) ou le subjonctif (littér. ou vieilli) : J'oubliais qu'il eût un intendant (La Fontaine, Contes, V, 7). Après oublier que à la forme négative, on emploie d'ordinaire l'indicatif (→ Apprenti, cit. 13; justice, cit. 26), parfois le conditionnel. || Je n'oublie pas que vous préféreriez partir (cf. Grevisse, le Bon Usage, §999, rem. 2).
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s'oublier. v. pron.
ÉTYM. (V. 1200, soi oublier).
1 (Sens passif). Être oublié. || Tout s'oublie ut se perd au cours des heures (→ Eau, cit. 7). || Le danger s'oublie (→ Évanouir, cit. 10). || Un tel affront ne s'oublie pas.
2 (Sens réfl.). Cesser d'avoir nettement conscience de son existence personnelle (→ Nature, cit. 51).Spécialt. Ne pas s'apercevoir de l'heure qu'il est, ne pas penser à temps à ce qu'on doit faire (→ Anuiter [s'], cit. 1).
15 La Fontaine vit de la vie contemplative et visionnaire jusqu'à s'oublier lui-même et se perdre dans le grand tout.
Hugo, Post-Scriptum de ma vie, « Les grands hommes », II.
16 Il ne dormait pas beaucoup, et rêvassait sans cesse. Le matin, quand on l'avait arraché de son lit, il s'oubliait, ses deux petites jambes nues pendant hors de son lit ou, bien souvent, deux bas enfilés sur la même jambe. Il s'oubliait, ses deux mains dans sa cuvette. Il s'oubliait à sa table de travail, en écrivant une ligne, en apprenant sa leçon : il rêvait pendant des heures; et après, il s'apercevait soudain, avec terreur, qu'il n'avait rien appris.
R. Rolland, Jean-Christophe, « Antoinette », p. 834.
3 Ne pas penser à soi, à ses propres intérêts. || S'oublier pour se donner (cit. 73) à autrui. || Uni à d'autres hommes dans une équipe (cit. 4), l'homme se trouve lui-même en s'oubliant.Iron. || Il ne s'est pas oublié : il a su se réserver sa part d'avantages, de bénéfices. — ☑ Prov. Est bien fou qui s'oublie.
(En mauvaise part). Vieilli. || Perdre le souci de sa dignité, de ce qu'on doit à soi-même. || « Mon cœur, hors (cit. 35) de lui-même, S'oublie, et se souvient seulement qu'il vous aime » (Racine).Avoir des faiblesses, n'être pas égal à soi-même. || Homère lui-même s'oublie quelquefois.
Littér. Manquer aux convenances; aux égards dus à autrui aussi bien qu'à soi-même, à sa propre dignité. || Il s'est oublié jusqu'à me manquer gravement (→ 1. Fou, cit. 28).
17 Ils étaient face à face, les dents près des dents, exaspérés, les poings serrés (…) Le commissaire passa vivement entre les deux et, les écartant avec ses mains : — Messieurs, vous vous oubliez, vous manquez de dignité !
Maupassant, Bel-Ami, II, VIII.
Fam. a Assoupir (s'), endormir (s'); → Hébétude, cit. 1.
b Faire ses besoins; spécialt, uriner involontairement.
18 (…) l'année dernière, ma fille a dû s'en débarrasser (du chat) je l'ai amené ici, parce qu'il s'oubliait dans tous les coins de la boutique.
Zola, la Terre, I, III.
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oublié, ée p. p. adj.
|| Vivre oublié de ses amis. || Oubliée de tous. || Mourir oublié (→ Façonner, cit. 4; futilité, cit. 3). || Oublié, libre et paisible (→ Feuillage, cit. 1). || Des œuvres oubliées, tombées dans l'oubli.
N. || Un oublié. || Les oubliés. a Personne abandonnée, à qui on ne pense pas.
b Disparu, mort dont on ne parle plus (→ Mort, cit. 18).
19 Oublié ! mot terrible. Qu'une âme ait péri dans les âmes ! (…) Celui que Dieu fit pour la vie, n'avait-il donc pas le droit de vivre, au moins dans la pensée ? Qui osera, sur terre, donner même au plus coupable cette mort par delà toute mort, le tuer dans le souvenir ?
Michelet, Hist. de la Révolution franç., Introd., II, IX.
CONTR. Évoquer, garder (le souvenir), rappeler (se), retenir, retrouver, souvenir (se). — Apprendre, constater, observer, penser (à), songer (à). — Occuper (s'occuper de); dévouer (se).(D'oublié) Célèbre, connu, fameux.
DÉR. Oubli, oubliable, oubliance, oubliette, 2. oublieur, oublieux.
COMP. Entr'oublier (s'), inoubliable. Ne m'oubliez pas.

Encyclopédie Universelle. 2012.