MÉTRIQUE
La métrique est l’étude des régularités systématiques qui caractérisent la poésie littéraire versifiée, qu’il s’agisse des formes de vers (mètre ), de groupes de vers (strophe ) ou de poèmes entiers (forme fixe ). Son domaine peut s’étendre à des régularités de type musical qu’on trouve dans le domaine du slogan, du folklore enfantin (comptines) comme de la chanson, car la théorie métrique doit reconnaître ce qui distingue la poésie du chant, et ce qui les apparente.
Un révélateur de la mesure et du sentiment de la régularité métrique est le sentiment inverse du boiteux ou du faux, qui apparaît quand quelqu’un s’écarte tout à coup de la régularité d’un rythme en chantant à contretemps, en ajoutant une syllabe à un vers, etc. La surprise causée par l’écart prouve l’attente de la régularité chez celui qui l’éprouve; inversement, l’incapacité de repérer un écart subit par rapport à une régularité témoigne du fait que cette régularité n’était pas nettement perçue. Or une caractéristique assez générale des textes métriques traditionnels (chant, poésie) est que leur organisation métrique est sensible sinon à n’importe qui, du moins à un certain public à qui ils sont destinés: par exemple, il est exceptionnel qu’un poète écrive toute une série de vers «en comptant sur ses doigts» (au lieu de se guider par instinct), et en prévoyant que ses lecteurs pourront tout au plus vérifier par calcul la régularité de ses vers, sans la sentir spontanément. Ainsi la métrique étudie des régularités des textes non simplement en elles-mêmes, mais en tant qu’elles sont objet de perception, et par ce côté elle peut relever de la psychologie.
Ayant pour objet des régularités perçues, l’analyse métrique ne peut pas ignorer les conditions culturelles de production et de consommation des textes versifiés. On parle souvent «du» rythme d’un texte en oubliant que, puisqu’un texte peut être appréhendé de multiples façons, il risque d’exister autant de rythmes (virtuels) de ce texte que de façons de le saisir. C’est notamment vrai de la lecture, donc de la littérature écrite ; par exemple la saisie oculaire peut favoriser une certaine liberté dans le découpage du texte. Quand on lit ces paroles: «Léandre le sot, Pierrot qui d’un saut de puce franchit le buisson, Cassandre sous son capuce», on peut lire de la prose, alors que Verlaine, dans Colombine (1869), a fait de ces mêmes mots des vers rimés en sizain, en les publiant comme ceci:
DIR
\
Léandre le sot,
Pierrot qui d’un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce.../DIR
On voit ici le rôle de la typographie spéciale qui, dans la poésie écrite, délimite clairement les vers, et souvent les strophes, imposant ainsi le découpage qui permet au lecteur de percevoir distinctement le rythme de ces unités métriques. Sans cette présentation spécialisée (passage à la ligne, initiales majuscules, jeu de marges), la mesure des vers et leurs rimes, n’étant pas toujours perceptibles, seraient souvent comme si elles n’existaient pas. L’analyse métrique des textes peut donc impliquer l’étude de la manière dont la perception est conditionnée par leur présentation, écrite ou orale suivant le cas.
À plus forte raison l’analyse métrique doit-elle tenir compte de la différence de statut entre ce qui est appréhendé par lecture et ce qui l’est par audition, et, dans ce dernier cas, entre ce qui est chanté, ou dit suivant un rythme déterminé, et ce qui ne l’est pas, etc. C’est une source de confusion dans la théorie métrique que de prendre les paroles imprimées de la Chanson de Roland ou d’une comptine comme Une souris verte pour le chant ou la comptine eux-mêmes, en négligeant le support musical. Une des tâches préalables de la métrique est donc de distinguer les types d’objets analysés, et en particulier de bien marquer la spécificité de la versification.
1. Métrique syllabique simple: le vers français classique
L’expression Léandre le sot , qui peut, isolée ou placée dans un roman, être de la prose non rimée, est un vers, et rime, dans le sizain cité ci-dessus. Ce vers n’est donc pas plus vers en soi, que sa rime en -ot n’est rime en soi. De même que la qualité de rime de sot n’existe, ici, que par l’équivalence contextuelle des fins de lignes en sot et en saut , de même la qualité de vers de Léandre le sot n’est ici qu’une équivalence en nombre syllabique (nombre 5) avec la ligne suivante. Inséré au milieu de vers ayant tous 6 syllabes, ce même vers deviendrait faux. Ce qui est métrique n’est donc pas un vers, mais des vers, par équivalence mutuelle; et ce qu’on appelle le mètre d’un vers consiste moins en la conformité de cette expression singulière avec une norme abstraite qu’en l’équivalence mutuelle en nombre syllabique de plusieurs expressions voisines.
Ce que les vers cités ici ont en commun est leur nombre syllabique, à savoir 5 (ou 2, pour les plus petits). Ils peuvent varier librement quant à d’autres aspects de leur rythme: c’est une caractéristique de la poésie littéraire française que le mètre y repose uniquement sur des équivalences en nombre syllabique, sans différence de statut métrique entre les différentes sortes de syllabes internes à la mesure, le découpage rythmique en cellules (parfois abusivement appelées «pieds») et la disposition interne des accents restant «libres», c’est-à-dire indifférents au mètre. On peut appeler syllabique simple ce système dans lequel, à l’intérieur d’une mesure donnée, toutes les syllabes ont la même valeur métrique, comptant simplement pour 1 (le terme d’isosyllabique est parfois entendu en ce sens).
La différence entre les syllabes post-accentuelles à e «atone», dites féminines, comme la syllabe [t face=F3210 李易] finale de traître si l’e est prononcé, et toutes les autres syllabes, dites masculines, n’intervient que dans la délimitation de la fin des mesures, en fonction de la loi prosodique suivante: en français, tant en prose qu’en vers, la fin d’une unité rythmique est pour ainsi dire scandée par sa dernière syllabe masculine; si sa dernière syllabe est féminine, elle ne peut avoir cette valeur conclusive (comme si son moindre «poids» l’en empêchait), et, ce rôle étant tenu par la dernière masculine, la féminine terminale déborde au-delà de l’unité rythmique, comme en supplément (statut non conclusif des syllabes féminines, voire plus généralement post-accentuelles); d’où le fait que l’accent terminal ainsi que l’abaissement ou l’élévation mélodique marquant l’intonation d’une expression se portent sur l’avant-dernière syllabe plutôt que sur la dernière si celle-ci est féminine.
Dans la poésie classique, cette loi générale du rythme du français moderne se manifeste par la contrainte métrique suivante: la dernière syllabe d’une mesure ne peut pas être féminine. À la fin du vers, l’effet du statut non conclusif des syllabes post-accentuelles est que, si la dernière syllabe d’un vers est féminine, elle ne s’intègre pas à la mesure, et ne compte donc pas métriquement: un vers de 9 syllabes dont la dernière est féminine peut donc être métriquement équivalent à un vers de 8 syllabes dont la dernière est masculine. Ainsi le premier vers des Mages de Victor Hugo, «Pourquoi donc faites-vous des prêtres», est métriquement équivalent au second, «Quand vous en avez parmi vous», même si on suppose prononcée la syllabe terminale féminine de prê-tres , parce que cette neuvième syllabe reste extérieure à la mesure (mètre huit-syllabique); cette syllabe est dite extramétrique (hors mesure) ou surnuméraire parce que comptant en sus du nombre métrique; l’Art Poëtique de Sebillet (1548) la disait «exundante» (débordante). Cette notion de voyelle (et syllabe) en surnombre ne devrait pas être confondue avec celle de voyelle élidée (supprimée), car c’est une chose différente que de déborder en dehors de la mesure et que de ne pas être du tout. Et l’exemple d’autres langues romanes, comme le provençal ou l’italien, montre qu’une voyelle post-accentuelle qui ne compte pas dans la mesure peut être distinctivement pertinente pour la rime.
La confusion, fréquente même dans les traités, des notions de voyelle élidée et de voyelle (ou syllabe) hors mesure et les variations de terminologie métrique d’une langue à l’autre masquent à ce sujet la parenté de la poésie française avec divers autres systèmes. Ainsi l’appellation de endecasillabo , c’est-à-dire «onze-syllabe», pour le grand vers italien, qui a généralement onze syllabes, avec deux accents fixes sur la 4e et sur la 10e syllabe, masque sa parenté avec le décasyllabe ou dix-syllabe français à césure sur la 4e syllabe. Car le «onze-syllabe» italien a 10, 11 ou 12 syllabes, selon qu’il se termine par une expression accentuée sur la dernière syllabe, l’avant-dernière ou l’avant-avant-dernière. Et il ne doit son nom, purement statistique, qu’au fait que la plupart des mots, donc des vers, italiens s’accentuent sur l’avant-dernière syllabe. L’hendécasyllabe italien n’est donc pas moins décasyllabique que notre décasyllabe, tous deux ayant le même nombre de syllabes métriques, et ne s’opposant à cet égard que par le nombre possible des post-accentuelles terminales, qui sont hors mesure en italien comme en français: car, dans une langue comme dans l’autre, la forme rythmique se conclut par sa dernière syllabe accentuée. Cette loi du rythme a des conséquences analogues dans la métrique musicale du chant.
Dans la poésie écrite traditionnelle de langue française, lorsque des vers en série ont pour nombre syllabique commun un nombre supérieur à 8 ou 9, ils ont alors une autre propriété en commun, qui correspond à ce qu’on appelle une césure (coupe métrique intérieure au vers); par exemple, s’il s’agit d’une série de dix-syllabes, généralement, ou bien tous ont une coupe après la 4e syllabe, et sont ainsi analysables en deux sous-vers dits hémistiches de 4 et 6 syllabes (mètre 4-6), ou bien tous ces vers ont une coupe après la 5e syllabe et sont analysables en deux hémistiches de 5 syllabes (mètre 5-5); le caractère métrique de la césure consiste en la fixité de sa position pour une série de vers donnée. Ces vers composés, formés pour ainsi dire par la réunion de deux vers (hémistiches), s’opposent aux vers simples de 8 syllabes ou moins. On a rarement tenté d’écrire des vers simples (sans césure) de plus de 8 ou 9 syllabes: leur équivalence exacte en nombre syllabique n’y est pas instinctivement perceptible, et un vers faux ne s’y distingue pas clairement des autres, le nombre syllabique en français étant inaccessible à la perception au-delà de 8 (loi des 8 syllabes). Sans cette limite de notre capacité de perception du nombre syllabique, l’exemple même de la prose, «Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit», mis par Molière dans la bouche de Monsieur Jourdain eût été un piètre exemple, puisqu’on aurait risqué d’y percevoir la succession de deux vers de 9 syllabes alternativement féminin et masculin comme dans un distique classique.
Le statut non conclusif des syllabes féminines, qui empêche une syllabe féminine d’être métrique à la fin d’un vers, l’empêche par le même principe d’être métrique à la fin d’un vers composant ou hémistiche (à la césure). La suite («variation» à partir d’un vers de Racine) Je viens dans son temple pour prier l’Éternel , avec sa sixième syllabe féminine, ne peut donc pas former un vers classique à mètre 6-6 (alexandrin), puisque cette mesure impliquerait que la fin du premier hémistiche est scandée par la syllabe féminine -ple de temple , comme si on disait templeu . (Dans la poésie médiévale, il semble que les syllabes féminines ou ce qui leur correspond pouvaient avoir parfois un rôle rythmiquement conclusif, et compter en fin d’hémistiche; ainsi «Par Fortune, comme Dieu l’a permis» apparaît en contexte de mesure 4-6 chez Villon; on parle alors de césure lyrique.) On ne peut pas non plus faire un alexandrin classique avec les 13 syllabes de Oui, je viens dans son temple pour prier l’Éternel , avec septième syllabe féminine (en supposant l’e non élidé), parce que pour que la mesure soit 6-6 il faudrait que la septième syllabe, -ple , soit considérée comme hors mesure (1er hémistiche de 7 syllabes, mais avec dernière en surnombre); dans la poésie médiévale, où la soudure des vers composants en un vers composé était moins étroite, cette solution était pratiquable et a reçu le nom de césure épique (c’est une confusion fréquente que de parler de césure «épique» dans des poésies du XXe siècle où l’e peut être supposé élidé, donc inexistant et non pas en surnombre, à la césure). Enfin, la suite de 12 syllabes «Oui, je viens dans son temple prier l’Éternel», qui donnerait à beaucoup de nos contemporains l’impression d’un banal alexandrin classique, est en fait d’un type totalement absent de la poésie littéraire classique, avec sa coupe tem-ple prier (7e syllabe féminine), sans doute parce que le second hémistiche supposé par cette coupe, à savoir -ple prier l’Éternel , ne présente pas une autonomie suffisante pour pouvoir être ressenti comme un vers composant, même si le rythme 6-6 peut alors rester sensible par rattachement de la syllabe féminine (post-accentuelle) à l’unité rythmique suivante. Ce phénomène de récupération postérieure de syllabe post-accentuelle peut s’observer dans la métrique d’autres langues, notamment en espagnol. Le terme de coupe enjambante, que lui appliquent les métriciens français, est quelque peu trompeur, car la récupération postérieure de syllabe féminine ne suffit pas à donner l’impression de ce qu’on appelle un enjambement, et qui implique une discordance sensible entre le rythme naturel de l’énoncé et sa structure métrique – Racine avait écrit: «Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel», où le problème de la syllabe féminine à la césure est tout simplement éliminé par l’«élision» de l’«e muet» de temple devant adorer .
Les types de vers composés qu’on peut théoriquement concevoir ne sont pas tous couramment exploités. Ils sont d’abord restreints par le fait que le nombre des hémistiches est limité à deux, dont chacun est borné par la loi des 8 syllabes. De plus, les associations du type 5-6, 6-7 ou 7-8 sont évitées, la distinction des nombres syllabiques voisins n’étant pas claire quand leur différence est de un seulement (condition de discrimination). En fait, dans la poésie classique, les mètres composés sont rarement autres que 4-6, 5-5, et surtout 6-6. L’appellation traditionnelle d’alexandrin pour le 6-6 est meilleure que celle de «dodécasyllabe», puisque le nombre total douze n’est pas perceptible, et que les nombres syllabiques perçus et métriques sont ceux des hémistiches; «le» mètre décasyllabique, fréquemment cité dans des traités, n’existe pas puisque le total de 10 syllabes n’est pas perceptible, et recouvre au moins deux mètres différents, le 4-6, et le 5-5.
Fondamentalement, un vers est tel par équivalence en nombre syllabique avec des vers voisins. Cependant, du fait de la relative rareté des types de vers composés, et par exemple du fait que, pendant plusieurs siècles, l’immense majorité des vers de plus de 8 syllabes se mesuraient en 6-6 ou sinon en 4-6, et parfois 5-5, les formes composées prépondérantes peuvent s’inscrire, pour ainsi dire, dans la mémoire des habitués de poésie, et fonctionner comme des modèles culturels ou stéréotypes. Alors une expression bien délimitée, et nettement décomposable par exemple en deux segments de 6 syllabes, peut être reconnue, même sans équivalent voisin, comme une réalisation du type alexandrin. De plus, comme le huit-syllabe est de loin le vers simple le plus employé, et que le mélange des alexandrins et des huit-syllabes est particulièrement fréquent dans la poésie classique, spécialement dans l’ordre 6-6 / 8, la combinaison 6-6 / 8 peut elle-même s’inscrire dans certaines mémoires comme un stéréotype, et se reconnaître hors d’un contexte poétique. Ainsi, dans le métro de Paris, un familier de poésie classique lisant l’avertissement: «Le train ne peut partir que les portes fermées. Ne pas gêner leur fermeture» peut «sentir la mesure», c’est-à-dire reconnaître la forme 6-6, et son mélange avec 8. Cette fonction de stéréotype suppose évidemment un esprit conditionné par l’accoutumance à la poésie classique.
2. Métrique quantitative, accentuelle ou de ton
La métrique syllabique simple à l’état pur, illustrée notamment par la poésie littéraire française et japonaise, ou par la poésie populaire hongroise, est d’un type minoritaire. Dans les langues où existe une opposition tranchée, et phonologiquement déterminée, entre plusieurs catégories de syllabes, par exemple longues et brèves, ou accentuées et inaccentuées, l’équivalence entre les vers repose généralement, non pas simplement sur le nombre de leurs syllabes indistinctement longues ou brèves, accentuées ou atones, mais plus précisément sur leur agencement selon de telles catégories, de sorte qu’on pourrait souvent parler de métrique syllabique complexe, par opposition à une métrique syllabique simple où toutes les syllabes ont la même valeur.
La métrique dite quantitative de la littérature latine ou grecque ancienne distingue les syllabes selon leur «quantité»: «longues» ou «brèves». Ainsi les «hexamètres dactyliques» (censément vers de 6 pieds dactyles) d’Homère ou de Virgile sont (en gros) métriquement équivalents par le fait qu’ils présentent un nombre égal, à savoir 6, de syllabes principales, longues (souvent considérées comme des temps forts), séparées par des intervalles réguliers de deux brèves (ou une longue), etc. On appelle en ce cas pied la suite formée par une syllabe principale et la ou les syllabes intermédiaires (ou finale de vers) qui la suivent (ou la précèdent) et paraissent s’y rattacher. Les mètres quantitatifs se distinguent entre eux par le nombre de leurs syllabes principales, par la forme de la suite syllabique intermédiaire – une seule brève dans l’«ïambe» (brève-longue) ou le «trochée» (longue-brève) – et selon que les syllabes non principales paraissent se rattacher à la principale précédente comme dans le «trochée» et le «dactyle» (longue-brève-brève), ou à la suivante comme dans l’«ïambe» (brève-longue). La métrique accentuelle peut ressembler à la quantitative, les temps forts étant marqués par des syllabes lexicalement accentuées (au lieu des longues); ainsi les cinq syllabes principales des «pentamètres ïambiques» de la littérature anglaise sont, dans la forme la plus typique, des syllabes lexicalement accentuées.
D’une manière différente, la poésie classique chinoise exploite métriquement l’opposition phonologique dans cette langue entre les syllabes à «ton uni» (ni montant, ni descendant) et les autres syllabes (métrique de tons phonologiques). On note cependant que la langue chinoise distingue quatre sortes de tons, et que la métrique ne retient ici qu’une opposition binaire entre les tons unis et les trois autres sortes de tons (non unis). Cette restriction illustre, selon Lotz, une tendance assez générale des métriques internes de vers à ne se fonder que sur des oppositions binaires.
Qu’elles soient syllabiques simples comme en français, ou complexes, les métriques évoquées jusqu’ici ont en commun de fonder l’équivalence entre vers sur la structure syllabique des expressions, principalement déterminée par la forme phonologique: ainsi l’aspect de la parole qui est mesuré par comparaison est largement indépendant de l’immense diversité des manières dont une même expression, dans une langue, peut être prononcée. Cette restriction de l’objet de la métrique à la forme grammaticale s’explique en partie par le statut graphique de la poésie littéraire: l’écriture commune ne note pas le tempo, l’intonation, l’accentuation expressive des énoncés; dans la communication écrite ordinaire, ces aspects éventuels de l’expression ne peuvent, au mieux, que se deviner avec une grande marge de liberté liée à la liberté même de l’interprétation opérée par le lecteur. En cela, les métriques de structure syllabique s’opposent aux métriques de durée, normalement conditionnées et véhiculées par l’oralité, ou alors nécessitant l’intervention d’un code spécialisé de transmission (écriture musicale).
La métrique de slogans tels que «Un - tel président, un - tel - président...» ou «Algérie - fran - çaise...» et de diverses expressions rythmiquement scandées que nous accueillerons ici sous le même nom de «slogans», comme «Ma - chin, - un’ chanson», peut s’exprimer en termes d’équivalences de durée, ou «isochronies» (métrique de durée, ou d’isochronies). Une approche traditionnelle en termes de notation musicale consisterait à noter par exemple le rythme du slogan «Untel président» par 玲玲怜怜怜靈. Cela signifierait que les deux syllabes de Untel ont une durée égale, représentée par une noire (face=F0019 玲); que les trois syllabes de président ont une durée deux fois moindre représentée par une croche (face=F0019 怜); et que -dent est suivi d’une pause de durée égale à une croche (demi-soupir 靈).
Mais si cette description a l’avantage d’employer un code déjà défini, celui de la notation musicale, elle a l’inconvénient de figer arbitrairement la durée relative des syllabes et des pauses. Car si on dit un slogan en même temps que d’autres personnes, on peut, sans donner l’impression de s’écarter de la mesure, donner à chaque syllabe une durée moins grande que ne font les autres, et même aussi brève qu’on veut (en «staccato»): il suffit d’attaquer chaque syllabe en même temps que les autres locuteurs, en compensant exactement son abrègement éventuel par l’insertion ou l’allongement d’une pause après elle. La régularité essentielle du rythme du slogan ne concerne donc pas véritablement les durées des syllabes, puisque celles-ci peuvent varier assez librement en fonction des pauses compensatoires; elle concerne plutôt les intervalles de durée d’une attaque de voyelle à l’autre; pour réciter «Un - tel - président...» en rythme, ce qui importe principalement est que la durée (silencieuse ou non) qui sépare les attaques des voyelles de Un- et de -tel soit équivalente à celle qui sépare les attaques des voyelles de pré- et -dent , ou de -tel et pré- ; et qu’une durée deux fois moindre sépare les attaques des voyelles de pré- et de -si- comme de -si- et de -dent ; ainsi les attaques des voyelles des syllabes marquées en capitales dans UN - TEL - PRÉsiDENT sont temporellement équidistantes, et il y a aussi équidistance entre les trois attaques de voyelles du mot président . Il est secondaire que les durées intermédiaires ainsi réglées soient remplies par des silences (syllabes abrégées) ou par des sons (syllabes liées).
La conscience pratique que nous avons de ce squelette métrique des slogans se traduit d’une manière évidente quand on «scande» une formule de ce type en claquant des mains, ou en frappant un objet, à l’instant correspondant à certains débuts de voyelles. Ainsi le rythme du slogan «Ce - n’est - qu’un début continuons le - combat», qu’on peut être tenté de décrire par la notation musicale 玲玲怜怜玲怜怜怜怜靈怜怜靈 est exploité par les supporteurs du club sportif Cosmos de New York, qui, sans paroles, claquent des mains sur ce rythme, sauf pour les deux derniers coups qu’ils scandent par ces deux syllabes: «Cosmos! » (autre variante connue: «Let’s go »).
De ce point de vue métrique, les deux mots du slogan «Untel président» sont donc réduits à leurs attaques (débuts) de voyelles; et si on ne considère en chacun d’eux que ces attaques, qui sont comme leur squelette rythmique, on s’aperçoit qu’ils sont exactement équivalents l’un à l’autre en durée d’attaques , c’est-à-dire, pour chaque mot, par la durée qui s’écoule de sa première à sa dernière attaque de voyelle (masculine), car cette durée est égale pour ces deux mots.
L’intonation des slogans du type précédent est généralement libre. Dans certains, cependant, sur la structure d’isochronies s’articule une structure mélodique rudimentaire. Ainsi, dans «On a - ga - gné...», cri collectif de supporteurs d’équipes sportives, toutes les syllabes sauf l’avant-dernière sont dites sur une même hauteur (fondamentale), l’avant-dernière ga- étant dite cinq demi-tons au-dessous (intervalle d’une quarte) comme dans la suite: fa fa-do-fa . De nombreuses formulettes enfantines présentent une simplicité mélodique comparable à base d’un ou deux intervalles, par exemple un ton et une quarte ou quinte, sur des rythmes isochroniques du genre de ceux qui sont mentionnés ici; ainsi la formulette d’élimination «Enlèv’ ton pied car il est sal’», récitée comme une suite de croches (attaques de voyelles équidistantes), est parfois chantée comme: do do do ré do ré sol do . Le chant est généralement caractérisé, de même, par l’articulation d’une structure mélodique et d’une structure rythmique qui peuvent être beaucoup plus complexes.
4. Superstructures métriques
Dans la poésie littéraire traditionnelle, les vers ne sont pas les seules unités métriques: ils sont généralement regroupés, d’une manière systématique, en unités de niveau supérieur, essentiellement au moyen de la rime, parfois aussi au moyen des variations métriques ou de la répétition verbale. Ainsi dans ce passage de Horror , de Hugo:
La graphie impose d’emblée un regroupement régulier en groupes de six vers (sizains). À l’intérieur de chaque groupe, certaines lignes consonent deux à deux par leurs terminaisons, à partir au moins de leur dernière voyelle masculine (équivalence de rime ). Si on représente deux vers rimant ensemble par la même lettre, chacun des groupes présente le même schéma d’équivalences en rime: AABCCB. Les deux groupes sont donc équivalents non par leurs sonorités terminales (les vers ne riment pas d’un groupe à l’autre), mais par leurs réseaux d’équivalences en sonorités terminales (schémas rimiques). De tels groupes métriques, en succession régulière, sont généralement appelés strophes .
À l’intérieur de chaque strophe, le schéma rimique dessine deux sous-groupes équivalents de trois vers («tercets»), AAB et CCB, qu’on peut appeler les cellules composantes de la strophe. Ces deux cellules sont équivalentes non seulement par leurs derniers vers rimant en B, mais par leurs paires initiales de vers («distiques»), puisque AA, dans la première cellule, est équivalent à CC dans la seconde, en schéma rimique (chacun de ces deux distiques, considéré indépendamment, est rimé en AA). Chaque tercet est donc une cellule composée de la succession d’un distique et d’un vers. Les vers courts (huit-syllabes) apparaissent comme des clausules, scandant par le changement de mètre la fin des cellules, dont le mètre de base est 6-6 (alexandrin).
Dans la poésie littéraire, la rime n’est donc pas un simple «écho sonore» visant, comme disent certains traités, au «plaisir» qui naîtrait de la «répétition». Les schémas rimiques structurent totalement le poème en une succession de groupes emboîtés de vers, dont on peut mesurer la complexité: dans ces sizains classiques, le schéma AAB-CCB détermine quatre niveaux de structure métrique, puisque certains vers (premier niveau) sont regroupés en distiques (deuxième niveau), que chaque distique forme une cellule avec le vers suivant (troisième niveau), et qu’une paire de cellules forme une strophe (quatrième niveau). Il existe en fait un cinquième niveau d’«infrastructure» métrique pourrait-on dire, si on tient compte de ce que les alexandrins des distiques sont eux-mêmes composés d’hémistiches de 6 syllabes.
Les schémas rimiques de base les plus communs dans la poésie française classique sont, outre la suite AAB-CCB formant des sizains, la paire A-A qui forme les distiques dits à rimes plates en séries du type AABBCC..., et la forme dite croisée AB-AB (quatrains). Ces trois formes ont en commun d’être composées de deux cellules (de un, deux ou trois vers) rimant entre elles par leur dernier vers: A rime avec A dans chaque distique A-A (cellules simples de un vers), AB rime avec A 祿 dans AB-AB (cellules composées de deux vers), AAB rime avec CCB dans AAB-CCB (cellules composées d’un distique et d’un vers). La forme dite embrassée AB-BA, souvent mélangée avec la forme AB-AB comme équivalente, en est une variante, comme la forme AAB-CBC de sizain est une variante de AAB-CCB, par l’ordre inverse des rimes à la fin de la deuxième cellule. La réunion de deux schémas de telles strophes simples définit parfois une strophe composée, comme le dizain ABAB-CCD-EED, résultant de la combinaison d’un quatrain AB-AB et d’un sizain AAB-CCB. Ces formes composées reposent le plus souvent sur la succession de deux éléments seulement, suivant un principe limitatif de composition binaire non pas absolu, mais très général (les formes simples, ou binaires, sont banales; les formes irréductiblement ternaires, ou plus encore quaternaires, sont relativement rares). Ce principe est peut-être caractéristique des métriques «temporelles», par opposition aux métriques «spatiales» des objets non ordonnés dans le temps.
Le caractère métrique des strophes repose généralement sur leur apparition en séries régulières, le plus souvent simples (par exemple suite uniforme de quatrains), parfois alternées (par exemple alternance de quatrains et de dizains). Mais, de même que certains vers composés stéréotypés peuvent se reconnaître à l’état isolé (cf. supra ), de même certains types classiques de strophes, immédiatement reconnaissables, comme le quatrain croisé ou embrassé, fonctionnent parfois à l’état isolé (équivalence culturelle et non plus contextuelle), notamment dans des pièces de circonstance, légendes de gravures, etc. C’est également le cas des «quatrains» moraux tels que ceux de Pibrac (fin du XVIe s.). Tel est aussi, mais plus systématiquement, le caractère de ce qu’on appelle les formes fixes, qui sont des schémas de rimes, et parfois de mètres, dont le caractère stéréotypé suffit à constituer, à l’état isolé, la métrique d’un poème: ainsi le sonnet, forme de poème généralement caractérisée, en France, par la succession de deux quatrains en ABBA sur les mêmes rimes, et d’une unique paire de tercets en AAB-CCB (ou -CBC). Une même forme rimique, comme le dizain ABAB-BC-CDCD, a servi parfois de strophe comme dans la Délie de Scève, et parfois, à l’état isolé, de «forme fixe» (poésie autonome), comme dans certaines épigrammes de Marot ou de Jean-Baptiste Rousseau.
Un effet d’une forme fixe telle que le sonnet ou la ballade est de rendre métrique la forme globale d’un poème, alors que la forme globale, par exemple, d’un poème qui serait une «suite de 29 quatrains» n’est pas rendue elle-même métrique par quelque équivalence sensible. D’autres moyens semblent pouvoir rendre contextuellement métrique la forme globale d’un poème; par exemple, théoriquement au moins, l’équivalence «verticale» du tout à certaines parties, comme dans un poème formé de seulement trois strophes dont chacune serait à son tour formée de trois vers. Cette sorte d’équivalence se trouve dans les strophes dites carrées, comme un «dizain» de «décasyllabes»; cependant, elle est sans doute purement théorique, le nombre dix des vers n’étant sans doute pas plus accessible à la perception que le nombre dix des syllabes dans chaque vers, qui est plutôt mesuré en 4-6, ou en 5-5.
5. Textes à double métrique
Une grande source de confusion entre les métriques syllabiques et de durée réside en ce qu’un texte peut être mesuré de plusieurs manières indépendantes qui en font autant d’objets métriques. Il arrive souvent, en particulier, qu’un texte soit, d’une part, mis en musique et, d’autre part, sur le papier, mis en vers. Le risque de confusion est alors d’autant plus grand que la correspondance entre la structure métrique du chant et celle du poème est étroite.
Un exemple d’ambivalence clair mais méconnu est fourni par l’hymne national français. Les paroles de La Marseillaise sont généralement imprimées, de nos jours, de telle façon qu’elles présentent un contraste singulier entre les couplets, qui seraient des huitains de versification parfaitement classique, et le refrain, qui ressemblerait plutôt à des vers libres, anachroniques sous la plume de Rouget de Lisle: «Aux armes, citoyens! / Formez vos bataillons! / Marchons, marchons! / Qu’un sang impur / Abreuve nos sillons!» (structure syllabique variable, rimes lacunaires et n’alternant pas en genre). Or il suffit de réduire la répétition du mot «marchons», considéré comme un bis , pour déterrer, sous ces vers libres, ce distique classique d’alexandrins correctement rimés:
DIR
\
Aux armes, citoyens! formez vos bataillons!
Marchons! qu’un sang impur abreuve nos sillons!/DIR
Il y a donc deux Marseillaises , non simultanément perceptibles, dans «la» Marseillaise : d’une part, un chant (texte doté d’une métrique de durée et d’une structure mélodique), d’autre part, un poème conforme aux conventions graphiques traditionnelles, à métrique syllabique simple et superstructures rimiques classiques (dizains de 8-syllabes conclus par une paire d’alexandrins, comme les strophes de l’Ode à la Reine de Gilbert). C’est une des difficultés de l’analyse métrique que de dissocier, le cas échéant, les diverses structures métriques, plus ou moins étroitement convergentes, auxquelles peut se soumettre un seul et même objet.
6. Vers libres
Depuis la fin du XIXe siècle, beaucoup de poètes, dont certains considéraient la versification comme un ensemble d’obligations appauvrissantes, ont publié des textes en «vers libres». Généralement, les poèmes ainsi qualifiés se présentent typographiquement comme des suites de «vers»-lignes (passage à la ligne, avant d’atteindre la marge droite et les dimensions ordinaires d’un paragraphe, éventuellement au milieu d’une phrase, souvent avec initiale majuscule même dans ce dernier cas). Le style est souvent caractéristiquement «poétique». Tout cela force l’attention au rythme, et le fait est qu’on rencontre souvent dans des vers libres un dense tissu d’équivalences en nombres syllabiques, ou des formes stéréotypées (notamment 6-6 et 4-6 chez certains poètes). Mais la «liberté» se marque tout de même par le fait qu’on n’y trouve pas le réseau rigoureux et continu d’équivalences qui déterminent les vers traditionnels. Plus souvent encore, il manque le réseau d’équivalences en terminaison qui dessinent une figure rimique, et la forme d’ensemble n’est pas reproduite (absence fréquente de superstructure strophique, ou de «forme fixe»). Ainsi la parenté des vers libres avec les vers traditionnels (écrits) se limite parfois à ce que le découpage typographique y joue un rôle semblable, en conditionnant la manière dont le texte est appréhendé.
7. Codage et transmission
Les structures de durée et de mélodie du slogan ou du chant ne sont généralement pas déductibles des paroles, puisqu’une même expression grammaticale peut le plus souvent se rythmer et se chanter d’un grand nombre de manières différentes. Elles se perçoivent ou se transmettent donc d’ordinaire soit par l’audition (culture orale), soit, dans l’écrit, par l’adjonction d’une notation codifiée (écriture musicale). Ces problèmes de communication tendent à creuser l’écart entre la parole versifiée (poésie), que tout individu sachant lire peut en principe consommer seul (lecture), et la parole chantée, qui se transmet souvent, pour une majorité de personnes ne connaissant pas l’écriture musicale, par l’audition d’autres personnes, voire d’«interprètes» capables de déchiffrer cette écriture.
Cependant, l’interprétation syllabique d’un énoncé français, quoique largement déterminée par sa forme phonologique, n’est souvent pas complètement déductible de sa forme écrite; par exemple, la structure syllabique dépend, pour le mot «lion», du choix entre l’interprétation vocalique de i («diérèse: deux syllabes), ou consonantique («synérèse»: une syllabe); «samedi» fait trois syllabes si on y fait correspondre une voyelle à la lettre e , deux syllabes sinon («élision»). La majorité de ces ambiguïtés sont tranchées par deux types de codification, peu à peu établies par l’usage, qui ont prévalu, non sans quelques flottements ou évolutions, jusque vers la fin du siècle dernier. D’une part, la forme phonique des mots tend à se figer par son usage même (langue des vers traditionnelle), et par là même à se signaler comme désuète, voire archaïque: ainsi tous les «lions» de la langue poétique classique sont des li-ons, alors que tous les «pieds» sont des [pje] (une syllabe). D’autre part, l’interprétation de la forme écrite est rigoureusement codifiée par la tradition sur certains points dont dépend la syllabation ou la rime (conventions graphiques): par exemple, une graphie de consonne même muette est toujours considérée, en fin de mot, comme pertinente; de ce fait, «espaces», censé se terminer par le son [z] (ou [s]) à cause du s final de sa forme écrite, ne rime pas avec «passe», et «espaces infinis», où l’e ne peut pas être «élidé» devant la consonne [z], compte forcément pour 6 syllabes et non 5 dans un vers. Pour un lecteur accoutumé à ces conventions, la valeur syllabique des vers classiques, et par là leur métrique, est évidente d’emblée.
Mais un grand nombre de lecteurs modernes, même cultivés, connaissent mal ces conventions, et perçoivent, en les lisant, les vers classiques comme des «vers libres» sans métrique rigoureuse. Peu, aujourd’hui, perçoivent, dans «Le lait tombe: adieu veau, vache, cochon, couvée», l’alexandrin 6-6 que ce fut pour La Fontaine; peu reconnaissent les 12 syllabes qu’avait «Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur!» pour Hugo. Ainsi les mêmes types de codification qui facilitaient autrefois la communication de la forme métrique tendent aujourd’hui à la rendre obscure, et ont contribué au recul des formes métriques de structure syllabique traditionnelles (ces formes survivent cependant par l’enseignement, la culture classique, et chez de nombreux amateurs), alors que les formes à métrique isochronique de culture orale (slogan, chant) n’ont pas connu une pareille déchéance.
métrique [ metrik ] adj. et n. f.
• 1495; lat. metricus, gr. metrikos
I ♦ Versif. Qui est relatif à l'emploi de la mesure, du mètre (I) . Vers métrique, fondé sur la quantité prosodique des syllabes.
♢ N. f. (1768) LA MÉTRIQUE : étude de la versification, notamment de l'emploi des mètres. ⇒ prosodie.
♢ Système de versification; ensemble des règles qui y sont relatives. ⇒ 2. vers. « Notre métrique est basée sur le nombre des syllabes » (A. Gide).
II ♦ (1795; de mètre II)
1 ♦ Qui a rapport au mètre, unité de mesure. Système métrique : système décimal de poids et mesures qui a le mètre pour base, institué d'abord en France le 7 avril 1795.
♢ Télécomm. Onde métrique, dont la longueur d'onde est comprise entre un et dix mètres.
2 ♦ Math. Relatif aux distances. Espace métrique. Géométrie métrique.
♢ N. f. Théorie de la mesure dans un espace (II, 2o), basée sur la formule de la distance entre deux points de cet espace.
● métrique adjectif (de mètre) Qui a rapport au mètre ou aux mesures auxquelles il sert de base. Se dit d'un ensemble E muni d'une distance. [(E, d) est un espace métrique.] Se dit d'une notion ou propriété qui reste vraie lorsqu'on remplace la distance considérée par une autre qui lui est équivalente. Se dit des ondes radio dont la longueur d'onde est comprise entre un et dix mètres. ● métrique (expressions) adjectif (de mètre) Géométrie métrique, géométrie où l'on étudie les propriétés des figures invariantes par les isométries. Système métrique, ensemble des mesures ayant le mètre pour base. Tonne métrique, masse de 1 000 kg (symbole t). ● métrique nom féminin En mathématique, synonyme de distance. ● métrique adjectif (latin metricus, du grec metrikos) Relatif à la mesure des vers. ● métrique nom féminin Science qui étudie les éléments dont sont formés les vers. Système de versification propre à un poète, un pays, une langue. ● métrique (synonymes) nom féminin
Synonymes :
- distance
● métrique (synonymes)
nom féminin
Science qui étudie les éléments dont sont formés les vers.
Synonymes :
- prosodie
métrique
n. f. et adj.
d1./d n. f. étude de la versification.
d2./d adj. Qui concerne la mesure des vers.
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métrique
adj.
d1./d Relatif au mètre.
|| Qui a le mètre pour base. Système métrique. (V. tabl. unités physiques.)
d2./d Tonne métrique: masse de 1 000 kg (par oppos. aux unités de masse anglo-saxonnes).
I.
⇒MÉTRIQUE1, adj.
Relatif au mètre et aux unités de mesure auxquelles il sert de base. Pour effectuer cette mensuration [du périmètre thoracique] on se sert d'un ruban métrique gradué de un à cent cinquante centimètres (BARATOUX, La Voix, 1912, pp.36-37). Pour les fils autres que ceux de soie, le numéro métrique est le nombre N de mètres pour un gramme de fil (BOUASSE, Cordes et membranes,1926, p.75):
• 1. Homais (...) supputait la force des planchers, l'épaisseur des murailles, et regrettait beaucoup de n'avoir pas de canne métrique, comme M. Binet en possédait une pour son usage particulier.
FLAUB., Mme Bovary, t. 1, 1869, p.116.
♦Système métrique. Système décimal de poids et mesures adopté sous la Révolution française de 1789 et ayant le mètre pour base. Ce ne fut graduellement que le système monétaire français fut rendu conforme, pour la totalité des pièces, au système métrique (SHAW, Hist. monnaie, 1896, p.140). Une longue suite de travaux aboutit en 1792 à la définition du système métrique par la Convention (Encyclop. éduc., 1960, p.242):
• 2. Je n'ai pas qualité pour juger des avantages offerts par le système métrique, ni pour affirmer que la routine des Anglais ait entravé leur développement commercial et restreint leur expansion dans le monde.
GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p.51.
♦Rare. Quintal métrique. Masse de 100 kg. Tonne métrique. Masse de 1000 kg. Les frais d'exploitation et de transport peuvent coûter au fabricant de sel dans l'Est, 4 fr par quintal métrique ou sac de 100 kilogrammes (Monopole et impôt sel, 1833, p.42). Au milieu du XIXe siècle, la betterave ne représentait que 67000 tonnes métriques et la canne à sucre 1 million (LESOURD, GÉRARD, Hist. écon., t. 2, 1966, p.312).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1795 système métrique (La Feuille du Cultivateur, 7 therm. an III, t. V, p.258, n° 44 ds BRUNOT t. 9, p.1157); 1799 (Loi du 19frimaire an VIII, art. IV ds Bulletin des lois, 2e série, n° 334, p.14). Dér. de mètre1; suff. -ique.
II.
⇒MÉTRIQUE2, adj. et subst. fém.
I. — Adj. Fondé sur la mesure; mesurable. Les objets et les personnes extérieures s'éloignent pour lui à une distance vague, non métrique (BUTOR, Passage Milan, 1954, p.108). Une «échelle métrique de l'intelligence», donnant le moyen de faire correspondre à l'avance ou au retard d'un enfant un indice exprimé en années et en mois (âge mental) (Hist. sc., 1957, p.1686):
• 1. L'honneur insigne revient à Descartes d'avoir été le premier constructeur d'un univers entièrement métrique, au moyen de conceptions, — disons d'imaginations, — qui permettaient de le traiter en mécanisme démesuré.
VALÉRY, Variété IV, 1938, p.222.
— MATHÉMATIQUES
♦Espace métrique. ,,Couple constitué d'un ensemble E et d'une distance d`` (CHAMB. 1972). Les espaces métriques, où une distance (fonction numérique des couples de points, satisfaisant à certains axiomes) est donnée et définit à la fois une topologie et une structure uniforme (BOURBAKI, Hist. math., 1960, p.153).
♦Géométrie métrique. Géométrie étudiant les propriétés géométriques invariantes par les déplacements (d'apr. UV.-CHAPMAN 1956). On a dit souvent que la géométrie métrique était quantitative, tandis que la géométrie projective était purement qualitative (H. POINCARÉ, Valeur sc., 1905, p.67). Le groupe fondamental de la géométrie métrique est celui des déplacements (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p.76).
♦Propriété métrique. Propriété relative à la mesure d'une figure. Cayley (...) montre que les propriétés métriques d'une figure F sont les propriétés projectives de la figure F', formée de F et des points cycliques (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p.32).
♦Relation métrique. Relation entre les longueurs de segments. On voit les «quelques lignes droites mues l'une par l'autre» que Descartes utilise comme organe universel de relation métrique, devenir le système d'axes de coordonnées (VALÉRY, Variété V, 1944, p.224). Les relations métriques dans un triangle rectangle, c'est-à-dire des relations existant entre les mesures de ses différents éléments: côtés, hauteur, etc. (ROUX, MIELLOU, Géom., 1946, p.222).
II. — Subst. fém., MATH. ,,Théorie de la mesure au sein d'un espace ou d'une variété quelconque`` (UV.-CHAPMAN 1956). Les équations E doivent dépendre à la fois de la métrique et du parallélisme, car les lois physiques font manifestement intervenir la métrique, et nous savons que la métrique seule ne suffit pas à tout expliquer (CARTAN, Parallélisme abs., 1932, p.13). Les trois types de géométrie pouvaient être conçus à l'image de la géométrie projective grâce à la définition cayléienne [d'Arthur Cayley] de la métrique associée à une conique fondamentale (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, p.32):
• 2. Les triangles «réels», c'est-à-dire les triangles perçus, n'ont pas nécessairement, de toute éternité, une somme d'angles égale à deux droits, s'il est vrai que l'espace vécu ne répugne pas plus aux métriques non euclidiennes qu'à la métrique euclidienne.
MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p.448.
REM. Métrétique, adj. et subst. fém. [Chez Jankélévitch; calque du gr. ]. a) Adj. Relatif à la mesure. L'occasion selon la sagesse grecque, excluant par sa détermination métrétique le trop et le pas-assez, s'apparente à modus, mais non pas à casus; car l'excès et le défaut sont également des indéterminés (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p.122). b)Subst. Mesure. Le mille de la cible (...) est un point déterminé au centre d'une circonférence; ma main tremble peut-être, mais l'exactitude de ma visée dépend théoriquement d'une métrétique rigoureuse (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p.116).
Prononc.:[]. Étymol. et Hist. 1905 adj. (H. POINCARÉ, loc. cit.). Dér. sav. du gr. , v. mètre1; suff. -ique.
III.
⇒MÉTRIQUE3, adj. et subst. fém.
I. — Adjectif
A. — Relatif au type de pied ou de vers. L'accent était la loi suprême pour l'oreille des Grecs, et la quantité prosodique, sans avoir dans la déclamation et le chant une valeur métrique rigoureuse, était un élément important de la cadence du son (F. CLÉMENT, Hist. gén. mus. relig., 1860, p.324):
• 1. ... le symbolisme lui-même a montré par ses essais que le champ ouvert à l'invention métrique est fort limité, et d'autre part, Victor Hugo a dépassé de loin Ronsard dans l'invention de combinaisons métriques nouvelles...
THIBAUDET, Réflex. litt., 1936, p.8.
♦Allongement métrique.
— VERSIF. GR. ET LAT. Vers métrique. Vers composé de pieds. D'Aubigné, tout à la fin de sa vie, publia des psaumes en vers métriques d'après le système de Nicolas Rapin, et avec aussi peu de succès que lui (SAINTE-BEUVE, Tabl. poés. fr., 1828, p.149). L'hexamètre, vers métrique, disparu avec la métrique latine elle-même, lors de la formation des langues [issues du latin] (...), où les mots (...) se refusent aux jeux savants de la prosodie (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p.221).
B. — MUS. Relatif aux unités de temps groupées en mesures. Le Presto final de la sonate IV se recommande par une singularité métrique unique dans l'oeuvre de Mondonville (LA LAURENCIE, Éc. fr. violon, 1922, p.432). Le fugato classique repose sur la correspondance métrique, note à note, des voix, indépendamment de leur tessiture (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p.154).
II. — Subst. fém.
A. — Science qui étudie les différents mètres, et en particulier le rythme des vers. Il connaît à fond la métrique grecque (Ac. 1878-1935). Maniant mieux que pas un la métrique, il avait tenté de rajeunir les poèmes à forme fixe (HUYSMANS, Àrebours, 1884, p.246):
• 2. ... Molière avait dû se tromper. Il avait écrit «vingt ans» pour des raisons de métrique, parce que vingt-neuf ans, c'est presque impossible à placer, comme nombre de pieds.
DUHAMEL, Suzanne, 1941, p.43.
— Système de versification (propre à un poète, à un genre poétique). L'étudiant analyse un savant livre venu d'Allemagne, sur la métrique de Pindare (BOURGET, Ét. angl., 1888, p.336). Au moyen de sa métrique savante, l'épos grec atteint à une majesté que rien n'égale (RENAN, Hist. peuple Isr., t. 2, 1889, p.23). La métrique des vers à rimes entrelacées de huit et sept syllabes (POTIRON, Mus. église, 1945, p.74).
B. — MUS. ,,Groupement d'unités de temps en mesures`` (Mus. 1976). Stravinsky cherche à échapper à la seule dimension de la hauteur des sons, il utilise une métrique distincte et comme dissociée de l'articulation mélodique (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p.129).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1798. Étymol. et Hist. I. 1495 metricque adj. «écrit en vers» (JEAN DE VIGNAY, Miroir historial, IX, 137, éd. 1531 ds DELB. Notes mss); 1529 adj. «relatif au mètre (du vers)» (G. TORY, Champfleury, f. 8 v°). II. Av. 1672 subst. fém. «science qui étudie les éléments dont sont formés les vers» (G.PATIN d'apr. Lar. Lang. fr.); spéc. 1721 «partie de la musique ancienne qui s'occupait de la prosodie» (Trév.). I empr. au lat. metricus «id.», du gr. «id.», dér. de , v. mètre. II empr. au b. lat. metrica «id.» (Ve s.), du gr. «id.», substantivation de l'adj. , voir I.
STAT. — Métrique1, 2 et 3. Fréq. abs. littér.:91.
métrique [metʀik] adj. et n. f.
ÉTYM. 1495, sens I.; lat. metricus, grec metrikos.
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I Didact.
1 Adj. Qui est relatif à l'emploi de la mesure, du mètre (I.). || Vers métrique, fondé sur la quantité prosodique des syllabes, par oppos. à vers syllabique, fondé sur le nombre et l'accentuation des syllabes. || Valeur métrique d'une syllabe (→ Élision, cit.).
1 Le style, pour lui (Flaubert) consiste à faire des réalités vivantes avec la matière propre de la prose, comme la poésie en fait avec les réalités prosodiques et métriques du vers.
Albert Thibaudet, Gustave Flaubert, p. 217.
2 Même si l'on se borne à la considération des groupes composants du vers, des membres métriques, l'imparité du total des syllabes du vers (heptasyllabe) n'empêche pas un certain équilibre des membres.
J. Marouzeau, Notre langue, X, p. 223.
2 N. f. a (XVIIIe). || La métrique : étude de la versification, notamment de l'emploi des mètres. ⇒ Prosodie. || Termes de métrique ancienne. ⇒ Arsis, asynartète, chorïambe, hypermètre, mimïambe, et aussi mètre (I.).
➪ tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
b (1827). Système de versification; ensemble des règles qui y sont relatives. ⇒ Vers. || La métrique d'un poète.
3 — Notre métrique est basée sur le nombre des syllabes sans aucun compte tenu du poids et de l'accent de celles-ci; surtout de nos jours où, dans les alexandrins bicésurés, tricésurés, acésurés, les poètes en viennent à négliger ces temps forts qui, d'abord, précédaient et marquaient la césure ou précisaient la fin du vers.
Gide, Attendu que…, p. 153.
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II (1795; de mètre, II.).
1 Adj. Qui a rapport au mètre unité de mesures. || Système métrique : système décimal de poids et mesures qui a le mètre pour base, institué en France le 7 avril 1795, et adopté par de nombreux pays. || Le système métrique donne des équivalences simples d'unités qui facilitent les calculs (ex. : un décimètre cube d'eau, un litre, un kilogramme). || Échelle métrique.
4 Ce qui a valu au système français, dit système métrique, sa célébrité, ce n'est point la supériorité de son étalon, c'est simplement la conformité de ses divisions avec le système numérique décimal, ce qui simplifie extrêmement les calculs.
Charles Gide, Cours d'économie politique, t. I, p. 383.
2 Math. a Relatif aux distances. || Espace métrique : couple formé par un ensemble et une distance sur cet ensemble. || Un espace métrique est topologique et séparé. || Géométrie métrique : « étude du groupe des isométries affines d'un espace affine attaché à un espace vectoriel euclidien » (Bouvier et George).
b Relatif à la géométrie métrique. || Invariants métriques. || Transformations, propriétés métriques.
c N. f. || Métrique sur un ensemble : distance sur cet ensemble. — La métrique : théorie de la mesure dans un espace, basée sur la formule de la distance entre deux points de cet espace.
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DÉR. Métricien.
Encyclopédie Universelle. 2012.