gras, grasse [ gra, gras ] adj. I ♦
1 ♦ Formé de graisse; de nature graisseuse. Matière, substance grasse. Chim. Corps gras : esters de la glycérine. ⇒ graisse; lipide. Acides gras. — Crème grasse pour peaux sèches.
♢ Spécialt Aliments gras, à base de viande ou de graisse. Bouillon gras. Choux gras, accommodés avec du jus de viande ou de la graisse. Fam. Faire ses choux gras. Par ext. Les jours gras, où l'Église catholique permet à ses fidèles de consommer de la viande. Mardi gras.
♢ Subst. Le gras : la partie grasse de la viande. Enlever le gras. — Faire gras : manger de la viande. — Adv. Manger gras. — Riz au gras. Fam. Discuter le bout de gras.
2 ♦ (par allus. à la licence de langage des jours gras) Vieilli Propos gras. ⇒ graveleux, licencieux. « Son discours était émaillé de paroles grasses, presque obscènes » (Apollinaire).
3 ♦ (Personnes) Qui a beaucoup de graisse. ⇒ adipeux, corpulent, dodu, grassouillet, gros, rond. Une femme un peu grasse. Gras et bedonnant. ⇒ obèse, pansu, replet, ventru. Visage gras et empâté. ⇒ bouffi, plein. Être gras comme un porc, comme un moine; gras à lard. — Fam. Gras du bide. — Subst. Un gras du bide. Les gras et les maigres. ⇒ gros.
♢ (Animaux) Chapon gras. — Spécialt Bœuf gras. Les sept vaches grasses. Tuer le veau gras. — Foie gras.
4 ♦ Qui sécrète du sébum. Avoir la peau grasse.
5 ♦ Enduit, sali de graisse. ⇒ graisseux, huileux, poisseux. Avoir les mains grasses. Ramasser des papiers gras.
II ♦ Par anal.
1 ♦ Qui évoque la graisse par sa consistance. ⇒ onctueux. Terre argileuse et grasse. Boue grasse. ⇒ gluant. — Spécialt Vin gras, atteint de la graisse. — Couvert d'une substance grasse. « Le pavé était gras, la brume tombait » (Flaubert). Terrain gras, boueux et glissant.
♢ Par ext. Toux grasse, accompagnée d'une expectoration de mucosités.
2 ♦ Important par le volume, l'épaisseur. ⇒ épais.
♢ Techn. Très chargé en liant. Chaux grasse, mortier gras.
♢ (En parlant d'un son) ⇒ pâteux. Voix grasse. Rire gras. Avoir la langue grasse, le parler gras. — Adv. Parler gras. ⇒ grasseyer.
♢ Encre grasse. Caractères gras. Subst. Renvois notés en gras. — Crayon gras.
♢ Bot. Plantes grasses, à feuilles épaisses et charnues. ⇒ cactées.
♢ Subst. Le gras de la jambe, la partie la plus charnue, le mollet.
3 ♦ Fig. ⇒ abondant, plantureux. Sol gras, qui produit beaucoup. ⇒ fertile. « de gras pâturages » ( Gautier). — Par métaph. Distribuer de grasses récompenses (⇒ grassement) . — Loc. Faire la grasse matinée : se lever très tard. « comme nous faisions la grasse matinée, elle nous apportait le petit déjeuner au lit » (Sartre). — N. m. Fam. Le gras : le profit. Faire du gras.
4 ♦ Adv. Fam. Il n'y a pas gras à manger, pas beaucoup.
⊗ CONTR. 1. Maigre, pauvre, sec.
⊗ HOM. Grâce.
● gras adverbe D'une manière grasse, épaisse : Peindre gras. ● gras nom masculin Substance grasse : Taches de gras sur un papier. Partie grasse d'une viande, d'un jambon. Endroit le plus charnu d'une partie du corps (avec un complément) : Le gras de la jambe, de la fesse. ● gras (expressions) adverbe Faire gras, manger de la viande. Familier. Il n'y a pas gras à manger, il n'y a pas beaucoup à manger. Parler gras, grasseyer. Tousser gras, tousser en expectorant d'épaisses mucosités. ● gras (expressions) nom masculin Au gras, se dit d'un mets préparé avec de la viande ou de la graisse. Avoir du gras, en parlant d'une pierre de taille, présenter des dimensions trop fortes pour l'endroit qui lui est assigné. Populaire. Tailler, discuter le bout de gras (avec quelqu'un), discuter d'une affaire. ● gras (synonymes) nom masculin Partie grasse d'une viande, d'un jambon.
Synonymes :
- lard
Contraires :
- maigre
● gras, grasse
adjectif
(latin populaire grassus, du latin classique crassus, épais)
Qui est formé de graisse ou qui en contient : L'huile, le beurre sont des matières grasses.
Qui a beaucoup de graisse : Une vache bien grasse.
Qui contient de la graisse, qui comporte des couches de graisse, en parlant d'une viande : Côtelette trop grasse.
Se dit d'une préparation culinaire qui contient un excès de graisse.
Se dit de la peau ou des cheveux séborrhéiques.
Qui est taché, sali, enduit de graisse : Ramasser des papiers gras.
Qui a une consistance onctueuse, humide et collante : Une boue grasse.
Se dit d'un sol glissant, huileux : La voiture a dérapé sur ce pavé gras.
Se dit d'un crayon, d'une mine tendre, donnant un trait large, marqué : Souligner un mot d'un trait gras.
Qui est épais, qui a une consistance épaisse : Encre grasse.
Familier et vieux. Qui est licencieux, graveleux : Des histoires grasses.
Qui est abondant, en particulier en parlant d'une somme : Recevoir de gras émoluments.
Littéraire. Qui est fertile, en parlant d'un terrain ; plantureux : De grasses prairies.
Minéralogie
Se dit de l'éclat onctueux que présentent certains minéraux.
Œnologie
Se dit d'un vin présentant en bouche un certain corps ou un certain volume.
● gras, grasse (expressions)
adjectif
(latin populaire grassus, du latin classique crassus, épais)
Avoir le parler gras, la voix grasse, grasseyer.
Familier. Ce n'est pas gras, c'est fort peu de chose, un profit médiocre.
Être gras à lard, gras comme un moine, comme un cochon, etc., être très gras.
Herbe grasse, bien verte et bien développée, bien fournie.
Jours gras, jours où l'Église catholique permettait de manger de la viande, en particulier les trois jours précédant le mercredi des Cendres, début du carême.
Régime gras, composé d'aliments gras.
Rire gras, rire fort et qui vient du fond de la gorge.
Toux grasse, accompagnée d'expectorations.
Plante grasse, plante dont la tige, les rameaux et parfois les feuilles, gorgés d'eau, sont épais et charnus.
Houille grasse ou charbon gras, charbon ayant une teneur en matières volatiles de l'ordre de 20 à 30 % et qui, après une fusion pâteuse avec gonflement et le départ des matières volatiles, fournit du coke.
Acides gras, acides carboxyliques saturés, de formule H―(CH2)n―COOH, et composés analogues insaturés. (Ceux pour lesquels n est impair se rencontrent dans l'hydrolyse des corps gras.)
Corps gras, matières grasses, substances d'origine animale ou végétale, donnant sur le papier une tache transparente et permanente, moins denses que l'eau, dans laquelle elles sont insolubles, peu solubles dans l'alcool, mais bien solubles dans l'éther, le benzène, l'éther de pétrole, les solvants chlorés.
Série grasse, ensemble des composés aliphatiques.
Caractère gras ou gras (nom masculin), caractère dont la graisse est importante par comparaison au caractère normal de la même famille et du même corps.
Temps gras, temps brumeux et humide.
Chaux grasse, chaux qui foisonne.
Mortier gras, mortier qui contient beaucoup de chaux.
Tenon gras, tenon dont les dimensions sont trop fortes.
● gras, grasse (homonymes)
adjectif
(latin populaire grassus, du latin classique crassus, épais)
grasse
grâce
nom féminin
● gras, grasse (synonymes)
adjectif
(latin populaire grassus, du latin classique crassus, épais)
Qui est formé de graisse ou qui en contient
Contraires :
- maigre
Qui a beaucoup de graisse
Synonymes :
- adipeux
- bouffi
- boursoufié
- charnu
- dodu
- empâté
- gros
- obèse
- plein
- potelé
- rebondi
- replet
- rondelet
- rondouillard (familier)
Contraires :
- décharné
- efflanqué
- émacié
- étique
- maigrichon (familier)
Qui contient de la graisse, qui comporte des couches de...
Contraires :
- dégraissé
Qui est taché, sali, enduit de graisse
Synonymes :
- huileux
Se dit d'un sol glissant, huileux
Synonymes :
- gluant
- poisseux
- visqueux
Se dit d'un crayon, d'une mine tendre, donnant un trait...
Contraires :
- délié
- fin
Qui est épais, qui a une consistance épaisse
Synonymes :
- épais
- pâteux
Familier Qui est licencieux, graveleux
Synonymes :
- égrillard
- gaulois
- grivois
- leste
- libre
- polisson
- salé
Botanique. Plante grasse
Synonymes :
- plante succulente
● gras, grasse
nom
Personne grasse, obèse : Les gras et les maigres.
gras, grasse
adj. et n. m.
d1./d Qui est constitué de graisse, en contient ou en est imprégné. Viande grasse.
|| n. m. Partie grasse de la viande. Le gras et le maigre.
|| CHIM Les corps gras: esters du glycérol et des acides gras, acides non ramifiés, comportant un nombre pair d'atomes de carbone et qui se forment, chez les végétaux et les animaux, à partir d'un dérivé de l'acide acétique (acides stéarique, oléique, palmitique, butyrique).
d2./d Se dit d'un aliment préparé avec de la viande ou de la graisse. Bouillon gras.
|| Mardi gras.
|| adv. Manger gras.
d3./d Se dit d'un être vivant qui a beaucoup de graisse. Porc gras. Personne grosse et grasse.
|| Par anal. Loc. Plantes grasses, à tige ou à feuilles succulentes.
|| n. m. Le gras de la jambe, du bras, la partie charnue, musculeuse.
d4./d Souillé, maculé de graisse. Eaux grasses. Papiers gras.
d5./d Dont l'aspect, la consistance fait penser à la graisse. Terre grasse. Encre grasse.
— Crayon gras, à mine grasse.
|| Par ext. épais. Trait, caractère (typographique) gras.
d6./d (Placé le plus souvent avant le nom.) Fig. Abondant, riche. Gras pâturages. Grasse récompense.
|| Faire la grasse matinée: se lever tard.
d7./d Toux grasse, accompagnée d'expectorations abondantes et épaisses.
|| Voix grasse, pâteuse, peu nette.
d8./d Fig. Graveleux, obscène. Plaisanterie grasse.
⇒GRAS, GRASSE, adj.
I. — [Dans des syntagmes figés] Qui est constitutivement en rapport avec la graisse (v. ce mot A 1).
A. — Qui est de la nature même de la graisse.
1. CHIMIE
a) Corps gras (plus rarement corps gras neutre). Substance d'origine organique, liquide ou plus ou moins solide à l'état naturel, constituée par un mélange d'esters de glycérol et de certains acides particuliers, pauvres en oxygène, dits acides gras (infra b). Synon. glycéride (d'apr. DUVAL 1959). Corps gras naturel, d'origine animale; industrie des corps gras alimentaires; pénurie de corps gras. Il faut très peu de suc pancréatique sans doute pour donner à la bile la possibilité d'agir sur les corps gras (C. BERNARD, Notes, 1860, p. 41). En chauffant cet acide [sulfurique] avec les corps gras neutres, — dans l'espèce la graisse de phoque, — il pouvait isoler la glycérine (VERNE, Île myst., 1874, p. 182) :
• 1. Un jeune savant français réussit ainsi à prouver, dans ses Recherches chimiques sur les corps gras (1823), que ces derniers (huile, graisse, suif, beurre, etc.) étaient des individus chimiques parfaitement définis, composés d'un acide gras (acide margarique, oléique, stéarique, etc.) et de glycérine.
P. ROUSSEAU, Hist. techn. et invent., 1967, p . 228.
♦ Huile grasse. V. huile I A 6.
b) Acide gras. Acide qui entre dans la composition d'un corps gras et en détermine la spécificité. Acides gras essentiels, non saturés. Les acides gras peuvent se former en certaine proportion dans le canal intestinal (C. BERNARD, Notes, 1860, p. 41). V. ex. 1 et 2.
c) Série grasse. ,, Partie de la chimie organique qui comprend les corps développés en chaîne ouverte, et, en particulier, les corps gras `` (DUVAL 1959). Synon. série aliphatique, série acyclique (usuel). Parmi les composés auxquels les carbures acycliques peuvent conduire (...), se trouve le groupe très important des corps gras naturels (...); c'est de là que vient le nom de série grasse ou encore de série aliphatique, par lequel on désigne souvent l'ensemble des carbures acycliques et de leurs dérivés (Ch. MOUREU, Notions fondamentales de chim. organique, Paris, Gauthier-Villars, 1913, p. 69).
2. Cour. Matière grasse (plus rarement substance grasse). Toute substance lipidique quelle que soit sa consistance. Synon. corps gras. Matières grasses alimentaires, concrètes. [L'olivier] accumule lentement dans son fruit les substances grasses, riches en carbone (VIDAL DE LA BL., Princ. géogr. hum., 1921, p. 135). Le jeûne mobilise les protéines et les matières grasses des organes (CARREL, L'Homme, 1935, p. 373). En partant de lait contenant de 3,5 à 4 % de matière grasse, on arrive à obtenir une crème à environ 40 % de matière grasse (BRUNERIE, Industr. alim., 1949, p. 42) :
• 2. Lipides d'origine animale/Lipides d'origine végétale. — Pour ne pas manquer des acides gras indispensables il est recommandable de consommer des matières grasses animales et des matières grasses végétales en quantités à peu près équivalentes...
LALANNE, Alim. hum., 1942, p. 47.
B. — Qui est en relation étroite avec la graisse.
1. Foie gras. V. foie B 1 en partic.
2. MÉD. Diabète gras. ,, Type classique de diabète sucré débutant généralement dans la deuxième moitié de la vie chez les obèses`` (Méd. Biol. t. 2 1971). On s'est beaucoup occupé à une certaine époque de différencier le diabète gras et le diabète maigre (LE GENDRE ds Nouv. Traité Méd., fasc. 7, 1924, p. 422).
II. — Qui comprend de la graisse ou un corps gras.
A. — [Le corps gras entre dans la composition de l'élément envisagé]
1. [Correspond à graisse A 1].
a) [En parlant d'un être animé] Qui a de la graisse (v. ce mot A 1 a) en abondance, ce qui lui donne une apparence épaisse. Synon. (partiel) adipeux; anton. maigre.
) [En parlant d'une pers.]
— [En parlant de la pers. entière] Gras capucin, marchand, personnage; gens, rentiers gras; gros et gras; dodu et gras; gras et bien portant. Au premier coup d'œil, c'était un peu aussi le même homme, gras et d'une physionomie très-fine sous un masque empâté (SAND, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 184). Les enfants gras livrés vivants à la furie des enfants maigres (MICHELET, Insecte, 1857, p. 283). La dame est un peu grasse et l'on entre en carême (APOLL., Casanova, 1918, I, 9, p. 980). Il est costaud mais un peu gras (SARTRE, Mort ds âme, 1949, p. 209).
[Avec un compl. prép. de désignant une partie du corps] [Le fils de pacha] Pieds, tête énorme, gras de figure, air stupide (DELACROIX, Journal, 1832, p. 123). Je veux te voir (...) rebondi! gavé! gras du bide! (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 689).
[Avec compl. prép. de désignant la graisse qui cause l'embonpoint] :
• 3. Il a engraissé. Il est gras et blême; gras d'une graisse toute en blancheur et en ballotements. Il en a les yeux presque cachés, de cette graisse.
GIONO, Gd troupeau, 1931, p. 224.
♦ Loc. fam. N'être pas gras de lécher les murs. Être bien nourri (v. ZOLA, Terre, 1887, p. 389).
♦ Expr. compar. usuelles (pour insister sur l'embonpoint de la pers.).
Gras à lard. Gras à lard comme te voilà, tu ferais pas mal sur un cheval! (CÉLINE, Mort à crédit, 1936p. 694).
Gras comme... (plus rarement aussi gras que...). Gras comme un loir, un moine; grasse comme une caille (v. caille1 B 2 a). Mais, sur mon honneur, le voilà devenu aussi gras qu'un cochon (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 801). Quand Jean-Jacques revint à Paris, gras comme un chanoine (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p. 246).
♦ Expr. compar. pop. ou fam. (pour insister, par antiphrase, sur la maigreur). Gras comme une belette à jeun (CARABELLI, Lang. pop.). Gras comme un cent de clous (Lar. Lang. fr.).
♦ Emploi subst.
masc. ou fém. Personne grasse. De cette lecture [de Darwin] mal comprise, il se faisait une idée révolutionnaire du combat pour l'existence, les maigres mangeant les gras, le peuple fort dévorant la blême bourgeoisie (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1524). Les membres d'une même famille (...) pouvaient n'avoir pas les mêmes goûts en amour, le père préférer les blondes ou les grasses, le fils les brunes et les maigres (AYMÉ, Jument, 1933, p. 239).
masc. à valeur de neutre, rare. Embonpoint. Son profil qui (...) ressemble étonnamment à celui de Georges Sand, moins le gras de Georges Sand (BALZAC, Lettres Étr., t. 3, 1850, p. 94).
— [En parlant d'une partie du corps] Bras, corps, cou, visage, seins, tissus gras; main, cuisses, épaules grasse(s). Enfin Madame elle-même tendit sa jambe, une belle jambe normande, grasse et musclée (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Mais. Tellier, 1881, p. 1187). Avec ses doigts gras et ronds comme des boudins (MIRBEAU, Journal femme, 1900, p. 34). C'est un gros homme, son cœur trop gras a cédé tout à coup (BERNANOS, Journal curé camp., 1936, p. 1195) :
• 4. Dame Léonarde, la mère noble de la troupe, était vêtue tout de noir comme une duègne espagnole. Des coiffes d'étamine encadraient sa figure grasse à plusieurs mentons, pâlie et comme usée par quarante ans de fard. Des tons d'ivoire jauni et de vieille cire blêmissaient son embonpoint malsain, venu plutôt de l'âge que de la santé.
GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 27.
) [En parlant d'un animal] Brochet, mouton, poulet gras; gras bestiaux, troupeaux; caille, marmotte grasse. Dont la bouche donnait assez bien l'aspect d'un gros et gras limaçon vu par-dessous et rampant (BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p. 211). De beaux champs nus des deux bords de la maison aussi loin qu'on peut voir, un jardin de légumes, de belles vaches grasses dans le clos (HÉMON, M. Chapdelaine, 1916, p. 239). V. capitaliste ex. 7.
[Avec compl. prép. de désignant la cause] Nous avons appâté nos lignes d'un de ces vers gras de terreau, rouge et rebondi (PESQUIDOUX, Chez nous, 1923, p. 231).
— [À la suite d'un engraissement] Chapon gras. Un petit homme (...) qui tenait sous chacun de ses bras une oie grasse dont la tête pendait et lui tapait sur les cuisses (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 635).
— En partic.
♦ Bœuf gras. V. bœuf B 2 a spéc.
♦ Les sept vaches grasses.
♦ Tuer le veau gras.
b) [En parlant d'une chose] Qui contient une certaine quantité de graisse ou de matière grasse, naturellement ou sous l'effet de certaines opérations.
) [En parlant de choses non-comestibles] Enduit, liquide, parfum gras; pâte grasse. Elle lui présenta un peigne et des épingles pour corriger sa coiffure, ainsi que des fards gras et secs pour ses lèvres et ses joues (, Aphrodite, 1896, p. 127). Une peinture grasse, bien chargée en huile, sera (...) une peinture convenant le mieux pour une longue durée (COFFIGNIER, Coul. et peint., 1924, p. 578). C'était une grosse brune dont le bras nu laissa sur le veston noir du docteur une trace de crème grasse autour du col (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 225).
♦ Eaux grasses. V. eau I B 2 a.
— Emploi subst. masc. Matière grasse ou substance qui contient une certaine quantité de graisse. Vaisselle épaisse, tournant au jaune, où le gras des eaux de l'évier restait en noir dans les égratignures des couteaux (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 451). Le fard et le gras, dont elle enduisait ses bras, sa gorge et son visage (ROLLAND, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 479).
) [En parlant de choses comestibles; avec nuance valorisante] Depuis quelque temps, je déjeune avec une bonne soupe grasse (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 219). [Avec nuance dépréciative] Elle avait fabriqué avec de la céréaline et du saindoux fondu des espèces de beignets gras et lourds qu'ils mangeaient avec un peu de cassonade (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 326).
♦ Qui contient une assez grande quantité de matières grasses. Anton. maigre. Jambon gras, viande grasse. Fromage gras. ,,Fromage renfermant au moins 40 grammes de matières grasses pour 100 grammes de fromage après complète dessication`` (CLÉM. Alim. 1978). Comme la servante apportait le dessert, un fromage gras et des fruits (ZOLA, Terre, 1887, p. 152). Dans les fromageries où l'on fabrique des fromages absolument gras (...) on met en présure le lait vierge de tout écrémage (POURIAU, Laiterie, 1895, p. 379).
Loc. fig. Faire ses choux gras de qqc. V. chou D.
♦ Emploi subst. masc. Matière grasse, partie grasse de la viande (ou d'un mets). Le gras du jambon, d'une viande; dépourvu de gras. On rationnait tellement le bout de gras qu'on faisait plus la soupe qu'une seule fois par jour (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 622). Je conseille donc aux jeunes d'adopter la méthode des jolies femmes et de soigner leur ligne, de préférer le maigre au gras (COCTEAU, Diff. d'être, 1947, p. 219) :
• 5. — Auguste, donnez-moi les gras, cria Quenu.
Et lorsqu'il tint le plat, il fit glisser doucement dans la marmite les gras de lard, en les délayant du bout de la cuiller. Les gras fondaient.
ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 687.
Au gras. Accommodé avec du gras ou du jus de viande. Le père Hucheloup mourut. Avec lui disparut le secret des carpes au gras (HUGO, Misér., t. 2, 1862, p. 314). Le riz n'est même plus au gras maintenant (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 160).
Loc. fig. Discuter le bout de gras avec qqn. V. bout II B 1 arg.
♦ P. ext., pop. À base de graisse ou d'aliments comportant de la graisse, essentiellement animale. Régime gras.
— En partic. [Dans le domaine des prescriptions de l'Église] :
• 6. Et puis, vous vous imaginez que les Bénédictins se nourrissent constamment de viandes et c'est absolument faux; la vérité est que nous usons d'aliments gras, plusieurs fois la semaine, sauf en Carême et en Avent. Ajoutez à ces deux saisons, où nous sommes voués au maigre, les Quatre-Temps, les Vigiles, la Semaine Sainte, d'autres fêtes et vous constaterez que nous pratiquons l'abstinence, les deux tiers de l'année, et endurons au moins une centaine de jeûnes.
HUYSMANS, Oblat, t. 1, 1903, p. 219.
[En parlant de jours ou de périodes] Où la consommation d'aliments carnés est permise. Lundi, mardi gras; semaine grasse. Les jours maigres, les légumes et les poissons revenaient au même prix que la viande les jours gras (GONCOURT, Journal, 1894, p. 547).
Emploi adv. Manger gras. Manger des aliments carnés. Il était très pieux, à la différence des deux Krafft, père et fils, qui faisaient les esprits forts, tout en se gardant bien de manger gras le vendredi (ROLLAND, J.-Chr., Aube, 1904, p. 96).
Emploi subst. masc. Mets à base d'aliments carnés; p. ext., repas où l'on sert de tels mets. On servait pour eux du gras et un souper qui tentait violemment les jeûneurs (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 247). Le substitut s'aperçut de la stricte observance des lois ecclésiastiques que sa femme lui imposait les jours maigres, et il ordonna à ses gens de lui servir du gras pendant toute l'année (BALZAC, Double fam., 1830, p. 281). À l'abbaye de Saint-Wast il y avait un réfectoire pour le gras. Il (...) n'était pas aussi grand que celui où l'on mangeait maigre (LENOIR, Archit. monast., 1852, p. 341). Faire gras. Manger de la viande ou des mets préparés avec de la graisse animale. Le grand homme d'Aps avait une dispense de Monseigneur et faisait gras, seul de la famille (A. DAUDET, Roumestan, 1881, p. 64). Mais, si Miraut faisait gras le vendredi saint, je m'imaginerais qu'il est juif et je le prendrais en horreur (A. FRANCE, Opinions J. Coignard, 1893, p. 92).
2. P. anal.
a) [L'accent est mis sur l'idée de consistance onctueuse et/ou visqueuse]
) [En parlant d'une matière plus ou moins malléable]
— Qui a une consistance visqueuse, souvent sous l'effet de l'humidité. Boue grasse, sable gras. À travers l'eau des ornières, la terre grasse, les mottes molles, les prés détrempés et gluants, nous sommes arrivés au bois (GONCOURT, Journal, 1866, p. 300). Le terrain était gras (Auto, 1937).
♦ Argile grasse. Argile très plastique. On a cru pouvoir distinguer les argiles grasses des argiles maigres en attribuant 60 de silice et 40 d'alumine aux premières, et 80 de silice et 20 d'alumine aux secondes (BRONGNIART, Arts céram., t. 1, 1844, p. 318).
— Spécialement
♦ INDUSTR. DU CHARBON. Charbon, houille gras(se). Charbon riche en produits bitumeux, caractérisé par une fusion pâteuse avec gonflement qui donne le coke, après disparition des matières volatiles. Anton. charbon, houille maigre. Une autre classe des charbons proprement dits (charbons gras pour les forges, houilles à gaz, ou houilles flambantes), formés à plus grande profondeur que les houilles cellulosiques (E. SCHNEIDER, Charbon, 1945, p. 294) :
• 7. La houille brûle facilement; elle est dite grasse [it. ds le texte], demi-grasse [it. ds le texte] ou maigre, suivant qu'elle est plus ou moins riche en matières volatiles et qu'elle s'agglutine plus ou moins en brûlant. Ce sont les houilles grasses qui servent à fabriquer le gaz d'éclairage.
BOULE, Conf. géol., 1907, p. 100.
— CONSTRUCTION. Mortier gras. Mortier qui contient beaucoup de liant (chaux ou ciment). Anton. mortier maigre. Les artistes du XIIe dessinaient à l'ocre rouge sur fond de mortier gras (MAILLET, Peint. relig., 1934, p. 39).
) ŒNOLOGIE. [En parlant d'un vin]
♦ Moelleux, qui a de la chair. Si l'on fait tourner du vin gras et charnu dans un verre, des gouttes adhèrent aux parois et descendent lentement comme des larmes (R. DUMAY, Guide du vin, Paris, Stock, 1967, pp. 382-383).
♦ Atteint de graisse (v. ce mot B 1).
Rem. Ce dernier sens n'est guère attesté dans les ouvrages spécialisés actuels, mais apparaît dans les dict. gén. qui signalent aussi l'emploi subst. masc., synon. de graisse B 2.
) [En parlant de phénomènes atmosphériques] Le brouillard gras des nuits d'hiver leur glaçait la peau (FLAUB., 1re éduc. sent., 1845, p. 171). La nuit est trouble, l'air chargé d'une humidité grasse (GENEVOIX, Nuits de guerre, 1917, p. 219). Un vol pesant d'oiseaux passait dans le matin brumeux et gras, au-dessus des terres gluantes (CAMUS, Env. et endr., 1937, p. 94).
Temps gras. Temps humide et brumeux (cf. BONN.-PARIS 1859, SOÉ-DUP. 1906). Le temps était si gras qu'il n'avait été possible de les distinguer [des îles] que lorsque nous en fûmes très-près (Voy. La Pérouse, t. 2, 1797, p. 374).
♦ [En parlant du ciel] Couvert. Et à l'entrée de la nuit, l'horizon était si gras, que j'aurais pu en être très-près sans la voir [la côte] (Voy. La Pérouse, t. 2, 1797p. 241).
) [En parlant d'une surface] Visqueux. Trottoir gras. Une petite pluie fine, pénétrante, avait rendu le pavé gras et glissant (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 5, 1859, p. 82). Mais la berge grasse, indéfiniment plate laisse voir sous sa tourbe une terre noire (BARRÈS, Cahiers, t. 6, 1907, p. 177).
b) [L'accent est mis sur l'idée de volume]
) [En parlant d'une matière ou d'un objet palpable, ou d'une forme]
— Plante grasse. Plante à tiges et feuilles épaisses, charnues. Toutes les espèces de plantes grasses dont les feuilles semblent être des éponges pleines d'eau (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 181). L'arbre entier était couvert de cette bizarre plante grasse grimpante, qui semble un cactus, lance en tous sens des rameaux, tous exactement de même grosseur (GIDE, Voy. Congo, 1927, p. 849) :
• 8. L'enfant revient; surpris, il voit la plante grasse
Sur les débris du pot brandir ses verts poignards;
Il la veut arracher, mais la tige est tenace;
Il s'obstine, et ses doigts s'ensanglantent aux dards.
GAUTIER, Poés., 1872, p. 225.
— Chaux grasse. Chaux qui foisonne beaucoup. Anton. chaux maigre. Les chaux grasses proviennent de la calcination des calcaires presque purs (BOURDE, Trav. publ., 1928, p. 155). L'emploi des mortiers bâtards obtenus par mélange de Portland et de chaux grasse est d'un usage courant (CLÉRET DE LANGAVANT, Ciments et bétons, 1953, p. 154).
— CONSTRUCTION et MENUIS. [En parlant d'une pierre taillée ou d'une pièce de bois] Trop épais pour la place qu'elle doit occuper. Tenon gras (JOSSIER 1881). Emploi subst. masc. à valeur de neutre. Avoir du gras, être en gras (cf. CHABAT t. 2 1876 et CHABAT 1881). On taille en gras une clef, pour ne la terminer qu'à la pose afin d'être certain d'obtenir des joints réguliers dans un arc ou dans une platebande (NOËL 1968, s.v. gras (en)).
— IMPRIMERIE
♦ Encre grasse. Encre épaisse. Fréquemment il arrive que les lettres des saints parchemins, écrites d'une encre grasse et plutôt collées qu'imprimées sur la peau imperméable, se détachent et tombent (THARAUD, Ombre de la Croix, 1917, p. 280). Transformer la photographie fugitive en une image supérieure, susceptible d'être imprimée aux encres grasses (PRINET, Phot., 1945, p. 53).
♦ [En parlant d'un caractère ou d'un filet] Dont l'épaisseur est plus importante que celle du caractère ou du filet normal. Répertoires des hommes et des chevaux de l'escadron, en belle ronde et en deux couleurs, rehaussés çà et là d'accolades vigoureuses, d'accouplements de filets gras et maigres où se sentait la main artiste du tambour (COURTELINE, Train 8 h 47, 1888, III, p. 30). Deux affiches, imprimées par Roll, reproduisant, en caractères gras, la péroraison de la lettre de Zola (MARTIN DU G., J. Barois, 1913, p. 373).
Emploi subst. masc. Typographie en caractères gras. Le gras doit être utilisé sans excès, pour un mot ou une phrase que l'auteur veut faire ressortir (Impr. 1977).
— BEAUX-ARTS
♦ [En parlant d'une matière]
Crayon gras. Crayon à mine tendre donnant un trait large et noir. Les mêmes lettres majuscules au crayon gras, bleu (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 56).
Couleur grasse. Couleur de consistance épaisse. [Dans un tableau de Frans Hals à Harlem] pâtes épaisses et coulantes, fermes et pleines, grasses et minces suivant les besoins (FROMENTIN, Maîtres autrefois, 1876, p. 283). [Rousseau peint par petites taches] il met ainsi une vibration lumineuse que Dupré et Huet empâtaient dans leur couleur grasse (HOURTICQ, Hist. art, Fr., 1914, p. 362).
♦ [En parlant d'une teinte] [Sur la plage de Scheveninguen] Les noirs y sont pleins, les blancs savoureux, simples et gras (FROMENTIN, Maîtres autrefois, 1876p. 149). La lumière est précisément le contraire de celle de l'Île-de-France, cette dernière enveloppante et comme matérielle où le moindre objet se nuance de mille teintes grasses (GILLES DE LA TOURETTE, L. de Vinci, 1932, p. 2).
♦ [En parlant de l'aspect d'une œuvre, d'une forme] [La technique de Roll] s'en tient (...) à une facture grasse et franche (MAUCLAIR, De Watteau à Whistler, 1905, p. 227). En glissant paisiblement, le pinceau [de Chardin] a tracé sur la grosse toile des contours gras (HOURTICQ, Hist. art, Fr., 1914p. 274). [Des dessins de Maxime Delhomas] d'un trait gras qui contourne et, en même temps, précise (TOULET, Notes art, 1920, p. 9).
Emploi subst. masc. Trait gras. Il s'y trouve, dans ces croquis [japonais], tous les contrastes amusants des gras et maigres (E. DE GONCOURT, Mais. artiste, t. 1, 1881, p. 223).
Emploi adv. Peindre gras. ,,Peindre par couches épaisses`` (Ac. 1835-1932).
— Emploi subst. masc. Le gras de. La partie charnue de. Le gras du bras, de la main, des fesses, du mollet, du pouce. Ces muscles sont très-considérables dans l'homme qui a les gras de jambe plus forts qu'aucun quadrupède (CUVIER, Anat. comp., t. 1, 1805, p. 383). Il avait une balle dans le gras de la cuisse, tout en haut (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Prisonn., 1884, p. 286). J'avais le gras d'une paume mis à vif (MONTHERL., Olymp., 1924, p. 248).
Emploi abs., pop. Le jour que je me suis marié, la mienne [ma femme] se faisait déjà pincer le gras par le cousin de mon beau-frère, un nommé Gustave (AYMÉ, Rue sans nom, 1930, p. 199).
) Domaine des sons
— Sourd, comme empâté. Bruit, timbre gras. À partir du premier fa jusqu'au si aigu, sonorité grasse et pleine [de la harpe] (WIDOR, Techn. orch. mod., 1904, p. 162). La queue de la corvée refluait dans un gras clapotis de boue agitée (DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p. 255).
— [Bruit d'orig. hum.]
♦ Articulé avec l'arrière-gorge et des vibrations de la langue et/ou de la luette. Parole grasse, patois gras. Ceci prononcé par un employé (...) avec l'accent gras, lent et doux et têtu des Picards (VERLAINE, Œuvres compl., t. 5, Quinze jours en Holl., 1893, p. 207). Son ton bas et confidentiel de vieux diplomate contrastait avec la voix grasse et surexcitée de Viviani (MORAND, Londres, 1933, p. 58). J'entends (...) son rire débonnaire, gras et prolongé (ARNOUX, Solde, 1958, p. 12).
Emploi adv. Parler gras. ,,Grasseyer`` (Ac. 1835-1932). Rire gras. ha! Ha! Ha! ... Il riait gras (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 28).
♦ Toux grasse. Toux qui révèle la présence de mucosités dans la gorge. Anton. toux sèche. Sa voix éteinte faisait entendre le sifflement gras de l'asthme (BALZAC, Cabinet ant., 1839, p. 123). Sorte de gros polichinelle turc qui n'avait rien de remarquable qu'un nez énorme, une toux grasse et constante, une main estropiée (DU CAMP, Nil, 1854, p. 98). Elle toussa deux ou trois fois par quintes dures et grasses (ARNOUX, Suite var., 1925, p. 77). Emploi adv. Jérôme Savrit se retourna sur son oreiller, toussa gras, éternua, cracha du bitume, puis il s'assoupit à demi, rêvassant (ARNOUX, Nuit St-Avertin, 1942, p. 9).
c) [L'accent est mis sur l'idée d'abondance, de richesse]
) [Abondance et richesse matérielles]
— [En parlant d'une région et de ce qu'elle produit] Sol, pays gras; gras pâturages, grasses récoltes. Après les guerres de religion, cette grasse Flandre, si longtemps dévastée, avait fini par atteindre la paix et la sécurité civile (TAINE, Philos. art, t. 1, 1865, p. 32). Même au milieu des plus riches, des plus grasses campagnes normandes, j'ai la nostalgie de la lande (MIRBEAU, Journal femme, 1900, p. 57). Nous sommes en Normandie, la terre est grasse et facile (MAETERL., Vie abeilles, 1901, p. 239).
— [En parlant d'une pers. ou d'un établissement] Opulent, riche/enrichi. Grasse métairie. Une femme de droguiste, lequel droguiste s'était retiré gras d'une fortune (BALZAC, Mais. Nucingen, 1838, p. 628). Visiter sur une mule les grasses abbayes (FLAUB., Tentation, 1849, p. 439).
♦ En être plus gras. En être plus riche, plus content, plus avantagé. En serez-vous plus gras, pour m'avoir dit des injures? (VIDOCQ, Mém., t. 3, 1828-29, p. 117). Et je le nourris toujours, monsieur, je le nourris plus que jamais, aujourd'hui. (Avec amabilité.) Sans savoir, hélas! si j'en serai plus gras! (LABICHE, Deux papas, 1845, 10, p. 406). V. enfuir (s') ex. 4.
— [En parlant d'une vie ou d'une situation] Confortable à cause de la richesse. Saleur (...), craignant de gâter sa vie grasse d'enrichi, retournait à l'église (ZOLA, Vérité, 1902, p. 228).
— [En parlant d'une somme d'argent] Important, généreux. Gras pourboire, grasse prébende. Une grasse subvention ne se ferait pas attendre (COPPÉE, Contes en prose, 1882, p. 168). Il ne s'agissait que de toucher un mois de gras salaire (PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p. 110). Or qui donc est avec l'Angleterre (...)? (...) des officiers mués en aventuriers (...). Et qui, en attendant, touchent les soldes grasses de l'Empire britannique (L'Œuvre, 2 févr. 1941).
♦ Arg. Argent ou bénéfice. Soixante balles de gras [pour ma semaine de travail] (LE BRETON, Loi, 1955, p. 122).
♦ Expr. pop. ou arg.
Il y a gras. Il y a beaucoup (à gagner). Fougères regarda la pratique sans rire, car monsieur Vervelle présentait un diamant de mille écus à sa chemise. Fougères regarda Magus et dit : « Il y a gras! » en employant un mot d'argot, alors à la mode dans les ateliers (BALZAC, P. Grassou, 1840, p. 449). Elles ne manquent jamais d'examiner les lieux dans lesquels elles se trouvent, et s'il y a gras (s'il y a du butin à faire), elles renseignent le mari ou l'amant, qui a bientôt dévalisé la maison (VIDOCQ, Voleurs, t. 1, 1886, p. 33).
Il n'y a pas gras. Il n'y a pas beaucoup. Il n'y a jamais gras dans une caisse de ce genre (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 690). Il ne restera pas gras pour le dîner (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 912).
C'est pas gras (ou var.). Ce n'est pas beaucoup. Montespan et sa femme doivent avoir cent cinquante ou cent soixante mille francs de rente (...) ça ne fera pas gras pour chacun (GYP, Cœur Ariane, 1895, p. 79). [Le garçon :] C'est pas gras, cinq ronds de pourboire (MAGNANE, Bête à concours, 1941, p. 448).
) [Idée de temps (agréablement) prolongé] Faire (plus rarement dormir) la grasse matinée. Dormir tard, se lever tard dans la matinée. Pour la première fois depuis trois ans, j'avais dormi la grasse matinée (SAND, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 257). Elle se levait la première et, comme nous faisions la grasse matinée, elle nous apportait le petit déjeuner au lit (SARTRE, Huis clos, 1944, 5, p. 142).
[Sans le verbe faire/dormir] Plaisir de la grasse matinée :
• 9. Plus jamais redorant tes ombres satinées,
La vieille aux doigts de feu qui fendent les volets
Ne viendra t'arracher aux grasses matinées
Et rendre au doux soleil tes joyeux bracelets...
VALÉRY, Alb. vers anc., 1900, p. 91.
♦ P. anal. Il y avait un divan où j'ai dormi de grasses après-midi (ZOLA, T. Raquin, 1878, I, 2, p. 55).
3. Au fig. Truculent, licencieux. L'autre [avait] le récit gras et merveilleusement salé (GONCOURT, Journal, 1864, p. 11). Tandis que le gendarme et le brigadier, riant toujours et lui criant, de loin, de grasses plaisanteries de caserne (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Crime père Bonif., 1884, p. 157). Cet entretien [entre Zola et Goncourt] dut être d'un comique assez gras (SARTRE, Sit. I, 1947, p. 300) :
• 10. La cuite, la rixe, les propos gras, les pinçages de fesses, quand il y en avait, voilà comment chez moi, on manifestait son contentement.
ARNOUX, Zulma, 1960, p. 26.
♦ Vx. Cause grasse. ,,Cause que les clercs du palais choisissaient ou inventaient pour plaider entre eux, aux jours gras, et dont le sujet était plaisant`` (Ac. 1798-1932).
B. — [Le corps gras n'est pas considéré comme entrant dans la composition de l'élément envisagé]
1. Enduit ou imprégné de graisse (v. ce mot A 1) ou d'un corps gras.
a) [Sous l'effet d'un phénomène naturel; en parlant des cheveux ou de la peau] Qui présente un aspect luisant dû à une sécrétion graisseuse, plus ou moins abondante, de la peau. Anton. sec. Soins pour les peaux grasses (QUILLET Méd. 1965, p. 315). Les cheveux gras nécessitent des shampooings hebdomadaires, parfois même plus rapprochés, alors que les cheveux secs ont assez de deux shampooings mensuels (QUILLET Méd. 1965p. 317).
b) [Sous l'effet d'une action humaine] MÉGISSERIE. Cuir gras, peausserie grasse. ,,Cuir auquel on a fait absorber, au cours des opérations de corroyage, une quantité importante de corps gras, généralement en vue d'imperméabilisation`` (RAMA 1973). D'autres délivraient de la ficelle qui les entortillait leurs portefeuilles de cuir gras (GOZLAN, Notaire, 1836, p. 262).
Corroyage en gras. Le corroyage en gras qui produit les cuirs à empeigne, à équipement, à bourrellerie, à courroie et l'ensemble des cuirs dits cuirs industriels (BÉRARD, GOBILLARD, Cuirs et peaux, 1947, p. 97).
2. Enduit, imprégné, taché de graisse (v. ce mot A 1) ou d'un corps gras. Il est venu lentement un petit pauvre vieillard, le collet de son paletot gras et lustré, monté jusqu'aux yeux (GONGOURT, Journal, 1860, p. 857). On y [dans des fosses] trouve aussi, tantôt une poire à poudre avec des balles, tantôt un vieux jeu de cartes gras et roussi qui a évidemment servi aux diables (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 439) :
• 11. Il y avait des débits de vin et d'huile au litre, fort ténébreux, car le peu de lumière qui y pénètre n'y rencontre que des douves brunes et violettes, ou par endroits du métal gras oint de vieille huile, incapable de reflets.
ROMAINS, Hommes bonne vol., 1939, p. 41.
— [Avec compl. prép. de désignant ce qui rend gras] Gras de sueur. Le décolleté gras de cold-cream (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 354). V. estafilade ex. de Gautier.
REM. Grasset, -ette, adj. dimin. de gras, fam. Un peu gras. C'est la plus fraîche des grand-mamans, encore blonde et déjà grassette (AMIEL, Journal, 1866, p. 441). Variante grassot. Air grassot de la mère (FLAUB., Champs et grèves, 1848, p. 267).
Prononc. et Orth. : [], fém. [-]. Le timbre [] dans le masc. est anal. du fém. Homon. grâce. Le mot est admis ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Adj. 1. ca 1170 « bien en chair, fort, gros » (CHR. DE TROYES, Erec, éd. M. Roques, 1805); 2. a) 1er quart XIIIe s. « riche, fait avec de la graisse » le crasse cuisine (RENCLUS DE MOLLIENS, Miserere, éd. A. G. Van Hamel, CXLI, 9); b) 2e moitié XIIIe s. gras fromages (CHR. DE TROYES, Erec, var. ms. H., éd. W. Foerster, 3128); 3. a) XIIIe s. « de consistance semblable à la graisse, riche, fertile » (Chron. en prose, Récits d'un ménestrel de Reims ds BARTSCH Chrestomathie, 73, 5 : de voir que la terre est si crasse) cf. aussi dès le début XIIIe s. au fig. (RENCLUS DE MOLLIENS, Charité, 70, 8 ds T.-L. : Prestre n'as pas l'ame assez crasse); b) 1478-80 en faire ses choux gras (G. COQUILLART, Plaidoyer, éd. M. J. Freeman, vers 214); c) 1478-80 grasses matinees (ID., Enquête, ibid., vers 804); 4. [XIIIe s. « qui a beaucoup de graisse, de basse qualité, grossier » grasses viandes (G. DE PONT-STE-MAXENCE, St Thomas, var. ms. B, éd. E. Walberg, 3617)]; 1401 « grossier, licencieux » (Lit. remiss. ann. 1401 ex Reg. 156 Chartoph. reg. ch. 447 ds DU CANGE, s.v. grassus), d'apr. Tabarin, le sens de « licencieux, libre » se rattacherait au sens 5, certains écarts de lang. étant permis les jours gras (cf. G. RAIBAUD ds Fr. mod. t. 6, p. 360 et cause grasse « cause plaidée le mardi gras parce qu'elle porte sur des sujets licencieux » EST. 1549 et Ac. 1694); 5. XVe s. dimanche gras (Stat. de l'abb. de Déols, Mél. d'arch. et d'hist. de l'Ecole de Rome, p. 23 ds GDF. Compl.); av. 1538 jours gras (P. GRINGORE, Œuvres complètes, éd. A. de Montaiglon et Ch. d'Héricault, I, 206); 6. av. 1540 parler gras (R. DE COLLERYE, Œuvres complètes, éd. Ch. d'Héricault, 76); 7. 2e moitié XVIe s. « sali, taché de graisse » (AMYOT, Nicias, 1 ds LITTRÉ); 8. a) 1676 (d'une pièce de charpente ou d'une pierre de construction) « trop épais » (FÉLIBIEN, p. 611); b) 1775 « épais, d'encrage large » (infra subst. 3). B. Subst. 1. ca 1265 « partie grasse, graisse » (BRUNET LATIN, Trésor, 222 ds T.-L.); 2. 1666 « partie charnue » le gras de la jambe (FURETIÈRE, Roman bourgeois, éd. Colombey, 78); 3. 1775 « épaisseur d'encrage » (d'un caractère) (Ms. Anisson, 22188, 188 v°, Mémoire sur la fonte des caractères ds IGLF : Dans les [filets] gras qu'on a employés jusqu'à ce jour, la régularité manque, ils n'ont pas tous le même gras). Du lat. crassus signifiant à l'orig. « épais », mais employé comme terme expressif pour signifier « gros »; le terme a évincé pinguis. La sonorisation de l'initiale, attestée dès le b. lat., est peut-être due elle-même à l'infl. de grassus. Fréq. abs. littér. : 2 751. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 1 933, b) 5 938; XXe s. : a) 5 668, b) 3 458. Bbg. GRIMAUD (Fr.). Petit gloss. du jeu de boules. Vie Lang. 1973, p. 294. - GRUNDT (L.-O.). Ét. sur l'adj. invarié en fr. Bergen-Oslo-Tromsø, 1972, p. 220, 224, 225, 226, 231, 236. - QUEM. DDL t. 16.
gras, grasse [gʀɑ, gʀɑs] adj.
ÉTYM. V. 1170, cras au sens I., 3.; du lat. crassus « épais » qui a éliminé pinguis, avec infl. probable de grossus « gros » (→ Gros).
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1 a Adj. Formé de graisse; de nature graisseuse. || Matière grasse (cour.); substance grasse (chim.). || Aliments riches en matières grasses. — (1823). || Corps gras. ⇒ Graisse; lipide. || Les corps gras : esters de la glycérine, substances neutres comprenant les beurres, cires, graisses, huiles, suifs. || Acides gras. || Les acides stéarique et oléique sont des acides gras. — Par ext. || La série grasse, série acyclique (ou aliphatique).
1 On connaissait par l'analyse quinze ou vingt corps gras neutres (…) La synthèse s'appuie sur cette loi même pour former aujourd'hui (…) plus de deux cents millions de corps gras.
Berthelot, Conférence d'ouverture au Collège de France (1864).
1.1 (Cyrus Smith) préféra saponifier la graisse au moyen de la chaux. Il obtint de la sorte un savon calcaire, facile à décomposer par l'acide sulfurique, qui précipita la chaux à l'état de sulfate et rendit libres les acides gras.
J. Verne, lÎle mystérieuse, t. I, p. 260.
2 (…) une ration alimentaire bien équilibrée doit contenir un minimum de matières grasses (…)
R. Fabre et G. Rougier, Physiologie médicale, p. 209.
♦ Cour. || Crème grasse, pour peaux sèches. — Eaux grasses. — (XIIIe). Qui contient de la graisse comestible. || Fromage gras à 50%. || Extrait (cit. 1) gras. Spécialt. || Aliments gras, à base de viande ou de graisse. || Bouillon gras. || Sauce grasse (par oppos. à maigre). || Poisson gras. ☑ Choux gras, accommodés avec du jus de viande ou de la graisse; (fig. et fam.) faire ses choux gras. || Les catholiques font abstinence d'aliments gras le vendredi. — (1538; dimanche gras, XVe). Par ext. || Jours gras, où l'Église catholique permet à ses fidèles de consommer de la viande. Spécialt. Les jours du Carnaval précédant le Carême. || Mardi gras. || Les causes jugées pendant les jours gras, dites causes grasses, avaient des sujets grivois. → ci-dessous, 2.
3 Je suis friand de poisson et fais mes jours gras des maigres (…)
Montaigne, Essais, III, XIII.
4 Le dimanche gras, il y eut grand bal réglé chez le Roi (…)
Saint-Simon, Mémoires, I, II.
5 À un bal que donne le cardinal Mazarin aux jours gras de 1647, elle nous décrit, l'une après l'autre, les principales beautés et reines de la fête (…)
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 1er déc. 1851.
♦ Par métonymie. || Diabète gras.
b N. m. || Le gras : la partie grasse de la viande. || Manger le maigre et laisser le gras sur son assiette. ☑ Faire gras (par oppos. à faire maigre) : manger de la viande. — Adv. || Manger gras. — (Au gras). || Riz, choux (cit. 2) au gras, accommodés avec du jus de viande ou de la graisse. — (Bout de gras). ☑ Loc. fig. Discuter le bout (cit. 47.5) de gras.
6 Dans les choses indifférentes elle aimait à obéir, et s'il ne lui eût pas été permis, prescrit même, de faire gras, elle aurait fait maigre entre Dieu et elle, sans que la prudence eût besoin d'y entrer pour rien.
Rousseau, les Confessions, VI.
7 Le gras est aussi bon que le maigre; dans chaque bouchée il faut les mêler l'un à l'autre et l'ensemble acquiert un goût de noisette.
Ch.-L. Philippe, Père Perdrix, I, IV.
♦ Rare. Morceau de gras.
7.1 Auguste préparait, dans un plat, des gras de lard.
Zola, le Ventre de Paris, t. I, p. 132.
♦ Par ext. ⇒ Graisse.
8 (…) la table (…) couverte de sa vaisselle épaisse, tournant au jaune, où le gras des eaux de l'évier restait en noir dans les égratignures des couteaux.
Zola, l'Assommoir, III, t. I, p. 104.
2 (1401). Fig. (Vieilli). || Contes gras, propos gras. ⇒ Graveleux, licencieux, obscène (par allus. à la licence de langage des jours gras, où se jugeaient les causes grasses, de sujet grivois).
8.1 (…) elles écrivent ces lettres sans art qui s'élèvent chez l'une au ton gras de Rabelais, chez l'autre à l'enjouement de la Fontaine.
Ed. et J. de Goncourt, la Femme au XVIIIe siècle, p. 23.
9 Son discours était émaillé de paroles grasses, presque obscènes, mais étonnamment expressives.
Apollinaire, l'Hérésiarque, p. 59.
♦ Adv. ☑ (XVIe). Parler gras : dire des mots « gras », des grossièretés (→ ci-dessous, II., 3., autre sens).
10 Elle retrouva Chéri grandi trop vite, creux, les yeux fardés de cerne, portant des complets d'entraîneur et parlant plus gras que jamais.
Colette, Chéri, p. 29.
3 (V. 1170; en parlant des personnes). Qui a beaucoup de graisse. ⇒ Adipeux, dodu, grassouillet, gros, potelé, rebondi, rond, rondelet, rondouillard; embonpoint (cit. 4 et 7). || Un enfant gras (→ 1. Feu, cit. 36). || Une fille grasse et appétissante (cit. 4; → fam. Gironde). || Il est un peu gras. ⇒ Fort (→ fam. Bébé cadum). ☑ Loc. Gros et gras. ⇒ Corpulent. || Une beauté grasse (→ Engraisser, cit. 4). || « Grasse, mafflue et rebondie » (→ Conclusion, cit. 9, La Fontaine). || Quadragénaire gras et bedonnant. ⇒ Obèse, pansu, replet, ventru (→ Bête, cit. 22). ☑ Être excessivement gras; gras à pleine peau (→ Crever, péter dans sa peau) gras comme une caille, comme un cochon, un porc, comme un moine (cit. 6), un chanoine; gras à lard. ⇒ Graisse (cit. 1 à 8). Iron. ☑ Gras comme un cent de clous : très maigre. || Être gras de figure, des cuisses. — ☑ Gras du bide. N. m. (appellatif). || Va donc, gras du bide !
11 Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre (…)
Molière, l'Impromptu de Versailles, 1.
12 Quant à son embonpoint, elle est plutôt grasse que maigre. Je suis un peu Turc sur ce point, et il ne me plairait guère de rencontrer une arête où je cherche un contour; il faut que la peau d'une femme soit bien remplie, sa chair dure et ferme comme la pulpe d'une pêche un peu verte (…)
Th. Gautier, Mlle de Maupin, I.
13 (…) elle était grasse comme une grive après la vendange (…)
Balzac, la Rabouilleuse, Pl., t. III, p. 850.
14 Si la femme grasse est parfois un charmant caprice, la femme maigre est un puits de voluptés ténébreuses !
Baudelaire, Essais, Notes et Fragments, Maximes sur l'amour.
15 (…) son embonpoint précoce (…) lui avait valu le surnom de Boule de suif. Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses; avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir.
Maupassant, Boule de Suif, p. 20.
15.1 — Ah ! mon pauvre ami, dit-il, tu n'as pas embelli, là bas… Moi, j'ai engraissé, que veux-tu ! Il était gras, en effet, trop gras pour ses trente ans. Il débordait dans sa chemise, dans son tablier, dans ses linges blancs qui l'emmaillotaient comme un énorme poupon. Sa face rasée s'était allongée, avait pris à la longue une lointaine ressemblance avec le groin de ces cochons, de cette viande, où ses mains s'enfonçaient et vivaient, la journée entière.
Zola, le Ventre de Paris, t. I, p. 59.
16 (…) on dit que c'est l'intérêt de l'espèce qui guide en amour les préférences de chacun, et pour que l'enfant soit constitué de la façon la plus normale fait rechercher les femmes maigres aux hommes gras et les grasses aux maigres (…)
Proust, À la recherche du temps perdu, t. IV, p. 157.
17 Chez les femmes grasses, l'adipose peut être ou généralisée, ou, au contraire, localisée.
A. Binet, les Formes de la femme, p. 104.
♦ ☑ Loc. fam. N'être pas gras de lécher les murs : être bien nourri, bien se traiter.
18 Ça ne traînait pas avec elle, le pain et la viande. On peut la tâter, elle n'est pas grasse de lécher les murs (…)
Zola, la Terre, IV, VI.
♦ N. || Les gras et les maigres. || Une grasse. || « Le père préfère les blondes ou les grasses » (Aymé, in T. L. F.).
19 La maigre a de la taille et de la liberté;
La grasse est dans son port pleine de majesté (…)
Molière, le Misanthrope, II, 4.
20 Certaine insuffisance de la glande thyroïde se rencontre chez les maigres aussi bien que chez les gras (…)
J. Paulhan, Entretien sur des faits divers, p. 95.
♦ Chair (cit. 32) fraîche et grasse. || Épaules (cit. 7), cuisses (cit. 2) grasses. || Visage gras et empâté (cit. 3). ⇒ Bouffi, plein. || Main grasse et velue (→ Arrivant, cit. 4).
♦ En parlant d'animaux (→ Arbitre, cit. 5; 1. beau, cit. 68). || Un chapon gras. || Coq trop gras (→ Fécond, cit. 4). — ☑ Loc. Bœuf gras. ☑ Les sept vaches grasses (→ Abondance, cit. 10). ☑ Tuer le veau gras (→ Choisir, cit. 2).
21 Un faisandeau bien gras est un morceau exquis, et en même temps une nourriture très saine (…)
Buffon, Hist. nat. des oiseaux, Le faisan.
22 La jument, grasse alors comme cheval de moine,
Regardait son seigneur d'un regard presque humain (…)
Hugo, la Légende des siècles, Cid exilé, XI, 5.
♦ Spécialt. || Oie grasse, canard gras, gavés à des fins culinaires. || Foie (cit. 2) gras (d'oie, de canard). ⇒ Foie.
♦ Par anal. || Huître grasse, dont le foie présente une accumulation de glycogène (matière de réserve qui pourrait être due à l'abondance de certaines diatomées).
4 (XVIe). Enduit, sali de graisse (→ Graisse, 2. et 3.). ⇒ Graisseux, huileux, poisseux. || Avoir les cheveux gras, les mains grasses. || Combinaison de mécanicien, toute grasse de cambouis. || Charcuterie enveloppée dans du papier gras (→ Charcutier, cit. 1).
23 (…) un établi tout petit, encombré de pinces, de cisailles, de scies microscopiques, grasses et très sales.
Zola, l'Assommoir, t. I, II, p. 67.
24 (…) des filles énormes et bouffies, aux cheveux jaunes, plâtrées et grasses de fard, dévisageaient les passants avec de sales regards.
R. Rolland, Jean-Christophe, Antoinette, p. 865.
25 (…) une litière de papiers gras, de boîtes de conserves, de pochettes à cigarettes vides (…)
Colette, Belles saisons, p. 40.
26 (…) il arrive qu'un gamin dégringole les étages quatre à quatre, en faisant chanter la paume de sa main sur la rampe juste un peu grasse.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XIX, p. 143.
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II Par anal.
1 a Qui évoque la graisse (1.) par sa consistance. ⇒ Onctueux; gluant, visqueux (gras est plutôt dévalorisant). || Chair grasse des champignons (cit. 1). || Encre grasse (→ aussi ci-dessous, 4.). || Vin gras, atteint de la graisse. || Bois gras, à la texture molle et poreuse (→ Errer, cit. 19). || Terre argileuse et grasse. ⇒ 1. Fort (→ Bolaire, cit.; escargot, cit. 2). || Boue grasse. || Pavé gras, glissant. — (1937). Spécialt. (sport). Qui est boueux et glissant. || Terrain gras, pelouse grasse.
27 Le pavé était gras, la brume tombait, et il lui semblait que les ténèbres humides, l'enveloppant, descendaient indéfiniment dans son cœur.
Flaubert, l'Éducation sentimentale, I, III.
28 Ses gros souliers trouaient et emportaient la terre grasse dans le balancement cadencé de son corps (…)
Zola, la Terre, I, I.
29 (…) il se hâta de ressortir, après s'être trempé la tête dans l'eau poussiéreuse qui était grasse au toucher.
R. Rolland, Jean-Christophe, Foire sur la place, I, p. 644.
c Fig. Qui évoque une chose grasse (en parlant de l'éclat d'une couleur, du velouté d'un parfum, d'une saveur…). || Le vert gras et luisant de l'euphorbe (cit. 2).
30 Le jardin, vaste, entouré de jardins, exhalait dans la nuit la grasse odeur des terres à fleurs, nourries, provoquées sans cesse à la fertilité.
Colette, la Chatte, p. 6.
d Toux grasse (opposé à toux sèche), accompagnée d'une abondante expectoration de mucosités glaireuses. Adv. || Tousser gras. || Avoir la poitrine grasse, chargée de mucosités.
31 Seule une vieille femme, assise devant une menthe verte, troublait, par une toux grasse, la paix de ce lieu (…)
Colette, la Fin de Chéri, p. 107.
e Vin gras, moelleux, épais.
2 (1676). Important par le volume, l'épaisseur. ⇒ Épais. Techn. || Poutre, pierre grasse.
3 (En parlant d'un son). ⇒ Pâteux. || Voix grasse. || Rire gras. || Avoir la langue grasse, le parler gras (→ Béatitude, cit. 5). — Adv. || Parler gras. ⇒ Grasseyer.
32 (…) l'on ne peut être plus content de personne qu'il l'est de lui-même; il s'est acquis une voix claire et délicate, et heureusement il parle gras; il a un mouvement de tête, et je ne sais quel adoucissement dans les yeux, dont il n'oublie pas de s'embellir; il a une démarche molle et le plus joli maintien qu'il est capable de se procurer (…)
La Bruyère, les Caractères, XIII, 14.
REM. Au XVIIe s., la prononciation « grasseyée » (uvulaire) du r, aujourd'hui largement majoritaire en France (à l'exception, notable, du Sud-Ouest et du Centre) constituait une marque d'afféterie : le portrait brossé ici par La Bruyère est celui d'Iphis, l'efféminé. Parler gras implique dans ce contexte l'idée d'une articulation raffinée à l'excès, prétentieuse. Le sens est notablement différent dans les emplois postérieurs du mot.
33 (…) il tournait des madrigaux à la comtesse Martin avec cette voix héréditaire, rude et grasse, dont les Juifs ses pères pressaient leurs débiteurs (…)
France, le Lys rouge, I.
34 Vairon, en corps de chemise, se mit à faire l'hercule forain, lançant le boniment d'une voix grasse et canaille qui sentait la barrière.
R. Dorgelès, les Croix de bois, I.
35 Ce n'était pas un homme du pays. Il n'avait pas l'accent. Un parler un peu gras, comme les Tourangeaux.
Aragon, les Beaux Quartiers, I, XII.
4 (1775). Imprim. || Caractères gras. N. (dans en gras). || Écrire en gras. — Bx-arts. || Dessin aux traits gras, aux contours gras, larges et appuyés. Adv. || Peindre gras, par couches épaisses.
36 Nous le voyons (Degas) alors employer des crayons gras dont le noir s'écrit plus fortement sur le papier (…)
Denis Rouart, Degas à la recherche de sa technique, p. 67.
♦ N. m. (Techn.). || Avoir du gras : être trop important, trop volumineux (d'un volume, d'un élément…).
5 ☑ Loc. Plantes grasses, à feuilles épaisses et charnues. ⇒ Cactées. || Le cierge, plante grasse du Mexique. || Feuilles succulentes des plantes grasses.
37 (…) derrière ces fenêtres, s'épanouissent dans des pots de porcelaine, de faïence, ou de terre vernie, toutes sortes de fleurs : géraniums, verveines, fuchsias, plantes grasses (…)
Th. Gautier, Voyage en Russie, III, p. 25.
37.1 Ou bien elle cueille une feuille de plante grasse, elle l'écrase entre ses doigts pour sentir l'odeur douce et poivrée de la sève. Les plantes sont vert sombre, luisantes, elles ressemblent à des algues.
J.-M. G. Le Clézio, Désert, p. 71.
6 N. m. (1666). || Le gras de la jambe : la partie la plus charnue de la jambe, le mollet.
38 (…) la jambe a bien coulé, les feux sont amortis (…) rien n'était capable de guérir ces duretés et ces raideurs de gras de jambe qu'une telle évacuation.
Mme de Sévigné, 958, 15 avr. 1685.
39 (…) hier matin, jouant avec Charles Neate, qui avait un canif à la main, j'en ai reçu un petit coup dans le gras de la jambe (…)
Sainte-Beuve, Correspondance, 9, 6 mai 1822.
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III Fig.
1 (XIIIe). ⇒ Abondant, plantureux. || Sol gras, qui produit beaucoup. ⇒ Fertile; régional amiteux. || De grasses récoltes, de grasses prairies. — REM. Emploi vieilli, à cause de l'ambiguïté avec le sens II., 1.
40 (…) il faut (…) mettre les juments pleines et celles qui allaitent leurs poulains dans la partie où le pâturage est le plus gras, séparer celles qui n'ont pas conçu ou qui n'ont pas encore été couvertes, et les mettre avec les jeunes poulines dans un autre parquet où le pâturage soit moins gras (…)
Buffon, Hist. nat. des animaux, Le cheval.
41 (…) une longue allée de tilleuls aboutissant à un saut-de-loup et formant percée, sur de gras pâturages tachetés de bestiaux.
Th. Gautier, Voyage en Russie, III, p. 33.
42 Il y a des morceaux de Provence gras, herbus, baignés de sources (…)
Colette, Prisons et Paradis, p. 71.
♦ Par métaphore. || Une éloquence grasse, qui coule d'abondance et avec aisance (→ Babine, cit. 2). || Distribuer de grasses récompenses.
2 ☑ Loc. (1478). Grasse matinée. || Dormir la grasse matinée, faire (la) grasse matinée : se lever très tard (→ 2. Devoir, cit. 25).
43 Ha ! que c'est chose belle, et fort bien ordonnée, Dormir dedans un lit la grasse matinée (…)
Mathurin Régnier, Satires, VI.
44 Je ronflerais mon soûl la grasse matinée, Et je m'enivrerais le long de la journée (…)
J.-F. Regnard, le Joueur, I, 1.
45 (…) le jeune Gargantua se conduit déjà comme le plus cancre et le plus glouton des moines de ce temps-là, commençant sa journée tard, dormant la grasse matinée, débutant par un déjeuner copieux (…)
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 7 oct. 1850.
46 Elle se levait la première et, comme nous faisions la grasse matinée, elle nous apportait le petit déjeuner au lit.
Sartre, Huis clos, 5.
♦ Par analogie (vieilli) :
46.1 (…) il paraît que nous faisons de grasses nuits ? sept heures du matin, peste ! Il me semble que vous retournez tant soit peu les habitudes reçues, et que vous rentrez à l'heure où les autres sortent.
A. Dumas, les Trois Mousquetaires, t. I, p. 294.
3 Techn. || Lessive grasse, riche en alcali. — Houille grasse, à faible teneur en éléments volatils.
♦ Chaux grasse, qui foisonne au contact de l'eau.
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IV ☑ Emploi adv. (fam.). Il y a gras (sous-entendu à gagner). ⇒ Gros. ☑ Il n'y a pas gras à manger, pas beaucoup. || Il n'y en a pas gras.
47 Fougères regarda Magus et dit : — Il y a gras ! en employant un mot d'argot, alors à la mode dans les ateliers.
Balzac, Pierre Grassou, Pl., t. VI, p. 124.
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CONTR. Maigre. — Décharné, efflanqué, émacié, étique. Pauvre, sec.
DÉR. Grassement, grasserie, 1. grasset, 2. grasset, grassette, grasseyer, grassouillet.
COMP. Gras-double, gras-fondu ou gras-fondure.
HOM. (Du fém.) Grâce.
Encyclopédie Universelle. 2012.