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FOIE
FOIE

L’importance biologique du foie humain est attestée par son volume et par sa densité cellulaire; il pèse environ 1,5 kg chez l’adulte et représente le 1/50 du poids du corps, formant ainsi la masse viscérale la plus volumineuse de l’organisme, avec près de trois cents milliards de cellules. Sa situation lui permet d’accomplir des fonctions indispensables à la vie: il est placé sur le trajet du courant sanguin qui provient de l’intestin, de telle sorte qu’il peut contrôler tout l’apport alimentaire. Cependant, dans l’échelle zoologique, le développement du foie est en relation avec la présence du glucose à un taux constant dans le sang circulant. Ce fait illustre la tâche primordiale du foie qui est, chez des êtres vivants ne s’alimentant pas de façon continue, de métaboliser sans cesse les nutriments ingérés de façon intermittente de manière à fournir à l’organisme un courant incessant de matériaux susceptibles d’être transformés en énergie.

Les recherches physiologiques classiques ont mis en évidence l’extraordinaire polyvalence métabolique du tissu hépatique: fonction glycogénique, réglant la glycémie (taux de glucose sanguin); fonction de synthèse des protéines (sérum-albumine, fibrinogène, complexe prothrombinique); fonction de synthèse et de dégradation des graisses (lipides); fonction de détoxication (transformation de substances variées, métabolites résiduels, poisons, substances chimiques médicamenteuses ou non, par mise en œuvre de processus de conjugaison , avec l’acide glycuronique, par exemple); fonction uréogénétique (élimination sous forme d’urée de l’azote ammoniacal produit par la dégradation des acides aminés); fonction biliaire enfin (formation des sels biliaires aux dépens du cholestérol sanguin, excrétion de bilirubine conjuguée, par transformation de la bilirubine que produit à partir de l’hémoglobine le système réticulo-endothélial).

Le métabolisme, surtout celui des glucides et des lipides, la digestion grâce aux sels biliaires, la circulation du sang, grâce à la fabrication par le foie des facteurs de la coagulation, l’immunité par l’intermédiaire des immunoglobulines, dépendent d’un fonctionnement hépatique correct. Une telle importance biologique explique que l’on ait cherché, par la technique des transplantations, à remplacer un foie détruit ou gravement lésé par un foie sain.

1. Anatomie et histologie

Le foie est un organe thoraco-abdominal: la majeure partie de cette glande est logée sous la très profonde coupole diaphragmatique droite qui le sépare du poumon droit et d’une partie du cœur; il surplombe la partie droite des viscères abdominaux (fig. 1), auxquels le relient d’une part des vaisseaux (veine porte et artère hépatique qui lui apportent le sang; veines sus-hépatiques qui en assurent le drainage), d’autre part, les voies biliaires (qui permettent l’évacuation vers l’intestin de la bile, sécrétion exocrine hépatique).

Il est nécessaire de connaître l’agencement microscopique des tissus hépatiques pour comprendre les fonctions du foie; dans une coupe histologique d’un fragment de foie, on reconnaît des unités parenchymateuses hexagonales, ou «lobules»; les cellules parenchymateuses, les hépatocytes , sont disposées en travées, ou plutôt en lames, qui convergent vers le centre du lobule . À la périphérie, on trouve les espaces portes , dont chacun contient une triade portale : un petit canal biliaire, une artériole, branche de l’artère hépatique, et une veinule, branche de la veine porte. Les ramifications de la veinule porte et (dans une moindre mesure) celles de l’artériole hépatique assurent la vascularisation du lobule en se jetant dans les sinusoïdes ; ce sont des espaces vasculaires qui alternent avec les travées cellulaires; ils confluent dans la veine centrolobulaire , rameau d’origine des veines sus-hépatiques (fig. 2). Le long des parois du sinusoïde se trouvent les cellules de Küpffer , de nature différente des hépatocytes.

Cette représentation traditionnelle permet d’établir les grandes divisions qui servent de fil conducteur pour l’étude de la physiologie et de la pathologie du foie: les hépatocytes, support des fonctions métaboliques, constituent le foie cellulaire ; les canalicules et canaux biliaires sont les structures visibles du foie biliaire , organe de sécrétion de la bile; les veines, artères et sinusoïdes représentent anatomiquement le foie vasculaire , organe de régulation de la masse sanguine dans l’organisme.

Bien que péchant par excès de schématisme, cette division des fonctions hépatiques permet d’éclairer les divers rôles physiologiques du foie et de classer ses maladies.

2. Le foie cellulaire

Le foie est l’organe qui possède la plus grande capacité à se régénérer après destruction partielle. Il est, d’autre part, indispensable à la survie de l’organisme, comme le montrent les expériences d’hépatectomie totale .

La régénération hépatique

Les cellules hépatiques ont une durée de vie limitée (de 300 à 500 jours). Des hépatocytes disparaissent çà et là et sont constamment remplacés par division de cellules voisines. Mais ces divisions sont rares: 1 pour 10 000 cellules.

En revanche, si une partie du foie est détruite ou enlevée chirurgicalement, on constate une recrudescence de divisions cellulaires telle que le foie retrouve bientôt sa taille normale: si 75 p. 100 de la masse du foie sont supprimés, il y a restitution complète du poids de l’organe en huit semaines chez le chien, trois semaines chez le rat, quatre mois chez l’homme. Aucun autre organe ne présente une telle puissance de régénération: les potentialités de prolifération hépatique sont supérieures à celles des cancers de malignité extrême ou à celles des tissus embryonnaires.

Au terme de sa régénération, le poids du nouveau foie est le même que son poids de départ (il y a «dépendance à l’organisme») et la régénération anatomique s’accompagne d’une régénération fonctionnelle tout aussi rapide. Cette précieuse faculté peut tirer d’affaire certains malades frappés d’une nécrose massive au cours d’hépatites virales ou toxiques; c’est elle aussi qui autorise des interventions d’exérèses hépatiques extrêmement étendues.

Les enseignements de l’hépatectomie expérimentale

L’ablation du foie ou hépatectomie réussie pour la première fois par F. C. Mann chez les Mammifères a véritablement inauguré la physiologie hépatique. L’analyse des phénomènes qui résultent chez le chien de l’ablation du foie permet, en effet, de dresser le bilan des grandes fonctions de cet organe.

Dans une première période, consécutive à l’intervention, l’animal semble normal; mais bientôt, il se couche, des contractions musculaires se produisent; convulsions, coma et mort suivent très vite.

Mann sut rapidement déceler dans ces accidents précoces une diminution du glucose dans le sang circulant, ou hypoglycémie . L’administration de glucose par injection intraveineuse ramène la glycémie à la normale, et l’animal retrouve de façon spectaculaire un état de santé apparente. Cela confirmait ce qu’avait déjà démontré Claude Bernard: l’un des rôles essentiels du foie est de fournir le glucose sanguin.

Lorsque le chien hépatectomisé est maintenu en survie par perfusion glucosée, on voit se manifester les autres symptômes de l’insuffisance hépatique , traduisant la défaillance des grandes fonctions métaboliques du foie:

– métabolisme de la bile : un ictère (jaunisse) se déclare progressivement, car le sang se charge de bilirubine;

– métabolisme des graisses : le taux de cholestérol sanguin s’effondre;

– métabolisme des composés azotés : accumulation dans le sang d’acides aminés, d’ammoniac et de sels ammoniacaux, disparition de l’urée, car la foie est le principal organe du catabolisme des acides aminés avec désamination et production d’urée;

– métabolisme des protéines : les animaux hépatectomisés présentent des hémorragies graves dues à la carence de certaines protéines nécessaires à la coagulation du sang (fibrinogène , prothrombine , proconvertine ).

Le foie est, en outre, la seule source de l’albumine , mais le temps de survie des animaux hépatectomisés est trop court pour que l’hypoalbuminémie ait le temps d’être décélée.

Détoxication : de nombreuses drogues sont beaucoup plus toxiques chez l’animal sans foie; ainsi, on ne peut pratiquer l’hépatectomie sous anesthésie par les barbituriques, car l’animal ne se réveillerait pas. Ultérieurement (vingt à quarante heures après l’intervention), des anomalies neurologiques rendront la mort inévitable: respiration bruyante et irrégulière, rigidité des muscles, somnolence, coma . À ce stade, tout récent encore, aucune technique expérimentale ne permettait de prolonger la survie des animaux hépatectomisés. Actuellement, la mise en «circulation croisée», avec un chien sain, porteur d’un foie normal, parvient à faire régresser le coma et à prolonger temporairement la survie de l’animal opéré.

Pourquoi l’absence du foie (ou l’insuffisance fonctionnelle, comme on le verra plus loin) entraîne-t-elle une détérioration aussi grave du système nerveux central? Il pourrait s’agir soit de la carence en un métabolite produit par le foie et indispensable à la vie, soit d’une intoxication par un produit de déchet normalement éliminé par le foie. En tout cas, l’altération d’une étape ou d’une série d’étapes du métabolisme intermédiaire, dont le déroulement normal est nécessaire au bon fonctionnement du cerveau, paraît très probable.

Les multiples désordres résultant de l’hépatectomie, véritable catastrophe métabolique incompatible avec la vie, montrent que le foie est bien la clé des mécanismes responsables de la constance du milieu intérieur. L’étude de l’insuffisance hépatique chez l’homme nous permettra de retrouver les phénomènes pathologiques consécutifs à l’hépatectomie.

L’hépatocyte et ses fonctions métaboliques

L’analyse de la structure et de la physiologie de la cellule parenchymateuse (hépatocyte) aidera à débrouiller quelque peu l’écheveau des fonctions métaboliques. Grâce aux progrès de la cytologie, il est maintenant possible de disséquer l’hépatocyte à l’échelon macromoléculaire, d’assigner une fonction métabolique à chacune des structures cellulaires et de dresser la liste de leur équipement enzymatique. La microscopie électronique , la cytochimie , l’histochimie et l’histoenzymologie ont fourni les instruments de cette analyse minutieuse de la cellule dont la figure 3 schématise les résultats.

Si le foie, comme organe entier, est irremplaçable parce que seul capable d’assurer un grand nombre de fonctions métaboliques, ses cellules constitutives ne comportent que fort peu de structures spécifiques. Surtout, l’hépatocyte est remarquable par la richesse de son équipement enzymatique, car il renferme plusieurs centaines d’enzymes différents. On les trouve également dans d’autres tissus, mais aucun tissu ne réunit à la fois autant de capacités fonctionnelles. Une autre caractéristique de la cellule hépatique, celle-ci très particulière, est sa double polarité orientée d’une part vers le courant sanguin (fonction endocrine) et d’autre part, vers l’arbre biliaire (fonction exocrine).

Par là, l’hépatocyte se trouve au carrefour d’une multitude de voies métaboliques, dont il commande l’orientation, l’intensité, le débit. Synthèse des protéines, des lipides, synthèse et estérification du cholestérol, synthèse du glycogène à partir de molécules élémentaires (oses) et à partir d’acides aminés et de lipides, libération de glucose dans le sang circulant, conjugaison chimique et élimination de substances de déchet, fourniture de matériaux à haut potentiel énergétique, stockage de vitamines et de minéraux: tout cela est orchestré et agencé de manière très subtile, ajusté de la façon la plus exacte aux besoins de l’organisme par une infinité de mécanismes à feed-back . De nombreux tests biochimiques destinés à explorer ces fonctions et leurs déficiences éventuelles ont été proposés; ils sont utiles pour le diagnostic, car ils permettent une exploration fonctionnelle apportant au médecin d’importants renseignements qui complètent les autres modes d’investigation clinique (tabl. 1).

Actuellement, on tend à simplifier l’évaluation pratique des fonctions hépatiques: la valeur fonctionnelle du foie et le degré d’insuffisance hépatique sont bien évalués par des symptômes cliniques: degré d’ictère, existence et persistance d’une ascite, encéphalopathie. La communauté internationale s’est accordée sur une classification du degré de gravité d’une maladie du foie tenant compte de ces symptômes et de trois explorations biologiques simples (classification de Child-Pugh).

Maladies de la cellule hépatique

La «petite insuffisance hépatique»

L’insuffisance hépatique mineure est le lot quotidien des médecins français, trait culturel très particulier à notre pays et grand objet de moquerie de la part des hépatologues anglo-saxons. Qu’un patient se plaigne d’un eczéma, d’une sinusite tenace, de «crises de foie» avec vomissements, des maux de tête d’une banale migraine, le foie sert de bouc émissaire à tous ces malaises, surtout si les vomissements sont bilieux et s’il y a des douleurs du côté droit du tronc. Pourtant, les investigations cliniques et biochimiques sont négatives.

Cependant, dans la pratique médicale, le terme d’insuffisance hépatique signifie bien autre chose: c’est l’état clinique et biologique résultant de la destruction ou du dysfonctionnement de la plus grande partie du parenchyme hépatique. Une insuffisance hépatique va de pair avec de multiples maladies de foie: très fréquente au cours des cirrhoses , elle est en outre la conséquence presque obligée, à un degré variable, de diverses agressions infectieuses, toxiques, nutritionnelles, auxquelles correspondent trois types d’hépatites.

Hépatites infectieuses

Le foie peut être attaqué par des germes variés provenant des voies biliaires (angiocholites) ou apportés par le sang; il se range aussi parmi les organes qui peuvent être atteints par le microbe de la tuberculose ou par celui de la syphilis; il peut enfin être sévèrement touché au cours de certaines leptospiroses et brucelloses.

De nombreux virus peuvent être à l’origine d’une hépatite : le virus de la fièvre jaune, le virus de la mononucléose infectieuse (virus d’Epstein-Barr), le virus «herpès simplex» et le «cytomégalovirus». Mais, sous le nom d’hépatite virale, on désigne généralement des infections induites par le virus hépatotrope. Le diagnostic de ces hépatites à virus spécifique est possible par les méthodes immunologiques, qui permettent de caractériser divers marqueurs (antigènes viraux et anticorps correspondants) concernant les virus A, B et C.

Le tableau 2 fournit la liste et les caractéristiques sommaires des principaux virus hépatotropes connus.

La transmission des virus A (et E) se fait par voie fécale-orale: le virus est éliminé avec les selles dans le milieu extérieur, où il peut contaminer l’eau de boisson, les aliments, parfois le linge. Ce mode de transmission explique l’épidémiologie de la maladie: dans les pays où les conditions d’hygiène sont médiocres, l’endémie est permanente, les populations sont infectées à un âge précoce, et les sujets non immunisés (touristes, militaires) ont un risque important de contracter la maladie. Les virus à transmission parentérale (B, D, C et peut-être non A non B non C) ont sensiblement le même mode de transmission que les virus HIV. On les a découverts d’abord dans les suites de transfusions du sang et de ses diverses fractions thérapeutiques (fractions antihémophiliques, plasma, fibrinogène), mais on a ensuite rapidement démontré leur transmission par contact entre sperme et muqueuses. La transmission sexuelle du virus B a été très importante chez les homosexuels mâles, mais la transmission hétérosexuelle est possible. La transmission parentérale explique la très forte prévalence des hépatites B, D et C chez les toxicomanes. De petites épidémies d’hépatite B ont été le fait de tatouages, de percements d’oreille, de soins dentaires ou de traitements par hémodialyse. En Asie, où la prévalence de l’hépatite B est très élevée, la filière mère-enfant est importante. Les enfants deviennent porteurs chroniques du virus et sont source de contamination interhumaine.

Modalités évolutives des hépatites virales

Les hépatites virales ont, quel que soit le virus responsable, une évolution très variable.

L’hépatite virale aiguë bénigne , dans sa forme habituelle, évolue typiquement en trois phases: une période prodromique, qui dure généralement moins d’une semaine et se caractérise par des troubles généraux, digestifs et/ou articulaires, plus ou moins évocateurs, une période ictérique, d’une durée de une à deux semaines en moyenne, et une période de convalescence, avec amélioration progressive de l’état du malade qui, cependant, peut longtemps demeurer asthénique. Dans la grande majorité des cas, la maladie guérit complètement et sans séquelles en quelques semaines. Les études épidémiologiques ont montré qu’un grand nombre d’hépatites virales aiguës ont une évolution particulièrement bénigne et demeurent méconnues, en dehors des épidémies, parce qu’elles sont anictériques, voire asymptomatiques. Dans certains cas, l’ictère est au contraire intense et volontiers prolongé, dominant le tableau clinique: ces formes dites «cholestatiques» aboutissent à la guérison sans séquelles après un délai plus ou moins long.

À l’opposé de ces formes bénignes, il est des hépatites graves. La variété la plus redoutable, et heureusement la plus rare (1 p. 100 des cas), est l’hépatite fulminante (encore appelée atrophie aiguë du foie ou ictère grave) qui, le plus souvent, évolue en quelques jours vers le coma et la mort; le virus B est responsable des deux tiers de ces cas. De nombreuses tentatives thérapeutiques ont été faites à son propos: corticoïdes à hautes doses, exsanguino-transfusions, circulation croisée avec un humain à foie sain, un singe ou encore un foie de porc isolé; à ces procédés héroïques, qui sont désormais abandonnés, on tend à préférer actuellement les procédés d’épuration sanguine par hémodialyse ; le traitement symptomatique, pratiqué dans une unité de soins spécialisée, des divers désordres associés (déséquilibre acido-basique, troubles respiratoires, accidents hémorragiques, œdème cérébral, etc.) demeure l’essentiel: il a pour objet de gagner du temps, et d’aider à passer un cap difficile en attendant la régénération hépatique salvatrice. Au mieux, un malade sur quatre guérira, et cela sans séquelles.

L’hépatite aiguë sévère est une autre forme, qui se caractérise par des signes cliniques, biologiques et histologiques préoccupants, sans cependant comporter la nécrose massive et la rapidité d’évolution de l’hépatite fulminante. L’évolution est mortelle dans un tiers des cas, les survivants pouvant guérir spontanément ou évoluer vers la chronicité. La corticothérapie ne paraît pas modifier le pronostic de ces formes.

Le passage à la chronicité est une autre modalité évolutive des hépatites virales, qui ne concerne que les hépatites B et les hépatites C. Une hépatite est dite chronique lorsqu’elle évolue depuis plus de six mois. Elle peut être reconnue soit dans les suites d’une hépatite aiguë non résolutive, soit, plus fréquemment, au stade de chronicité, l’épisode initial étant passé inaperçu (parce que paucisymptomatique) ou étant retrouvé dans les antécédents. On distingue deux groupes d’hépatites chroniques de pronostic différent: l’hépatite chronique persistante et l’hépatite chronique active.

La symptomatologie de l’hépatite chronique persistante est discrète ou absente; la seule anomalie biologique fréquemment observée est une élévation des transaminases ; dans les cas dus au virus B, l’antigène HBss est généralement retrouvé dans le sérum; la lésion histologique essentielle est une infiltration inflammatoire à cellules mononucléées prédominant autour des espaces portes; mais il n’y a pas de fibrose, et les lésions de nécrose sont minimes ou nulles. Son évolution peut s’étaler sur plusieurs années, mais son pronostic est en général excellent.

L’hépatite chronique active comporte habituellement, mais non nécessairement, des signes cliniques plus marqués: asthénie, ictère, hépatomégalie; des manifestations extrahépatiques sont assez fréquemment associées et peuvent être révélatrices: glomérulonéphrite, arthropathie, polyartérite; biologiquement, les signes les plus habituels sont une élévation de la bilirubinémie, des transaminases et des gammaglobulines, ainsi que la présence éventuelle, à un titre généralement faible, de divers anticorps; lorsque le virus B est en cause, on retrouve typiquement dans le sérum l’antigène HBs, l’anticorps anti-HBc et parfois l’antigène HBe. Histologiquement sont associées des lésions de nécrose, intéressant principalement la périphérie du lobule, une infiltration inflammatoire à cellules mononucléées et une fibrose d’intensité variable. L’hépatite chronique active d’origine virale comporte un pronostic réservé; certes, elle peut évoluer lentement vers la guérison: cette éventualité est surtout le fait des hépatites non A non B et, dans le cas des hépatites B, s’observe généralement en cas de séro-conversion HBeAg – anti-HBe; mais, le plus souvent, l’évolution se fait vers la cirrhose et ses complications éventuelles. Il est à noter qu’il n’est pas exceptionnel que l’hépatite chronique évolue à bas bruit et ne se révèle que tardivement au stade de cirrhose posthépatitique.

L’hépatocarcinome est, malheureusement, une complication fréquente de l’évolution au long cours d’une hépatite B: on compte environ 450 cas pour 100 000 infestations par le virus.

C’est la complication la plus dramatique qui puisse survenir dans l’histoire d’une hépatite à virus B, ainsi que dans bien d’autres maladies chroniques du foie évoluant depuis des années.

Cliniquement, l’hépatocarcinome se révèle par une altération de l’état général et de l’état hépatique. L’échotomographie montre qu’il existe une masse hétérogène au reste du parenchyme hépatique. Dans le bilan biologique qui est alors pratiqué, on note, outre les altérations habituelles des maladies du foie, la présence d’une protéine particulière: l’alphafœtoprotéine , qui assure le diagnostic.

Prévention et traitement des hépatites virales

La prévention des hépatites virales comporte un certain nombre de mesures non spécifiques: elle débute par le dépistage de la maladie et sa déclaration obligatoire; elle passe par le respect de mesures d’hygiène strictes qui valent surtout, en ce qui concerne l’hépatite A, pour les sujets vivant en collectivité et, en ce qui concerne l’hépatite B, pour les sujets soumis à un risque professionnel (médecins, laborantines) ou familial (conjoints, nouveau-nés); elle comporte enfin le dépistage des donneurs de sang, porteurs chroniques du virus.

Les mesures prophylactiques spécifiques visent à protéger des sujets sains à risque de contamination élevé. Pour prévenir l’hépatite A, on ne dispose que d’immunoglobulines standards polyvalentes, qui seront administrées en cas d’épidémie survenant dans une collectivité ou, éventuellement, chez un individu se rendant en zone endémique. En fait, la véritable prophylaxie spécifique concerne l’hépatite B, contre laquelle on dispose d’immunoglobulines spécifiques anti-HBs (immunisation passive) et, depuis 1981, d’un vaccin (immunisation active), préparé par l’Institut Pasteur à la suite des travaux de Maupas.

L’administration de gammaglobulines spécifiques est indiquée principalement en cas de contamination accidentelle par du sang ou des dérivés sanguins contaminés, en cas de contamination périnatale (mère atteinte d’hépatite B en fin de grossesse, ou porteuse chronique de l’antigène HBs), et chez le conjoint d’un malade atteint d’hépatite aiguë B. En pratique, cette immunothérapie passive n’est à envisager que chez des sujets qui ne sont porteurs ni de l’antigène HBs, ni de l’anticorps anti-HBs.

Le vaccin contre le virus B est préparé à partir du sérum de porteurs chroniques de l’antigène HBs. Son innocuité et son efficacité ont été démontrées par plusieurs études contrôlées; la vaccination implique trois injections sous-cutanées à un mois d’intervalle et une injection de rappel pratiquée un an plus tard. L’incubation de l’hépatite B étant longue, la vaccination est également licite en cas de contamination peu importante; en cas de contamination massive, une sérovaccination (immunoglobulines spécifiques + vaccin) apparaît souhaitable.

On dispose depuis peu de temps d’un vaccin efficace et dénué d’effets secondaires contre l’hépatite A. Ce vaccin paraît indispensable, après vérification de l’absence d’anticorps, avant un voyage en pays d’endémie (notamment l’Afrique). Il serait utile que l’utilisation de ce vaccin soit généralisée.

Le traitement des hépatites virales aiguës est inutile dans environ 95 p. 100 des cas, qui guérissent spontanément en trois semaines à trois mois. Le repos strict au lit et la prescription d’un régime alimentaire spécial sont actuellement considérés comme non nécessaires. La suppression des boissons alcoolisées est toutefois hautement souhaitable.

L’apparition de produits antiviraux a bouleversé, depuis peu d’années, le problème du traitement des hépatites virales chroniques. Il s’agit de l’interféron a2, pour les virus B et surtout C, et de la vidarabine pour l’hépatite B. Il s’agit de traitements longs, astreignants, et assez fatigants, de telle sorte que la décision ne peut être prise à la légère. En particulier, il est pour le moment nécessaire de se fonder sur le degré d’inflammation hépatique, jugé par une biopsie. En ce qui concerne l’interféron, le traitement est prolongé pendant au moins six mois. Il est souvent nécessaire de reprendre le traitement après son interruption, car une rechute (jugée sur la réascension des transaminases) est fréquente. On en arrive même à se demander s’il n’est pas nécessaire, chez certains sujets, de poursuivre ce traitement de façon indéfinie, à faibles doses.

Hépatites toxiques

Certaines intoxications sont mortelles par suite d’une lésion du foie: tel est le cas des intoxications par le phosphore blanc de certains raticides, le tétrachlorure de carbone des extincteurs d’incendie, les toxines de l’amanite phalloïde. L’utilisation de ces toxiques est bien connue des expérimentateurs qui, en variant les doses et les voies d’introduction chez des animaux de laboratoire, obtiennent soit des insuffisances hépatiques aiguës, soit des cirrhoses, soit même des cancers du foie.

Hépatites médicamenteuses

De nombreux médicaments sont susceptibles d’entraîner une hépatite dont la symptomatologie est tout à fait comparable à celle des hépatites virales que nous venons de voir. L’énumération de ces médicaments serait très longue. Ce peuvent être des tranquillisants, des anti-inflammatoires, des antirhumatismaux, des anesthésiques, certains antibiotiques, des hormones.

Il vient d’être fait allusion au mécanisme de ces hépatites médicamenteuses: certaines d’entre elles correspondent à des réactions immunoallergiques, ce qui explique leur relative rareté et leur caractère imprévisible, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas dépistées par les essais pharmacologiques animaux, préalable à toute commercialisation d’un médicament ; d’autres mécanismes impliquent la formation d’un métabolite intermédiaire, formé au cours de la transformation du médicament dans l’organisme; dans certains cas très rares, le médicament est directement toxique pour la cellule hépatique. En général, cette dernière toxicité est dépistée dans des essais préalables sur les animaux d’expérience, ce qui fait que ce type de médicament n’est pas commercialisé.

Sur le plan clinique, l’hépatite peut revêtir deux formes: ou bien une hépatite cytolytique, comparable à une hépatite virale aiguë habituelle: ces hépatites sont le plus souvent bénignes, mais certaines d’entre elles, dues à une classe particulière d’antidépresseurs ou encore à certains anesthésiques, peuvent être mortelles. Dans d’autres cas, on dit que l’hépatite est cholestatique, c’est-à-dire qu’outre un ictère intense elle s’accompagne de symptômes pouvant suggérer un obstacle mécanique sur les voies biliaires. Ce type d’expression clinique peut poser un problème diagnostique difficile, comme on le verra plus loin.

On s’est aperçu, depuis peu d’années, qu’une hépatite médicamenteuse pouvait avoir une évolution chronique comparable à celle des hépatites chroniques actives d’origine virale ou auto-immune: de telles formes chroniques sont dues à un laxatif particulier, maintenant retiré du commerce en France, occasionnellement à des médicaments hypotenseurs, anti-inflammatoires ou antalgiques.

Lorsque l’on ne dépiste pas chez un malade atteint d’une hépatite des réactions immunologiques témoignant de l’infection par un virus, il faut mener une enquête très attentive sur la possibilité d’une hépatite médicamenteuse. Le plus souvent, en interrogeant attentivement le malade, on s’aperçoit qu’il prend depuis peu de temps un médicament nouveau; quelquefois, cette hépatite s’accompagne d’autres réactions allergiques telles que des éruptions à type d’urticaire, une éosinophilie sanguine...

La preuve absolue de la responsabilité du médicament serait la réapparition des signes de l’hépatite lorsque le médicament est repris. Il ne faut pas faire cette épreuve de propos délibéré, mais elle est souvent réalisée spontanément par le patient du fait qu’il ignore la responsabilité du médicament.

Maladies du foie d’origine nutritionnelle

La possibilité de produire, au seul moyen d’un régime, les lésions hépatiques les plus sérieuses, a été une véritable révolution de l’hépatologie. On savait cependant depuis le début du siècle qu’un régime alimentaire approprié pouvait modifier la gravité et l’évolution d’une intoxication chimique expérimentale.

Mais dès 1930, on commence à obtenir des surcharges graisseuses du foie par un régime alimentaire; des expérimentateurs réalisent des cirrhoses par des moyens purement nutritionnels. En 1935, P. E. Weichselbaum, puis P. Gyorgy et H. Goldblatt, H. P. Himsworth, K. Schwartz, montrent qu’un régime pauvre en protéines, ou plus précisément en un acide aminé soufré, la cystéine, en alpha-tocophérol (vitamine E) et en un facteur 3 (contenant du sélénium) provoque une maladie aiguë du foie, aussi grave que la plus virulente des hépatites: la plupart des rats d’expérience meurent brutalement par «atrophie rouge aiguë» avec une grande insuffisance hépatique.

Cette notion d’une maladie nutritionnelle du foie est très importante sur le plan théorique, encore qu’il ne semble pas exister d’équivalent chez l’homme de cette maladie nécrotique aiguë par dénutrition. Cependant, on verra que les maladies nutritionnelles sont réelles et fréquentes en pathologie humaine, la première place revenant aux maladies dues à l’alcoolisme.

Surcharges de l’hépatocyte

La destruction hépatocytaire est loin d’être la seule lésion du parenchyme hépatique. Il existe un certain nombre de maladies, souvent génétiques, où le foie souffre d’être surchargé en substances diverses: fer, glycogène, cuivre, substance amyloïde. Mais la plus fréquente de ces maladies de surcharge, en général d’origine nutritionnelle, est la surcharge en graisses, ou stéatose .

Les circonstances dans lesquelles on rencontre la stéatose chez l’homme sont très diverses: parfois, après intoxications aiguës par le phosphore ou le tétrachlorure de carbone; souvent, pendant une maladie chronique (diabète, malabsorption par maladie intestinale, dénutrition). Le kwashiorkor, très répandu dans toutes les régions subtropicales du globe, en particulier en Afrique, constitue un exemple typique de ces maladies nutritionnelles. La maladie atteint les enfants, et consiste en un retard de croissance, une pigmentation de la peau et des cheveux, un gros foie, des œdèmes. Ces malheureux enfants, symbole amplement photographié de la «faim du monde», avec leur gros ventre, leur apathie, leur air misérable, meurent très souvent alors qu’une réalimentation (par le lait écrémé) suffirait à leur assurer une guérison rapide. C’est par la carence en certaines substances nécessaires à l’évacuation des graisses que le foie devient stéatosique dans cette maladie.

La cause du foie «gras» de loin la plus fréquente en France est l’alcoolisme . Il est courant de constater un gros foie, chez un alcoolique, par l’examen clinique, la ponction-biopsie, la laparoscopie (examen direct du foie par une petite ouverture de la paroi abdominale). Souvent le patient ne ressent aucun trouble et ne comprend pas pourquoi on veut lui interdire de boire. Pourtant, si l’intoxication se poursuit, et si l’on répète les ponctions-biopsies au fil des années, on verra s’installer progressivement des lésions cirrhotiques irréversibles. Le lien entre la stéatose et la cirrhose a suscité beaucoup de polémiques. Encore récemment, les médecins anglo-saxons pensaient que la stéatose alcoolique était une étape obligée de l’installation de la cirrhose, à l’instar de ce qu’ils observaient chez leurs animaux d’expérience. Toute une série de travaux semblent établir maintenant qu’il s’agit de lésions simultanées, mais dont les mécanismes sont indépendants.

Les mécanismes de la stéatose sont très divers. Le foie peut se surcharger en graisse par excès d’apport, par défaut d’évacuation (carence en substances d’origine protéique dites «lipotropes»), excès de mobilisation à partir des tissus adipeux, trouble métabolique au sein même de la cellule hépatique qui synthétise trop les graisses, les détruit insuffisamment; la teneur du foie en graisses est en effet la résultante d’un équilibre dynamique: la cellule hépatique recueille, consomme, synthétise les lipides de l’organisme selon ses besoins propres et ceux de l’économie; il est des situations où elle est débordée, d’autres où elle est paralysée.

Atteintes parasitaires

Dans le paludisme, les sporozoïtes présents dans la salive qu’infecte l’insecte vecteur (moustique anophèle) sont amenés par le sang au foie, où ils se multiplient au sein d’hépatocytes qui deviendront ainsi des «corps bleus». La rupture des cellules hôtes, qui permettra au parasite de retourner dans le sang, sous forme de mérozoïtes qui vont se loger dans les globules rouges, inaugure la phase clinique de la maladie. La contamination hépatique est donc restée à peu près silencieuse, à la manière d’une période d’incubation.

D’autres parasites, au contraire, restent localisés dans le foie, dans lequel ils provoquent des lésions plus ou moins graves, et plus ou moins étendues:

– Dans la dysenterie amibienne, le germe pathogène (Entamoeba histolytica ) peut essaimer vers le foie, par la veine porte, déterminant ainsi des abcès amibiens multiples au sein du tissu hépatique; la destruction locale de celui-ci se traduit par la formation, dans les cavités abcédées, de pus «chocolat». L’évolution, autrefois très grave, de cette complication est enrayée par l’administration des dérivés de métronidazole (Flagyl).

– Dans les échinococcoses, la formation de kystes autour des parasites détermine des cavités intrahépatiques assez limitées dans l’hydatidose à E. granulosus , mais expansives dans l’échinococcose alvéolaire provoquée par E. multilocularis .

– Les distomatoses touchent surtout les voies biliaires.

– La bilharziose hépatique à Schistosoma Marisoni entraîne cirrhose avec hypertension portale.

L’apparition du praziquantal a marqué un important progrès dans le traitement de ces deux dernières parasitoses.

3. Le foie biliaire

L’une des principales fonctions de l’appareil hépato-biliaire est de produire (sécrétion) et d’évacuer (excrétion) la bile, liquide des plus complexes, dont la composition est une véritable gageure physico-chimique, qui élimine des déchets inutiles, voire nuisibles à l’organisme, mais liquide cependant indispensable, tant pour assurer une digestion correcte et une absorption suffisante des aliments que pour perpétuer sa propre production. La sécrétion de la bile met en jeu des mécanismes compliqués, et son excrétion dépend d’une régularisation neuro-hormonale complexe.

L’«arbre biliaire» naît des canalicules, simples cavités délimitées par deux hépatocytes contigus; elles forment au sein du lobule un réseau, drainé dans l’espace porte par des canaux biliaires intrahépatiques; ces canaux biliaires intrahépatiques sont l’un des éléments constitutifs de la triade portale.

Par confluence, les canaux biliaires deviennent de plus en plus gros et forment, en définitive, deux branches principales, droite et gauche, drainant chacune le lobe hépatique correspondant. Elles émergent de la masse hépatique pour se réunir et constituer le canal hépatique, première partie de la voie biliaire principale . Par adjonction du canal cystique , provenant de la vésicule biliaire, le canal hépatique devient le cholédoque . Ce dernier se termine dans le duodénum , par l’intermédiaire d’un système sphinctérien complexe dont la régulation est délicate. Dans sa portion préterminale, le cholédoque a traversé la tête du pancréas; il peut être obstrué, dans ce trajet, par toute prolifération tumorale du pancréas (fig. 4).

La vésicule est un sac placé en dérivation sur la voie biliaire. Un important appareil musculaire explique sa contractilité ; le grand développement et la différenciation de sa couche muqueuse sont liés à sa fonction de réabsorption .

Composition de la bile

Le volume de bile excrété est de 300 à 700 cm3/24 h et peut atteindre 1 litre. On classe les substances excrétées dans la bile en deux catégories (tabl. 3): celles de la «classe A» (sodium, chlore, potassium, glucose, cholestérol) y sont à une concentration voisine de celle du sang: on pourrait donc penser que leur excrétion se fait par une simple filtration, mais il semble bien que leur élimination nécessite un travail physiologique. Les substances de la «classe B» sont dans la bile à une concentration bien supérieure à celle du plasma; pour les éliminer, le foie a dû fournir un travail considérable de concentration et de sécrétion qui met en œuvre ses aptitudes à capter ces substances dans le sang circulant, à les stocker et les concentrer au sein des cellules hépatiques, à en changer les caractères physico-chimiques par conjugaison , et à les excréter dans le canalicule biliaire qui les déversera dans l’intestin. Font partie de la «classe B» les sels biliaires, la bilirubine, des hormones et des produits étrangers à l’organisme que le foie se charge ainsi d’inactiver et d’éliminer: médicaments tels que les antibiotiques, colorants tels que le rose bengale ou la bromesulfonephtaléine (B.S.P.).

Deux de ces substances ont une importance particulière et méritent qu’on s’y attarde: les sels biliaires (ou acides biliaires) et la bilirubine.

Les sels biliaires

Les sels biliaires sont des produits d’oxydation du cholestérol dont ils possèdent le noyau stérolique: la transformation de cholestérol en sels biliaires dans l’hépatocyte est une des voies métaboliques par lesquelles l’organisme combat l’hypercholestérolémie. Une fois formés, les sels biliaires sont conjugués avec le glycocolle ou avec la taurine , ce qui permet leur excrétion. Ce sont les sels biliaires qui, pense-t-on, entretiennent la sécrétion de la bile. En effet, au cours de leur excrétion, ils entraînent hors des cellules du foie, par leur pouvoir osmotique, une certaine quantité d’eau, qui servira de solvant aux autres substances secondairement évacuées dans la bile: il y a proportionnalité entre la sécrétion des sels biliaires et le débit de la bile. Par ailleurs, un mécanisme particulier permet l’économie et la réutilisation de la plus grande partie des sels biliaires: parvenus à l’intestin, ils y sont constamment réabsorbés en un «cycle entéro-hépatique». Lorsque la bile est dérivée (par fistule biliaire externe), leur synthèse fait l’objet d’un accroissement compensateur qui peut atteindre douze fois la normale; mais, lorsqu’on injecte dans le sang du sujet opéré un acide biliaire, la synthèse revient à son niveau normal. Constamment synthétisés par l’hépatocyte, constamment réabsorbés par l’intestin, les acides biliaires sont ainsi les régulateurs de leur propre fabrication.

Rôle des sels biliaires

Les graisses sont insolubles dans l’eau; or, tous les processus métaboliques, toutes les activités enzymatiques se passent dans l’eau. Les acides biliaires sont un des subterfuges qu’utilise la nature pour obvier à cet état de choses. Les sels biliaires réalisent avec les corps gras une émulsion , c’est-à-dire leur division en très fines gouttelettes.

Les acides biliaires participent, de la même manière, à la stabilisation de la bile, laquelle contient des subtances ne pouvant rester en solution dans l’eau: lécithines, cholestérol. Les sels biliaires forment avec ces molécules des micelles, agrégats qui permettent leur maintien en solution. Pour peu que la concentration (ou la composition) des sels biliaires soit impropre, le cholestérol précipite: ce sera l’amorce d’un calcul biliaire. C’est en raison de ce phénomène qu’ont été proposés les traitements de dissolution des calculs biliaires par les acides biliaires.

L’action des sels biliaires dans la digestion intestinale des graisses relève du même mécanisme: il y a formation d’agrégats (micelles) et mise en suspension, dans le milieu intestinal aqueux, des graisses et du cholestérol. Les enzymes (lipases) peuvent alors agir sur les gouttelettes lipidiques, les réduire en fragments plus petits, ce qui permet leur assimilation. L’absorption des vitamines solubles dans les graisses (A, D, E, K), ainsi que du calcium, dépend donc du bon fonctionnement de ce mécanisme; en cas d’absence de sels biliaires dans l’intestin, dans les obstructions biliaires complètes par exemple, on observe divers syndromes carentiels: déminéralisation, dénutrition, hémorragie par hypovitaminose K, etc.

La lithiase biliaire

On peut concevoir que, pour qu’il y ait précipitation calculeuse, il faut qu’il y ait soit un défaut de l’agent solubilisant, les sels biliaires, soit un excès de la substance à dissoudre, le cholestérol. Ce déséquilibre pourrait avoir une origine alimentaire car, de fait, la lithiase vésiculaire est souvent une maladie de gros mangeurs, beaucoup plus fréquente en Europe qu’en Extrême-Orient. Mais il est certain que ces facteurs alimentaires ne sont pas les seuls en cause. Il existe probablement des circonstances où le taux des sels biliaires est insuffisant. Des facteurs endocriniens pourraient entraîner une telle modification: la lithiase est plus courante chez les femmes et semble particulièrement favorisée par les grossesses.

Mais dans quelques cas, bien différents, la lithiase est due à un excès de la bilirubine, conséquence d’une hémolyse: ce sont les lithiases pigmentaires.

Le diagnostic de la lithiase biliaire s’est transformé depuis cinquante ans de façon révolutionnaire, grâce aux progrès de la radiologie biliaire. Jusque vers 1928, seul le hasard permettait de porter un diagnostic sûr du calcul biliaire à la faveur d’une radiographie montrant une image caractéristique de lithiase calcifiée. En faisant ingérer aux malades des dérivés iodés, excrétés par le foie, s’éliminant par les voies biliaires, concentrés dans la vésicule, on a pu réaliser des cholécystographies orales . En cas de lithiase biliaire, cette méthode donne deux types de réponse: si la vésicule est surchargée par les calculs ou si le cystique est obstrué, on a l’image radiologique de la «vésicule exclue»; si le cholécyste se remplit, on peut voir et dénombrer les calculs qui se manifestent par des petites lacunes claires, au sein de l’image opacifiée de la vésicule. Sous l’effet d’un repas gras, celle-ci se contracte et expulse alors son contenu dans la voie principale, qui peut être radiographiée.

Mais une étape plus importante encore a été franchie avec la biligraphie intraveineuse : la prise de radiographies en séries permet d’observer l’opacification des voies biliaires par la substance opaque.

Révolution diagnostique dans la lithiase vésiculaire

Depuis les années soixante-dix, une véritable révolution diagnostique a été effectuée grâce à l’échographie: les calculs vésiculaires constituent des corps denses au sein de la vésicule, reflétant les ultrasons, ce qui donne une image arrondie, «échogène», avec derrière elle un cône d’ombre. Cet examen simple, inoffensif, pouvant être répété autant que l’on veut, peu coûteux, est maintenant souvent employé au cabinet du gastro-entérologue. La généralisation de cette méthode a pu démontrer l’extrême fréquence de la lithiase vésiculaire chez les sujets asymptomatiques. Un cinquième de la population française serait ainsi porteuse de calculs.

Il existe maintenant un consensus sur le fait que les lithiases asymptomatiques ne doivent être ni traitées ni opérées, tout au moins à partir d’un certain âge. La question est différemment posée chez les femmes jeunes, porteuses de petits calculs, plus exposées à des crises biliaires, surtout en cas de contraception orale ou de grossesse. En tout cas, l’existence de troubles dyspeptiques, de ballonnements après les repas, de migraines, de vertiges, etc., ne peut en aucun cas constituer une indication à une opération.

Il n’en est plus de même lorsque surviennent des accidents «mécaniques» dus aux calculs. Le principal et le plus typique est la crise douloureuse, ou colique hépatique . Elle est dramatique et se reconnaît facilement. Elle débute la nuit par une sensation de poids dans l’épigastre ou l’hypochondre droit, qui se transforme rapidement en une douleur insupportable avec inhibition respiratoire. Elle irradie de façon extrêmement caractéristique vers le côté droit, dans le dos et vers l’épaule; elle va de pair avec des vomissements et est bientôt suivie de fièvre et, dans certains cas, d’un ictère.

La signification de ces coliques hépatiques n’est pas univoque. La plupart des crises de coliques vésiculaires sont la conséquence d’une distension de la vésicule, quand un calcul s’engage dans le col et fait clapet à l’origine du cystique. Mais il existe aussi des coliques cholédociennes dont l’évolution typique réalise une angiocholite ; à la douleur succède un accès de fièvre avec frissons, puis apparaît un ictère. D’autres fois, dans les formes «frustes», l’obstruction du cholédoque ne se manifeste que par des crises douloureuses, sans fièvre et sans ictère, ou encore par des accès fébriles éloignés, sans douleur et longtemps sans ictère. De telles rechutes accompagnées ou non d’ictères et de fièvre sont très significatives de la lithiase de cholédoque.

La lithiase biliaire expose à des complications graves. L’hydrocholécyste est due à l’occlusion du canal cystique. La vésicule se distend au point d’être menacée de rupture. Les cholécystites lithiasiques, aiguës ou subaiguës, sont provoquées par une inflammation de la paroi, entraînant une suppuration du contenu vésiculaire et une inflammation du péritoine périvésiculaire. Bien que le «refroidissement» des accès soit actuellement possible grâce aux antibiotiques, une intervention sera tôt ou tard nécessaire. Un calcul peut parfois migrer directement de la vésicule dans l’intestin. Cet accident s’accompagne d’une hémorragie digestive, puis d’une occlusion: c’est l’iléus biliaire , qui se constate surtout chez les sujets âgés. Le plus grand drame de la lithiase biliaire, qu’elle soit «muette» ou qu’elle ait comporté des accidents évidents, reste la dégénérescence maligne. C’est le calculo-cancer dont on voit actuellement augmenter la fréquence. Il survient tard dans la vie. Il se révèle par un gros foie, ou par un ictère, ou par de la fièvre et des douleurs. En procédant à une hépatectomie droite, on a pu sauver quelques malades, mais dans la plupart des cas l’affection est mortelle. C’est un argument que les chirurgiens ont coutume de dresser pour demander le traitement chirurgical systématique de toutes les cholécystites, même latentes. Les vésicules exclues nous paraissent constituer l’indication la moins discutable à l’opération préventive.

Traitement chirurgical de la lithiase biliaire

La chirurgie biliaire a longtemps comporté un risque vital important. Ses dangers sont maintenant notablement réduits, grâce aux progrès des méthodes d’anesthésie et de réanimation qui permettent d’opérer des personnes très âgées, des cardiaques, des insuffisants respiratoires ou rénaux, jadis réputés «intouchables». Mais cette chirurgie, d’autre part, expose à des séquelles qui peuvent avoir pour le malade des conséquences aussi graves que la lithiase elle-même: section accidentelle de la voie biliaire principale (mécompte qui menace le chirurgien le plus habile), «oubli» d’un calcul, absence de traitement d’une lésion du bas appareil cholédocien.

C’est pourquoi la mise en œuvre et les méthodes de la chirurgie biliaire ne souffrent pas l’à-peu-près. Un des gros problèmes consiste en l’exploration parfaite, peropératoire, de la voie biliaire principale, depuis ses branches d’origine jusqu’à sa terminaison, même si la lithiase semble n’intéresser que la seule vésicule. Cet examen est difficile. Il nécessite un équipement spécial permettant les explorations radiomanométriques .

La cœliochirurgie représente une véritable révolution thérapeutique. Elle reprend une méthode d’investigation ancienne (cœlioscopie des gynécologues, laparoscopie des hépatologues), mais considérablement perfectionnée par les équipements vidéo (permettant de visualiser sur un large écran le contenu de la cavité abdominale) et la miniaturisation de l’instrumentation. L’ablation de la vésicule sous cœliochirurgie consiste en la création d’un pneumopéritone (insufflation de gaz dans la cavité péritonéale), puis introduction, en général par l’ombilic, d’un appareil porteur d’une caméra vidéo; deux autres petites incisions punctiformes de la paroi permettent l’introduction des instruments pouvant sectionner, coaguler, ligaturer, etc. Les perfectionnements de cette technique permettent maintenant non seulement d’enlever la vésicule, mais aussi de pratiquer des radios peropératoires des voies biliaires; on peut également enlever l’appendice, traiter une hernie hiatale, etc.

Les suites de cette intervention sont beaucoup plus simples que celles de la chirurgie conventionnelle: les patients peuvent souvent sortir de l’hôpital ou de la clinique au troisième jour. Il ne faut pas, cependant, méconnaître que cette chirurgie, pour légère qu’elle paraisse, comporte des risques de fautes thérapeutiques (blessures ou ligatures du cholédoque, hémorragies). Il faut se méfier de l’effet de mode et redouter de possibles procès en malfaçon... Néanmoins, ce type de chirurgie «légère» permet d’élargir des indications de la cholécystectomie (cas des jeunes femmes que nous avons évoqué plus haut); cependant, il faut bien garder à l’esprit que les indications de la chirurgie biliaire restent celles que nous avons déjà définies: pas de chirurgie dans les lithiases asymptomatiques.

Traitement médical de la lithiase vésiculaire

Depuis une quinzaine d’années, le traitement médical des calculs de cholestérol est apparu en thérapeutique et a soulevé de très grands espoirs : l’administration au long cours de certains acides biliaires (l’acide chénodésoxycholique ou l’acide ursodésoxycholique) vise à rétablir un déséquilibre de la composition de la bile, qui peut se résumer à une diminution du rapport entre acide biliaire et cholestérol, c’est-à-dire à retrouver les conditions de solubilisation du cholestérol.

Pour le moment, seuls les calculs constitués par du cholestérol peuvent être dissous: cela veut dire qu’il faut exiger un certain nombre de critères bien précis avant d’entreprendre ce type de traitement, faute de quoi l’échec est certain.

Les calculs de cholestérol sont radiologiquement transparents. Tous les calculs calcifiés, c’est-à-dire opaques aux rayons X, sont a priori insensibles au traitement. Il faut que les calculs soient de petite taille et n’excèdent pas 1,5 centimètre de diamètre; il faut que la vésicule soit «fonctionnelle», c’est-à-dire qu’elle soit facilement opacifiée par le produit de contraste, faute de quoi la bile ne circule pas dans la vésicule, et le traitement, ici, est encore inefficace.

Le traitement est de longue durée (au moins un an); son efficacité doit être contrôlée par échotomographie et, si besoin, par de nouvelles radiographies. De plus, on s’est aperçu qu’il y avait fréquemment une réapparition de calculs lors de l’arrêt de ce traitement. Cela implique qu’il faut envisager d’administrer des acides biliaires, soit de façon continue, soit de façon discontinue, la vie durant.

On comprend que, devant ces conditions relativement sévères, la proportion des patients susceptibles de bénéficier de ce traitement, parmi tous les porteurs de calculs vésiculaires, soit relativement faible. On le réserve de préférence aux sujets ayant dépassé quarante ans, remplissant toutes les conditions que nous avons énumérées plus haut pour ce qui est des critères radiologiques, et, de plus, exempts de toutes complications importantes de la lithiase vésiculaire (crises de coliques hépatiques fréquentes, infection vésiculaire, etc.).

Par ailleurs, il est tout à fait envisageable que l’on s’abstienne de tout traitement, médical ou chirurgical, chez des sujets chez qui l’on a découvert par hasard une lithiase vésiculaire, si celle-ci est parfaitement asymptomatique et n’entraîne ni douleurs ni complications infectieuses.

Bilirubine et ictères

Les jaunisses, ou ictères, sont la traduction clinique d’une accumulation excessive dans l’organisme de bilirubine, pigment qui confère une coloration jaune à la peau et aux muqueuses. Jusqu’à ces dernières années, le métabolisme de la bilirubine était imparfaitement connu; l’isolement et l’étude de certains cas d’ictères congénitaux survenant très rarement mais d’un grand intérêt physiopathologique, ainsi que la mise en œuvre de procédés d’examens nouveaux, ont permis d’établir avec précision les diverses étapes du métabolisme de la bilirubine depuis sa formation jusqu’à son excrétion intestinale.

Formation de la bilirubine

La source de la bilirubine est l’hémoglobine des globules rouges. Mann avait déjà montré, en 1926, que les chiens hépatectomisés produisaient de la bilirubine au niveau de leur système réticulo-endothélial.

Ainsi se trouve individualisé un premier groupe d’ictères dits hémolytiques , dans lesquels les hématies sont détruites précocement et à un rythme exagéré. La survie des hématies, mesurée par des méthodes isotopiques, est raccourcie; la quantité d’hémoglobine libérée dans le plasma est excessive, et les capacités d’excrétion du foie sont débordées. Les causes des ictères hémolytiques sont très nombreuses: fragilité constitutionnelle, génétique, du globule rouge ou facteurs accidentels, acquis, «extra-corpusculaires».

Étape hépatique de l’excrétion de la bilirubine

Cette étape comprend en réalité trois temps, l’altération de chacun d’eux pouvant être cause d’ictère.

1. Temps de captation hépatocytaire: le franchissement de la membrane de l’hépatocyte par la bilirubine est mal connu (il est possible que quelques-unes des maladies de Gilbert soient dues à une altération de cette captation).

2. Temps de conjugaison de la bilirubine: il est maintenant bien établi depuis les travaux de R. Schmidt, B. Billing, E. Talefant. Cette conjugaison nécessite la présence d’un système enzymatique, lié au réticulum granulaire, aux microsomes; c’est le système de glycuroconjugaison dont l’un des enzymes essentiels est la glycuronyl-transférase. Un certain nombre d’ictères sont provoqués par une perturbation de cette phase: ainsi l’ictère néonatal par trouble de glycuroconjugaison, «ictère physiologique du nouveau-né», la ou les maladies de Gilbert , ou «cholémie familiale», dont le tableau clinique est celui d’un ictère chronique variable, souvent accru par la fatigue, les émotions, l’abus d’alcool ou par une infection intercurrente.

3. Temps d’excrétion canaliculaire de la bilirubine conjuguée, dernière étape intra-hépatocytaire du trajet suivi par la bilirubine. La bilirubine doit se libérer des microsomes où elle a subi la conjugaison, traverser le pôle biliaire de la cellule et franchir la membrane qui sépare l’hépatocyte du canalicule biliaire. Au cours de cette dernière phase, divers organites intracellulaires sont impliqués: lysosomes, appareil de Golgi, paroi biliaire de la cellule elle-même. Tout ou partie de cette portion de la cellule hépatocytaire peut être lésé. Cette lésion entraînera une rétention de la bilirubine déjà conjuguée qui sera «régurgitée» dans le sang, provoquant un ictère dont le type est l’ictère de Dubin Johnson.

Les cholestases intrahépatiques

L’ictère est, on l’a vu, le trait clinique le plus saillant, sinon le plus constant, des hépatites virales et toxiques. Une question toutefois suscite maintes controverses: quel est, dans ce cas, le mécanisme de la rétention biliaire? Déficience des systèmes assurant l’évacuation de la bilirubine hors de la cellule? Obstacle inflammatoire sur le trajet de petites voies biliaires intrahépatiques? Ce problème de la cholestase intrahépatique a suscité bien des interrogations et controverses dans les années quatre-vingt; le problème est maintenant résolu, grâce à des études histologiques fines. Deux types de mécanismes expliquent l’ictère des maladies du foie: le premier résulte de la destruction des hépatocytes et de leur appareil excréteur des éléments constitutifs de la bile; le deuxième est dû à la souffrance et la destruction des petits canaux biliaires intrahépatiques. Nous retrouverons plus loin ces lésions au cours de certaines maladies auto-immunes que sont la cirrhose biliaire primitive et la cholangite sclérosante primitive.

Les ictères posthépatiques

Après avoir quitté les petits rameaux biliaires intrahépatiques, la bilirubine – dans son véhicule, la bile – parcourt les voies biliaires extrahépatiques. Elle pourra être arrêtée à n’importe quel stade par divers obstacles pathologiques: calculs de la voie biliaire principale, entraînant une infection (angiocholite), tumeurs , le plus souvent malignes, siégeant au niveau de la bifurcation du canal hépatique, ou de la papille (ampullome vatérien); tumeurs du pancréas ou, plus rarement, pancréatites ; compressions extrinsèques diverses, ganglions, pédiculites, quelquefois même accidents chirurgicaux, blessures ou sténose de la voie biliaire principale , etc. Chacun de ces obstacles déclenche un ictère: le médecin doit déployer sa sagacité et son expérience pour dépister la nature et le siège particuliers de l’obstacle. Mais un fait commun les réunit. Ce sont des ictères chirurgicaux: seule une intervention peut faire un bilan exact des lésions, seule elle pourra éliminer l’obstacle. Tout l’intérêt des travaux concernant le diagnostic des ictères réside précisément dans la nécessité de ce partage entre ictères «médicaux» (pré- et intrahépatiques) et ictères «chirurgicaux» (posthépatiques).

La difficulté du diagnostic justifie l’importance des moyens paracliniques mis en œuvre dans les services spécialisés.

Si un grand nombre de cas ne demandent qu’un examen clinique bien conduit et des explorations chimiques simples (tabl. 1), il faudra souvent s’aider de méthodes variées.

Le diagnostic des ictères a été complètement bouleversé par l’introduction depuis quelques années de méthodes nouvelles: l’échotomographie donne des images de ce qui se passe dans le foie et les voies biliaires en étudiant la réflexion d’un faisceau d’ultrasons projeté en différents points de ces organes. La tomographie computérisée (ou scanner) utilise l’analyse par ordinateur d’innombrables radiographies aux rayons X projetées tout autour de l’abdomen. Le premier de ces examens est peu coûteux, dénué de tout danger, puisqu’il n’utilise pas de rayons X, et très largement répandu.

Si le diagnostic n’est pas obtenu par ces deux premières techniques, on utilise depuis une dizaine d’années des méthodes radiologiques spéciales d’opacification des voies biliaires, soit par cathétérisme rétrograde du cholédoque (c’est-à-dire l’introduction, sous endoscopie, d’un produit de contraste par l’orifice d’abouchement du cholédoque dans le duodénum), soit par l’opacification directe, par ponction des voies biliaires par le foie. Ces deux dernières méthodes fournissent des résultats remarquables mais elles sont plus agressives que les précédentes. En revanche, cette dernière procédure permet d’effectuer dans le même temps un geste thérapeutique: section du sphincter d’Oddi, ablation de calculs obstruant le cholédoque, introduction de tubes de plastique ou en grillage métallique pouvant franchir un obstacle tumoral. Cette chirurgie endoscopique modifie l’abord thérapeutique des cholestases mécaniques. Elle est moins agressive que la chirurgie biliaire conventionnelle et peut être envisagée chez des personnes fragiles qui ne peuvent faire les frais d’une intervention.

4. Le foie vasculaire

Le foie cellulaire assure la régulation des divers métabolismes et de la nutrition; le «foie biliaire» se charge de l’élimination d’un certain nombre de déchets. On examinera maintenant les connexions du foie avec l’ensemble de l’organisme, sa vascularisation et les troubles qui peuvent résulter d’anomalies de cette dernière. Interposé entre la circulation splanchnique abdominale et le cœur, le foie assure un rôle essentiel dans la régulation des fonctions cardio-vasculaires (fig. 5). Réciproquement, la fonction hépatocellulaire est déterminée par la circulation splanchnique, laquelle contrôle la quantité et la composition du sang qui perfuse les cellules. Trois grands courants vasculaires assurent la vascularisation du foie: l’axe veineux portal amène au foie tout le sang d’origine splanchnique; l’artère hépatique apporte le sang artériel provenant du cœur; le système veineux sus-hépatique draine le sang que contient le foie.

Circulation intrahépatique

Le foie humain est composé, comme on l’a vu, d’une mosaïque d’unités fonctionnelles, ou lobules, renfermant une masse de cellules disposées en lames (plutôt qu’en «travées»); ce réseau baigne dans un vaste réservoir de sang, qu’il subdivise en un système lacunaire, véritable labyrinthe de sinusoïdes (fig. 2 et 3). Les petites veinules portes se déversent dans les sinusoïdes qui convergent vers le centre du lobule pour se jeter dans la veine centrolobulaire , origine du système veineux sus-hépathique. Les petites veinules portales qui alimentent les sinusoïdes seraient réglées par des sphincters afférents qui contrôlent l’apport portal. L’artériole hépatique vascularise les structures de soutien de l’espace porte et apporte l’oxygène aux hépatocytes.

Grâce à ce dispositif vasculaire, la circulation intrahépatique distribue les matériaux en provenance du système porte, donc du tube digestif, fournit aux cellules l’oxygène provenant de l’artère hépatique, sans lequel la vie même de l’organe est compromise, assure l’évacuation, l’épuration des substances étrangères qui devront être inactivées et excrétées dans la bile, sert de voie de transport aux produits de synthèse fabriqués par le foie. Les conditions de la circulation intrahépatique sont particulièrement adaptées à ces tâches: la circulation sinusoïdale est une circulation lente, à très basse pression, et la disposition de la paroi sinusoïdale elle-même favorise l’étroite communication entre le sang et le tissu hépatique.

Régulation de la circulation hépatique

Le foie dépend beaucoup de l’apport sanguin; or, il n’en est maître que dans une faible mesure. Le débit sanguin à travers le foie est déterminé par des facteurs extrinsèques: à cet égard, «il se comporte comme un organe interposé dans un système de perfusion» (R. Brauer). Dans certaines circonstances, grâce à l’ampleur de sa vascularisation, le foie peut jouer un rôle de réservoir; il amortit les à-coups de la circulation splanchnique située en amont, et préserve le cœur d’un afflux trop massif (fig. 5); inversement, en cas d’urgence, il s’exprime de son contenu sanguin comme une éponge et assure ainsi une véritable transfusion interne. Par contre, dans certaines maladies du foie, le bouleversement de sa structure vasculaire est tel que cette fonction de régulation est détruite et que se crée, en amont, un régime circulatoire pathologique: l’hypertension portale .

Débit et pression sont les deux paramètres à retenir à propos de la physiologie de la circulation hépatique. Les diverses méthodes d’étude donnent des chiffres concordants: 1 500 millilitres de sang, environ, par minute, soit à peu près le quart du débit sanguin total, traversent le foie. On a pu évaluer la part respective de l’apport portal et de l’apport artériel: environ 30 p. 100 du débit hépatique est assuré par l’artère. Chez les sujets normaux, le débit hépatique et la pression portale sont une résultante entre des variations de l’afflux sanguin et des variations des résistances intrahépatiques dues au jeu des sphincters artériels et veineux.

L’apport de l’artère hépatique se modifie assez peu: elle n’a qu’une faible vasomotricité et son débit est en général fonction du débit cardiaque lui-même. En revanche, le débit portal est éminemment variable: il dépend largement des variations vasomotrices situées en amont des veines splanchniques ; les artères splanchniques (mésentérique supérieure [cf. appareil DIGESTIF, fig. 3]) contractiles subissent de multiples incitations neurohumorales; des sphincters contrôlent l’ouverture ou la fermeture des capillaires et des courts-circuits artério-veineux dans la paroi même de l’intestin, ce qui assure une communication plus ou moins large entre artères splanchniques et veines d’origine du système porte. Enfin, les incitations neuro-humorales agissent également sur le système sphinctérien intrahépatique de telle sorte que le sang peut être soit stocké, soit chassé du vaste réservoir intrahépatique. Des facteurs humoraux, jouant sur ces différents sphincters en des points d’élection, ont des effets différents. L’étude des flux dans la veine porte et ses branches ainsi que dans l’artère hépatique se fait maintenant par écho Doppler, Doppler couleur. Cette technique permet une bonne estimation de la direction des flux et leur débit.

Les troubles pathologiques du «foie vasculaire» sont de deux sortes. Dans un cas, il est victime de maladies qui troublent l’écoulement du sang par les veines sus-hépatiques vers la veine cave inférieure et le cœur. Habituellement, il s’agit d’une insuffisance cardiaque («foie cardiaque»); exceptionnellement, il y a obstruction de la veine cave ou des veines sus-hépatiques («syndrome de Budd-Chiari»). Le foie est alors gonflé de sang et son fonctionnement s’altère.

Dans l’autre cas, c’est le foie lui-même qui est cause d’un trouble vasculaire très fréquent: l’hypertension portale. C’est à des Français, à l’école de A. Gilbert et de M. Villaret, que revient l’honneur d’avoir imaginé ce concept et d’avoir élucidé la cause de phénomènes aussi disparates que la circulation collatérale, l’ascite (épanchement liquidien de la cavité péritonéale), les troubles de la diurèse, les hémorragies digestives (varices œsophagiennes), la splénomégalie, rencontrées au cours de certaines maladies hépatiques. Ils sont su trouver le lien qui unissait toutes ces manifestations: l’excès de pression régnant dans le territoire veineux portal. Les explorations échographiques, la prise de pression au niveau des veines sus-hépatiques ont remplacé les anciennes méthodes d’investigation vasculaires (splénoportographie, et même artériographie).

Les causes de l’hypertension portale sont multiples. Des maladies néoplasiques ou inflammatoires, des malformations congénitales peuvent obstruer les axes veineux au-dessus ou au-dessous du foie; mais la cause de loin la plus fréquente est le ralentissement du débit sanguin intrahépatique produit dans la plupart des cas par la cirrhose du foie. Les conséquences de l’hypertension portale sont souvent graves: ascite, troubles neurologiques (encéphalopathie porto-cave), troubles du fonctionnement intestinal, infections, troubles hématologiques par hypersplénisme. Plus dramatiques, voire mortelles, sont les hémorragies digestives par rupture des veines œsophagiennes qui tendent à établir une circulation de suppléance en cas d’hypertension portale; la gravité des hémorragies digestives par hypertension portale a suscité un effort de recherche considérable dans leur prévention et leur traitement.

Jusqu’aux années soixante-dix, la seule méthode de traitement d’urgence d’une hémorragie aiguë, encore employée quelquefois, était la compression des varices œsophagiennes par une sonde à ballonnet (sonde de Blakemore); le traitement préventif et curatif consistait en la confection d’une dérivation de l’obstacle hépatique au courant portal: anastomose porto-cave, mésentérico-cave ou spléno-rénale. Depuis, différents moyens moins dangereux ont été mis au point: sclérose des varices œsophagiennes par voie endoscopique; bêtabloquants, qui abaissent de façon efficace la pression portale. Une hypertension portale menaçante, chez un cirrhotique, constitue une des indications de la transplantation hépatique.

5. Le foie cirrhotique

Après avoir examiné les trois grandes divisions de la physiologie et de la pathologie hépatiques, il est possible d’aborder l’étude des cirrhoses. La ou plutôt les cirrhoses sont l’aboutissement de toute agression prolongée du foie; elles rassemblent dans leur physiopathologie et leur symptomatologie toutes les anomalies cellulaires, biliaires et vasculaires qui ont été évoquées. Elles sont un résumé et un exemple de l’ensemble de la pathologie hépatique. Plutôt qu’une maladie, la cirrhose est une entité anatomopathologique.

Toute destruction du parenchyme hépatique entraîne, on l’a vu, une régénération. Mais, lorsque cette régénération se produit sans que soient respectées les connexions normales avec les axes vasculo-biliaires, elle aboutit au nodule cirrhotique dont l’architecture diffère de celle du lobule hépatique normal. Quelle que soit la cause de la cirrhose, le dénominateur commun en est donc un bouleversement vasculaire du foie qui en compromet toute la physiologie. Le tableau 4 donne une liste, volontairement très limitée, des causes de cirrhose. La France, on le sait, a le triste privilège de battre tous les records du monde en matière de cirrhose alcoolique; sur dix cirrhoses hospitalisées, sept sont dues à l’alcoolisme.

Il faut songer à la cirrhose lorsque chez un sujet, souvent autour de la cinquantaine, l’état général s’altère depuis quelques semaines; une diarrhée, une infection quelconque, sont volontiers le facteur déclenchant de sa décompensation, lorsque ce n’est pas une hémorragie digestive. Le malade est fatigué, il maigrit, perd l’appétit, cependant que ses jambes se gonflent d’œdèmes. Enfin, son abdomen augmente de volume, il ne peut plus boucler sa ceinture: l’ascite est apparue. Surviennent ensuite tous les signes de l’insuffisance hépatique chronique: fatigue extrême, subictère, anorexie absolue, hémorragies cutanées, nasales, etc. La peau du malade est fine, atrophiée, et se couvre d’angiomes stellaires. Généralement, du fait de l’ascite, on ne peut plus palper le foie. D’ailleurs, dans cette forme (cirrhose de Laennec), il est souvent atrophique; il n’est plus constitué que par un bloc de sclérose au sein duquel persistent trop peu de nodules parenchymateux pour pouvoir assurer des fonctions métaboliques satisfaisantes. De fait, les taux d’albumine plasmatique et de cholestérol sont abaissés ainsi que les facteurs de coagulation sanguine.

Il y a quelques années, de tels malades étaient pratiquement perdus: l’ascite se reproduisait toujours malgré les ponctions; l’insuffisance hépatique progressive se terminait par un coma hépatique, lorsqu’une hémorragie digestive ne venait pas interrompre brutalement le cours de la maladie. Maintenant, au prix de mille soins (explorations biologiques multiples, surveillance de l’équilibre électrolytique, des fonctions rénales, de l’état hépatique), au prix de médications excessivement coûteuses et rares, on arrive à tirer d’affaire bon nombre de ces malades, malgré de nombreux accidents émaillant le cours du traitement.

Ainsi, les moyens thérapeutiques modernes permettent-ils de modifier l’évolution de ces cirrhoses. Si elles sont dues à l’alcoolisme, et si on obtient la cessation de l’intoxication, on peut prolonger notablement la vie des malades. Malheureusement, et malgré l’arrêt du processus causal, il existe une tendance à l’aggravation progressive de la plupart des cirrhoses. On assiste à une détérioration progressive de la fonction hépatique avec parfois apparition d’une encéphalopathie; l’installation d’une ascite, de traitement de plus en plus difficile; le développement d’une insuffisance rénale. L’ascite peut elle-même se compliquer d’épisodes d’infection, qui, en retour, aggravent encore l’état hépatique. Surtout, la plus dramatique de ces complications, jadis rare et maintenant d’une grande fréquence, est la cancérisation du foie cirrhotique: développement d’un carcinome hépatocellulaire que nous retrouverons plus loin au chapitre des cancers du foie. C’est dire que, pour peu qu’il s’agisse d’un sujet relativement jeune, que la cause de la cirrhose soit maîtrisée (alcoolisme ou infection virale), une transplantation hépatique peut être envisagée. Le succès de cette greffe détermine une guérison de la maladie.

6. Rôle des désordres immunitaires dans la pathologie hépatique

L’intervention de troubles de l’immunité dans les maladies du foie, qui avait pourtant été invoquée dès le début du siècle par N. Fiessinger, est longtemps demeurée méconnue. L’immunohépatologie s’est surtout développée à partir de 1950, et l’on considère actuellement que des désordres immunitaires peuvent être à l’origine de diverses maladies du foie, ou encore être responsables d’une évolution vers la chronicité de certaines atteintes, notamment virales ou médicamenteuses.

Deux affections du foie sont généralement considérées comme pouvant relever d’une étiologie immunologique, et sont classées parmi les maladies dites «auto-immunes»: la cirrhose biliaire primitive et une variété particulière d’hépatite chronique active.

La cirrhose biliaire primitive est une maladie essentiellement féminine, caractérisée par une stase biliaire intrahépatique et une destruction progressive des petits canaux biliaires interlobaires. En faveur d’une pathogénie immunitaire plaident de nombreux arguments, dont les plus importants sont la présence habituelle d’anticorps sériques multiples (le plus caractéristique étant l’anticorps antimitochondrie, qui est à la base d’un des meilleurs tests diagnostiques de la maladie) et l’association possible à diverses maladies auto-immunes, telles que la polyarthrite rhumatoïde, la sclérodermie, la thyroïdite de Hashimoto et le syndrome de Sjögren.

Parmi les hépatites chroniques actives , un certain nombre relèvent, nous l’avons vu, d’une étiologie virale ou médicamenteuse; des affections congénitales, comme la maladie de Wilson et le déficit en 見1-antitrypsine, sont également susceptibles de donner lieu à un tableau d’hépatite chronique active; à côté de ces cas, il est une variété d’hépatite chronique active où aucune étiologie n’est retrouvée; elle s’observe volontiers chez la femme jeune, et s’accompagne fréquemment de diverses manifestations extrahépatiques, ainsi que d’anomalies immunologiques sériques; elle a, autrefois, été appelée «hépatite lupoïde», et une origine auto-immunitaire a depuis longtemps été postulée à son propos.

Il y a tout lieu de penser que des phénomènes immunitaires interviennent de façon importante au cours des hépatites virales. Celles-ci, et notamment l’hépatite B, peuvent être de gravité et d’évolution très variables, sans qu’une explication définitive n’ait été jusqu’ici fournie à ce sujet. Une cytotoxicité directe du virus et une susceptibilité variable de l’hépatocyte pourraient éventuellement expliquer le polymorphisme des tableaux cliniques observés; mais l’existence de porteurs sains du virus B et l’absence de lésions de nécrose hépatique lors de la période d’incubation, alors qu’il y a une réplication active du virus dans le foie, suggèrent que celui-ci n’est pas nécessairement cytopathogène. Une autre possibilité est la variation de la réponse immunitaire de l’hôte; de fait, la responsabilité des phénomènes immunitaires à médiation cellulaire, non seulement dans la genèse, mais aussi dans la pérennisation des lésions hépatiques, est actuellement tenue pour très vraisemblable.

Un argument important en faveur de cette conception est une tolérance paradoxale vis-à-vis du virus B au cours d’affections comportant un déficit de l’immunité à médiation cellulaire: c’est le cas des hémodialysés chroniques, des transplantés rénaux, des mongoliens. En définitive, l’antigène viral, en induisant des phénomènes immunologiques de défense, désignerait pour cible les hépatocytes infectés. Au lieu d’être protectrices, ces réactions immunitaires seraient nocives.

L’existence de porteurs chroniques sains du virus témoigne à l’évidence que la seule persistance du virus ne suffit pas à expliquer le développement de lésions d’hépatite chronique, et que d’autres mécanismes sont impliqués. Ici encore, de nombreux arguments plaident en faveur du rôle de mécanismes immunologiques, probablement à médiation cellulaire.

Parmi les hépatites médicamenteuses, certaines sont dues à une hépatotoxicité directe de la drogue; d’autres lèsent le foie par un mécanisme immunoallergique: elles s’accompagnent fréquemment de fièvre, d’éruption cutanée, d’hyperéosinophilie, c’est-à-dire de signes évoquant bien une réaction d’hypersensibilité ; mais le médicament en cause n’intervient pas toujours directement, l’agent responsable pouvant être un de ses métabolites, voire une structure hépatocytaire dénaturée par la drogue.

La pratique de la transplantation hépatique illustre de façon quasi expérimentale certains mécanismes de l’auto-immunité: en cas de greffe, l’organisme rejette comme «non sien» les différentes structures du foie nouvellement implanté; le rejet des cellules hépatiques ressemble à une hépatite et certains rejets «hyperaigus» aboutissent à un tableau comparable à celui des hépatites fulminantes. Le rejet peut affecter les vaisseaux, notamment les artères du foie greffé. En détruisant les petits canaux biliaires, le rejet réalise un tableau clinique et histologique comparable à celui de la cirrhose biliaire primitive ou bien, lorsque les plus grosses voies biliaires sont intéressées, à celui de la cholangite sclérosante primitive, ce qui constitue une véritable pathologie expérimentale. Ces phénomènes sont dus à une immunité de type cellulaire; ce sont les lymphocytes du receveur qui cherchent à détruire les cellules d’un organe qui leur est étranger. La découverte de la ciclosporine a transformé le problème du rejet et permis de pratiquer les transplantations hépatiques de façon courante chez les patients souffrant d’un grave déficit fonctionnel de leur foie.

Depuis la mise au point, dans les années soixante, de la première greffe de foie par l’Américain Thomas Starzl, des milliers de transplantations hépatiques ont été effectuées, en Europe et outre-Atlantique. Il s’en pratique aujourd’hui près de sept cents par an en France, et les problèmes techniques sont parfaitement maîtrisés.

Au cours de la conférence dite de Consensus qui a réuni en 1993 les équipes chirurgicales compétentes, certaines indications majeures ont été reconnues:

– hépatites fulminantes;

– cirrhose biliaire primitive;

– atrésie des voies biliaires extrahépatiques chez l’enfant;

– cholangite sclérosante primitive.

Les contre-indications concernent des patients trop âgés ou atteints d’affections cancéreuses ou virales (sida par exemple). L’une des solutions au déséquilibre entre la demande de transplantation hépatique et l’offre, par suite du nombre insuffisant des donneurs, réside dans la technique consistant à partager le foie destiné à la transplantation. Elle permet en outre une meilleure utilisation de l’organe greffé, car il servira ainsi à deux receveurs, à condition que leurs besoins en tissu hépatique n’excèdent pas ce que la partition du foie aura permis de leur greffer.

7. Les tumeurs hépatiques

La pratique de l’échographie hépatique sur une grande échelle amène à la découverte fréquente d’anomalies morphologiques hépatiques. Il s’agit souvent de kystes biliaires , parfois multiples et quelquefois très volumineux. Ces kystes se rencontrent chez près de 5 p. 100 des individus normaux, et n’ont aucune conséquence pathologique. Parfois, surtout chez des sujets ayant fait un séjour prolongé en Afrique du Nord (ou même en Corse), le diagnostic d’un kyste hydatique pourra être évoqué. L’hémangiome constitue une autre variété d’anomalie morphologique, aussi fréquente. Il se traduit en échographie sous forme d’un nodule hyperéchogène, plus ou moins volumineux. Cette découverte fortuite est une source d’inquiétude bien compréhensible. En fait, ces hémangiomes sont d’une parfaite bénignité.

La question des tumeurs bénignes du foie a agité les milieux hépatologiques depuis plusieurs décennies: il s’agit soit d’adénomes (constitués par des amas de cellules hépatiques, avec une très abondante vascularisation artérielle); soit d’hyperplasie nodulaire focale (reproduisant l’image d’une boule de foie normal, mais de croissance irrégulière). La croissance de ces tumeurs bénignes est favorisée par les œstrogènes, et notamment les pilules contraceptives. Dans quelques cas, peu nombreux, elles peuvent donner des complications (hémorragies), et on peut se poser le problème de l’intervention d’une exérèse. Cette intervention sera proposée en cas de développement important de ces tumeurs et, plus volontiers, en cas d’adénome.

La question des cancers du foie est une des plus dramatiques qui soient, mais c’est aussi l’une des plus passionnantes par les perspectives théoriques qu’ouvre sur la cancérogenèse en général la réalisation de cancers expérimentaux du foie; le premier cancer expérimental a été en effet un hépatome du foie obtenu par T. Yoshida (1932), en mêlant à l’alimentation des rats d’expérience un colorant azoïque. D’innombrables substances carcinogènes ont été expérimentées par la suite comme le D.A.B. (ou «jaune de beurre»), le 2-amino-fluorine, la thioacétamine, l’éthionine, le tétrachlorure de carbone. On a constaté plus récemment que certaines toxines végétales mycéliennes (par exemple, les toxines de Penicillium Islandicum ou l’aflatoxine, toxine de l’Aspergillus flavus ) sont également cancérigènes.

Nous avons déjà parlé des hépatocarcinomes primitifs compliquant l’évolution des hépatites à virus B. On sait maintenant que c’est bien celui-ci, et non l’aflatoxine, moisissure des arachides consommées dans les régions tropicales, qui explique l’extrême fréquence des cancers primitifs du foie, tant en Afrique noire que dans bien d’autres régions subtropicales du monde.

On a en effet trouvé le virus B associé à tous les cancers primitifs du foie, soit de façon explicite, par la constatation de la présence dans le sérum de ces patients du «marqueur» de l’hépatite B, soit, comme l’a montré tout à fait récemment une équipe de l’Institut Pasteur, en démontrant la présence de fragments du virus dans le noyau des cellules cancéreuses: même les cancers primitifs du foie se développant sur la plus banale des cirrhoses alcooliques contiennent de tels fragments du virus de l’hépatite B. C’est dire l’importance, sur le plan prophylactique, de la mise au point du vaccin antiviral actuellement expérimenté sur une grande échelle en Afrique Noire.

On s’est aperçu, depuis l’acquisition des réactions sérologiques de l’hépatite C, que le virus C est également un grand pourvoyeur de carcinome hépatocellulaire: la fréquence des CHC dus au virus C tend peut-être à prendre le pas sur celle des virus B en Occident.
Aspects pratiques des cancers du foie . L’expérience asiatique (Japon, Corée, Taïwan, mais aussi Chine populaire) a démontré qu’une politique de dépistage précoce (échographie et dosage de l’alphafoeto-protéine tous les six mois chez les sujets à risque) ainsi que les procédés thérapeutiques modernes amélioraient considérablement le pronostic des cancers primitifs du foie: 40 p. 100 de survivants à cinq ans. Les progrès thérapeutiques (dans la chirurgie d’exérèse; dans les chimiothérapies locales par introduction intra-artérielle d’antimitotiques; par l’alcoolisation des tumeurs sous guidage échographique) sont tels qu’il n’est plus possible d’avoir une attitude de résignation lorsqu’un cancer primitif du foie est découvert.

Dans le cas des cancers secondaires , ou métastatiques, plus fréquents en Occident que le cancer primitif, puisque la plupart des cancers primitifs de l’organisme peuvent métastaser au foie (cancers digestifs, mais aussi cancers du poumon, du sein, etc.), là encore une attitude de résignation n’est plus de mise. Certaines de ces tumeurs peuvent être enlevées chirurgicalement et, dans certains cas, une chimiothérapie locorégionale peut également avoir un effet favorable. Cette relative accessibilité à la thérapeutique justifie les programmes de surveillance systématiques dans les suites de l’exérèse d’un cancer digestif, notamment colorectal (échographie et marqueurs tumoraux tous les six mois).

foie [ fwa ] n. m.
fedie, feieXIIe; figido VIIIe; lat. ficatum, trad. gr. (hêpar) sukôton « (foie) de figues, engraissé avec des figues »
1Organe situé dans la partie supérieure droite de l'abdomen, qui joue un rôle physiologique essentiel : sécrétion de la bile, métabolisme des glucides, des protides et des lipides, épuration et détoxication, synthèse de substances régissant la coagulation, stockage de vitamines (A, B, K). hépatocyte. Lobe et lobules du foie. Hile du foie. Relatif au foie. hépatique. Chez le fœtus, le foie produit des globules rouges ( hématopoïèse) . Affections du foie. cirrhose, hépatite, ictère, jaunisse. Cour. Crise de foie : trouble digestif. — Prométhée, condamné à avoir chaque jour le foie dévoré par un aigle. Loc. Fam. Avoir les foies : avoir peur.
2Cet organe, chez certains animaux (animaux de boucherie, volaille, gibier), faisant partie des abats et utilisé par l'homme pour sa consommation. Acheter du foie chez le tripier. Une tranche de foie de veau, de génisse. Foies de volaille. Huile de foie de morue, riche en vitamines A et B. — Pâté de foie. Fig. et fam. Avoir les jambes en pâté de foie. — FOIE GRAS : foie hypertrophié d'oie ou de canard qui l'on engraisse par gavage, qui constitue un mets recherché. Foie gras truffé. Médaillons de foie gras.
3Par anal. FOIE-DE-BŒUF [ fwadbɶf ] n. m. Fistuline. Des foies-de-bœuf.
⊗ HOM. Foi, fois.

foie nom masculin (bas latin ficatum, foie d'oie engraissée avec des figues) Volumineuse glande annexe du tube digestif, aux fonctions multiples et complexes de synthèse et de transformation de diverses substances. Foie comestible de certains animaux (veau, génisse, volailles). ● foie (citations) nom masculin (bas latin ficatum, foie d'oie engraissée avec des figues) Malcolm de Chazal Vacoas 1902-Port-Louis 1981 Le rire est le meilleur désinfectant du foie. Sens plastique Gallimard Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 GÉRONTE — Il me semble que vous les placez autrement qu'ils ne sont ; que le cœur est du côté gauche et le foie du côté droit. SGANARELLE — Oui, cela était autrefois ainsi, mais nous avons changé tout cela. Le Médecin malgré lui, II, 4 foie (difficultés) nom masculin (bas latin ficatum, foie d'oie engraissée avec des figues) Orthographe Bien distinguer ces trois homonymes. 1. Foi n.f. = confiance ; croyance. La foi en la parole donnée ; avoir la foi. Sans e, bien qu'il s'agisse d'un nom féminin. 2. Foie n.m. = organe. Maladie du foie ; du foie de veau. Avec un e, bien qu'il s'agisse d'un nom masculin. 3. Fois n.f. = occasion, cas. C'est bon pour cette fois; c'est la fois où il est venu avec sa fiancée. Avec un s, même au singulier. ● foie (expressions) nom masculin (bas latin ficatum, foie d'oie engraissée avec des figues) Abcès du foie, collection de pus dans le foie. Familier. Avoir les jambes en pâté de foie, molles, chancelantes. Cancer du foie, tumeur maligne du foie. Crise de foie, trouble digestif sans lien avec une maladie du foie, le plus souvent lié à une indigestion. Familier. Foie blanc, lâche, pleutre. Foie cardiaque, ensemble des altérations du foie faisant suite à une insuffisance cardiaque. Foie gras, foie provenant d'oies et de canards gavés spécialement. Greffe de foie, transfert d'une partie ou de la totalité du foie d'un donneur sur un malade receveur. Kyste du foie, cavité pathologique remplie d'une substance liquide ou fluide et située à l'intérieur du foie. Maladie polykystique du foie, maladie héréditaire du foie caractérisée par la présence sur cet organe de plusieurs kystes (formations remplies de liquides et entourées par un épithélium biliaire). Tumeur bénigne du foie, prolifération de cellules normales formant un nouveau tissu à l'intérieur du foie. ● foie (homonymes) nom masculin (bas latin ficatum, foie d'oie engraissée avec des figues) foi nom féminin fois nom féminin

foie
n. m.
d1./d Volumineux viscère de la partie droite de l'abdomen de l'homme, de couleur brun-rouge, à la fois glande digestive et organe de réserve et d'excrétion.
d2./d En boucherie, cet organe, chez certains animaux. Foie de veau.
|| Foie gras: foie d'oie ou de canard engraissés par gavage.
Encycl. Le foie humain, de consistance assez ferme, mais friable et fragile, pèse de 1,5 à 2 kg chez l'adulte. Sa surface, lisse, divisée en 3 faces (supérieure, postérieure, inférieure), est parcourue par deux sillons antéropostérieurs et par un sillon transversal, le hile, qu'occupent les organes afférents et efférents au foie: artère hépatique, veine porte, voies biliaires. Le foie se compose d'une multitude de petits segments appelés lobules hépatiques. Cet organe vital a de multiples fonctions: synthèse et sécrétion de la bile, synthèse des protéines (albumine, fibrinogène, facteurs de coagulation, etc.), métabolisme des sucres et synthèse du glycogène, stockage de la vitamine B12 et du fer, neutralisation des toxines des produits ammoniaqués, métabolisme des lipides, etc.

⇒FOIE, subst. masc.
A.— ANAT. Viscère brun rouge, volumineux, de l'homme et des principaux vertébrés, situé dans l'hypocondre droit et une partie de la région épigastrique, sécrétant la bile et exerçant de multiples autres fonctions. Foie paresseux, douleur au/du foie, fonction glycogénique du foie, avoir mal au foie. Les malades dont le foie est plus ou moins attaqué sont disposés à l'impatience, à la colère (BALZAC, Cous. Pons, 1847, p. 217). Le foie sécrète de la bile, détruit les poisons et les microbes, emmagasine du glycogène, règle le métabolisme du sucre dans l'organisme entier, produit de l'héparine (CARREL, L'Homme, 1935, p. 121) :
1. En dehors du sucre qu'il met en réserve sous forme de glycogène pour le distribuer par la suite, le foie fixe également les matières protéiques, comme l'ont respectivement montré et confirmé Claude Bernard et Léon Binet. Gilbert et Carnot ont établi qu'il fait de même pour les matières grasses (...). Son activité chimique est considérable et lui a valu le qualificatif de « laboratoire central ».
BARIÉTY, COURY, Hist. méd., 1963, pp. 690-691.
SYNT. Cancer, cirrhose, crise, douve du foie; calculs, canaux, hile, ligaments, lobes, sillons du foie.
En partic.
♦ Par réf. aux croyances et coutumes. [Le foie considéré jadis comme siège des vertus guerrières, de l'animosité, de l'amour, etc.] Des palabres sanglantes où l'on arrachait le foie des morts pour manger leur courage, et se l'incorporer (MARAN, Batouala, 1921, p. 78).
P. ext. Organe vital (au même titre que le cœur, les poumons). M. Clavier s'affaissa dans son fauteuil. S'il eût reçu un coup de lance dans le foie, il n'eût pas été plus décoloré (GOZLAN, Notaire, 1836, p. 64). Moribonds crachant leurs foies, comme dit le peuple (A. Vitu ds Le Figaro, 5 nov. 1874 ds ZOLA, Théâtre, t. 2, Paris, Bernouard, 1927, p. 696).
♦ [P. réf. au mythe de Prométhée condamné à avoir le foie dévoré perpétuellement par un vautour] Au fig. J'ai été clouée un instant à ton flanc comme Prométhée mais je n'ai pas attendu qu'un vautour vînt m'y ronger le foie (SAND, Lélia, 1839, p. 405). Ce vautour qu'une crise vous met dans le foie (GONCOURT, Journal, 1894, p. 540).
Pop. Se manger, se ronger le(s) foie(s). Se faire du souci. J'ai préféré me renfermer dans ma mansarde, et me ronger le foie solitairement. La mélancolie a des instincts de vampire (AMIEL, Journal, 1866, p. 150). Ils ont mauvaise tête, et le vôtre, ma pauvre dame, s'est trop rongé les foies (CHARDONNE, Varais, 1929, p. 218).
Pop., loc. fig. Avoir les foies (blancs). Avoir peur, manquer d'audace, d'énergie. Ça te va bien de parler d'attaque, toi qui t'es toujours planqué, foireux! (...). — (...) s'il fallait que j'fasse l'attaque, j'aurais pas plus les foies que toi (DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p. 84). Ej'veux qu' not' vétérinaire il ait les foies blancs, et l'sang tout caillé par la peur! (MARTIN DU G., Gonfle, 1928, II, 5 p. 1209). P. méton. Foie blanc. Poltron, individu prêt à toutes les trahisons. Tu ne fais tout de même pas le malin [— maintenant que te voilà blessé —], dis, foie blanc (D'ESPARBÈS, Bris. fers, 1908, p. 281). Donner les foies (à qqn). Faire peur. — Le quartier n'est pas de tout repos non plus. (...) — Ah! vous me donnez les foies! (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p. 250). (Vouloir) bouffer, manger les foies (à qqn). Éprouver, manifester une grande colère. Outré de colère, il porta plainte contre le Simion. (...). Après cela, les deux hommes se seraient mangé les foies (POURRAT, Gaspard, 1922, p. 68). Batiss' li aurait bouffé les foies (...) de colère, à cette foutue gueuse de garce de société de merde (M. STÉPHANE, Ceux du Trimard, 1928, p. 156).
B.— [Le foie animal dans ses diverses utilisations]
1. GASTRON. Foie des animaux de boucherie, des volailles, du gibier, parfois des poissons, utilisé comme aliment ou ingrédient alimentaire. Une tranche de foie d'agneau/de bœuf/de mouton/de veau; manger du foie. Marguerite croit bien faire en ajoutant un filet de vinaigre au foie de porc sauté. Je n'aime pas le foie de porc et cette façon de l'accommoder me le rend indigeste (DUHAMEL, Journal Salav., 1927, p. 22). Mouiller de vin blanc le beurre où cuiront vos laitances de carpe et vos foies de raie (BERNANOS, Joie, 1929, p. 551) :
2. Le foie est un bon aliment, facilement assimilable, quand il provient d'animaux jeunes; mais il exige une cuisson suffisante, pour détruire les germes infectieux, d'origine intestinale, dont il est souvent envahi.
MACAIGNE, Précis hyg., 1911, p. 218.
SYNT. Crème, mousse, parfait, pâté, terrine de foie.
En partic. Foie gras. Foie des oies, des canards engraissés par gavage. Foie gras truffé. César maintenant décoiffait la terrine de foie gras avec des précautions délicates (...) chacun mangea avec une lenteur respectueuse la charcuterie enfermée dans le pot de terre jaune (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Héritage, 1884, p. 477). Leur chair [des mulards] est fine; par gavage, on obtient des foies gras qui soutiennent la comparaison avec ceux des oies (WOLKOWITCH, Élev., 1966, p. 75) :
3. On m'a appris que l'on achevait de les gorger [les oies] et on m'a servi le premier foie gras de la saison. Fumant, rebondi comme un cœur aux ventricules énormes, légèrement roussi et croustillant, baigné dans un jus onctueux exsudé de la chair même, il reposait sur un lit de raisins saupoudré de chapelure. Je l'ai savouré; je me suis réjoui dans mon cœur de ce régal...
PESQUIDOUX, Chez nous, 1921, p. 41.
P. métaph., fam. Avoir les jambes en pâté de foie. Avoir peur, se sentir faible (attesté ds ROB. et CAR. Argot 1977).
2. PHARM. Huile de foie de morue. Remède fortifiant, riche en vitamines A et B, extrait du foie de la morue. Je prends de l'huile de foie de morue pour me tonifier un peu (FLAUB., Corresp., 1870, p. 226) :
4. On m'a fait prendre de l'huile de foie de morue : ça c'est le comble du luxe : une drogue pour te donner faim pendant que les autres dans la rue, se seraient vendus pour un bifteck...
SARTRE, Mains sales, 1948, 3e tabl., 3, p. 98.
C.— [P. anal. de couleur] (Couleur de) foie, etc. Couleur rappelant celle du foie. La masse se colore successivement en brun de foie, en rouge (Manuel fabricant de couleurs, t. 1, 1884, p. 344). Le soleil couleur de foie (CLAUDEL, Ville, 1893, I, p. 338). Cette couleur que les collectionneurs de monochromes chinois nomment « foie de mulet » (MORAND, Bouddha, 1927, p. 39).
REM. 1. Foie(-)de(-)bœuf,(Foie de bœuf, Foie-de-bœuf) subst. masc., bot. Champignon polypore, au large chapeau en console et à surface visqueuse, couleur rouge sang foncé, croissant sur les chênes et les châtaigniers, comestible. (Quasi-)synon. langue-de-bœuf. S'acharner (...) sur les vénérables « foies de bœuf », sur ces précieuses petites oronges (H. BAZIN, Bur. mariages, 1951, p. 186). 2. Foie-de-veau, subst. masc. géol. Calcaire jaunâtre marneux qui compose l'assise supérieure de l'étage hettangien de Bourgogne et qui se situe dans la partie inférieure du système liasique (d'apr. Lar. 19e Suppl.-Lar. 20e, GUÉRIN 1892, QUILLET 1965). La zone supérieure ou calcaire foie-de-veau devient aussi ferrugineuse à Mazenay (LAPPARENT, Abr. géol., 1896, p. 253).
Prononc. et Orth. :[fwa]. PASSY 1914 admet également [] (cf. aussi FÉR. 1768 et FÉR. Crit. t. 2 1787) qui le qualifient de ,,monos. long`` et mettent en garde contre l'orth. foye ,,qui ferait prononcer [] l'y faisant fonction de deux i``. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. [VIIIe s. ficato (Gloses de Reichenau, éd. A. Labhardt, Glossarium biblicum codicis Augiensis CCXLVIII, 1948, n° 1377, p. 31, col. 1); VIIIe-IXe s. figido (Gloses de Cassel, ibid., p. 40, 1. 52)] 2e moitié XIIe s. [date ms.] firie (Roland, éd. J. Bédier, 1278); XIIe s. [date ms. cas suj. feis (Couronnement Louis, éd. A. Langlois, 543); XIIIe s. [date ms. Guiot] foie (CHR. DE TROYES, Chevalier lion, éd. M. Roques, 4237). Du b. lat. ficátum « foie gras » d'où plus gén. « foie » formé sur ficus « figue » comme calque du gr. « foie gras (d'animal nourri de figues) » dér. de « nourrir de figues », de « figue ». Le modèle gr. prob. accentué et prononcé de différentes manières par les latins est sans doute pour beaucoup dans les altérations subies par ficátum qui est ainsi à l'orig. de formes variées dans les lang. rom. (v. notamment G. PARIS, Ficatum en roman ds Mél. linguistiques publ. par M. Roques, pp. 532-553 et BBG ds FEW t. 3, p. 492a). Pour le fr., on retiendra le changement d'accentuation en fícatum, d'où fícitum expliquant la forme figido des Gloses de Cassel, puis, par métathèse, fidicum qui est à l'orig. des formes dial. de type fie (FEW t. 3, p. 490) et plus particulièrement de la forme firie de la Chanson de Roland avec altération de d en r (cf. G. Paris, op. cit., p. 273); parallèlement, une altération de fícatum en fécatum, d'où fécitum, puis, avec métathèse, fedicum, est à l'orig. de feie, foie. Fréq. abs. littér. :978. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 1 694, b) 1 619; XXe s. : a) 1 088, b) 1 191. Bbg. ARICKX (I.). Les Orthoépistes sur la sellette. Trav. Ling. Gand. 1972, n° 3, p. 130. — CHAUTARD (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 593. — NETO (S. da Silva). As designações para figado nas linguas romanicas. Rom. Philol. 1958, t. 23, pp. 339-346. — QUEM. DDL t. 8, 9, 12. — ROHLFS (G.). Die lexikalische Differenzierung der romanischen Sprachen. München, 1974, p. 19.

foie [fwa] n. m.
ÉTYM. XIIe, fedie, feie; figido, VIIIe; du lat. ficatum, trad. grec sukôton « de figues », hepar sukôton, t. culinaire, « foie d'oie engraissé avec des figues »; selon Guiraud, figatum, ficatum, complètement démotivé, aurait été compris comme « sang figé » (figitum) ou « sang moulé » par référence à deux verbes latins, figere « fixer » et fingere « modeler, façonner ».
1 Organe glanduleux, situé au-dessous du diaphragme, dans la partie supérieure droite de l'abdomen, qui joue un rôle physiologique essentiel : sécrétion de la bile (fonction biliaire), métabolisme des glucides ( Glycogène, glycogénèse), des protides et des lipides, épuration et détoxication, synthèse de substances qui régissent la coagulation, emmagasinage de vitamines (A, B, K). || Chez le fœtus, le foie est aussi un organe formateur de globules rouges ( Hématopoïèse). || Ligament suspenseur du foie. || Lobes et lobules du foie. || Sillons latéraux, transversal ( Hile) du foie. || La veine porte irrigue le foie. || Canaux du foie. Cholédoque, cystique. || Qui a rapport au foie. Hépatique (et les comp. du grec hepar « foie »). || Affections du foie. Anhépathie, cirrhose, hépatalgie, hépatisme, hépatite, hépatocèle, ictère, jaunisse. || Kyste hydatique du foie. || Maladie, crise de foie (→ Couvrir, cit. 44); cancer du foie. || Faire une cure à Vichy, à Vittel pour soigner son foie.
1 Les fonctions du foie sont donc fort complexes : il est simultanément un organe épurateur du sang en excrétant la bile, les toxines et en détruisant les vieux globules rouges; un organe de protection contre certains empoisonnements; — un organe digestif; — un organe uropoïétique en produisant de l'urée; — un organe de réserve nutritive en emmagasinant du glycogène et de la graisse; — enfin, il met en réserve une certaine quantité de fer pour la formation de l'hémoglobine (fonction martiale).
A. Pizon, Anatomie et Physiologie humaines, p. 424.
(Chez les animaux). || Foie de bœuf, de veau. || Foie des oiseaux, des poissons. || Douve du foie, chez le mouton.
2 Cet organe, chez certains animaux (animaux de boucherie, volailles, gibier), utilisé par l'homme pour sa consommation. || Manger du foie de veau, de génisse, de bœuf, de porc. || Foie et abats de poulet. || Omelette aux foies de volailles. || Une tranche de foie de veau, d'agneau.Foie sauté, grillé, en brochettes. || Foie haché pour confectionner une farce, des béatilles. || Soufflé aux foies de volailles.Spécialt. Foie de veau ou de génisse. || Voulez-vous votre foie rose ou bien cuit ? || Foie à l'anglaise, à la vénitienne.
Loc. || Crème, mousse, parfait, terrine de foie. || Pâté de foie. — ☑ Loc. fig. et fam. Avoir les jambes en pâté de foie, molles (→ En coton).
Spécialt. Foie d'oie, foie de canard. || Foie de canard frais, en semi-conserve, en conserve.Foie gras : foie hypertrophié d'oie ou de canard engraissé par gavage. || Escalope de foie gras aux raisins. || Foie gras en brioche. || Aspic, coquille, mousse, parfait, terrine de foie gras (froid). || Un bloc de foie gras truffé.Absolt. || Foie : foie gras. || Foie de canard frais.
2 Ce soir-là, il y avait au menu (…) des tranches de foie gras accompagnées de jambon et de salade (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XI, p. 148.
Foie de morue, dont on extrait une huile riche en vitamines A et B. || Huile de foie de morue. || L'aselline, alcaloïde de l'huile de foie de morue.
tableau Noms de remèdes.
3 Loc. (du sens 1., le foie étant un organe vital, l'organe du courage dans de nombreuses cultures [→ Cœur] dont la « décoloration » est un signe de peur…).
a Ronger, dévorer, manger le foie d'un ennemi. Myth. || Prométhée, condamné à avoir chaque jour le foie dévoré par un vautour. — ☑ Loc. fig. Se manger, se ronger les foies : se faire beaucoup de souci.
3 Un furieux oiseau de proie
Sans cesse lui ronge le foie.
Scarron, Virgile travesti, VI.
4 L'aigle de l'ombre est là qui te mange le foie.
Hugo, l'Année terrible, Décembre 1870, VII.
5 Le mythe de Prométhée signifie que toute la tristesse du monde a son siège dans le foie.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, XVI.
Loc. pop. Vx. Cracher son foie : mourir.
b Fam. Au plur. Avoir les foies blancs : manquer de courage, avoir peur.Par métonymie (sing. et plur.).Foie blanc : peureux, couard.
c Loc. cour. (1872). Avoir les foies : avoir peur.Donner (ficher, foutre) les foies à qqn, lui faire peur.
6 Il vient de courir au bureau du colonel, pour voir si rien n'est arrivé pour lui, vu qu'il a fait une demande dans l'aviation, me conta un sergent-major. Il a les foies, le frère; il n'a pas envie de monter avec nous.
Drieu La Rochelle, la Comédie de Charleroi, p. 140.
COMP. Foie-de-bœuf.
HOM. Foi, fois.

Encyclopédie Universelle. 2012.