ÉTAT
Les définitions de l’État sont innombrables. Cette multiplicité tient à la diversité des points de vue auxquels se placent leurs auteurs. Le géographe identifie l’État à un territoire, le sociologue le confond avec le fait de la différenciation entre gouvernants et gouvernés, l’historien y voit une manière d’être de la nation, le juriste l’assimile à un système de normes (H. Kelsen), le philosophe le tient pour «la substance éthique consciente d’elle-même» (Hegel), l’économiste, selon l’école dont il se réclame, le considère comme l’autorité planificatrice suprême ou, avec F. Bastiat, comme «la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde». Le poète lui-même propose son interprétation, soit qu’il dénonce dans l’État «le plus froid des monstres froids», soit qu’il le pousse à être «le mur qui entoure le jardin où poussent les fleurs et les fruits d’humanité» (Hölderlin).
Ces définitions n’ont pas plus de valeur que celles par lesquelles le carabin légitime sa spécialité en disant que l’homme est un tube digestif ou une colonne vertébrale. Apparemment plus satisfaisantes sont les définitions éclectiques qui associent dans une même notion des éléments matériels tels que la population et le territoire et un élément spirituel: la puissance de domination. Avec quelques nuances, elles se ramènent à la formule de R. Carré de Malberg (Contribution à la théorie générale de l’État , 1921) selon qui l’État «est une communauté d’hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d’où résulte pour le groupe envisagé dans des rapports avec ses membres une puissance suprême d’action, de commandement et de coercition». À la réflexion cependant, il apparaît que cette définition est difficilement utilisable en raison de son défaut d’homogénéité. En additionnant des moutons avec des moutons on obtiendra un troupeau, mais en ajoutant le pré et le berger, le résultat ne sera qu’une notion confuse.
1. L’État, support du pouvoir politique
Les difficultés que le langage éprouve à rendre compte de l’État proviennent de ce qu’il n’appartient pas au monde des phénomènes concrets. Nul ne l’a jamais vu. Et comme on ne peut cependant douter de sa réalité, c’est qu’elle est d’ordre conceptuel. L’État est une idée.
L’État comme artifice
Si l’État est une idée, il n’existe que parce qu’il est pensé. C’est dans la raison d’être de cette pensée que réside son essence. Cette raison n’est pas mystérieuse; elle est d’une simplicité aveuglante: l’homme a inventé l’État pour ne pas obéir à l’homme. L’idée de l’État procède du souci de détacher les rapports d’autorité à obéissance des relations personnelles de chef à sujet. Il suit de là que l’État est le support d’un pouvoir qui transcende la volonté individuelle des personnalités qui commandent.
Si toutes les sociétés politiques, depuis les plus primitives jusqu’aux plus raffinées, comportent toujours un pouvoir prétendant prendre en charge les intérêts communs du groupe, ce pouvoir ne revêt pas toujours les mêmes formes. Dans les peuplades primitives, il est anonyme en ce sens qu’il s’identifie au pesant conformisme qu’imposent les traditions, les coutumes ou les croyances. À un stade plus évolué, lorsque les nécessités économiques ou les luttes avec les groupes voisins exigent l’intelligence et l’initiative d’un chef, le pouvoir s’incarne dans un homme, le plus fort, le plus sage ou le plus habile. Peu importe la manière dont il est désigné; ce qui caractérise son autorité, c’est qu’il l’exerce comme une prérogative qui lui est personnelle parce qu’il ne la doit qu’à des qualités qui lui sont propres. C’est cette forme de pouvoir que Max Weber qualifie de pouvoir charismatique. Elle s’établit partout où le chef commande parce qu’il est lui et non un autre. Les relations de commandement à obéissance sont des relations personnelles dont le régime féodal illustre la généralité.
Seulement, ce pouvoir individualisé, s’il offre d’incontestables avantages quant à la cohésion du groupe social et à l’affirmation de son autonomie, ne peut survivre à partir du moment où la conscience politique des gouvernés devient plus exigeante. Assurément on sait qui commande, mais on ignore qui a le droit de commander. Ce droit doit être conquis de haute lutte, et la manière même dont il s’établit discrédite son fondement. Si le chef doit d’abord imposer son titre les armes à la main, si un échec l’élimine, si le succès le consacre, c’est que son autorité n’est due qu’à sa chance ou à sa force. Ce n’est pas là une légitimité suffisante puisqu’elle n’exclut pas la possibilité d’arbitraire de la part des personnalités qui disposent des prérogatives de la puissance. D’autre part, incarné dans un homme, le pouvoir disparaît avec lui. Jointe au défaut de légitimité, cette absence de continuité crée une situation fâcheuse aussi bien pour les gouvernants, dont l’autorité peut toujours être menacée par des rivaux, que pour les gouvernés, toujours victimes des luttes dont le titre au commandement est l’enjeu. Cet inconvénient fut vivement ressenti à l’époque même où il produisait ses redoutables effets. J. Bodin en témoigne (La République , liv. I, chap. VIII), et Machiavel ne cesse d’être hanté par le souci d’assurer au pouvoir la durée sans laquelle il ne peut rien accomplir de grand.
C’est pourquoi s’est fait jour l’idée d’une dissociation possible entre le pouvoir et celui qui l’exerce. Mais si le pouvoir cesse d’être incorporé dans la personne du chef, il ne peut cependant demeurer sans titulaire. Ce support, ce sera l’État envisagé comme siège de l’autorité politique. Il peut donc être défini comme le titulaire abstrait et permanent du pouvoir dont les gouvernants ne sont que les agents d’exercice essentiellement passagers.
Ainsi, c’est se satisfaire d’une analyse trop sommaire que de voir un État dans toute société où existe une différenciation entre les forts qui commandent et les faibles qui obéissent. Le vrai, c’est que «les origines de l’État doivent se prendre alors seulement que commence à exister un organisme qui, aux hommes du XVIe siècle, apparut comme assez neuf pour qu’ils sentissent le besoin de le doter d’un nom: un nom que les peuples, à la même époque, se repassèrent aussitôt l’un à l’autre» (L. Febvre, introduction à L’État , tome X de l’Encyclopédie française ). L’État n’est donc pas un phénomène «naturel» comme le clan, la tribu, ou la nation. Il est construit par l’intelligence humaine à titre d’explication et de justification du fait social qu’est le pouvoir politique. Il n’a de réalité que conceptuelle.
Assurément on pourrait faire valoir que, création de l’esprit, l’idée de l’État n’est qu’un fantasme ou une superstition née de l’imagination, qui n’est jamais plus inventive que dans la crainte. L’univers politique, univers magique, n’est-il pas empli de ces croyances et de ces symboles sans lesquels, livré aux seuls impératifs d’une objective rationalité, il cesserait d’être? Si, cependant, l’État ne désignait qu’un de ces mythes dont est fertile l’imagination fabulatrice des foules que trouble le spectacle du pouvoir, son inconsistance ne manquerait pas de se révéler à la réflexion. Or il n’en est rien. Pour être de l’ordre des idées et non des phénomènes concrets, l’État n’en est pas moins une donnée dont il est impossible de nier la réalité sans s’interdire, du même coup, la compréhension de faits, qui, eux, sont observables. L’État ne crée pas l’autorité, mais il en affecte les formes; l’obéissance qu’il exige n’est pas de la même nature que celle que requiert le chef qui commande; il dure quand les gouvernants passent; il favorise un rapprochement des individus que leurs options partisanes divisent; il met quelque grandeur dans la vie politique qui, sans lui, ne refléterait que la médiocrité des hommes. Et, surtout, en dissociant le fondement de l’autorité des qualités propres à celui qui l’exerce, il permet de subordonner l’ordre donné au respect de conditions préétablies. C’est dire qu’il est nécessaire pour soumettre des gouvernants au droit: dès lors qu’ils ne mettent pas en œuvre une puissance qui leur est personnelle mais celle qui appartient à l’État, leurs volontés ne pourront lui être imputées que dans la mesure où elles seront émises sur les matières et selon les procédures qu’autorise leur statut d’agent d’exercice du pouvoir. Par là même, en assujettissant les gouvernés aux règles qui ne valent que parce qu’elles sont émises sous couvert de l’État, sa seule existence restitue à l’obéissance une dignité que la soumission à un homme risquerait de compromettre.
L’État comme institution
Effets de croyance que tout cela? Peut-être. Mais quand les croyances s’incarnent, quand elles s’avèrent capables de soutenir un pouvoir durable, quand elles lui assurent une assise suffisamment solide pour lui permettre de se détacher des représentations qui lui ont donné naissance, quand elles inscrivent dans l’histoire une trace qu’aucun scepticisme ne peut effacer, alors une réalité s’affirme dont il serait puéril de contester l’authenticité sous prétexte qu’elle n’a d’existence que conceptuelle.
C’est qu’en effet, une fois détaché des personnalités qui mettent en œuvre ses prérogatives, le pouvoir n’est pas réduit à l’inconsistance d’un ectoplasme. Il s’inscrit dans l’institution étatique, de telle sorte que l’on peut dire que l’État c’est le pouvoir institutionnalisé et, par extension, l’institution elle-même dans laquelle s’incarne le pouvoir. Une institution est une entreprise au service d’une idée, organisée de telle façon que, l’idée étant incorporée dans l’entreprise, celle-ci dispose d’une puissance et d’une durée supérieures à celles des individus par lesquels elle agit. Dans l’institution étatique, l’idée est la représentation dominante dans le groupe quant à l’ordre social désirable. Cette représentation, soit par le nombre des individus dans l’esprit desquels elle se forme, soit par l’habileté ou la puissance de ceux qui parviennent à l’imposer, constitue l’assise du pouvoir (cf. POUVOIR). C’est donc elle qui, par l’institutionnalisation du pouvoir, devient l’énergie animatrice de l’institution étatique.
Certes, l’idée d’œuvre en fonction de laquelle s’agence l’appareil de voies et moyens par où s’extériorise l’institution est susceptible d’infinies modalités. Sa consistance est déterminée par le degré d’évolution du groupe, par l’image qu’il se fait d’un avenir souhaitable, par ses traditions, mais aussi par l’écho qu’y rencontrent les philosophies politico-sociales dont les rivalités animent la vie politique. C’est ainsi que l’on parlera d’un État libéral, d’un État socialiste, d’un État corporatif. Mais toujours, sous-jacent à l’idée, il y a le souci de maintenir ou de renforcer la cohésion du groupe de telle sorte que ses membres puissent aborder ensemble leur destin. Si la politique divise les hommes, l’État délimite le cadre de cet affrontement en fixant les bornes au-delà desquelles l’éclatement de la communauté rendrait toute politique illusoire, faute de terrain où situer ses objectifs. Et il ne s’agit pas là d’une hypothèse d’école.
Le propre de l’institution est ainsi de régulariser la vie politique et, d’abord, d’imposer aux gouvernants un statut dont le respect conditionne le caractère juridiquement obligatoire de leurs volontés. En effet, dès lors que leur puissance n’a pas sa source dans une qualité qui serait inhérente à leur personne, il leur faut un titre pour gouverner. Ce titre, ils le trouvent dans la Constitution [cf. CONSTITUTIONS POLITIQUES] qui définit les conditions d’obtention du droit de commandement et les procédures selon lesquelles il doit être exercé. Elle détermine le processus au terme duquel des volontés qui, en elles-mêmes, sont des volontés humaines seront imputées à l’État et bénéficieront à la fois de l’autorité qui s’attache à la règle de droit et de la sanction que procure l’intervention de la puissance publique.
2. L’État, alibi du pouvoir
On conçoit donc que les forces qui s’affrontent sur la scène politique cherchent à investir l’État pour qu’il marque de son sceau leurs objectifs et leurs exigences. Dans cette perspective, l’État apparaît alors comme l’enjeu de la lutte politique et, à la limite, comme une sorte d’alibi dont se couvriront les forces qui ont triomphé, en imposant comme volonté de l’État les exigences inscrites dans leur doctrine ou leur programme.
L’État, enjeu de la lutte politique
Il est rare qu’une société politique soit à ce point homogène que tous ses membres communient dans une représentation unique de l’ordre désirable. En fait, il existe une diversité d’images du futur souhaitable. Lorsqu’elles sont suffisamment persuasives, elles constituent autant de thèmes relatifs à l’aménagement des rapports sociaux. Selon le processus inhérent à la genèse de tous les pouvoirs, ces images suscitent des énergies tendant à les réaliser; elles donnent naissance à des pouvoirs. Comme, par hypothèse, ces pouvoirs n’ont en eux-mêmes aucune qualité juridique qui leur permette de s’imposer, on peut les désigner sous le nom de pouvoirs de fait.
C’est la concurrence de ces pouvoirs qui anime la dynamique politique. Il faut bien comprendre, en effet, que le pouvoir institutionnalisé ne peut régner par le seul attrait de l’idée qu’il incarne. D’abord, cette idée n’a que la valeur d’une directive très générale; elle définit seulement le style d’ensemble dont l’exercice de la fonction politique doit marquer la structure du groupe pour assurer sa pérennité. D’autre part, elle est susceptible d’évolutions. L’État, siège d’un pouvoir abstrait, ne pourrait les enregistrer si des volontés humaines n’en faisaient valoir les impératifs. Enfin, il va de soi que des décisions sont nécessaires pour faire passer dans la réglementation les normes dont l’observation est requise pour que l’ordre existant se transforme conformément à la représentation de l’ordre désirable. Ce sont ces évidences que le langage juridique traduit en disant que l’État ne saurait se passer d’organe. Et c’est précisément ce titre d’organes de l’État qui est l’objet de la compétition entre les pouvoirs de fait. On comprend l’âpreté de la lutte si l’on veut bien considérer qu’être organe de l’État, c’est décider en son nom, c’est-à-dire être maître de la machine à faire du droit. Or la règle juridique – à laquelle aucun comportement aussi bien individuel que collectif n’est, par nature, susceptible d’échapper – est un des instruments les plus efficaces pour transformer les sociétés. La lutte pour le pouvoir n’est pas autre chose que le combat où le vainqueur s’attribue compétence pour faire la loi.
État de partis et État partisan
Ici, cependant, une distinction capitale doit être introduite entre deux types d’États. Les uns acceptent que le pouvoir qui y est institutionnalisé soit sensible, dans son orientation, aux multiples pressions qui s’exercent dans la collectivité pour que la réglementation étatique prenne en considération telle ou telle catégorie d’intérêts ou s’inspire de telle ou telle finalité globale. Comme ces pressions se font sentir par l’entremise des partis politiques, l’État dans lequel leur jeu est tenu pour légitime est qualifié d’État de partis. Dans d’autres États, au contraire, cette action des partis est exclue. La finalité du pouvoir étatique est, une fois pour toutes, inscrite dans une doctrine ou une philosophie politico-sociale dont les termes ne sauraient être remis en cause. Et comme cette interprétation rigide et inaltérable de l’ordre désirable est exprimée par un parti unique – celui dont les dirigeants contrôlent les mécanismes étatiques –, on parlera d’un État partisan.
La distinction entre État de partis et État partisan rejoint celle qui constitue la ligne de clivage entre les deux types de démocratie, selon que le pouvoir y est ouvert ou clos [cf. DÉMOCRATIE]. Elle ne coïncide toutefois pas totalement avec elle car, si l’on ne conçoit pas d’État de partis dont le régime ne serait pas démocratique, en revanche il peut exister des États partisans où la démocratie est exclue. En réalité, l’État partisan n’est conciliable avec les exigences de l’idée démocratique que dans la mesure où l’on tient pour exact le postulat marxiste de l’homogénéité sociale réalisée par la révolution. Dans cette hypothèse, en effet, l’absence de division dans le corps social rend plausible l’unanimité des individus dans leur adhésion à une doctrine dont le parti est l’interprète et l’État le serviteur.
L’État de partis est celui qui existe partout où est institutionnalisée la compétition entre les diverses forces politiques cherchant à s’installer, par les voies légales, dans les agences officielles du pouvoir. Il est à prendre: que le plus fort ou le meilleur gagne! À le considérer rapidement, ce processus ne va pas sans affecter de quelque ambiguïté la notion même d’État. Puisque le parti qui l’emporte dans la lutte exercera le pouvoir étatique, la distinction entre l’État et les gouvernants ne tend-elle pas à s’effacer? Et si le pouvoir d’État est, en définitive, celui des plus forts, ne doit-on pas dénoncer l’hypocrisie de toutes les théories de l’État et, avec Marx, voir simplement en lui l’instrument d’oppression par lequel la classe économique favorisée établit sa domination sur la classe des travailleurs? Dira-t-on alors que, dans la lutte pour le pouvoir, la récompense du vainqueur sera de marquer de son sceau le drapeau de l’État? Admettra-t-on que l’État soit ce domaine offert au colonisateur d’un jour qui, à la faveur de ses armes, y introduit sa foi?
Si tel était le cas, force serait de constater que la notion d’État, conçue pour ennoblir le pouvoir en le détachant des passions humaines, n’est en réalité qu’un déguisement destiné à légitimer leur domination: de l’artifice on passerait à la mystification. Encore que l’observation de la vie politique incite souvent à formuler une conclusion pareillement désabusée, elle ne saurait être scientifiquement tenue pour définitive. L’État a une autre raison d’être que de servir de couverture au jeu des forces partisanes; il incarne un pouvoir autonome par rapport aux énergies que lui fournissent les partis, un pouvoir dont la nécessité ne procède pas seulement de vues théoriques, mais est établie, en fait, par le désordre qui s’installe dans la société lorsque, d’aventure, il lui fait défaut.
3. L’État, régulateur de la dialectique de l’ordre et du mouvement
De qui se réclament les gouvernants lorsqu’il s’agit d’obtenir des gouvernés des sacrifices que les partis en tant que tels ne consentiraient pas? De l’État. Quand les tensions sociales s’aggravent jusqu’à menacer la cohésion nationale, n’est-ce point l’unité de l’État qui est invoquée pour justifier l’intervention de la puissance publique? Quand un Premier ministre demande au Parlement une extension des prérogatives gouvernementales, ne justifie-t-il pas sa requête par la nécessité de renforcer l’autorité de l’État? Prétextes que tout cela! Non pas, car les hommes politiques ne professeraient pas de tels scrupules s’ils étaient inutiles. En invoquant l’État, ils savent que la collectivité acceptera de l’État ce qu’elle ne tolérerait pas d’un parti. De même, s’il s’avéra, sous la IIIe République, qu’un radical devenu ministre n’était pas nécessairement un ministre radical, c’est bien parce que l’exercice du pouvoir étatique impose des responsabilités qu’un homme de parti peut ignorer.
L’État arbitre
S’il en est ainsi, c’est parce que, dans une société dont la complexité se traduit inévitablement par des tensions internes, l’État apparaît comme la seule force capable de faire de l’ordre avec du mouvement. Il est seul à même d’imposer son arbitrage dans la concurrence des pouvoirs de fait.
Leurs luttes, si elles atteignaient leur paroxysme, détruiraient la société, et le même résultat serait atteint si l’un d’eux parvenait à réduire les autres au silence puisque alors la société s’étiolerait dans un conformisme mortel. L’univers politique est un ordre en mouvement, et ce que nous appelons stabilité sociale n’est qu’un équilibre de forces. Mais, cet équilibre n’est pas statique; c’est un équilibre dynamique qui se maintient par un constant rajeunissement de l’ordre. Et c’est précisément l’existence de l’État qui procure à cette dialectique le cadre qui lui permet d’aboutir à un dépassement et non pas à une destruction. En effet, le pouvoir étatique délimite la capacité de l’ordre à intégrer le mouvement. Le pluralisme des interprétations de l’ordre désirable stimule l’affrontement des pouvoirs de fait; le souci de faire pénétrer ces interprétations dans l’ordonnancement juridique positif oriente l’action des multiples forces politiques, mais c’est l’État qui détermine la mesure de leur victoire en définissant celles de leurs prétentions dont il fera son ordre. La règle qu’il établit combine, affine et synthétise une pluralité d’inspirations, ce qui est une manière de faire de l’un avec du multiple, c’est-à-dire de réaliser l’objectif politique fondamental, à savoir de concilier l’unité du pouvoir avec la bigarrure sociale.
Le pouvoir n’est pas une borne plantée au milieu de la société pour en immobiliser le cours. Il procède d’elle en même temps qu’il agit sur elle. S’il n’en reflète pas les exigences, il sera tôt ou tard emporté. Assurément, on peut concevoir (et il est parfois arrivé) que cette nécessaire solidarité entre le pouvoir et la conscience politique du groupe soit obtenue par une série de ruptures. À la suite de crises plus ou moins violentes, un pouvoir en remplace un autre, rétablissant ainsi, entre l’autorité politique et le projet social, la communauté que celui qui disparaît n’avait su garantir. Mais, sauf en cas de révolution, les choses se passent avec moins de brutalité. Dans le cours habituel de la vie politique, l’image de l’ordre social à maintenir ou à promouvoir qui constitue l’assise du pouvoir étatique est sans cesse remodelée par les gouvernants. Ils en précisent les contours, ils en déterminent la substance en fonction des responsabilités qu’ils découvrent, des résistances qu’ils rencontrent, des appels qui leur sont adressés. En ce sens, ils sont les «introducteurs» des aspirations sociales dans les décisions de l’État.
Toutefois, et c’est là l’essentiel, le pouvoir étatique n’est pas simplement un cadre formel recevant sa substance concrète de la volonté des partis ou des groupes qui en assument l’exercice. Sans doute le rôle des gouvernants n’est pas négligeable, mais ils ne sont habilités à le jouer que dans les limites d’un thème dont il ne leur appartient pas de fixer librement le sens. D’une part, ils sont liés par la constitution dont ils tiennent leur autorité. Cette subordination ne réside pas seulement dans le respect qu’ils doivent à des procédures; elle concerne également le contenu de leurs actes car il est rare que la constitution ne formule pas expressément ou implicitement (ne serait-ce que par la manière dont elle prévoit leur recrutement) les principes généraux que ne peuvent enfreindre les pouvoirs publics. D’autre part, en admettant même que la constitution n’ait qu’une signification procédurale, les gouvernants sont tenus par leur statut qui fait d’eux les agents d’exercice du pouvoir étatique. Or, si large que soit leur aptitude à en déterminer les objectifs, ils ne peuvent en altérer la finalité fondamentale qui est de garantir l’existence de la collectivité nationale. Il ne faut pas oublier, en effet, que le pouvoir qui est institutionnalisé est un pouvoir afférent à la société globale et qui ne trouve sa légitimité que dans le service qu’elle est en droit d’en attendre. Et quel service plus essentiel pourrait-elle en exiger que celui qui consiste à persévérer dans son être? C’est dire qu’à l’appui du pouvoir étatique, il y a un projet collectif qui ne se confond pas avec les visées partisanes. Ce projet, cette image de l’avenir attendu, cette volonté d’affronter ensemble un destin commun s’inscrivent dans l’idée de l’État. Et ce sont eux, par conséquent, qui le qualifient pour fixer la mesure dans laquelle l’intégration du mouvement à l’ordre est compatible avec sa propre finalité.
Et il est nécessaire qu’il en soit ainsi car, si l’État n’était pas le régulateur de la lutte politique, rien ne s’opposerait à ce que les gouvernants d’un jour ne s’érigent en juges souverains des décisions qu’ils estiment devoir être endossées par l’État. Dans ce cas, non seulement la constitution risquerait d’être violée, mais encore la dialectique de l’ordre et du mouvement, au lieu de se dérouler pacifiquement, retrouverait le cours heurté et dangereux qui la caractérise lorsque aucune puissance n’en arbitre le jeu.
L’État en quête d’une assise sociale homogène
Encore faut-il que l’État soit à même de remplir cette fonction. Il est pouvoir, certes, mais où ce pouvoir trouvera-t-il l’énergie nécessaire pour n’être pas désarmé? Dans la force? Mais quelle force, puisque ce pouvoir n’est qu’une entité? Dans une armée de mercenaires? Ce serait oublier que les polices d’aujourd’hui, pas plus que les janissaires de jadis, ne sont capables d’imposer un pouvoir durable. Dans les partis qui soutiennent les gouvernants en place? Mais pourquoi les partis se dessaisiraient-ils au profit de l’État d’une puissance qui a trouvé son plein emploi dès lors qu’elle leur a permis de s’installer dans les agences gouvernementales?
Le vrai, c’est que le pouvoir étatique n’a de réalité que dans la mesure où il dispose d’une énergie qui lui soit propre et que cette énergie, il ne peut l’obtenir que de son assise sociale. Or, comme les collectivités complexes que sont les sociétés politiques ne vont pas sans tensions internes provoquées par les hiérarchies sociales ou les structures économiques, le problème revient à y découvrir, au profit de l’État, le principe d’une adhésion qui transcenderait les divisions psychiques ou sociologiques inhérentes à toute société globale.
On a longtemps cru voir un obstacle majeur à une telle adhésion dans l’existence des classes sociales et spécialement de celle que l’on appelle la classe ouvrière. Selon une perspective marxiste, en effet, celle-ci oppose aux valeurs et symboles de la société globale ses propres évaluations. Pour ses membres, elle est une société qui se suffit à elle-même. La conscience de classe se refuse à toute pénétration par les modèles qui ont cours dans la collectivité nationale. C’est une conscience séparée qui conduit ceux qui en sont pénétrés à se situer en position de réfractaires. Il est donc vain d’imaginer une sorte de coexistence pacifique entre la classe et la société globale. Par le fait même que la structure de celle-ci comporte une stratification des classes, les individus qui se sentent liés à celle qui est la plus défavorisée ont le sentiment d’être frustrés des profits de la vie commune, d’être colonisés par les bénéficiaires de l’ordre existant. On ne saurait donc attendre de cette classe qu’elle considère comme son bien un pouvoir étatique qui trouve son fondement dans cet ordre même. Politiquement, la conscience de classe serait une force de contestation qui susciterait la lutte à la fois dans l’État et contre l’État. Il en irait ainsi non pas seulement parce qu’en elle s’exprimeraient des revendications économiques, mais parce qu’elle inclurait une vision du monde incompatible avec celle dont le pouvoir officiel lui apparaîtrait comme l’instrument.
L’État et les classes
On comprend, dans ces conditions, que l’antagonisme entre cette force qu’est la classe et le pouvoir d’État – qui ne peut se prétendre légitime qu’à raison d’une large adhésion dans la collectivité – ait conduit les théoriciens à éliminer le problème pour procurer, au régime de leur choix, une idée de l’État que l’étendue et l’authenticité de son assise sociale mettraient à l’abri de la contestation.
L’histoire des idées apporte trois solutions qui ont été ou sont encore tenues pour possibles, mais dont aucune ne paraît pleinement satisfaisante.
Il y a d’abord la solution de l’État libéral. Tenant pour bénéfique la distinction entre la société et l’État, la pensée libérale ne cherche pas à fonder le pouvoir étatique sur les besoins ou les vœux de la collectivité réelle. Elle considère qu’à faire de lui l’instrument des exigences du groupe réel, on risque soit d’énerver son autorité par la rivalité des intérêts, soit de la voir utilisée pour bouleverser l’ordre social existant. C’est pourquoi le libéralisme dissocie le pouvoir et la volonté brute du groupe. Mais comme cependant il est nécessaire d’attribuer à l’État une assise aussi large que possible, la pensée libérale opère dans la collectivité un dédoublement. Par une sorte de césure horizontale, elle sépare en elle le corps politique de sa réalité sociologique. La réalité sociologique, c’est l’ensemble des individus, donnée élémentaire, non élaborée, animée d’élans tantôt parallèles et tantôt contradictoires, agitée par la diversité des conditions autant que par la divergence des aspirations. Quant au corps politique – c’est également la totalité des membres du groupe, mais considérés dans leur qualité de citoyens, c’est-à-dire détachés de leurs préoccupations personnelles, insensibles à leur situation et aux pressions de leur environnement immédiat –, il ne pense et ne veut qu’en fonction de l’intérêt commun. Fondé ainsi sur l’abnégation des citoyens, le corps politique, quoique issu du groupe, en transcende la diversité. Il peut, ainsi, fournir à l’État l’assise sociale unifiée sans laquelle son pouvoir ne serait qu’impuissant ou oppressif.
Ne pouvant récupérer les classes, la conception libérale de l’État les ignore. Cela n’a pas empêché, bien entendu, la classe bourgeoise, en fait mieux armée, d’en utiliser les prérogatives au service de ses intérêts.
Pour assurer au pouvoir étatique un support cohérent, la pensée libérale a mutilé la réalité sociale de manière à en isoler cette abstraction qu’est le corps politique. C’est également par une opération chirurgicale que le marxisme tend à donner au pouvoir un fondement unitaire. Mais, cette fois, il ne s’agit plus d’opérer par abstraction intellectuelle. C’est physiquement que l’entreprise d’unification est réalisée, par la liquidation des classes autres que la classe ouvrière.
Considérant qu’un pouvoir qui ne procéderait pas de la société entière dans sa réalité existentielle ne saurait être qu’une forme d’oppression, le marxisme s’attache à la réalisation, dans le groupe lui-même, de l’homogénéité sociale. C’est l’objet de la révolution. Par l’élimination des adversaires du prolétariat, elle aboutit à une société sans classes. Et comme les superstructures idéologiques sont déterminées par l’infrastructure économique, l’unification de celle-ci doit nécessairement conduire à l’unité de celles-là. Dans le groupe régénéré par l’opération révolutionnaire et éduqué par le parti, il n’y a plus de place pour les rivalités d’intérêts ni pour le pluralisme des conceptions de l’ordre désirable. L’identité des conditions fait l’unité des volontés. Le pouvoir trouve en elles une énergie unanime pour le soutenir dans sa tâche. Mais cette unanimité même le condamne car – et c’est la vision d’Engels dans le célèbre texte sur le dépérissement de l’État – la coïncidence entre le pouvoir et la réalité sociale est si parfaite que l’appareil étatique devient superflu.
Cette prophétie ne s’étant pas accomplie, l’État a subsisté dans les pays d’obédience communiste. Sans doute, on parlait à son propos de l’État de tout le peuple; mais on sait – la Tchécoslovaquie peut en témoigner – le prix auquel cette unanimité fut acquise. C’est pourquoi la démocratie pluraliste se refuse à admettre une solution aussi brutale au problème des relations entre l’État et la structure sociale. À la différence du libéralisme classique et du marxisme, elle ne cherche pas à violenter la société. Au lieu d’en abstraire le corps politique par une opération intellectuelle ou de l’unifier par la liquidation des opposants, elle fait de la collectivité entière, dans son authenticité sociologique, l’assise du pouvoir étatique. Elle compte sur les solidarités, que la complexité de la vie moderne, spécialement sur le plan économique, noue entre les différentes catégories sociales pour pallier, par une cohésion technique, l’absence d’homogénéité spirituelle. Dans cette perspective, l’unité du groupe préexiste moins à l’État qu’elle n’est créée par son action quotidienne. C’est à lui qu’il appartient d’élargir toujours davantage son assise sociale, à la fois par la composition des équipes dirigeantes et par la généralité de ses objectifs conçus de telle manière qu’il ne soit aucune partie de la population qui ne doive finalement tirer profit de leur réalisation.
On ne peut nier que cette conception soit séduisante. Seulement l’expérience prouve qu’elle va rarement au-delà d’une déclaration d’intentions. Dans le fait, ce n’est pas à l’État que les diverses catégories sociales, les croyances apportent leur soutien; c’est aux partis ou aux groupes de pression. Or on ne fait pas un pouvoir étatique avec une pluralité de forces partisanes, pas plus qu’avec une coalition de revendications. La preuve de cette évidence a été maintes fois fournie dans les assemblées parlementaires où tous les secteurs de la collectivité, depuis les concierges ou les pêcheurs de langoustes jusqu’aux transporteurs routiers ou aux producteurs de lait, avaient leurs avocats mais où, seuls, les impératifs afférents aux intérêts de l’État se trouvaient dépourvus d’interprète. Si bien que les personnalités appelées à vouloir en son nom ne se faisaient entendre que dans la mesure où les partis acceptaient tacitement ou expressément (délégations de pouvoirs) de faire provisoirement silence.
L’État, expression d’une conscience nationale
C’est donc bien qu’en pareille conjoncture un pouvoir s’affirme qui ne doit rien aux partis et qui, pas davantage, ne s’impose par des procédés dictatoriaux. Où se trouve son assise?
Pour la découvrir, il faut considérer que la conscience politique des gouvernés est rarement tout d’une pièce. C’est une conscience divisée en ce sens que, dans les représentations qu’ils se font de l’ordre désirable, on peut discerner deux plans, ou, si l’on préfère, deux couches qui se distinguent par les mobiles qui déterminent la représentation et par une différence de degré dans son objectivité. Au niveau extérieur, le plus directement perceptible, la conscience politique se forme à partir des images que suscite la situation concrète de l’individu. Sensible aux influences de l’environnement, au souci que l’individu a de son intérêt, aux propagandes idéologiques, cette conscience est, sociologiquement, une conscience partisane car elle trouve, dans le programme et l’attitude des partis, un écho de ses exigences.
En revanche, on voit mal comment cette conscience partisane pourrait fournir un soutien au pouvoir étatique. Elle ne lui offre aucune prise par où il pourrait s’enraciner dans le groupe qui serait voué à la dissociation. Si cependant il n’en est rien, c’est qu’il existe, dans la conscience politique, des impératifs plus profonds que ceux que l’on peut percevoir dans le comportement habituel des gouvernés. Il s’agit, cette fois, de représentations qui concernent non plus la situation particulière à l’individu ni même la manière d’être de telle ou telle catégorie sociale, mais le destin de la collectivité globale. Sans doute parce qu’elles sont moins marquées par la contingence, ces représentations ont un contenu très général; elles visent ce qui est indispensable au maintien de la cohésion et, par conséquent, de l’existence de l’être collectif, spécialement la nécessaire régulation de la lutte politique. D’autre part, elles n’affleurent pas toujours au niveau de la conscience claire; elles constituent une sorte de présupposé quasi instinctif que l’individu exprime rarement par une formulation explicite. Pour qu’elles s’extériorisent, il faut une crise grave, menace de guerre, dramatiques conflits sociaux dont l’effet est d’accorder sur l’ensemble des gens qui s’opposent sur chacun des détails.
C’est à ce niveau de la conscience politique des gouvernés que se forme celle où l’État trouve l’énergie requise pour qu’il ne soit pas seulement le nom incolore d’un agrégat de services publics, mais un pouvoir authentique. Ce pouvoir est celui de l’institution. C’est en elle que s’équilibrent les forces de mouvement et les résistances de l’ordre établi. Mais l’institution n’est pas une formule magique qui permettrait d’écarter les maléfices dont l’État est menacé; elle repose en définitive sur des intelligences et des volontés humaines. C’est donc à l’homme – à chacun de nous comme à la communauté que nous formons – qu’il appartient qu’elle soit durable et féconde ou qu’elle devienne, au contraire, une fiction vide de sens.
état [ eta ] n. m.
• 1636; estate 1213; « manière d'être », aussi « stature; station debout » en a. fr.; lat. status, de stare « se tenir debout »
I ♦ Manière d'être (d'une personne ou d'une chose), considérée dans ce qu'elle a de durable (opposé à devenir). Un état durable, permanent, stable; momentané. Les états successifs d'une chose, d'une évolution (⇒ degré, étape ) . — Ling. Verbe d'état, exprimant l'existence ou la manière d'être du sujet (opposé à verbe d'action).
♢ (Physique) État de santé (aussi état, avec possessif ou complément en de). Son état empire, s'aggrave. « son état est tel, que je m'étonne qu'elle n'y ait pas déjà succombé » ( Laclos). Son état est stationnaire. — État de veille; de sommeil. — ÉTAT GÉNÉRAL d'une personne : son état de santé considéré dans son ensemble. « L'état général avait certainement empiré » (Martin du Gard). — ÉTAT DE CHOC : abattement physique à la suite d'un traumatisme, d'une opération chirurgicale, d'une anesthésie. Le malade est en état de choc (⇒ déchoquage) . — Par ext. En état de choc : sous le coup d'une grande émotion. — (Avec dans, en...). Conduite en état d'ivresse. « La plupart de nos blessés étaient en pitoyable état » (Duhamel). Le blessé est dans un état grave, désespéré. Être dans un triste, fichu, piteux état. — (Apparence physique) Ses agresseurs l'ont mis dans un triste état, dans un état déplorable.
♢ (Moral) État d'anxiété, d'inquiétude, d'indifférence, de repos (⇒ 1. calme) . « Si bienheureux qu'il soit, je ne puis souhaiter un état sans progrès » (A. Gide). — (Avec dans...). Ne pas être dans son état normal. Être dans un état second. Elle était dans un drôle d'état. Ne vous mettez pas dans un état pareil ! « Sammécaud allait à son rendez-vous dans un état d'excitation et d'optimisme » (Romains). — Loc. Être dans tous ses états, très agité, affolé. Fig. Dans tous (ses, leurs) états : de toutes les façons, sous tous ses aspects. — Théol. Être en état de péché mortel, en état de grâce.
♢ ÉTAT D'ESPRIT : disposition particulière de l'esprit. Il a un curieux état d'esprit. ⇒ mentalité. — ÉTAT D'ÂME : disposition des sentiments. ⇒ humeur. « cette sorte de roman qui s'interdit, dans l'ordre des états d'âme, le rêve, la rêverie, les pressentiments » (Paulhan). (Souvent péj.) Avoir des états d'âme, des attitudes irrationnelles, des réactions affectives incontrôlées. Vos états d'âme ne m'intéressent pas. — Psychol. ÉTAT DE CONSCIENCE : tout fait psychique conscient (sensation, sentiment, volition).
♢ Situation. État malheureux. ⇒ condition, destin, sort. « Les habitudes et les facultés qui leur servaient dans l'état ancien leur nuisent dans l'état nouveau » (Taine). Dr. État d'accusation, d'arrestation. Il a agi en état de légitime défense.
♢ Loc. EN ÉTAT DE(et inf.).⇒ capable, mesure (en mesure de). Être, ne pas être en état de (et inf.). ⇒ 1. pouvoir. Je ne suis pas en état de le recevoir. ⇒ disposé, 1. prêt. Mettre en état de... ⇒ préparer. — HORS D'ÉTAT DE(et inf.).⇒ incapable. Être hors d'état de faire qqch. Mettre un adversaire hors d'état de nuire.
2 ♦ (déb. XIIIe) Manière d'être d'une chose (surtout dans des expr.). Le mauvais état de l'économie (⇒ délabrement; fam. déglingue) . L'état de ses finances, de sa bourse ne lui permet pas une telle dépense. — EN (bon, mauvais)ÉTAT,DANS (tel ou tel)ÉTAT. Livres d'occasion en bon état. Véhicule en état de marche. Avoir les dents en mauvais état, dans un état déplorable. ⇒fam. pourri. — Absolt En état : dans son état normal, en bon état. Mettre en état. ⇒ 1. point (au point); préparer. Remettre en état. ⇒ réparer. — En l'état : tel quel, sans changement. Laisser, demeurer, rester en l'état. Article vendu en l'état.
♢ À L'ÉTAT(et adj.);À L'ÉTAT DE. Souvenir à l'état latent. À l'état neuf. Animal qui retourne à l'état sauvage. « Quand la réalité est livrée au contraire à l'état brut [...] le concret est offert sans unité » (Camus). À l'état de projet.
♢ (v. 1800) ÉTAT DE CHOSES.⇒ circonstance, conjoncture, situation. Dans cet état de choses (cf. Dans ces conditions; en l'occurrence; du train où vont les choses). Un état de choses anormal. Cet état de choses ne saurait durer. — État de fait : situation de fait. — État de paix; état de guerre, d'alerte, de siège. « assimiler l'état de peste à l'état de siège » (Camus). — (D'une situation politique) L'état de grâce.
3 ♦ Didact. ou dr. Ensemble des caractères (d'un objet de pensée, d'un ensemble abstrait). L'état de la science. Dans l'état actuel de nos connaissances. « chaque branche de nos connaissances passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique ou fictif, l'état métaphysique ou abstrait, l'état scientifique ou positif » (Comte).
♢ (1748) L'ÉTAT DE LA QUESTION, la façon dont elle se présente au moment où on la considère. Exposer l'état, le dernier état de la question.
♢ Dr. État d'une affaire, d'une cause. Affaire, cause en état, assez instruite pour être jugée. — État de cause : état d'avancement d'une instance judiciaire. Loc. cour. EN TOUT ÉTAT DE CAUSE : dans tous les cas, n'importe comment. ⇒ toujours. En tout état de cause, méfiez-vous. « En tout état de cause un dénonciateur qui se cache joue un rôle odieux » (Rousseau).
4 ♦ (XVIIIe) Sc. Manière d'être (des corps), résultant de la plus ou moins grande cohésion de leurs molécules. État solide, liquide, gazeux. État critique d'un corps : état d'un corps qui se trouve à sa température et à sa pression critiques (limite entre l'état liquide et l'état gazeux). Changement d'état. ⇒ phase; fusion, liquéfaction, solidification, sublimation, vaporisation. État de référence ou état standard : état d'un système à la même température que le système étudié mais qui en diffère par un autre paramètre, pression ou concentration. État initial, état final d'un système de corps, dans une réaction thermodynamique. État quantique stationnaire, auquel correspond une valeur déterminée de l'énergie. État lié : état d'une particule qui fait partie d'un noyau, d'un atome, d'une molécule. État virtuel : état quantique éphémère par lequel passe un système sans satisfaire à la conservation de l'énergie. — (1852) État naissant : état d'un élément qui se dégage d'une combinaison. — Corps à l'état pur.
♢ Météorol. État du ciel, de la mer.
5 ♦ Automat. Valeur prise par une variable discrète (⇒ binaire). L'état zéro, un. Circuit (à) trois états : circuit numérique dont la sortie peut être placée dans un mode actif, délivrant une information binaire, ou dans un mode inactif équivalant à une déconnexion de la sortie. — Par ext. Ensemble des valeurs caractérisant un processus. L'état d'un système, d'un automate.
6 ♦ (1864) Arts États successifs d'une gravure : condition d'une planche gravée aux différents stades qui précèdent son achèvement. État de tirage. Suite en trois états.
7 ♦ (1554) FAIRE ÉTAT DE...Vx Agir comme. Faire état de chef. — Vieilli Compter sur. « Faites état de moi, Monsieur, comme du plus chaud de vos amis » (Molière). — Estimer, faire cas de. Je fais peu d'état de cet homme-là. ⇒ 1. cas.
♢ Mod. Tenir compte de; s'appuyer sur, mettre en avant, rapporter. ⇒ mention. Faire état d'un document. ⇒ citer. Ne faites pas état de ce que je viens de vous dire : n'en parlez pas.
8 ♦ Écrit qui constate, décrit un fait, une situation à un moment donné. ⇒ description, exposé, 2. mémoire; bordereau, bulletin, inventaire, 2. liste, note, statistique, tableau (cf. Compte rendu). État comparatif, descriptif. État nominatif. États de service d'un militaire, d'un fonctionnaire, liste des fonctions qu'il a occupées. États de marchandises expédiées par voie maritime. ⇒ connaissement, 1. reçu. État de compte, de dettes, de frais. ⇒ bilan, 2. facture. Dresser un état.
♢ Dr. État de frais : relevé des sommes dues à un officier ministériel à l'occasion d'actes de son ministère. — État de situation : exposé de l'état de fortune d'une personne. — ÉTAT DES LIEUX : description d'un immeuble, d'un appartement, indiquant l'état de conservation de chacune de ses parties. ⇒ inventaire. Établir un état des lieux avant l'emménagement d'un locataire. — État des inscriptions : copie des inscriptions de privilèges ou d'hypothèques subsistant sur les registres de la conservation.
II ♦ Situation, manière d'être d'une personne dans la société.
1 ♦ (XIIIe) Vieilli Situation dans la société, résultant de la profession, de la fortune, du mode de vie. ⇒ condition, position. « D'où vient que personne en la vie N'est satisfait de son état ? » (La Fontaine). — S'adapter à son état. Remplir les devoirs de son état. Devoir d'état. — Théol. Grâce d'état. — Vx Condition élevée; situation sociale éminente. « on ne parle que de ces gens-là, gens sans état, qui n'ont point de maison » (Chamfort). — Vx ⇒ métier, profession. « Mon père et ma mère ne m'aidaient guère dans le choix difficile d'un état » (France). — DE SON ÉTAT : de son métier. Il est avocat de son état.
2 ♦ (1549) Dr. Ensemble de qualités inhérentes à la personne, auxquelles la loi civile attache des effets juridiques. ⇒ 3. droit. L'état de sujet français, britannique. ⇒ nationalité. État d'époux, de parent, d'allié. État personnel. ⇒ âge, sexe. Preuves de l'état : actes de l'état civil.
♢ ÉTAT CIVIL : mode de constatation des principaux faits relatifs à l'état des personnes; service public chargé de dresser les actes constatant ces faits. Actes d'état civil. ⇒ adoption, décès, divorce, légitimation, mariage, naissance. Registre d'état civil, sur lequel sont dressés les actes. Fiche individuelle, familiale d'état civil. Officier de l'état civil : fonctionnaire chargé de l'état civil (en principe le maire ou un adjoint).
3 ♦ (fin XIVe) Hist. Condition politique et sociale en France, sous l'Ancien Régime. La notion de classe a remplacé celle d'état. Les trois états : le clergé, la noblesse et les roturiers. ⇒ ordre. — (1375) TIERS ÉTAT [ tjɛrzeta ] :troisième état comprenant ceux qui ne sont ni de la noblesse ni du clergé. La classe moyenne (⇒ bourgeoisie) , les artisans et les paysans composaient le tiers état. Députés du tiers état (ellipt du tiers).
♢ Les états : les députés, représentants des trois ordres; assemblée formée de ces représentants. Réunir les états. États provinciaux : assemblée des trois ordres d'une province. Pays d'états : provinces tardivement réunies à la couronne et qui avaient encore une assemblée des trois états, au XVIII e s. Les pays d'états s'opposaient aux pays d'élection et aux pays d'imposition. — (1606) ÉTATS GÉNÉRAUX : assemblée issue des cours plénières, convoquée par le roi pour donner des avis ou voter des subsides. États généraux de 1302, de 1356. Le 17 juin 1789, certains députés des états généraux (tiers état et une partie du clergé) se proclament Assemblée nationale. « La convocation des états généraux de 1789 est l'ère véritable de la naissance du peuple. Elle appela le peuple entier à l'exercice de ses droits » (Michelet).
III ♦ Manière d'être d'un groupement humain.
1 ♦ (1640) Vieilli Forme de gouvernement, régime politique social. L'état démocratique (⇒ démocratie) , monarchique (⇒ monarchie) , tyrannique (⇒ dictature, tyrannie) . « Le pire des États, c'est l'État populaire » (P. Corneille). « Le plus mauvais état social [...] , c'est l'état théocratique » (Renan) (⇒ théocratie ) . Au sens large (XVIIIe) État de nature, état naturel : état supposé de l'homme avant toute vie sociale (dans les anciennes théories de Hobbes, J.-J. Rousseau, etc.).
2 ♦ (fin XVe) Mod. (avec une majuscule) Autorité souveraine s'exerçant sur l'ensemble d'un peuple et d'un territoire déterminés. L'État et la nation, et la société, et le pays. « L'État est un être énorme, terrible, débile. Cyclope d'une puissance et d'une maladresse insignes, enfant monstrueux de la Force et du Droit » (Valéry). Les affaires de l'État (⇒ 1. et 2. politique) . Administration des affaires de l'État. ⇒ administration, gouvernement. Enseignement d'État et enseignement privé. École d'État. ⇒ public. — Défense de l'État : défense nationale. Sûreté de l'État. Servir l'État. L'emprise de l'État. Doctrines sur l'État. ⇒ dirigisme, étatisme; individualisme, libéralisme. Socialisme d'État. « Toutes les révolutions modernes ont abouti à un renforcement de l'État » (Camus). — Séparation de l'Église et de l'État. Religion d'État. Laïcité de l'État. État libéral, démocratique; totalitaire; capitaliste, bourgeois; prolétarien, socialiste.
♢ CHEF D' É TAT : personne qui exerce l'autorité souveraine dans un pays. Femme chef d'État. Des chefs d'État. Le chef de l'État. Ministre, secrétaire d'État. Conseil d'État. Affaire d'État, qui concerne l'État; fig. (iron.) affaire que l'on traite comme si elle était de la plus haute importance. N'en faites pas une affaire d'État ! — HOMME D' É TAT : personne qui a une charge, un rôle dans l'État, le gouvernement. ⇒ politicien, 1. politique (homme politique).Par ext. Personne qui a des aptitudes particulières pour gérer les grandes affaires de l'État, diriger le gouvernement. C'est un bon administrateur, mais pas un homme d'État. — FEMME D' É TAT : femme politique qui gère les affaires de l'État. — Crime d'État : tentative pour renverser les pouvoirs établis. « Et d'un mot innocent faire un crime d'État » (Boileau). — COUP D' É TAT : conquête ou tentative de conquête du pouvoir par des moyens illégaux, inconstitutionnels. ⇒ pronunciamiento, putsch. Le coup d'État du 18 Brumaire (1799),par lequel Bonaparte s'empara du pouvoir. « Le coup d'État était cuirassé, la République était nue » (Hugo). Tentative de coup d'État. Fig. Action brusque, violente, contre un ordre de choses établi. — RAISON D' É TAT : considération d'intérêt public que l'on invoque pour justifier une action illégale, injuste en matière politique. Léser des intérêts particuliers au nom de la raison d'État. Fig. Prétexte, raison donnée pour justifier une action. « Ce que nous appelons la raison d'État, c'est la raison des bureaux » (France). — Secret d'État. — Allus. hist. L'État, c'est moi, phrase que Louis XIV aurait prononcée lors de la séance du parlement du 13 avril 1655, considérée comme la devise du pouvoir absolu. — Loc. É TAT DANS L' É TAT : groupement, parti qui acquiert une certaine autonomie au sein d'un État, échappe plus ou moins à l'autorité gouvernementale. Dans ce pays, la presse, l'armée forment un État dans l'État.
3 ♦ Ensemble des services généraux d'une nation, par opposition aux pouvoirs et aux services locaux. ⇒ gouvernement, 2. pouvoir (central); administration, service (public). On oppose l'État aux communautés locales (département, commune). État centralisé, décentralisé. Agent de l'État (⇒ fonctionnaire) . L'appareil d'État (⇒ étatique) . — Les finances de l'État. Dépenses de l'État : dépenses publiques. Budget de l'État. Impôt d'État (opposé à impôts locaux) . — Voyager aux frais de l'État (cf. fam. Aux frais de la princesse). — Activités économiques de l'État. ⇒ office, régie (cf. Établissement public, service public, société nationale). Travaux financés à 40% par l'État. Biens de l'État; domaine de l'État. Entreprise, industrie, monopole d'État (⇒ étatiser) . Banque d'État, contrôlée par l'État (⇒ nationaliser) . Capitalisme d'État.
♢ En appos. (ou comp.) L'État-patron : l'État en tant qu'employeur. L'État-providence (cf. Sécurité sociale).
4 ♦ UN É TAT : groupement humain fixé sur un territoire déterminé soumis à une même autorité et pouvant être considéré comme une personne morale. ⇒ empire, nation, 1. pays, puissance, république, royaume. Grands, petits États. Territoire, étendue, frontières d'un État. État tampon. Divisions territoriales d'un État : provinces, régions. « chaque État a ses lois, Qu'il tient de sa nature, ou qu'il change à son choix » (Voltaire). — Dr. internat. publ. États à capacité internationale normale : États souverains. État unitaire, centralisé ou décentralisé. État fédéral, fédératif. Fédération, association d'États; États associés. L'U. R. S. S. était un État multinational. État protégé. ⇒ protectorat. État sous mandat. État membre d'une communauté internationale (cf. Société des Nations; Organisation des Nations unies). — Relations entre États : affaires étrangères, diplomatie, relations internationales, politique extérieure, traité. — Conflits entre États. ⇒ guerre.
♢ (Dans un nom d'État) État libre d'Irlande. États pontificaux. L'État français : régime de la France de 1940 à 1944. — (1776) É TATS- U NIS D' A MÉRIQUE (United States of America) :État fédéral d'Amérique du Nord, situé entre le Canada et le Mexique. Ellipt Les États-Unis. Habitant des États-Unis. ⇒ américain, états-unien, nord-américain, yankee.
⊗ CONTR. (du I) 2. Devenir, évolution. 1. Action (gramm.) .
⊗ HOM. poss. Êta.
● État nom masculin (bas latin status, forme de gouvernement) Société politique résultant de la fixation, sur un territoire délimité par des frontières, d'un groupe humain présentant des caractères plus ou moins marqués d'homogénéité culturelle et régi par un pouvoir institutionnalisé. (En droit constitutionnel, l'État est une personne morale territoriale de droit public personnifiant juridiquement la nation, titulaire de la souveraineté interne et internationale et du monopole de la contrainte organisée.) Éléments centraux de l'Administration, ensemble des pouvoirs publics, par opposition aux citoyens. ● État (citations) nom masculin (bas latin status, forme de gouvernement) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Si les locomotives étaient conduites comme l'État, le machiniste aurait une femme sur les genoux. Politique P.U.F. Henri Frédéric Amiel Genève 1821-Genève 1881 Si nationalité, c'est contentement, État, c'est contrainte. Journal intime, 4 décembre 1863 Jacques Ancelot Le Havre 1794-Paris 1854 Académie française, 1841 On ne plaisante pas avec la Préfecture. L'Important Pierre Corneille Rouen 1606-Paris 1684 Le pire des États, c'est l'État populaire. Cinna, II, 1, Cinna René Daumal Boulzicourt, Ardennes, 1908-Paris 1944 Si le soleil ne s'éteint pas sur mes États, c'est que mon règne est d'un seul jour. Le Contre-ciel Gallimard Charles de Gaulle Lille 1890-Colombey-les-Deux-Églises 1970 Comme chef de l'État, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef ; qu'il y eût un État. Mémoires de guerre, le Salut Plon il s'agit du président Albert Lebrun Joseph Arthur, comte de Gobineau Ville-d'Avray 1816-Turin 1882 Certains États, loin de mourir de leur perversité, en ont vécu. Essai sur l'inégalité des races humaines Édouard Herriot Troyes 1872-Saint-Genis-Laval, Rhône, 1957 Académie française, 1946 De tout temps, un homme d'État est celui qui réalise en lui la raison et l'impose au-dehors par une croyance. Dans la forêt normande Hachette Prosper Mérimée Paris 1803-Cannes 1870 Académie française, 1844 Ni les hommes d'État ni les acteurs ne se retirent à temps. Lettres, à Mme de Montijo, 11 avril 1857 Henri Monnier Paris 1799-Paris 1877 Le char de l'État […] navigue sur un volcan. Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme, III, 3, Prudhomme Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Rien ne presse un État que l'innovation : le changement donne seul forme à l'injustice et à la tyrannie. Essais, III, 9 accable Napoléon Ier, empereur des Français Ajaccio 1769-Sainte-Hélène 1821 Le cœur d'un homme d'État doit être dans sa tête. Cité par Las Cases dans le Mémorial de Sainte-Hélène Donatien Alphonse François, comte de Sade, dit le marquis de Sade Paris 1740-Charenton 1814 Prenez, prenez, tout cela ne me coûte rien, c'est l'argent de l'État. Juliette Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 Si l'État est fort, il nous écrase. S'il est faible nous périssons. Regards sur le monde actuel, Fluctuations sur la liberté Gallimard Frédéric II le Grand, roi de Prusse Berlin 1712-Potsdam 1786 Le souverain est le premier serviteur de l'État. Der Fürst ist der erste Diener des Staats. Commentaire Cette maxime de Frédéric II fut adoptée par ses successeurs, qui en firent leur devise. Louis XIV, roi de France Saint-Germain-en-Laye 1638-Versailles 1715 L'État, c'est moi. Commentaire L'authenticité du mot est controversée. Edmund Burke Dublin vers 1729-Beaconsfield 1797 Un État qui n'a pas les moyens d'effectuer des changements n'a pas les moyens de se maintenir. A state without the means of some change is without the means of its conservation. Reflections on the Revolution in France Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine Simbirsk 1870-Gorki, près de Moscou, 1924 Chaque cuisinière doit apprendre à gouverner l'État. Les Bolcheviks conserveront-ils le pouvoir ? Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine Simbirsk 1870-Gorki, près de Moscou, 1924 L'État — c'est nous. Compte rendu du XIe Congrès du parti communiste, 27 mars 1922 Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine Simbirsk 1870-Gorki, près de Moscou, 1924 Tant que l'État existe, pas de liberté ; quand régnera la liberté, il n'y aura plus d'État. L'État et la Révolution Benito Mussolini Dovia di Predappio, Romagne, 1883-Giulino di Mezzegra, Côme, 1945 La décadence des hiérarchies signifie la décadence des États. La decadenza delle gerarchie significa la decadenza degli Stati. Article dans la revue Gerarchia 25 juin 1922 Aleksandr Sergueïevitch Pouchkine Moscou 1799-Saint-Pétersbourg 1837 L'habitude est l'âme des États. Boris Godounov Lev [en français Léon] Nikolaïevitch, comte Tolstoï Iasnaïa Poliana, gouvernement de Toula, 1828-Astapovo, gouvernement de Riazan, 1910 Le christianisme dans sa véritable signification détruit l'État. En quoi consiste ma foi Harry S. Truman Lamar, Missouri, 1884-Kansas City 1972 Le devoir des grands États est de servir et non de dominer le monde. The responsibility of the great states is to serve and not to dominate the world. Discours, 16 avril 1945 ● État (difficultés) nom masculin (bas latin status, forme de gouvernement) Orthographe Avec une majuscule quand il s'agit du pays, de la nation ou de son autorité souveraine : un chef d'État, un coup d'État, un secret d'État, la raison d'État ; c'est un État né de la scission d'une province. Avec une minuscule dans tous les autres sens : état civil, tiers état, états provinciaux. ● État (expressions) nom masculin (bas latin status, forme de gouvernement) Affaire d'État, affaire qui concerne l'intérêt public ; affaire de la plus haute importance : N'en faites pas une affaire d'État. Agents de l'État, ensemble des personnes employées par l'État (fonctionnaires et agents contractuels). Coup d'État, action de force pour renverser les pouvoirs publics menée par une fraction des gouvernants. (On parle de putsch ou de pronunciamento en cas de coup d'État militaire.) État de droit, État dans lequel les pouvoirs publics sont effectivement soumis au respect de la légalité par voie de contrôle juridictionnel. État membre, État qui fait partie d'une organisation (européenne, internationale…) ; État qui fait partie d'un État fédéral ou d'une confédération d'États. État-nation, État dont les citoyens forment un peuple ou un ensemble de populations se reconnaissant comme ressortissant essentiellement d'un pouvoir souverain émanant d'eux et les exprimant. État patron, État considéré en tant qu'employeur. État providence, État qui intervient activement dans les domaines économique et social dans le but d'assurer des prestations aux citoyens (par opposition à l'État gendarme, qui se soucie uniquement de la défense, de la police, de la justice). État souverain, État indépendant n'ayant aucun lien de subordination avec un autre État. Homme d'État, personne qui dirige un État ou qui exerce un rôle politique très important. L'État c'est moi, mot légendaire attribué à Louis XIV et communément cité comme la devise de l'absolutisme. Raison d'État, considération de l'intérêt public, du salut de l'État, à laquelle tout principe doit être subordonné ; considération invoquée par les gouvernants pour justifier un agissement illégal ou inconstitutionnel. Secret d'État, secret dont la divulgation nuirait aux intérêts de la nation. Un État dans l'État, groupement qui acquiert une certaine autonomie à l'intérieur d'un État ou d'un groupe dont il devrait normalement dépendre. ● État (homonymes) nom masculin (bas latin status, forme de gouvernement) eta nom masculin êta nom masculin invariable ● État (synonymes) nom masculin (bas latin status, forme de gouvernement) Société politique résultant de la fixation, sur un territoire délimité...
Synonymes :
- pays
état
n. m.
rI./r
d1./d Situation, disposition dans laquelle se trouve une personne. Son état général, son état de santé restent excellents. état d'esprit, de conscience, d'âme.
d2./d Situation, disposition dans laquelle se trouve une chose, un ensemble de choses. Cette voiture est en bon, en mauvais état, en état de marche.
— Laisser qqch en l'état, tel quel.
|| METEO état du ciel: ensemble des phénomènes météorologiques visibles en un lieu et à un moment donnés.
d3./d PHYS Condition particulière dans laquelle se trouve un corps. état solide, liquide, gazeux. état ionisé. Eau à l'état de vapeur.
— équation d'état d'un fluide: relation entre la pression P du fluide, son volume V et sa température absolue T. (Pour n moles d'un gaz parfait, on a PV = n RT.)
— Fonction d'état: fonction dont la variation ne dépend que des états initial et final d'un système (ex.: entropie).
d4./d INFORM Situation dans laquelle se trouve un organe, un système caractérisés par un certain nombre de variables.
— état des lieux: description d'un local à l'entrée ou au départ d'un occupant.
d6./d état civil: ensemble des éléments permettant d'individualiser une personne dans l'organisation sociale, administrative. Les actes de l'état civil sont l'acte de naissance, de mariage et de décès. Officier d'état civil.
d7./d (En loc.) Fam. être dans tous ses états: être bouleversé, affolé.
|| En tout état de cause: quoi qu'il en soit.
|| Faire état de: mettre en avant, faire valoir.
|| De son état: de son métier. Il est menuisier de son état.
rII./r HIST En France, sous l'Ancien Régime, chacune des trois grandes catégories sociales: noblesse, clergé, tiers état. Syn. ordre.
|| états généraux: assemblée de députés des trois ordres venant de tout le royaume.
— Mod. Assemblée de représentants de toutes les catégories de personnes concernées, dans un pays, par un problème de société. Les états généraux de l'éducation.
|| états provinciaux: assemblée formée des délégués d'une seule province.
— Les états: au Proche-Orient, territoires sous mandat français.
rIII/r
d1./d (Avec une majuscule.) Personne morale de droit public qui personnifie la nation à l'intérieur et à l'extérieur du pays dont elle assure l'administration. état monarchique. Passer un contrat avec l'état.
— état providence, qui a un rôle d'assistance particulièrement important (aide aux défavorisés, fourniture de biens collectifs).
|| Par ext. Ensemble des organismes et des services qui assurent l'administration d'un pays.
— (Belgique) écoles de l'état, enseignement de l'état: écoles publiques, enseignement public (par oppos. à écoles privées).
|| Homme d'état: celui qui a une charge, un rôle dans le gouvernement de l'état.
|| Chef d'état: personne exerçant l'autorité souveraine dans un état. Le chef de l'état.
|| Coup d'état: conquête, ou tentative de conquête du pouvoir d'état par des moyens illégaux, souvent violents.
|| Raison d'état: motif d'intérêt public invoqué pour justifier une action illégale, injuste, en matière politique.
d2./d (Avec une majuscule.) étendue de territoire sur laquelle s'exerce l'autorité de l'état (sens 1). Reconnaître les frontières d'un nouvel état.
|| Les États-Unis réunissent 50 états.
⇒ÉTAT, subst. masc.
I.— Manière d'être (soit stable, soit sujette à des variations) d'une personne ou d'une chose. Synon. caractère, degré, situation; anton. devenir, action, mouvement.
A.— Manière d'être d'une personne.
1. [État phys., psychique] S'enquérir de, être rassuré sur l'état (de santé) de qqn; un état alarmant, satisfaisant, stationnaire :
• 1. Je m'étonnais parfois que ma santé revînt si vite. J'en arrivais à croire que je m'étais d'abord exagéré la gravité de mon état; à douter que j'eusse été très malade, à rire de mon sang craché, à regretter que ma guérison ne fût pas demeurée plus ardue.
GIDE, Immor., 1902, p. 401.
SYNT. État de faiblesse, de fatigue; état nerveux; état normal, pathologique; l'état de ce malade nous cause (inspire) les plus vives inquiétudes; mon état ne me permet pas de me déplacer actuellement; ce malade est dans un état désespéré.
♦ État général. Équilibre de la santé d'une personne, considéré en dehors de toute atteinte pathologique particulière. Faiblesse, troubles de l'état général; bon état général :
• 2. L'âge de l'individu peut, pour certaines vaccinations, être une contre-indication; son état de santé intervient également : un mauvais état général doit en principe faire surseoir à la vaccination; de même l'existence d'une infection en cours...
QUILLET Méd. 1965, p. 273.
— MÉD., PSYCHOL., PSYCH.
♦ État de mal. Crises en série sans intervalle ou retour à la normale perceptible entre elles. État de mal épileptique, hystérique. En cas d'accès subintrants (état de mal) une saignée peut être tentée (CODET, Psych., 1926, p. 129). Il se crée un véritable état de mal rhumatismal (Barbier ds Nouv. Traité Méd., fasc. 2, 1928, p. 851).
♦ État second. Trouble temporaire au cours duquel le sujet se livre à des actes (parfois antisociaux) sans rapport ou en opposition avec sa personnalité. Le malade, dans un véritable état second, part au hasard, se comportant extérieurement d'une façon qui peut sembler normale et, soudain, se retrouve, tout surpris, en un lieu inconnu (CODET, Psych., 1926 p. 125).
♦ Période d'état. Il est d'usage, depuis Hippocrate, d'admettre trois périodes dans l'évolution des maladies aiguës : la période de début, la période d'état, la période de déclinaison (Roger ds Nouv. Traité Méd., fasc. 1, 1926, p. 83).
Rem. Les dict. techn. récents et la docum. enregistrent également : état d'absence (cf. avoir des absences), état de besoin ou de manque (en partic. chez un drogué), état de choc, état crépusculaire.
♦ État d'ébriété, d'ivresse; conduite en état d'ivresse :
• 3. Bachelard, à table, se conduisit d'une façon particulièrement malpropre. Il était arrivé dans un état d'ivresse avancé; car, depuis la perte de Fifi, il tombait aux écarts des grandes passions.
ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 345.
— Expressions
♦ Souvent fam. Être dans un bel état (par antiphrase), dans un triste état, dans un état horrible (surtout physique). Ma bête l'envoie rouler [le sieur Grange], et l'escadron, quoi, lui passe dessus. Il paraît qu'on l'a relevé en triste état (POURRAT, Gaspard, 1925, p. 179). Piteux, piètre état; être, (se) mettre dans un (tel, pareil) état.
♦ [En parlant d'une femme] (Être) dans un état intéressant. Être enceinte. On les a pris dans le grenier (...) en considération de ce que le mari est malade et la femme dans un état intéressant (FRANCE, Bonnard, 1881, p. 273).
2. [État affectif] État d'excitation, de sérénité, de tristesse; état d'accablement. [État intellectuel] État extatique, méditatif; l'état supérieur du yogi :
• 4. Les secours extérieurs paraissent bien nécessaires à l'homme, pour persister dans un certain état moral ou intellectuel donné, malgré toutes les variations organiques ou sensitives.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1818, p. 149.
— Expr. et loc.
♦ Ne pas être dans son état normal. Agir d'une façon qui n'est pas conforme à sa manière d'être. Lucie, peux-tu parler ainsi de ton mari (...). Enfin, Dieu merci, tu n'es pas dans ton état normal (AYMÉ, Quatre vérités, 1954, p. 70).
♦ Être, se mettre dans tous ses états. Être, se mettre dans un état d'agitation extrême; s'affoler. La mère, dans tous ses états, le menace [le gamin] de le fouetter (E. DE GONCOURT, Faustin, 1882, p. 81).
SYNT. État d'âme, état de conscience, état d'esprit. Spéc., relig. État de grâce; les âmes en état de péché mortel.
3. P. ext. Situation, condition d'une personne. État de dépendance, de misère; être réduit à l'état de mendicité :
• 5. Lorsqu'un homme cède à un autre le droit de disposer de ses bras ou de sa pensée asservie, il se trouve sur le plan social dans un état d'infériorité, de soumission ou d'esclavage.
DAVID, Cybern., 1965, p. 78.
— Spéc., DR. Être, mettre, placer en état d'arrestation. Un des membres a proposé que les administrateurs [des subsistances] fussent mis en état d'arrestation. Après une heure de discours, ils se sont réduits à arrêter qu'on nommerait six commissaires qui ne les perdraient pas de vue, qui les suivraient pas à pas dans toutes leurs opérations (Recueils textes d'hist., 1792, p. 61).
♦ P. ext. Le 16 janvier 1820, Birotteau fut déclaré en état de faillite, par un jugement du Tribunal de Commerce de la Seine (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 408) :
• 6. La Chambre, de son autorité, impose à une circonscription un représentant qu'un arrêt ayant la force de chose jugée déclare criminel. Cet arrêt dit que Malvy a méconnu, trahi les devoirs de sa charge, ce qui le constitue en état de forfaiture, et la Chambre impose à une circonscription ce député. C'est inouï.
BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1917-18, p. 390.
Rem. Qq. dict. enregistrent, avec la mention ,,class.``, le sens anc. de état « condition de vie, situation concrète dans laquelle s'est trouvée une personne ». Il, elle a traversé bien des états; des états extraordinaires.
4. Locutions
♦ Être en état de + inf. Pouvoir, être capable de. Être en état de supporter qqc. Il était parfaitement en état de m'étrangler avec ses mains, s'il faisait un mauvais rêve (MÉRIMÉE, Dern. nouv., 1870, p. 132). Être en mesure de. Nous sommes dès à présent en état d'affirmer telle chose. Je suis en état de vous prouver que le matin du 10 août 1792 le peuple de Paris était encore royaliste (FRANCE, Bergeret, 1901, p. 168).
♦ Mettre en état de + inf. Rendre capable de, préparer à. Nous leur [aux populations] avons promis de les mettre en état de gérer elles-mêmes leurs propres affaires (Doc. hist. contemp., 1954, p. 199).
♦ Être hors d'état de + inf. Sa blessure le met hors d'état de marcher pendant plusieurs semaines; être, mettre qqn hors d'état de nuire; être hors d'état de payer ses dettes.
Rem. 1. Pour la loc. en état de, qq. dict. gén. donnent, avec la mention ,,class.`` a) Disposé à. b) De manière à. Cf. en partic. Lar. Lang. fr. et Lexis 1975. 2. Les dict. enregistrent également l'emploi de état en gramm. : verbe d'état exprimant un état du suj. p. oppos. à verbe d'action. 3. On rencontre ds la docum. et ds qq. dict. spéc. l'emploi de état en philos. chez COMTE, Philos. posit., t. 4, 1839-1842, p. 522 : loi des trois états. Système d'après lequel l'évolution de l'homme depuis sa petite enfance et celle de l'humanité dans son ensemble passeraient par : l'état théologique (ou fictif), l'état métaphysique (ou abstrait) et l'état positif (ou réel), ce dernier étant celui de la maturité et de la science. Quant à la nécessité de l'évolution, Auguste Comte en donne, avec la loi des trois états, qu'il formule en 1822, la définition la plus systématique. Les conclusions de Comte ressemblent curieusement à celles que le socialisme scientifique devait accepter (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 241).
B.— Manière d'être d'une chose. Une marchandise en bon état; état de fraîcheur d'une chose. L'homme traversa la foule, se glissa sous l'auto, et la mit séance tenante en état de repartir (RADIGUET, Bal, 1923, p. 39) :
• 7. Article 4 — Lors du départ du locataire ou du concessionnaire du droit au bail, les lieux sont restitués au propriétaire dans l'état où ils se trouvent, sans que celui-ci puisse exiger la remise des lieux dans leur état antérieur.
JOCARD, Tour. et action État, 1966, p. 106.
SYNT. État d'abandon, de dégradation, de délabrement; un objet en parfait état de conservation; constater, faire l'état des lieux (cf. infra); vérifier l'état d'une charpente; l'état d'une fortune; l'état du ciel, de la mer, des routes, du temps.
— Hors d'état de + inf. ou empl. absol. Un appareil, un véhicule hors d'état (de fonctionner). Hors d'usage, de service :
• 8. Il convient de visiter et de nettoyer (...) les clapets de cet appareil [niveau d'eau], sinon des incrustations pourraient les mettre hors d'état de fonctionner au moment opportun.
SER, Phys. industr., 1890, p. 145.
— Mettre qqc. en état de + inf. Préparer. Les premiers ferronniers devaient préparer leur fer eux-mêmes, c'est-à-dire le mettre en état d'être forgé (Arts et litt., 1935, p. 2203).
— Loc., absol. En état; en l'état (sous-entendu en état normal ou antérieur). Tenir une maison en état. Je fais une promenade (...) en attendant que ma chambre soit en état pour me remettre au fameux Poussin (DELACROIX, Journal, 1853, p. 41). Remettre en état. Réparer. Autour de lui [Patrice Hennedyck], le Nord se réveillait. On travaillait à remettre en état les usines. La ville grouillait d'activité (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 476). Rester, rendre en l'état; vendre en l'état; consommer qqc. en l'état (où la chose se trouve). Tel quel. Faites les morts, mes bons amis; tâchez que les choses restent en l'état, et attendez que nous soyons les maîtres... (ZOLA, E. Rougon, 1876, p. 41). Après la mort de mon pauvre père... et le départ de Mlle Morissot... tout était resté en état... Il vaut mieux que quelqu'un en profite (HERMANT, M. de Courpière, 1907, p. 4).
Rem. Qq. dict., et en partic. Ac., enregistrent l'expr. tenir une chose en état. a) ,,La tenir ferme de manière qu'elle ne se dérange pas. Il faut mettre des liens de fer pour tenir cette poutre en état``. b) ,,La tenir prête. Tenir un compte en état``.
— Synon. de stade. L'état larvaire, embryonnaire :
• 9. Au contraire, un autre insecte, qui, chenille, a fatigué, tissé, filé, n'aura rien à faire plus tard qu'à conter fleurette aux roses. C'est monsieur le papillon. Pour la grande majorité, le dur travail est pour l'enfance, pour l'état de larve ou chenille.
MICHELET, Insecte, 1857, p. 60.
— Loc. À l'état + adj.; à l'état de + subst. Le soufre à l'état naissant; à l'état naturel; à l'état adulte, fœtal. Le plan de l'abbaye de Saint-Gall, exécuté vers l'année 820 (...) est un projet à l'état d'esquisse (LENOIR, Archit. monast., 1852, p. 24). Le besoin à l'état pur (Traité sociol., 1968, p. 372) :
• 10. La science des êtres vivants en général, et de l'individu humain en particulier, n'a pas progressé aussi loin [que les sciences de la matière inerte]. Elle se trouve encore à l'état descriptif.
CARREL, L'Homme, 1935, p. 2.
SYNT. À l'état isolé, latent; à l'état endémique; à l'état vivant; consommer le poisson à l'état frais; une pierre à l'état brut; une plante qui croît à l'état sauvage.
— L'état des choses, plus couramment état de choses. Une situation dans son ensemble à un moment donné. Aggraver, améliorer un état de choses; se plaindre d'un, remédier à un état de choses; il faut que cet état de choses cesse :
• 11. La science a tout à gagner elle-même à cette œuvre sociale [développement de la culture scientifique pendant les loisirs]. On se plaint partout de l'indifférence des pouvoirs publics à son égard, on dénonce la crise des laboratoires et celle des vocations désintéressées. Le moyen de changer cet état de choses, préjudiciable à la recherche, est de se concilier l'opinion publique en favorisant la vulgarisation scientifique.
Civilis. écr., 1939, p. 2612.
— État de fait. Situation de fait.
— État d'un pays, d'une économie :
• 12. Littéralement, nous avions fini par nous trouver en état permanent de crise politique. Dans la période de vingt et un ans qui sépara la fin de la Grande Guerre de l'irruption mécanique allemande, 20 hommes différents ont été à la tête du Gouvernement de la France.
DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p. 600.
SYNT. État de guerre, état de paix; déclarer, décréter, proclamer l'état de siège, l'état d'urgence; mettre une ville en état d'alerte.
— État des connaissances, de la science; dans, en l'état actuel, présent, de la production, des recherches, des travaux. Nous sommes si éloignés de connaître tous les agens de la nature, qu'il serait peu philosophique de nier l'existence des phénomènes, uniquement parce qu'ils sont inexplicables dans l'état actuel de nos connaissances (LAPLACE, Théorie analyt. probabil., 1812, p. 358) :
• 13. La psychologie attend son Claude Bernard ou son Pasteur. Elle est dans l'état de la chirurgie à l'époque où les chirurgiens étaient des barbiers, de la chimie avant Lavoisier, au moment des alchimistes.
CARREL, L'Homme, 1935, p. 185.
— État de la, d'une question. Point sur une question, à un moment ou un stade précis. Exposer l'état de la question :
• 14. Parce qu'on fait tous les jours de mauvais vers, faut-il condamner tous les vers? Et n'y a-t-il pas des épopées en vers, d'un ennui mortel? Si le Télémaque n'est pas un poëme, que sera-t-il? Un roman? Certainement le Télémaque diffère encore plus du roman que du poëme, dans le sens où nous entendons aujourd'hui ces deux mots. Voilà l'état de la question; je laisse la décision aux habiles.
CHATEAUBR., Martyrs, t. 1, 1810, p. 24.
Rem. a) Qq. dict. enregistrent dans le domaine jur. affaire en état (pour désigner une affaire en état d'être jugée). Mettre un procès, une affaire en état (Ac.). b) Les dict. et la docum. enregistrent la loc. adv. en tout état de cause (cf. cause IB 2 b).
— LING. État de langue. Moment déterminé dans l'évolution d'une langue. On a appliqué le terme de loi à des phénomènes particuliers qui ne sont valables que pour un état de langue déterminé ou pour un moment déterminé de l'évolution d'une langue donnée (PERROT, Ling., 1953, p. 124). Cf. également SAUSSURE, Ling. gén., 1916, p. 143, 170.
— SC. PHYS. État de la matière; état solide, liquide, gazeux; état critique d'un corps; état natif; état initial, final d'une réaction chimique; état pur :
• 15. La température de la planette que nous habitons se trouvant très-voisine du degré où l'eau passe de l'état liquide à l'état solide, et réciproquement, et ce phénomène s'opérant fréquemment sous nos yeux, il n'est pas étonnant que dans toutes les langues, au moins dans les climats où l'on éprouve une sorte d'hiver, on ait donné un nom à l'eau devenue solide par l'absence du calorique.
LAVOISIER, Chim., t. 1, 1789, p. 51.
SYNT. État fondamental ou normal; état excité; état initial, final; état métastable, stationnaire d'un atome, d'un noyau.
Rem. Qq. dict. enregistrent en grav. : Conditions d'une planche aux différents états du travail, depuis le premier état jusqu'à l'état de tirage. État d'eau forte pure (avant retouche à la pointe sèche).
1. P. ext., souvent au plur. Constat écrit d'un état de choses en un lieu et à un moment donnés. Dresser, remplir des états journaliers, récapitulatifs; état de récettes et dépenses. Synon. inventaire, liste, contrôle. États nominatifs de pertes (blessés, disparus, tués) (LUBRANO-LAVADERA, Législ. et admin. milit., 1954, p. 86). État prévisionnel des dépenses de l'assemblée (GINESTET, Ass. parlem. europ., 1959, p. 117).
— Contrôle (des personnes). État du personnel; cette personne ne figure plus sur nos états.
♦ État(s) de services d'un employé (fonctionnaire, militaire). Ensemble des services accomplis par cet employé. Fournir de beaux, de brillants états de services. Quelques grognards vantaient leurs états de services (ABOUT, Roi mont., 1857, p. 153). M. le gouverneur a bien voulu oublier mes paroles un peu vives en souvenir de mes états de services (A. DAUDET, Nabab, 1877, p. 184).
— État de lieux, plus couramment état des lieux. Inventaire à valeur juridique. Rédiger un état des lieux (supra IB).
Rem. Les dict. enregistrent également état estimatif des meubles, état liquidatif (des biens d'une communauté, d'une succession); état cadastral; état parcellaire [,,liste des propriétaires des parcelles touchées par le tracé d'une voie de communication`` (BARR. 1974)]; état de frais; état d'hypothèques.
2. [L'obj. désigne une pers. ou une chose] Faire état de.
a) Cour. Tenir compte de, mettre en avant le fait que, rapporter. Faire état d'un document, d'une information :
• 16. [Pour les gens « normaux »] rechercher l'amour d'un garçon, c'est évidemment vouloir abuser de lui. Leur imagination ne va pas plus loin! « Pervertir la jeunesse », cela veut dire, en clair : faire de jeunes invertis, profiter de leur complaisance, de leur passivité... (....). « Ah, si je pouvais tout dire, faire état d'expériences précises, donner des exemples, on verrait à quel point leurs accusations sont injustes! que de fois j'ai été retenu par le respect que m'inspire un être jeune! ... »
MARTIN DU G., Notes A. Gide, 1951, p. 1399.
— Montrer. Je sais qu'il est de profonds moralistes Qui font état d'être sombres et tristes (MEILHAC, HALÉVY, Belle Hélène, 1865, III, 7, p. 271). L'orgueil de faire état de sa richesse (SCHNEIDER, Charbon, 1945, p. 139).
— Attacher de l'importance à quelque chose ou à quelqu'un; faire cas de. ,,Je fais beaucoup d'état, peu d'état de cet homme là. Je fais peu d'état de vos menaces`` (Ac.) :
• 17. Elle [Lauriane] se rappela qu'au moment de la quitter Mario, que l'on disait indisposé, avait haussé les épaules et détourné la tête en disant : « Vous faites trop d'état d'une crampe. Je ne me sens plus aucun mal ».
SAND, Beaux MM. de Bois-Doré, t. 2, 1858, p. 257.
b) Vieilli. Compter sur quelque chose ou quelqu'un; être assuré de. ,,Faites état de cette somme. Faites état que vous aurez cette somme avant quinze jours`` (Ac.). Allons, Bernard (...) faites état de moi comme d'un ami (MÉRIMÉE, Chron. règne Charles IX, 1829, p. 77).
Rem. Qq. dict. enregistrent les sens vx suiv. a) Se proposer de. Je fais état de partir tel jour (Ac. 1835-1932). b) Agir comme. Faire état de chef (d'apr. un ex. de Balzac, cf. en partic. LITTRÉ et ROB.). c) Présumer, penser. Je fais état qu'il y a là vingt mille personnes (Ac. 1835, 1878).
II.— Situation d'une personne du point de vue de l'ordre social.
A.— [Sur le plan pers., le plus souvent dans un cont. jur.] État d'une personne. Ensemble des qualités personnelles auxquelles s'attachent des effets juridiques. État d'époux, de Français. La filiation des enfants légitimes se prouve par les actes de naissance inscrits sur le registre de l'état-civil. Art. 320. À défaut de ce titre, la possession de l'état d'enfant légitime suffit (Code civil, Paris, Dalloz, 1977-78, p. 191).
État(-)civil. Ensemble des éléments constatant officiellement l'état d'une personne par rapport à la société; le service public qui établit les actes constatant cet état. Constituer un état-civil; déclaration, fiche d'état-civil; service central, officier de l'état-civil. Registres de l'état-civil. L'Assemblée législative sécularisa l'état-civil en confiant la tenue des registres aux municipalités (L 20 septembre 1792) (BARADAT, Organ. préfect., 1907, p. 218) :
• 18. Jean Valjean venait d'atteindre ses soixante ans, âge de l'exemption légale; mais il n'en paraissait pas plus de cinquante; d'ailleurs, il n'avait aucune envie de se soustraire à son sergent-major et de chicaner le comte de Lobau; il n'avait pas d'état civil; il cachait son nom, il cachait son identité, il cachait son âge, il cachait tout; et, nous venons de le dire, c'était un garde national de bonne volonté.
HUGO, Misér., t. 2, 1862, p. 77.
Rem. Qq. dict. enregistrent question d'état. ,,Contestation dans laquelle on révoque en doute la filiation de quelqu'un`` (Ac. 1835-1932).
— P. ext., lang. cour. L'état de célibat, de célibataire, de mari. Je m'accoutumais à continuer mon enfance et ma jeunesse dans l'état de mariage (VERLAINE, Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 169).
B.— [Sur le plan soc.]
1. Place occupée dans la société par une personne du fait de sa fortune, de sa profession, de son rang. Vivre au-dessus de, selon son état; avoir un état dans le monde; les devoirs de son état; grâce d'état. Vous! jeune, possédant un état distingué, d'une famille honorable et riche, vous ne pouvez pas craindre un refus? (DUMAS père, Mari veuve, 1832, 10, p. 263) :
• 19. — Entends-tu bien, Oscar, dit madame Clapart. Vois combien monsieur Godeschal est indulgent, et comme il sait concilier les plaisirs de la jeunesse et les obligations de son état.
BALZAC, Début vie, 1842, p. 456.
♦ Tenir un grand état, un état de prince. Vivre de façon somptueuse :
• 20. Artevelde se trouva alors comme souverain de la Flandre; il prit le titre de régent et tint état de prince, faisant sonner les trompettes au dehors à l'heure de ses repas, se servant de la belle vaisselle du comte, passant par les villes de Flandre, recevant partout de grands honneurs et des sermens de fidélité.
BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 1, 1821-24, p. 236.
♦ État de maison. Train de vie luxueux d'une famille qui a de nombreux domestiques et qui reçoit beaucoup. On manquait d'argent pour tout au milieu de l'état de maison le plus splendide (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 24).
Rem. Les dict. gén. enregistrent les sens suivants a) Vieilli. Situation sociale élevée. b) Vx. Manière (somptueuse) de s'habiller, adaptée à son état.
2. P. méton. Profession, travail, tâche. Apprendre, avoir, embrasser, prendre un état; faire son état; horloger de son état :
• 21. L'état de charpentier m'a toujours plu. « L'état de charpentier! s'écria mon oncle avec une sorte d'explosion de joie, tu n'es vraiment pas dégoûté. Je ne t'en aurais jamais indiqué un autre. Le charpentier, mon enfant, c'est dans ses chantiers que notre divin Maître a daigné choisir son père adoptif... »
NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 72.
♦ État ecclésiastique, militaire. Parmi les métaphysiciens françois qui ont professé la doctrine de Locke, il faut compter au premier rang Condillac, que son état de prêtre obligeoit à des ménagements envers la religion, et Bonnet, qui, naturellement religieux, vivoit à Genève dans un pays où les lumières et la piété sont inséparables (STAËL, Allemagne, t. 4, 1810, p. 56). Il [l'oncle Edme] exaltait l'état militaire, l'honneur des officiers, la vertu des Jacobins et distribuait des pièces d'argent à ses jeunes auditeurs s'ils promettaient de combattre, plus tard, pour le roi de Rome (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 191).
C.— [Sur le plan pol.]
1. [Sous l'Ancien Régime]
a) Condition politique et sociale résultant de la division du corps social en clergé, noblesse et tiers-état. La France (...) reconnaissable à sa robe (...) ornée des emblèmes de la noblesse, du clergé et du tiers-état (...). Les trois états du royaume n'étaient pas assez unis pour former (...) un État (FRANCE, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. LXXI) :
• 22. Je prie qu'on fasse attention à la différence énorme qu'il y a entre l'assemblée du Tiers état et celle des deux autres ordres. La première représente vingt-cinq millions d'hommes et délibère sur les intérêts de la nation. Les deux autres, dussent-elles se réunir, n'ont de pouvoirs que d'environ deux cent mille individus et ne songent qu'à leurs privilèges.
SIEYÈS, Tiers état, 1789, p. 79.
b) P. ext., au plur. Les états. Représentants des trois états réunis en assemblée; l'assemblée ainsi formée. Assister aux états; réunion des états; les cahiers des états; États généraux (convoqués par le roi). Absol. Les États généraux réunis dans une ville. Les États de Blois, d'Orléans (Ac.). États provinciaux. Assemblée des trois états existant dans quelques provinces (p. ex. la Bourgogne, la Bretagne). Gaston. — (...) Les états de Bretagne (...). Le régent. — Les mécontents de Bretagne. (...) Gaston. — Les mécontents sont si nombreux qu'ils peuvent être regardés comme les représentants de la province! (DUMAS père, Fille du régent, 1846, III, 4, p. 214) :
• 23. Les nobles, les ecclésiastiques et les bourgeois sont tenus d'abandonner au roi, durant une année, le dixième, par exemple, de tous leurs revenus. Ce que je dis là des impôts votés par les états généraux doit s'entendre également de ceux qu'établissaient, à la même époque, les différents états provinciaux sur leurs territoires.
TOCQUEVILLE, Anc. Rég. et Révol., 1856, p. 181.
2. P. ext. Réunion plénière. Il y a eu, cet automne, sur les bords du lac Léman la réunion la plus étonnante; c'étaient les états généraux de l'opinion européenne (STENDHAL, Rome, Naples et Flor., t. 2, 1817, p. 285). Les États généraux du commerce et de l'industrie (DAVAU-COHEN 1972).
III.— Manière d'être des personnes vivant en société.
A.— Gén. État civilisé, sauvage. Si nous demandions pour quel motif la liberté de l'état sauvage a été jugée fausse et détruite, le premier enfant venu nous répondrait ce qu'il y a réellement à répondre. La liberté de l'état sauvage n'était, en fait, qu'une abominable oppression, parce qu'elle se combinait avec l'inégalité des forces (L. BLANC, Organ. trav., 1845, p. XXI).
♦ État de nature. La pensée de Rousseau, plus dynamique que celle de la plupart des philosophes du XVIIIe siècle, entrevoit dans l'histoire évolutive de l'humanité une étape pré-sociale correspondant à l'état de nature dans lequel l'homme, à l'abri des conventions, des préjugés et de la haine, est bon, pur et innocent (Hist. sc., 1957, p. 1563).
B.— Forme particulière d'un gouvernement; nature d'un régime politique. État populaire. Distinguons donc entre les prêtres dans un état monarchique et les prêtres dans une république (CHATEAUBR., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 355). Il [un moine nommé Agaric] jugeait l'état démocratique contraire à la société sainte à laquelle il appartenait corps et âme (FRANCE, Île ping., 1908, p. 199).
C.— [Avec une majuscule] Autorité politique souveraine, civile, militaire ou éventuellement religieuse, considérée comme une personne juridique et morale, à laquelle est soumise un groupement humain, vivant sur un territoire donné. L'autorité de l'État; l'intérêt supérieur de l'État; conspirer contre l'État; États fédéraux; États-Unis d'Amérique. Chez les Grecs, l'État était une puissance absolue, et (...) aucun droit individuel ne tenait contre lui (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p. 428) :
• 24. ... en supprimant l'élection du Président de la République, le maréchal Pétain supprimait la Présidence de la République elle-même, comme, plus tard, il a supprimé la République en substituant au mot de « République » le mot de « État français », en faisant disparaître tous les insignes rappelant le régime qui nous est cher, en supprimant tout ce qui fait le fondement des lois de la République, en supprimant tout ce qui fait nos traditions républicaines.
Procès Pétain, t. 1, 1945, p. 22.
SYNT. a) La défense de l'État; cour de sûreté de l'État; police d'État. b) Enseignement, lycée d'État; diplôme, doctorat d'État. c) Église, religion d'État; la séparation de l'Église et de l'État. d) Chef, homme d'État; ministre, secrétaire d'État; raison, secret d'État; conseil d'État. e) Conception de l'État; État bourgeois, capitaliste, prolétarien. f) L'État-nation, l'État-parti, l'État-patron, l'État-providence. Super-État.
— Affaire d'État (dans le domaine pol.). Dans la mesure très étroite où un simple écrivain, qui ne se soucie pas d'usurper, peut donner son avis sur une affaire d'État dont il n'a pas en mains les pièces, il est permis de regretter les conditions dans lesquelles cette alliance [avec la Russie] disproportionnée a été conclue (MAURRAS, Kiel et Tanger, 1914, p. 16). Au fig. Ce n'est pas la peine d'en faire une affaire d'État.
— Coup d'État (dans le domaine pol.). Le coup d'État du 18 Brumaire. Au fig. Action, décision soudaine et spectaculaire. Ce fut un coup d'État dans la ville de Laon; les uns blâmaient et les autres approuvaient; les vieillards ne se rappelaient pas avoir, même dans les souvenirs de la République, entendu parler de soumettre au régime militaire des enfants de huit ans (CHAMPFL., Souffr. profess. Delteil, 1853, p. 6).
— [P. allus. littér.] Le vaisseau de l'État; le char de l'État.
— [P. allus. hist.] :
• 25. Cependant nous voyons que rien ne semble plus juste aux peuples orientaux que le despotisme de leurs souverains (...); que Louis XIV pensait être dans le vrai lorsqu'il tenait ce propos l'État, c'est moi; que Napoléon regardait comme un crime d'État de désobéir à ses volontés.
PROUDHON, Propriété, 1840, p. 153.
— Loc. Créer, être, former un État dans l'État. Pour exprimer le fait qu'un groupe (parti, entreprise industrielle, corporation) acquiert un pouvoir tel au sein de l'État qu'il peut échapper à son autorité voire lui dicter ses volontés. La cooptation pure, c'est-à-dire le recrutement des juges par les juges eux-mêmes sans contrôle supérieur risque de faire du corps judiciaire un État dans l'État (VEDEL, Dr. constit., 1949, p. 161).
♦ Au fig. :
• 26. Son mari [de Madame Anserre] jouait le rôle de satellite obscur. Être l'époux d'un astre n'est point chose aisée. Celui-là cependant avait eu une idée forte, celle de créer un État dans l'État, de posséder son mérite à lui, mérite de second ordre, il est vrai; mais enfin, de cette façon, les jours où sa femme recevait, il recevait aussi; il avait son public spécial qui l'appréciait, l'écoutait, lui prêtait plus d'attention qu'à son éclatante compagne.
MAUPASSANT, Contes et nouv., t. 1, Gâteau, 1882, p. 774.
— P. méton. Administration suprême de l'État. L'État et le département; un agent de l'État; être à la charge de l'État :
• 27. Les hypothèses de développement et d'organisation de la vie urbaine engagent une conception de l'homme, les finances de l'État et celles des collectivités locales, définissent les droits et les obligations des particuliers, enfin fixent le rôle d'une ville.
BELORGEY, Gouvern. et admin., 1967, p. 353.
SYNT. a) Administration d'État; l'appareil, les rouages, le service de l'État. b) Budget, finances de l'État; remplir les caisses de l'État; les ressources de l'État; gaspiller les deniers de l'État; recevoir une subvention de l'État; l'aide financière de l'État; banque, bourse, emprunt d'État; rente de l'État; cet appareil est la propriété de l'État. c) Domaine, monopole de l'État; chemins de fers de l'État, d'État (vieilli); réseau (d')État. d) Capitalisme, socialisme d'État.
D.— P. ext. Ressortissant d'un État; un grand État; les jeunes États africains. Synon. nation, pays, puissance, royaume, empire :
• 28. ... qu'il est absurde et souverainement funeste que la terre soit divisée en vastes États, tandis que vos politiques eux-mêmes avouent que le peuple d'un petit État peut seul être libre et bon, parce qu'il peut seul connoître l'union et la simplicité.
SENANCOUR, Rêveries, 1799, p. 197.
— Vieilli. Les États de l'Église, d'un monarque. Elle [la duchesse] écrivit au comte dès qu'elle fut hors des États du prince (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 455).
— Spéc., DR. INTERN. [Du point de vue des relations et modalités des relations entre États] Nation (ou groupe de nations) dotée d'un gouvernement (ou d'une autorité politique souveraine) reconnu par la communauté internationale :
• 29. Une Commission Européenne des Droits de l'Homme est prévue pour être saisie de requêtes collectives ou individuelles et enquêter sur les affaires en litige. Si sept États membres en expriment le désir, une Cour Européenne des Droits de l'Homme sera créée pour trancher les cas litigieux. Par cette Convention, les États signataires acceptent de soumettre à un contrôle international leurs actes relatifs aux plus importants droits de l'homme et aux libertés fondamentales.
Pt manuel Conseil Europe, 1951, p. 48.
Prononc. et Orth. :[eta]. Indications, en ce qui concerne la voyelle finale, d'un timbre autre que le timbre ant. : ,,Les finales en -at, -ac, -ap, etc., -a, -oi, sont moyennes`` (ROUSS.-LACL. 1927, p. 138); ,,les finales plurielles -a(t)s, -a(c)s, (...) sont moyennes`` (ibid., p. 136); ,,états rime avec las, appas, etc.`` (LITTRÉ). ,,Le t ne se lie pas dans le parler ordinaire`` (LITTRÉ). Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1213 subst. masc. estate « manière d'être à un moment donné d'une chose ou d'une personne » (Fet des Romains, L.-F. Flutre et K. Sneyders de Vogel, p. 14); 2. 1467 estat « liste énumérative constatant la condition des choses (ou personnes) à un moment donné » (Lettre de Louis XI, III, 172 ds BARTZSCH, p. 107). B. 1. 1285 « situation sociale ou professionnelle, condition » (Rose, éd. F. Lecoy, 6233); fin XIVe s. « charge, position » (E. DESCHAMPS, Balade, éd. Queux de Saint-Hilaire, 195, 9, t. 2, p. 14); 2. ca 1376 estat « condition politique et sociale en France sous l'Ancien Régime » (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, § 152 : trois estas); 3. [1549 « ensemble des qualités qui distinguent l'individu dans la cité et dans la famille » (EST. d'apr. FEW t. 12, p. 249a)]; 1756 état civil « condition des personnes d'après leur naissance » (Encyclop. t. 6, p. 19a). C. 1. Ca 1500 « nation soumise à une même autorité » (PH. DE COMMYNES, Mém., éd. J. Calmette, t. 3, p. 32); 2. [1549, EST. d'apr. FEW t. 12, p. 250a] spéc. 1594 Secretaire d'Estat (Satyre Ménippée, éd. Ch. Read, p. 68). Empr. au lat. class. « action de se tenir », « position, situation », souvent associé aux termes civitas, imperium d'où le b. lat. « état, forme de gouvernement » (BLAISE) avec peut-être infl. de l'ital. stato « forme de gouvernement » (1300-13, DANTE, Inf., 27 ds TOMM.-BELL., v. aussi FEW t. 12, p. 251, note 10) et « administration d'une société » (1537-40, GUICCIARDINI, Stor., 9, 457 ds TOMM.-BELL.); b. lat. jur. « statut d'une personne », lat. médiév. « inventaire » (XIIIe s. ds NIERM.); cf. Gœlzer ds Arch. Lat. Med. Aev. t. 2, 1926, pp. 39-40. Fréq. abs. littér. :30 573. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 58 818, b) 34 826; XXe s. : a) 34 597, b) 40 365. Bbg. BAADER (H.). Einige Bemerkungen zur Geschichte der Wörter cité, ville und état. München, 1968, pp. 35-48. — BELLET (R.). Formation et développement du vocab. chez Vallès journaliste (1848-1871). Cah. Lexicol. 1969, n° 15, pp. 5-20. — GOHIN 1903, p. 307. — JONARD (N.). L'idée de patrie en Italie et en France au XVIIIe s. R. de Litt. comp. 1964, t. 38, n° 1, pp. 61-100. — PUCHEU (R.). Le Fr. « modéré ». Fr. Monde. 1971, n° 80, p. 46.
état [eta] n. m.
ÉTYM. 1636; estate, 1213; « manière d'être », aussi « stature, station debout », en anc. franç.; du lat. status, de stare « se tenir debout ». → Station.
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I Manière d'être (d'une personne ou d'une chose), considérée dans ce qu'elle a de plus ou moins durable, permanent (opposé à devenir, évolution,…).
1 Malgré l'étymologie, il ne me semble pas que l'idée d'arrêt, de repos, soit impliquée dans ce mot… état. On peut très bien dire un état de changement, d'écoulement, de renouvellement perpétuel. Il suffit que cet état (…) ait une certaine permanence (J. L.). Mais cette application suppose (…) que le devenir est considéré en bloc, dans ce qu'il a de constant et par suite de stable. Le mot ne convient plus au changement considéré en tant que tel (…) Il est d'ailleurs bien usuel, dans la langue philosophique contemporaine, d'opposer les états et les mouvements (A. L.).
J. Lachelier et A. Lalande, in Voc. de la philosophie, p. 303.
♦ État constant, durable, fixe, permanent, stable d'une chose, d'une personne. ⇒ Caractère. || C'est un état transitoire, passager. || Description d'un état. || État actuel, présent; futur (⇒ Avenir), prévisible, probable d'une situation. || État d'identité; état de changement. || États successifs d'une évolution. ⇒ Degré, étape. || État comparatif (au fig. ⇒ Diapason, niveau). || État régulier, normal. ⇒ Norme. || État anormal, accidentel. || État naturel, originaire, primitif; état premier. — Être, demeurer dans le même état. ⇒ Point (au même point). → Caractère, cit. 39. || Suffixes marquant l'état : état de ce qui est grand (grand-eur), petit (petit-esse), courbé (courb-ure), pur (pur-eté), mobile (mobil-ité). — Gramm. || Verbe d'état (opposé à verbe d'action).
a (Sur le plan physique). || État du corps. || Un état fâcheux, alarmant. || Bulletin de santé communiquant l'état d'un malade, d'un convalescent. || Son état empire (→ 1. Coma, cit. 1), s'aggrave. || Aggravation d'un état chronique. ⇒ Crise. || État de dépérissement. || Son état n'a pas changé, évolué. || État stationnaire. || Il est toujours dans le même état. — État de santé. || Compromettre l'état de santé de qqn (⇒ Ruiner, fig.). — État de maladie (→ Abandonner, cit. 9), de faiblesse. || État de catalepsie, état somnambulique. || État de veille; de sommeil. ☑ État intéressant (vx), celui d'une femme enceinte (⇒ Situation). || État anormal morbide, pathologique. || État d'ivresse, d'ébriété. || État d'imbécillité, de démence (cit. 1), de fureur. — État général d'une personne, son état de santé considéré dans son ensemble. || La blessure est en voie de guérison, mais l'état général du blessé reste précaire.
♦ Dans, en… état (→ ci-dessous, cit. 2 à 4, 9, 10). || Être dans un état grave, dans un état excellent, florissant, prospère. (1625, in D. D. L.). || Être en bon, en mauvais, en triste, en piteux état. ⇒ Aller (bien, mal). || Une personne dans cet état, en son état est capable (cit. 15) de tout. — Toxicomane, alcoolique en état de manque. — Être en état d'ivresse. || Automobiliste en état d'ébriété.
2 (…) en l'état (de santé) où vous êtes (…)
Molière, le Malade imaginaire, II, 2.
3 Ma tante est toujours dans un état déplorable.
Mme de Sévigné, Lettres, 143.
4 (…) ces voyages, avec votre poitrine, ont dû vous mettre en mauvais état (…)
Mme de Sévigné, 766, 29 déc. 1679.
5 (…) le bulletin de ce matin m'apprend que la nuit n'a pas été moins orageuse. Enfin son état est tel, que je m'étonne qu'elle n'y ait pas déjà succombé (…)
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre CXLIX.
6 (…) elle s'était blessée dans sa chute, et elle ne tarda pas à en ressentir les effets. Des maux de reins (…) des symptômes moins équivoques encore, m'ont eu bientôt éclairé sur son état : mais, pour le lui apprendre, il a fallu lui dire d'abord celui où elle était auparavant; car elle ne s'en doutait pas.
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre CXL.
7 Tout à fait réveillée par la nécessité de se contraindre, elle se trouva moins malheureuse; la raison reprit l'empire que l'état de demi-sommeil lui avait ôté.
Stendhal, le Rouge et le Noir, I, XI.
8 Au contraire, son état semblait s'aggraver de semaine en semaine.
Hugo, les Misérables, I, VI, I.
9 La plupart de nos blessés étaient en pitoyable état.
G. Duhamel, la Pesée des âmes, VI, p. 152.
10 Je suis dans un fichu état, avouez-le !
Martin du Gard, les Thibault, t. IX, p. 127.
11 L'état général avait certainement empiré. M. Thibault, qui ne s'alimentait plus, était très faible, et ne cessait pas de souffrir.
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 41.
♦ Méd. || État de mal : suite de paroxysmes entre lesquels le malade ne revient pas à son état normal. || État de mal épileptique, hystérique… — (1897, l'Année biol.) : || État de choc : abattement physique à la suite d'un traumatisme (état de choc traumatique), d'une opération chirurgicale (état de choc opératoire), d'une anesthésie (choc anesthésique). ⇒ Choc. — ☑ Par ext. En état de choc : qui éprouve une grande émotion (surprise, intérêt…). || « (…) J'étais sortie bouleversée d'“Il Campielo”. Cette petite cour, la flaque d'eau au milieu qui marquait les saisons : gelée l'hiver, boueuse en automne, claire l'été (…) Et le début fulgurant de “la Tempête” ! Strehler met le public en état de choc. » (le Nouvel Obs., 9 déc. 1983, no 996, p. 3).
♦ (Apparence physique). || Piteux, triste état. || Ses agresseurs l'ont mis dans un triste état, dans un état déplorable. — ☑ Iron. Être dans un bel état; se mettre dans un bel état, dans un état pénible (d'excitation, d'énervement…).
12 Qu'ai-je fait pour me voir ainsi
Mutilé par mon propre maître ?
Le bel état où me voici !
La Fontaine, Fables, X, 8.
13 Hier, une heure après notre retour, mon père entra dans la chambre de ma mère, les yeux étincelants, le visage enflammé, dans un état, en un mot, où je ne l'avais jamais vu. Je compris d'abord qu'il venait d'avoir querelle, ou qu'il allait la chercher; et ma conscience agitée me fit trembler d'avance.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, 1, Lettre LXIII.
♦ Vx. Attitude, position (physique).
14 — Afin de l'obtenir je me jette à genoux.
— Je dois en cet état être plutôt que vous.
Molière, le Dépit amoureux, III, 4.
b (Sur le plan moral). || État d'anxiété, d'inquiétude, de malaise. || État d'indifférence, de repos (⇒ Calme). || État de tension d'esprit. || État de grande agitation, d'excitation, d'affolement. || État de transport lyrique (→ Blanc, cit. 20). || État visionnaire, état d'extase. || État de fureur, de révolte intérieure. || Le vrai bonheur est un état permanent (→ Décrire, cit. 7). — Psychol. || État de rêve. || État d'hypnose. — Dans, en… état. || Être, n'être pas dans son état normal (→ Dans son assiette). || Se trouver, se maintenir dans tel ou tel état (→ ci-dessous, cit. 18, 19). || Il était dans un état bizarre, second (→ Hors de lui). || Elle se sentait dans un drôle d'état.
15 Cet indolent état de confiance extrême (…)
Molière, les Femmes savantes, I, 3.
16 On entend ici par le bonheur un état, une situation telle qu'on en désirât la durée sans changement; et en cela le bonheur est différent du plaisir qui n'est qu'un sentiment agréable, mais court et passager, et qui ne peut jamais être un état.
17 Si bienheureux qu'il soit, je ne puis souhaiter un état sans progrès (…) et ferais fi d'une joie qui ne serait pas progressive.
Gide, les Nouvelles Nourritures, III, III.
18 L'orateur est celui qui sait se mettre à volonté dans un état de transport, et le poète aussi.
Claudel, Positions et Propositions, p. 97.
19 Sammécaud allait à son rendez-vous dans un état d'excitation et d'optimisme.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XVI, p. 204.
20 Ne disions-nous pas l'autre jour que la déraison était l'état normal, et comme la donnée naturelle, de notre esprit ?
J. Paulhan, Entretien sur des faits divers, p. 146.
♦ ☑ Loc. Être dans tous ses états : être très agité, dans un état d'énervement, d'excitation extrême.
20.1 Si par chance ou par persévérance ils introduisent dans leur manière de peindre un petit effet qui soit comme une vague promesse de renouvellement, les voilà dans tous leurs états.
M. Aymé, le Vin de Paris, La bonne peinture, p. 174.
♦ Figuré :
21 Le matin, le vent tomba un peu, mais la mer était toujours dans tous ses états, et avec cela une sacrée brume du diable à ne pas distinguer un fanal à quatre pas (…)
Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin, « Agonie de la Sémillante ».
REM. L'expression est à la mode, en emploi métaphorique, dans l'usage intellectuel et journalistique : les partis dans tous leurs états, etc.
♦ ☑ État d'esprit : disposition particulière et momentanée de l'esprit. ⇒ Disposition; → Esprit, cit. 60. || Il a un curieux état d'esprit. ⇒ Mentalité. || Dans cet état d'esprit…
22 (…) ce qu'il y a de plus singulier dans cet état exceptionnel de l'esprit et des sens, que je puis sans exagération appeler paradisiaque (…)
Baudelaire, Paradis artificiels, « Le poème du haschisch », I.
♦ ☑ État d'âme (cit. 57) : disposition des sentiments. ⇒ Impression, sentiment; humeur. — Péj. (au plur.). || Avoir des états d'âme, des attitudes irrationnelles, des réactions affectives non contrôlées. || Nous ne pouvons pas tenir compte des états d'âme de tous nos collaborateurs.
23 Un paysage quelconque est un état de l'âme.
24 Je songe à cette sorte de roman qui s'interdit, dans l'ordre des états d'âme, le rêve, la rêverie, les pressentiments (…)
J. Paulhan, les Fleurs de Tarbes, p. 167.
24.1 Les villes surtout ont ainsi une personnalité, un état d'esprit autonome (…) Toute cité est un état d'âme, et d'y séjourner à peine, cet état d'âme se communique, se propage à nous en un fluide qui s'inocule et qu'on incorpore avec la nuance de l'air.
G. Rodenbach, Bruges-la-Morte, X, p. 143.
♦ Psychol. || État de conscience : fait psychique conscient. ⇒ Sensation, sentiment, volition. — On dit aussi fait de conscience. Absolt. || États successifs, simultanés.
25 (…) le plus gênant c'est de devoir présenter comme successifs des états de simultanéité confuse. Je suis un être de dialogue; tout en moi combat et se contredit.
Gide, Si le grain ne meurt, I, X, p. 281.
♦ Cour. || État moral (⇒ Conscience, cit. 16). — En état… || Conscience, âme en état de paraître devant Dieu. Vx. || Être en bon état, « dans l'état de grâce » (Trévoux).
26 — (…) il faut (…)
Que tu meures.
Tout beau : mon âme, pour mourir,
N'est pas en bon état.
Molière, le Dépit amoureux, III, 7.
♦ Théol. || État d'innocence, de pureté. ☑ État de grâce. || État de péché. || Être en état de péché mortel. || État de damnation (cit. 3). — État contemplatif.
27 L'état d'innocence (…) c'est l'état où se trouvait Adam avant son péché. État de la nature corrompue, c'est l'état où l'homme (…) se trouva (réduit) par le péché d'Adam (…) État de grâce c'est l'état d'un homme qui est dans la grâce de Dieu, qui est bien avec Dieu (…)
Dict. de Trévoux, art. État.
c (Sur le plan social, etc.). Situation. || État malheureux, cruel (cit. 20). ⇒ Condition, destin, sort. || État de malentendu entre deux personnes (→ Dissiper, cit. 8). || Se souvenir d'un état antérieur (cit. 3). ⇒ Existence, vie. || État de dénuement, d'esclavage, de misère; état de prospérité. || État de fortune. — Vieilli. || Être dans un état agréable, malheureux.
28 Le lièvre et la perdrix, concitoyens d'un champ, Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille (…)
La Fontaine, Fables, V, 17.
29 Non, je ne trouve point d'état plus malheureux Que d'avoir un patron jeune et fort amoureux.
Molière, le Dépit amoureux, I, 4.
30 (…) plus les hommes se sont adaptés à une situation, moins ils sont préparés pour la situation contraire. Les habitudes et les facultés qui leur servaient dans l'état ancien leur nuisent dans l'état nouveau.
Taine, les Origines de la France contemporaine, I, p. 257.
31 (…) ils avaient besoin de se disputer les faveurs d'une jolie fille; Angèle les avait accoutumés à cet état de rivalité amoureuse (…)
J. Green, Léviathan, p. 172.
♦ Dr. || État d'accusation. || Prévenu en état d'accusation. || État d'arrestation. — État de légitime défense (→ Duel, cit. 5).
32 Barnave (…) mis en état d'arrestation en septembre de cette même année, détenu pendant plus d'un an avant de périr sur l'échafaud (…)
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 8 avr. 1850, t. II, p. 22.
♦ ☑ Loc. En état de (et inf.). ⇒ Capable (être), mesure (en mesure de); pouvoir. || Il n'est pas en état de travailler, de voyager. || Je ne suis pas en état de l'écouter. ⇒ Décidé, disposé, prêt. || Être en état de faire rapidement fortune. ⇒ Passe (être en passe de). || Mettre qqn en état de… ⇒ Préparer. — ☑ Hors d'état de (et inf.). || Être hors d'état de faire qqch. ⇒ Incapable. || Il est hors d'état de s'en occuper, hors d'état d'agir (cit. 9). || Mettre un adversaire hors d'état de résister, hors d'état de nuire.
33 Hélas ! mon ami, quand on aime bien un mari, on n'est guère en état de songer à tout cela.
Molière, le Malade imaginaire, I, 6.
34 (…) pour se tirer de la contrainte de leurs parents, et se mettre en état de faire tout ce qu'elles voudront.
Molière, le Malade imaginaire, II, 6.
35 Son chapeau, quoique mis assez crânement, révélait plus que tous ces symptômes la misère de l'homme hors d'état de donner seize francs à un chapelier, quand il est forcé de vivre au jour le jour.
Balzac, Un début dans la vie, Pl., t. I, p. 745.
36 Elle ne doutait pas d'être toujours en état de se donner à son mari (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, I, p. 8.
a (Surtout dans des expr.). || État de délabrement (cit. 2), de dévastation (cit. 3) d'une maison. || État de conservation; de dégradation d'un immeuble. || État des lieux (→ ci-dessous, 4.). — L'état de dépérissement d'une espèce, d'une race. || État des affaires. || L'état de ses finances, de sa bourse ne lui permet pas une telle dépense.
♦ En (bon, mauvais) état; dans (tel ou tel) état (→ ci-dessous, cit. 37, 40 et 41.1). || Outil, machine, instrument en bon état. || Objet en mauvais état, défectueux, détérioré. || Ce livre, ce poste de radio, cette voiture est dans un état déplorable. || Mettre qqch. en meilleur état, remettre en bon état (réparer). — (Parties du corps, organes). || Avoir les dents, l'estomac en mauvais état. || Votre foie est en piètre état.
37 Mon arc est en bon état, Mais ton cœur est bien malade (…)
La Fontaine, Contes, III, 11.
38 (De pareilles feintes) Aux vieillards (…) sont de rudes atteintes,
Qui sur l'état prochain de leur condition
Leur font faire à regret triste réflexion.
Molière, l'Étourdi, III, 4.
39 Il persista dans sa retraite, tant que l'état des affaires le put souffrir.
Bossuet, Oraison funèbre de Michel Le Tellier.
40 (…) pour savoir si les armes et toutes les autres choses nécessaires à la guerre étaient en bon état (…)
Fénelon, Télémaque, X.
41 Ô mes amis, tout ce qui passe de l'état lourd à l'état subtil, passe par le moment de feu et de lumière (…)
Valéry, Eupalinos, p. 171.
41.1 L'auto qui doit nous emmener rentre de Fort-Sibut en mauvais état.
Gide, Voyage au Congo, Pl., p. 717.
♦ En état, hors d'état de… (et inf.). || Instrument en état, hors d'état de fonctionner. || Véhicule en état de marche. || Terres en état de produire (→ Attendre, cit. 78).
42 Il laissa son royaume en état de s'accroître sous ses successeurs.
Bossuet, Hist. des variations, I, 7.
43 (Mentor) mit en un seul jour un vaisseau en état de voguer.
Fénelon, Télémaque, VI.
♦ Absolt. ☑ En état : dans son état normal, en bon état. || Mettre en état. ⇒ Point (mettre au point); préparer. || Laisser, tenir, maintenir qqch. en état. ⇒ Conserver. || Remettre en état. ⇒ Réparer.
♦ ☑ En l'état : dans l'état antérieur. || Remettre les choses en l'état. ⇒ Rétablir. || Laisser les choses en l'état. ⇒ Tel (quel). || Tout doit demeurer, rester en l'état. || Laisser les choses en l'état (⇒ Statu quo). || Les choses resteront en l'état (où elles se trouvent).
44 (…) toute chose Demeurant en état, on appointe la cause (…)
Racine, les Plaideurs, I, 7.
♦ ☑ À l'état, à l'état de (et adj.) : d'une manière, sous la forme… || Lumière à l'état douteux (cit. 6) de crépuscule. || Souvenir à l'état latent, fragmentaire, virtuel (→ Accoutumance, cit. 3). || Plaie, blessure à l'état vif (→ Cicatriser, cit. 3). || La vérité à l'état pur (→ Diluer, cit. 4). || Idées à l'état brut (cit. 6). || Animal, plante, jardin à l'état sauvage.
45 Quand la stylisation est exagérée (…) l'œuvre est une nostalgie pure (…) Quand la réalité est livrée au contraire à l'état brut (…) le concret est offert sans unité.
Camus, l'Homme révolté, p. 336.
46 Et rien ne se passe enfin qui ne se passe à l'envers dans nos lettres, privées de mémoire et comme demeurées à l'état sauvage.
J. Paulhan, les Fleurs de Tarbes, p. 17.
♦ ☑ (V. 1800). État de choses. ⇒ Circonstance, conjoncture, situation. || Un état de choses anormal. || Cet état de choses ne saurait durer. || Événement qui change l'état de choses. ⇒ Face. || Maintenir un état de choses. ⇒ Statu quo. || Dans cet état de choses. → Dans ces conditions; en l'occurrence; du train où vont les choses. || Dans l'état où sont les choses (→ Anodin, cit. 4). — ☑ État de fait : situation de fait.
♦ Industrie, commerce dans un état florissant, prospère. || Pays, économie en état de crise, de dépression.
♦ État de siège (militaire ou politique).
47 (…) ces incidents (…) forcèrent les autorités à assimiler l'état de peste à l'état de siège (…)
Camus, la Peste, p. 189.
b Didact. Ensemble des caractères (d'un objet de pensée, d'un ensemble abstrait). || L'état de la science, des connaissances. || Dans l'état actuel de la science, des connaissances philosophiques (→ Animal, cit. 1; debout, cit. 15).
♦ Considérations générales sur l'état de la littérature, œuvre de F. Guizot (1808). || La loi des trois états, dans la philosophie d'A. Comte.
48 En étudiant le développement de l'intelligence (…) je crois avoir découvert une grande loi, à laquelle ce développement est assujetti (…) Elle consiste en ce que chaque branche de nos connaissances passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique ou fictif, l'état métaphysique ou abstrait, l'état scientifique ou positif.
A. Comte, Philosophie positive, t. I, p. 20 (→ Esprit, cit. 47).
♦ État d'une question. || L'état de la question, de l'affaire, ce qu'elle est, la façon dont elle se présente au moment où on la considère. || Exposer l'état, le dernier état de la question.
49 (…) il fallait fixer l'état de la question pour que le peuple l'eût toujours devant les yeux. Autrement, dans le cours d'une grande affaire, cet état de la question changerait continuellement, et on ne le reconnaîtrait plus.
Montesquieu, l'Esprit des lois, VI, IV (1748).
♦ Spécialt, dr. || État d'une affaire, d'une cause. — En état. || Affaire, cause en état : affaire assez instruite pour être jugée, et, spécialt, affaire dans laquelle les conclusions au fond ont été contradictoirement prises ou (pour les procès soumis à l'instruction par écrit) dans laquelle les productions par écrit ont été faites (→ Conclusion, cit. 11).
♦ État de cause : état d'avancement d'une instance judiciaire. — ☑ Loc. cour. (XVIIIe, Rousseau). En tout état de cause : quel que soit l'état de la cause, et, par ext., dans tous les cas, n'importe comment. ⇒ Toujours (→ Assistance, cit. 12; dénonciateur, cit. 1).
50 On avait fini par trouver plus simple que Haverkamp, après avoir acquis l'immeuble, en restât, en tout état de cause, nominalement propriétaire.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XVIII, p. 125.
c (XIXe). Sc. (phys., chim.). Manière d'être (des corps), résultant de la plus ou moins grande cohésion de molécules. || Les trois états de la matière. || État solide, liquide, gazeux. — État critique d'un corps : état d'un corps qui se trouve à sa température et à sa pression critiques (limite entre l'état liquide et l'état gazeux). — (1852). || État naissant : état d'un corps qui se dégage d'une combinaison. || À l'état naissant. — État initial, état final d'un système de corps, dans une réaction. — État pâteux. ⇒ Consistance. || Métal à l'état natif. || État mitoyen entre la fonte et le fer (→ Creuset, cit. 7). || Corps à l'état pur.
51 Il faut vous dire (…) que je prouve que les phénomènes de fermentation sont tous des actes corrélatifs au développement de globules et de végétaux mycodermiques dont je donne un moyen de préparation et d'étude à l'état isolé et sans mélange.
Pasteur, Lettre à Dumas, sept. 1857, cité par Henri Mondor, Pasteur, p. 57.
♦ Météor. || État du ciel, les météores qui sont visibles à un instant donné (nébulosité, brume, pluie, neige). — État de la mer : état de la houle, etc. — État hygrométrique, ou humidité relative.
d (1864). Techn. || États successifs d'une gravure : « condition d'une planche aux différents stades qui précèdent son entier achèvement » (Réau). || Épreuve du premier, du second état. || État de tirage. || État d'eau-forte pure : état d'une gravure préparée à l'eau-forte avant retouche. || Suite en trois états.
♦ (En horlogerie). || État positif, négatif : écart entre l'indication d'un instrument et l'heure réelle (avance ou retard).
b Vieilli. Compter sur. || Faites état de cette somme. || Faites état que vous aurez cette somme dans quinze jours.
52 — Adieu : faites état de mon humble service.
— Et vous pareillement d'un cœur sans artifice.
Corneille, la Suivante, V, 5.
53 Faites état de moi, Monsieur, comme du plus chaud de vos amis.
Molière, l'Impromptu de Versailles, 4.
54 Faites état de me voir arriver au départ des hirondelles.
P.-L. Courier, Lettres, II, 6.
55 (…) faites état de m'arracher le jour Plutôt que de m'ôter l'objet de mon amour.
Molière, l'École des maris, III, 7.
d Vieilli ou littér. Estimer, faire cas de… || Je fais peu d'état de cet homme-là (→ 2. Crocheteur, cit. 1). || Je fais peu d'état de ses menaces (Académie).
56 (…) quoique je ne fisse pas profession de mépriser la gloire (…) je faisais néanmoins fort peu d'état de celle que je n'espérais point pouvoir acquérir qu'à faux titres.
Descartes, Disc. de la méthode, I.
57 Les chrétiens font-ils plus d'état des biens de la terre, ou font-ils moins d'état de la vie des hommes que n'en ont fait les idolâtres et les infidèles ?
Pascal, les Provinciales, XIV.
58 Ils font plus d'état d'une mort belle et glorieuse que de l'immortalité même.
Racine, Traductions, Des Esséniens.
e Mod. Tenir compte de; s'appuyer sur, mettre en avant, rapporter. || Faire état d'un document pour… ⇒ Citer. || Faire état de l'opinion d'un penseur pour étayer une thèse. || Ne faites pas état de ce que je viens de vous dire, n'en parlez pas. || Ne pas faire état d'un document, d'un témoignage. ⇒ Mention.
59 (…) un phénomène très répandu aujourd'hui chez les philosophes (…) : faire état d'affirmations de littérateurs en vogue, purement brillantes et gratuites (…) dont on se demande ce qu'elles viennent faire dans des spéculations à prétention sérieuse.
Julien Benda, la Trahison des clercs, Préface de la nouvelle édition, p. 51.
4 Par métonymie. Écrit qui constate, décrit un fait, une situation à un moment donné. ⇒ Compte (compte rendu), description, exposé, mémoire; bordereau, bulletin, inventaire, liste, note, statistique, tableau. || État comparatif, descriptif. || État nominatif; rectificatif. || État des habitants d'un lieu. ⇒ Recensement. || Corrections faites à un état; feuilles de retombe collées à un état. || État de marchandises expédiées par voie maritime. ⇒ Connaissement, reçu. || État de compte, de dettes, de frais. ⇒ Bilan, facture. || État de dépenses de la maison du roi. ⇒ Écroue. — Remplir un état (→ Dossier, cit. 2). || Émargement d'un état. || Signer un état. — Vx. || État de pension. || Être couché sur l'état pour une somme de…
60 Tant seulement (il) faut être bien couché, Non pas en lit, n'(ni) en linge bien séché, Mais en l'état du noble Roy chrétien (…)
Clément Marot, Épigramme, XXI.
61 Même dans la flamme du combat, on voit toujours arriver quelque sous-officier soucieux qui continue à dresser un « état » des vivres de réserve, ou des ceintures de flanelle, ou des chemises.
G. Duhamel, la Pesée des âmes, VI, p. 151.
62 (…) il (…) continuait (…) à faire les additions et les statistiques dont avaient besoin les formations sanitaires. Patiemment, tous les soirs, il mettait des fiches au clair, il les accompagnait de courbes et il s'évertuait lentement à présenter des états aussi précis que possible.
Camus, la Peste, p. 154.
♦ États de service : compte rendu des activités d'un militaire et, par ext., d'un fonctionnaire.
62.1 (…) il ne s'en trouve pas un seul (prétendant à l'Élysée) dont, par quelque endroit, les états de service ne soient à faire frémir.
F. Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, p. 51.
62.2 Je vous assure que le général Pierre-et-Paul a déclaré qu'il ferait tout pour que nous sussions, ma sœur et moi, l'identité de ce militaire, ainsi que son pedigree, ses états de service (…)
R. Queneau, le Dimanche de la vie, p. 26.
♦ Dr. || État de frais : relevé des sommes dues à un officier ministériel à l'occasion d'actes de son ministère. — État de situation : exposé de l'état de fortune d'une personne.
63 (…) Fouquet ne songea qu'à redoubler d'adresse; il présentait au roi de faux états de situation, que Colbert contrôlait et réfutait en secret.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 12 janv. 1852, t. V, p. 300.
♦ ☑ État de lieux ou (plus cour.) état des lieux : description d'un immeuble, indiquant l'état de conservation de chacune de ses parties. ⇒ Inventaire. || Établir un état de lieux à l'entrée d'un locataire (⇒ Location). — État des immeubles : description des immeubles soumis à un usufruit. || État estimatif des meubles, faisant l'objet d'un acte juridique. ⇒ Estimation. || État liquidatif, destiné à établir le partage d'une communauté, d'une succession.
64 S'il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit rendre la chose telle qu'il l'a reçue, suivant cet état (…)
Code civil, art. 1730.
65 L'usufruitier prend les choses dans l'état où elles sont; mais il ne peut entrer en jouissance qu'après avoir fait dresser (…) un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l'usufruit.
Code civil, art. 600.
66 Tout acte de donation d'effets mobiliers ne sera valable que pour les effets dont un état estimatif (…) aura été annexé à la minute de donation.
Code civil, art. 948.
♦ État des inscriptions : copie des inscriptions de privilèges ou d'hypothèques subsistant sur les registres de la conservation (Code civil, art. 2196). || État sur transcription : relevé contenant la copie de toutes les inscriptions grevant un ou plusieurs immeubles aliénés par un contrat déjà transcrit (Code civil, art. 2198).
♦ Techn. || État de signalisation maritime, recueil des caractéristiques des établissements de signalisation.
———
II Situation, manière d'être (d'une personne dans la société).
1 (1549). Dr. Ensemble de qualités inhérentes à la personne, auxquelles la loi civile attache des effets juridiques. ⇒ 3. Droit (III., 2., A.). || État d'un individu dans la cité. || État de sujet français, britannique… ⇒ Nationalité. — État dans la famille : état d'époux, de parent, d'allié (⇒ Alliance, filiation, mariage, parenté). || État personnel. ⇒ Âge; majorité, minorité; sexe. || Causes des états : actes juridiques (ex. : naturalisation, mariage, divorce); faits matériels (ex. : naissance, démence…). || Conséquences de l'état : l'état d'une personne détermine le nombre et la nature de ses droits et de ses devoirs et l'aptitude à exercer ses droits, à remplir ses obligations par soi-même (⇒ Capacité, incapacité). — Possession d'état : jouissance du titre, des avantages… qui y sont attachés (cf. l'adage latin : Nomen, tractatus, fama). || Action en réclamation d'état, intentée par une personne qui ne possède pas son état. || Action en contestation d'état, intentée par un tiers. || Jugement déclaratif d'état. || Jugement constitutif d'état. — Preuves de l'état : actes de l'état civil (⇒ Identité; → ci-dessous, infra cit. 68).
67 L'état des personnes, c'est l'ensemble des qualités constitutives qui distinguent l'individu dans la Cité et dans la Famille. Ces qualités dépendent de trois faits ou situations qui sont : la nationalité, le mariage, la parenté ou l'alliance.
A. Colin et H. Capitant, Cours élém. de droit civil franç., t. I, p. 115.
68 On appelle « état » d'une personne (status ou conditio) certaines qualités que la loi prend en considération pour y attacher des effets juridiques. Ainsi les qualités de Français, de majeur, d'époux, de fils légitime, sont des états juridiques. Désigner l'état d'une personne, c'est la qualifier (…) Rigoureusement, toute qualité produisant des effets de droit pourrait porter le nom d'état. Mais, dans la langue scientifique, on ne considère pas comme des états les diverses professions et fonctions (…) Ainsi les qualités de magistrat, de militaire, de commerçant, d'ouvrier ne sont pas des « états » dans la langue juridique, bien qu'on les appelle souvent ainsi dans la langue usuelle ou littéraire. Le droit réserve ce nom aux qualités inhérentes à la personne (…)
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, p. 168.
♦ Dr. et cour. || État civil : mode de constatation des principaux faits relatifs à l'état des personnes; Service public chargé de dresser les actes constatant ces faits. || Actes d'état civil. ⇒ Acte (cit. 12); adoption, décès, divorce, légitimation, mariage, naissance. || Registre d'état civil, sur lequel sont dressés les actes (registre des naissances; registre mortuaire…). || Officier de l'état civil : fonctionnaire chargé de l'état civil (en principe le maire ou un adjoint). → Authentique, cit. 4. || Bureau (cit. 4) d'état civil. || Extrait, copie d'un acte d'état civil. || Le livret de famille reçoit les extraits des actes d'état civil intéressant la famille. || Déclaration de naissance à l'officier de l'état civil (→ Accouchement, cit. 1). || Rectification des actes de l'état civil. — Sous l'ancien régime, le clergé catholique était chargé de la tenue des registres de l'état civil. || Sécularisation de l'état civil par le décret du 20-25 septembre 1792.
69 Les actes de l'état civil seront inscrits, dans chaque commune, sur un ou plusieurs registres tenus doubles.
Code civil, anc. art. 40, abrogé en 1962 (cf. aussi Code civil, art. 34 à 111).
70 Alors je prends moi-même le registre de l'état civil : en feuilletant, je retrouve la page, ma signature et, à côté, le petit grimoire qu'a dessiné Chrysanthème (…)
Loti, Mme Chrysanthème, XXX, p. 145.
71 On appelle « actes de l'état civil » des actes authentiques destinés à fournir une preuve certaine de l'état des personnes. Ces actes sont inscrits sur des registres publics, tenus dans chaque commune par des fonctionnaires appelés officiers de l'état civil.
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, p. 180.
72 (…) était-ce à moi à me choisir un époux, quand je ne connaissais rien de l'état du mariage ?
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre CIV.
2 (XIIIe). Vieilli ou littér. Situation dans la société, résultant de la profession, de la fortune, du mode de vie. ⇒ Classe, condition (cit. 14 et 16), être (vx), position. || Être satisfait, mécontent de son état. || Changer d'état. → Affranchi, cit. 1. || Il est bien au-dessus de son état. || Vivre selon son état. ⇒ Train (de vie).
73 On leur doit donner largement (aux mères) de quoi maintenir leur état selon la condition de leur maison et de leur âge (…)
Montaigne, Essais, II, VIII.
74 D'où vient que personne en la vie
N'est satisfait de son état ?
La Fontaine, Fables, XII, 9.
75 Heureux qui satisfait de son humble fortune (…)
(…) Vit dans l'état obscur où les Dieux l'ont caché !
Racine, Iphigénie, I, 1.
76 (…) les rendre capables de servir Dieu dans les différents états où il lui plaira de les appeler.
Racine, Esther, Préf.
77 (…) il faudrait ou fermer les théâtres, ou prononcer moins sévèrement sur l'état des comédiens.
La Bruyère, les Caractères, XIV, 21.
78 J'aurais aimé mon état, je l'aurais honoré peut-être, et après avoir passé une vie obscure et simple, mais égale et douce, je serais mort paisiblement dans le sein des miens.
Rousseau, les Confessions, I.
79 L'esclave proteste contre la condition qui lui est faite à l'intérieur de son état; le révolté métaphysique contre la condition qui lui est faite en tant qu'homme.
Camus, l'Homme révolté, p. 39.
♦ S'adapter à son état. || Être voué par état à l'étude. — Remplir les devoirs de son état. — Devoir d'état. — Théol. || Grâce d'état.
80 (…) ils se sont si bien ajustés, que par leur état ils deviennent capables de toutes les grâces; ils sont amphibies, ils vivent de l'Église et de l'épée (…)
La Bruyère, les Caractères, VIII, 46.
81 (…) réellement vous n'avez pas le génie de votre état; vous n'en savez que ce que vous en avez appris, et vous n'inventez rien.
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre CVI.
82 (Pour le chrétien) la valeur créatrice du travail trouve tout son sens (…) parce qu'elle signifie la valeur créatrice de l'homme, son effort incessant vers son salut. Ce qu'on appelle le devoir d'état n'est rien de moins que la première des affirmations de l'homme. Elle peut paraître humble à ceux qui ne savent pas que c'est dans la misère de l'homme que réside sa vraie grandeur.
Daniel-Rops, Ce qui meurt…, p. 172.
♦ État religieux (⇒ Cléricature, prêtrise); état monacal (→ Ascétisme, cit. 2).
83 (…) mes sentiments pour vous, que l'état religieux dans lequel vous êtes rend plus criminels encore.
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre XLIX.
♦ Vx. Condition élevée; situation sociale éminente. || Avoir, ne pas avoir d'état.
84 Il y a en France trois sortes d'états : l'église, l'épée et la robe. Chacun a un mépris souverain pour les deux autres (…)
Montesquieu, Lettres persanes, XLIV.
85 M. de Castries, dans le temps de la querelle de Diderot et de Rousseau, dit avec impatience (…) : « Cela est incroyable; on ne parle que de ces gens-là, gens sans état, qui n'ont point de maison (…) on ne s'accoutume point à cela ».
Chamfort, Caractères et Anecdotes, p. 205.
86 Cette convoitise des offices et états (curée autrefois réservée aux nobles limiers) est devenue plus âpre depuis que tous les rangs y peuvent prétendre.
P.-L. Courier, Œuvres, I, 168.
♦ Vx. Façon de se vêtir, adaptée à la situation sociale.
87 Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l'état que vous portez ?
Molière, l'Avare, I, 4.
♦ Par anal. || État de maison : train de maison.
88 Ils étalent une grande magnificence; mais du reste, ils n'ont ni dîner, ni souper, point d'état de maison.
♦ Vx ou littér. ⇒ Art, métier, profession, travail. || Donner un état à qqn. ⇒ Établir, établissement. || Choisir, trouver un état. || Apprendre (cit. 10) un état. || Embrasser un état. || Suivre l'état de son père. — ☑ Loc. Être artisan, avocat, médecin, maçon, infirmière de son état.
89 Et d'elle (je) suis l'humble valet de chambre; C'est mon état.
Clément Marot, Opuscule, IV.
90 Pourquoi (…) voulez-vous que Jean le Roux, qui est honnête homme, aille couper la tête à deux chrétiens, parce qu'il est boucher de son état ?
A. de Vigny, Cinq-Mars, t. II, p. 435.
91 Je ne voyais pas encore quelle carrière pouvait s'ouvrir pour moi. Mon père et ma mère ne m'aidaient guère dans le choix difficile d'un état.
France, la Vie en fleur, XXV, p. 276.
3 (Fin XIVe). Vx ou hist. Condition politique et sociale (en France, sous l'Ancien Régime). || La notion de classe a remplacé celle d'état. || Les trois états : le clergé, la noblesse et les roturiers.
92 Ils (les coutumiers, au XIIIe siècle) ne font que préciser une distinction toute traditionnelle et spontanée de la société en trois « états » ou classes : ceux qui prient (oratores), ceux qui se battent (bellatores), ceux qui travaillent (laboratores). Chaque état a sa fonction sociale et son statut juridique, avec son lot d'avantages (privilèges), et de charges corrélatives. Les états sont étroitement solidaires (…) Et ils sont hiérarchisés. (Au XVIIIe siècle) la structure sociale de l'ancien régime repose toujours (…) sur la distinction juridique des classes. Mais si les classes sont distinctes, elles doivent rester unies (…) il existe des confréries pour « entretenir l'union et la bonne intelligence parmi les trois états ».
Fr. Olivier-Martin, Précis d'hist. du droit franç., p. 169-170 et 373.
♦ (1375). || Tiers état [tjɛʀzeta] : le troisième état, comprenant ceux qui ne sont ni de la noblesse ni du clergé. || Le tiers état correspondait à la classe moyenne (⇒ Bourgeoisie), aux artisans et aux paysans. || Le rôle du tiers état dans la Révolution de 1789. || Essai sur l'histoire de la formation du tiers état, d'A. Thierry (1850).
92.1 Qu'est-ce que le tiers état ? Tout. Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À devenir quelque chose.
Sieyès, Qu'est-ce que le tiers état ? (janv. 1789).
93 Il joignait à l'habit noir et à la longue chevelure, costume du tiers état, un grand sabre nu qu'il portait sous le bras.
Rivarol, Politique, I, III, 1.
94 Dans cet ordre (le Clergé) on voyait très distinctement deux ordres : une noblesse, un tiers état : une trentaine de prélats (…) à part et séparés d'eux (…) l'humble troupe de deux cents curés (…)
Michelet, Hist. de la Révolution franç., t. I, p. 101.
95 Un grand changement s'opère au dix-huitième siècle dans la condition du tiers état. Le bourgeois a travaillé, fabriqué, commercé, gagné, épargné, et tous les jours il s'enrichit davantage.
Taine, les Origines de la France contemporaine, II, t. II, p. 165.
♦ Les états : les députés, représentants des trois ordres; assemblée formée de ces représentants. || Assembler, réunir les états. || Tenue d'états. — États provinciaux : assemblée des trois ordres d'une province. — Pays d'états : provinces tardivement réunies à la couronne et qui avaient encore une assemblée des trois états, au XVIIIe siècle. || Pays d'états (par ex. : Bretagne, Bourgogne, Provence). || Les pays d'états s'opposaient aux pays d'élections et aux pays d'imposition (⇒ Élection, II., 2.).
♦ (1606). || États généraux : assemblée issue des cours plénières, convoquée par le roi pour donner des avis ou voter des subsides. || Les états faisaient connaître les vœux de la population au moyen des cahiers de doléances. || États généraux de 1302, de 1356 (Paris); états de Tours, d'Orléans (1560), de Blois (1576, 1588 : états de la Ligue). || Les états de Paris de 1614 furent les derniers avant les états généraux de 1789. || Le 17 juin 1789, une partie des députés des états généraux (tiers état et une partie du clergé) se proclame Assemblée nationale constituante.
96 Une tenue d'états, ou les chambres assemblées pour une affaire très capitale, n'offrent point aux yeux rien de si grave ou de si sérieux qu'une table de gens qui jouent un grand jeu (…)
La Bruyère, les Caractères, VI, 72.
97 Ils assemblaient souvent les états généraux, sans lesquels il n'y a point proprement de nation.
G. T. Raynal, Hist. philosophique…, I, 18.
98 La convocation des états généraux de 1789 est l'ère véritable de la naissance du peuple. Elle appela le peuple entier à l'exercice de ses droits.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., t. I, p. 83.
———
III Manière d'être (des hommes réunis en société).
1 (XVIIIe). Au sens large. || Peuple, tribu à l'état de nature, à l'état sauvage. || État civilisé. Spécialt. || État de nature, état naturel : état hypothétique de l'homme avant toute vie sociale (dans les anciennes théories de Hobbes, Grotius, J.-J. Rousseau, etc.).
99 Comparez sans préjugés l'état de l'homme civil avec celui de l'homme sauvage, et recherchez, si vous le pouvez, combien, outre sa méchanceté, ses besoins et ses misères, le premier a ouvert de nouvelles portes à la douleur et à la mort.
Rousseau, De l'inégalité parmi les hommes, Notes.
100 Il (l'homme) avait dans le seul instinct tout ce qu'il lui fallait pour vivre dans l'état de nature (…)
Rousseau, De l'inégalité parmi les hommes, 1re part.
2 (1640). Vieilli. Forme de gouvernement; régime politique et social. ⇒ Régime; démocratie, dictature, monarchie, république, etc. || L'état démocratique, populaire. || État monarchique, dictatorial, tyrannique.
101 Le pire des États, c'est l'État populaire.
Corneille, Cinna, II, 1.
102 Les Athéniens affranchis dressent des statues à leurs libérateurs et rétablissent l'état populaire.
103 Les enfants commencent entre eux par l'état populaire, chacun y est le maître (…)
La Bruyère, les Caractères, XI, 57.
104 Le plus mauvais état social, à ce point de vue, c'est l'état théocratique, comme l'islamisme et l'ancien État pontifical, où le dogme règne directement d'une manière absolue.
Renan, Souvenirs d'enfance…, Préface, p. 15.
105 Ancien Régime, Révolution, Régime nouveau, je vais tâcher de décrire ces trois états (…)
Taine, les Origines de la France contemporaine, t. I, I, Préface, p. VIII.
106 Pour un nouvel état social il naissait un droit nouveau.
Fustel de Coulanges, la Cité antique, p. 375.
3 (Fin XVe). Mod. (avec une majuscule). Autorité souveraine s'exerçant sur l'ensemble d'un peuple et d'un territoire déterminés. ⇒ Cité (3.), chose (publique), communauté (nationale), corps (politique), nation, société; et aussi 3. droit (droit public, cit. 66 à 68), souveraineté. || Critérium juridique de l'État (au regard du droit international) : compétence générale de l'État; dépendance immédiate à l'égard des règles internationales. || « Les États membres d'une Union réelle et les États membres d'un État fédéral sont seulement des États au sens du droit constitutionnel, pas au sens du droit international » (Delbez). || La nation et l'État. ⇒ Nation. || Nations qui ne constituent pas des États. || Notion, idée de l'État (→ Agent, cit. 8; entité, cit. 4 et 5). || Théories de l'État.
107 L'État est un être énorme, terrible, débile. Cyclope d'une puissance et d'une maladresse insignes, enfant monstrueux de la Force et du Droit, qui l'ont engendré de leurs contradictions. Il ne vit que par une foule de petits hommes qui en font mouvoir gauchement les mains et les pieds inertes et son gros œil de verre ne voit que des centimes ou des milliards.
Valéry, Autres rhumbs, p. 194.
108 L'État est la personnification juridique d'une nation, consécutive à la centralisation politique, économique, juridique des éléments de la nation, réalisée en vue de la création du régime civil.
M. Hauriou, Droit public, p. 304 (éd. de 1916).
109 Le terme d'État n'est pas très ancien; la plupart des idées qu'il évoque, celle de pouvoir comme celle de l'ordre, remontent pourtant à la cité grecque (…) C'est au XVIe siècle que la notion moderne de l'État est entrée dans la terminologie politique (…) Elle marque l'apparition de pouvoirs absolus, mais localisés, situés, renfermés dans des frontières (…) Le terme d'État évoque d'abord l'idée de pouvoir, de pouvoir efficace, protégé, organisé (…) Pouvoir efficace, l'État implique aussi un pouvoir souverain (…) Cette souveraineté s'affirme à la fois sur le plan interne et sur le plan international (…) l'État se définit encore comme pouvoir légitime (…)
J. Donnedieu de Vabres, l'État, p. 5-9.
110 L'idée d'État paraît (…) d'une ambiguïté essentielle. En un sens, l'État est le pouvoir suprême et transcendant, qui a mission d'exercer entre les diverses forces collectives un arbitrage souverain; il exprime la collectivité dans son unité. Mais d'autre part, si le pouvoir politique domine théoriquement toutes les autres formes d'autorité, il (…) n'est le plus souvent que leur reflet.
J. Donnedieu de Vabres, l'État, p. 13-14.
♦ Les affaires (cit. 57) de l'État (⇒ Politique). || Administration des affaires de l'État. ⇒ Administration, département, gouvernement; ministère. || Fonction sociale de l'État : législation, réglementation du travail; sécurité sociale. || Rapports de l'État et des syndicats. || Syndicalisme d'État. — Éducation d'État. || Enseignement, école d'État (opposé à privé). ⇒ Public. — L'État et l'opinion. || Agence d'information d'État. || Radiodiffusion, radiotélévision d'État.
111 Si l'État doit respecter la liberté d'opinion (…) il doit (…) la protéger contre les divers abus d'influence possibles (…) Sans assumer directement lui-même la responsabilité d'une information objective, du moins peut-il empêcher l'accaparement par quelques-uns des moyens d'expression (…)
J. Donnedieu de Vabres, l'État, p. 118.
♦ Défense de l'État : défense nationale. || Forces militaires de l'État. || Sûreté de l'État. ⇒ Sûreté. || Police d'État. || Souveraineté de l'État. || Le bien, l'intérêt de l'État. || Servir l'État. || Le soutien, l'appui (cit. 15) de l'État. || Les colonnes de l'État. — Pouvoir, puissance de l'État. || Mainmise de l'État sur les entreprises privées (→ Assujettir, cit. 6). || Tyrannie, emprise de l'État. || L'État-Moloch. || Faiblesse de l'État. || Doctrines sur l'État. ⇒ Dirigisme, étatisme, individualisme, libéralisme. — (1890, in D. D. L.). || Socialisme d'État.
112 (…) l'État (…) doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit point contraire à sa santé.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXIII, XXIX.
113 (…) il n'y a que la force de l'État qui fasse la liberté de ses membres.
Rousseau, Du contrat social, II, XII.
114 (…) si l'État est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous périssons.
Valéry, Regards sur le monde actuel, p. 72.
115 Enfin, la question si difficile et si controversée des rapports entre l'individu et l'État se pose : l'État, c'est-à-dire l'organisation de plus en plus précise, étroite, exacte, qui prend à l'individu toute la portion qu'il veut de sa liberté, de son travail, de son temps, de ses forces et, en somme, de sa vie, pour lui donner (…) de quoi jouir du reste, développer ce reste ?
Valéry, Variété III, p. 284.
116 Toutes les révolutions modernes ont abouti à un renforcement de l'État.
Camus, l'Homme révolté, p. 221.
♦ Rapports de l'Église et de l'État. ⇒ Culte, église. || Séparation de l'Église (cit. 7) et de l'État. || Religion d'État. || Laïcité de l'État. || Constitutions, forme de l'État. || Changer la forme de l'État. || Conceptions de l'État : État libéral, démocratique; État totalitaire. || État capitaliste, bourgeois. || État prolétarien, socialiste.
117 (…) c'est sans attentat
Que vous avez changé la forme de l'État.
Corneille, Cinna, II, 1.
118 (l'État totalitaire) exige que la totalité de l'homme lui appartienne, alors que l'État démocratique admet que le citoyen, une fois qu'il a satisfait aux obligations de l'impôt et du sang, connaisse la libre disposition d'une grande partie de lui-même (…)
Julien Benda, la Trahison des clercs, Préface, note 3, p. 80.
119 L'État prolétarien (…) n'a donné aucun signe d'anémie progressive.
Camus, l'Homme révolté, p. 286.
♦ Homme d'État : celui qui a une charge, un rôle dans l'État, le gouvernement. ⇒ Politique (homme politique), politicien. — Par ext. Celui qui a des aptitudes particulières pour gérer les grandes affaires de l'État, diriger le gouvernement. || C'est un bon administrateur, un bon chef de parti, mais non pas un véritable homme d'État. — Femme d'État : femme politique qui joue un rôle dans l'État, dans le gouvernement.
♦ Chef d'État : personne qui exerce l'autorité souveraine dans un pays. || Femme chef d'État. || Un chef d'État étranger. || Plusieurs chefs d'État étaient présents à la conférence. — (Déb. XIXe). || Chef de l'État. || Le chef de l'État. || Liste civile du chef de l'État. || Être un maître absolu (cit. 3) de l'État. — Ministre, secrétaire d'État. — Conseil d'État. ⇒ Conseil.
♦ (1580; fig. au XVIIe). || Affaire d'État : affaire qui concerne l'État, qui ressortit à l'État (et qui dépasse par son importance, sa portée, ses conséquences possibles, les individus, les groupes qui le composent). Fig. Affaire importante, grave. || Ne faites pas de cette vétille une affaire d'État.
120 Et c'est chez la Princesse une affaire d'État.
Molière, la Princesse d'Élide, I, 2.
♦ Trahison envers l'État. — Crime d'État : tentative pour renverser les pouvoirs établis. — Attentat (cit. 5 et 9) à la sûreté de l'État. || Cour de sûreté de l'État. Par ext. || Ce n'est pas un crime d'État : ce n'est pas une faute grave.
121 Et d'un mot innocent faire un crime d'État.
Boileau, Satires, IX.
♦ Par analogie :
122 Autant que je le puis, je déguise son crime,
Et nomme seulement imprudence d'État
Ce que nous aurions droit de nommer attentat.
Corneille, Sophonisbe, V, 6.
123 Jamais un coup d'État ne fut mieux entrepris.
Corneille, Pompée, III, 3.
b (V. 1800). Conquête ou tentative de conquête du pouvoir par des moyens illégaux, anticonstitutionnels. ⇒ Pronunciamento, putsch. || Entreprendre, tenter, réussir un coup d'État. || Le coup d'État du 18 brumaire (1799), par lequel Bonaparte s'empara du pouvoir. || Tentative de coup d'État.
124 Le coup d'État était cuirassé, la République était nue; le coup d'État avait un porte-voix, la République avait un bâillon.
Hugo, Histoire d'un crime, I, VII.
♦ Fig. Action brusque, violente, contre un ordre de choses établi. || Faire un coup d'État dans sa famille.
125 J'ai de fortes raisons qui m'ont fait révéler
Un hymen que vous-même aviez peine à celer :
C'était un coup d'État, et vous verrez l'issue.
Molière, le Dépit amoureux, III, 7.
♦ (1609, cit. 126). || Raison d'État : considération d'intérêt public que l'on invoque pour justifier une action illégale, injuste, en matière politique. || Invoquer à tort la raison d'État. || Léser des intérêts particuliers au nom de la raison d'État. Par anal. || Scrupule d'État, vertu d'État (Corneille). — Fig. || Raison d'État : prétexte, raison donnée pour justifier une action.
126 (…) il n'est point de sottise Dont, par raison d'État, leur esprit ne s'avise.
Mathurin Régnier, Satires, X.
127 Car ce n'est point l'amour qui fait hymen des rois :
Les raisons de l'État règlent toujours leur choix (…)
Corneille, Don Sanche, IV, 5.
128 Nous n'avons point d'État. Nous avons des administrations. Ce que nous appelons la raison d'État, c'est la raison des bureaux.
France, l'Anneau d'améthyste, V, Œ., t. XII, p. 93.
129 Mussolini, juriste latin, se contentait de la raison d'État qu'il transformait (…) en absolu. « Rien hors de l'État, au-dessus de l'État, contre l'État. Tout à l'État, pour l'État, dans l'État ».
Camus, l'Homme révolté, p. 227.
♦ Secret d'État. ⇒ Secret.
♦ Poét. || Le char, le vaisseau de l'État. Allus. littér. ⇒ Char, cit. 3 — La barque de l'État (→ Précepte, cit. 2).
♦ Allus. hist. || L'État, c'est moi, phrase que Louis XIV aurait prononcée lors de la séance du parlement du 13 avril 1655.
130 (…) tout l'État est en la personne du prince (…)
Bossuet, Politique…, VI, I, 1.
131 (…) en politique, le nombre seul est respectable (…) C'est pourquoi le Tiers pose son droit comme incontestable, et, à son tour, dit comme Louis XIV : « L'État, c'est moi ».
Taine, les Origines de la France contemporaine, II, t. II, p. 192.
♦ Loc. || Un État dans l'État : un groupement, un parti qui acquiert une certaine autonomie au sein d'un État, échappe plus ou moins à l'autorité gouvernementale. || Dans ce pays, la magistrature, la presse… l'armée forme un État dans l'État.
132 L'année 1629 marqua la défaite finale du protestantisme comme parti politique et comme État dans l'État.
J. Bainville, Hist. de France, XI, p. 200.
♦ (Opposé aux pouvoirs et services locaux). Ensemble des services généraux d'une nation. ⇒ Gouvernement, pouvoir (central); administration (cit. 3), service (public). || On oppose l'État aux communautés locales (département, commune). || État centralisé, décentralisé (⇒ Centralisation, décentralisation). || Occuper un emploi permanent dans une administration de l'État (⇒ Fonctionnaire). || L'appareil de l'État. || L'appareil d'État. || Bureaucratie d'État.
133 (…) la machine de l'État et du gouvernement.
La Bruyère, les Caractères, X, 7.
134 L'État (…) c'est un monsieur piteux et malgracieux assis derrière un guichet.
France, M. Bergeret à Paris, XVII, Œ., t. XII, p. 449.
♦ Les finances de l'État. || Les dépenses de l'État : dépenses publiques. || La dette de l'État (→ Assignation, cit.). || Le budget de l'État. || Les coffres, le trésor de l'État. ⇒ Trésor. || Contrôle, fixation des prix et des salaires par l'État. || Impôt d'État (opposé à impôts locaux). ⇒ Fisc, impôt. || Emprunt d'État. — Fam. || Voyager aux frais de l'État (→ Aux frais de la princesse, sur le dos du contribuable).
♦ Activités économiques de l'État. ⇒ Établissement (public), office, régie, service (public), société (nationale); nationalisation; dirigisme, étatisme, socialisme; et aussi économie, I., 3. || Biens de l'État; domaine de l'État. ⇒ Domaine (supra cit. 3 : domaine public). || Responsabilité de l'État, en cas de faute du service public. || Participation de l'État aux entreprises d'intérêt général. || Aide de l'État, somme allouée (cit.) par l'État (⇒ Subvention). || Contrôle économique de l'État. || Exploitation des mines, etc. par l'État. || Requérir pour l'État. ⇒ Réquisition. — Entreprise, industrie, monopole d'État (⇒ Étatiser). || Chemins de fer de l'État. ⇒ Nationalisé. || Réseau d'État. || Compagnie d'État. || Capitalisme d'État. — Planification par l'État.
135 Il envisagea la substitution en France d'un monopole d'État à ce monopole privé.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XVI, p. 216.
136 (…) ces grandes compagnies qui s'étendent sur tout un continent, qui ne sont finalement à personne, et où chacun travaille, du haut en bas de l'échelle, comme un fonctionnaire dans une industrie d'État.
Sartre, Situations III, p. 129.
137 L'aboutissement inévitable du capitalisme privé est une sorte de capitalisme d'État (…)
Camus, l'Homme révolté, p. 252.
♦ En appos. (ou comp.). (1881; repris 1947, in D. D. L.). || L'État-providence, qui intervient activement dans les domaines social et économique en vue d'assurer aux citoyens des prestations. — (V. 1960). || L'État-patron : l'État en tant qu'employeur.
4 Un État, des États. Groupement humain fixé sur un territoire déterminé, soumis à une même autorité et pouvant être considéré comme une personne morale. ⇒ Empire, nation, pays, puissance, royaume. || Les États européens, du golfe Persique. || Régime, lois d'un État (→ supra, 3.). || État fort, puissant. || Grands, petits États. || État qui s'affaiblit (cit. 12). || État chancelant (→ Assurer, cit. 65). || Territoire, étendue, frontières d'un État. || État tampon. || États satellites. ⇒ Satellite. || Recensement de la population d'un État. || Divisions territoriales d'un État. ⇒ Province, région. — Capitale d'un État. || Sujet, ressortissant d'un État (⇒ Nationalité, naturalisation).
138 Je viens voir si l'on peut arracher de ses bras
Cet enfant dont la vie alarme tant d'États (…)
Racine, Andromaque, I, 1.
139 Je n'ai donc traversé tant de mers, tant d'États (…)
Racine, Andromaque, V, 1.
140 (…) chaque État a ses lois,
Qu'il tient de sa nature, ou qu'il change à son choix.
Voltaire, Brutus, I, 2.
♦ Vx ou littér. || Les États d'un monarque, d'un tyran.
141 Il faut donc, malgré toi, te traîner aux combats, Et te forcer toi-même à sauver tes États ?
Racine, Alexandre, III, 2.
♦ Dr. internat. publ. || États à capacité internationale normale : États souverains. || État unitaire, centralisé ou décentralisé. || État fédéral, fédératif. ⇒ Fédéralisme. || L'U. R. S. S., État multinational. || Union personnelle d'États. — États à capacité internationale restreinte. || État protégé. ⇒ Protectorat. || État sous mandat. || État neutralisé. || États vassaux. || État internationalisé. — États dépourvus de capacité internationale. — Associations d'États : union réelle; confédération. || États confédérés. || Petits États composant la Confédération helvétique. ⇒ Canton. || États associés. || Haut-commissaire représentant un État auprès d'un État associé. || Colonies d'un État. ⇒ Colonie, empire. || État considéré par rapport à ses colonies. ⇒ Métropole. — Naissance d'un État. || Reconnaissance d'un État. — « Le Commonwealth des nations », association d'États unis sous l'autorité de la couronne britannique; les dominions, états indépendants, membres de cette communauté. || État membre d'une communauté internationale (Société des Nations; Organisation des Nations unies…). || Association économique entre États (par ex. : le Marché commun). || Blocs d'États.
♦ Relations entre États. ⇒ Affaire (affaires étrangères), diplomatie, relation (relations internationales, extérieures); traité, institution (internationale). || Conférence, congrès auquel assistent les envoyés, les représentants de plusieurs États. — Conflits entre États. ⇒ Guerre. || État qui en attaque un autre. || États antagoniques (cit.).
142 Pour qu'un État soit dans sa force, il faut que sa grandeur soit telle qu'il y ait un rapport de la vitesse avec laquelle on peut exécuter contre lui quelque entreprise, et la promptitude qu'il peut employer pour la rendre vaine.
Montesquieu, l'Esprit des lois, IX, VI.
143 La vie des États est comme celle des hommes : ceux-ci ont droit de tuer dans le cas de la défense naturelle; ceux-là ont droit de faire la guerre pour leur propre conservation.
Montesquieu, l'Esprit des lois, X, II.
♦ (Dans un nom d'État). || État libre d'Irlande. || Île des États, située à l'est de la Terre de Feu. — États pontificaux. — États-Unis d'Amérique (United States of America) : État fédéral d'Amérique du Nord, situé entre le Canada et le Mexique. Ellipt. || Les États-Unis. || Le dollar, monnaie des États-Unis. || Corps législatif des États-Unis. ⇒ Congrès, union. || Habitant des États-Unis. ⇒ Américain, états-unien. || Aller aux États-Unis. Ellipt. (anglic., trad. de the States). || Aller aux États. — Projets d'États-Unis d'Europe.
144 Il (Napoléon) ne rêvait d'ailleurs certainement pas d'un empire unitaire, mais d'une confédération d'États : il parlera, un jour, des États-Unis d'Europe.
Louis Madelin, Hist. du Consulat et de l'Empire, Vers l'Empire d'Occident, X, p. 130.
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CONTR. 1. Devenir, évolution. — Action (grammaire).
DÉR. et COMP. Étatifier, étatique, étatiser, étatisme. État-major.
Encyclopédie Universelle. 2012.