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MÉTAPHORE
MÉTAPHORE

Le terme «métaphore» appartient, à l’origine, au vocabulaire technique de la rhétorique et désigne une «figure de signification» par laquelle un mot se trouve recevoir dans une phrase un sens différent de celui qu’il possède dans l’usage courant. On remarque que, dans ce vocabulaire riche en mots rares et connus des spécialistes (du type zeugme, anacoluthe, hypallage, protase et apodose dont se moque Molière), métaphore est l’un des seuls qui aient vu leur extension se développer dans des proportions considérables. Non seulement c’est un terme courant, mais encore on en est venu à l’utiliser pour caractériser le fonctionnement même du langage, autrement dit la façon dont nous percevons, imaginons et interprétons le monde dans lequel nous vivons. Et peut-être pourrons-nous, en retraçant cette étrange évolution, parcourir quelques-uns des chemins énigmatiques de notre relation au langage et au monde.

La tradition classique

«Métaphore» vient du grec metaphora , qui signifie «transport» – au sens matériel comme au sens abstrait. Le terme est utilisé par Aristote dans la Poétique (1457 b) pour décrire une opération de langage. «La métaphore, écrit-il, est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce, ou d’après le rapport d’analogie.» Cette définition appelle d’emblée plusieurs remarques: si le «nom» ne présente pas de difficultés (nous sommes bien dans l’ordre du langage, on dirait aujourd’hui du «signifiant»), en revanche, la «chose» semble renvoyer tout à la fois à ce qui est signifié par le nom (notion ou idée de la «chose») et à la «chose» même, telle qu’elle existe dans la réalité (en termes saussuriens, le référent); et cette assimilation va engendrer, nous le verrons plus tard, des questions difficiles à résoudre. On remarque également que les trois premiers types de métaphore décrits par Aristote constituent, dans de nombreux cas, à peine des expressions figurées tant elles appartiennent à l’usage; un exemple type est le mot «tête», terme qui désigne une partie de l’organisme (humain ou animal) et qu’on transfère couramment pour l’appliquer à une autre «espèce» (tête de pont, tête de train, à la tête de ses troupes, etc.), si couramment que le caractère métaphorique de l’expression a complètement disparu. Si, dans la plupart des cas, il est possible de trouver un terme abstrait pour le substituer à «tête» (commencement, commandement, etc.), il peut arriver aussi que le terme dit métaphorique selon Aristote soit le seul disponible: ainsi les pieds de la table. Enfin, par «rapport d’analogie», Aristote entend un rapport très précis qui existe entre quatre termes en sorte que le premier soit lié au deuxième de la même façon que le troisième au quatrième: la coupe est à Dionysos ce que le bouclier est à Arès; ou encore la vieillesse est à la vie dans le même rapport que le soir au jour. La métaphore consiste alors à dire: «le soir de la vie» ou (moins reçu) «la vieillesse du jour». À l’auditeur ou au lecteur il revient de reconstituer le raisonnement qui lie les quatre termes entre eux. Mais il arrive que cette opération langagière soit explicite; on lit sur certains cendriers vieillots les vers suivants: «L’absence est à l’amour ce qu’est au feu le vent / il éteint le petit et ranime le grand» (Sully Prudhomme).

On peut également entendre «analogie» dans le sens plus général de «ressemblance» (une sorte de similitude qui doit être à la fois visible, pour que la métaphore soit «claire», et inattendue, pour qu’elle soit «efficace»). Dans la Rhétorique (livre III, 1405 a sqq.), Aristote analyse longuement diverses métaphores, en appréciant en particulier leur «convenance» ou leur «harmonie», c’est-à-dire l’intelligibilité de l’analogie entre les deux termes, celui qui est énoncé et celui qui est évoqué. Quelques pages plus loin, il assimile explicitement la métaphore à une comparaison, elle-même définie comme une métaphore développée (1407 a). Ainsi la métaphore consisterait dans l’absence d’un des deux termes de la comparaison, et surtout de tout terme comparatif (comme, ainsi, de même, tel, etc.).

On distingue deux types possibles de métaphores. Dans le plus classique, le terme évoqué n’est pas présent dans la phrase, et c’est à l’auditeur ou au lecteur de le reconstruire: ainsi les vers qui terminent le célèbre Booz endormi et qui voient Ruth se demander «quel moissonneur de l’éternel été / avait en s’en allant négligemment / jeté cette faucille d’or dans le champ des étoiles», où le terme «croissant de lune» manque (métaphore in absentia ), mais n’est pas difficile à retrouver justement en raison d’une analogie de forme entre la lune et la faucille qui appartiennent au monde réel (où nous retrouvons l’équivoque relevée plus haut à propos du mot «chose», l’analogie existant et dans le signifié et dans le référent – «croissant de lune»).

Moins courante est la métaphore qui lie grammaticalement deux termes en sorte qu’elle pose (ou suggère) leur identité; ils sont tous les deux présents et explicites, ce qui entraîne assez souvent un effet de surprise et risque même de demeurer incompréhensible. Ainsi, de Victor Hugo toujours (dans Les Contemplations ), «le pâtre promontoire au chapeau de nuées», qui reste énigmatique tant qu’on n’a pas restitué les éléments intermédiaires: la mer, dont les vagues semblent des moutons, est en quelque sorte surveillée par le cap élevé comme un troupeau par son berger, lequel a la tête dans les hauteurs du ciel. Tous les termes de l’analogie figurent explicitement dans la séquence (métaphore in praesentia ); mais ce qui n’est pas exprimé, c’est justement le rapport d’analogie, qui peut même rester énigmatique, comme cela est fréquent dans la poésie moderne (on en trouverait un grand nombre d’exemples dans l’œuvre de Saint-John Perse notamment: «... dans le petit lait du jour», «... la mer aux spasmes de méduse», «... au buffet d’orgue des passions, exulte, maître du chant», entre tant d’autres). Il est d’ailleurs très remarquable qu’Aristote ait expressément rangé les énigmes parmi les métaphores (Rhétorique , III, 1412). Nous reviendrons plus tard sur ce point.

La forme grammaticale de métaphore la plus commune est le verbe «être», qui détermine une relation d’équivalence ; on pourrait dire (comme Paul Ricœur) que ce qui nous apparaît alors, c’est un «être-comme». Ainsi «l’homme est un loup pour l’homme», ou «Richard est un ours mal léché»; le verbe être, de toute évidence, ne peut dans ce cas avoir sa valeur usuelle d’identification («ceci est une pomme»); au contraire, nous entendons clairement que l’homme n’est pas un loup ni Richard un ours, mais qu’ils «sont comme». Un exemple moins trivial, emprunté à Baudelaire: «La nature est un temple où de vivants piliers...»

Fréquentes également, l’apposition, soit directe, soit introduite par le démonstratif, ou la qualification introduite par une préposition (souvent «à», qui établit une relation moins strictement définie que les autres prépositions et laisse ainsi le champ d’expression largement ouvert – préposition favorite de Saint-John Perse, sans doute pour cette raison). On a cité déjà «le pâtre promontoire...». Le groupe donne pour exemple: «L’ennui, cet aigle aux yeux crevés.»

Moins courante est la détermination, soit par des adjectifs, soit par des noms. Du Bellay, dans: «Déjà la nuit en son parc amassait / un grand troupeau d’étoiles vagabondes», combine les deux, avec une réussite remarquable. On rencontre enfin des expressions qui apparient des sujets à des verbes surprenants, ou des verbes à des compléments incongrus. La liberté dans ce cas est telle que l’opacité de certaines formules peut résister à des tentatives d’interprétation. Ainsi «la porte de l’hôtel sourit terriblement» (Apollinaire), où la chaîne des signifiants absents peut comprendre, par un trajet plus ou moins inconscient, «la porte entrebâillée»«bâiller»«sourire», mais aussi, selon un registre différent, «sourit», «souris», «rat d’hôtel». Le degré d’arbitraire tolérable devient alors très difficile à apprécier. C’est ce qu’Aristote nomme la «convenance».

De fait, la définition aristotélicienne a fixé le cadre à l’intérieur duquel on a, des siècles durant, présenté et pensé la métaphore. L’une des formes les plus élaborées a été énoncée par Pierre Fontanier dans Les Figures du discours (1821). Sous le nom de «tropes», Fontanier range les figures de signification portant sur un seul mot; «il existe, dit-il, trois genres principaux selon le type de rapport entre la première idée attachée au mot et l’idée nouvelle qu’on y attache»: un rapport de corrélation ou de correspondance caractérise une métonymie, de corrélation une synecdoque, de ressemblance une métaphore.

La rhétorique moderne

À l’origine, l’établissement de cette nomenclature réside dans l’opposition entre «discours naturel» (un mode direct dans lequel la chose évoquée est transcrite purement et simplement par son nom) et «discours figuré» (un mode médiat où règne l’allusion qui, par une tournure plus ou moins proche et transparente, évoque la chose ou la notion). Dans le second cas, il s’agit donc de suppléer à un manque de la langue, ou de restituer à une idée, par le recours à une formulation détournée, la force qu’une usure a fait perdre à l’expression; c’est ce qu’on appelle les tropes, c’est-à-dire, au sens strict, «manière de dire», et au sens dérivé «figure du discours». La métaphore et la métonymie sont des tropes.

Fontanier sépare les tropes par correspondance, par connexion et par ressemblance. La désignation d’un objet par le nom d’un autre objet, existant séparément mais lié au premier par une relation privilégiée, constitue au sens strict la métonymie (la cause pour l’effet, l’instrument pour la cause, le contenant pour le contenu, le lieu pour ce qui s’y tient). Ces figures sont pour la plupart devenues si naturelles que leur caractère figuré n’est plus perceptible («un premier violon» dans un orchestre renvoie au violoniste, non à l’instrument). Les tropes par connexion consistent dans la désignation d’un objet par le nom d’un autre objet avec lequel il forme un ensemble, l’existence de l’un se trouvant comprise dans l’existence de l’autre; c’est la synecdoque , dans les termes classiques; on l’appelle métonymie par extension; ainsi le fer pour l’épée, le seuil pour la maison ou le foyer. La distinction entre les deux figures est souvent ténue, appréciée selon le degré de liaison ou d’inclusion des termes du trope, et on conçoit que des linguistes aient unifié ces deux catégories, d’autant plus qu’elles reposent sur l’extension plus ou moins grande d’une appartenance dans le signifié. Les tropes par ressemblance consistent à présenter une idée sous le signe d’une autre idée ne se rattachant à la première par aucun autre lien que celui d’une certaine conformité ou analogie; ce sont les métaphores . Tant par l’étendue de son domaine que par l’absence de règles qui la constituent, la métaphore apparaît d’emblée comme un mode d’expression laissant toute liberté à l’imagination, à l’invention. La procédure métaphorique consiste ainsi à lier deux termes par une analogie et à substituer l’un des termes à l’autre. En réalité, ces deux opérations ne se succèdent pas selon une chronologie uniforme et continue, elles coexistent: il ne manque pas d’exemples qu’une métaphore ait fait découvrir une analogie inattendue.

Michel Deguy relève justement la difficulté essentielle de cette conception: dans sa répartition des métaphores en cinq «espèces», Fontanier se sert de la distinction entre animé et inanimé, en attribuant explicitement ou implicitement la qualité de «propre» à l’un des deux termes et celle de «figuré» à l’autre («les roses de la pudeur» ou «le char de l’État»). Mais, à examiner les choses avec plus d’attention, on s’aperçoit que ce dualisme ne fonde pas la «puissance métaphorique» et que celle-ci joue en fait déjà de chaque côté de la distinction. Soit le vers de Racine que Fontanier utilise comme exemple de syllepse (figure dans laquelle un même mot est pris une fois dans un sens propre puis une seconde fois dans un sens figuré): «Un père, en punissant, madame, est toujours père.» Et qu’il commente ainsi: «Un père , c’est-à-dire celui qui a la qualité, le titre de père: sens propre. Est toujours père , c’est-à-dire a toujours, même dans ses rigueurs, les sentiments, le cœur d’un père, est toujours bon et tendre comme un père: sens figuré ...» (Critique , p. 107). Deguy, au terme d’une analyse très convaincante, conclut: «... Il n’y a pas de sens premier, ou propre, et la paternité ne peut (tel n’est pas l’usage du mot dans la parole) être d’abord réduite à son aspect biologique pour recevoir ensuite les ajouts “métaphoriques” des significations de sentiment de paternité. La polysémie est première.» Cela revient à dire que la distinction entre propre et figuré est due à une illusion rétrospective sur la nature de la langue qui irait vers une richesse et une extension de plus en plus grandes. C’est donc la notion d’écart entre sens propre et sens figuré qui pose problème; et l’on voit bien que le recours à l’usage (ou mode d’expression couramment utilisé) se révèle trop vague et trop normatif à la fois (le «bon usage») pour rendre compte de la poésie.

Aussi a-t-on essayé de fonder la définition de la métaphore sur des bases conceptuelles plus satisfaisantes. Telle est l’approche sémiotique du «groupe 猪» (Centre d’études poétiques de l’université de Liège), dans sa Rhétorique générale . La sémiotique s’occupe des problèmes du sens dans la langue (et non dans le discours) et décompose le sens du mot en traits sémantiques distincts de l’expression. Cette décomposition se fait selon quelques modèles cognitifs: les objets que nous connaissons sont regroupés en classes d’objets équivalents, elles-mêmes regroupées en classes plus vastes – ou décomposées en classes plus petites: ainsi peuplier, chêne, saule ou bouleau sont des arbres, qui sont des végétaux, qui sont des organismes vivants, et «tel arbre est un peuplier d’Italie...». Ou bien l’objet est perçu comme la somme de ses parties: «racines + tronc + branches + feuilles = arbre». Ou bien encore «printemps» renvoie à une série constituée (été, automne, hiver) dont les termes sont unis par des liens de contiguïté.

Le «degré zéro» dont la sémiotique a besoin pour délimiter l’écart serait une formule limitée aux sèmes essentiels. Le groupe 猪 admet que ce degré zéro est une limite et non une réalité acquise; et il préfère le décrire en termes de «prévisibilité» ou «banalité». Par rapport à un énoncé prévisible, l’énoncé figuré introduit donc une adjonction ou une restriction de sens. La métaphore est alors vue plutôt comme modification du contenu sémantique d’un terme que comme substitution d’un terme à un autre.

Cette conception conduit à faire de la synecdoque la figure essentielle, puisque c’est elle par excellence qui lie l’espèce au genre ou le genre à l’espèce. La métaphore consiste alors en une double opération (généralisation puis particularisation à l’intérieur de deux ensembles sémiques qui ont au moins un terme commun: faucillecourbe, lunecroissantcourbe, d’où «faucille d’or dans le champ des étoiles»). Et cette opération est accomplie par l’émetteur comme par le récepteur du message. On remarque que, tout en utilisant un appareillage conceptuel et logique plus satisfaisant que Fontanier, le groupe 猪 ne change pas fondamentalement la conception de la métaphore (relation d’un mot à un autre, remplacement d’un mot par un autre, définition de la figure comme écart).

Deux extensions remarquables: Jakobson et Lacan

C’est en un sens une conception analogue que semble avoir Roman Jakobson, mais il donne au terme une extension qui d’un coup efface les frontières relativement restreintes à l’intérieur desquelles il demeurait maintenu. Tant que ces distinctions et définitions sont produites à l’intérieur de la rhétorique classique conçue comme art de persuader, leur extension demeure limitée. Si, en revanche, il s’agit d’utiliser les figures du discours comme moyens de décrire le fonctionnement du langage, la linguistique dispose de notions générales opérantes. Avec les formalistes russes, il revient surtout à Roman Jakobson, dans un article sur la prose de Pasternak (1935) et dans un texte de 1956 (Deux Aspects du langage et deux types d’aphasie ), d’avoir développé la thèse selon laquelle tout sujet parlant accomplit, pour fabriquer une phrase, deux opérations: l’une de choix sémantique à l’intérieur du corpus qu’il connaît, l’autre de combinaison syntaxique des éléments choisis. Ce faisant, il y retrouve les deux procédures épinglées par la rhétorique classique sous les noms de métaphore et de métonymie. Étudiant les troubles pathologiques du langage, Jakobson distingue deux cas – et deux seulement – d’aphasie: ceux qui relèvent de la combinaison ou contiguïté (encodage), et ceux qui se rattachent à la sélection ou similarité (décodage), c’est-à-dire les deux opérations fondamentales «sous-jacentes au comportement verbal». L’emploi des termes «métaphore» et «métonymie» est alors plus qu’analogique; on a reproché à Jakobson de transporter dans le champ des signifiants (paradigme et syntagme) des notions établies à partir d’une considération des signifiés (métaphore et métonymie). Un tel reproche pourtant ne vaut que si l’on accepte une distinction à la fois stricte et étroite des deux concepts, distinction sur laquelle la linguistique a été amenée à revenir. On est, de fait, conduit à suivre Jakobson, et à faire de la métaphore et de la métonymie les combinaisons qui organisent toute forme de parole articulée.

Si l’on se rappelle la description par Freud du fonctionnement de l’inconscient, tant au niveau des processus primaires que de l’élaboration secondaire, on ne sera pas étonné de voir apparaître les termes de métaphore et métonymie dans le vocabulaire analytique. Freud met l’accent sur deux opérations langagières selon lesquelles est disposé le discours latent dans son rapport au discours manifeste: la condensation (Verdichtung ) et le déplacement (Verschiebung ). Tout thème inconscient a besoin pour émerger au niveau conscient d’un représentant, délégué qui soit supporte à lui seul un motif unique, soit unifie des représentations groupées, d’où le terme de condensation. Par ailleurs, un terme ne possède pas d’existence isolée, mais est pris à l’intérieur d’une combinaison de langage qui lie entre elles les entités successives; cette liaison des mots les uns avec les autres à l’intérieur d’une chaîne associative recouvre pour une part ce que Freud nomme déplacement, qu’on peut traduire par le travail de dissimulation ou de «masquage» opéré sous l’action du refoulement. Sans l’existence de ces deux opérations, la technique de la libre association n’aurait aucune raison d’être. L’analyse n’ayant d’autre matériau que la parole, on conçoit que Lacan ait pu reprendre et préciser ces concepts en utilisant les termes de métonymie et de métaphore.

Dès l’instant où l’être humain accède à la parole, il est marqué d’une radicale et permanente inadéquation de soi à soi. Se prétendant usuellement maître du langage, le sujet se trouve de fait pris dans la chaîne des signifiants, assujetti lui-même ne serait-ce qu’à son propre nom: si le sujet est possibilité de parole et que cette parole ne puisse être réalisée que par le jeu des signifiants, alors le sujet («je») n’est manifesté que du rapport d’un signifiant à un autre signifiant; il est, pour reprendre la formule de Lacan, «ce que le signifiant représente, et il ne saurait rien représenter que pour un autre signifiant». La théorie du sujet passe donc par l’analyse de la fonction signifiante, et l’articulation de la logique du signifiant est formulée par Lacan selon les deux tropes de la métaphore et de la métonymie, «un mot pour un autre» et «un mot à mot».

Mais là où la rhétorique classique supposait un discours de la réalité, de la transparence, qui constituait comme un arrêt de l’erreur, la linguistique reconnaît l’impossibilité de cet arrêt. Les figures de rhétorique, dans ces conditions, ne peuvent plus être ces ornements du discours qui laisseraient intact, ailleurs (mais où?), le sens; elles sont le développement selon lequel le sens s’appauvrit ou s’épuise dans la lettre du discours (métonymie), glissement incessant d’un signifiant à un autre au long d’une chaîne constamment interrompue par l’intervention toujours en chaque point possible du deuxième trope (métaphore); le «mot pour un autre» ne préserve pas davantage le sens puisque, au contraire, le sens propre est aboli et que ce qui est aboli ne revient jamais qu’au travers d’une médiation, celle justement de la figure qui vient à sa place. Cette abolition constitue un non-sens, et, en même temps, elle seule autorise la production du sens. Le «mot pour un autre» apparaît ainsi comme le procédé privilégié par lequel un sujet insiste dans le signifiant pour s’y représenter, et il ne peut le faire qu’en passant par le «mot à mot», qui fait glisser d’une métaphore à une autre en respectant une logique qui n’est pas celle de la pensée, mais celle de la lettre, celle du signifiant et non du signifié. Ce jeu complexe d’évitement, de ruse, constitue la structure de l’inconscient, s’il est vrai, comme le dit Lacan, que «l’inconscient est structuré comme un langage». Cette quête du signifiant donne au désir la forme de la métonymie, comme le signifiant auquel on s’arrête se révèle être un leurre, trace de ce qui toujours manque. Jacques Lacan écrit: «Car le symptôme est une métaphore, que l’on veuille ou non se le dire, comme le désir est une métonymie, même si l’homme s’en gausse.»

Sémantique et logique de la métaphore

Ces glissements témoignent bien qu’il fallait envisager une autre façon de considérer le terme, et en particulier qu’il était aberrant de réduire la métaphore à une substitution d’un mot à un autre. Il fallait donc reprendre la question du «sens propre» (dont Aristote dit qu’il est 羽福晴礼﨟: maître...). C’est ce qu’a tenté I. A. Richards dans The Philosophy of Rhetorics (1966). D’un point de vue sémantique, un mot n’a aucun sens en lui-même; le sens ne relève pas de la langue mais du discours, c’est-à-dire d’une situation concrète de parole dans laquelle le contexte exerce un rôle prédominant. Cela implique qu’un terme n’a pas de sens constant ni fixe (sens propre); au contraire, un mot renvoie toujours à des sens différents selon le contexte et il n’y a aucune raison d’affirmer la prééminence d’un sens sur les autres; il n’y a aucun besoin d’analogie pour comprendre les divers sens du mot «tête», par exemple; et il est impossible d’établir une hiérarchie entre les phrases: «je nettoie la cuisine» (la pièce où l’on prépare les repas); «je fais la cuisine» (la préparation même du repas); «drôle de cuisine» (quel mélange, que de manigances); «une cuisine fonctionnelle» (un ameublement fonctionnel), etc. Dans l’usage, il n’existe aucune ambiguïté et le contexte fait choisir immédiatement le sens convenable. Aussi la métaphore peut-elle se concevoir non comme un écart par rapport à un sens premier mais au contraire comme la forme même de tout discours: chaque expression comporte une force métaphorique potentielle (explicitée ou non), et cela peut donner lieu à malentendu, l’un des interlocuteurs entendant l’énoncé comme une figure et l’autre non, ce qui témoigne bien de la présence simultanée des sens possibles. Lorsque Voltaire écrit à Rousseau et l’invite à venir rétablir sa santé «dans l’air natal [...] boire avec moi du lait de nos vaches et brouter nos herbes», s’il parle métaphoriquement, il est cordial; mais à l’évidence la formule est équivoque et il faudrait être un âne pour ne pas s’en apercevoir. On en trouverait facilement d’autres exemples; l’un des plus éclairants peut-être serait à voir dans L’Expérience du proverbe de Jean Paulhan, qui, devant les proverbes malgaches, découvre (peu à peu) qu’un même énoncé change totalement de sens selon qu’on l’entend comme proverbe ou comme métaphore, d’où des malentendus et des embarras.

Mais une définition aussi large de la métaphore pose problème en ce qu’elle ne distingue pas un usage métaphorique du mot et la simple polysémie. Aussi faut-il préciser que l’un des sens (ou l’une des pensées) simultanément présents dans l’expression est évoqué à travers la présence de l’autre, et donc que la métaphore se caractérise par une certaine interaction des deux pensées l’une par rapport à l’autre. Cette interaction rend tout à fait inutile le recours à l’analogie entre les deux choses en soi, puisque c’est la relation qui seule importe.

Poursuivant dans cette direction, Max Black (Models and Metaphors ) précise que, si l’énoncé tout entier est perçu comme métaphorique, cette qualité porte en fait sur un mot particulier, à la différence d’une allégorie, d’une énigme ou d’un proverbe, où tous les mots sont pris métaphoriquement («les petits ruisseaux font les grandes rivières» ou «tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse»). Il distingue ainsi le cadre ou contexte littéral (frame ) et le foyer ou mot métaphorique (focus ). Le mot-foyer réagit sur le contexte à partir d’un ensemble de lieux communs ou de stéréotypes qui ne correspondent pas nécessairement aux définitions du dictionnaire. Ainsi «le mari de ma sœur est un ours mal léché» ne se préoccupe nullement de savoir qu’un ours est plantigrade, que «mal léché» renvoie à une superstition médiévale selon laquelle les ourses façonnaient leurs petits en les léchant, ni qu’ils ont un odorat extraordinaire, etc.; la formule repose sur le stéréotype «ours: bourru ou sauvage». La métaphore peut aussi renouveler un système de lieux communs. Soit l’énoncé: «l’homme est un loup pour l’homme» – on peut imaginer qu’un zoologiste a pu observer les aspects «positifs» du comportement social du loup et la régulation remarquable de la horde; il termine alors par la conclusion: «l’homme devrait être un loup pour l’homme», inversant ainsi diamétralement le sens de l’énoncé premier. Il existe donc dans les métaphores un choix de certains stéréotypes à l’exclusion d’autres.

Cette présentation, très éclairante, a été critiquée par John R. Searle (Sens et expression ) qui lui reproche de considérer les mots comme s’ils disposaient d’une autonomie d’action et existaient en dehors des processus de compréhension. Searle (et la pragmatique) distingue en bonne logique le sens de la phrase (en soi, hors contexte) et le sens de l’énoncé (accomplissement d’un acte d’énonciation, ce sens se modifie dans chaque énonciation). L’énoncé métaphorique est selon lui dans un premier temps interprété dans son sens littéral et c’est seulement après la constatation d’une impasse ou d’une absurdité du sens littéral qu’est envisagée l’hypothèse d’un autre sens éventuel (ou de plusieurs autres sens). Cela implique, du point de vue du locuteur, une intention , un calcul de double sens. À la limite, l’approche pragmatique envisage tellement les expressions en fonction de l’intentionnalité qu’on pourrait dire: il y a métaphore dès lors que le locuteur désire (et exprime d’une certaine façon son désir) faire une métaphore.

Salutaire rappel à l’ordre, cette description de la métaphore laisse également insatisfait. Et peut-être faut-il demander non à des grammairiens, linguistes ou philosophes, mais à des écrivains et poètes de nous donner accès à ce qu’a de puissamment fécond la métaphore.

Pratique et poétique de la métaphore

Personne sans doute n’a mieux que Proust senti et fait sentir à quel point la métaphore est tout autre chose qu’une figure de rhétorique; elle est un moyen d’approcher et de retenir la sensation du réel, c’est-à-dire l’événement fugitif au cours duquel nous avons eu un instant le sentiment d’être vraiment au cœur des choses. Pour rejoindre cet instant disparu, pour restituer sa formidable puissance jubilatoire, il nous faut recomposer un monde de langage qui abolisse les discriminations entre les termes qui renvoient au toucher, à l’odorat, au goût, à l’ouïe et à la vue. D’où ces phrases à cinq, voire six mots en apparence hétérogènes et disparates, mais qui, chacun renvoyant à un sens, s’équivalent les uns les autres comme autant de tentatives pour capturer un moment où notre sensibilité a été entièrement (globalement) affectée par un événement singulier. Le jeune narrateur de la Recherche entasse dans son esprit... «une pierre où jouait un reflet, un toit, un son de cloche, une odeur de feuilles, bien des images différentes sous lesquelles il y a longtemps qu’est morte la réalité pressentie que je n’ai pas eu assez de volonté pour arriver à découvrir» (Bibliothèque de la Pléiade, I, p. 179). Cette équivalence de termes distincts soudain appariés dans une expression unique qui tout à la fois rejoint la réalité et la sauve de la disparition, Proust la nomme métaphore. S’agissant d’un tableau d’Elstir, le narrateur écrit: «Une de ses métaphores les plus fréquentes dans les marines qu’il avait près de lui [...] était justement celle qui, comparant la terre à la mer, supprimait entre elles toute démarcation» (À l’ombre des jeunes filles en fleurs , ibid. , I, p. 836). On aura reconnu des formules classiques; l’essentiel tient cette fois non à la définition formelle de la métaphore mais à son usage. Nous ne pouvons accéder à la réalité que par elle; et par elle seule nous pouvons résister à l’oubli. On se rappelle la page à la fois mystérieuse et magnifique dans Le Temps retrouvé où Proust définit la relation entre la réalité et l’expression: «Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats.» Pour en découvrir la vérité et pour la sauver de la disparition, il faut trouver le «rapport unique» qui enchaînera à jamais dans une phrase, «dans les anneaux nécessaires d’un beau style», les éléments dispersés, les bribes éparses. Cette expression unique, Proust la nomme métaphore, et l’on voit qu’il étend le terme bien au-delà de la rhétorique puisqu’il en fait un moyen de perception privilégié.

Si l’on se rappelle les conceptions «comparatistes» dont nous avons parlé d’abord, une telle position pourra sembler paradoxale, voire provocatrice, puisque l’expression métaphorique y était présentée comme une sorte de détour, de formulation seconde, et donc plus éloignée de l’objet ou de la circonstance à évoquer que n’en était le discours direct ou simple ou normal. On pressent pourtant qu’il y a dans cette notion de «détour», autrement dit de suspension du temps, un élément important pour évaluer précisément ce qui se passe au moment de la production d’une métaphore.

De plusieurs manières, en effet, les métaphores sont soumises au temps. D’une façon externe d’abord: dans ce qu’on nomme métaphore, l’image ne tarde pas à perdre la fraîcheur, la nouveauté, et donc son pouvoir d’évocation (on emploie alors l’expression, d’ailleurs étrange, de «métaphore lexicalisée», pour attester qu’une formule originale peu à peu est «entrée dans le dictionnaire»); ainsi nombre de métaphores précieuses, de significations qu’on suppose originellement figurées deviennent par l’usure perçues comme littérales: «froid» s’accorde normalement avec la température et le tempérament, et ainsi de suite. Cela suggère que la métaphore existe vraiment au moment où on la découvre, et non en soi; en effet, comme la théorie interactive et l’approche pragmatique le pressentent, elle constitue un procès inscrit précisément dans une situation énonciative ; et sans doute Aristote avait-il pressenti quelque chose de cet ordre lorsqu’il rangea l’énigme et l’ellipse au nombre des métaphores. Ensuite, la métaphore est assujettie au temps dans son mouvement même. Comme si la métaphore opérait une sorte de raccourci, de court-circuit au premier abord peu compréhensible, mais que, dans un temps second, l’interprétation déploie dans la lumière intelligible. Cet effet de surprise n’est pas sans relation avec le mot d’esprit dont on se rappelle que, dans un premier temps, il provoque la sidération (non-sens) avant d’offrir, pour le soulagement et le plaisir de l’auditeur, un surcroît de sens. Jean Paulhan a très remarquablement, dans Les Fleurs de Tarbes , montré que ce mouvement de bascule s’exerce non seulement dans les «fleurs» de rhétorique mais dans tout usage de langage, et que c’est par une «illusion de projection» que nous allons décréter commune (et donc vide de sens) telle ou telle tournure, en d’autres termes prêter ou imputer à celui qui parle l’oreille avertie (et fatiguée) de celui qui écoute: où l’un cherche à parler vraiment, l’autre entend le lieu commun. Ainsi de la métaphore, qui est enjeu du sens plutôt que «figure», à condition d’entendre par «sens» ce grâce à quoi le langage tente de rejoindre l’événement.

Reprenons, après tant d’autres, la formule homérique «l’aurore aux doigts de rose», dont on essaie en général de retrouver la signification à partir d’un appareil d’équivalence (l’aurore s’épanouit en ouvrant ses pétales qui sont, bien sûr, roses comme ceux de la fleur...). Mais comment ne pas être sensible à l’opération d’ellipse en quoi justement consiste la métaphore? Pour résoudre l’énigme de cette alliance incongrue (aurore, doigts, rose), imaginons une séquence à la fois descriptive et narrative qui raconterait le lever du jour en disant à peu près: lorsque le jour surgit, que la nuit pâlit, effaçant peu à peu les étoiles dans le ciel, une lueur blême, fragile et rose effleure à peine les cimes des arbres, des collines, des maisons et dissipe par touches successives les pans d’ombre du bois qui bientôt disparaissent. Ce moment bref et magique ne dure pas: sitôt levé le soleil, le paysage tout entier baigne dans la lumière, l’instant insaisissable s’est évanoui. Peut-être aura-t-on reconnu le mouvement du poème «Aube» (Rimbaud, Illuminations ), qui évoque justement ce geste rapide d’effleurement mystérieux et splendide par lequel l’aurore change l’ombre en lumière, geste si rapide que, à peine a-t-on le temps d’en prendre conscience, il est déjà trop tard, on a manqué l’aube, le jour est là; geste qui est l’acte même de la métaphore («L’aurore aux doigts de rose») et plus précisément l’accomplissement dans le langage d’un parcours que la sensation (la perception, peut-être) ne sait pas encore tout à fait qu’elle l’a effectué dans le monde; comme si la métaphore tirait sa vigueur de la brièveté sidérante grâce à laquelle elle parvenait à rejoindre l’événement d’une sensation qui ne se savait pas encore, par la promptitude de l’expression à la révéler à elle-même et à frayer une voie à la connaissance.

métaphore [ metafɔr ] n. f.
• 1265; lat. d'o. gr. metaphora « transposition »
Figure de rhétorique, et par ext. Procédé de langage qui consiste à employer un terme concret dans un contexte abstrait par substitution analogique, sans qu'il y ait d'élément introduisant formellement une comparaison. comparaison, image. « Une source de chagrin », « un monument de bêtise » sont des métaphores. Métaphore et métonymie. Filer la métaphore. La métaphore est à l'origine des sens nouveaux d'un mot.

métaphore nom féminin (latin metaphora, du grec metaphora, de metapherein, transporter) Emploi d'un terme concret pour exprimer une notion abstraite par substitution analogique, sans qu'il y ait d'élément introduisant formellement une comparaison. Chez Lacan, processus qui consiste à substituer un signifiant à un autre, qui en devient refoulé. (C'est l'équivalent de la condensation décrite par Freud pour le rêve.) ● métaphore (citations) nom féminin (latin metaphora, du grec metaphora, de metapherein, transporter) Alphonse Allais Honfleur 1854-Paris 1905 Toutes les fois qu'on a l'occasion de réaliser une métaphore, doit-on hésiter un seul instant ? Deux et deux font cinq Ollendorfmétaphore (synonymes) nom féminin (latin metaphora, du grec metaphora, de metapherein, transporter) Emploi d'un terme concret pour exprimer une notion abstraite par...
Synonymes :
- figure
- image

métaphore
n. f. Figure de rhétorique qui consiste à donner à un mot un sens qu'on ne lui attribue que par une analogie implicite. "Le printemps de la vie" est une métaphore pour parler de la jeunesse.

⇒MÉTAPHORE, subst. fém.
A.RHÉTORIQUE
1. Rare. [P. réf. à Aristote] Figure d'expression fondée sur le transfert à une entité du terme qui en désigne une autre. C'est une remarque excellente d'Aristote, dans sa «Rhétorique» que toute métaphore fondée sur l'analogie doit être également juste dans le sens renversé (CHAMFORT, Max. et pens., 1794, p. 68).
Rem. Voir ARISTOTE, Poétique, 1457 b 6-9 (trad. J. Hardy, Paris, Les Belles Lettres, 1932): ,,La métaphore est le transport à une chose d'un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l'espèce, ou de l'espèce au genre, ou de l'espèce à l'espèce ou d'après le rapport d'analogie``. Seule la métaphore d'après le rapport d'analogie correspond à ce que l'on entend usuellement par métaphore (infra 2).
2. Figure d'expression par laquelle on désigne une entité conceptuelle au moyen d'un terme qui, en langue, en signifie une autre en vertu d'une analogie entre les deux entités rapprochées et finalement fondues. Par la magie de la métaphore qui rapproche ce qui était distant (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 355). La métaphore se distingue de la similitude ou comparaison par le fait qu'aucun élément formel de comparaison ne s'y trouve présent (REY Sémiot. 1979):
1. Nous disons que les corps célestes obéissent à la loi de Newton; cela signifie qu'ils suivent des paroles comme les enfants sages. Mais ce n'est qu'une métaphore? Sans doute; mais la métaphore est enfermée dans le mot loi. L'algébriste veut échapper à la métaphore, et retrouve la fonction, autre métaphore. Les métaphores nous pressent, comme les ombres infernales autour d'Énée. Et ces pensées mortes doivent revivre en chaque enfant, comme le mythe du Léthé l'exprime, métaphore sur les métaphores. Et ceux qui méprisent les jeunes métaphores, nous les nommons pontifes, c'est-à-dire prêtres et ingénieurs par une double métaphore.
ALAIN, Propos, 1921, pp. 333-334.
Rem. La métaph. peut affecter le subst., l'adj. qualificatif, le verbe et, dans une bien moindre mesure, l'adv.
[Déterminé par un adj.] Métaphore expressive, neuve, usée. Ruisseau-argenterie rajeunit à peine la métaphore banale du ruisseau aux flots d'argent (ÉLUARD, Donner, 1939, p.131).
♦[L'adj. évoque le domaine sém. auquel est emprunté le terme employé comme métaph.] Métaphore musicale, sensorielle. De l'amour, de la prédilection des Français pour les métaphores militaires. Toute métaphore ici porte des moustaches (BAUDEL., Coeur nu, 1867, p. 654). Non, pas de métaphores hippiques quand nous envisageons le domaine de l'administration financière (ARNOUX, Solde, 1958, p. 102).
Métaphore filée (ou suivie). Série structurée de métaphores qui exploitent, en nombre plus ou moins élevé, des éléments d'un même champ sémantique (d'apr. A. HENRY, Méton. et métaph., 1971, p. 122). Plus caractéristique est cette autre métaphore filée reprise à Dieu [de Hugo], parce que sa structure sémantique est mise en évidence par la construction systématique et symétrique (ARNOUX, Solde, 1958 p. 187).
Filer ou suivre la métaphore. Observe de suivre les métaphores (FLAUB., Corresp., 1853, p. 248).
Par métaphore. En recourant à une/des métaphore(s). Autour de certains souvenirs de notre être, nous avons la sécurité d'un coffret absolu. Mais avec ce coffret absolu, voilà que nous aussi nous parlons par métaphore (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p.88).
P. ext. Façon figurée de parler. Je m'enhardis, monsieur, à vous demander de venir dîner (...) chez moi, vendredi prochain, à six heures. Quand je dis chez moi, c'est une métaphore: je n'ai pas de chez moi à Paris (SAND, Corresp., t. 4, 1856, p.86).
B.P. anal. [À propos de signes autres que ceux du lang. articulé, en partic. dans le domaine des arts] [L'architecture] représente une création analogue à celle de l'être humain (...) et dans ses métaphores de pierre ou de marbre il [ l'artiste] figurera des fibres délicates unies en faisceau et fortifiées par des ligatures (Ch. BLANC, Gramm. arts dessin, 1876, p. 138):
2. Les courants qui les mènent [les artistes] sont plutôt du domaine des effluves; ou, encore, ils glissent entre deux eaux: au-dessus d'eux, c'est la tempête et les vagues humaines, au-dessous, les éternelles profondeurs pleines de secrets essentiels. Ces deux pôles qui s'ignorent ne peuvent communiquer à l'aide d'un langage courant, en l'espèce, le «sujet», bien compréhensible, d'un tableau, mais plutôt grâce à des métaphores plastiques difficiles à entendre sur l'heure.
LHOTE, Peint. d'abord, 1942, p. 177.
REM. 1. Métaphorisation, subst. fém. Création d'une métaphore. Cette identification [entre deux représentations] est indispensable, pour qu'il y ait métaphorisation (A. HENRY, Méton. et métaph., 1971, p. 84). 2. Métaphoriser, verbe a) Emploi intrans. Faire des métaphores, s'exprimer en recourant à la métaphore. Ceux dont on a pu lire dans la matinée quelque parole ou acte mémorable, quelque dépêche mâle et simple, peut-on raisonnablement les entendre déclamer, rêver, rimer, métaphoriser, même en beaux vers, le soir? (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 5, 1863, p. 306). b) Emploi trans. Désigner par métaphore. ,,Gouffre``, chez Baudelaire, par ailleurs métaphorise l'enfer et le coeur du pécheur (GUIRAUD ds Langage, 1968, p. 446). 3. Métaphorisme, subst. masc. Tendance marquée à recourir à la métaphore. Guéri du métaphorisme (L. DAUDET, Maurras, 1928, p. 31).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718 metaphore, dep. 1740 mé-. Étymol. et Hist. 1275-80 (JEAN DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 7161). Empr. au lat. metaphora de même sens, du gr. «id.» au propre «transport» d'où «changement», du verbe «transporter», «employer métaphoriquement», formé des élém. ()-, de adv. et - de «je porte». Fréq. abs. littér.:774. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 553, b) 1008; XXe s.: a) 784, b) 1808. Bbg. ADANK (H.). Essai sur les fondements psychol. et ling. de la métaphore affective. Genève, 1939, 191 p. — BOUVEROT (D.). Comparaison et métaphore. Fr. mod. 1969, t.37, pp. 132-147, 224-238. — BROOKE-ROSE (Ch.). A grammar of metaphor. London, 1958, 343 p. — CAMINADE (P.). Image et métaphore. Paris, 1970, 160 p. — DELB. Matér. 1880, p. 203 (s.v. métaphoriser). —DUBOIS (Ph.). La Métaphore filée et le fonctionnement du texte. Fr. mod. 1975, t. 43, pp. 202-213. — EDELINE (F.). Nouv. rech. sur la métaphore. Semiotica. 1979, t. 25, pp. 379-387. — HENRY (A.). Métonymie et métaphore. Bruxelles, 1984, 246 p. — KONRAD (H.). Ét. sur la métaphore. Paris, 1958, 173 p. — LE GUERN (M.). Sém. de la métaphore et de la métonymie. Paris, 1972, 127 p. — MARTIN (R.). Pour une logique du sens. Paris, 1983, pp. 183-203. — MEIER (H.). Die Metapher. Winterthur, 1963, 246 p. —Langages. 1979, n° 54 (La Métaphore, par J. Molino), 125 p. — NORMAND (Cl.). Métaphore et concept. Bruxelles - Paris, 1976, 164 p. — QUEM. DDL t. 6 (s.v. métaphoriser). — Rhétorique générale, par le groupe (J. Dubois, et al.). Paris, 1970, pp. 106-112. — RICOEUR (P.). La Métaphore vive. Paris, 1975, 415 p.

métaphore [metafɔʀ] n. f.
ÉTYM. 1265; lat. d'orig. grecque metaphora, proprt « transport », d'où « transposition ».
Figure de rhétorique, procédé de langage qui consiste dans un transfert de sens (terme concret dans un contexte abstrait) par substitution analogique. Comparaison, image (concepts différents). || La métaphore désigne un objet du nom d'un autre objet présentant avec le premier des rapports d'analogie ( Catachrèse). || « La racine du mal, une source de chagrins… » sont des métaphores. || Faire une métaphore (→ Inclination, cit. 10). || La métaphore, élément de locutions (cit. 1) pittoresques. || Les métaphores du style figuré (cit. 15). || Écrivain fertile (cit. 7) en métaphores. || Métaphore hyperbolique (cit. 4), incohérente (cit. 1), usée, vieillie (→ Emprunter, cit. 16). || Métaphore filée ( Allégorie, cit. 1).Collectivt. || La métaphore : le procédé, le style métaphorique.
1 Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore.
La Bruyère, les Caractères, I, 55.
2 (…) toute métaphore fondée sur l'analogie doit être également juste dans le sens renversé. Ainsi, l'on a dit de la vieillesse qu'elle est l'hiver de la vie, renversez la métaphore et vous la trouverez également juste, en disant que l'hiver est la vieillesse de l'année.
Chamfort, Maximes, Philosophie et morale, LV.
3 Victor Hugo entre autres, a fait sur eux (les enfants) une foule de vers adorables, où les métaphores gracieuses sont épuisées : ce sont des fleurs à peine épanouies où ne bourdonne nulle abeille au dard venimeux, des yeux ingénus où le bleu d'en haut se réfléchit sans nuage; des lèvres de cerise que l'on voudrait manger et qui ne connaissent pas le mensonge (…) tout ce qu'on peut imaginer de coquettement tendre et de paternellement anacréontique.
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre, Gavarni, II.
4 Ce fut lui que l'on mangea et que l'on but; il devint la vraie Pâque, l'ancienne ayant été abrogée par son sang. Impossible de traduire dans notre idiome essentiellement déterminé, où la distinction rigoureuse du sens propre et de la métaphore doit toujours être faite, des habitudes de style dont le caractère essentiel est de prêter à la métaphore, ou pour mieux dire, à l'idée, une pleine réalité.
Renan, Vie de Jésus, Œ. compl., t. IV, p. 276.
5 La métaphore consiste à transporter un mot de sa signification propre à quelque autre signification, en vertu d'une comparaison qui se fait dans l'esprit et qu'on n'indique pas. C'est une transposition par comparaison instantanée.
Antoine Albalat, l'Art d'écrire…, p. 273.
6 On peut faire se succéder indéfiniment dans une description les objets qui figuraient dans le lieu décrit, la vérité ne commencera qu'au moment où l'écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport, analogue dans le monde de l'art à celui qu'est le rapport unique de la loi causale dans le monde de la science, et les enfermera dans les anneaux nécessaires d'un beau style; même, ainsi que la vie, quand, en rapprochant une qualité commune à deux sensations, il dégagera leur essence commune en les réunissant l'une et l'autre pour les soustraire aux contingences du temps, dans une métaphore.
Proust, le Temps retrouvé, Pl., t. III, p. 889.
Parler par métaphore, par métaphores.
Spécialt. (Depuis les formalistes russes et surtout, R. Jakobson). Procédé sémantique agissant par analogie (opposé à métonymie); spécialt. || Procédé sémantique agissant par contiguïté.
REM. Métaphore, même dans le discours des spécialistes, désigne erronément et fréquemment d'autres procédés, comme la métonymie la synecdoque, etc. (G. Genette, Figures III, souligne à ce propos que le terme tend à absorber toute la terminologie des tropes).
DÉR. Métaphorique.

Encyclopédie Universelle. 2012.