jeter [ ʒ(ə)te ] v. tr. <conjug. : 4> I ♦ Envoyer à quelque distance de soi, dans une direction déterminée ou non.
1 ♦ Lancer. Jeter une balle, une pierre. Jeter sa casquette en l'air, par terre. Jeter un caillou dans l'eau. Pour l'avertir, il « jetait contre les persiennes une poignée de sable » (Flaubert). Armes que l'on jette (⇒ 1. jet) .
♢ Jeter son bonnet par-dessus les moulins. Jeter de l'huile sur le feu. — Jeter qqch. à la tête de qqn. ⇒fam. 2. flanquer. Fig. Il nous jette à la tête ses belles relations, il en fait étalage. On lui jette toujours son passé à la tête, on le lui reproche. — Jeter la pierre, la première pierre à qqn. Jeter de la poudre aux yeux. Jeter l'éponge.
2 ♦ Laisser tomber, faire tomber (qqch.). ⇒ balancer. Jeter des projectiles du haut du toit, par la fenêtre. Jeter l'argent par les fenêtres. — Ils furent jetés dans la rivière.
♢ Jeter l'ancre, une bouée, la sonde.
3 ♦ Disposer, établir dans l'espace, d'un point à un autre. Jeter une passerelle sur un ruisseau, un fossé. Jeter un pont. ⇒ construire.
♢ Établir, poser. Jeter les bases d'une société.
4 ♦ Envoyer en direction de qqn, pour donner. Jeter sa bourse à qqn, un os à un chien.
♢ Loc. Jeter le gant. — Jeter un sort : envoyer, diriger le mauvais sort (sur qqn). ⇒ jeteur, jettatura. — N'en jetez plus, (la cour est pleine) : assez, cela suffit.
5 ♦ Abandonner, rejeter comme encombrant ou inutile. ⇒ se débarrasser, se défaire. Vieux papiers bons à jeter (cf. fam. Foutre en l'air). Jeter des vêtements usagés. — Jeter une chose au rebut, au panier, à la poubelle. ⇒ mettre. Jeter au feu, aux quatre vents. Jeter par-dessus bord. — Loc. Jeter le froc aux orties. Jeter le manche après la cognée. Jeter le masque; du lest. Jeter le bébé avec l'eau du bain.
♢ Fam. Se faire jeter : être rejeté, abandonné, exclu; ne pas être admis (quelque part). Elle s'est fait jeter de son boulot : elle a été renvoyée.
6 ♦ Mettre, poser promptement et sans ordre, sans soin. « Il tira son portefeuille, jeta un billet sur la table » (Martin du Gard).
♢ Spécialt Jeter les dés. Les dés sont jetés. Jeter des lettres à la boîte, à la poste. ⇒ mettre.
♢ Jeter sur : mettre promptement pour couvrir. Jeter une couverture sur un lit. « Elle jeta un châle sur ses épaules » (F. Mauriac). Jeter un voile sur qqch. Fig. Jeter sur le papier : écrire, noter rapidement. — C'est juste une idée jetée sur le papier.
7 ♦ Répandre. Jeter de la lumière, de l'ombre sur qqch.
8 ♦ Techn. Jeter le métal dans le moule, le faire couler. — Par ext. Jeter une figure en moule : couler la statue.
9 ♦ (Abstrait) Jeter l'effroi, l'épouvante. ⇒ semer. Jeter le trouble, le doute dans les esprits. Jeter un froid. — Le sort en est jeté : tout est décidé; il n'y a plus rien à faire (cf. Les jeux sont faits).
II ♦ Faire mouvoir (une partie de son corps); faire sortir de soi.
1 ♦ Diriger (une partie du corps) dans telle direction. Jeter sa tête, ses poings en avant. Elle lui jeta ses bras autour du cou. — Par ext. Jeter l'œil, un coup d'œil, la vue, le regard sur qqch. ⇒ regarder.
2 ♦ (XIe) Faire sortir de soi. ⇒ émettre, répandre. Jeter des larmes. Jeter son venin, sa gourme. Diamants qui jettent mille feux. ⇒ flamboyer. Fig. Jeter une lueur, un vif éclat, des étincelles. Fam. En jeter : avoir belle apparence, faire impression. « Elle en jette, dit Boris avec admiration » (Sartre). Ça en jette ! En jeter plein la vue.
3 ♦ Émettre (un son, des paroles) avec une certaine force, une certaine brusquerie. Jeter une note, des cris, les hauts cris. Jeter des menaces, des insultes. ⇒ proférer. Elle a jeté ça dans la conversation. — « Une assertion jetée un peu au hasard » (Proust).
4 ♦ Proclamer. Jeter le dévolu, son dévolu sur qqn.
III ♦ (XIIe « chasser »)
1 ♦ Pousser, diriger avec force, dans telle direction, vers tel lieu. ⇒ envoyer. — (Choses) Navire que le vent jette à la côte. Jeter sa voiture dans le fossé. — (Personnes) Jeter qqn dehors, le mettre à la porte. Jeter en prison. Être jeté sur le pavé. — « les cahots jetaient les interlocuteurs l'un sur l'autre » (Aragon).
2 ♦ Mettre brusquement (qqn) dans une certaine disposition d'esprit. ⇒ plonger. Jeter qqn dans le désarroi. « des idées vagues et pures, qui jetaient Élodie dans le ravissement » (France).
3 ♦ JETER BAS, À BAS, À TERRE : faire tomber brutalement. ⇒ abattre, démolir, renverser, 2. terrasser. Jeter bas une maison, un arbre. « Il a suffi d'une pichenette pour le jeter bas » (Duhamel). Il a jeté à bas tous nos espoirs. ⇒ anéantir (cf. fam. Foutre par terre).
IV ♦ SE JETER v. pron.
1 ♦ Sauter, se laisser choir. Se jeter à l'eau, dans la rivière. ⇒ plonger; fam. se ficher, se foutre. Se jeter par la fenêtre (⇒ se défenestrer) , du troisième étage, dans le vide. Se jeter en parachute.
2 ♦ Aller d'un mouvement précipité. ⇒ s'élancer, se précipiter. Se jeter de côté, contre un mur, à terre. Elle s'est jetée sur son lit. « je me jetai à ses genoux en sanglotant » (A. Daudet). Se jeter aux pieds, aux genoux, dans les bras, au cou, à la tête de qqn. La voiture s'est jetée contre un arbre. — Se jeter sur qqn pour l'attaquer. ⇒ assaillir; sauter, 1. tomber (sur). Il s'est jeté sur lui et l'a frappé. — Se jeter sur la nourriture.
3 ♦ Fig. S'engager avec fougue, sans mesurer les risques. Se jeter à corps perdu dans une entreprise. ⇒ se lancer. Se jeter dans la bagarre. Se jeter avec audace, étourderie dans une affaire. Se jeter dans un parti, dans l'action. Se jeter dans la mêlée. Se jeter au travers d'un projet, pour empêcher sa réalisation.
4 ♦ Déverser ses eaux (cours d'eau). ⇒ affluer. Les rivières qui se jettent dans la Seine. Par anal. « l'endroit où la rue Gay-Lussac se jette dans la rue Claude-Bernard » (Duhamel). ⇒ 2. déboucher.
● Jeter la couler dans un moule.
jeter
v.
rI./r v. tr.
d1./d Lancer. Jeter des pierres.
|| Loc. fig. Jeter un coup d'oeil sur une chose, la regarder rapidement.
— Jeter de la poudre aux yeux: tenter de surprendre, de séduire par des faux-semblants brillants mais vains.
d2./d Faire tomber ou laisser tomber. Les assiégés jetaient de la poix bouillante du haut des remparts.
|| Loc. fig. Jeter l'argent par les fenêtres: faire preuve d'une prodigalité excessive.
d3./d Se débarrasser de (ce qui est hors d'usage, encombre, est inutile). Jeter de vieux papiers.
d4./d Renverser. Jeter qqn à terre.
— Jeter bas une cloison, la démolir.
d5./d émettre, envoyer (en faisant sortir de soi). Serpent qui jette son venin.
|| émettre (un son), pousser (un cri).
— Fig. Jeter les hauts cris: se récrier hautement, s'indigner.
d6./d Pousser, porter avec force vers. épaves que les vagues jettent sur la grève.
— Jeter qqn dans un cachot, l'y emprisonner, l'y faire emprisonner.
|| Fig. Jeter qqn dans l'inquiétude, dans l'illusion.
d7./d Asseoir, établir, poser. Jeter les bases, les fondements de qqch.
|| Construire (une passerelle, un pont). Jeter un pont de lianes au-dessus d'un torrent.
|| Jeter sur: déposer en hâte ou négligemment sur. Jeter un châle sur ses épaules.
rII./r v. Pron.
d1./d Se précipiter (vers, dans, contre, etc.). Il s'est jeté sur moi. Se jeter dans les bras, au cou de qqn.
|| Fig. Se jeter avec fougue dans le militantisme politique.
— Se jeter à la tête de qqn, lui faire des avances, s'imposer à lui.
d2./d Se laisser tomber. Se jeter dans le vide, se jeter par la fenêtre.
d3./d Se jeter dans: confluer avec (en parlant d'un cours d'eau). L'Aar et la Moselle se jettent dans le Rhin.
⇒JETER, verbe trans.
I. — Qqn jette qqc.
A. — Envoyer à quelque distance.
1. Envoyer (dans une direction), le plus souvent de manière violente ou agressive et pour atteindre un but. Synon. lancer.
a) [L'obj. désigne un inanimé concr.]
) Qqn jette qqc. Julien de Médicis (...) est loué par son biographe (...) pour son habileté à manier le cheval, à lutter et à jeter la lance (TAINE, Philos. art, t. 1, 1865, p. 198).
— Qqn jette qqc. + compl. locatif. Des grandes-duchesses en haillons dont on avait assassiné (...) les fils en jetant des pierres dessus (PROUST, Temps retr., 1922, p. 854).
— Qqn jette qqc. + compl. d'obj. second. Les soldats repoussent le peuple, qui leur jette des cailloux (MUSSET, Lorenzaccio, 1834, III, 3, p. 175).
♦ Emploi pronom. réciproque indir. Ils se dépêchaient, s'en jetant [des seaux d'eau] dans les jambes, dans le dos (LOTI, Mon frère Yves, 1883, p. 374). Ces nymphes couraient, bavardaient, combattaient, se jetaient des fleurs, inventaient mille jeux pour se divertir (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 231).
) Jeter qqc. à la face, à la figure, au nez, à la tête, au visage de qqn. Synon. envoyer, balancer (fam.), flanquer (fam.). Il nous a jeté de la boue au visage (FLAUB., Tentation, 1856, p. 548). Alban hors de lui roula en boule le beau programme qu'il comptait garder comme souvenir, et le jeta à la tête de l'infâme (MONTHERL., Bestiaires, 1926, p. 386).
— Emploi pronom. réciproque indir. Lantier avait voulu une soupe à l'huile (...); et, comme Adèle trouvait ça infect, ils se sont jeté la bouteille d'huile à la figure (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 549).
— Au fig.
♦ Dire sans ménagement ou reprocher brutalement. À toute occasion, il lui jetait au front de sèches vérités (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 252) :
• 1. — Je vous en prie, dis-je, ne me jetez pas ainsi ma jeunesse à la tête. Je m'en sers aussi peu que possible; je ne crois pas qu'elle me donne droit à tous les privilèges ou à toutes les excuses. Je n'y attache pas d'importance.
SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 157.
Emploi pronom. réciproque indir. À tous instants, ils se jettent à la face l'affaire Dreyfus (BARRÈS, Cahiers, t. 5, 1907, p. 105).
♦ Offrir quelque chose (parfois quelqu'un) à quelqu'un, sans qu'il l'ait demandé. Il s'imaginait que j'allais lui jeter ma fille à la tête (Ac.).
♦ Faire un étalage déplaisant de. Jeter ses richesses à la tête de qqn.
) Loc. verb. fig.
— Jeter son bonnet par dessus les moulins; jeter des fleurs à qqn; jeter de l'huile sur le feu; jeter la (première) pierre à qqn; jeter des pierres dans le jardin de qqn; jeter de la poudre aux yeux.
— Pop. N'en jetez plus (la cour est pleine). N'ajoutez rien, ni reproches ni compliments, cela suffit. Soyons, s'il te plaît, toi, coquette, moi, bien mis, Mangeons comme de droit, buvons comme permis (...) Toi : N'en jetez plus, la cour est pleine! (VERLAINE, Œuvres compl., t. 3, Élégies, 1893, p. 67) :
• 2. GABRIELLE : Je n'y peux rien! Je ne la trouve [votre bouche] ni très jolie, ni très fraîche, ni très appétissante!... PONTA TULLI (...) : Ça va! Ça!... N'en jetez plus!
BERNSTEIN, Secret, 1913, II, 6, p. 20.
b) [L'objet désigne un animé]
— Qqn jette qqn + compl. locatif. Le capitaine Colette n'embrassait pas les enfants (...). S'il m'embrassait peu, du moins il me jetait en l'air, jusqu'au plafond que je repoussais des deux mains et des genoux, et je criais de joie (COLETTE, Sido, 1929, p. 82).
— FAUCONN. Jeter le faucon (du poing). Le lancer sur sa proie. (Dict. XIXe s., Lar. Lang. fr.).
— Loc. verb. fig. Jeter le chat aux jambes de qqn.
2. En partic. Envoyer (vers le bas), laisser ou faire tomber.
a) [Le suj. désigne une pers.; l'obj. désigne un inanimé]
— Qqn jette qqc. Le jeune Châteaubedeau faisait grand vacarme dans sa tour et jetait des moellons par les meurtrières (BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p. 110).
♦ [P. méton. du suj.] Le passage d'une escadrille jetant des bombes ou mitraillant le sol (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 311).
) BOXE. Jeter l'éponge.
) MAR. Jeter l'ancre, une bouée, le grappin, un filet, le loch, la sonde.
— Qqn jette qqc. + compl. locatif. Jeter (à) bas. C'est (...) de toutes ces vieilles baraques vermoulues et penchées (...) que des balles pleuvaient. (...) on leur jetait sur la tête meubles, fourneaux, pots de fleurs, armoires; on les écrasait comme dans des mortiers (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 252). Le soldat a jeté son fardeau par terre et regarde le Rhin (CLAUDEL, Feuilles Saints, 1925, p. 666). Dans la nuit, sa mère et sa sœur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps dans la rivière (CAMUS, Étranger, 1942, p. 1180).
♦ [P. méton. du suj.] Des tombereaux jetaient leur charge à terre (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 628).
b) [Le suj. et l'obj. désignent une pers.] Qqn jette qqn + compl. prép. Pénétrant dans la prison, les assassins jetaient les prisonniers par les fenêtres (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 181). La femme, la Juive, levait toute droite sa jambe; (...) Dodoche flatté d'être regardé par les trois seuls hommes en chapeau du bal, l'a prise à bras-le-corps et l'a jetée dans l'orchestre (GONCOURT, Journal, 1863, p. 1229).
— Emploi pronom. réfl. Quand on se jette d'un trait du haut de la tour Eiffel on doit sentir des choses comme ça. On voudrait se rattraper dans l'espace (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 48). Une fusée rouge éclate soudain dans le ciel (...). Aussitôt les deux compagnons se jettent au sol (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 239). Nada court sur la jetée, et se jette à la mer (CAMUS, État de siège, 1948, p. 300).
♦ Loc. verb. fig. Se jeter à l'eau.
c) [Le suj. et l'obj. désignent un inanimé concr.] Littér. Rien n'est plus douloureusement calme qu'un crépuscule d'automne. Les rayons pâlissent dans l'air frissonnant, les arbres vieillis jettent leurs feuilles (ZOLA, Th. Raquin, 1867, p. 68).
3. CONSTRUCTION
a) Disposer, établir un pont (dans l'espace, d'un point à un autre).
♦ GÉNIE MILIT. De façon provisoire et souvent à la hâte. Les Prussiens avaient jeté des ponts à Baccarach et dans plusieurs autres endroits (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 91) :
• 3. Il fallut donc se placer sur la rive droite de l'Alpon, de manière à pouvoir tomber sur les derrières de l'ennemi qui attaquerait Vérone, et par là soutenir cette place par la rive gauche, ce que l'on n'eût pu faire si l'on eût jeté le pont sur la rive gauche de l'Alpon...
LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 548.
♦ TRAV. PUBL. De façon durable. De la ville neuve où je suis logé, on passe dans la vieille ville en traversant un pont jeté sur le North Loch, marais jadis profond, aujourd'hui desséché (MICHELET, Chemins Europe, 1874, p. 110). C'était en 1878, quand la province foisonnait dans les hôtels, sur les boulevards et ce pont gigantesque jeté entre le Champ-de-Mars et le Trocadéro (A. DAUDET, Trente ans Paris, 1888, p. 140).
b) Littér. [Aspect accompli] De la rade, un pont (...) jette ses arches, élevées en ogives, sur la rivière de Bayruth (LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 150).
B. — Envoyer quelque chose à (un animé), pour la lui donner. Synon. fam. balancer.
1. [L'obj. second désigne un animal] Jeter un os à un chien, des miettes aux oiseaux. Les corps [des chefs français] furent jetés aux vautours (BAUDRY DES LOZ., Voy. Louisiane, 1802, p. 52). Elle [une pie] prenait tout ce qu'on lui jetait, comestible ou non, et, selon le caprice de l'heure, le mangeait ou le cachait dans quelque coin (PERGAUD, De Goupil, 1910, p. 246).
— Loc. verb. fig. Jeter sa part aux chiens; cela n'est pas bon à jeter aux chiens; jeter des perles aux pourceaux; jeter sa langue aux chats, aux chiens.
2. [L'obj. second désigne une pers.] Une jeune femme s'avança en jetant une bourse à un écuyer vert (FLAUB., Mme Bovary, t. 2, 1857, p. 66).
— Loc. verb. fig. Jeter son gant, son mouchoir à qqn.
3. Littér. [L'obj. second désigne un inanimé] La terre est immobile quand elle reçoit la graine que lui jette le laboureur (BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1917, p. 228).
C. — Lancer ou rejeter (une chose usagée, encombrante, inutile).
1. Qqn jette qqc. Les blessés redressés jetaient leur fusil, l'équipement, la musette, et partaient en courant (DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p. 286).
— Qqn jette qqc. + compl. prép. introduit par à. Jeter à la poubelle. Il retourne à l'instant chez lui, jette au feu tous ses certificats de service (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 509). Le Kaani, pittoresque? Ce qu'a de pittoresque une vieille paire de bottes éculées et crottées. Jetez-moi ça au fumier (BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1914, p. 49). Je jette au panier ce document périmé (SARTRE, Mots, 1964, p. 201).
— Loc. verb. fig. Jeter l'argent par les fenêtres; jeter les/ses armes; jeter le froc aux orties; presser l'orange et jeter l'écorce; jeter du lest; jeter le manche après la cognée; jeter le masque; jeter au vent, en l'air.
2. [Le suj. désigne un cervidé] Jeter sa tête. Perdre naturellement ses bois. (Ds Ac., LITTRÉ, Lar. Lang. fr.).
D. — P. ext.
1. Qqn jette qqc. (+ compl. prép.).
a) Mettre, déposer (le plus souvent avec vivacité ou à la hâte, et/ou de façon désordonnée). La petite mère, dit-il à la femme, en espagnol, en jetant son manteau dans un coin, on ne bavarde pas chez vous? (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 5, 1859, p. 155). Le soir même il prenait le train après avoir jeté à la poste une lettre adressée à M. le comte André de Jussat (BOURGET, Disciple, 1889, p. 223) :
• 4. Soudain, on l'appelle du dehors : « Patron! On repêche un macchab.. Amenez-vous! On sera aux premières! « Vite, Lecouvreur jette son tablier; le père Deborger gardera la boutique.
DABIT, Hôtel Nord, 1929, p. 90.
— [L'obj. désigne un animal] Le petit cochon noir fut livré pour quarante-cinq francs cinquante (...). Aussitôt, l'animal fut soulevé, jeté en travers sur le cou de Braunens, les pattes de chaque côté (PESQUIDOUX, Chez nous, 1921, p. 74).
— En partic.
) [L'obj. désigne un vêtement] Mettre sommairement, à la hâte. Jeter un châle sur ses épaules, sur le dos de qqn. S'étant jeté un manteau sur les épaules, elle mena ses amies et le graveur dans le jardin (FRANCE, Dieux ont soif, 1912, p. 312).
♦ BEAUX-ARTS. Jeter une draperie. La disposer de manière élégante, avec une négligence étudiée. Les draperies [du buste du Piron] sont largement jetées (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 7, 1867 [1864], p. 464).
♦ Loc. verb. fig. Jeter un manteau, le manteau de Noé; jeter un voile sur qqc.
) [L'obj. désigne un aliment] Mettre rapidement, déposer vivement. Prenez six gros oignons, trois racines de carottes, une poignée de persil; hachez le tout et le jetez dans une casserole, où vous le ferez chauffer (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 340).
♦ Loc. verb. pop. Se jeter qqc. dans le gosier. Le manger, le boire; [p. ell. de verre] s'en jeter un (derrière la cravate). Boire un verre. Y a Gabriel (...) qui nous invite tous (...) à venir s'en jeter un en le regardant faire son numéro. S'en jeter un et j'espère bien plusieurs (QUENEAU, Zazie, 1959, p. 186).
) [L'obj. désigne des signes d'écriture, un dessin] Jeter (sur le papier). Écrire, tracer à la hâte. Malgré lui, il traçait ces lignes (...). Il avait d'abord jeté les croquis rapidement; il s'appliqua ensuite à conduire le fusain avec lenteur (ZOLA, Th. Raquin, 1867, p. 172). Le peintre-né, le coloriste, jette à peine une esquisse de traits généraux. Tout de suite il veut colorer (MAUCLAIR, De Watteau à Whistler, 1905, p. 72). Je ne sais plus à la suite de quelle lecture, de quelle conversation ou de quel rêve, j'ai jeté ces lignes sur le papier? (MARTIN DU G., Souv. autobiogr., 1945, p. CXXVII). [P. méton.] Jeter ses idées sur le papier. (Dict. XXe s.).
) [L'obj. désigne un poids] Déposer (avec plus ou moins de force et de vivacité). Jeter un poids dans le plateau d'une balance. (Dic. XXe s.).
♦ Au fig. Jeter son épée dans la balance; jeter son autorité dans ce débat.
) Vieilli. [L'obj. désigne une œuvre, un personnage] Au part. passé. Particulièrement réussi. Synon. pop. torché. Quant au don Juan de Namouna, à cette forme nouvelle du roué (...), il était si charmant, si hardiment jeté, il était l'occasion de si beaux vers (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 13, 1857, p. 367). Cette lettre de Marceau enflamma le régiment (...). — C'est jeté, hein! disait le brigadier-trompette (D'ESPARBÈS, Tumulte, 1905, p. 141).
b) Spécialement
— ARCHITECTURE
) Jeter les bases, les fondations, les fondements d'(un édifice). Commencer la construction de. Ce fut le calife Abdérame Ier qui jeta les fondements de la mosquée de Cordoue vers la fin du VIIIe siècle (GAUTIER, Tra los montes, 1843, p. 310). Ils [les premiers rapatriés] jetèrent les fondements du temple (...). Les travaux interrompus par la jalousie des samaritains, furent repris en la deuxième année de Darius et achevés la sixième (Théol. cath. t. 4, 1 1920, p. 1002).
♦ Au fig. Amorcer ou permettre le développement de, établir les grandes lignes de. Jeter les bases d'une science, d'une théorie. Peppin reprend l'Exarchat, le donne au pape, et jette les fondements de la royauté temporelle des pontifes (CHATEAUBR., Ét. ou Disc. hist., t. 3, 1831, p. 246). Avant la cinquantaine, il posséderait à son actif nombre de découvertes; et, surtout, il aurait déjà jeté les bases de cette méthode personnelle, encore confuse (MARTIN DU G., Thib., Consult., 1928, p. 1130). Les mesures prises au cours des dernières années ont permis de jeter les bases de la nouvelle orientation que le gouvernement entendait donner à sa politique économique (Amén. terr., 1964, p. 22).
) Au part. passé. Construit (sur un terrain en pente). Il y avait quelques beaux palais d'ambassadeurs jetés sur les terrasses en pente de Galata (LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 350). Il (...) passa devant le mélancolique cimetière de Pradeau, jeté au flanc de la colline (SAND, Jeanne, 1844, p. 30).
— FOND. Jeter (une figure) en moule; jeter (une statue) en bronze, jeter (un objet) en fonte. Couler dans un moule; couler dans un métal. Les Florentins (...) voulaient jeter en bronze les portes du baptistère (STENDHAL, Hist. peint. Ital., t. 1, 1817, p. 123).
♦ Au fig., littér. Couler. L'arme où l'on sert est le moule où l'on jette son caractère, où il se change et se refond pour prendre une forme générale imprimée pour toujours (VIGNY, Serv. et grand. milit., 1835, p. 23).
Emploi pronom. réfl. à sens passif. Mais le goût et les mœurs ne se jettent pas d'une seule fonte. Le passé traîne ses restes dans le présent (CHATEAUBR., Rancé, 1844, p. 12).
— IMPR. Jeter un (du) blanc. Mettre une interligne entre deux lignes. Jeter une (des) espace(s). Mettre une espace entre deux mots. Il ne s'ensuit pas cependant qu'on doive jeter des espaces égales entre chaque mot, ou entre chaque lettre lorsqu'elles doivent être exceptionnellement espacées (E. LECLERC, Nouv. manuel typogr., 1932, p. 8).
— JEUX
♦ Jeter une carte. La jouer. Jeter des cartes. À certains jeux (comme le piquet ou l'écarté), se défaire de certaines cartes pour en prendre d'autres. J'ai jeté les piques (Ac. 1878-1935).
♦ Jeter les dés. Les lancer sur la table de jeu. Au fig. Les dés sont jetés. P. anal. Le sort en est jeté.
c) Au fig. [L'obj. désigne un inanimé abstr.] Placer en dernier recours. C'est dans un prêtre qu'on jette sa dernière confiance (MONTHERL., Malesta, 1946, II, 4, p. 471).
2. Qqn (ou p. méton. qqc.) jette qqn (en un lieu). Vieilli et fam. Déposer sans s'arrêter longtemps. Il y a deux manières d'aller à Vitré (...) ou bien vous prenez la digilence de Rennes qui vous jette en passant sur la place (NERVAL, Nouv. et fantais., 1855, p. 151). Vous n'avez pas quelque course pressée, docteur Roudine? Je vous jetterais, en route. J'ai une place pour vous dans mon auto (BOURGET, Némésis, 1918, p. 239).
E. — Jeter qqc. + compl. prép.
1. [L'obj. désigne une lumière ou une ombre] Jeter sur. Synon. de projeter. Les réflecteurs, qui jetaient toute la lumière sur le puits, éclairaient vivement les rampes de fer (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1151). Le maréchal et son ouvrier (...) jetaient sur le mur de grandes ombres brusques (ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p. 21) :
• 5. ... quelques arbustes à large feuille, quelques jeunes touffes de platanes et de sycomores jetaient une tache d'ombre sur l'herbe, pour nous abriter et tenir les chevaux au frais.
LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 21.
— Au fig.
♦ Jeter un éclairage, un jour, une clarté, une lumière (+ adj.) sur. Éclairer de façon nouvelle, expliquer de façon inédite. Ces phénomènes (...) jettent un grand jour sur ces mêmes propriétés qu'ils nous montrent en action (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. V). Elle [la classification de Gerhardt] a jeté une vive clarté sur l'étude de presque toutes les matières volatiles (BERTHELOT, Synth. chim., 1876, p. 153). Les recherches paléobotaniques poursuivies depuis un demi-siècle ont jeté une vive lumière sur l'évolution du règne végétal (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 763).
♦ Jeter une ombre sur. Assombrir, ternir. Le désir unanime des délégués socialistes au Parlement est (...) d'éviter tout ce qui pourrait jeter une ombre sur la visite officielle de l'Italie à la France (JAURÈS, Paix menacée, 1914, p. 13).
2. [L'obj. désigne un sentiment, une disposition d'esprit]
a) Synon. produire, susciter. Jeter l'effroi, l'épouvante, la terreur. Son rire franc jetait de la joie autour d'elle (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 5). La baisse des assignats jette un trouble extrême dans toutes les transactions (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p. 113).
— Loc. verb. Jeter un froid.
b) Jeter sur. Faire tomber sur. Jeter le ridicule sur qqn. Je vois qu'il jette le plus terrible soupçon sur Rouvier (BARRÈS, Cahiers, t. 5, 1907, p. 184). En cinq ans une auto n'est plus qu'un vieux clou ruineux, qui jette le discrédit sur son propriétaire (J.-R. BLOCH, Dest. du S., 1931, p. 143).
II. — Qqn/qqc. jette qqc./qqn + compl. prép.
A. — Pousser, diriger avec force ou violence (dans une direction donnée). Leur mère s'élança, furieuse, et, les prenant chacun par un bras, elle les jeta dans l'appartement en les secouant avec vigueur (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, En fam., 1881, p. 334). Tout à coup, une explosion formidable tombe sur nous. Je tremble jusqu'au crâne, (...) une odeur brûlante de soufre me pénètre les narines (...). La terre s'est ouverte devant moi. Je me sens soulevé et jeté de côté, plié, étouffé et aveuglé à demi dans cet éclair de tonnerre (BARBUSSE, Feu, 1916, p. 184). Entre les phrases, les cahots jetaient les interlocuteurs l'un sur l'autre (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 327).
— [L'obj. désigne un animal attelé ou monté ou un moyen de locomotion] Diriger de façon délibérée. Une malle-poste au grand galop se précipitait comme une trombe (...) d'une secousse de ses guides, il [le postillon] les jeta [les chevaux] dans le débord (FLAUB., Cœur simple, 1877, p. 59). Phil (...) jeta sa bicyclette d'un côté et son propre corps de l'autre, sur l'herbe crayeuse du talus (COLETTE, Blé en herbe, 1923, p. 81). Il avait, presque sans ralentir, jeté la voiture dans un chemin de traverse. Ils roulèrent encore un moment puis il freina brusquement et rangea l'auto au bout du chemin sous un bouquet d'arbres (SARTRE, Mort ds âme, 1949, p. 157).
— Vx et région. Jeter une porte. La claquer. D'autres (...) disaient : je n'y tiens plus! et sortaient au milieu d'un acte d'Hernani en jetant la porte de leur loge avec violence (Mme V. HUGO, Hugo, 1863, p. 132). Jansoulet s'arrêta, dégrisé de sa colère, puis avec un geste de dégoût s'élança dehors, en jetant les portes (A. DAUDET, Nabab, 1877, p. 136).
— [Le suj. désigne une force naturelle] Qu'il était charmant! ce petit lac, où le vent jetait quelquefois les pommes de pin de la forêt (KRÜDENER, Valérie, 1803, p. 50). Le fleuve vient de jeter encore un noyé sur sa rive (DUMAS père, Tour Nesle, 1832, II, 2, p. 28). Voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui (...) soulève la mer en montagnes d'eau, (...) et jette aux brisants les grands navires (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Horla, 1886, p. 1103).
B. — En partic.
1. Littér. et vieilli. Jeter qqn à + inf. Envoyer quelqu'un pour. Cela ira à destination par mon fils. Jetez un de vos clercs à me le ramener (DRUON, Reine étranglée, 1955, p. 106).
2. Expressions
a) Jeter qqn + compl. prép. désignant un lieu de détention. Jeter au cachot, dans les fers, aux oubliettes, en prison. Dans beaucoup de kommandos des sous-officiers se croisaient les bras. On les jetait en cellule, on les rossait, on les faisait jeûner, ils n'en démordaient pas (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 262).
— P. anal. Croyez-moi, faites la part du feu et assoupissez tout cela par un mariage. — Je jetterais plutôt ma fille au fond d'un couvent! répondit l'inflexible matrone (THEURIET, Mar. Gérard, 1875, p. 206).
♦ Emploi pronom. réfl. Mlle Aïssé (...) déclara que si on [le Régent] continuait de l'obséder, elle se jetterait dans un couvent (SAINTE-BEUVE, Portr. littér., t. 3, 1844-64, p. 143).
b) Jeter qqn + compl. prép. désignant un supplice. Jeter au feu; jeter les chrétiens aux lions.
c) Loc. verb.
— Jeter dehors, sur le pavé, à la porte, à/dans la rue.
— Pop. Jeter qqn. Mettre à la porte. Se faire jeter. Se faire mettre à la porte.
— Jeter (une femme) à la rue, au trottoir.
— Jeter une femme (à la tête, dans les bras, dans le lit d'un homme). La pousser avec insistance vers lui. Mademoiselle Merquem est la mère de l'enfant, M. de Montroger en est le père, et voilà ce qui l'empêche d'épouser les jeunes personnes qu'on lui jette à la tête? (SAND, Mlle Merquem, 1868, p. 78). Pourquoi Mohammed me l'avait-il donnée? (...) avait-il obéi à une pensée plus complexe, plus pratique, moins généreuse en jetant dans mon lit cette fille qui m'avait plu? (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Allouma, 1889, p. 1315). Un mois après, cet assureur à belle moustache lui jetait son amie dans les bras, friand de voir son trouble et son embarras en face des femmes (MONTHERL., Célibataires, 1934, p. 856).
— Jeter bas, à bas, à terre. Faire tomber. Synon. abattre.
♦ [L'obj. désigne un inanimé concr.] L'ouragan a jeté bas les tilleuls l'un après l'autre (BARRÈS, Cahiers, t. 6, 1908, p. 94). Vous ne sauriez imaginer (...) quelle horreur me saisit quand je vis s'accomplir ce crime [la démolition du château d'Issy]. Jeter à bas ce radieux édifice! (RODIN, Art, 1911, p. 13). L'amas des cimes mi-rompues par le choc sur le sol fut tel qu'elles prenaient de loin l'aspect d'un édifice jeté bas par un tremblement de terre (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p. 48).
♦ [L'obj. désigne une pers.] Le vent embusqué dans les saules l'avait assaillie à la gorge et quasiment jetée par terre (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p. 27) :
• 6. Ils [les soldats] avaient tiré (...). Les cinq autres coups avaient jeté bas la Brûlé et le porion Richomme (...). La vieille, la gorge ouverte, s'était abattue toute raide et craquante comme un fagot de bois sec...
ZOLA, Germinal, 1885, p. 1509.
♦ Au fig. [L'obj. désigne un inanimé abstr.] Synon. de détruire, ruiner. Dans l'intervalle il avait détruit la République romaine et restauré en 1849 cette papauté qu'il voulait jeter bas en 1831 (HUGO, Nap. le Pt, 1852, p. 18). La réapparition de Larsan, en gare de Bourg, avait jeté bas tous les plans de voyage de M. et Mme Darzac (G. LEROUX, Parfum, 1908, p. 35).
3. ART MILIT.
a) Jeter qqn dans. Faire intervenir inopinément, en comptant sur un effet de surprise :
• 7. ... soit que, — ce qui (...) serait le projet du général Foch — nous jetions nos dernières forces dans une attaque sur tous les fronts, et prenions des gages sérieux, avant que les Américains se soient mis en branle.
MARTIN DU G., Thib., Épil., 1940, p. 809.
b) Jeter (un pays) contre (un autre). Faire entrer en conflit. La classe ouvrière allemande s'opposerait (...) à toute tentative criminelle pour jeter l'un contre l'autre les deux peuples voisins (JAURÈS, Paix menacée, 1914, p. 227).
4. ÉCON. Jeter sur le marché
a) Faire intervenir (un élément de capital) en vue d'une action efficace. Jeter des actions sur le marché. (Dict. XXe s.).
b) Mettre dans les circuits économiques
— pour être vendu. L'imprimerie a pu jeter rapidement sur le marché, moyennant des frais généraux réduits, de nombreux exemplaires, tous excellents, d'un même ouvrage (Civilis. écr., 1939, p. 14-5).
— pour produire. Il était très supérieur aux jeunes gens que l'école hôtelière jette sur le marché par promotions (FARGUE, Piéton Paris, 1939, p. 227).
C. — Au fig. Qqc./qqn jette qqn + compl. prép.
1. Pousser avec force. Jeter qqn dans qqc. Il résistait aux offres de la vicomtesse qui lui voulait faire vendre sa charge et le jeter dans la magistrature (BALZAC, Gobseck, 1830, p. 381). Madeleine (...) ne pouvait ressentir aucun intérêt pour un étranger que le hasard avait jeté dans sa vie comme un accident (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 112). Belombre, qu'une vie fort agitée avait jeté dans le théâtre (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 167).
— Emploi pronom. réfl. S'élancer. Se pénétrer des exercices de saint Ignace tout en se jetant dans la mêlée des intrigues politiques, n'est-ce point la perfection et comme la sainteté de la perversion? (BLONDEL, Action, 1893, p. 9).
2. [Le compl. prép. désigne une pers.] Pousser vers. C'est cela que j'ai fait en l'épousant, j'ai obéi à cet imbécile emportement qui nous jette vers la femelle (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Cas de div., 1886, p. 1069). J'ai honte. Une brusque franchise me jette vers elle (COLETTE, Cl. s'en va, 1903, p. 50). Deux amants que l'amour jetait l'un vers l'autre, par-dessus la souffrance (CAMUS, Peste, 1947, p. 1273).
3. [Le compl. prép. désigne un sentiment, une attitude] Jeter qqn dans, à (rare) qqc. Mettre brusquement dans. Synon. plonger. Jeter dans le désespoir, dans l'embarras, dans le trouble. Ce spectacle grotesque jetait les deux guerriers à des transports de joie bruyante (COURTELINE, Train 8 h 47, 1888, 2e part., I, p. 90). Ce bavardage jette mes voisines dans une gaîté immodérée (COLETTE, Cl. à l'école, 1900, p. 212). Elle voyait bien que Samuel élevait Christophe autrement qu'elle n'était élevée. Et cela la jetait dans une grande incertitude (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 199) :
• 8. ... le soir livide qui descendait, les feuillages noirs du jardin, les meubles presque indistincts dans l'ombre, jetaient Otto dans une telle extase, qu'il ne songeait pas à avancer.
BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 247.
— Loc. verb. Jeter hors de soi, hors de ses gonds. Mettre brusquement dans une colère folle. Il y avait encore les récits des abominations de la commune, qui le jetaient hors de lui, en blessant son respect de la propriété et son besoin d'ordre (ZOLA, Débâcle, 1892, p. 600).
III. — Qqn/qqc. jette qqc. Mouvoir (une partie de son corps); faire sortir de soi.
A. — Diriger vivement (dans une direction donnée).
1. Jeter les coudes en arrière, les jambes en avant. Comment t'appelles-tu? Pour me regarder le gars jette la tête trop en arrière (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 48). Il m'aperçoit, (...) change de visage et jette les bras au ciel (SARTRE, Mots, 1964, p. 22) :
• 9. — Et à ton idée, comment est-ce qu'il marche, le gendarme à pied? — Il jette son pied en claquant la route. C'est bien connu. Au lieu de moi... Tenez, regardez-moi marcher...
AYMÉ, Jument, 1933, p. 196.
— Jeter les bras autour du cou de qqn. Entourer de ses bras le cou de quelqu'un avec vivacité, pour l'embrasser ou lui marquer son affection. Si tu t'étais éveillée, tu aurais jeté les bras autour de son cou, et peut-être ne serait-elle pas partie (MAURIAC, Mal Aimés, 1945, I, 1, p. 161).
— Emploi intrans., CHORÉGR., rare Exécuter un jeté (v. ce mot II A). Lancée en l'air par son danseur, elle [une danseuse] « jette » en tournant (LEVINSON, Danse, 1924, p. 264).
2. Jeter un regard, un (coup d') œil; jeter les yeux, les regards (éventuellement suivi d'un compl. prép.). Poser un regard plus ou moins rapide (sur); parcourir du regard. Elle ne jetait cependant les yeux ni à droite ni à gauche, de crainte de voir des choses dans les branches (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 467). Ne laissez pas amortir le feu, les enfants! Et Maria (...) ouvrait la petite porte du foyer, jetait un coup d'œil et s'en allait vers la pile de bois sans tarder (HÉMON, M. Chapdelaine, 1916, p. 116). Rhadidja prenait l'argent que Costals lui fourrait dans la main, sans jamais y jeter un regard (MONTHERL., Lépreuses, 1939, p. 1437).
— Au fig. Jeter les yeux, son regard, ses vues (sur qqn). Avoir sur lui des vues particulières. On lui cherche un époux (...). Il ne s'en est pas présenté encore, parce que tout le monde a des engagements; moi-même j'ai jeté mes vues autre part (DUMAS père, Noce et enterrement, 1826, I, 5, p. 82).
3. Jeter un sourire (+ adj.), un regard (+ adj.), un coup d'œil à qqn. Lui faire un signe d'intelligence; lui sourire, le regarder de telle ou telle façon. Au coude des rues, elle tournait un peu la tête, jetait un fin sourire à Coupeau (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 435) :
• 10. « ... Il y a même un moment, tout au début, où il faut sauter par dessus un précipice : si on réfléchit, on ne le fait pas. Je sais que je ne sauterai plus jamais. » « Pourquoi? » Elle me jette un regard ironique et ne répond pas.
SARTRE, Nausée, 1938, p. 183.
— Emploi pronom. réfl. indir. Toutes les dames parurent se consulter en se jetant le même coup d'œil (BALZAC, Femme aband., 1832, p. 264).
B. — Faire sortir de soi; émettre.
1. [Le suj. désigne un animé] Jeter des larmes. Le reptile jetait son venin (Ac.). En m'échappant à quelques pas de mes marmots, (...) secrètement, j'eusse jeté quelques pleurs bien amers (BALZAC, Modeste Mignon, 1844, p. 103).
— Littér. Jeter (bas) qqn. Mettre au monde, accoucher de. On peut compter dans Paris beaucoup de mères de famille qui sont sur la paille et qui jettent un enfant au monde sans linge pour le recevoir (BALZAC, Modeste Mignon, 1844, p. 152). [Albret, à sa fille enceinte :] si tu accomplis ce que je t'ordonne, (...) tu jetteras bas un héros, un homme, et non un enfant « peureux et rechigné » (D'ESPARBÈS, Roi, 1901, p. 12).
— [Avec un compl. d'obj. second] Les locataires de l'hôtel lui marchaient presque sur les pieds, en lui jetant des bouffées de tabac au visage (ZOLA, M. Férat, 1868, p. 63). Marroca reprit, en me parlant dans la bouche, me jetant son haleine chaude au fond de la gorge (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Marroca, 1882, p. 791).
♦ Jeter un baiser à qqn. Lui donner un baiser rapide. Jetant un baiser à son père, sur cette joue mal rasée qu'une heure auparavant il croyait abhorrer sans retour, il se leva vivement (DRIEU LA ROCH., Rêv. bourg., 1939, p. 238).
a) Loc. verb. fig.
♦ Jeter (tout) son feu, feu et flammes; jeter du jus; jeter son venin.
♦ Fam. et vieilli. Jeter un mauvais, un vilain coton; ne pas jeter un beau coton. Être mal en point (sous l'aspect de la santé, de la réputation ou des affaires). Édouard Fould ne jette pas non plus un très beau coton. Son affaire n'est pas bonne (MÉRIMÉE, Lettres Viollet-le-Duc, 1869, p. 164).
♦ Pop. et fam. En jeter un coup. Travailler avec ardeur, s'activer. Synon. usuel en mettre un coup (fam. et pop.). Allons, mes enfants, jetons-en un coup, c'est pas long quand tout le monde s'y met (BARBUSSE, Feu, 1916, p. 149).
b) En partic.
— [Le suj. désigne une colonie d'abeilles] Jeter (un essaim). Essaimer. Ces abeilles n'ont point jeté cette année (Ac.).
— [Le suj. est un cheval] Jeter sa gourme. Au fig., cf. ibid.
— [Le suj. est un cerf] Jeter ses fumées. Fienter. (Dict. XIXe et XXe s.).
2. [Le suj. désigne un végétal] Produire, pousser. Les feuilles de pervenche sont opposées, ovales, pointues, à pétioles courts, portées sur des tiges rampantes et qui jettent par-tout des racines (KAPELER, CAVENTOU, Manuel pharm. et drog., t. 2, 1821, p. 586).
— Emploi abs. Les arbres commencent à jeter (Ac.).
— P. métaph. Ses instincts (...) ont éclaté tout à coup (...) dans la serre chaude de la richesse. Et, à mesure que la température s'élève autour de lui, ses vanités jettent de nouvelles pousses, de nouveaux bourgeons (AUGIER, Pierre de touche, 1854, p. 107).
3. [Le suj. désigne un animé ou littér., un inanimé]
a) Émettre (un son) avec plus ou moins de force et de brusquerie. Synon. pousser. Jeter une exclamation, des cris d'allégresse. Mais le coq matinal A jeté son chant clair (DUMAS père, Hamlet, 1848, I, 3, p. 174). Les cornets à pistons jetaient leurs notes claires (ZOLA, Curée, 1872, p. 557). Dans les campaniles (...), les lourdes cloches se balançaient et jetaient leurs appels graves au large du ciel (COPPÉE, Bonne souffr., 1898, p. 24). Ils ont lâché un coup [de fusil] en l'air comme une femme nerveuse jette un cri (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p. 145).
— Loc. verb., fam. Jeter les hauts cris.
— Emploi pronom. réciproque indir. Nous traînions de pied en pied, (...) nous hélant en passant devant les enclos comme des pâtres, avec ce cri qu'ils se jettent pour s'appeler (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p. 73). Sur les collines (...), les moulins surmenés se jetaient l'un à l'autre leur cri déchirant (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1379).
b) Dire avec vivacité et brusquerie [souvent en incise]. Il était sorti (...) et en rentrant, avait jeté à sa belle-mère : « Eh bien, voilà : en t'abandonnant un quart de la succession, je puis te mettre dehors! » (GONCOURT, Journal, 1894, p. 668). Mais c'est moi qui lui ai fait connaître tout cela, jette-t-elle avec un redressement colère de la tête, tout, vous entendez bien, tout (PROUST, Temps retr., 1922, p. 714).
— Emploi pronom. réciproque indir. :
• 11. Il sait ce que sont ces combats africains, ces deux lignes affrontées qui se voient et se jettent des insultes, au milieu des rafales formidables du feu, la joie, la haine, visibles sur tous les fronts...
PSICHARI, Voy. centur., 1914, p. 85.
— Au part. passé, en cont. exclam., pop. Bien jeté! Bien dit. Synon. bien envoyé. Je voudrais voir, émit-il simplement, — que je sois obligé de faire deux fois, chez moi, la même observation. — Bien jeté! admira Lampieur (GARCO, Homme traqué, 1922, p. 66).
4. Faire jaillir, répandre. Les petits dauphins de cuivre, qui jettent un fil d'eau par la gueule (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 718). La cheminée [de la masure] jetait sur le ciel un filet de fumée bleue (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Saut, 1882, p. 10).
En partic.
a) [L'obj. désigne une lumière] Grâce à la vive clarté que jetait un cabaret, il reconnut décidément Jean Valjean (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 568). La lanterne jetait une grande clarté devant nous (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Mlle Perle, 1886, p. 634). Les épaisses lames d'acier des haches montaient de nouveau, jetaient un éclair au soleil, retombaient avec un bruit sourd sur les grosses racines (HÉMON, M. Chapdelaine, 1916, p. 64).
♦ P. anal. Ses yeux ne jetaient plus qu'une grise lueur (THEURIET, Mar. Gérard, 1875, p. 24). Quand Alban bougeait, l'œil jetait un éclair (MONTHERL., Bestiaires, 1926, p. 526).
♦ Au fig. Jeter de l'éclat, un vif éclat; p. ell. pop., en jeter. Faire beaucoup d'effet, jouir d'un brillante réputation. Synon. pop. jeter du jus. Cette faveur, en harmonie avec l'éclat que jetait Birotteau dans son arrondissement (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 65). Byron jette toujours un vif éclat, tandis que Walter Scott n'est plus guère lu que par les pensionnaires (ZOLA, Romanc. natur., Balzac, 1881, p. 43). La juiverie de Babylone a jeté autant d'éclat que celle de Jérusalem (THARAUD, An prochain, 1924, p. 297).
b) [L'obj. désigne une odeur] Synon. de exhaler. Non loin du bourg, j'entrais dans cette lande qui jette vers le soir une odeur de lavande (BRIZEUX, Marie, 1840, p. 23).
IV. — Emplois pronom. spécifiques
A. — Qqn se jette + compl. prép.
1. Se précipiter, s'élancer. Se jeter au secours de qqn. Le 2 août 1914, en apprenant la nouvelle de ce jour, je me suis jeté sur ma grammaire allemande que j'ai mise en pièces (GREEN, Journal, 1932, p. 98). Simon se jetait sur l'homme, tête en avant, le frappait en pleine poitrine et le rejetait en arrière (PEISSON, Parti Liverpool, 1932, p. 235).
— P. anal. Si un loup se jette sur un troupeau, il ne le dévore pas tout entier sur le champ (LAMENNAIS, Paroles croyant, 1834, p. 99).
— En partic.
♦ Se jeter au cou, dans les bras de qqn. S'élancer vers lui pour lui témoigner son affection, pour l'embrasser. Elle se jetait dans mes bras (...), elle me disait : — C'est que tu ne sais pas combien je t'aime! (DUMAS fils, Dame Camélias, 1848, p. 194). Elle se jetait à son cou (...). Elle lui mordait les lèvres, le dévorait de baisers (DABIT, Hôtel Nord, 1929, p. 68).
Emploi pronom. réciproque. Marguerite : Il y eut un temps, Emmanuel, où, en nous revoyant après deux mois d'absence, nous nous serions jetés dans les bras l'un de l'autre (DUMAS père, P. Jones, 1838, I, 5, p. 137).
♦ Se jeter aux genoux, aux pieds de qqn. Se précipiter à ses genoux, à ses pieds, pour le supplier. Tous ceux qui entourent Gessler (...) tâchent d'attendrir le barbare qui le condamne au plus affreux supplice; le vieillard, grand-père de l'enfant, se jette aux pieds de Gessler (STAËL, Allemagne, t. 3, 1810, p. 12):
• 12. SILVIO : Pouvais-tu espérer qu'il me pardonnerait jamais? LUCCIANA : J'espérais que tu te jetterais à ses pieds, lui disant : « Mon père, j'aime Lucciana et je regrette ma folie ».
SALACROU, Terre ronde, 1938, I, 4, p. 159.
Au fig. Se jeter à la tête de qqn. Aller vers quelqu'un avec empressement sans être désiré; lui faire des avances. Il ne tiendrait qu'à moi d'être invité par ce monsieur (...) mais moi, je ne me jette pas à la tête des gens (KOCK, Compagn. Truffe, 1861, p. 133). Claudine, qu'est-ce qu'on va faire de vous, si vous vous jetez comme ça à la tête des gens? Voyons, voyons, contenez un peu cette expansivité désordonnée! (COLETTE, Cl. Paris, 1901, p. 88).
♦ Se jeter sur la nourriture/sur + subst. désignant un aliment. Se précipiter sur quelque chose et consommer avec voracité. Ils se jettent sur la nourriture (...) d'abord occupés tout entiers à avaler, la bouche et le tour de la bouche graisseux comme des culasses (BARBUSSE, Feu, 1916, p. 29).
♦ Se laisser tomber. Elle se jetait toute habillée sur son lit (...) et fermait les yeux (DABIT, Hôtel Nord, 1929, p. 86). Trempé de sueur, il s'est jeté sur la banquette, du côté de l'ombre (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 684).
2. Au fig. S'engager dans, se consacrer à quelque chose avec une passion immodérée. Jetez-vous tête baissée dans le travail (FLAUB., Corresp., 1862, p. 20). Il se jetait dans la chronique scandaleuse. En cinq minutes, je sus avec détails toutes les coucheries illégitimes de la semaine (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 125) :
• 13. Freud a nommé chez la mère « complexe de Jocaste » l'attachement passionné, jaloux et possesseur dont parfois elle agrippe son fils; dans certains cas, elle s'y jette inconsciemment pour n'avoir pas trouvé auprès de son mari la réalisation de l'idéal viril qu'elle s'était formé...
MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 98.
— Loc. verb. fig. Se jeter dans la gueule du loup.
B. — Qqc. se jette + compl. prép.
1. Littér. S'abattre, se précipiter. Synon. tomber.
a) [Avec mouvement] Un précipice de quatre-vingts pieds à peu près, du haut duquel se jette une cascade superbe (DUMAS père, Angèle, 1834, II, 5, p. 145). Le temps est devenu tout à coup mauvais, un orage s'est jeté sur ce beau pays, où il n'avait pas plu depuis huit mois (HUGO, Fr. et Belg., 1885, p. 206). Le fabricant d'archets fait entrer à force le bout carré de la vis dans le trou du bouton, en ayant bien soin que cette vis ne se jette pas de côté (MAUGIN, MAIGRE, Nouv. manuel luthier, 1929, [1869], p. 160).
b) [Sans mouvement] Un rhumatisme s'est jeté sur mon articulation, de sorte que je boite et souffre toujours (FLAUB., Corresp., 1879, p. 246).
2. [Le suj. désigne un cours d'eau] Se jeter dans. Se déverser dans. Il s'y jette [dans un port] une rivière de huit à dix pieds de largeur (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. 133). Une petite rivière qui se jette dans la Sarthe (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 250). Quittant le bassin de l'Oubangui, on rejoint à Batangafo les eaux qui se jettent dans le lac Tchad (GIDE, Voy. Congo, 1927, p. 733).
— P. anal.
♦ [Avec idée d'écoulement] Des canaux lactifères qui se jettent les uns dans les autres, pour déboucher dans le sinus unique pour chaque glande et situé à la base du trayon (GARCIN, Guide vétér., 1944, p. 124).
♦ [Sans idée d'écoulement] Les rues dans les villes européennes se jettent dans d'autres rues : fermées à chacune de leurs extrémités, elles n'ont pas l'air de mener vers le dehors de la ville, on y tourne en rond (SARTRE, Sit. III, 1949, p. 114).
REM. Jeté, -ée, adj., pop. Qui n'a pas la perception de la réalité, qui a perdu conscience de ce qui l'entoure; en partic., ivre. Dans la France d'avant la guerre, on ne boit pas pour se soûler, comme chez l'étranger. Mais pour montrer qu'on sait boire. On n'est jamais complètement jeté, on a un verre « de trop » (Le Nouvel Observateur, 21 juin 1980, p. 44).
Prononc. et Orth. : [()te], (il) jette []. Ac. 1694 et 1718 : jetter; dep. 1740 : jeter. (Ac. 1740 : suppression par l'abbé d'Olivet d'étymologismes du type appeller, jetter). Conjug. Ac. 1694-1740 : ll, tt pour noter [] qui précède dans les adj. et subst. en -el/-elle, -et/-ette et dans les verbes en -eler, -eter : il appelle, il jette; dep. 1762 : introduction de l'accent grave : il harcèle, il achète, etc., à côté de : il appelle, il jette, etc. (D'où une impression d'incohérence). V. BEAULIEUX, Hist. de l'orth. fr., t. 1, 1927, p. 268 et 169, p. 321 et 322, t. 2, Préface VIII et t. 2, p. 64 et 65 et p. 69 à 96; N. CATACH, Les Modifications orth. des dict. de l'Académie Française, 1 et 2, Thèse compl., Paris, 1968. Étymol. et Hist. I. Pronom. A. 1. 2e moitié Xe s. « se mettre, se porter précipitamment » (St Léger, éd. J. Linskill, 224); 2. 1560 spéc. « se porter avidement, âprement (sur) » (J. GREVIN, L'Olimpe, éd. L. Pinvert, p. 273 ds IGLF : le lion [...] se jette sur la pree); 3. 1751 en parlant d'un fleuve atteignant la mer (Encyclop. t. 1, p. 700, s.v. Arno). B. 1. Ca 1050 « se mettre dans la situation, dans l'état, dans la position de » (Alexis, éd. Chr. Storey, 357); 2. 1549 « s'engager, se consacrer à » (DU BELLAY, Deffense et Illustration, éd. H. Chamard, p. 109). II. Trans. A. 1. a) Ca 880 « pousser vivement, précipiter (dans) » (Ste Eulalie ds HENRY Chrestomathie, n° 2, vers 19); b) ca 1100 « mettre, placer (vivement, sans soin) » (Roland, éd. J. Bédier, 481); 2. 1568 fig. « mettre dans la disposition, la situation de, réduire à » (GARNIER, Porcie, 969, Tragédies, éd. W. Foerster, I, p. 46 ds IGLF). B. 1. Fin Xe s. « pousser vivement (dehors), expulser, chasser » (avec un adverbe signifiant « dehors, à l'extérieur ») (Passion de Clermont, éd. d'A. S. Avalle, 72); 1130-40 id. sans adverbe donnant cette indication (WACE, Conception ND, éd. W. R. Ashford, 1104); 2. a) ca 1100 « tirer (de), extraire (au propre) » (Roland, éd. J. Bédier, 444); b) ca 1100 au fig. « tirer (de), faire échapper à » (ibid., 3787); c) 1540 « sortir d'un état, d'une situation, d'une disposition d'esprit » jeter hors de doute (NICOLAS HERBERAY DES ESSARS, Amadis, éd. H. Vaganay, 181 ds IGLF). C. 1. fin Xe s. « déterminer par le hasard (du jet des dés) » (Passion de Clermont, éd. d'A. S. Avalle, 270 : chi l'aura, Sort an gitad) a. fr. jeter sort différent du sens mod. de jeter un sort (cf. jeter son enchantement II E 3 b); 2. 1549 (EST., s.v. sort : jeter son sort sur aucun, et l'enchanter, voyez Enchanter et Ensorceler). D. 1. a) Ca 1050 « lancer » (Alexis, éd. Chr. Storey, 264); b) 1585 jetter à la face (DU FAIL, Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, II, 173 ds IGLF); 2. ca 1160 « lancer vers quelqu'un pour lui donner » (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 105); 3. a) ca 1100 « lancer, envoyer vers le bas, faire tomber » geter a terre (Roland, éd. J. Bédier, 464); b) 1160-74 spéc. ancres jeter (WACE, Rou, éd. A. J. Holden, II, 6484); 4. ca 1200 fauconn. « envoyer en vol libre pour chasser le gibier » (Renart, éd. E. Martin, XI, 1579). E. 1. Ca 1050 « faire jaillir hors de soi, produire » (ici, des larmes) (Alexis, éd. Chr. Storey, 584); 2. ca 1050 « id. » (des cris) (ibid., 73); 1690 jetter les hauts cris (FUR., s.v. cri); 3. a) 1176-81 « proférer, dire » (CHR. DE TROYES, Chevalier lion, éd. M. Roques, 1356); b) fin XIIIe s./début XIVe s. [date ms.] spéc. « proférer une parole magique » jeter (son) enchantement (Merlin, II, 223 ds T.-L.); c) 1350 geter sentensse (Hist. tirées de l'A.T., éd. H. Loh, p. 142, 15-18); 4. ca 1100 « répandre, émettre, rayonner de, diffuser » (Roland, éd. J. Bédier, 1809); 5. ca 1170 « fondre, couler dans un moule » (Rois, éd. E. R. Curtius, III, VII, 23); 6. a) 1322 bot. « engendrer (des tiges), faire croître à partir de soi » (WATRIQUET DE COUVIN, Dit de l'arbre royal, éd. A. Scheler, p. 99, 492); b) 1449 en parlant d'une colonie d'insectes, en emploi absolu (Archives du Nord, B 1684, fol. 34 r° ds IGLF : Pendant le temps que la dite chamberie sarcoit le dit Millot, ung brugon de mouches qui estoit la endroit jetta et tellement que, du pourpris du dit Pierre Besso ou il estoit, il arriva devant l'ostel d'un appelé Jehan); cf. 1636 (MONET, Abrégé du parallèle des langues fr. et lat. : Les abeilles ictent, Examen, emittunt apes). F. 1. a) Ca 1100 « disposer, mettre, placer » (Roland, éd. J. Bédier, 2652); b) 1684 « placer (une draperie) en disposant les plis d'une certaine manière » (DU FRESNOY, Art de Peinture, p. 32 ds BRUNOT t. 6, p. 732); 2. a) ca 1230 « établir, disposer solidement » jeter un fondement (au propre) (Eustache le Moine, 2148 ds T.-L.); b) début XVIIe s. jeter les fondements au fig. (LARIVEY, Epistre, éd. Viollet-le-Duc, Anc. Théâtre fr., V, 2 ds IGLF); 3. 1280 « compter, calculer, répartir » (Mémorial des Finances de Robert II, éd. H. Jassemin d'apr. FEW t. 5, p. 15b); 4. a) 1387 « dessiner le projet de travaux de construction » (Compte des travaux Collège de Beauvais ds G. FAGNIEZ, Documents relatifs à l'Histoire de l'Industrie et du Commerce en France, t. 2, p. 132 et 133); b) 1680 jetter sur le papier (RICH. : Quand on commence à composer, il faut jetter sur le papier tout ce qui vient en l'esprit). G. 1. Ca 1100 « lancer pour se débarrasser de » (Roland, éd. J. Bédier, 486); 2. ca 1215 au fig. « rejeter » (RAOUL DE HOUDENC, Eles, 568 ds T.-L., s.v. puer). H. 1. 1130-40 « lancer pour répandre, semer » (WACE, Conception ND, éd. W. R. Ashford, 261); 2. 1604 au fig. jetter l'effroy (MONTCHRESTIEN, Cartaginois, éd. Petit de Julleville, p. 134 ds IGLF). I. 1. a) Ca 1150 « faire mouvoir, avancer vivement une partie de son corps » (ici, le visage) (Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 3102); fin XIIe s. « id. » (les bras) (Orson de Beauvais, 174 ds T.-L.); b) 1580 au fig. « engager quelque chose de soi » (GARNIER, Antigone, 1792, éd. W. Foerster, p. 52 ds IGLF : Jettant une ame aventureuse a travers les glaives pointus); 2. a) fin XIIe s. « brandir, frapper de (ici, une masse) » (Moniage Guillaume, 2613 ds T.-L.); b) fin XIIe s. « asséner (des coups) » (ibid., 2664, ibid.); c) ca 1450 au fig. (Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, XXXIX, 37331, V, 32 : Dieu a jecté sur toy son ire); 3. a) ca 1220 « diriger (les yeux) vers » (J. RENART, Ombre, 913 ds T.-L.); 1er quart XIVe s. [date ms.] (Chanson, ms. Oxford Bodl. Douce 308, Pastourelles, éd. J.-C. Rivière, I, 4, 15 : si me gete un dous regairt); b) 1564 jeter les yeux sur « avoir sur quelqu'un des vues particulières, choisir » (Indice et recueil universel de tous les mots principaux des livres de la Bible, p. 172 v°); c) 1604 jeter l'œil « considérer » (MONTCHRESTIEN, David, éd. Petit de la Julleville, p. 282 ds IGLF : Jette l'œil seulement sur tes compassions). Du lat. vulg. ; cette forme, attestée notamment en lat. chrét., est aussi à l'orig. des correspondants de jeter dans la plupart des autres lang. romanes et représente le lat. class. jactare, fréquentatif de jacere « jeter » (cf. FEW t. 5, pp. 12-24). Fréq. abs. littér. : 21 089. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 29 179, b) 37 620; XXe s. : a) 33 565, b) 23 972. Bbg. BRÜCH (J.). Über zwei Punkte der romanischen Lautgeschichte... Arch. St. n. Spr. 1915, t. 133, pp. 354-365. - CHAUTARD (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 105. - QUEM. DDL t. 6, 14.
jeter [ʒ(ə)te] v. tr.
CONJUG. prend deux t devant un e muet : je jette, il jette, nous jetons; je jetterai; je jetterais; que je jette, que nous jetions; jette, jetons, jetez; jetant, jeté.
ÉTYM. 1080; getter, fin IXe; du lat. pop. jectare, du lat. class. jactare, fréquentatif de jacere « jeter », d'après les comp. injectare, etc.
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I Envoyer (qqch.) à une certaine distance de soi, dans une direction déterminée ou non.
1 ⇒ Lancer, projeter. || Action de jeter une chose. ⇒ 1. Jet. || Jeter une balle (→ Calculer, cit. 7), une pierre (→ Gamin, cit. 2), le disque (→ Gymnase, cit. 2), la barre (1903, in Petiot). — Arme qu'on jette. ⇒ 1. Jet (arme de), projectile. || Jeter la francisque (cit. 1). || Jeter une lance (→ Esquiver, cit. 2), un javelot, une bombe (cit. 4, fig.). || Jeter un grappin (cit. 1 et 3). ☑ Fig. Jeter le grappin sur… — (Avec un compl. de lieu). || Jeter qqch. dans, sur, vers… || Jeter sa casquette (cit. 3) en l'air, par terre (→ Genre, cit. 45). — ☑ Loc. fig. Jeter son bonnet par-dessus les moulins. ☑ Jeter qqch. par-dessus son épaule. || Jeter de l'eau sur un feu, un brasier. ☑ Loc. Jeter de l'huile (cit. 32) sur le feu.
1 (…) comme un frondeur fait avec sa fronde tourner la pierre qu'il veut jeter loin de lui.
Fénelon, Télémaque, XII.
2 Pour l'avertir, Rodolphe jetait contre les persiennes une poignée de sable.
Flaubert, Mme Bovary, II, X.
♦ ☑ Jeter qqch. au visage, à la figure, à la tête de qqn. ⇒ Balancer, envoyer, 2. flanquer (→ Défi, cit. 1; émargement, cit.; jettatore, cit.). — Pron. (récipr.). || Se jeter qqch. à la figure (→ 2. Bûcher, cit. 1).
3 Je l'ai vu jeter à la tête d'un maître d'hôtel un excellent poulet, dans lequel il croyait voir je ne sais quel insultant hiéroglyphe.
Baudelaire, le Spleen de Paris, XXII
♦ ☑ Fig. Jeter (qqch.) à la tête de qqn : faire étalage (de qqch.) d'une manière déplaisante. || Il vous jette à la tête son érudition. ☑ Jeter (qqch.) au nez, à la tête, à la figure, à la face de qqn : faire brutalement état de qqch.; reprocher (→ Afféterie, cit. 3). || On ne cesse de lui jeter à la tête sa mauvaise conduite, son attitude passée.
4 (…) Brichot sait tout, et nous jette à la tête, pendant le dîner, des piles de dictionnaires.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. X, p. 109.
♦ Jeter qqch. dans les jambes de qqn (même sens).
4.1 Tu crois ça, toi ! parce que tu n'oses pas monter en chemin de fer, tu t'imagines que les autres ont peur de se déranger. Tâche plutôt de retourner ton bas de laine (…).
Et Lucienne ne cesse de jeter des choses dans les jambes de Ragotte.
J. Renard, Nos frères farouches, Ragotte, in Œuvres, t. II, Pl., p. 355.
♦ Jeter la pierre à qqn. ⇒ Pierre (cit. 6 et supra). — ☑ Allus. évangélique. Jeter la première pierre à qqn (→ Adultère, cit. 3; envie, cit. 33). — ☑ Jeter des pierres dans le jardin de qqn.
♦ ☑ Jeter de la poudre aux yeux. ⇒ Éblouir. ☑ Jeter l'éponge : déclarer forfait, comme le boxeur sur le ring.
2 (XIIe). Laisser tomber, faire tomber (qqch.) quelque part. ⇒ Balancer (cit. 7). || Jeter des projectiles du haut du toit (→ Insurrection, cit. 4). || Jeter un fardeau, son sac à terre. — ☑ Faire jeter, jeter qqn par la fenêtre. ⇒ Défenestrer (→ Écumer, cit. 6; faiblir, cit. 4; fouler, cit. 7). || Ils furent jetés dans la rivière (→ Arriver, cit. 1).
5 Semblablement où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Villon, Testament, « Ballade des dames du temps jadis ».
6 (…) il alla chez elle plein de fureur, brisa une partie de ses meubles, jeta les autres par les fenêtres, et le lendemain il l'épousa.
A. R. Lesage, le Diable boiteux, X.
7 Au dernier moment, j'enfermerai le manuscrit dans une bouteille, et je jetterai le tout à la mer.
Baudelaire, Trad. E. Poe, Histoires extraordinaires, « Manuscrit trouvé dans une bouteille ».
♦ Jeter l'argent, des biens par les fenêtres. → ci-dessous, 5.
♦ ☑ Loc. (mar., cour.). Jeter l'ancre (cit. 2, 5 et 6). — Jeter une bouée (cit. 1, par métaphore), le chalut (cit. 1), le loch, la sonde.
3 Techn. Disposer, établir (qqch.) dans l'espace, d'un point à un autre. || Jeter une passerelle entre les rives d'un torrent, sur un ruisseau, un fossé. || Jeter un pont. ⇒ Construire (→ Espacer, cit. 2; feston, cit. 2; 1. frayer, cit. 3).
8 Là-bas,
Ce sont des ponts tressés en fer
Jetés, par bonds, à travers l'air (…)
Verhaeren, Campagnes hallucinées, La ville.
♦ Par métaphore :
9 Mais voilà qu'une passerelle est jetée sur l'abîme.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XV, p. 114.
4 (1611). Envoyer (qqch.) en direction de qqn, d'un animal, pour donner (souvent avec une idée de brutalité, de mépris). || Jeter un os à un chien, du grain aux pigeons (→ Empresser, cit. 8). || Jeter de l'argent, jeter sa bourse à qqn (→ Acteur, cit. 7; blanc, cit. 34; embrasure, cit. 5).
10 Et tu leur jetteras des sequins d'or, toi-même (…)
Hugo, la Légende des siècles, XVIII, Confiance du marquis Fabrice, VIII.
11 (…) nous avons été donner à manger aux pigeons de la mosquée de Bajazet (…) C'est une œuvre pie que de leur jeter du grain.
Flaubert, Correspondance, 270, 14 nov. 1850.
12 Nous leur jetions des poignées de dragées, et toute notre route était semée de bonbons.
Loti, Mon frère Yves, XLVII.
♦ ☑ Loc. Jeter son mouchoir à qqn. ☑ Jeter son gant (cit. 15 et 16) à un rival (→ aussi Gage, cit. 8). || Jeter le gant. — ☑ Fig. Jeter qqch. aux chiens, le prodiguer, le dilapider (⇒ Gaspiller). ☑ Jeter des perles aux pourceaux.
♦ ☑ Jeter un sort (à qqn) : envoyer, diriger le mauvais sort (sur qqn). ⇒ Jeteur, jettatura.
5 a (XIIe). Abandonner, rejeter comme encombrant ou inutile. ⇒ Abandonner, balancer (fam.), balanstiquer (argot), débarrasser (se), défaire (se). || Vieux papiers, vieux objets à jeter, bons à jeter. || Jeter un vieux chapeau, des vêtements usagés (→ Faire, cit. 113). || Jeter là (qqch.). → Églogue, cit. 1; haillon, cit. 6. || Jeter une chose au rebut, au panier, à la poubelle, dans la corbeille à papier (→ Fragment, cit. 3). ⇒ Flanquer (fam.). — Jeter qqch., des objets en l'air, au vent, aux quatre vents. ⇒ Disperser, éparpiller. || Jeter qqch. au feu. ⇒ Détruire. — Jeter ses outils. — ☑ Jeter ses armes aux pieds de l'ennemi, et, absolt, jeter ses armes : se rendre, renoncer au combat (→ Couard, cit. 2; honteux, cit. 7). — Mar. || Jeter des marchandises à la mer, par-dessus bord. ⇒ 1. Jet.
13 Ils tirent à vingt pas; ils jettent aussitôt leurs fusils; et (…) se précipitant entre les hommes et les chevaux, ils tuent les chevaux avec leurs poignards et attaquent les hommes, le sabre à la main.
14 Quand on m'aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, XLVIII.
15 Nathanaël, à présent, jette mon livre. Émancipe-t'en. Quitte-moi.
Gide, les Nourritures terrestres, p. 185.
16 Jean l'attendait dans l'automobile (…) Il ouvrait la vitre pour jeter une cigarette à peine fumée et la refermait aussitôt.
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 396.
♦ ☑ Loc. fig. (1564). Jeter le froc (cit. 7, 8 et 9) aux orties. ⇒ Renier. — ☑ Jeter le manche après la cognée : abandonner, renoncer. — ☑ Jeter le masque. — ☑ Jeter du lest (⇒ Lâcher). — ☑ On presse l'orange et on jette l'écorce (cit. 5, Voltaire). — ☑ Jeter le bébé avec l'eau du bain.
♦ Jeter de l'argent. ⇒ Dilapider, gaspiller. || Il jette les millions sans compter (cit. 26). ⇒ Prodiguer. — ☑ Jeter l'argent, son bien par les fenêtres (cit. 8 et 9; → aussi Économe, cit. 4).
17 Aujourd'hui il roulait carrosse et jetait l'argent par les fenêtres; demain il allait dîner à quarante sous.
A. de Musset, Nouvelles, Les deux maîtresses, I.
b Fam. Compl. n. de personnes. Rejeter, abandonner (qqn). || Il a peur de se faire jeter par son amie. || Il s'est fait jeter. || S'il continue à m'emmerder, je le jette !
6 (1080, Chanson de Roland). Déposer, mettre, poser, placer (qqch. quelque part) avec une idée de vivacité, de rapidité; ou sans ordre ni soin, au hasard. || Jeter ses vêtements autour de soi (→ Ablution, cit. 2). || Jeter pêle-mêle des papiers, des documents sur une table de travail (⇒ Joncher, parsemer, semer).
18 Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole (…)
Hugo, Feuilles d'automne, I.
19 Il tira son portefeuille, jeta un billet sur la table (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. II, p. 119.
♦ Spécialt. || Jeter les cartes, les poser vivement sur la table. Par ext. Jouer (→ As, cit. 1). || Jeter les dés (→ Hasard, cit. 2 et 30). || Les dés sont jetés. || Jeter des lettres à la boîte (→ Éveiller, cit. 17), à la poste (→ Expression, cit. 18; facteur, cit. 10). ⇒ Mettre.
20 — Je veux voir les lettres… Oh ! rien que pour les lire, et vous les jetterez vous-même à la poste après.
Balzac, Albert Savarus, Pl., t. I, p. 808.
20.1 Alors il résolut de jeter à la poste, avant l'heure du train, une lettre à l'adresse du jeune Desvignes, secrétaire bénévole qu'il utilisait parfois.
Bernanos, l'Imposture, in Œ. roman., Pl., p. 378.
♦ Placer avec force ou violence. — ☑ Loc. Jeter qqch. dans la balance. || Jeter un poids dans le plateau de la balance. Fig. || Jeter son épée dans la balance. || Jeter un argument, sa parole, son autorité, dans la balance (cit. 16). → Interview, cit. 3. — Par anal. || Jeter son autorité dans le débat (cit. 4).
21 (…) elle l'entendit qui ouvrait des bocaux et jetait des poids dans une balance.
J. Green, Adrienne Mesurat, II, V.
♦ Jeter un aliment dans la poêle, la casserole (→ Hacher, cit. 3). — ☑ Fam. Se jeter qqch. dans le gosier (cit. 3), le manger, le boire.
21.1 — Ne restons pas là, dit Malinier. On va aller s'en jeter un. Mais tu parles d'une rencontre.
M. Aymé, Travelingue, p. 39.
♦ Typogr. || Jeter du blanc, des interlignes (dans la composition).
♦ Spécialt. Mettre (un vêtement) avec vivacité, s'en couvrir à la hâte (en parlant de ce qui couvre le corps, sans être enfilé, boutonné…). || Jeter un manteau, une cape, une pèlerine, sur ses épaules (cit. 10).
22 Elle jeta un châle sur ses épaules, descendit au jardin.
F. Mauriac, Génitrix, V.
♦ (1684). Arts, vieilli. || Peintre qui sait jeter une draperie avec élégance. ⇒ Jeté, 3.
♦ ☑ Loc. fig. Jeter un voile sur qqch. (→ Alanguissement, cit. 2).
23 Jetons sur ces scènes honteuses le manteau de Noé.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, XX.
♦ ☑ Fig. Jeter (qqch.) sur le papier : écrire, noter rapidement. || Jeter des lettres, des dessins sur le papier (→ Fleurir, cit. 26). || Jeter ses idées sur le papier, les noter à la hâte (→ Bouillonner, cit. 6). ⇒ Écrire, noter.
24 Voilà tout ce que mon imagination me fait jeter sur ce papier, sans art (…) à course de plume.
Mme de Sévigné, 891, 23 janv. 1682.
25 D'ailleurs, il ne s'était pas borné à jeter des chiffres et des plans sur le papier.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XXII, p. 179.
⇒ Établir, poser. || Jeter les fondations d'un édifice, les fondements, les bases d'une science (→ Carte, cit. 16), d'une doctrine. || Jeter les bases d'une entente.
26 (…) il jette avec une rare sûreté de vues les bases d'une Église destinée à durer.
Renan, Vie de Jésus, Œuvres, t. IV, p. 266.
7 ☑ (1689, Racine). ⇒ Répandre. Jeter de l'ombre, de la lumière sur qqch. || Lampe qui jette une lueur sur qqch. (→ Globe, cit. 12). || Jeter de l'ombre (→ Cache-nez, cit.; conifère, cit.). Fig. || Cet ouvrage jette des lumières nouvelles sur la question.
27 C'est un livre bien remarquable que ce livre de Du Bellay (Défense et illustration de la langue française); c'est un de ceux qui jettent le plus de jour sur l'histoire de la littérature française.
Nerval, la Bohème galante, p. 76.
8 (Le compl. désigne une chose abstraite). ⇒ Répandre, semer. || Jeter l'effroi, l'épouvante, la panique, la terreur quelque part, parmi des personnes (→ Apocalypse, cit. 4; guerrier, cit. 6). || Jeter le trouble dans les esprits (→ Bouleverser, cit. 8; ironie, cit. 1), le désordre dans les pensées (→ Galimatias, cit. 3). || Jeter la honte, l'opprobre (→ Calomniateur, cit. 6), le désarroi (→ Gaffe, cit. 4). — (Sujet n. de personne ou de chose). ☑ Jeter un froid.
28 (…) je ne veux que l'harmonie, et c'est moi qu'on accuse de jeter le trouble partout.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, II, XXII.
♦ (Au passif). ☑ Le sort en est jeté : tout est décidé; il n'y a plus rien à faire (→ Les jeux sont faits). ⇒ Alea jacta est (→ 1. Dé, cit. 3).
♦ Mettre, placer. || Jeter la faute (cit. 35), la responsabilité de qqch. sur qqn. ⇒ Rejeter. || Jeter sur le dos (cit. 20) de qqn. || Jeter le discrédit, la déconsidération (cit. 1) sur qqn.
———
II Faire mouvoir (une partie de son corps); faire sortir de soi.
1 (1678, La Fontaine). Diriger vivement (une partie du corps) dans telle direction. || Jeter sa tête en avant, contre l'épaule de qqn (→ Courbure, cit. 5). || Jeter ses bras, ses poings, ses griffes en avant (→ Apôtre, cit. 9; caressant, cit. 3). || Elle lui jeta ses bras autour du cou (→ Agripper, cit. 3). || Jeter un pied, une jambe en avant, de côté (⇒ Jeté).
♦ Pron. || Bras qui se jettent en l'air (→ Immersion, cit. 3).
♦ Au participe passé :
29 Une petite larme ou deux, des bras jetés au cou (…)
Molière, le Malade imaginaire, I, 5.
♦ Par ext. ☑ Jeter l'œil, un œil, un coup d'œil, les yeux, la vue, le regard sur qqch., qqn. ⇒ Regarder.
2 (V. 1050). Faire sortir de soi. ⇒ Émettre, répandre. || Jeter des larmes, des pleurs. ☑ Jeter son venin (au propre et au fig.). — Cheval qui jette sa gourme, et, absolt, qui jette (⇒ Jetage). — ☑ Fig. Jeune homme qui jette sa gourme (→ Homme, cit. 124).
♦ Zool. || Jeter un essaim (→ Essaimer, cit. 1).
♦ (V. 1322). Le sujet désigne un végétal. || Jeter ses racines, de profondes racines. || Jeter des bourgeons. ⇒ 1. Jet (III., 1.). || Vigne qui jette ses vrilles (→ Faîtage, cit. 1).
♦ (1080, Chanson de Roland). Sujet n. de chose. || Jeter des feux (1. Feu, cit. 59 et 66), des flammes. || Diamants qui jettent mille feux. ⇒ Flamboyer (→ Asphalte, cit. 2; hennir, cit. 5). — ☑ Loc. Jeter feu et flamme (cit. 10) : s'emporter. — Jeter des clartés (cit. 3), une lueur, un rayon (→ Crépuscule, cit. 1; illuminer, cit. 18). || Jeter un éclat, un vif éclat (→ Apparaître, cit. 9; cristal, cit. 4; fleur, cit. 40). || Jeter des étincelles. ⇒ Étinceler. — ☑ Fig. Jeter un jour. — Jeter des odeurs, des parfums (→ Écœurant, cit. 2; éparpiller, cit. 5; houri, cit. 2).
♦ ☑ Fam. (Personnes). En jeter : avoir belle apparence, faire impression. || « Elle en jette, dit Boris avec admiration » (Sartre). — (Choses). || Sa nouvelle voiture en jette drôlement. || Ça en jette !
29.1 Le moteur partit au quart de tour. — Et maintenant, — dit-il, — le moulin va pouvoir en jeter terriblement.
Paul Morand, Bouddha vivant, p. 27.
3 (V. 1050). Sujet n. de personne. Émettre (un son, des paroles…) avec une certaine force, une certaine brusquerie. || Jeter une note (→ Cuivré, cit. 3). || Jeter un cri, des cris (cit. 1 et 25). → Bravement, cit. 2. || Jeter les hauts cris (cit. 15 et 16). → Attendre, cit. 110; fermier, cit. 1. || Jeter des cris d'angoisse (cit. 8), de douleur…
♦ Jeter un blâme, des menaces, des anathèmes (cit. 3 et 6), des insultes. ⇒ Proférer. || Jeter des brocards (cit. 1), des quolibets, des moqueries (→ Amuser, cit. 19). || Jeter des paroles, de grands mots en l'air (→ Érudition, cit. 2). || Jeter une parole à propos (→ Falloir, cit. 31), une assertion (cit. 6) au hasard.
30 Antoine croyait entendre la voix rageuse de son père, debout, dressé, jetant sa malédiction dans la nuit.
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 36.
4 Sujet n. de personne. Faire signifier, proclamer, publier. || Jeter le dévolu. — ☑ Fig. Jeter son dévolu (cit. 3) sur qqn.
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III
1 (Fin IXe). Pousser, diriger avec force, avec violence, dans telle direction, vers tel lieu. ⇒ Envoyer, pousser. — (Compl. n. de chose ou d'animal). || Jeter ses chevaux de côté (→ Frôler, cit. 6), sa voiture dans un chemin de traverse (→ Freiner, cit. 1). || Vaisseau que le vent jette à la côte, jette à terre (→ Échouer, cit. 1). || Galet (cit. 1), gravier que la mer jette sur le rivage (→ Grève, cit. 7). — (Compl. n. de personne). || Jeter qqn contre un mur. || Jeter qqn dehors. → Mettre à la porte (→ ci-dessous, cit. 31.1). || Jeter qqn en prison (→ Enchaîner, cit. 6, fig.), dans les fers; aux oubliettes, dans un in pace (cit. 2). || Jeter un condamné au feu, aux lions (→ Confesseur, cit. 2; inquisiteur, cit. 3). — ☑ Fig. Être jeté sur le pavé.
31 Entre les phrases, les cahots jetaient les interlocuteurs l'un sur l'autre.
Aragon, les Beaux Quartiers, II, XXVII.
31.1 — Et qu'est-ce que je deviens dans tout ça, demanda Clémence.
— Ce que vous voudrez.
— Je ne comprends pas ce que monsieur veut dire.
— Naturellement vous ne pouvez plus rester à notre service.
— On me jette dehors si je comprends bien monsieur.
R. Queneau, les Enfants du limon, II, XLI.
♦ En emploi absolu. → ci-dessus, I., 5., b.
♦ Fig. (Sujet n. de chose abstraite; compl. n. de personne). ⇒ Pousser, précipiter. || Un étranger que le hasard avait jeté dans sa vie (→ Certain, cit. 9). || Son caprice (cit. 5) le jette à la tête du premier venu. || La tendresse, la passion qui le jette vers… (→ Aigrir, cit. 14). || La guerre jette les nations les unes contre les autres. → Écrasement, cit. 3.
♦ Sujet n. de personne; compl. n. de chose abstraite (psychologique). || Jeter ses forces dans la bataille (→ Gage, cit. 14).
♦ Techn. || Jeter le métal fondu dans le moule, et, par ext., jeter une figure en moule, en sable (dans un moule de sable). ⇒ Fondre. — (Passif et p. p.). || Être jeté en moule.
32 (Le colosse de Rhodes) ouvrage immense, jeté en fonte par un Indien (…)
Voltaire, Essai sur les mœurs, XCII.
♦ Jeter de l'argent sur le marché, dans la circulation, dans le circuit (→ Équipement, cit. 6). (Passif et p. p.). || Tout l'argent jeté sur le marché.
33 Quoique nos bâtiments représentent bien les soixante mille francs que nous avons jetés dans le pays, cet argent nous fut amplement rendu par les revenus que créent les consommateurs.
Balzac, le Médecin de campagne, Pl., t. VIII, p. 352.
2 (XIIIe). Sujet n. de personne ou de chose. Mettre (qqn) brusquement, brutalement (dans une disposition d'esprit, dans un état). ⇒ Plonger. || Jeter qqn dans l'angoisse (cit. 14), dans le trouble (→ Ardent, cit. 35), l'inquiétude (cit. 11), l'embarras, la perplexité (→ Embarrasser, cit. 8), le désespoir (cit. 14), l'épouvante (→ Aimer, cit. 50), la stupeur (→ Inattendu, cit. 1). || Jeter qqn dans la rêverie (→ Attendrissement, cit. 4). — Jeter l'âme, le cœur, l'esprit de qqn dans… (→ Fougueux, cit. 2). — Jeter qqn hors de lui (→ Clameur, cit. 4), hors de ses gonds (cit. 4).
34 (…) des remerciements, des douceurs charmantes, des agréments qui nous jettent dans la confusion.
Mme de Sévigné, 1158, 30 mars 1689.
35 J'ai toujours aimé l'eau passionnément, et sa vue me jette dans une rêverie délicieuse, quoique souvent sans objet déterminé.
Rousseau, les Confessions, XII.
36 Ce raisonnement, si juste en apparence, acheva de jeter Mathilde hors d'elle-même.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, XXXVIII.
37 Oui, femmes, quoi qu'on puisse dire,
Vous avez le fatal pouvoir
De nous jeter par un sourire
Dans l'ivresse ou le désespoir.
A. de Musset, Poésies nouvelles, À Mademoiselle.
38 Évariste exprimait surtout des idées vagues et pures, qui jetaient Élodie dans le ravissement.
France, Les dieux ont soif, IV.
3 (Sujet n. de personne). ☑ Jeter bas, à bas, à terre : faire tomber brutalement. ⇒ Abattre (cit. 1), renverser, terrasser. — Compl. n. de chose. || Jeter bas une maison, la démolir (→ Équipe, cit. 1; immeuble, cit. 6); jeter bas un arbre, l'abattre (→ Arrêter, cit. 21; écorcer, cit. 1). — (Compl. n. de personne). || Jeter bas un cavalier. ⇒ Démonter. || Jeter qqn par terre (→ Accès, cit. 10). Fig. || Il a jeté à bas tous nos espoirs. ⇒ Anéantir, détruire; fam. 1. ficher, 1. foutre.
39 Il murmurait des choses incohérentes : « Une pichenette ! Il a suffi d'une pichenette pour le jeter bas. Et maintenant, le consentement du monde entier ne suffirait pas à le remettre debout ».
G. Duhamel, Salavin, II.
➪ tableau Verbes exprimant une idée de mouvement.
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se jeter v. pron.
1 Réfl. (Fin Xe). Sauter, se laisser choir. || Se jeter à l'eau, dans l'eau, à la mer (→ Gagner, cit. 57; garer, cit. 6; godille, cit. 2; gribouille, cit. 1). ☑ Se jeter la tête la première dans… ⇒ Plonger. || Se jeter dans un précipice, dans un fossé (→ Enivrer, cit. 28; hardi, cit. 2). || Se jeter par la fenêtre.
40 (…) il ne s'agissait donc plus de reculer. Il entra, comme qui se jette tête baissée dans un gouffre.
Loti, les Désenchantées, V, XXXII.
2 Aller d'un mouvement précipité. ⇒ Élancer (s'), précipiter (se). || Se jeter dans une pièce (→ Fermer, cit. 3), dehors (→ Fêter, cit. 1). || Se jeter dans une bouche de métro. ⇒ Engouffrer (s'). || Se jeter en arrière (→ Fracasser, cit. 3), de côté (→ Fourchu, cit. 1), contre un mur (→ Idée, cit. 38), au-devant de qqn (→ Follement, cit. 2). — Se jeter sur une piste. ⇒ Engager (s'). → Franchir, cit. 11. || Se jeter à la légère dans un piège, une embuscade, une souricière. ⇒ Donner (II., 2.). → Conspirateur, cit. — Se jeter à terre, sur son lit. ⇒ Coucher (se). → Frissonner, cit. 3. || Se jeter à genoux (→ État, cit. 14).
41 (…) Alcippe me salue (…) et se jette hors d'une portière, de peur de me manquer.
La Bruyère, les Caractères, XI, 74.
42 (…) il m'arrivait de sauter, de courir sans raison, et puis de me jeter à plat ventre dans l'herbe (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 114.
43 (…) les murs, avec leurs anfractuosités, leurs ouvertures où l'on peut se jeter en cas de péril, lui donnaient l'impression d'un refuge latéral toujours disponible.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, VIII, p. 78.
♦ ☑ Se jeter aux pieds, aux genoux de qqn (→ Embrasser, cit. 8; fuir, cit. 3). ☑ Se jeter dans les bras (cit. 22 et 25, fig.), entre les bras de qqn (→ Étouffer, cit. 9; extravagant, cit. 4). ☑ Se jeter au cou, à la tête de qqn. — (Récipr.). || Se jeter au cou, dans les bras l'un de l'autre. ⇒ Embrasser (s'). → Innocemment, cit. 3, fig.; instinctif, cit. 2.
44 (…) mais moi je me jetai à ses genoux en sanglotant (…)
Alphonse Daudet, le Petit Chose, I, XII.
45 Parfois dans la nuit chaude, l'enfant entendait pleurer sa mère, et il venait pieds nus, en chemise, se jeter dans ses bras.
Aragon, les Beaux Quartiers, I, IX.
♦ Troupes qui se jettent dans un pays. ⇒ Envahir, ruer (se). || Se jeter à l'attaque, à l'assaut, dans la mêlée. ⇒ Élancer (s'), précipiter (se). → 1. Geste, cit. 18. — Se jeter sur qqn pour l'attaquer. ⇒ Assaillir, courir (sur), entrer (dedans), sauter (dessus, au collet), tomber (sur; sur le casaquin), voler (dans les plumes). → Arrêter, cit. 1; garrotter, cit. 1. || Oiseau de proie, autour qui se jette sur une alouette (→ Descendre, cit. 1). || Furet (cit. 1) qui se jette sur un lapin. — Récipr. || Galopins (cit. 4) qui se jettent les uns sur les autres.
46 Il serra le poing, et pan, dans la gueule de son concitoyen ! Ils se jetèrent l'un sur l'autre.
Aragon, les Beaux Quartiers, II, XXI.
♦ Se jeter sur qqn pour l'embrasser (→ Amoureusement, cit. 1; bras, cit. 10; effroi, cit. 4). — Se jeter sur la nourriture (→ Goulu, cit. 1).
3 (V. 1050). Fig. S'engager avec fougue, sans mesurer les risques. || Se jeter tête baissée, à corps (cit. 31) perdu dans une entreprise, un travail, une passion. ⇒ Engager (s'), lancer (se). || Se jeter avec audace, étourderie dans une affaire. || Se jeter dans le journalisme (→ Aborder, cit. 13), dans un parti, dans l'action (cit. 11). || Se jeter d'un excès (cit. 3) dans l'autre, dans les travers (→ Fils, cit. 6), les extrémités. || Se jeter au travers, en travers d'un projet (→ Entreprise, cit. 9).
47 Je me jetai dans le travail, je m'occupai de science, de littérature et de politique (…)
Balzac, le Lys dans la vallée, Pl., t. VIII, p. 1028.
♦ ☑ Loc. fig. Se jeter à l'eau : se décider brusquement, se lancer (dans une entreprise, un travail).
47.1 D'habitude, rien ne m'intimide moins qu'un micro. Mais cette fois, je parlerai et on me verra. J'enveloppe d'un regard méfiant les lampes, les écrans, les câbles (…) C'est le moment de me jeter à l'eau.
F. Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, p. 332.
4 (1751). En parlant d'un cours d'eau. Déverser ses eaux. ⇒ Affluer. || Rivière qui se jette dans un fleuve; fleuve qui se jette dans la mer. ⇒ Déboucher, déverser (se), emboucher (s'). — L'eau du bassin se jette dans une citerne. ⇒ Décharger (se).
48 (…) la Rieule, petite rivière qui se jette dans l'Andelle (…)
Flaubert, Mme Bovary, II, I.
♦ Par analogie :
49 Nous trouvâmes notre affaire sans aller bien loin, en vue de l'endroit où la rue Gay-Lussac se jette dans la rue Claude-Bernard.
G. Duhamel, le Temps de la recherche, XI.
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jeté, ée
1 P. p. adj. Voir ci-dessus à l'article.
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DÉR. 1. Jet, jetable, jetage, jeté, jetée, jeteur, jeton. V. Jectisse.
COMP. Déjeter, projeter, surjeter.
Encyclopédie Universelle. 2012.