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devoir

1. devoir [ d(ə)vwar ] v. tr. <conjug. : 28; au p. p. dû, due, dus, dues>
deveir XIe; dift « il doit » 842; lat. debere
IDevoir (qqch.) à (qqn).
1Avoir à payer (une somme d'argent), à fournir (qqch. en nature) à (qqn). Il me doit dix mille francs. « Un pauvre journal d'opinion, [...] qui doit je ne sais combien à l'imprimeur » (Romains). Devoir encore qqch. à qqn (cf. Être en reste, I). Payer, régler ce que l'on doit. se désendetter, rembourser; dette. Personne qui doit de l'argent ( 1. débiteur) , à qui l'on doit ( créancier) . L'argent qui m'est dû. . Par méton. Devoir deux mois (de loyer, etc.).Loc. Je lui (te, vous...) dois bien ça : il mérite bien ça en retour. Fam. Devoir une fière chandelle à qqn.
2Être redevable (à qqn ou à qqch.) de (ce qu'on possède). tenir (de). Il lui doit sa situation. Il ne veut devoir rien (ou rien devoir) à personne. Devoir son surnom à un trait de caractère. Devoir la vie à qqn, être son enfant (vx); avoir été sauvé de la mort par lui. Ceux à qui il doit le jour, ses parents. Les romantiques doivent beaucoup à J.-J. Rousseau. Ce plat doit son goût aux épices. Pass. Être dû à : avoir pour cause. ⇒ résulter (de). Sa réussite est due au hasard. — DEVOIR À (qqn) DE (et inf.). Je lui dois d'être en vie : c'est grâce à lui que je suis en vie.
3Être tenu à (qqch.) par la loi, les convenances, l'honneur, l'équité, la morale. Avec les honneurs qui lui sont dus. Vous lui devez des égards, le respect. Je vous dois une explication (cf. infra Se devoir de).
IISuivi d'un inf.
1Être dans l'obligation de (faire qqch.). 1. avoir (à) (cf. Être tenu, obligé, contraint de; il faut). Il doit terminer ce travail ce soir. Il ne doit pas sortir pendant une semaine, il n'y est pas autorisé. Il a cru devoir refuser. Que devons-nous faire ? Vous auriez dû me prévenir. Ce sont des choses qu'on doit savoir (cf. Être censé). Les choses ne doivent pas en rester là.
(Obligation morale). Tu as agi comme tu devais agir, et ellipt comme tu le devais, comme tu devais.
(Obligation atténuée). Je dois dire, avouer que je me suis trompé.
2Être conduit nécessairement à. Il n'arrive que ce qui doit arriver. Il a dû s'arrêter de fumer. (Fut. du passé) Cela devait arriver : j'avais prédit ce qui arrive. Il devait mourir deux jours plus tard : il est mort deux jours après celui dont je parle (cf. Il allait mourir, il mourra). « ces raffinements de théologie qui devaient bientôt remplir le monde de disputes stériles » (Renan).
3Par ext. Avoir l'intention de. 1. penser. Je dois partir demain. Nous devions l'emmener avec nous, mais il est tombé malade.
4(Marquant la vraisemblance, la probabilité, l'hypothèse). (Dans le présent) On doit avoir froid dans un tel pays, je pense, je crois, je suppose qu'on y a froid ( probablement) . Il doit être grand maintenant et aller à l'école. « Ils ne doivent pas trouver les gens de notre âge très appétissants » (Duhamel). (Au condit.) Je devrais arriver ce soir. (Par politesse) Vous devez vous tromper : vous vous trompez, selon moi (cf. Il me semble que vous vous trompez). — (Dans le passé) Il ne devait pas être bien tard quand il est parti. Il a dû se tromper ou il doit s'être trompé. Vous deviez normalement gagner. « une injuste prévention fait croire que celui qui a dû commettre le crime, l'a commis » (Sade).
5(À l'imp. du subj.) Littér. Quand même, quand bien même (rare, sauf dût-il, dût-elle). « Je ne me chargerais pas d'un enfant maladif et cacochyme, dût-il vivre quatre-vingts ans » (Rousseau). Dussé-je y consacrer ma fortune. Dussent mille dangers me menacer.
III ♦ SE DEVOIR v. pron.
1(Réfl.) Être obligé de se consacrer à. « Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez » (Racine).
Plus cour. SE DEVOIR DE (et inf.). Je me dois de le prévenir : c'est mon devoir de le prévenir.
2(Pass. impers.) Comme il se doit : comme il le faut, ou fam. comme c'était prévu.
⊗ HOM. Durent :durent (durer). devoir 2. devoir [ d(ə)vwar ] n. m.
• fin XIIe; de 1. devoir
1Le devoir. L'obligation morale considérée en elle-même, et indépendamment de son application particulière. obligation; déontique, déontologie (cf. Loi morale). Le sentiment du devoir. Agir par devoir, au nom du devoir moral. « Fidèle par tendresse, par devoir, par fierté » (Colette). Un homme, une femme de devoir, qui respecte l'obligation morale.
♢ SE METTRE EN DEVOIR DE : se disposer à, se préparer à. « les vieilles commères se mirent en devoir de garder le foyer » (Sand).
2Un, des devoirs. Ce que l'on doit faire; obligation éthique particulière, définie par le système moral que l'on accepte, par la loi, les convenances, les circonstances. ⇒ charge, fonction, obligation, office, responsabilité, tâche, 1. travail. Accomplir, faire, remplir, suivre son devoir. Les devoirs envers soi-même, envers son prochain. Assumer tous les devoirs d'un rôle, d'une charge. Devoir pénible. corvée . Il est de mon (ton, son...) devoir de (et inf.). Se faire un devoir de (et inf.). Son devoir lui commande d'agir ainsi. « publiez votre pensée. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir » (P.-L. Courier). « la fidélité au serment passait encore pour un devoir; aujourd'hui, elle est devenue si rare qu'elle est regardée comme une vertu » (Chateaubriand). Manquer, faillir, forfaire à son devoir. Négliger ses devoirs. Loc. Devoir professionnel, attaché à une profession. Devoir conjugal. Devoir de réserve. Les devoirs du citoyen. Spécialt Faire son devoir de citoyen : voter. Les droits et les devoirs de chacun. Les devoirs mondains. obligation.
3Au plur. civilité, hommage, respect. Présenter ses devoirs à qqn. Aller rendre ses devoirs à qqn. Loc. Rendre à qqn les derniers devoirs, l'accompagner à sa dernière demeure ( funérailles) .
4(1720) Un, des devoirs. Exercice scolaire qu'un professeur fait faire à ses élèves. ⇒ composition, épreuve, interrogation (écrite). Il fait ses devoirs à l'étude, à la maison. Tu as fait tes devoirs et appris tes leçons ? Devoir sur table. Corriger des devoirs. Devoirs du soir. Devoirs de vacances.
⊗ CONTR. 3. Droit.

Devoir + infinitif, indique la nécessité, l'obligation : Elle doit éviter l'alcool et le sel ; marque le caractère inéluctable d'un événement : Tous les hommes doivent mourir un jour ; marque la probabilité, l'éventualité d'un événement ou le futur, la formulation d'une hypothèse : Les choses ont dû se passer de la sorte.

devoir
n. m.
d1./d Ce à quoi on est obligé par la morale, la loi, la raison, les convenances, etc. Il a fait son devoir. Manquer à tous ses devoirs.
|| Se mettre en devoir de: commencer à.
d2./d Le devoir: l'ensemble des règles qui guident la conscience morale. Agir par devoir.
d3./d (Plur.) Les derniers devoirs: les honneurs funèbres.
d4./d Tâche écrite donnée à un élève. Faire ses devoirs. Devoir de mathématiques.
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devoir
v.
rI./r v. tr.
d1./d Avoir à donner ou à restituer (une somme d'argent) à qqn. Je te dois vingt francs.
d2./d être redevable de (qqch) à (qqn), tenir de. Il lui doit sa situation. L'égypte doit sa fertilité au Nil.
Devoir à (qqn) de (+ inf.). Je lui dois d'avoir été promu à ce poste.
d3./d Avoir pour obligation (morale) envers (qqn). Il me doit le respect.
rII./r v. auxil. suivi de l'inf., marque:
d1./d La nécessité inéluctable, l'obligation. Nous devons tous mourir. Je dois finir cela avant demain.
d2./d Le futur proche, l'intention. Je dois m'absenter prochainement.
d3./d La possibilité, la vraisemblance. Il doit se tromper.
d4./d (Au conditionnel.) La probabilité. Il devrait être près du but, maintenant.
d5./d (Au subjonctif imparfait, avec inversion du sujet.) Litt. Même si. Je le ferai, dussé-je y passer la nuit. Il fera des excuses, dût-il en mourir de honte.
rIII/r v. Pron.
d1./d Se devoir à: avoir des obligations morales envers. On se doit à sa famille.
|| Se devoir de: avoir le devoir de. Je me dois de garder le secret.
d2./d (Impers.) Cela se doit: cela doit être.
Comme il se doit: comme il le faut.

I.
⇒DEVOIR1, verbe.
I.— Verbe trans.
A.— Emploi trans.
1. [Il marque l'obligation; le compl. d'obj. désigne ce dont le suj. est tenu de s'acquitter envers qqn ou envers qqc.]
a) [L'obj. de la créance est de l'argent]
) [À la forme active, le suj. désigne une pers.; le compl. d'obj. dir. désigne]
[la nature ou le montant de la dette] Avoir à payer (une somme), à fournir (quelque chose) (à quelqu'un). Devoir de l'argent, ses impôts, cent mille francs. Ravier. — Voici ce que je vous dois. Je vous donne moins que l'autre fois, selon votre désir (MONTHERL., Celles qu'on prend, 1950, p. 775). Il va exiger les huit mille roubles que je lui dois (CAMUS, Possédés, 1959, 1re part., 2e tabl., p. 951) :
1. Or, mon père mourut pauvre; on lui devait vingt-huit mille francs de solde arriérée, on ne les paye pas à sa veuve; on devait à sa veuve une pension, on ne la lui donna pas.
DUMAS père, Napoléon Bonaparte, 1831, préf. p. 2.
Loc. proverbiales. Devoir plus d'argent qu'on n'est gros, (vx) de l'argent plus qu'on n'est gros. Devoir énormément d'argent (cf. HAUTEL t. 1 1808). Qui terme a ne doit rien. L'acquittement d'une dette n'est pas exigible avant le terme fixé. Le prix!... c'est une affaire que vous réglerez plus tard!... qui a terme ne doit rien (DUMAS père, Intrigue et amour, trad. de Schiller, 1847, III, 1, p. 244).
SYNT. Devoir des mille et des cents, des sommes folles, plus qu'on ne peut payer.
[le dédommagement que l'on est tenu d'acquitter] Devoir réparation. Devoir une somme d'argent en compensation d'un dommage que l'on a causé. Le dommage dont il sera dû réparation.
[P. méton. du nom obj.]
♦ [Un obj. au règlement duquel on n'a pas encore satisfait] :
2. Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s'en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette.
HUGO, Les Misérables, t. 1, 1862, p. 223.
♦ [la durée d'échéance d'une dette] :
3. ... on devait plus de quinze jours à Lestiboudois, deux trimestres à la servante, quantité d'autres choses encore, et Bovary attendait impatiemment l'envoi de M. Derozerays, qui avait coutume, chaque année, de le payer vers la Saint-Pierre.
FLAUBERT, Madame Bovary, t. 2, 1857, p. 28.
) En emploi abs. Être obéré d'une ou de plusieurs dettes d'argent. Ils [Paul et sa femme] devaient partout dans le quartier (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 248). Et l'embêtant, dans la vie, vois-tu, ça n'est pas de devoir, c'est de payer (TOULET, J. fille verte, 1918, p. 269) :
4. [Gobseck :] — Si le roi me devait, madame, et qu'il ne me payât pas, je l'assignerais encore plus promptement...
BALZAC, Gobseck, 1830, p. 394.
SYNT. Devoir partout, de tous les côtés, dans tout le quartier.
Loc. Devoir de reste. Avoir à acquitter un surplus de dette. Au fig., proverbial, vx. Il croit toujours qu'on lui en doit de reste. Il n'est jamais satisfait de ce qu'on fait pour lui (cf. HAUTEL t. 1 1808).
Loc. et proverbes, souvent au fig., vieillis. Devoir à Dieu et à Diable, à Dieu et au monde, au tiers et au quart, de tous côtés, à tout le monde. Être criblé de dettes (cf. HAUTEL t. 1 1808 et Ac. 1878). Qui doit a tort. Le tort est toujours du côté du débiteur (cf. HAUTEL t. 1 1808 et Ac. 1878). Quand on doit, il faut payer ou agréer. S'acquitter en espèces ou, à défaut, en bonnes paroles, en promesses (Ac. 1878). Qui nous doit nous demande. ,,Se dit lorsqu'on a sujet de se plaindre de la personne même qui se plaint`` (Ac. 1878). En devoir à qqn. L'avoir offensé et s'exposer à une vengeance (cf. HAUTEL t. 1 1808 et Ac. 1878). N'en devoir guère. Ne pas céder, en qualité, à quelqu'un ou à quelque chose (cf. Ac. 1878). Ils ne s'en doivent guère. Sous le rapport des défauts ils se valent (Ac. 1878).
) [À la forme passive; le compl. d'obj. devenu suj. désigne]
[la somme que l'on est tenu d'acquitter, l'obj. dont le montant est à acquitter] [Cession] faite à un créancier en paiement de ce qui lui est dû (Code civil, 1804, art. 1701, p. 310). Il a beau refuser à son père la moindre reconnaissance, trouver que cette pension lui est bien due (NIZAN, Conspir., 1938, p. 109) :
5. Il faut que vous sachiez qu'en demandant le bouton au duc de Brécé, vous ne ferez que réclamer ce qui m'est dû... parfaitement... ce qui m'est dû.
FRANCE, L'Anneau d'améthyste, 1899, p. 131.
[qqn dont la pers. physique est tenue comme servant à l'acquittement d'une dette symbolique] Au fig. :
6. Une quantité de Socrates est née avec moi, d'où peu à peu se détacha le Socrate qui était dû aux magistrats et à la ciguë.
VALÉRY, Eupalinos, 1923, p. 96.
b) [L'obj. de la créance est autre chose que de l'argent; en parlant d'une pers.] Être tributaire d'une chose dont la morale, l'usage exigent que l'on s'acquitte.
) [En constr. double] Devoir qqc. à qqn. Vous me devez une explication. La Comtesse. — Vous l'aurez. Nous l'aurons tous (ANOUILH, Répét., 1950, III, p. 66). Je parlais peu, me réfugiant derrière le prétexte du rapport que je devais d'abord à la Seigneurie (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 312) :
7. — Tu sais, dit-il, je te dois des excuses pour hier soir. Je t'ai frappé bien malgré moi, je voulais t'empêcher de me faire une confidence que tu regretterais ensuite et dont tu me tiendrais rigueur, peut-être.
GREEN, Moïra, 1950, p. 147.
Locutions
Devoir une belle, une fière chandelle à qqn (p. allus. au fait d'offrir un cierge en vue d'appeler une bénédiction sur la pers. à qui l'on est redevable de qqc.). Cf. chandelle B 2.
Je lui dois bien ça (fam.). Il mérite cela pour le bienfait qu'il m'a témoigné. Tu dois bien ça à tes hommes. Tu les fais assez marcher depuis un mois (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Rois, 1887, p. 1293) :
8. L'assassin lui donne la cigarette
et la victime dit Je vous en prie
je vous dois bien ça...
PRÉVERT, Paroles, Événements, 1946, p. 58.
) En emploi abs. Ainsi que dû (cf. dû, due).
SYNT. a) Libres (le compl. est déterminé par un article). Devoir des égards, des excuses, de la gratitude, de la reconnaissance, des remerciements à qqn; je vous dois cet avis, cette justice; le respect dû à sa personne; la justice qui lui est due; l'obéissance due à l'Église, etc. b) De caractère locutionnel (le compl. n'est pas déterminé par un article). Devoir compte de qqc. (en fournir l'état, la raison); je vous dois compte de sa conduite; devoir obéissance, protection, réparation à qqn.
[P. personnif. du suj. désignant l'œuvre ou l'expression de la volonté de pers. morales] Être tenu à. La loi doit protection à la veuve et à l'orphelin.
[En ce sens l'obj. du verbe peut être de + inf.] Devoir à qqn de + inf. — J'ai cru vous devoir, monsieur, lui répondis-je [au ministre] de vous écouter en silence (CONSTANT, Adolphe, 1816, p. 68).
Rem. Vouloir est associé à devoir dans la mesure où ce verbe, exprimant une intention délibérée, ne marque pas cependant que l'obj. soit matière d'une obligation. Oui, je vais vous aimer, je le veux (je le dois En outre) (VERLAINE, Œuvres compl., t. 1, Jadis, 1884, p. 327).
2. [Le compl. d'obj. désigne ce qui motive une obligation à laquelle le suj. est tenu vis-à-vis de qqn ou de qqc.] Être redevable de quelque chose à quelqu'un ou à quelque chose, tenir quelque chose par son action, initiative, entremise, etc.
a) Devoir qqc. à qqn.
) [Le suj. désigne une pers. ou une collectivité] Il lui doit tout; il veut ne rien devoir à personne. Je t'ai pris au soleil aussi nu qu'un reptile; C'est à moi que tu dois pain, vêtements, asile, Esclave (DUMAS père, Charles VII, 1831, I, 1, p. 235). Le riche cousin à qui papa devait sa situation organisa une fête pour ses enfants et leurs amis (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 103) :
9. ... Quand j'étais en province au lycée [dit le malade au docteur citoyen] (...) un professeur âgé, blanc, honorable (...) nous enseignait. Nous lui devons plus pour nous avoir donné l'exemple d'une longue et sérieuse vie universitaire que pour nous avoir préparés patiemment au baccalauréat.
PÉGUY, De la Grippe II, 1900, p. 6.
Loc. verbale. Devoir la vie à qqn.
♦ Avoir reçu la vie de, être né de quelqu'un. Et tu veux que j'hésite et que je sois avare De mes jours, que je dois aux ombres du Ténare? (MORÉAS, Iphigénie à Aulis, 1903, p. 251).
♦ Avoir été sauvé par quelqu'un. Da Silva. — Mieux valait mourir que de devoir la vie à cet homme (DUMAS père, Darlington, 1832, prol., p. 20) :
10. DON FERNANDO. — Qu'est ceci? Rodrigo, seul! Qu'y a-t-il?
DON RODRIGO. — Une chute malheureuse, un malheureux échec! Mais tout est malheur, et par-dessus tout que je doive la vie au rival dont je veux la mort.
CAMUS, Le Chevalier d'Olmedo, 1957, 3e journ., 8, p. 793.
SYNT. Devoir son existence à, sa fortune à, le jour à, sa naissance à, son origine à, sa situation à.
) [Le suj. désigne une chose] Au fig. Devoir son nom à, son succès à (qqn ou qqc.). Qui peut dire ce que le chauvinisme et le militarisme français doivent à Corneille, Béranger, Hugo, Déroulède? (AYMÉ, Confort, 1949, p. 19). Et cet instinct d'ordre, de mesure, ce refus des extrêmes, que je dois à mon hérédité (MARTIN DU G., Souv. autobiogr., 1955, p. LXXX) :
11. L'on sert d'abord une soupe grasse, qui diffère de la nôtre en ce qu'elle a une teinte rougeâtre qu'elle doit au safran dont on la saupoudre pour lui donner du ton.
GAUTIER, Tra los montes, Voyage en Espagne, 1843, p. 23.
Spéc., à la forme passive. [Le verbe exprime une relation de conséquence à cause] Être dû à. Être causé par, provoqué par :
12. En outre, elles refusent d'avoir des enfants. Leur carence est due à leur éducation, au féminisme, à un égoïsme mal compris. Elle est due aussi aux conditions économiques, à l'instabilité du mariage, à leur déséquilibre nerveux...
CARREL, L'Homme, cet inconnu, 1935, p. 363.
b) [L'obj. désigne un procès] Être redevable (en bonne ou en mauvaise part).
Devoir à qqn de + inf. :
13. ... le vieux bonhomme [Renan] à qui je dois d'avoir appris beaucoup de choses avec plaisir et facilité. C'était un professeur de génie; il avait le don de communiquer son savoir avec la simplicité d'une source qui se laisse couler.
GREEN, Journal, 1949, p. 302.
Devoir à qqc. de + inf. Mais ils devaient à leur origine parisienne (...) de partager avec leurs concitoyens le préjugé, presque la vénération du Théâtre (VERLAINE, Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 95). C'est à ma mauvaise chance que je dois d'en être là (CAMUS, Dév. croix, 1953, 1re journ., p. 537) :
14. ... ce sont les maîtres que j'ai fréquentés aux Chartes qui m'ont révélé ce que sont, chez un chercheur scrupuleux, la conscience scientifique et les exigences de l'honneur professionnel. (...). Un tel contact m'a pour toujours marqué. Je dois à leur exemple de m'être perpétuellement défié des besognes impromptues.
MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques, 1955, p. LI.
B.— Emploi pronom.
1. Pronom. réfl.
a) Réfl. dir. Être tenu de se dévouer à (quelqu'un ou quelque chose). Vous vous devez à Camille qui vous adore (BALZAC, Béatrix, 1839-45, p. 185). Désormais les Français ne s'appartiennent plus; ils se doivent à la révolution qui va changer le monde (FRANCE, Étui nacre, Aube, 1892, p. 250) :
15. ... la France de demain sera au premier rang des nations qui sont grandes et qui se doivent d'autant plus au droit et à la liberté de tous.
DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1956, p. 516.
SYNT. Se devoir aux siens, à sa famille, à sa patrie; se devoir à son travail, à sa tâche.
b) Réfl. indir.
) [Le compl. d'obj. (subst. ou pron.), construit directement, désigne ce que l'on est tenu de faire sien en vertu de la morale ou de l'usage] Le roi ne manqua certes à rien de ce qu'il se devait à lui-même (BALZAC, Cath. de Médicis, Introd., 1843, p. 40). Les noirs ne plaisent jamais aux blanches, et, quoique ma fille ne soit pas créole, elle a les principes qu'elle se doit (SAND, M. Sylvestre, 1866, p. 54) :
16. J'ai restitué la visite par billet, sans demander s'il y était, mais en personne; c'est un mezzo termine qui accorde ce qu'on doit avec ce qu'on se doit.
J. DE MAISTRE, Correspondance, 1811-14, p. 3.
) [Pour désigner ce que l'on se croit tenu d'accomplir en vertu de la morale ou de l'usage]
Se devoir + de + inf. Il [l'Opéra] se doit à lui-même d'étendre et de varier un répertoire lamentablement insignifiant (P. LALO, Mus., 1899, p. 304). On veut que je sois l'ennemi de Claudel. Qu'il se doive d'être le mien, ce n'est pas du tout la même chose (GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1223) :
17. Alors, (...) songeant qu'il se devait de prendre seul désormais le soin de ses habits, dont il s'était remis jusqu'à ce jour à madame Bergeret, il alla droit chez le savetier.
FRANCE, Le Mannequin d'osier, 1897, p. 129.
2. Pronom. réciproque indir. Être tenu mutuellement à (quelque chose) (en parlant de deux ou plusieurs personnes). Les époux se doivent assistance et fidélité. Mon Dieu! Je ne dis pas, je ne me fais pas meilleur qu'un autre. Mais on se doit des honnêtetés entre camarades, quand on n'est pas des sauvages, et un petit verre par-ci par-là, ça ne fait de tort à personne (BLOY, Femme pauvre, 1897, p. 27) :
18. Les hommes (...) sont tous, les uns à l'égard des autres, dans un état de société mutuelle, qui met, entre eux tous, des rapports de service, d'affection, de dépendance : unique raison, non seulement de l'assistance réciproque, mais même des signes extérieurs d'honnêteté et de bienveillance que les hommes se doivent les uns aux autres dans le commerce de la vie.
BONALD, Législ. primitive, t. 2, 1802, p. 67.
3. Pronom. passif. [Le suj. est un pronom neutre ou le mot chose avec un sens équivalent] Être dû. C'est une chose qui se doit; ce qui se doit. Comme il se doit. Comme il convient, comme il le faut. Comme il se doit dans la bonne société française, les hommes parlaient entre eux (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 411). Mes amitiés sont demeurées aussi chastes qu'il se devait (GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1242). Fam. Comme cela devait arriver.
Ça se doit (fam.). C'est une chose due (pour respecter les convenances). Et ça coûte pas beaucoup, les grand'mercis, et ça montre qu'on est bien élevé, et puis ça se doit (GIONO, Regain, 1930, p. 210) :
19. Ce bain [à Mayence] m'avait rendu faible, et je sentais toutes mes fatigues, sans compter les plus atroces douleurs, que j'ai décrites à Nacquart-Esculape, et qui m'ont fait revenir dare dare à Paris, ne voulant être tué que de sa main. Cela se doit.
BALZAC, Lettres à l'Étrangère, t. 2, 1850, p. 244.
Ça ne se doit pas (fam.). Cela ne se fait pas. Les maires de Couches, de Cerneux et de Soulanges nous ont envoyé leurs pauvres, dit Groison, qui avait vérifié les certificats, ça ne se devait pas (BALZAC, Paysans, 1850, p. 354) :
20. ... elle [ma grand'tante] qui brouillée depuis des années avec une nièce à qui elle ne parlait jamais ne modifia pas pour cela le testament où elle lui laissait toute sa fortune, parce que c'était sa plus proche parente et que cela « se devait ».
PROUST, Du côté de chez Swann, 1913, p. 93.
II.— Devoir, auxil. de mode. Devoir + inf., périphrase verbale de mode ou de temps.
A.— Devoir + inf. a une valeur modale; devoir explicite une nécessité plus ou moins pressante à laquelle sont soumis et l'agent d'un procès et le procès lui-même (à la différence de falloir, impersonnel, dont la modalité n'affecte que le procès).
1. La modalité affecte l'agent (explicite ou implicite) du procès; elle définit sa situation, son état, par rapport à l'action exprimée par l'infinitif; devoir traduit ainsi
a) une nécessité inéluctable à laquelle le sujet est soumis, indépendamment de sa volonté, en vertu de l'ordre des choses ou de la pression des circonstances. Tout doit sur terre mourir un jour. Synon. être dans la nécessité de, être obligé de, être contraint à, en être réduit à; il faut (que). En continuant tout droit sa descente, elle devait nécessairement rejoindre la route de Dombasles, presque parallèle à celle qu'elle venait de quitter (BERNANOS, Mauv. rêve, 1948, p. 1013). Le cœur lui battait si fort qu'il dut s'arrêter pour reprendre haleine (GREEN, Moïra, 1950, p. 247) :
21. ... on prit l'habitude, (...), de se sacrifier pour quelque chose dont on ne savait rien, sinon qu'il fallait mourir pour qu'elle soit. Jusque-là, ceux qui devaient mourir s'en remettaient à Dieu contre la justice des hommes.
CAMUS, L'Homme révolté, 1951, p. 207.
Loc. usuelle. Cela (ça) devait arriver; cela (ça) devait finir comme cela (ça). C'était inéluctable, inévitable.
[l'agent est implicite] Un chemin dut être frayé → on dut frayer un chemin.
Rem. Il a dû partir ayant d'autre part le sens de « il est vraisemblable qu'il est parti » (cf. infra I A 2), on recommande, pour prévenir une ambiguïté éventuelle, d'utiliser être obligé de (il fut obligé de partir) quand une nécessité est en cause; la restriction ne porte que sur l'emploi du passé composé.
SYNT. Devoir forcément, immanquablement, inévitablement, infailliblement, nécessairement (+ inf.).
b) une obligation, non nécessairement contraignante, à laquelle le sujet est et se sent soumis en vertu d'un principe moral ou d'une règle tirée de l'expérience.
) À la forme active. [L'agent est explicite] Les enfants doivent obéir à leurs parents; les choses qu'on doit savoir. « Fais ce que tu veux, tu es assez grand pour savoir ce que tu dois faire » (PROUST, Guermantes 2, 1921, p. 347). La Sœur Angélique. — Les hommes qui nous persécutent doivent être l'objet spécial de notre tendresse et de nos prières (MONTHERL., Port-Royal, 1954, p. 1040) :
22. « ... En attendant, aussi longtemps que mon vote n'aura pas réussi à chasser du pouvoir ceux qui, jusque-là, y représentent la volonté du plus grand nombre, (...), mon devoir est simple. Et indiscutable. Je suis engagé par le pacte social. Je dois plier. Je dois obéir. »
MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 532.
23. ... une dame « comme il faut » ne devait ni se décolleter abondamment, ni porter des jupes courtes, ni teindre ses cheveux, ni les couper, ni se maquiller, (...) si elle transgressait ces règles, elle avait mauvais genre.
BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 82.
Rem. En constr. littér. archaïsante, le pron. réfl. peut précéder l'auxil. Qu'est-ce que vous m'enseignez? Que chacun pour son compte se doit tirer d'affaire! (BARRÈS, Déracinés, 1897, p. 478).
Loc. proverbiale. Fais ce que dois (advienne que pourra). Agis comme tu dois le faire, en conscience :
24. Heurtebise ne t'écarte
Plus de mon âme, j'accepte;
Fais ce que dois, beauté.
COCTEAU, Poèmes, 1916-23, p. 220.
) À la forme passive. [L'agent est implicite] La vérité doit être cherchée → on doit chercher la vérité. Les tensions entre quantités désirées et quantités effectives, qui sont, en fin de compte, les moteurs de la croissance et du progrès, ne peuvent ni ne doivent être éliminées mais aménagées (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 552).
) À la forme négative. [Pour exprimer une défense, une interdiction] Synon. ne pas avoir le droit, la permission de. Elle ne devait recevoir aucune visite : si la fièvre ne tombait pas, elle était perdue (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 357) :
25. ... à mon approche, ils [mes parents] baissaient la voix ou se taisaient. Il y avait donc des choses que j'aurais pu comprendre et que je ne devais pas savoir : lesquelles? Pourquoi me les cachait-on?
BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958 p. 23.
♦ [Ou pour exprimer une obligation, à la forme négative → je ne dois pas + inf.] Non, ma sœur, je crois que je ne dois pas le dire. C'est si vilain, de dénoncer (MONTHERL., Port-Royal, 1954, p. 985).
Assoc. paradigm. En ce sens, devoir est associé à pouvoir dans la mesure où ce verbe traduit
♦ soit une puissance, c'est-à-dire la disposition de moyens propres à réaliser la chose que le sujet doit accomplir. Pouvoir et devoir. — Je manque de courage, gémit-il. Je devrais te parler, mais je ne peux pas (GREEN, Moïra, 1950, p. 82).
♦ soit une éventualité non soumise nécessairement à une obligation. Pouvoir ou devoir. En préparant la guerre, en réarmant, elle [l'avarice des nations] touche pour une œuvre de mort, aux procédés mêmes qu'elle pourrait et devrait employer à l'œuvre de vie (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 355).
c) une intention délibérée du suj.; celui-ci affecte son projet d'un caractère accusé de certitude. Synon. penser, avoir l'intention de; c'est dans son intention (que) de.
À l'actif. [L'agent est explicite] La moisson doit commencer bientôt → on doit bientôt commencer la moisson. Vous feriez peut-être mieux de me laisser me coucher maintenant. Je dois me lever tôt demain pour les enfants (ANOUILH, Répét., 1950, IV, p. 101). Cette semaine, je dois aller à Cape Cod chez des amis, j'ai promis (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 309) :
26. TELLO. — Nous avons trop attendu. Il est dangereux maintenant de prendre la route.
DON ALONSO. — Non, Tello. Je dois partir malgré l'heure. Je veux épargner toute inquiétude à mes parents.
CAMUS, Le Chevalier d'Olmedo, 1957, 3e journée, 10, p. 796.
Rem. 1. L'auxil. peut dans ce cas être synon. de il est convenu que, et se rapproche d'un ordre. J'ai fini par m'adresser à l'association des hôtels. Je dois les rappeler un peu plus tard (BEAUVOIR, op. cit., p. 313). 2. En ce sens, dans le discours dir., devoir ne s'emploie qu'au prés. (je dois y aller) ou à l'imp. (je devais y aller); dans le discours indir. le verbe s'emploie à l'imp. (il devait y aller). a) [Style indir.] Il travaillait à ce motet qu'on devait jouer à la fête de Mme d'Épinay le mois suivant (GUÉHENNO, Jean-Jacques, Roman et vérité, 1950, p. 200). Je croyais que vous deviez travailler à votre livre ce matin (CAMUS, Possédés, 1959, 1re part., 1er tabl., p. 927). b) [Style indir. libre] Anne ne devait pas arriver avant une semaine. Je profitais de ces derniers jours de vraies vacances (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 22).
d) une convenance de caractère social, de nécessité pratique, à laquelle le suj. se sent soumis. Vous devriez dormir, à l'heure qu'il est; vous auriez dû y penser plus tôt. Il [Berryer] m'a dit que je devais l'aller trouver à la campagne quelquefois; je l'aime beaucoup (DELACROIX, Journal, 1853, p. 140).
) [avec une nuance de conseil, de suggestion, d'invitation; souvent au cond. prés.] C'est vrai qu'elle a l'air triste. Vous devriez l'inviter à danser (BEAUVOIR, Mandarins, 1954p. 54).
) [avec une nuance de reproche, de regret; au cond. passé] Vous auriez dû me dire que je devais les mettre en ordre (GIDE, Ansi soit-il, 1951, p. 1208).
Rem. On rencontre l'emploi class. de l'imp. de l'ind. pour le cond. passé. Argante. — Il devait donc aller aussitôt protester de violence chez un notaire. Scapin. — C'est ce qu'il n'a pas voulu faire. Argante. — Cela m'aurait donné plus de facilité à rompre ce mariage (CLAUDEL, Raviss. Scapin, 1952, p. 1324).
) [Dans des formules locutionnelles de politesse (affirmation atténuée : je dois avouer = j'avoue (que)] Je dois dire, je dois reconnaître (que), j'en dois convenir. « Je dois dire que les voyages, ça me semble un mythe », dit Paule (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 15) :
27. L'ABBÉ. — (...). Je dois dire que je viens de trouver Sevrais très compréhensif. Je redoutais un éclat. Comme il est agréable de se trouver devant quelqu'un d'intelligent! Alors les choses s'arrangent toujours.
MONTHERLANT, La Ville dont le prince est un enfant, 1951, p. 919.
e) une capacité, logiquement ou naturellement prévisible, que l'on prête au sujet. Synon. être en état de, être en mesure de, avoir la capacité de :
28. Un observateur initié aux secrets des discordes civiles qui agitaient alors la France aurait pu facilement reconnaître le petit nombre de citoyens sur la fidélité desquels la République devait compter dans cette troupe...
BALZAC, Les Chouans, 1829, p. 6.
2. La modalité affecte le procès; par le moyen de cette périphrase l'auteur du propos traduit l'aspect sous lequel la réalisation d'un procès est conçue par lui.
a) [La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une nécessité ou d'une obligation inhérente] Ça devait (doit, devra, devrait) arriver un jour ou l'autre. — Nous nous sommes disputés et je l'ai poussé à bout. — Ça devait finir comme ça! (BEAUVOIR, Mandarins, 1954 p. 485). Au fond la meilleure garantie qu'une chose doive arriver, c'est qu'elle nous apparaisse vitalement nécessaire (TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955, p. 259) :
29. — Fichu malagauche, dit Croquebol, comment diable qu't'as fait ton compte?
— Eh! Je l'sais t'y! gémit l'infortuné. Ah misère! pourriture de sort; ça d'vait finir comme ça, vois-tu, nous avions eu trop de malheur!
COURTELINE, Le Train de 8 h 47, 1888, 2e part., 8, p. 192.
Rem. 1. Cette modalité est fréq. traduite au moyen de la tournure impers. il doit. Il doit se passer qqc.; il devait bien y avoir qqn qui le savait. Ou se prosterner le front contre la dalle, comme il se doit faire au moment de l'élévation du sacré corps de Jésus-Christ (FRANCE, Puits ste Claire, 1895, p. 131). Sur le balcon, je trouvai une porte vitrée abritée par un store jaune : ça devait être là (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 303). 2. En ce sens le caractère de nécessité ou d'obligation peut être souligné par un adv. (cf. supra I A 1). En peignant le recteur tel qu'il a dû certainement être (LAMENNAIS, Lettres Cottu, 1830, p. 217).
b) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une éventualité hypothétique
) après la conj. si. Si cela doit (devait) se produire un jour. Je les en ferai sortir, même si je devais mettre le feu (CAMUS, Esprits, 1953, p. 465).
ou après quoique, bien que, quelque ... que [Pour exprimer le fut. au subj.] :
30. LA SŒUR ANGÉLIQUE. — Quelque traitement que nous devions souffrir par la puissance séculière, ce nous sera une consolation, Monseigneur, si notre sang ne retombe pas sur vous.
MONTHERLANT, Port-Royal, 1954, p. 1028.
) après la conj. quand, quand même, quand bien même suivie du cond. Quand je devrais y laisser des plumes. « Quand je devrais m'user les doigts jusqu'aux jointures à essuyer les plats... » (GREEN, Moïra, 1950, p. 185). Je vais enlever ce baudrier quand même je devrais grelotter (CAMUS, Dév. croix, 1953, p. 583).
) En partic., littér. [Au subj. imp. avec l'inversion du suj.] Dussé-je, dût-il, dussent... Synon. quand (bien) (même) (suivi du cond.). Dussé-je en mourir :
31. Oh! dussé-je, coupable aussi moi d'innocence,
Reprendre l'habitude austère de l'absence,
Dût se refermer l'âpre et morne isolement,
Dussent les cieux, que l'aube a blanchis un moment,
Redevenir sur moi dans l'ombre inexorables, Que du moins un ami vous reste, ô misérables!
HUGO, L'Année terrible, 1872, p. 329.
Rem. Le tour littér. dût + inf. ne se rencontre guère que dans la lang. écrite avec une valeur oratoire ou, parfois, comme recours plaisant à un archaïsme. Dût rugir de honte le canon, Te voilà, nain immonde [Napoléon III], accroupi sur ce nom [Napoléon Ier]! (ID., Châtim., 1853, p. 291).
c) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une éventualité qui s'est trouvée effectivement réalisée. C'était l'homme le plus grand par l'intelligence que j'eusse connu et que je dusse connaître durant ma longue vie (FRANCE, Vie fleur, 1922, p. 927).
Rem. Dans cette phrase la relation entre pouvoir implicite (que j'eusse connu = que j'aie pu connaître) et un devoir marquant une obligation se retrouve en A 1.
d) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect de la probabilité; elle est présentée comme vraisemblable soit en raison d'indices sûrs, soit en vertu d'une opinion raisonnable fondée sur l'expérience. Les choses ont dû se passer comme ça; je dois m'être trompé; ça doit venir du foie. Dora, (...). — Assieds-toi, Stepan. Tu dois être fatigué, après ce long voyage (CAMUS, Justes, 1950, p. 309). Ce sont des noyaux instables qui devaient vraisemblablement exister au moment des bouleversements cosmiques accompagnant la formation du système solaire (GOLDSCHMIDT, Avent. atom., 1962, p. 20) :
32. Les rêves dans Aurélia doivent être rarement identiques à ceux dont le sommeil de Nerval était rempli. Ils m'apparaissent presque toujours comme l'interprétation de ces rêves par la rêverie, la méditation et l'art.
DURRY, Gérard de Nerval et le mythe, 1956, p. 143.
En partic.
♦ [Pour exprimer une déduction] Mon arrière-grand-père, (...) dut léguer à ses fils une honnête fortune puisque le cadet put vivre de ses rentes (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 34) :
33. Ah! ça, elle est donc bien riche, mon garçon? dit le vieux vigneron en se rapprochant de son fils d'un air câlin; car si tu épouses une fille de l'Houmeau, elle doit en avoir des mille et des cent!
BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, p. 126.
♦ [Pour exprimer une estimation approximative] Je devais avoir à peu près quatorze ans lorsque je fis la connaissance de l'« horreur » (GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1163). Les cigales chantaient. Elles devaient être des milliers (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 17) :
34. Si certaines mesures (encore indirectes, il est vrai) sont admises comme correctes, c'est par millions peut-être que doivent s'estimer les poids moléculaires de certaines substances protéiques naturelles, telles que les « virus »...
TEILHARD DE CHARDIN, Le Phénomène humain, 1955, p. 83.
Rem. Noter l'équivalence entre je dois m'être trompé et j'ai dû me tromper.
En partic. [Formule de politesse, pour atténuer la brutalité d'une affirmation désagréable] Vous devez vous tromper; vous devez faire erreur. — Il doit y avoir une erreur dans vos calculs (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 231).
B.— [Devoir + inf. a une valeur temporelle (et modale)]
1. [Pour exprimer la relation historique de faits passés (discours d'où l'emploi du fut. est exclu)]
La réalisation d'un procès ayant été effective (et pouvant comme telle être exprimée simplement par un verbe à un temps personnel), la périphrase marque
a) que le procès a eu lieu postérieurement à un point du passé pris comme repère. Le ministère obtint la confiance à une voix de majorité. « Encore, devait me dire plus tard M. Herriot (...) je ne suis pas très sûr qu'il l'ait eue » (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 25).
b) que la réalisation du procès était soumise à une sorte de nécessité-fatalité. Clérambard. — En 1182, naissait à Assise celui qui devait être saint François (AYMÉ, Cléramb., 1950, I, 10, p. 62) :
35. Jésus paraît être resté étranger à ces raffinements de théologie qui devaient bientôt remplir le monde de disputes stériles.
RENAN, Hist. des orig. du Christianisme, Vie de Jésus, 1863, p. 239.
Rem. 1. Comparer qui remplirent bientôt :énonciation pure et simple du fait; qui rempliraient bientôt; qui allaient bientôt remplir : la périphrase verbale aller + inf. ne marque que la postériorité prochaine du procès; devoir ajoute à l'éventuel la nuance que ces disputes étaient inéluctables. 2. La périphrase devoir + inf. reste de mise dans les phrases où la relation est faite au prés. historique. Cette scarlatine qui devait, peu de jours après, l'emporter (GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1209).
2. [Pour exprimer le fut. proche ou immédiat, notamment avec les auxil. sembler, paraître] Il doit venir demain, d'un moment à l'autre. La nuit semblait devoir ne pas finir (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 232). Il n'est pas prouvé que le monde doive devenir américain ou russe (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 35) :
36. Ce nom de révolution auquel l'aventure hitlérienne ne peut prétendre, le communisme russe l'a mérité, et quoiqu'il ne le mérite apparemment plus, prétend devoir le mériter un jour, et à jamais.
CAMUS, L'Homme révolté, 1951, p. 232.
Rem. Dans ces cas, la valeur temporelle est presque toujours renforcée par un adv. de temps : bientôt, demain, incessamment, d'un jour à l'autre, prochainement, etc.
En partic. [Au cond., avec idée de probabilité et de nécessité] :
37. — (...) Monsieur Prial, Soubrier sort de chez moi à l'instant. Je l'ai envoyé se débarbouiller à la fontaine. Il devrait être rentré en étude dans huit, dix minutes au plus tard. Vous noterez exactement, je vous prie, l'heure à laquelle il est rentré. Merci.
MONTHERLANT, La Ville dont le prince est un enfant, 1951, I, 2, p. 863.
3. [Dans l'énoncé d'une vérité gén.] :
38. ... devenir consiste plutôt à devoir être l'autre, (...) à couver l'être futur; promesse ou espoir, être et non-être à la fois, le devenir est un être en instance d'avenir.
JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 27.
Prononc. et Orth. :[d()], (je) dois [dwa]. Ds Ac. 1694-1932. Homon. devant (prép.), dois, doit, doigt. Étymol. et Hist. A. Devoir + inf., rôle d'auxil. 1. 842 marque l'obligation, la nécessité (Serments de Strasbourg ds HENRY, p. 1 : dift [3e pers. du sing. de l'ind. prés.]); fin Xe s. deveir (Passion de Clermont, ibid., p. 4, 33); 2. ca 1050 marque le futur (Alexis, éd. Chr. Storey, 279); 3. ca 1100 devoir marque la probabilité (Roland, éd. J. Bédier, 389 : Li soens orgoilz le devreit bien confondre); 4. id. marque un souhait (ibid., 1149 : Li emperere nos devreit bien venger); 5. id. marque l'intention (ibid., 333). B. Devoir + compl. d'obj. dir. ca 1155 « être tenu, légalement ou moralement, de donner ou de restituer quelque chose à quelqu'un » (WACE, St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 808); av. 1188 « être redevable de quelque chose » (Partonopeus de Blois, éd. J. Gildea, 6891). C. Devoir (à qqn ou à qqc.) de + inf. 1784 « être redevable de » (BEAUMARCHAIS, Mère coupable, I, 8 ds LITTRÉ). Du lat. class. , de mêmes sens. Bbg. COHEN 1946, p. 24, 35. — CORNULIER (B. de). Sur une règle de déplacement de négation. Fr. mod. 1973, t. 41, pp. 44-56; 1974, t. 42, p. 213. — GOTTSCH. Redens. 1930, p. 218, 352. — HENKEL (W.), MULLER (C.). [À propos de l'emploi du verbe devoir]. Praxis. 1969, t. 16, n° 4, pp. 453-454. — HUOT (H.). Le Verbe devoir. Paris, 1974, passim. — MILJUKOVA (G. V.). On one meaning of the combination « devoir + inf. ». In : KOORDINACIONNOE PO SRAVNITEL'NOMU I ROMANSKIH JAZYKOV. Leningrad, 1964. — TODOROV (C.). La Hiérarchie des liens ds le récit. Semiotica. 1971, t. 3, n° 2, pp. 121-139.
II.
⇒DEVOIR2, subst. masc.
A.— Au sing. princ. Impératif de conscience, considéré dans sa généralité, qui impose à l'homme — sans l'y contraindre nécessairement — d'accomplir ce qui est prescrit en vertu d'une obligation de caractère religieux, moral ou légal. Le droit et le devoir; le sentiment du devoir; accomplir son devoir. Synon. obligation, impératif, loi (morale). Le devoir, fils du droit, sous nos toits domestiques Habite comme un hôte auguste et sérieux (HUGO, Voix intér., 1837, p. 206). La victoire cornélienne du devoir sur la passion (CHOIZY, Psychanal.? 1950, p. 12). Le sentiment austère et noble du devoir dignement accompli (GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1226) :
1. Issue d'une austère bourgeoisie qui croyait fermement en Dieu, au travail, au devoir, au mérite, elle exigeait qu'un écolier remplît parfaitement ses tâches d'écolier : chaque année Georges remportait au collège Stanislas le prix d'excellence.
BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 35.
SYNT. La conscience, le sens du devoir; agir par devoir, selon son devoir; la satisfaction du devoir accompli (lieu commun).
Rem. Infra rem. B 1 d.
P. compar. Et il restait debout dans l'encadrement de la porte, rigide et grand comme le devoir (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p. 43).
Homme, femme de devoir. Dont la conduite, en toutes circonstances, est dictée par le sentiment du devoir :
2. Homme de travail, il [le maître de café] est à l'œuvre de six heures du matin à minuit; homme de devoir, (...) il a écumé sur sa bière un très-beau pâturage où ses vieux parents goûtent les joies d'une vie pure...
VEUILLOT, Les Odeurs de Paris, 1866, p. 158.
Devoir de conscience. Obligation dictée par la conscience morale. Votre Altesse Royale accueillera-t-elle la prière d'un inconnu pour un inconnu? Je n'ose l'espérer; cependant je croirai avoir rempli mon devoir de conscience en essayant (HUGO, Corresp., 1848, p. 543). Permettez-moi de remplir auprès de vous, dans l'intérêt d'un homme trop longtemps privé de sa liberté, un devoir de conscience et d'honneur (CHATEAUBR., Mém., t. 4, 1848, p. 100).
Morale du devoir. Morale d'inspiration stoïcienne définie en termes de devoir, d'obligation, de préceptes. Le ministère a inventé une morale nouvelle, la morale des intérêts; celle des devoirs est abandonnée aux imbéciles (CHATEAUBR., Mém., t. 3, 1848, p. 31).
Devoir (kantien). Tel que la notion en a été définie par Kant. Devoir catégorique (cf. catégorique A 2 b). L'idée du devoir est le centre de la morale de Kant, et sa morale est le centre de sa philosophie (COUSIN, Philos. Kant, 1857, p. 17).
P. méton. Celui, celle dont le ressort principal est la conscience du devoir. Être le Devoir en personne, être l'incarnation du Devoir :
3. Je suis celui que rien n'arrête,
(...)
Je suis le poëte farouche,
L'homme devoir, ...
HUGO, Les Contemplations, t. 2, 1856, p. 188.
Loc. et expr. La déclaration des Droits et des Devoirs, à tout droit répond un devoir, comme de droit et de devoir (conformément à ce qui relève du droit et du devoir); je manque à tous mes devoirs; le devoir m'appelle; c'est un droit et même un devoir.
SYNT. L'amour, le culte, l'idée, la religion, le respect, le sens du devoir; l'accomplissement du devoir; le manquement, l'obéissance, la fidélité, la soumission au devoir; les chemins, la voie du devoir; s'affranchir du devoir; faillir, manquer à son devoir; rentrer dans le devoir; sortir du devoir; faire qqc. par devoir.
Rem. Dans cette accept., devoir s'écrit parfois avec un D majuscule.
B.— Au sing. ou au plur. Dans une circonstance donnée, toute conduite à tenir, tout acte à accomplir en vertu d'une obligation de caractère religieux, moral ou légal. Remplir les devoirs de sa charge. Synon. mission, obligation, tâche, responsabilité. Méfions-nous de tout ce qui pourrait nous détourner de la prière, (...). La prière est un devoir, le martyre est une récompense (BERNANOS, Dialog. Carm., 1948, 3e tabl., 2, p. 1615). Le Roi. — Rendre la justice est mon devoir. Ce sceptre en est le symbole (CAMUS, Chev. Olmedo, 1957, 3e journée, 25, p. 815) :
4. Je visitais souvent, et avec beaucoup d'attention, le pupitre de Soubrier; (...). Oh! évidemment, je n'aime pas ces méthodes. Nous y sommes pourtant non dans notre droit, mais dans notre devoir le plus strict. Soubrier est interne : nous remplaçons sa famille.
MONTHERLANT, La Ville dont le prince est un enfant, 1951, I, 8, p. 879.
1. En partic., au sing. ou au plur. [En ce sens, le terme est déterminé par un adj. ou un compl. déterminatif qui précise la nature des devoirs]
a) [Selon qu'ils s'attachent à un état] Devoirs professionnels; devoirs du chef; devoirs du sacerdoce.
Devoir d'état. Il [Kermelle] était très pauvre; mais il le dissimulait par devoir d'état (RENAN, Souv. enf., 1883, p. 27). La thèse, si chère au christianisme, de la sanctification par le devoir d'état (TEILHARD DE CH., Milieu divin, 1955, p. 55) :
5. ... l'influence générale et pratique de l'Église s'est toujours exercée pour dignifier, exalter, transfigurer en Dieu le devoir d'état, la recherche de la vérité naturelle, le développement de l'action humaine.
TEILHARD DE CHARDIN, Le Milieu divin, 1955, p. 33.
P. compar. :
6. D'ailleurs, dans cette maison si gaiement causeuse, où le bavardage semblait un devoir d'état, il y avait quantité de ces mystères sans chuchotements, d'absolu silence.
J. DE LA VARENDE, Le Centaure de Dieu, 1938, p. 54.
Devoir d'honnête homme :
7. Votre conduite envers madame de Grandlieu, dit le comte, est au-dessus de tout éloge. (...) Je m'inclinai respectueusement, et répondis que je n'avais fait que remplir un devoir d'honnête homme.
BALZAC, Gobseck, 1830, p. 419.
Devoirs d'une charge :
8. Mais tu étais assez dépourvu de sens moral pour me faire part de tous les manquements au devoir de la fonction et pour me les présenter comme de bonnes affaires.
AYMÉ, La Tête des autres, 1952, p. 224.
b) [Selon qu'ils relèvent de la morale relig.]
Devoirs du chrétien. Pourvu qu'on accomplisse fidèlement ses devoirs de chrétien (...) le salut m'y paraît une chose aussi facile (DUMAS père, Tour Nesle, 1832, V, 1, p. 82).
Devoir pascal. Obligation de communier une fois l'an lors de la célébration des fêtes de Pâques. Cf. faire ses Pâques. Le doyen allocutionnant ses paroissiens pour exhorter les retardataires au devoir pascal (BLOY, Journal, 1902, p. 90).
Devoirs religieux. Mais je n'ai pas encore eu le temps d'accomplir mes devoirs religieux... mon intention est d'accomplir tous mes devoirs de chrétien (DUMAS père, Henri III, 1829, IV, 7, p. 187).
c) [Selon qu'ils relèvent de la morale pers.] Devoir de dignité et d'honnêteté; devoirs envers soi-même; devoirs envers autrui. Clotilde, c'est moi qui ai conduit ces hommes à la révolte. J'ai des devoirs envers eux (AYMÉ, Vogue, 1944, p. 142).
Devoirs réciproques. Que l'on se doit mutuellement l'un à l'autre, les uns aux autres. ,,Devoirs réciproques des époux. Fidélité, secours et assistance`` (BARR. 1974).
Devoirs des époux. Fidélité et soutien que se doivent réciproquement les époux. M'en revenant de guerre à l'automne, j'ai détourné la reine de ses devoirs d'épouse (AYMÉ, Nain, 1934, p. 211) :
9. — Vous ne vous rendez pas compte (...). Qu'elle se félicite de sa vie parce qu'elle a le sentiment d'avoir fait son devoir et...
— Mais c'est vrai, dit Anne. Elle a rempli ses devoirs de mère et d'épouse, suivant l'expression...
SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 49.
Devoir (conjugal). Relations intimes que se doivent réciproquement les époux. O ma femme, entrons donc joyeux, c'est notre droit, Dans le bonheur heureux... et le devoir qu'on doit (VERLAINE, Poèmes divers, 1896, p. 817). Le visage de l'enfant est pour Gisèle le symbole des devoirs conjugaux (JANET, Obsess. et psychasth., 1903, p. 121) :
10. ... je faisais allusion très discrètement à la cessation de ses rapports avec Popelin, remontant à une dizaine d'années, (...), il a mis ce refus du devoir conjugal sur le compte de la littérature, sur le soin de faire de belles œuvres...
GONCOURT, Journal, 1889, p. 923.
Devoir de l'hospitalité. Je t'ai pris pour l'esclave chargé par son maître d'exercer les devoirs de l'hospitalité (CHATEAUBR., Martyrs, t. 1, 1910, p. 157).
Devoirs de justice, de charité (MARCEL 1938).
Devoirs de politesse, mondains. C'est un homme qui a le plus grand sens du devoir mondain. Nos premiers invités seront là ce soir (ANOUILH, Répét., 1950, V, p. 121).
d) [Selon qu'ils relèvent de la morale pol. ou soc.]
Devoir du citoyen, devoir civique. Remplir ses devoirs de citoyen, faire son devoir de citoyen (cf. citoyen A 2).
Devoir militaire. Le devoir militaire est de se battre. La France libre, c'est le combat, l'honneur et la victoire (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 408) :
11. De René II à Drouot, en passant par Jeanne, une des formes du désintéressement, le devoir militaire a paru ici sous son plus bel aspect.
BARRÈS, Un Homme libre, 1889, p. 121.
Devoir national. La connaissance naturelle du devoir national (L'Œuvre, 14 févr. 1941).
Devoir patriotique. Je suis d'une époque [dit Didier] où l'on ne transigeait pas sur le devoir patriotique (AYMÉ, Uranus, 1948, p. 129).
Devoir social, de société. Un commerçant qui a compris son devoir social (L'Œuvre, 17 janv. 1941).
Faire son devoir. Se conformer en tout point à une obligation morale dans une circonstance donnée. Et quand on ne fait pas son devoir est-on heureuse? (ANOUILH, Répét., 1950 II, p. 48) :
12. La campagne fait le pain
La colline fait le vin
C'est une sainte besogne
(...)
Le citoyen fort et farouche
Porte son verre à sa bouche
Mais la poule pousse affairée
Sa poulaille au poulailler
Tout le monde a fait son devoir
En voilà jusqu'à ce soir.
CLAUDEL, Poésies diverses, Paysage français, 1952, p. 871.
Spéc. Se conduire vaillamment au combat. Ils ont tous magnifiquement fait leur devoir; deux d'entre eux ont été tués (JOFFRE, Mém., t. 1, 1931, p. 16) :
13. Ils attendirent, pour reprendre du service, la rentrée de l'Afrique du Nord dans la guerre et, dès lors, comme beaucoup d'autres, firent vaillamment leur devoir.
DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1954, p. 117.
Rentrer dans son devoir. Se remettre à obéir. Ramener qqn à son devoir; rappeler qqn au devoir; remettre qqn dans le devoir. Je rappelle la nuit, le gouffre, le ciel noir, Et les événements farouches, au devoir (HUGO, Art d'être gd-père, 1877, p. 272) :
14. Il le faut bien [frapper] quand ces gaillards-là se prennent à rêver et qu'ils en oublient la cadence, un bon coup de gourdin les a bientôt remis dans le devoir.
AYMÉ, Vogue la Galère, 1944, p. 44.
[Par menace] Je lui apprendrai son devoir; je lui ferai entendre où est son devoir. Les hommes de la chiourme ont confiance en moi. Je saurai leur faire entendre où est leur devoir (AYMÉ, Vogue la Galère, 1944, p. 21).
Se faire un devoir de (+ inf.). S'obliger moralement à.
Croire de son devoir de (+ inf.). Se croire moralement obligé de. Synon. croire bon de, juger nécessaire de. Tartarin de Tarascon, en effet, avait cru de son devoir, allant en Algérie, de prendre le costume algérien (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p. 46). On s'habitue aux défauts des autres quand on ne croit pas de son devoir de les corriger (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 126).
Il est de mon devoir de (+ inf.). Ma conscience morale me pousse à (dans un cas particulier). Il peut y avoir des choses mauvaises dans le cachot d'un condamné à mort. Il est de mon devoir d'entrer et de votre devoir d'ouvrir (HUGO, Choses vues, 1885, p. 159) :
15. Louis lui représentait vainement qu'il était de son devoir d'assister à la cérémonie et que l'absence d'une personne de qualité ne manquerait pas d'être commentée avec malveillance.
AYMÉ, Uranus, 1948, p. 297.
Spéc. [Le sens du subst. est affaibli]
Se mettre en devoir de (+ inf.). Se préparer, se disposer à. Lorsque, revenue de sa surprise,... elle se mit en devoir de repousser l'agresseur, il descendait tranquillement la rue (FRANCE, Mir. gd St Nic., 1909, p. 109). Sans doute, depuis 1939, les États-Unis s'étaient-ils mis en devoir d'édifier une puissance militaire de premier rang (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 4) :
16. Cependant me saisissant familièrement par la main, il [le duc de Guermantes] se mit en devoir de me guider et de m'introduire dans les salons.
PROUST, Le Côté de Guermantes 2, 1921, p. 417.
Être en devoir de (+ inf.), (vx). Être prêt à (être en service, être en faction).
Autres loc. C'est mon devoir de + inf.; faire un devoir à qqn de + inf.; se faire un devoir de + inf.; avoir le devoir de + inf.; pousser le devoir jusqu'à + inf.
Rem. La plupart de ces syntagmes pourraient être aussi bien classés sous A, dont ils représentent la projection dans une situation donnée.
Autres synt. :
Devoir + adj. Devoir élémentaire, le plus élémentaire des devoirs; saint devoir, le plus saint des devoirs; devoirs positifs (qui prescrivent l'accomplissement de qqc.); devoirs négatifs (qui interdisent l'accomplissement de qqc.); devoir absolu, abstrait, ardu, aride, austère, fastidieux, grand, héroïque, humble, humain, inflexible, impérieux, pénible, pressant, primordial, quotidien, rigoureux, sacré, tyrannique.
Synt. verbaux. Accomplir, assumer, se créer, dicter, bâcler, négliger, tracer, violer un devoir; s'attacher, se conformer, se dérober, faillir, manquer à un devoir; s'affranchir d'un devoir; sortir de son devoir.
Rem. En ce sens devoirs s'associe a) À droits dans la mesure où les obligations auxquelles on est tenu ont pour contrepartie des avantages reconnus à l'individu en vertu d'une règle mor. ou jur. [Les puissances quelconques] dont elle [la doctrine catholique] proclamait hautement les droits absolus, sans avoir désormais la force d'insister aussi sur leurs devoirs (COMTE, Philos. posit., 1839-42, p. 527). Au nom de notre foi, nous avons le droit et le devoir de nous passionner pour les choses de la terre (TEILHARD DE CH., Milieu divin, 1955, p. 61). b) À pouvoirs dans la mesure où ce terme désigne une disponibilité, une liberté d'accomplir qqc. Tout le bien possible que procure l'arrangement des pouvoirs et des devoirs étant acquis, c'est maintenant que l'on peut jouir des premiers relâchements du système (VALÉRY, Variété II, 1929, p. 61).
P. méton. Chose (tâche) ou ensemble de choses (tâches) imposée(s).
HIST. Redevance, prestation due.
FÉOD. Devoir féodal (du vassal envers son seigneur). Obligations particulières qui dans la société féodale liaient le vassal au suzerain. Devoirs seigneuriaux, devoir d'ost.
Vx, région. [Dans les pays à métayage] Dons en nature apportés en certaines occasions par les métayers au propriétaire du domaine (cf. FÉN. 1970) :
17. Antoine Rabelais avait hérité le domaine... et tous les droits de fiefs, justice... rentes et devoirs, prés, pêcheries... appartenant à la défunte.
FRANCE, Rabelais, 1924, p. 2.
En partic. (domaine techn.). Choses dues en raison des usages.
ARMÉE, vx. Être à son devoir. Être à son poste (Ac. 1798-1932).
FAUCONN., vx. Devoirs de l'oiseau. Part de la curée qui revient à l'oiseau chasseur (BAUDR. Chasses 1834).
2. Au plur. Honneurs dus en raison des usages. Synon. hommages.
a) Vieilli ou style noble. Égards, marques de civilité, de politesse dus, en vertu de l'usage, à quelqu'un qui mérite le respect ou y a droit. Présenter ses devoirs à qqn, rendre des/ses devoirs à qqn. Vous voulez rendre vos devoirs à votre saint parent [Jean Mauprat], à ce trappiste, modèle d'édification, que Dieu nous ramène (SAND, Mauprat, 1837, p. 270). Ils [les de la Haye] allaient le voir [l'enfant] deux fois par jour... ils lui rendaient simplement leurs devoirs (LA VARENDE, Manants du Roi, 1938, p. 88) :
18. ... si je ne l'avais pas vu rendre ses devoirs à ma mère qui était trop simple et trop timide pour encourager les belles manières...
FRANCE, La Vie en fleur, 1922, p. 339.
b) Usuel. Rendre à qqn les derniers devoirs. Rendre à un défunt les derniers témoignages d'affection et de respect; assister à ses obsèques :
19. Lorsque les gens... sont revenus me dire que vous l'aviez trouvée morte, et que tu étais resté pour lui rendre les derniers devoirs, ...
DUMAS père, Catherine Howard, 1834, III, 3, p. 243.
C.— Usuel
1. [Vie scol.] Tâche écrite, de dimension limitée, variant suivant les matières, imposée à des élèves ou à des étudiants en cours de scolarité. Leçons et devoirs; devoir sur table; faire, finir, corriger un devoir. Synon. copie, composition, épreuve écrite, exercice, pensum, rédaction. Il [Chazel] venait seul (sans domestique) vers les dix heures, faisait mal son devoir latin et filait à midi et demi (STENDHAL, H. Brulard, t. 1, 1836, p. 98). Il [Félix] conservait aussi l'habitude d'écrire son nom avant son prénom au coin de ses longs devoirs calligraphiés (MALÈGUE, Augustin, 1933, p. 165) :
20. Son oncle, ..., le plaça comme externe au collège Stanislas. Hélène gâtait Georges... Elle lui faisait quitter ses devoirs le soir pour l'emmener au concert...
FRANCE, Jocaste, 1879, p. 58.
Devoirs de vacances. Programme d'exercices progressifs dont l'élève doit s'acquitter durant la période des grandes vacances. Le petit bureau d'écolier sur lequel il faisait ses devoirs de vacances (ANOUILH, Sauv., 1938, II, p. 186).
Devoirs à la maison. ,,La suppression des devoirs à la maison pour les cours élémentaire et moyen a été décidée en 1956`` (Pédag. 1972).
Rem. Les dict. attestent le synt. hors d'usage cahier de beaux devoirs. Cahier de belle facture où les élèves qui avaient le mieux réussi leur devoir le recopiaient d'une écriture appliquée.
SYNT. Devoir de français, de mathématiques, etc.; devoir à faire chez soi; sujet de devoir; donner un devoir; faire des/ses devoirs; bâcler, soigner, recopier un devoir.
2. P. plaisant. ou iron. Œuvre artistique entachée d'un caractère scolaire qui la prive d'une partie de sa portée; propos sur un thème donné qui se prête à être traité scolairement. Que demande-t-on aux candidats prix de Rome »]?... un bon devoir fait de souvenirs de musées et d'ateliers, anachroniquement (MAUCLAIR, De Watteau à Whistler, 1905, p. 68). Hier soir, vu la Maria Stuart de Schiller... La pièce nous a paru longue et laborieuse dans son exposition. C'est un devoir trop bien fait (GREEN, Journal, 1950, p. 2) :
21. Le sujet [de la Semaine des Écrivains catholiques], non choisi par moi, et commun à tous les orateurs, est le mystère. Je l'ai abordé comme un pensum. Mais le devoir est très vite devenu une méditation écrite.
MAURIAC, Le Nouveau Bloc-Notes, 1961, p. 267.
Prononc. et Orth. :[d()]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1275 devoir « obligation » (ADENET LE ROI, Enfances Ogier, éd. A. Henry, 8193); 2. 1636 devoirs « hommages, marques de respect » (CORNEILLE, Cid, II, 1 ds LITTRÉ). Substantivation de devoir1.
III.
⇒DEVOIR3, subst. masc.
Association d'ouvriers unis par les liens du compagnonnage. Les sociétés du Devoir; les Compagnons du Devoir. Les Devoirs furent des formations éminemment françaises (E. CORNAERT, Les Compagnonnages en France, Paris, 1966, p. 143). Au début du XIXe siècle toutes les sociétés de compagnons existantes se rattachaient à l'une ou l'autre de ces deux grandes fédérations : le Devoir de Liberté (Enfants de Salomon); le Devoir ou Saint Devoir de Dieu (MARTIN SAINT-LÉON, Compagn., 1901, p. 88) :
1. ... une grande partie de la classe ouvrière est constituée en diverses sociétés secrètes, non avouées par les lois, mais tolérées par la police, et qui prennent le titre de Devoirs.
SAND, Le Compagnon du Tour de France, 1840, p. 14.
Compagnon du Devoir. Ouvrier compagnon affilié à un Devoir. Je suis beaucoup plus fort que vous; mais sans doute vous êtes compagnon de quelque Devoir, et vous connaissez la canne (SAND, Meunier d'Angib., 1845, p. 157) :
2. Mon oncle Joseph, (...) est un paysan qui s'est fait ouvrier...
Il est compagnon du devoir, il a une grande canne avec de longs rubans, et il m'emmène quelquefois chez la Mère des menuisiers.
J. VALLÈS, Jacques Vingtras, L'Enfant, 1879, p. 18.
Cérémonie qui célébrait le départ d'un compagnon pour son tour de France. Chez les compagnons boulangers (...) lorsque le devoir est terminé (c'est-à-dire à la fin de la cérémonie), le partant se met à genoux (MARTIN SAINT-LÉON, Compagn., 1901 p. 256).
Étymol. et Hist. 1276 lat. médiév. deverium « juridiction commune à un groupe d'artisans ou compagnons » (Bailliage de Troyes d'apr. E. CORNAERT, op. cit., p. 27), attest. isolée; 1804 Devoir de Liberté (6 avr., date de création d'un compagnonnage de charpentiers d'apr. ID., ibid., p. 23). Orig. obsc.; peut-être emploi méton. de devoir2 au sens de « code d'obligations » dans la lang. juridique.
DÉR. Dévoirant ou dévorant2, subst. masc. Ouvrier, membre de l'association des Compagnons du Devoir. Dévorant, terme du compagnonnage, qui nous a légué une petite ménagerie assez intéressante, il y avait le singe, le lapin, le renard de liberté, le loup, etc., c'est assez logique d'avoir le dévorant (POULOT, Sublime, 1872, p. 92). [Chez Balzac Dévorants s'applique aux membres d'une société secrète imaginée par l'auteur. Il la met en parallèle avec l'association des Compagnons du Devoir tout en l'y opposant. ]Il y aurait beaucoup de choses curieuses à dire sur les « Compagnons du Devoir », les rivaux des Dévorants, et sur toutes les différentes sectes d'ouvriers (BALZAC, Hist. des treize, 1833, préf., p. 13). Comme le remarque l'éditeur : ,,il est visible, d'ailleurs, que Balzac songe au sens du verbe dévorer : son « chef des Dévorants » (...) sera un homme de proie``. Rem. On rencontre en outre l'adj. dévorantesque forgé par Balzac sur Dévorants. Ferragus est, suivant une ancienne coutume, un nom pris par un chef de Dévorants. Le jour de leur élection, ces chefs continuent celles des dynasties dévorantesques dont le nom leur plaît le plus (ID., ibid., p. 12). [], []. La majorité des dict. enregistre les 2 formes en soulignant que dévorant est une altération de dévoirant. Cf. Lar. 19e qui ajoute : ,,on dit plus ordinairement mais moins bien dévorant``, Nouv. Lar. ill., Lar. 20e, LITTRÉ qui note que la forme dévorant donne au mot une coloration péj., QUILLET 1965. Ds GUÉRIN 1892 la forme dévoirant est qualifiée de rare. Ds DG et Lar. encyclop. c'est la forme dévorant qui est enregistrée comme vedette, dévoirant ne justifiant plus qu'une rem. ou une vedette de renvoi. 1res attest. av. 1850 subst. devorant « ouvrier compagnon du devoir » (Ch. DE BERNARD, La Peau du lion, XII ds LITTRÉ); 1864 devoirant ou devorant (LITTRÉ); de devoir3 au sens de « association d'ouvriers compagnons »; suff. -ant; écrit dévorant par attraction paronymique de dévorant adj., peut-être en raison des banquets qui les réunissaient périodiquement ou de l'âpreté avec laquelle ils défendaient le quasi-monopole de l'emploi pour leurs membres.
STAT. — Devoir1, 2 et 3. Fréq. abs. littér. :86 963. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 139 075, b) 116 267; XXe s. : a) 107 122, b) 124 451. Devoirs. Fréq. abs. littér. :2 853. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 5 930, b) 3 604; XXe s. : a) 3 357, b) 3 122.

1. devoir [d(ə)vwaʀ] v. tr.
CONJUG. je dois, tu dois, il doit, nous devons, vous devez, ils doivent; je devais; je dus, nous dûmes; je devrai; je devrais; que je doive; que je dusse; devant; , due, dus, dues.
ÉTYM. 842, dift. « il doit »; deveir, XIe; du lat. debere « être redevable de quelque chose à quelqu'un ». → Débit.
———
I Devoir (quelque chose) à (quelqu'un).
1 Avoir à payer (une somme d'argent), à fournir (une chose en nature) à (qqn). || Devoir une grosse somme d'argent à un ami. || Il me doit dix mille francs. || L'argent que je vous dois. || Ne plus rien devoir à personne. || Devoir encore qqch. à qqn. Reste (être en reste). || Celui qui doit de l'argent à qqn ( Débiteur), celui à qui l'on doit ( Créancier). (Au passif). || Je ne réclame que ce qui m'est dû.
1 La fumée est ta part; je ne te dois plus rien.
La Fontaine, Fables, IX, 13.
2 Doutez-vous de ma probité, monsieur ? Vos cent écus ! j'aimerais mieux vous les devoir toute ma vie, que de les nier un seul instant.
Beaumarchais, le Barbier de Séville, III, 5.
3 Un pauvre journal d'opinion, qui tire péniblement à trente, trente-cinq mille, et qui doit je ne sais combien à l'imprimeur, au fabricant de papier, aux courtiers de publicité.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, XI, p. 118.
(Sans compl. second). || Devoir de l'argent. || Acquitter, payer ce que l'on doit ( Dette).Ce qui est dû. (n. m.).
Loc. Vieilli. Il doit plus d'argent qu'il n'est gros : il est très endetté.
Absolt. || Il doit à tout le monde. — ☑ Loc. Devoir à Dieu et à diable; à Dieu et au monde; au tiers et au quart; de tous côtés : avoir beaucoup de dettes.
Qui a terme ne doit rien : on n'est pas obligé de payer avant le terme échu.
Par métonymie. || Devoir son loyer.Devoir deux mois (de loyer, etc.).
Loc. Je lui (te, vous…) dois bien ça : il mérite bien ça en retour.
2 Être redevable (à qqn ou à qqch.) de (ce que l'on possède). Tenir (de). || Il lui doit tout. || Il lui doit sa situation. || Il ne veut rien devoir à personne; il veut ne rien devoir à personne. || Devoir son surnom à un trait de caractère. || Nous devons notre réussite au travail de nos prédécesseurs. || Devoir la vie à qqn : a) être son enfant; b) avoir été sauvé par lui. || Ceux à qui il doit le jour, ses parents. || Je vous dois mon salut, la fortune, mon bonheur. || Les romantiques doivent beaucoup à J.-J. Rousseau. Absolt et par métaphore du sens 1. → cit. 5 ci-dessous.
4 Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée.
Corneille, Poésies diverses, Excuse à Ariste.
5 L'orgueil ne veut pas devoir, et l'amour-propre ne veut pas payer.
La Rochefoucauld, Maximes, 228.
6 Ne sais-je pas bien ce que je vous dois ?
Molière, Dom Juan, IV, 3.
7 L'un tient de moi la vie, à l'autre je la dois !
Voltaire, Alzire, III, 5.
8 (…) nous n'avons dû notre salut qu'à notre habileté comme cavalier (…)
A. Jarry, Ubu Roi, IV, 4.
Passif. || Être dû à : avoir pour cause. || Le succès de cette pièce est dû au talent des acteurs. || Sa réussite est due au hasard (→ Débridement, cit. 2).
9 (…) au cas où le silence d'Hélène eût été dû à une violente réprimande de sa mère (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XXIII, p. 325.
Fam. Devoir une fière chandelle, un cierge à quelqu'un.
(Sujet n. de chose). || Cette viande doit son goût aux épices (→ Aromatique, cit. 1). || « Une teinte rougeâtre qu'elle (une soupe) doit au safran » (Gautier, in T. L. F.).
Devoir à (qqn) de (et inf.). || Je lui dois d'être en vie : c'est grâce à lui que je suis en vie.
10 (…) c'est à la pluie que j'ai dû de connaître, une première fois, il y a cinq ans, le pays du perpétuel Été (…)
E. Fromentin, Un été dans le Sahara, I, p. 3.
3 Être tenu à (qqch.) par la loi, les convenances, l'honneur, l'équité, la morale. || Il devait ce sacrifice à sa cause. || Devoir de la reconnaissance à ses bienfaiteurs. || Un fils doit le respect à son père. || Vous lui devez des égards, des ménagements. || Je vous dois une explication, des excuses. || La loi doit une égale protection à tous les citoyens.
(Sans compl. direct). || Devoir à quelqu'un.
11 Je dois à ma maîtresse aussi bien qu'à mon père (…)
Corneille, le Cid, I, 6.
(Au passif). || Accorder, rendre à qqn l'admiration qui lui est due, les honneurs (qui sont) dus à son rang.
12 (…) la vertu et le crime rencontrent si rarement ce qui leur est dû (…)
La Bruyère, les Caractères, XVI, 47.
(Le compl. est sans déterminant). || Devoir obéissance, protection, réparation à qqn. || Devoir compte de… || Il ne doit compte de ses actions à personne.
4 V. pron. (Voir ci-dessous).
———
II Auxiliaire de mode. (Suivi d'un infinitif).
1 a Être dans l'obligation de (faire qqch.). Avoir (à); → Être tenu, obligé de; il faut (falloir). || Il doit terminer ce travail ce soir. || Il doit rendre compte de son administration. || Un homme d'honneur doit tenir sa parole. || On doit respecter les vieillards. || Que devons-nous faire ? || C'est vous qui devez agir. Appartenir (c'est à vous qu'il appartient d'agir).
13 (…) Que pouviez-vous ? hélas ! — J'ai fait ce que j'ai dû.
Voltaire, l'Orphelin de la Chine, V, 1.
14 — Va, je ne te hais point. — Tu le dois. — Je ne puis.
Corneille, le Cid, III, 4.
15 L'on demande s'il faut aimer. Cela ne se doit point demander : on le doit sentir.
Pascal, Disc. sur les passions de l'amour.
16 (…) celui-là (Corneille) peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci (Racine) les peint tels qu'ils sont.
La Bruyère, les Caractères, I, 54.
17 Faisons ce qu'on doit faire et non pas ce qu'on fait.
Nivelle de La Chaussée, Préjugé à la mode, II, 1.
18 Le magistrat doit veiller à ce que l'esclave ait sa nourriture et son vêtement : cela doit être réglé par la loi.
Les lois doivent avoir attention qu'ils soient soignés dans leurs maladies et dans leur vieillesse.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XV, 17.
19 « Je ne suis bien avec moi-même que quand je fais ce que je dois. » (Diderot, Lettres à S. V., 8 oct. 1760.) C'est fort bien dit; mais l'embêtant c'est qu'on ne sait pas toujours ce qu'on doit faire.
Gide, Journal, 25 juin 1944.
Être dans la nécessité, le besoin de… || Il a cru devoir refuser. || Elle ne sait si elle doit rire ou pleurer. || Les choses qu'on doit savoir, qu'il faut savoir. || Les choses ne doivent pas en rester là.
19.1 Fix crut devoir sourire en entendant cette observation.
J. Verne, le Tour du monde en 80 jours, p. 218.
Prov. Fais ce que dois, advienne que pourra.
(Au conditionnel). || Tu devrais aller la voir à l'hôpital, ce serait bien si… || Tu ne l'as pas fait ? Tu aurais dû. || Il n'aurait jamais dû faire ça.
(Au conditionnel, marquant la convenance). || Il devrait être au lit, à cette heure-là.
b En être réduit à… || « Il m'a tellement importuné que j'ai dû le mettre à la porte » (Hanse).
c (En emploi négatif). || Devoir ne pas…, ne pas avoir le droit, la permission de… (exprime la défense, l'interdiction). || Vous ne devez pas sortir. || Vous ne devez en aucun cas en parler.
d (Marquant une affirmation atténuée, avec des verbes « de parole »). || Je dois dire, je dois avouer que… || Il a bien dû reconnaître que…
2 Par ext. Avoir l'intention de. Penser. || Je dois partir demain. || Nous devions l'emmener avec nous mais il est tombé malade. || Je devais venir, mais j'ai été empêché.
3 (Marquant la vraisemblance, la probabilité, l'hypothèse).
Au présent. (Dans le présent). || On doit avoir froid dans un tel pays, je pense, je suppose, je présume, j'imagine qu'on y a froid; il y fait peut-être froid. || Il doit être grand maintenant. || Il doit être bien riche pour mener si grande vie. || Je dois le connaître. || Je dois avoir entendu parler de lui (→ Je ne suis pas sans avoir…)
20 — Hélas ! que j'ai de peine à rompre mon silence !
— Ouais ! Ceci doit donc être un important secret.
Molière, le Dépit amoureux, II, 1.
21 Ce bruit de ferraille doit être assourdissant, et vous devez être là comme dans une prison.
A. de Musset, Comédies et proverbes, Barberine, III, 5.
22 Jamais, vois-tu ? mes petits-enfants ne pensent à m'embrasser. Ils ne doivent pas trouver les gens de notre âge très appétissants.
G. Duhamel, le Voyage de P. Périot, I, p. 22.
À un temps passé. (Dans le passé). || Il ne devait pas être bien tard quand il est parti. || Il a dû partir ce matin ou il doit être parti ce matin (→ Il y a des chances qu'il soit parti). || Il a dû se tromper ou il doit s'être trompé. || Vous deviez normalement gagner.
23 (…) ce fils (…) est le chagrin (…) de cette vie (…) dont je croyais qu'il devait être la joie (…)
Molière, Dom Juan, IV, 4.
24 (…) vous avez perdu absolument votre procès que vous deviez gagner.
Molière, les Femmes savantes, V, 4.
24.1 (…) une injuste prévention fait croire que celui qui a dû commettre le crime, l'a commis (…)
Sade, Justine, I, p. 33.
25 (…) de petites flaques noires, en de certains endroits, devaient être du sang.
Flaubert, l'Éducation sentimentale, II, 162, in Brunot.
Au présent. (Dans le futur). → Aller (il va arriver). || Il doit arriver dans un instant. || Il doit vous l'annoncer demain. || On ne sait pas ce qu'il doit faire.
26 Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais.
La Fontaine, Fables, VIII, 9.
27 Hélas ! qui peut savoir le destin qui m'amène ?
L'amour me fait ici chercher une inhumaine.
Mais qui sait ce qu'il doit ordonner de mon sort,
Et si je viens chercher ou la vie ou la mort ?
Racine, Andromaque, I, 1.
28 (…) il avance d'un bon vent et qui a toutes les apparences de devoir durer (…)
La Bruyère, les Caractères, XIII, 9.
29 (…) la guerre poétique ne paraît pas devoir être moins acharnée que la guerre sociale n'est furieuse.
Hugo, Odes et ballades, Préface de 1824.
30 La langue utilise souvent le verbe devoir suivi de l'infinitif. L'expression a encore un sens modal, mais ce sens modal est de moins en moins senti. La forme s'achemine ainsi vers une valeur purement temporelle : Elle doit venir; ça doit réussir. On sent combien ici la valeur de devoir est différente de celle que montre l'exemple suivant : Puisque Angélique aime réellement Valère, elle doit l'épouser malgré son défaut. (Sainte-Beuve, Lundis, VII, 11). Ce sens s'affaiblit surtout dans les propositions subordonnées (…)
Brunot, la Pensée et la Langue, III, XI, C, 9, p. 464.
Au futur antérieur. || Il aura dû tomber en panne : il est probablement tombé en panne. → Être (il sera tombé en panne).
Au conditionnel. || Il devrait réussir, en principe.
(Après si — et l'indicatif —, quand, quand (bien) même — et le conditionnel). || Si cela doit par malheur arriver… || S'il devait partir, je ne le retiendrais pas. || S'il avait dû partir, ce serait déjà fait. || Quand (bien) même il devrait réussir, je ne suivrais pas ses conseils. → aussi 5., ci-dessous (supra cit. 34).
31 S'il doit revenir seulement à cinq heures, ce n'est pas la peine que nous l'attendions.
Brunot, la Pensée et la Langue, V, XXV, IX, p. 889.
(Par politesse). || Vous devez vous tromper : vous vous trompez, selon moi, d'après moi. || Vous avez dû faire erreur.
4 Être conduit nécessairement, infailliblement à… Falloir. || Cela devait être ainsi : c'était inéluctable, inévitable ( Nécessaire; nécessité). || Il n'arrive que ce qui doit arriver. || Il a dû s'arrêter tellement il était fatigué. (Futur). || Il devra s'en aller : il faudra que… (Conditionnel). || Il devrait partir, si son contrat n'était pas renouvelé.
(Futur du passé). || Cela devait arriver, je l'avais prédit. || Ça devait bien finir comme ça. || Il devait mourir deux ans plus tard.Avec un présent de narration. || En 1789, Louis XVI ignore qu'il doit mourir décapité.
32 Jésus paraît être resté étranger à ces raffinements de théologie, qui devaient bientôt remplir le monde de disputes stériles.
Renan, la Vie de Jésus, Œ., t. IV, XV, p. 239.
33 Il arrive souvent qu'un historien, un conteur annonce un événement futur, avec cette nuance spéciale que l'événement était préparé, convenu (…) Puis comme le sens spécial, attaché à devoir, s'efface, le sens s'approche de celui d'un futur dans le passé (…)
Brunot, la Pensée et la Langue, V, XX, V, p. 757.
5 (À l'imparfait du subjonctif). Littér. || Dussé-je; dût-il, etc., quand bien même je devrais, il devrait. || Dussé-je y périr. || Dussé-je y consacrer ma fortune. || Dussent mille dangers me menacer.
34 Tous les Grecs m'ont déjà menacé de leurs armes;
Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux,
Demander votre fils avec mille vaisseaux;
Coutât-il tout le sang qu'Hélène a fait répandre;
Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre,
Je ne balance point, je vole à son secours :
Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours.
Racine, Andromaque, I, 4.
35 Je ne me chargerais pas d'un enfant maladif et cacochyme, dût-il vivre quatre-vingts ans.
Rousseau, Émile, I, p. 29.
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se devoir v. pron.
1 (Réfl. ou récipr.). Être obligé de se consacrer à… || Se devoir à sa patrie, à ses enfants.
36 Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez (…)
Racine, Phèdre, I, 5.
Se devoir mutuellement quelque chose.
37 Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance.
Code civil, art. 212.
Se devoir à soi-même. || Je manquerais à ce que je me dois.Se devoir de (et inf.). || Je me devais de lui parler ouvertement. || Vous vous devez à vous-même de réussir.
38 Je sais ce que je suis et ce que je me dois.
Corneille, Dom Sanche, 68.
2 (Passif impers.).Comme il se doit, comme il le faut, ou, fam., comme c'était prévu. — ☑ Littér. Cela se doit : c'est convenable, obligatoire.
38.1 Dans le grand salon, Lady Ava est très entourée comme il se doit, par les invités qui, dès leur entrée, se dirigent d'abord vers elle pour la saluer (…)
A. Robbe-Grillet, la Maison de rendez-vous, p. 58.
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dû, due p. p. adj.
1 Argent dû par un débiteur; somme due. || En port dû. — ☑ Loc. Chose promise, chose due.
Dû à : qui est redevable à…; causé par…Punition due à sa mauvaise conduite.
39 Il m'a dit qu'il n'était pas impossible que cette eau présentât des propriétés dues à ce qu'on appelle les « radiations ».
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XXII, p. 177.
Dr. || Jusqu'à due concurrence : jusqu'à concurrence de la somme dont un débiteur est tenu.
Loc. Ainsi que dû : comme cela se doit.
N. m. Dû.
2 Que l'on doit rendre. || Les égards dus à qqn, à son rang.
3 Dont est responsable (qqn, qqch.). || La fatigue due au travail. || Tableau dû à un maître anonyme.
4 Conforme aux règles. Convenable. || Acte en due forme, en bonne et due forme, rédigé conformément à la loi et revêtu de toutes les formalités nécessaires.
CONTR. Acquitter, libérer (se), payer; libre (être libre).(Du p. p.) Indu.
DÉR. et COMP. 2. Devoir, doit, dû. Redevoir.
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2. devoir [d(ə)vwaʀ] n. m.
ÉTYM. Fin XIIe; de 1. devoir.
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I
1 (Le devoir). L'obligation morale considérée en elle-même, et indépendamment de son application particulière. Loi (morale), obligation. || La conscience, le sentiment du devoir. || Lutte du devoir et de la passion (→ Pavillon, cit. 8). || Le respect du devoir. || Le caractère impératif du devoir moral. Impératif (catégorique). || L'amour du devoir. || La pratique du devoir. Vertu.Par devoir : au nom du devoir moral. || Agir par devoir.Se maintenir dans le devoir.Un homme de devoir, qui respecte l'obligation morale. || C'est une femme de devoir.
1 Nul ne possède d'autre droit que celui de toujours faire son devoir.
A. Comte, Philosophie positive, t. I, p. 361, in Guerlac.
2 Il (Socrate) dégageait la morale de la religion; avant lui, on ne concevait le devoir que comme un arrêt des anciens dieux; il montra que le principe du devoir est dans l'âme de l'homme.
Fustel de Coulanges, la Cité antique, V, I, p. 420.
3 (…) la liberté, sans laquelle le devoir ne serait qu'un mot vide de sens.
Berthelot, cité par Renan, Dialogues et fragments philosophiques, p. 209.
3.1 J'ai tenté lâchement de me débarrasser de ma dette, mais je ne l'ai pas acquittée. Dans les cauchemars de mes nuits, je me réveille en sueur, m'agenouille, crie à voix haute : « Seigneur ! Seigneur ! à qui devais-je ? — Seigneur ! à qui devais-je ? » Je n'en sais rien, mais je devais. — Le devoir, Messieurs, c'est une chose horrible; moi, j'ai pris le parti d'en mourir.
Gide, le Prométhée mal enchaîné, in Romans, Pl., p. 332.
4 Le sentiment du devoir apporte une sorte de bénédiction sur chaque acte accompli; on se sent un être moral; on échappe à la pesanteur (…)
Gide, Journal, 18 déc. 1946.
5 Fidèle par tendresse, par devoir, par fierté (…)
Colette, la Naissance du jour, p. 45.
6 L'oisiveté engendre le plaisir et le plaisir détourne petit à petit du devoir.
Max Jacob, Conseils à un jeune poète, p. 92.
7 Nulle trace, en cet homme admirable, de morgue vertueuse. Nul ne s'est moins juché sur les échasses du devoir et de la morale.
André Suarès, Trois hommes, « Dostoïevski », p. 262.
2 (Le devoir de qqn; un, des devoirs). Ce que l'on doit faire; obligation morale particulière, définie par le système moral que l'on accepte, par la loi, les convenances, les circonstances… Charge, fonction, obligation, office, responsabilité, tâche, travail. || Accomplir, faire, remplir, suivre son devoir (→ Cour, cit. 17). || Faire bien son devoir. || S'acquitter de son devoir, de ses devoirs. || Observer, remplir ses devoirs. || Se dévouer à un devoir (→ Bonheur, cit. 24). || Assumer (cit. 3) tous les devoirs d'un rôle, d'une charge. || Connaître, bien comprendre son devoir. || Devoir facile à remplir. || Devoir assujettissant (cit. 1), pénible. Corvée. || S'imposer, se prescrire des devoirs. || C'est un devoir pour moi (que de faire cela, de faire cela). || Avoir pour devoir de… || Se faire un devoir de… (→ Attaquer, cit. 32; avancer, cit. 38). || Mon devoir exige que… || Mon devoir me réclame là-bas. || Là est mon devoir. || Son devoir lui commande (cit. 7) d'agir ainsi. || Dans ce cas, la résistance est un devoir (→ Arbitraire, cit. 7). || C'est contraire au devoir, cela s'oppose au devoir. || Devoirs opposés. || Un conflit (cit. 4) de devoirs. || Être chargé (cit. 20) de devoirs. || Être tenu à des devoirs. || C'est non seulement un devoir, mais une nécessité. || Ce n'est pas un droit, c'est un devoir. — ☑ Loc. Il est de mon (ton, son…) devoir de…
8 Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux.
Corneille, Horace, II, 8.
9 Il est de mon devoir de (…)
Molière, l'École des maris, II, 3.
10 (…) au lieu qu'en l'état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition, ni mon devoir.
Pascal, Pensées, III, 229.
11 Laissez dire, laissez-vous blâmer, condamner, emprisonner, laissez-vous pendre, mais publiez votre pensée. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir, étroite obligation de quiconque a une pensée, de la produire et mettre au jour pour le bien commun. La vérité est toute à tous.
P.-L. Courier, Œ. compl., p. 214.
12 En 1792, la fidélité au serment passait encore pour un devoir; aujourd'hui, elle est devenue si rare qu'elle est regardée comme une vertu.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. II, p. 38.
13 À l'austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :
Quelle est donc cette femme ? et ne comprendra pas.
Arvers, « Sonnet ».
13.1 Nous ne vous demandons rien, mon ami, dit-il. C'est votre droit de vous taire.
— C'est mon devoir de parler.
J. Verne, l'Île mystérieuse, t. II, p. 543.
14 Mais cependant, prier pour les morts leur restait un devoir auquel elles n'osaient point faillir, et d'ailleurs un devoir très doux (…)
Loti, les Désenchantées, I, III, p. 47.
15 L'art est un jeu. Tant pis pour celui qui s'en fait un devoir.
Max Jacob, Conseils à un jeune poète, p. 24.
16 (…) les Prophètes osent dire que l'élection divine impose plus de devoirs qu'elle ne confère de droits.
Daniel-Rops, le Peuple de la Bible, III, II, p. 223.
Trahir son devoir, ses devoirs. || Faillir, forfaire, manquer à son devoir (→ Berner, cit. 5). || S'écarter de son devoir. || Transiger avec son devoir. || Négliger, oublier son devoir.
17 Manquer à son devoir était l'impiété la plus grave qu'on pût commettre (…)
Fustel de Coulanges, la Cité antique, p. 33.
Spécialt. || Les devoirs envers soi-même. || Il place l'honneur au premier rang de ses devoirs. || Devoir d'état. || Les devoirs de son état, de sa charge. Service; rôle (→ Cahier, cit. 3). || Devoir professionnel. || Les devoirs du médecin ( Déontologie).
18 Un prince dans un livre apprend mal son devoir.
Corneille, le Cid, I, 3.
19 Le devoir des juges est de rendre la justice; leur métier, de la différer. Quelques-uns savent leur devoir, et font leur métier.
La Bruyère, les Caractères, XIV, 43.
20 Nos premiers devoirs sont envers nous; nos sentiments primitifs se concentrent en nous-mêmes; tous nos mouvements naturels se rapportent d'abord à notre conservation et à notre bien-être.
Rousseau, Émile, II.
21 C'est pour le romancier observateur aussi bien que pour le médecin, un devoir professionnel que de cultiver une certaine insensibilité naturelle (…)
A. Thibaudet, Gustave Flaubert, p. 12.
Les devoirs envers les autres. || Devoirs de justice, de charité. || Observation rigoureuse des devoirs de justice. Probité. || Devoir envers le prochain. || Devoir de fidélité, de loyauté. || Les devoirs de l'amitié. || Devoir de reconnaissance (→ Acquitter, cit. 7). || Devoirs des parents envers les enfants. || Devoir paternel, maternel, filial.
22 Il est des devoirs simples et sublimes qu'il n'appartient qu'à peu de gens d'aimer et de remplir : tels sont ceux du père de famille, pour lesquels l'air et le bruit du monde n'inspirent que du dégoût, et dont on s'acquitte mal encore quand on n'y est porté que par des raisons d'avarice et d'intérêt.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, lettre, X.
Loc. Devoir conjugal (cit. 2).
Les devoirs de la société envers l'individu (→ Charge, cit. 20). || Les droits et les devoirs de chacun. || Devoir civique, social. || Les devoirs du citoyen. || Faire son devoir de citoyen : voter. || Devoirs envers la patrie. || Devoir national, patriotique. || Le devoir militaire. || Faire son devoir.
23 Les devoirs dont il a été question jusqu'à présent sont ceux que nous impose la vie sociale; ils nous obligent vis-à-vis de la cité plutôt que de l'humanité.
H. Bergson, les Deux sources de la morale et de la religion, p. 31.
Les devoirs religieux. || Devoirs envers Dieu (→ Adorer, cit. 3; charité, cit. 3). || Le devoir pascal.
Les devoirs imposés par les convenances (cit. 4), les bienséances (cit. 13). || Un devoir de convenance. || Les devoirs mondains. Obligation.
24 (…) je suis tellement accablée de visites et de devoirs, que de bonne foi je n'en puis plus.
Mme de Sévigné, Lettres, 1180, 25 mai 1689.
25 De grasses matinées. Une toilette soigneuse et lente. Des devoirs mondains de l'après-midi et du soir.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XVIII, p. 238.
3 Au plur. Vieilli, solennel ou par plais. Civilité, hommage, respect. || Présenter ses devoirs à qqn. || Aller rendre ses devoirs à qqn.
26 Où est son Altesse Turque ? Nous voudrions (…) lui rendre nos devoirs.
Molière, le Bourgeois gentilhomme, V, 3.
Loc. Rendre à qqn les derniers devoirs, l'accompagner jusqu'à sa dernière demeure. Funèbre (honneurs funèbres); funérailles.
27 Tu veux à ce héros rendre un devoir suprême (…)
Corneille, Pompée, V, 4.
27.1 (…) il transporta ce cadavre sur le talus de la route. Il aurait voulu lui donner une sépulture décente, l'enterrer profondément, afin que les carnassiers de la steppe ne pussent s'acharner sur ses misérables restes (…) D'ailleurs, si Nicolas eût voulu rendre les derniers devoirs à tous les morts qu'il allait maintenant rencontrer sur la grande route sibérienne, il n'aurait pu y suffire !
J. Verne, Michel Strogoff, p. 389-390.
4 En devoir de… Disposition (en disposition de…), prêt (à). || Se mettre en devoir d'affronter une épreuve. || Se mettre en devoir de partir. Disposer (se), préparer (se).
28 (…) les garçons cantonnés dans la maison, même le vieux chanvreur et les vieilles commères, se mirent en devoir de garder le foyer.
G. Sand, la Mare au diable, Appendice, III, p. 167.
5 Être à son devoir, à son poste. || Retenir qqn dans le devoir, dans la discipline, l'obéissance, l'ordre, la soumission, la subordination. || Ramener qqn à son devoir. || Rentrer dans le devoir.
29 (…) je suis ravi de vous voir (…) revenue dans votre devoir (…)
Molière, le Bourgeois gentilhomme, V, 5.
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II Exercice scolaire écrit qu'un professeur fait faire à des élèves. Composition, épreuve, interrogation (écrite). || Enfant qui fait ses devoirs avec application. || Annoter, corriger des devoirs. Copie. || Rendre un devoir corrigé. || Devoir surveillé. || Devoirs du soir. || Devoirs de vacances, prévus pendant les vacances.
30 Ce fut sans émotion, et comme mettant la dernière ligne à un ennuyeux devoir de classe, que je traçai sur l'enveloppe le nom de (…)
Proust, À la recherche du temps perdu, t. IX, p. 178.
Par anal. Œuvre littéraire ou artistique d'un caractère didactique, ennuyeux, laborieux.
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III (1804; certainement antérieur; cf. deverium, XIIIe, en lat. médiéval). Hist. Association d'ouvriers, de compagnons (généralement écrit : Devoir). || Compagnon (cit. 8) du devoir. || Membre d'un Devoir (devoirant). || Le Devoir, le Saint Devoir de Dieu. || Le Devoir de Liberté (1804). → 2. Gavot.
REM. Le dér. devoirant a été déformé au XIXe s. en dévorant.

Encyclopédie Universelle. 2012.