OMBRE
OMBRE
Pour la connaissance symbolique, l’ombre apparaît comme une réalité lourde de toutes les angoisses humaines. Le pays de la mort est éprouvé comme le royaume des ombres. Sans être confondue avec l’âme, l’ombre lui est liée. Aussi, dans de nombreuses cultures des interdits entourent ce phénomène: ne pas marcher sur l’ombre d’autrui, ne pas jouer avec l’ombre de quelqu’un ou de soi-même. L’ombre est comme un double du corps, qui le relie à l’âme. Ce qui explique que celui qui vend son âme au diable perd son ombre. D’une façon plus menaçante encore, l’ombre symbolise une présence insaisissable et anonyme qui obsède. Cette angoisse peut se manifester par le sentiment d’être suivi ou d’être observé. L’ombre participe de l’invisible, du caché, du menaçant. Aussi, nombreuses sont les légendes où le passage vers l’inconnu est porte d’ombre. Symbolisant la latence, l’ombre sera perçue comme un «trou» dans le continu habituel du temps. Elle marque une suspension temporelle d’où tout peut surgir pour engloutir le sujet. Ce symbolisme, qui fait de l’ombre le seuil de l’inconnu, semble lié à la propriété étrange qu’a l’ombre de s’agrandir et de se rétrécir. Le passage vers l’invisible se découvre dans le mouvement de l’ombre. Dans de nombreuses cultures, midi, l’heure de l’ombre la plus courte, est l’heure dangereuse où les mondes tangibles et intangibles se chevauchent, et où s’entrouvre le passage sur l’au-delà. Pendant un instant, les formes réelles, les contours et les ombres se confondent. L’ombre est ainsi liée symboliquement à la question des rapports de la forme et de sa réalité sensible. Dans le mythe de la caverne, Platon reprend en ce sens ce symbole de l’ombre-illusion. C’est également pourquoi, selon Henry Corbin, les représentations symboliques du monde suprasensible (miniatures persanes, icônes) sont dénuées d’ombre. Mais l’ombre est tout autant une réalité symbolique à valeur bénéfique: la pénombre est le lieu propice à la méditation et le symbole de la sagesse cachée. Dans le taoïsme, le chemin du sage est celui qui se dessine à la limite de l’ombre et de la lumière. Sage est celui qui sait épouser les changements continuels du monde sublunaire, où ombre et lumière s’alternent.
Carl Gustav Jung a interprété le symbolisme de l’ombre comme la manifestation consciente d’un archétype majeur du processus d’individuation. La confrontation avec sa propre ombre constitue la première épreuve pour le moi. Dans les rêves, l’ombre peut apparaître comme un personnage sombre, menaçant, au visage caché. Certains tableaux de Chirico l’illustrent parfaitement, où seule une ombre laisse deviner la présence angoissante d’un personnage qui se tient hors champ. Mythologiquement, l’archétype de l’ombre est souvent représenté sous l’image d’un mur qui bloque toute avance d’un héros ou l’emprisonne dans un dédale menaçant. Regarder le visage caché, amener dans le champ le personnage qui s’y dérobe, combattre un monstre qui garde le passage vers l’autre côté du mur ou qui se cache au cœur du labyrinthe, ces gestes expriment la nécessité psychologique de reconnaître et d’intégrer une face cachée et inacceptable de soi. Dans le processus analytique de rencontre avec soi-même, l’ombre est le premier aspect de l’inconscient.
Dans l’œuvre de C. G. Jung, l’archétype de l’ombre recouvre plusieurs réalités psychologiques inconscientes.
L’ombre peut désigner le psychisme obscur, le flux subconscient qui, incessamment, nous habite, sans que nous y prenions la moindre garde, et comme indépendamment de nous. Elle manifeste une sorte de désappropriation de soi, un «oubli» des processus qui traversent la vie intérieure. En ce premier sens, l’ombre constitue la totalité indifférenciée de ce qui, à l’intérieur du psychisme, résiste à l’attention consciente. Moi habituel («on parle»), machine automatique efficace («on agit»), fantôme dans la machine («on pense»), corps muet («on vit»), telle peut se présenter l’ombre. Non pas le ça, mais plutôt le «on»: une subjectivité vague, anonyme, un oubli de soi, une inertie psychique. Admettre une telle dimension d’absence de sa propre vie, de ses propres sentiments, actes, pensées, humeurs, mouvements, etc., est quasi impossible pour le moi, qui s’affirme et s’affiche seul maître à bord du psychisme.
L’ombre peut correspondre à l’ensemble des défauts que présente nécessairement toute personnalité et que le moi refuse de reconnaître comme siens. Les mécanismes de défense de l’ego vis-à-vis de ces traits inacceptables sont multiples:
par minimalisation — banalisation (ce n’est pas bien grave), généralisation (tout le monde le fait), déculpabilisation (ça ne fait de mal à personne), faux aveu (ce que j’ai pu être bête), fatalité (c’est mon caractère);
par rejet plus ou moins violent — extériorisation (ce n’est pas de ma faute), projection (c’est la faute à), distance (comment peut-on faire cela?), négation (ce n’est pas moi qui ait pu faire cela);
par jugement négatif sur soi — mortification et autopunition, censure ou ostentation. En ce second sens, l’ombre recouvre tout ce que nous ne voulons pas être, tout ce que nous n’admettons pas en nous, surtout ce que nous ne voulons pas que les autres voient en nous.
L’ombre peut symboliser encore le pôle psychique inférieur de la personnalité. Elle correspond alors à la part de soi-même que les normes de l’adaptation sociale et l’obligation de faire des choix de vie nous ont contraint de laisser immature et inaccomplie. Elle se laisse deviner bien souvent par des comportements infantiles qui tranchent sur le reste de la personnalité. L’ombre est une partie vivante de la personnalité, mais elle n’a pas été vécue avec bonheur et épanouissement. Elle n’a pas été reconnue et mise en valeur, elle s’est développée hors de la clarté du conscient et du vécu habituel.
Selon Jung, la première étape du processus analytique revient à regarder son ombre, à l’accepter comme soi-même, puis à voir en elle des aspects positifs. La reconnaître, c’est se donner les moyens de se connaître. En effet, au cœur de l’ombre se révèle une présence à soi, un autre regard sur soi et sur le monde. Rendu plus humble, le moi découvre en son obscurité «une certaine qualité d’attention» à tout ce qui advient. «Par assimilation de l’ombre, l’homme acquiert en quelque sorte un corps» — il peut alors seulement expérimenter l’opacité que nous sommes à nous-mêmes. En devenant consciente, l’ombre «est intégrée au moi, ce par quoi l’homme se rapproche de la totalité. La totalité n’est pas la perfection, elle est l’intégralité de l’être».
1. ombre [ ɔ̃br ] n. f.
• umbre 980; n. m. jusqu'au XVIe; lat. umbra
I ♦
1 ♦ Zone sombre créée par un corps opaque qui intercepte les rayons d'une source lumineuse; obscurité, absence de lumière (surtout celle du soleil) dans une telle zone. Ombre partielle. ⇒ demi-jour, pénombre. Jeter, faire de l'ombre; projeter une ombre. Les stores font de l'ombre. L'ombre des arbres, des feuillages. ⇒ 1. couvert, ombrage. Arbres qui donnent de l'ombre. Il n'y a pas un coin d'ombre sur cette place. Chercher l'ombre. Loc. Faire de l'ombre à qqn, le gêner en interceptant la lumière, et fig. l'éclipser. — Astron. Zone (du système solaire) non éclairée par le Soleil. Hémisphère plongé dans l'ombre. Cône d'ombre d'un astre.
♢ À L'OMBRE. Il fait 40 degrés à l'ombre. Places à l'ombre et places au soleil, dans une arène. À l'ombre du vieux chêne. — Loc. fig. et fam. (1486) Mettre qqn à l'ombre, l'enfermer, l'emprisonner. Mettre à l'ombre de l'argent, des documents, les mettre en sécurité, les cacher. — À l'ombre de : sous la protection de, à l'abri de. « Le libéralisme, qui croissait à l'ombre de la Charte constitutionnelle » (Barbey). — DANS L'OMBRE. Dans l'ombre d'une forêt. Fig. Vivre dans l'ombre de qqn, constamment près de lui, dans l'effacement de soi.
2 ♦ Représentation d'une zone sombre, en peinture. ⇒ ombrer. Les ombres et les clairs. ⇒ clair-obscur, contraste; demi-teinte. Terre d'ombre : couleur servant à ombrer. ⇒ 3. ombre. — Loc. fig. Il y a une ombre au tableau : la situation comporte un élément négatif, un inconvénient (cf. Un point noir).
♢ Par anal. Place, tache sombre sur une surface plus claire. « Un léger duvet qui faisait une ombre sur ses lèvres » (France). — Ombre à paupières : fard qu'on étale sur les paupières.
3 ♦ Par ext. Littér. Obscurité. Les ombres de la nuit. « Dans l'ombre doublement obscure de la nuit et des rues profondes » (Michelet).
4 ♦ Fig. ⇒ obscurité, 2. secret. Rester, vivre, végéter dans l'ombre, dans une situation obscure, ignorée. ⇒ caché, inconnu. Sortir de l'ombre. ⇒ oubli . — Loc. Laisser qqch. dans l'ombre, dans l'incertitude, l'obscurité. ⇒ mystère. Certains détails ont été laissés dans l'ombre. De nombreuses zones d'ombre subsistent dans cette affaire. Ce qui se trame dans l'ombre. ⇒ secrètement.
II ♦ (1175)
1 ♦ Zone sombre reproduisant le contour plus ou moins déformé (d'un corps qui intercepte la lumière). ⇒ contour, image, silhouette. Ombre absolue, qu'un corps projette dans l'espace. Ombre relative, qu'il projette sur une surface, sur un autre corps. Ombre portée, qu'un corps projette sur une surface. Ombre droite (portée sur un plan horizontal), renversée (sur un plan vertical).— Longueur, direction des ombres, selon la position du soleil. Ombre méridienne, la plus courte, celle de midi. « La lumière de la lampe faisait danser son ombre au mur, la diminuant et l'allongeant tour à tour » (Bernanos).
♢ Loc. fig. Avoir peur de son ombre : être très craintif, pusillanime. — Vieilli Être comme l'ombre et le corps, se dit d'amis inséparables (cf. Comme cul et chemise, comme les doigts de la main). — Suivre qqn comme une (son) ombre.
2 ♦ Plur. Ombres projetées sur un écran, une surface plane, pour constituer un spectacle. Théâtre d'ombres. Ombres chinoises : projection sur un écran de silhouettes découpées. ⇒ image, silhouette.
3 ♦ Apparence, forme imprécise (spécialt humaine) dont on ne discerne que les contours. Entrevoir deux ombres qui s'enfuient.
4 ♦ Par métaph. (l'ombre étant considérée comme l'apparence changeante, transitoire et trompeuse d'une réalité) ⇒ reflet. « La peine et le plaisir passent comme une ombre » (Rousseau),sont éphémères. — Loc. Lâcher, (laisser, abandonner) la proie pour l'ombre, un avantage certain pour une espérance vaine.
♢ Fig. Chose, apparence fragile et vaine. ⇒ apparence, chimère, simulacre. « Nous poursuivons des songes et nous embrassons des ombres » (France) .
♢ UNE OMBRE DE : la moindre apparence, la plus petite quantité de (souvent en tournure négative). ⇒ soupçon, trace. Elle n'avait pas l'ombre d'un remords. Il n'y a pas l'ombre d'un doute. « Il n'y avait eu de la part de madame de Parnes ombre de sévérité ni de résistance » (Musset).
5 ♦ (1608) Dans certaines croyances, Apparence d'une personne qui survit après sa mort. ⇒ âme, double, fantôme, mânes. Le royaume des ombres.
6 ♦ Reflet affaibli (de ce qui a été). Loc. Être (n'être plus que) l'ombre de soi-même, très amaigri, ou diminué intellectuellement.
⊗ CONTR. Clarté, éclairage, lumière. — Réalité; 2. vivant.
ombre 2. ombre [ ɔ̃br ] n. m.
• umbre « poisson du genre sciène » fin XIVe; lat. umbra « poisson de teinte sombre »
♦ Poisson de rivière (salmoniformes) voisin du saumon et de l'omble (sa bouche est plus petite). Ombre de rivière, d'Auvergne.
♢ Abusivt Ombre chevalier : omble chevalier.
ombre 3. ombre [ ɔ̃br ] n. f.
♦ Terre brune, qui sert à ombrer (SYN. terre d'ombre, terre de Sienne).
● ombre nom féminin (latin umbra) Zone sombre résultant de l'interception de la lumière ou de l'absence de lumière : Au soleil couchant, la vallée est dans l'ombre. Silhouette sombre, plus ou moins déformée, que projette sur une surface un corps qui intercepte la lumière : Les ombres des arbres s'allongent vers le soir. Forme sombre qui apparaît sur une surface faisant un écran à demi transparent, interceptant la lumière : Je vois une ombre derrière le rideau. Tache, zone sombre sur un fond plus clair : Un léger duvet faisait une ombre sur ses lèvres. Forme indécise de quelqu'un que l'on voit à peine dans une demi-obscurité : Apercevoir une ombre dans le jardin. Littéraire. Très petite quantité de quelque chose, trace, soupçon : Une ombre de tristesse passa dans son regard. Il n'y a pas l'ombre d'un doute. Cosmétologie Produit cosmétique coloré destiné au maquillage des paupières. Mythologie Personne défunte, qu'on se représentait comme une espèce de fantôme, sans réalité matérielle. Psychanalyse Image onirique caractérisée par un attribut noir et qui, selon C. G. Jung, représenterait tout ce qui a été écarté de la conscience comme incompatible avec le moi. ● ombre (citations) nom féminin (latin umbra) Yves Bonnefoy Tours 1923 Le dormeur est une ombre, lui qui ouvre sa porte aux ombres. L'Improbable Mercure de France Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 Nous nous promenons entre des ombres, ombre nous-mêmes pour les autres et pour nous. Éléments de physiologie Eugène Grindel, dit Paul Eluard Saint-Denis 1895-Charenton-le-Pont 1952 Chacun est l'ombre de tous. Les Armes de la douleur, V Éditeurs français réunis Pierre Fournier, dit Pierre Gascar Paris 1916-Lons-le-Saunier 1997 Il y a, en nous, une part d'éternité dépendant de l'ombre. L'Arche Gallimard Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ; Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle. La Légende des siècles, Booz endormi Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 Le splendide génie éternel n'a pas d'ombre. Poésies, Toast funèbre Roger Nimier Paris 1925-Garches 1962 Certaines vérités n'ont de force que dans l'ombre et piétinées. Au grand jour, elles s'envolent, regagnent leur ciel impérissable. Le Hussard bleu Gallimard Tristan Tzara Moineşti, Roumanie, 1896-Paris 1963 Chaque ombre à son âme reconnaît la lumière. Entre-temps Le Calligraphe Anonyme Nos jours passent comme des ombres. Sicut umbrae dies nostri. Pindare Cynoscéphales, près de Thèbes, 518 avant J.-C.-Argos ? 438 avant J.-C. L'homme est le rêve d'une ombre. Huitième Pythique, 95 Sophocle Colone, près d'Athènes, entre 496 et 494 avant J.-C.-Athènes 406 avant J.-C. Je vois bien que nous ne sommes, nous tous qui vivons ici, rien de plus que des fantômes ou que des ombres légères. Ajax, 125-126 (traduction Mazon) Bible Nous, nés d'hier, nous ne savons rien, notre vie sur terre passe comme une ombre. Ancien Testament, Job VIII, 9 Commentaire « Sicut umbrae dies nostri. » Citation empruntée à la « Bible de Jérusalem ». Charles Dickens Portsmouth 1812-Gadshill, près de Rochester, 1870 Les plus jolies choses du monde, Tom, ne sont que des ombres. The loveliest things in life, Tom, are but shadows. Martin Chuzzlewit, 12 ● ombre (difficultés) nom féminin (latin umbra) Emploi Ombre entre dans plusieurs locutions proches par la forme, moins par le sens. 1. À l'ombre de :nous nous sommes étendus à l'ombre des grands arbres. Sens propre. - Au figuré. « Une populace en haillons [...] qui végétait à l'ombre du palais »(G. Flaubert) = dans sa proximité et sous sa protection. 2. Sous l'ombre de :se promener sous l'ombre noire des sapins. Sens propre. - Au figuré : sous l'ombre d'œuvres sociales s'est développée une affaire très lucrative (= sous le couvert de). 3. Sous ombre de, que = sous prétexte de, que. « Et sous ombre d'agir pour ses folles amours [...] »(Corneille). « Sous ombre que vous écrivez comme un petit Cicéron, vous croyez qu'il vous est permis de vous moquer des gens »(Mme de Sévigné). Tournure littéraire et vieillie. ● ombre (expressions) nom féminin (latin umbra) À l'ombre, dans une zone où les rayons du soleil ne portent pas ; en prison (familier). À l'ombre de, dans la zone d'ombre projetée : S'endormir à l'ombre des arbres ; à l'abri, sous la protection de (dans la langue littéraire) : À l'ombre des lois. Avoir peur de son ombre, être très peureux. Courir après son ombre, se livrer à des espérances chimériques. Dans l'ombre, à une place obscure, effacée, peu en vue ; dans le secret, le mystère. Dans l'ombre de quelqu'un, dans son entourage, mais à une place effacée. Être l'ombre de quelqu'un, suivre quelqu'un comme son ombre, le suivre partout, fidèlement, pas à pas ; être dépendant de lui. Être, n'être plus que l'ombre de soi-même, être très amaigri ou diminué intellectuellement. Faire de l'ombre à quelqu'un, le gêner en interceptant la lumière près de lui. Familier. Il y a une ombre au tableau, il y a un inconvénient, un élément d'inquiétude dans une situation plutôt favorable. Laisser quelque chose dans l'ombre, ne pas l'expliquer, laisser un doute. Passer comme une ombre, passer rapidement, être de courte durée. Sortir de l'ombre, se faire connaître ou reconnaître après une période d'anonymat, de silence. Ombre aérodynamique, zone de turbulence créée derrière l'aile ou l'empennage d'un avion. Plante d'ombre, végétal vert qui ne se développe bien que dans les lieux peu éclairés (fougères, certaines mousses). Point d'ombre, sorte de grand point de chausson, exécuté sur un tissu transparent et sur son envers. Royaume, empire ou séjour des ombres, l'enfer. Ombre portée, zone non éclairée d'un plan, située en arrière d'un objet par rapport à la source de lumière. Ombre propre, partie non éclairée d'un objet, située à l'opposé de la source de lumière. Essence d'ombre, essence qui tolère un certain ombrage ou essence qui, dans sa jeunesse, a besoin pour se développer du couvert d'autres arbres, par opposition à l'essence de lumière. Théâtre d'ombres, ou ombres chinoises, spectacle d'origine chinoise, indienne ou tibétaine introduit à Paris vers 1770, dans lequel les personnages sont des silhouettes noires éclairées par l'arrière et apparaissant sur un écran blanc transparent. ● ombre (homonymes) nom féminin (latin umbra) hombre nom masculin ombre forme conjuguée du verbe ombrer ombrent forme conjuguée du verbe ombrer ombres forme conjuguée du verbe ombrer ● ombre (synonymes) nom féminin (latin umbra) Zone sombre résultant de l'interception de la lumière ou de...
Synonymes :
- couvert
- pénombre
Contraires :
- lumière
Littéraire. Très petite quantité de quelque chose, trace, soupçon
Synonymes :
- semblant
Être, n'être plus que l'ombre de soi-même
Synonymes :
Sortir de l'ombre
Synonymes :
- obscurité
- oubli
Botanique. Plante d'ombre
Synonymes :
- sciaphyte
● ombre
nom féminin
(de Ombrie)
Synonyme de terre d'ombre.
● ombre
nom masculin
(latin umbra, poisson)
Poisson (salmonidé) d'eau douce, possédant un corps élancé, une longue dorsale, une petite bouche, des dents faibles. (L'ombre se plaît dans les eaux fraîches et claires à courant lent. On le trouve dans les bassins du Rhône, de la Moselle et de la Loire.)
● ombre (homonymes)
nom féminin
(de Ombrie)
hombre
nom masculin
ombre
forme conjuguée du verbe ombrer
ombrent
forme conjuguée du verbe ombrer
ombres
forme conjuguée du verbe ombrer
● ombre (synonymes)
nom féminin
(de Ombrie)
Synonymes :
- terre d'ombre
● ombre (homonymes)
nom masculin
(latin umbra, poisson)
hombre
nom masculin
ombre
forme conjuguée du verbe ombrer
ombrent
forme conjuguée du verbe ombrer
ombres
forme conjuguée du verbe ombrer
ombre
n. f.
rI./r
d1./d Obscurité provoquée par un corps opaque qui intercepte la lumière. L'ombre qui règne dans les forêts.
|| Par ext. L'ombre, les ombres de la nuit, son obscurité.
d2./d Image, silhouette sombre projetée par un corps qui intercepte la lumière. Voir son ombre sur la route.
|| Ombres chinoises: ombres de figures découpées ou de mains dans différentes positions, portées sur un écran et figurant des animaux, des personnages, etc.
— Théâtre d'ombres.
|| Loc. fig. Suivre qqn comme son ombre, être l'ombre de qqn, le suivre partout.
— Lâcher la proie pour l'ombre, un avantage réel pour un faux-semblant.
— Avoir peur de son ombre: être très craintif.
— L'ombre de: l'apparence de. Il n'y a pas l'ombre d'un doute.
d3./d Partie couverte de couleurs plus sombres, de hachures, etc., représentant les ombres, dans un tableau, un dessin.
|| Loc. fig. Il y a une ombre au tableau: la situation n'est pas totalement bonne.
d4./d Fantôme, apparence à demi matérialisée d'un mort, dans certaines croyances. Royaume des ombres.
— Fig. être l'ombre de soi-même: être diminué, affaibli au point de n'être plus soi.
d5./d Fig. Obscurité, incognito. Rester dans l'ombre.
rII./r Loc. adv. à l'ombre, dans un endroit abrité du soleil.
|| Fig., litt. à l'ombre de: dans le voisinage de; sous la protection de.
————————
ombre
n. m. ICHTYOL Poisson malacoptérygien (Thymallus), long de 25 à 40 cm, de couleur brunâtre, qui vit dans les eaux courantes d'Europe, à la chair estimée.
I.
⇒OMBRE1, subst. fém.
I. —[P. oppos. à la pleine lumière en gén.]
A. —1. Diminution plus ou moins importante de l'intensité lumineuse dans une zone soustraite au rayonnement direct par l'interposition d'une masse opaque. Ombre épaisse, froide; coin, trou d'ombre; chercher l'ombre; trouver un peu d'ombre; être noyé, plein d'ombre; se remplir d'ombre; être, se cacher, luire, rentrer dans l'ombre.
a) Interception de la lumière par le feuillage des arbres. Ombre verte; donner, faire, jeter de l'ombre. Les feuilles de palmier nous couvraient d'une ombre propice; mais, hors de cette ombre, l'embrasement de la terre et des cieux était tel que nos yeux n'en auraient pu supporter l'éclat (G. LEROUX, Parfum, 1908, p.74). L'ombre n'est pas un endroit du paysage où la lumière cesse, mais où elle est subordonnée à une lumière qui nous paraît plus intense (MAUCLAIR, Maîtres impressionn., 1923, p.25):
• 1. La forêt masse en vain ses feuillages plus lents;
Le soleil, à travers les cimes incertaines
Et l'ombre où rit le timbre argentin des fontaines,
Se glisse, darde et luit en jeux étincelants.
HEREDIA, Trophées, 1893, p.20.
— BOT. Essence, plante d'ombre. Végétal capable de se développer en des lieux à faible luminosité, notamment sous le couvert des arbres. Les hêtres et les sapins sont par excellence des essences d'ombre. Les premiers aiment l'ombre froide, si froide qu'elle devient mauvaise aux autres individus (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p.23). Les sciophytes (...) sont des plantes d'ombre; elles se contentent d'une lumière atténuée et habitent même les stations obscures (Bot., 1960, p.1284 [Encyclop. de la Pléiade]). V. essence2 ex. 1.
b) Interception de la lumière par un écran quelconque. Ombre bleuâtre, noire. On allait (...) détruire les petites rues, supprimer l'ombre, et il n'y aurait plus place pour les penseurs sans domicile dans les coins obscurs (VALLÈS, Réfract., 1865, p.55):
• 2. Quoique le soleil donnât en plein dans la cour dont le sol brillait inondé d'une lumière crue, une ombre bleue et fraîche, transparente dans son intensité, baignait l'appartement où l'oeil, aveuglé par les ardentes réverbérations, cherchait d'abord les formes et finissait par les démêler lorsqu'il s'était habitué à ce demi-jour.
GAUTIER, Rom. momie, 1858, p.195.
c) Locutions
♦Il fait, il y a, par (x) degrés à l'ombre. Il balance son parapluie, il y a trente-huit degrés à l'ombre (NIZAN, Conspir., 1938, p.121).
— Familier
♦Être, mettre qqc. à l'ombre. Être, mettre en lieu sûr. La servante du maire avait mis à l'ombre toutes ses provisions et ne nous avait réservé que ses injures (Mme DE CHATEAUBR., Mém. et lettres, 1847, p.97).
♦Être, mettre qqn à l'ombre. Être, mettre en prison. Ce n'est pas la première fois qu'on le met à l'ombre. Son Altesse a déjà fait trois ans de maison centrale (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p.128).
♦Vx. Mettre qqn à l'ombre. Mettre sous terre, tuer. Garcia devait te tuer. Ta garde navarraise n'est qu'une bêtise, et il en a mis à l'ombre de plus habiles que toi (MÉRIMÉE, Carmen, 1847, p.64).
2. Au fig. Ce qui abrite, protège, exerce une influence bienfaisante. Plus notre vie est publique et plus nous avons besoin d'une tendresse cachée; plus nous sommes exposés aux regards et aux coups, et plus nous est nécessaire l'ombre d'un coeur (MAURIAC, Journal 2, 1937, p.197).
— À l'ombre (de). Sous la protection de. Notre temps n'offre plus de ces facilités de développer à loisir les dons les plus délicats de l'esprit, à l'abri des misères du siècle, à l'ombre d'une immense institution (VALÉRY, Variété IV, 1938, p.24).
B. —P. méton. Partie d'une oeuvre figurant par des hachures, des couleurs plus sombres, etc., les aspects les moins lumineux d'un objet. Jeu d'ombre(s) et de lumière(s); ménager les ombres. Les réalistes de toutes les écoles ont aimé ces ombres violentes qui rendent fortement le relief des corps et font plus éclatantes les clartés (HOURTICQ, Hist. art, Fr., 1914, p.398). Rien n'est plus beau qu'un vrai dessin, tout nu, sans ombres ni hachures (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p.277):
• 3. ... [Velasquez] formulait la silhouette par un trait continu, le volume par de savantes gradations de l'ombre qui se superposaient au coloris indiquant la chair.
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p.197.
♦Terre d'ombre. V. ombre3.
♦P. métaph. Il [le musicien] y trouve [dans les instruments de l'orchestre] tous les tons nécessaires pour revêtir sa pensée, son dessin mélodique, son tissu harmonique, pour y produire des lumières et des ombres (LAVIGNAC, Mus. et musiciens, 1895, p.214).
— Locutions
♦Vx. C'est une ombre au tableau. C'est un léger défaut qui rehausse les qualités de telle chose ou personne, sans les effacer. (Dict. XIXe s. notamment).
♦Il y a une ombre au tableau, faire ombre au tableau. Il y a/présenter une disparité qui nuit à l'harmonie de l'ensemble. On s'extasiait à tout ce qu'il disait. C'était l'esprit gaulois dans sa fleur (...). Quand le train du château eut pris un cours brillant et régulier, on commença de remarquer qu'il faisait ombre et tache au tableau (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p.88):
• 4. Il n'y eut, à l'aller, qu'une ombre à ce tableau innocent. Nous aperçûmes marchant devant nous Gilberte Poquelin. Elle avait (...) l'air doux et effronté d'une gamine qui devient une jeune fille.
ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p.216.
C. —P. anal.
1. (Endroit marqué par une) coloration foncée sur une surface plus claire. À travers une eau limpide on discerne les mousses vertes en taches d'ombre sur le fond (LOUYS, Aphrodite, 1896, p.79). Je craignais que l'on pût lire sur mon visage les signatures éclatantes du plaisir, en ombres sous mes yeux, en relief sur ma bouche (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p.122).
♦COSMÉT. Ombre à paupières. Poudre colorée qui s'applique sur les paupières. L'ombre et le fard à paupières crème, le crayon qui souligne (...) le bord des paupières (F Magazine, janv. 1978, n° 1, p.83).
2. Au fig. Faute, souillure morale; aspect négatif, répréhensible de quelque chose. Le rôle que tu joues est un rôle de boue et de lèpre (...); j'ai laissé l'ombre de ta mauvaise réputation passer sur mon honneur (MUSSET, Lorenzaccio, 1834, III, 3, p.179). Osons donc l'aimer [Villon] pour ses erreurs, qui ont été l'ombre de son rayonnement (CARCO, Nostalgie Paris, 1941, p.136).
— Locutions
♦Vx. Jeter une ombre sur. V. jeter I E 1 au fig.
♦Sans (une) ombre. Sans défaut, sans tache. Cet amour s'était conservé intact, sans une ombre, sans une paille, durant douze années (JAMMES, Mém., 1922, p.141).
D. —P. ext., littér.
1. Absence totale de lumière, nuit. Quand les longues ombres de la nuit descendent sur la terre et la peuplent d'images fantastiques (COTTIN, Mathilde, t.2, 1805, p.274). Ah! ces voix des portraits quand le jour va finir! (...) Avec qui nous causions souvent dans le silence Quand l'ombre s'épandait en noirs tulles flottants (RODENBACH, Règne silence, 1891, p.26):
• 5. L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.
HUGO, Légende, t.1, 1859, p.86.
— Poét. La reine des ombres. La lune. Le crépuscule encor jette un dernier rayon, Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte (LAMART., Médit., 1820, p.11).
2. Au fig.
a) Ce qui attriste, inquiète, assombrit le moral, nuit à la sérénité de l'esprit. Ma vie n'aurait peut-être pas été complète sans cette angoisse, ce sera une ombre qui fera valoir des jours célestes (BALZAC, Ferragus, 1833, p.113). Enchantement (...) à qui rien ne résiste. Ni les désillusions, les lassitudes, les déboires, ces ombres qui assaillent l'homme (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p.248).
— Loc., littér., vieilli
♦Faire ombre sur; donner, jeter de l'ombre à qqn. Rendre défiant, jaloux, etc. Synon. plus cour. donner, faire, porter ombrage à (qqn). Mazetto: Prenez garde à la jettatura, seigneur Fabio! (...) Fabio, seul: Je suis fatigué de voir la tête de ce coquin faire ombre sur mon amour (NERVAL, Filles feu, Corilla, 1854, p.666).
♦Rare. Prendre une ombre. Synon. de prendre ombrage. Nous (...) avons eu la sottise de moquer une petite crise d'orgueil fort excusable à cet âge. Le jeune homme en a pris une ombre que nous ne soupçonnions pas (COCTEAU, Bacchus, 1952, I, 3, p.49).
— P. méton. Expression de tristesse, d'inquiétude. Une ombre passa sur le visage de Condé, éteignit le sourire paterne et durcit les traits (CHARDONNE, Varais, 1929, p.185).
b) Ce qui dissimule, empêche de connaître; ce qui est caché, oublié, mystérieux. Si l'Essai fut un moment connu en France, il fut presque aussitôt oublié (...); une ombre subite engloutit le premier rayon de ma gloire (CHATEAUBR., Mém., t.1, 1848, p.472). L'ombre complice qui s'élève de toutes parts pour cacher l'assassinat (FAURE, Hist. art, 1921, p.67):
• 6. Ce que nous avons de plus nôtre, de plus précieux est obscur à nous-mêmes (...) je suis transparente pour quelqu'un [M. Teste], je suis vue et prévue, telle quelle, sans mystère, sans ombres, sans recours possible à mon propre inconnu, —à ma propre ignorance de moi-même!
VALÉRY, Soirée avec M. Teste, 1895, p.47.
— Locutions
♦Agir, se passer, se tramer dans l'ombre. Agir,... en secret. Le père Walter, député muet (...), sachant s'effacer, s'occupait dans l'ombre, disait-on, d'une grosse affaire de mines de cuivre, au Maroc (MAUPASS., Bel-Ami, 1885, p.290).
♦Laisser, rejeter, etc. qqc. dans l'ombre. Laisser,... dans le doute, sans explication; ne pas mettre en évidence. En clinique, laisser dans l'ombre les altérations des vaisseaux lymphatiques (...), mettre en pleine lumière les altérations bronchiques (CADET DE GASSICOURT, Mal. enf., t.2, 1880, p.193).
♦Laisser qqn dans l'ombre ou, [le suj. désignant une pers.], demeurer, être, rentrer, rester, végéter, vivre, etc. dans l'ombre/ (plus rarement) à l'ombre. Laisser... dans le retrait, l'effacement, l'oubli. Comment la femme qui a été vantée peut-elle se résoudre à ne l'être plus? Se croit-elle vivante si elle reste à l'ombre, et s'il y a silence autour de sa beauté? (MUSSET, Confess. enf.s., 1836, p.365). En couple heureux et sage, Ils vivent là dans l'ombre (LORRAIN, Modern., 1885, p.34).
♦Sortir de l'ombre. Sortir de l'anonymat, devenir célèbre. Lorsqu'aux environs de 1889 il sortit de l'ombre, où il avait jusque-là vécu, Carrière ne jugea point qu'il était un homme arrivé (SÉAILLES, E. Carrière, 1911, p.93).
♦Vivre dans l'ombre de qqn. Vivre dans l'entourage et la dépendance de quelqu'un en restant au second plan, généralement par modestie, abnégation. Si du moins il pouvait avoir un tort grave envers moi, qui d'un coup me libérerait! (...) Il y a six ans que je vis dans son ombre. (...) c'est une ombre qui me fait un froid dont je meurs (MONTHERL., Malatesta, 1946, IV, 4, p.517).
♦Littér., vx. Sous ombre de, que. Sous couvert d'un prétexte, de raisons fallacieuses. Il a attrapé bien des gens sous ombre de dévotion (Ac. 1798-1935).
c) Littér. Mort. Ô terreur! C'est la mort qui brusquement se dresse, La grande aveugle, l'ombre implacable et sans yeux (HUGO, Année terr., 1872, p.319):
• 7. Comme tout nous surprend dès qu'un homme est passé
Dans l'ombre où ne vient pas l'aurore!
Se peut-il que l'on soit, l'un du côté glacé,
L'autre du côté tiède encore?
NOAILLES, Forces étern., 1920, p.65.
— P. méton., vieilli. Ombres de la mort. Manifestations (physiques notamment) de l'approche de la mort. Il perdit connoissance. Les ombres de la mort, ainsi qu'une sueur froide, inondèrent bientôt son visage (CRÈVECOEUR, Voyage, t.2, 1801, p.368).
II. —[P. réf. à un corps précis]
A. —1. Figure sombre projetée par un corps qui intercepte la lumière, et reproduisant plus ou moins exactement le contour de ce corps. Ombre projetée; grande(s), longues, petite ombre(s); les ombres du soir; jeter, projeter une/son ombre; les ombres s'allongent. À mes pieds l'ennemie, Mon ombre! La mobile et la souple momie, De mon absence peinte effleurait sans effort La terre où je fuyais cette légère mort (VALÉRY, J. Parque, 1917, p.100). Son ombre répétant ce geste dessinait sur le sol une silhouette mince et biscornue (LACRETELLE, Silbermann, 1922, p.94):
• 8. C'est l'heure où l'on allume les lanternes. Alors les ombres s'éveillent sur les grands espaces blancs des murs. Les unes dessinent des nez grotesques dans des visages sans yeux (...); elles surgissent de la paroi par une sorte de prodige, grandissent soudain, montent jusqu'au plafond. D'autres, impalpables, effleurent à peine la blancheur du mur de leur frôlement...
MOSELLY, Le Rouet d'ivoire ds Cahiers de la quinzaine, 1907, n° 4-6, p.26.
— [P. allus. à l'oeuvre de CHAMISSO, Hist. merveilleuse de Peter Schlemihl ou l'Homme qui a vendu son ombre, 1814] Vendre son ombre au diable. Le héros d'Adelbert, Peter Schlemihl, avait vendu son ombre au diable: j'aurais mieux aimé lui vendre mon corps (CHATEAUBR., Mém., t.3, 1848, p.61).
— Loc. fig.
♦Avoir peur de son ombre. Être très peureux. [Les révolutionnaires] se ruaient à l'insanité avec une sorte d'allégresse et de défi, entraînant derrière eux ces stagnants, qui ont peur des mots et de leur ombre (L. DAUDET, Le Stupide XIXe s., 1922, p.24).
♦Courir après son ombre. V. courir I B 2 b.
♦Sauter au delà/hors de son ombre; vous me feriez sauter mon ombre. (Vous me feriez) tenter l'impossible. Sortir de son cadre est une convoitise; sauter hors de notre ombre nous tente les uns et les autres comme la plus délicieuse des espiègleries à faire à notre destinée. (...) on rêve l'impossible (AMIEL, Journal, 1866, p.200).
2. Spécialement
a) ASTRON. Cône d'ombre. V. cône A 1 a.
b) BEAUX-ARTS, PHYS., etc.
— Ombre absolue, droite, infinie, relative, renversée; ombre au flambeau, au soleil:
• 9. L'ombre portée qui se projette sur le plan horizontal d'un objet perpendiculaire à celui-ci est une ombre droite. L'ombre qui se projette sur un plan vertical est une ombre renversée. Ces deux ombres, appelées toutes deux relatives peuvent se produire ensemble; au contraire, une ombre qui ne rencontre pas de surface sur laquelle elle peut se projeter, comme l'ombre de la terre dans l'espace, est dite absolue. Lorsque la source lumineuse se trouve plus bas que le sommet de l'objet projetant une ombre, cette dernière a tendance à s'allonger indéfiniment; elle est dite pour cela ombre infinie. (...) L'ombre au flambeau est celle qui est produite par une source lumineuse artificielle, par opposition à l'ombre solaire, dite naturelle ou ombre au soleil.
BÉG. Dessin 1978, pp.398-399.
— Ombre méridienne. V. méridien I A.
— Ombre portée. Ombre projetée par un corps sur un plan quelconque. V. ex. 9. P. métaph. La présence d'une secrétaire amie ne détruit pas en son centre la méditation solitaire, mais l'effleure de l'ombre portée d'une tutélaire tendresse (DU BOS, Journal, 1927, p.213).
c) SPECTACLES
— Ombres chinoises. V. chinois II A 3 b.
— Théâtre d'ombres. Spectacle à base d'ombres chinoises. En 1784, François-Séraphin Dominique (...) obtint de Louis XVI l'autorisation de présenter au Palais-Royal un théâtre d'Ombres chinoises, ou Figures à la Silhouette (...). Toute une littérature naquit de pièces écrites pour le théâtre d'ombres, les plus célèbres étant Le Pont cassé et La Chasse aux canards de Guillemain (Cl. AVELINE, Le Code des jeux, Paris, 1961, p.372).
— Arg. polytechnique. Séance des ombres. Fête annuelle où officiers, professeurs, membres du personnel, sont caricaturés par les élèves (1861) (d'apr. ESN. 1966). Chaque année a lieu la séance des ombres, où l'on montre aux deux promos les ombres, ou silhouettes, de tout le personnel de l'École [avec des laïus cocasses] (MOCH, X-Lex., 1878, p.43).
B. —P. anal. Forme vague (notamment humaine). Ombres mouvantes, silencieuses; ombres d'hommes; une/des ombre(s) passe(nt). Je le suivis quelque temps du regard. Bientôt il ne fut plus qu'une silhouette mouvante, une ombre, un rêve dans la nuit (THARAUD, Fête arabe, 1912, p.291). Elle crut apercevoir une forme, une ombre dans une attitude menaçante; elle se signa. L'ombre disparut (JOUVE, Paulina, 1925, p.206).
— Spécialement
♦BROD. Point d'ombre. Broderie exécutée sur un tissu transparent, caractérisée par des points croisés d'un bord à l'autre du motif sur l'envers du tissu et soulignant en point de piqûre le contour du motif sur l'endroit du tissu. Robe de bébé en linon blanc (...) ornée de fleurs brodées en guirlande au point d'ombre (...). Le point d'ombre est utilisé dans la lingerie et plus encore, dans la layette fine (linon, nansouk, organdi) (Les Points de broderie, Lille-Paris, coll. Thiriez et Cartier-Bresson, s.d., p.27).
♦HÉRALD. Figure réduite à son contour. Croix d'azur, cantonnée de quatre ombres de soleil de gueules (GRANDM. 1852).
C. —P. anal. ou au fig.
1. Chose, personne qui accompagne obligatoirement, fidèlement telle autre (parfois en l'imitant exactement). Être l'ombre de qqn. Guénegaud était le chien et l'ombre de la Faustin au théâtre (E. DE GONCOURT, Faustin, 1882, p.139). Si le souvenir n'est que l'exact décalque, l'ombre de la perception, d'où la représentation peut-elle jaillir? (SARTRE, Imagination, 1936, p.56). J'ai la vanité de me croire supérieur (...) à la mère de mes enfants, à cette ombre tranquille qui m'accompagne (ARNOUX, Algorithme, 1948, p.12).
— Littér. [P. réf. à l'Antiq. romaine] Personne amenée par un invité, convive. Elle bâillait haut, tapait du poing son estomac exigeant, et descendait entraînant les ombres de son festin (...). Point d'hommes à table, ni de rivale (COLETTE, Apprent., 1936, p.27).
— Locutions
♦Être comme l'ombre et le corps; c'est l'ombre et le corps. Être/ce sont des personnes inséparables. (Dict. XIXe et XXe s.).
♦Ne pas lâcher, quitter, etc. qqn plus que son ombre; suivre qqn comme son ombre. Suivre pas à pas, inéluctablement. Ce jeune homme (...) qui ne lâche pas le vicomte plus que son ombre. (...) le meilleur ami de M. le vicomte (HERMANT, M. de Courpière, 1907, I, 1, p.4). La légende suit l'homme public comme son ombre. Mais c'est presque toujours une ombre fausse (MORAND, Excurs. immob., 1944, p.36).
2. Apparence trompeuse, image imparfaite de quelque chose; phénomène éphémère. Ombres vaines. Cette rapide fantasmagorie (...) ces ombre fugitives de gouvernement qui se chassaient les unes les autres (A. DE BROGLIE, Diplom. et dr. nouv., 1868, p.171). Je me mets au travail (...). Ce visage de l'écriture étant somme toute mon vrai visage. L'autre, une ombre qui s'efface. Vite, que je construise mes traits d'encre pour remplacer ceux qui s'en vont (COCTEAU, Diff. d'être, 1947, p.220).
♦[P. allus. à La Caverne de Platon]:
• 10. Je crois que le monde des apparences est le seul qui nous sera jamais connu, que notre esprit ne peut atteindre une réalité essentielle, distincte de ces apparences (...) et que, pour l'homme, les ombres de la caverne, telles qu'elles ont été perçues par lui ou par d'autres hommes, sont la seule réalité.
MAUROIS, Mes songes, 1933, p.218.
— Locutions
♦Courir après une ombre. Tenter d'atteindre un objectif irréalisable. En poursuivant en moi quelque secret, vous courez après une ombre (BERNANOS, Crime, 1935, p.786).
♦[P. allus. à LA FONTAINE, Fables VI, 17: Le chien qui lâche sa proie pour l'ombre] Lâcher, laisser, etc. la proie pour l'ombre. Négliger une certitude pour se livrer à un espoir chimérique:
• 11. ... beaucoup d'autres spéculations et inventions de mon père ne se sont réalisées (...) qu'au bout d'un quart de siècle et d'autres spéculateurs ou financiers en touchèrent les bénéfices (...), mon père ayant depuis longtemps lâché la proie pour l'ombre.
CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p.111.
♦Passer comme une ombre. Être fugace, n'avoir qu'un rôle transitoire. Mais vous m'oublierez, j'aurai passé comme une ombre. (...) Oh! non, n'est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensée, dans votre vie? (FLAUB., Mme Bovary, t.1, 1857, p.171).
♦Vieilli. Prendre l'ombre pour le corps. Prendre l'apparence pour la réalité. (Dict. XIXe et XXe s.).
3. Image affaiblie d'une réalité passée. La Cène, hélas! à demi effacée, ombre d'un chef-d'oeuvre qui fait pâlir tous les chefs-d'oeuvre (GAUTIER, Guide Louvre, 1872, p.29). À chaque pas un sentiment se lève, l'ombre d'un souvenir, la trace fraîche ou effacée d'une passion (GHÉON, Promenades Mozart, 1932, p.255).
— Loc. N'être plus que l'ombre de soi-même. Avoir perdu la majeure partie de ses forces physiques et/ou morales. Il lui répondit que sa santé était bonne, mais qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même (L. DE VILMORIN, Sainte, 1934, p.18).
— En partic.
♦MYTH. (notamment gréco-romaine). Ce qui survit d'un défunt aux Enfers:
• 12. ... je souhaitais ardemment de converser avec l'ombre de Virgile. Ayant dit, je (...) m'élançai sans peur dans le gouffre fumant qui conduit aux bords fangeux du Styx, où tournoient les ombres comme des feuilles mortes (...). Charon me prit dans sa barque, qui gémit sous mon poids, et j'abordai la rive des morts...
A. FRANCE, Île ping., 1908, p.160.
Loc. Ombres heureuses (v. ce mot II A). Empire, royaume, séjour des ombres. Les Enfers. Ce vivant qui, peut-être, s'engagerait bientôt dans le royaume des ombres (VIALAR, Rendez-vous, 1952, p.226).
♦Littér. Défunt tel qu'il se présente à la mémoire des survivants ou lors d'une apparition. Les spirites ne sont jamais parvenus (...) à évoquer une ombre authentique, un spectre pour de bon (COPPÉE, Bonne souffr., 1898, p.121):
• 13. «(...) Quelle population entraîne dans l'oubli un vieillard qui meurt! Déjà, les salons sont remplis de parents, peints, sculptés (...). Je suis gardien d'un cimetière; non, pas d'un cimetière, je ne peux pas les croire morts: je me glisse au milieu des ombres: pardon, jolie grand'mère; mes excuses, l'oncle!» Les figures devenaient de plus en plus précises...
LA VARENDE, Homme aux gants, 1943, p.352.
P. anal. Personne à l'aspect fantomatique. La phtisie l'a diaphanisé. De petit et maigre, il est devenu une ombre. Ses rares poils ont blanchi sur sa figure spectrale (GONCOURT, Journal, 1865, p.144).
4. Ce qui est sans poids, sans épaisseur, sans importance. Ombre légère. La matière tout entière n'est qu'une parcelle de métal, (...) une bulle d'eau (...); une ombre, enfin, où rien ne pèse que sur soi (JOUBERT, Pensées, t.1, 1824, p.142). Qu'avait-elle choisi? D'offrir sa vie (...) à des ombres, à des fumées (...). Elle avait donné sa vie à des ombres, à des fantômes. Elle avait donné sa vie à des rêves (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p.295).
— Loc. Une ombre de, l'ombre de. La plus faible quantité de, une trace, un soupçon de. Une ombre de moustache; sans l'ombre d'un doute; sans une ombre de malice, de pitié. Dès qu'une ombre de bonté s'ébauche dans un acte humain, cette ombre est un reflet de la bonté divine (BREMOND, Hist. sent. relig., t.4, 1920, p.441). V. doute C 1 ex. de Dumas père et faux-semblant ex. de Mauriac.
REM. 1. Ombromane, subst. Personne qui pratique l'ombromanie. L'ombromane chinois s'aidait de petits accessoires, cartonnages découpés ou autres (ALBER, Le Théâtre d'ombres chinoises, Paris, E. Mazo, 1896, p.124). 2. Ombromanie, subst. fém. Art de projeter avec ses mains, disposées de manière variée, des ombres figurant des sujets divers. À cette époque [fin du XIXe siècle] paraissent quelques livres et de nombreux articles qui traitent de l'ombromanie (D. BORDAT, F. BOUCROT, Les Théâtres d'ombres, Paris, L'Arche, 1956, p.131). L'ombromanie est une forme particulière des ombres chinoises. Les silhouettes découpées sont remplacées par les mains de l'opérateur, qui se tient entre une source lumineuse et un écran (Cl. AVELINE, Le Code des jeux, Paris, 1961, p.374). 3. Ombrophile, adj., bot. Qui croît principalement dans les endroits pluvieux. La plupart des Sélaginelles vivent dans les régions tropicales ou subtropicales, et elles sont à la fois amies de la pluie (ombrophiles) et amies de l'ombre (sciophiles) (Bot., 1960, p.667 [Encyclop. de la Pléiade]).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 938-50 umbre «protection que donne un ombrage contre les rayons du soleil; espace privé de lumière par l'interposition d'un corps opaque» (Jonas, éd. G. de Poerck, 146); b) mil. XIIe s. fig. «abri, protection» (Psautier de Cambridge, éd. Fr. Michel, 56, 1: en l'umbre de tes eles espererai); c) 1640 porter ombre «nuire» (OUDIN Ital.-Fr.); d) 1667 terme de peint. (SÉB. BOURD., Conf., Jouin, p.82 ds BRUNOT t.6, p.734); 1667 fig. c'est une ombre au tableau (BOILEAU, Satire IX, éd. A. Cahen, p.131); e) 1745 arg. mettre qqn à l'ombre «le tuer» (FOUGERET DE MONBRON, La Henriade travestie, IV ds LITTRÉ); 2. a) ca 1160 par umbre de moi «en prenant prétexte de moi» (Enéas, éd. J. J. Salverda de Grave, 9849); b) 1280 sous ombre de «sous prétexte de» (Clef d'Amour, 1196 ds T.-L.); 3. a) ca 1165 «image réfléchie de quelqu'un, reflet (dans l'eau)» (BENOÎT DE SAINTE-MAURE, Troie, éd. L. Constans, 17692); b) 1176-81 (CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier Lion, éd. W. Foerster, 1865: qui peor a de son ombre); c) 1547 «ce qui est vain, ne dure pas» (MELIN DE SAINCT-GELAYS, OEuvres, éd. P. Blanchemain, t.1, p.202); d) 1549 combatre son ombre (EST., s.v. combat); e) 1611 courir après son ombre (COTGR.); f) 1680 c'est l'ombre et le corps (SÉVIGNÉ, Lettres, éd. Monmerqué, t.6, p.349); g) 1776 ombres chinoises (Arch. de Grenoble, FF 53 ds BRUNOT t.6, p.1099); 4. 1549 «[dans la mythologie gréco-latine] aspect que prenaient les morts» (DU BELLAY, Vers lyriques, II, 18 ds OEuvres, éd. H. Chamard, t.3, p.9); 5. 1585 «ce qui attriste» (NOËL DU FAIL, Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t.2, p.243). Du lat. umbra «ombre produite par l'interposition d'un corps; ombre d'un objet; ombre d'un mort, fantôme, spectre; lieu ombragé; apparence»; le mot est souv. masc. jusqu'au XVIe s. Fréq. s.v. ombre3. Bbg. GILLIÉRON (J.). Pathol. et thérap. verbales. Genève-Paris, 1977, pp.1-7.
II.
⇒OMBRE2, subst. masc.
ICHTYOL. Poisson (de la famille des Salmonidés) répandu dans les cours d'eau rapides d'Europe, estimé pour sa chair fine, caractérisé par un corps fusiforme, comprimé, à écailles assez grandes, à dos gris bleu, verdâtre, à flancs argentés, marqués de lignes longitudinales gris brun et de points sombres, par une tête petite, à museau pointu et bouche étroite. Ombre commun; ombre de rivière. L'ombre est un superbe poisson d'eaux courantes et fraîches, non torrentueuses (...). L'ombre ne se plaît que dans les rivières à fond de gravier ou de sable (...). On ne le trouve, en France, que dans le Nord-Est, l'Est, le haut bassin du Rhône, le Massif-Central, etc. (...) l'ombre, poisson de rivière, n'a rien de commun avec l'omble, ou omble chevalier, poisson lacustre (J. NADAUD, La Pêche, Paris, Larousse, 1955, pp.301-302). La distribution des Poissons dans les cours d'eau d'Europe occidentale de l'amont vers l'aval reconnaît quatre zones nommées d'après l'espèce dominante: zone à Truite, à Ombre, à Barbeau et à Brème. Les zones à Truite et à Ombre constituent la région salmonicole (Zool., t.4, 1974, p.1302 [Encyclop. de la Pléiade]).
Rem. Pour ombre-chevalier, v. omble.
Prononc.:[]. Étymol. et Hist. XIVe s. ombre, umbre (Livre des secrez de nature, 306 ds Fr. mod. t.39, p.156); 1611 umbre de rivière (COTGR.); 1505 «poisson de mer [probablement cernier]» (DESDIER CHRISTOL, Platine en francoys, 87 v° a cité par R. ARVEILLER ds Mél. Séguy (J.), p.84). Du lat. umbra «poisson du genre sciène», proprement «ombre», le poisson étant ainsi nommé à cause de sa couleur sombre pendant le frai.
III.
⇒OMBRE3, subst. fém.
PEINT. (Terre d')ombre. Ocre brune, servant notamment à ombrer. Synon. terre de Sienne. Pour faire ce ton d'ombre, quand il est plus jaune sur les parties jaunâtres, mettre le ton de terre d'ombre naturelle, bleu de Prusse et un peu d'ocre jaune (DELACROIX, Journal, 1853, p.4). La terre d'ombre est une couleur brune, ainsi appelée parce que les premières exploitations du minerai furent faites à Nocera, (...) [en] Ombrie (COFFIGNIER, Coul. et peint., 1924, p.516).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep.1762. Étymol. et Hist. 1762 (Ac.). Abrév. de terre d'ombre att. dep. 1562 (DU PINET, L'Hist. du monde de C. Pline Second, t.2, p.583) comp. de terre, de la prép. de et de ombre1 p. allus. à la couleur foncée de cette argile; a été rapproché à tort de Ombrie région de l'Italie péninsulaire (v. FEW t.14, p.25, note 10).
STAT. —Ombre1, 2 et 3. Fréq. abs. littér.:18322. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 20845, b) 33445; XXe s.: a) 28971, b) 24789.
1. ombre [ɔ̃bʀ] n. f.
ÉTYM. 1160; umbre, 980, Jonas; masc. jusqu'au XVIe (→ Fantôme, cit. 1, Ronsard) du lat. umbra. → aussi Obombrer, pénombre.
❖
———
1 Zone sombre créée par un corps opaque qui intercepte les rayons d'une source lumineuse; obscurité, absence (cit. 14) de lumière dans une telle zone (spécialt, en parlant de l'interception de la lumière solaire). || Ombre diffuse. || Ombre partielle. ⇒ Demi-jour, pénombre. || Jeter, faire, produire de l'ombre; projeter une ombre (→ ci-dessous, II.). || Système d'éclairage qui ne projette pas d'ombre. ⇒ Scialytique. — L'ombre des arbres, des feuillages… ⇒ Couvert, ombrage (→ Lambris, cit. 4). || L'ombre des bois (cit. 2 et 7), les ombres de la forêt (→ Diverger, cit. 1). || Allée qui s'enfonce (cit. 36) dans l'ombre d'un taillis. || Arbres qui donnent de l'ombre (⇒ Ombrageant, ombrager, ombreux), peu d'ombre (→ Élaguer, cit. 1)… — Cour (cit. 4), ruelle, chambre (→ Caveau, cit. 1) pleine d'ombre. || Un sentier d'ombre. ⇒ Ombragé (→ Appréhender, cit. 10). || « La grotte et la forêt, frais (cit. 1) asiles de l'ombre ». || Goûter l'ombre et le frais (→ Asile, cit. 21). || Chercher, poursuivre l'ombre (→ Heure, cit. 97). || Trouver un peu d'ombre (→ Longer, cit. 6). — L'ombre, les ombres du soir, du crépuscule, provoquées par l'obliquité des rayons du soleil couchant. || L'ombre tombe (→ Brunir, cit. 2). || La rue se remplit d'ombre (→ Charger, cit. 28). — L'ombre et la lumière (→ 2. Bien, cit. 67), et la clarté (cit. 2, 4 et 6), et le clair (→ Bigarrer, cit. 1; moire, cit. 2). || Jeux (cit. 79) d'ombre et de lumière (→ Grand, cit. 4). || Distinguer, apercevoir, voir dans l'ombre… (→ Casse-tête, cit. 1). || Les yeux se font (cit. 239), s'habituent à l'ombre. || Être ébloui par le passage de l'ombre à la lumière (→ Gourd, cit. 1).
1 Le jour s'affaiblissait; les ombres envahissaient lentement les fresques de la chapelle et l'on n'apercevait plus que quelques grands traits du pinceau de Michel-Ange.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. V, p. 123.
2 (…) j'aime l'ombre, je fais tailler mes arbres pour donner de l'ombre, et je ne conçois pas qu'un arbre soit fait pour autre chose, quand toutefois, comme l'utile noyer, il ne rapporte pas de revenu.
Stendhal, le Rouge et le Noir, I, II.
3 (…) l'ombre emplissait déjà la nef et s'entassait mystérieuse et menaçante dans les coins obscurs où l'on démêlait vaguement des formes fantasmatiques.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 15.
4 Mais quand le soleil baisse, une joie confuse, une joie de tout mon corps m'envahit. Je m'éveille, je m'anime. À mesure que l'ombre grandit, je me sens tout autre, plus jeune, plus fort, plus alerte, plus heureux. Je la regarde s'épaissir, la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs, les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible toucher.
Maupassant, Clair de lune, « La nuit ».
♦ Ombre épaisse (→ Emplir, cit. 8), profonde (→ Trottoir, cit. 2.2), noire. || Ombre claire (→ Hachure, cit. 3). || L'ombre transparente (de l'eau). → Écaille, cit. 4. || Teinte, couleur d'une ombre (→ Jaunâtre, cit. 1). || Ombres roses (→ Fête, cit. 9), bleuâtres (→ Fondre, cit. 34). || Ombres douces, heurtées (cit. 37). || Un reflet tempérait ce que l'ombre aurait eu de trop noir (→ Clair-obscur, cit. 3).
5 De la solitaire demeure
Une ombre lourde d'heure en heure
Se détache sur le gazon;
Et cette ombre, couchée et morte,
Est la seule chose qui sorte
Tout le jour de cette maison !
Lamartine, Recueillements poétiques, « La vigne et la maison », I.
6 Cette ombre des pays de lumière (…) elle est inexprimable; c'est quelque chose d'obscur et de transparent, de limpide et de coloré; on dirait une eau profonde.
E. Fromentin, Un été dans le Sahara, p. 156.
♦ Astron. Zone (du système solaire) non éclairée par le Soleil. || Hémisphère plongé dans l'ombre (→ Équinoxe, cit. 2). || Cône d'ombre d'un astre. || Les éclipses s'expliquent par la théorie des ombres.
7 Moitié ombre, moitié lumière : c'est l'éclairage des planètes. Une moitié du monde repose, l'autre travaille. Mais, de toute cette moitié qui songe, émane une force mystérieuse.
Cocteau, le Grand Écart, p. 22.
♦ ☑ Loc. À l'ombre. || Il faisait 40 degrés à l'ombre (→ Four, cit. 8). || Allée à l'ombre. ⇒ Ombragé. || Places à l'ombre et places au soleil dans une arène. || À l'ombre du vieux chêne (cit. 6, Lamartine). — Fig., fam. À l'abri des regards, protégé. ☑ Jeune fille élevée à l'ombre et au frais (1. Frais, supra cit. 4). — ☑ Mettre qqn à l'ombre, l'enfermer, l'emprisonner. || Le voleur passera six mois à l'ombre.
♦ ☑ Vx. Mettre à l'ombre : tuer.
8 Ici Vautrin se leva, se mit en garde, et fit le mouvement d'un maître d'armes qui se fend. — Et, à l'ombre ! ajouta-t-il.
Balzac, le Père Goriot, Pl., t. II, p. 941.
♦ Par métaphore. || Se reposer à l'ombre de ses lauriers (cit. 7). — À l'ombre des jeunes filles en fleurs, IIe partie de À la recherche du temps perdu, de Proust.
♦ ☑ Fig., littér. À l'ombre de : tout près de (→ Croître, cit. 1). || Il grandit à l'ombre de la maison paternelle. — Sous la protection de, à l'abri de… (⇒ Obombrer). || « Les femmes… qui fleurissent… à l'ombre de la dévotion… » (La Bruyère, XIII, 24).
9 Le Prince à mes côtés ferait dans les combats
L'essai de son courage à l'ombre de mon bras (…)
Corneille, le Cid, I, 3.
10 Le libéralisme, qui croissait à l'ombre de la Charte constitutionnelle comme les chiens de la lice grandissaient dans leur chenil d'emprunt (…)
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Le dessous de cartes… », I.
♦ Dans l'ombre (→ Église, cit. 16). || Dans l'ombre d'une forêt. ☑ Fig. Vivre dans l'ombre de qqn, vivre constamment près de lui, dans l'effacement de soi (→ Copier, cit. 8; gage, cit. 24; importuner, cit. 10; mimétisme, cit. 2; aussi ci-dessous, 4.).
♦ ☑ Sous l'ombre. || Sous l'ombre d'un arbre. ⇒ Ombrage. Fig. || Se ranger sous l'ombre d'un drapeau (cit. 3). || Souffrir, tolérer sous son ombre… (→ Envahir, cit. 5).
11 Les gens plus paisibles (…) se délectaient à la lecture de quelque frais déjeuner sur l'herbe (…) sous l'ombre des grands arbres exotiques (…)
Alphonse Daudet, Port Tarascon, I, II.
♦ ☑ Loc. fig. Vx. Sous l'ombre, sous l'ombre de… : en s'abritant derrière… ⇒ Prétexte (cf. Corneille, Mme de Sévigné, Bourdaloue, in Littré). — REM. Selon Littré, il faut dire sous l'ombre de l'amitié, et sous ombre d'amitié. — ☑ Sous ombre que : sous prétexte que… (cf. Voiture, Molière, Mme de Sévigné, in Littré).
♦ ☑ Loc. (Dans le même sens que les fig. ci-dessus). Faire ombre à qqn, lui porter ombrage en l'éclipsant, en obscurcissant son mérite. ⇒ Éclipser, offusquer, ombrager.
12 Celui-là fait sa fortune innocemment, et il nous rend ses ennemis par ses bons succès : ou sa vertu nous fait ombre, ou sa réputation nous offusque.
2 a Représentation d'une zone sombre, en peinture. || Faire des ombres. ⇒ Ombrer (→ Concave, cit.; modeler, cit. 3; modestie, cit. 4). || Notation des ombres dans l'impressionnisme (cit. 1). || Hachures (cit. 1) pour indiquer les ombres. — Par ext. Les parties plus sombres qui représentent les zones obscures, dans un tableau. || Distribution d'ombre et de lumière (→ 1. Masse, cit. 9). || Les ombres et les clairs. ⇒ Clair-obscur, contraste; demi-teinte. || Atténuer, estomper les ombres.
13 (…) une harmonie parfaite de tons gris, bleus, bruns, verts (…) qui, combinée avec les ombres, produit le modelé des coloristes (…)
Baudelaire, les Curiosités esthétiques, Salon 1846, III.
♦ ☑ Loc. fig. Une ombre au tableau. ⇒ Défaut, inconvénient. || Le projet est alléchant, mais il y a une ombre au tableau.
14 C'est une ombre au tableau, qui lui donne du lustre.
Boileau, Satires, IX.
♦ Par ext. || Terre d'ombre, servant à ombrer. ⇒ 3. Ombre.
15 (…) je vis une ombre légère descendre alors sur ses joues, dont la peau frémit; c'était l'ombre nocturne de ses longs cils, qui se posaient sur elles comme deux papillons noirs.
E. Fromentin, Une année dans le Sahel, p. 154.
♦ Par anal. Place, tache sombre sur une surface plus claire (→ Accuser, cit. 17).
16 Un léger duvet qui faisait une ombre sur ses lèvres donnait à son visage une grâce irritante et fière.
France, la Rôtisserie de la reine Pédauque, Œ., t. VIII, XVII, p. 161.
3 Caractère sombre, peu éclairé (d'une surface, d'un lieu…). ⇒ Obscurité, obscurcissement, opacité; nuit (→ Appel, cit. 13; 1. Morne, cit. 3). — REM. Il ne s'agit pas ici à proprement parler d'une extension de sens, mais d'usage, toute obscurité pouvant être expliquée par l'interposition d'un objet opaque devant une source lumineuse (le soleil, en particulier). || « Les astres, ces fleurs de l'ombre » (→ Émailler, cit. 4, Hugo). || Étoiler (cit. 1 et 4) l'ombre. || Flammèches (cit. 1) qui rayent l'ombre. || Les ombres de la nuit (→ Entrevue, cit. 4; faveur, cit. 18). || L'ombre de minuit (→ Écraser, cit. 7; minuit, cit. 2). || « L'aveugle voit dans l'ombre un monde de clarté » (→ Esprit, cit. 66).
17 (…) toute la nature repose (…) ensevelie dans les ombres (…)
La Bruyère, Disc. à l'Acad., 15 juin 1693.
18 Mais à mesure que le jour disparut, et que le convoi s'enfonça dans l'ombre doublement obscure de la nuit et des rues profondes qu'éclairaient les lueurs des torches tremblantes (…)
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, X.
4 Par métaphore, fig. ⇒ Obscurité, secret. (Surtout dans : dans l'ombre, à l'ombre, sortir de l'ombre…). ☑ Rester, vivre, végéter dans l'ombre, dans une situation obscure, ignorée (cit. 47). ⇒ Caché, inconnu. || Un homme de mérite méconnu, qui reste dans l'ombre. ⇒ Retraite, solitude; modestie. || Retirée à l'ombre (→ Coquetterie, cit. 8). || Sortir de l'ombre. ⇒ Oubli. — Laisser une chose dans l'ombre, dans l'incertitude, l'obscurité. ⇒ Brume (fig.), mystère. || Voiler dans l'ombre du mystère. || Ce qui se trame dans l'ombre. ⇒ Secrètement. || Menées occultes, poursuivies dans l'ombre.
19 Rien qui ne soit d'abord éclairé par les dieux.
Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux,
Même les actions que dans l'ombre il croit faire.
La Fontaine, Fables, IV, 19.
20 Dans l'ombre du secret ce feu s'allait éteindre (…)
Racine, Mithridate, IV, 4.
21 Il était du petit nombre de ces écrivains discrets qu'on ne connaît jamais que par le titre de leurs ouvrages, dont le nom entre dans la renommée sans que leur personne sorte de l'ombre (…)
E. Fromentin, Dominique, II.
22 Sa méthode d'exposition, si développée et si lumineuse, ne nous dérobe rien des erreurs et de leurs conséquences; il en traite comme il avait fait précédemment pour les parties heureuses, et ne laisse rien dans l'ombre.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 3 déc. 1849.
23 Allez ! (…) Que tout fût clair, tout vous semblerait vain !
Votre ennui peuplerait un univers sans ombre
D'une impassible vie aux âmes sans levain.
Valéry, Poésies, Pièces diverses, « Le philosophe et la “Jeune Parque” ».
♦ Spécialt. || Laisser planer une ombre. ⇒ Doute.
♦ En poésie (particult chez Hugo). || L'ombre, symbole du mystère, de l'inconnu, du destin, de la mort…, est employé métaphoriquement, comme noir, nuit (supra cit. 29), obscurité… (→ Furie, cit. 16; impalpable, cit. 5). || Dans l'ombre (→ Baver, cit. 5; berger, cit. 7). || La nuit et la mort, ces deux ombres (→ Immobile, cit. 20).
24 L'ombre, voile effrayant du spectre éternité.
Hugo, la Légende des siècles, LIV, II.
25 Le mal, l'autre forme de l'ombre.
Hugo, Shakespeare, II, II, VI.
26 Quoique environné des ombres de la mort, il avait encore quelque connaissance.
A. R. Lesage, Gil Blas, X, II.
5 Littér. (Dans quelques expressions, où ombre est symbole de tristesse, de mélancolie). || Une ombre. ⇒ Contrariété, inquiétude. || Les ombres du chagrin. || Jeter une ombre. ⇒ Assombrir.
27 Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres.
Racine, Esther, II, 7.
28 (…) rien ne peut plus jeter des ombres et des chagrins sur notre société (…)
Mme de Sévigné, 882, 17 juil. 1680.
———
II (1175).
1 Zone sombre reproduisant le contour plus ou moins déformé (d'un corps qui intercepte la lumière). ⇒ Contour, image, silhouette. || L'ombre d'un corps, d'un objet. — Ombre absolue, qu'un corps projette dans l'espace. || Ombre relative, qu'il projette sur une surface, sur un autre corps. || Ombre portée. || Ombre droite (portée sur un plan horizontal), renversée (sur un plan vertical). — Longueur, direction des ombres des hommes, des objets, selon les heures de la journée, le point du globe où ils se trouvent. ⇒ Sciographie; amphisciens, antisciens (ou hétérosciens), asciens, périsciens. || Ombre méridienne, la plus courte, celle de midi. || Cadran sciathérique (cadran solaire) montrant l'heure d'après la longueur des ombres (→ Estimer, cit. 3). || Ombre projetée (→ Fantasmagorique, cit. 3; huisserie, cit. 1). || Ombres qui se découpent carrément (cit. 1). || Ombre qui s'allonge (cit. 8), s'étire (→ Éclairer, cit. 6)… || « Les ombres bleues des peupliers barrent (cit. 5) la route ». || Les ombres changeantes des nuages (→ Ligne, cit. 9). — Spécialt. Ombre d'une personne. || Ombres qui courent (cit. 29), glissent sur les murs, les toits… (→ Gesticuler, cit. 3; aussi par métonymie, ci-dessous, 3.). — « Un lièvre, apercevant l'ombre de ses oreilles… » (→ Craindre, cit. 10). — Allus. littér. || L'histoire merveilleuse de Peter Schlemil, l'homme qui a vendu son ombre, œuvre de Chamisso. || La Femme sans ombre, opéra de R. Strauss.
29 Ne réfléchis-tu pas lorsque tu vois ton ombre ?
Cette forme de toi, rampante, horrible, sombre,
Qui, liée à tes pas comme un spectre vivant,
Va tantôt en arrière et tantôt en avant,
Qui se mêle à la nuit, sa grande sœur funeste (…)
Hugo, les Contemplations, VI, XXVI.
30 Les ombres des rochers s'allongeaient et se découpaient bizarrement sur la route que nous suivions, et produisaient des effets d'optique singuliers.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 197.
31 Il marchait lentement, toujours du même pas, suivant les murs. Ses talons sonnaient, il ne voyait que son ombre tourner, en grandissant et en se rapetissant, à chaque bec de gaz. Cela le berçait, l'occupait mécaniquement.
Zola, Nana, VII.
31.1 Mais plus belles que les pigeons, car elles étaient le cri profond de cette journée éclatante où tout était dans son extrême, rien n'affaiblissant la lumière, c'étaient leurs ombres si noires qui passaient sur l'herbe, éclatantes à force d'être noires et comme l'envers de la lumière du soleil qui était partout, si bien que tout ce qui se bougeait sur terre ne pouvait que (la) déplacer et la faire apercevoir aussitôt, car, comme un dieu caché, elle était partout.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 475.
31.2 Derrière le store baissé en drap de cinéma, je voyais seulement une ombre se rapetisser à la taille d'un nain, s'agrandir à celle d'un géant, s'orner de nombreux bras, ou ne plus laisser sur la table qu'un cercle gris et mouvant comme en donne le microscope. On eût dit la projection d'une de ces batailles acharnées entre globule vivifiant et globule de mort; on eût dit la fusion d'un métal, la destruction d'un tissu (…)
Giraudoux, Siegfried et le Limousin, p. 78.
32 La lumière de la lampe faisait danser son ombre au mur, la diminuant et l'allongeant tour à tour.
Bernanos, Sous le soleil de Satan, II, XII.
32.1 Mon ombre, une de mes ombres, s'élançait devant moi, se raccourcissait, glissait sous mes pieds, prenait ma suite, à la manière des ombres. Que je fusse à ce degré opaque me semblait concluant. Mais voilà devant moi un homme, sur le même trottoir et allant dans le même sens que moi, puisqu'il faut toujours ressasser la même chose, histoire de ne pas l'oublier.
S. Beckett, Nouvelles, « Le calmant ».
33 Une lueur jaune éclaira la porte, hésita, et je vis une ombre. La lumière la projetait contre le mur de l'escalier, en face de moi. Une ombre monstrueuse. La flamme variable la faisait bouger; mais comme cette flamme était très faible l'ombre par moments perdait son contour et il n'en restait qu'un imperceptible fantôme prêt à s'abolir.
H. Bosco, Un rameau de la nuit, p. 243.
♦ (Boxe). || Boxeur à l'entraînement qui fait quelques minutes de boxe contre son ombre, sans partenaire (cf. l'angl. Shadow-boxing, shadow-partner).
♦ Loc. || Cheval qui a peur de son ombre, s'effraye de son ombre. ⇒ Ombrageux. — ☑ Fig. Avoir peur de son ombre : être très craintif, pusillanime. On disait aussi dans le même sens : faire ombre (⇒ Ombrage, fig.) : faire peur (cf. Racine, Athalie, V, 2).
34 Tout l'agite, l'inquiète, le ronge; il a peur de son ombre; il ne dort ni nuit ni jour (…)
Fénelon, Télémaque, III.
35 (…) mon ombre me fait peur : c'est apparemment depuis que j'ai été sur le point de n'être plus qu'une ombre.
Voltaire, Correspondance, 3993, 11 avr. 1773.
♦ ☑ Loc. fig. Être comme l'ombre et le corps : être des amis inséparables, qui ne se quittent jamais. — ☑ Être l'ombre de qqn, s'attacher à ses pas, le suivre fidèlement (→ Croire, cit. 50; humaniser, cit. 6). — ☑ Suivre qqn comme une ombre (→ Après, cit. 32; forcer, cit. 5), comme son ombre. ⇒ Accompagner. — ☑ Courir (cit. 18) après son ombre.
36 L'honneur est l'ombre de la vertu, qui la suit et quelquefois la précède comme elle fait le corps.
Pierre Charron, De la sagesse, I, 56.
37 (…) il ne paraît plus qu'elle l'aime, et cependant c'est l'ombre et le corps.
Mme de Sévigné, 798, 6 avr. 1680.
38 Suis-le partout, comme son ombre (…) et moi, je l'épie au dehors (…)
Beaumarchais, la Mère coupable, I, 3.
39 Elle suit la mode comme si elle en était l'ombre.
J. Renard, Journal, 30 déc. 1896.
♦ Fig. (Antiq. rom.). || Les ombres de qqn, les personnes qu'il amenait avec lui, en tant qu'invité.
2 Plur. Ombres projetées sur un écran, une surface plane, pour constituer un spectacle. || Théâtre d'ombres. || Ombres chinoises : projection sur un écran de silhouettes découpées. ⇒ Image, silhouette; ombromanie. || Les ombres chinoises sont un des ancêtres du cinéma. — REM. Ombres chinoises se dit abusivt de l'ombromanie. Fig. || Silhouette en ombre chinoise (→ Encadrer, cit. 7).
40 Le plus souvent, elles (les silhouettes) agissent derrière un écran de toile éclairé par transparence sur lequel elles se profilent en noir : ce sont les ombres chinoises.
3 Apparence, forme imprécise (spécialt, forme humaine) dont on ne discerne que les contours (→ Jaillir, cit. 13). || Une ombre humaine (→ Matérialisation, cit. 2). || Entrevoir (cit. 2) deux ombres qui s'avancent. || Un peuple d'ombres (→ Trottoir, cit. 2.2, Aymé).
4 Par compar. ou métaphore. (L'ombre étant considérée comme l'apparence changeante, transitoire et trompeuse d'une réalité). ⇒ Reflet. || Passer, se dissiper comme une ombre. ⇒ Éphémère (→ Anéantir, cit. 2).
41 La peine et le plaisir passent comme une ombre; la vie s'écoule en un instant; elle n'est rien par elle-même, son prix dépend de son emploi. Le bien seul qu'on a fait demeure, et c'est par lui qu'elle est quelque chose.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, III, XXII.
♦ ☑ Loc. (Vx). Prendre l'ombre pour le corps : prendre l'apparence pour la réalité.
42 (…) rien n'est bon que d'avoir une belle et bonne âme (…) on ne se cache point; vous n'avez point vu de dupes là-dessus : on n'a jamais pris longtemps l'ombre pour le corps.
Mme de Sévigné, 442, 9 sept. 1675.
43 (Sénèque) dit de la gloire qu'elle est à la vertu ce que l'ombre est au corps.
♦ ☑ Loc. prov. Abandonner, lâcher, laisser la proie pour l'ombre : abandonner un avantage réel pour une espérance vaine.
44 Ce chien (dont parle Ésope) voyant sa proie en l'eau représentée,
La quitta pour l'image, et pensa se noyer.
À toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps.
La Fontaine, Fables, VI, 17, « Le chien qui lâche sa proie pour l'ombre » (→ aussi 1. Fou, cit. 16).
♦ (Avec d'autres formulations) :
44.1 Or, dites-le, Thérèse, de ce que des imbéciles déraisonnent sur l'érection d'une indigne chimère et sur la façon de la servir, faut-il qu'il s'ensuive que l'homme sage doive renoncer au bonheur certain et présent de sa vie; doit-il, comme le chien d'Ésope, quitter l'os pour l'ombre, et renoncer à ses jouissances réelles pour des illusions ? Non, Thérèse, non, il n'est point de Dieu, la Nature se suffit à elle-même (…)
Sade, Justine…, t. I, p. 56 (1791).
44.2 Et ils ont l'heureux sentiment qu'il ont lâché l'ombre pour la proie (…)
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 481.
♦ Fig. Chose, apparence fragile et vaine. ⇒ Apparence (cit. 21), chimère, simulacre (→ Avancer, cit. 4; fiction, cit. 3; immuable, cit. 2). || La réalité n'est qu'une ombre (→ Diviniser, cit. 6). || Nos jours sur la terre ne sont qu'une ombre (→ Expérience, cit. 32). || L'homme est le songe d'une ombre (Pindare). || Une ombre, un rêve, une idée (cit. 47). || Les femmes représentées par ce peintre ne sont que des ombres impalpables (cit. 1).
45 Nous sommes abusés par de vaines images; nous poursuivons des songes et nous embrassons des ombres (…)
France, la Rôtisserie de la reine Pédauque, in Œ., t. VIII, p. 55.
46 (…) il n'y a pas d'ombre sans réalité; l'ombre est une réalité.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, VI.
5 Une ombre de : la plus petite quantité, la moindre apparence de… (souvent employé en tournure négative). ⇒ Soupçon, trace. || Une ombre d'apparence (cit. 40), de vraisemblance, de vérité. || Une ombre de pitié (→ Éprendre, cit. 3). || Sans y mettre une ombre de malice (→ Culotte, cit. 4). || Sans l'ombre d'un motif (cit. 5), d'un prétexte (→ Adoucissement, cit. 5). || Répondre sans une ombre d'incertitude (→ Imitation, cit. 18). ☑ L'ombre d'un doute. ☑ Il n'y a pas l'ombre de…, pas du tout de…
47 Vos mines et vos cris aux ombres d'indécence
Que d'un mot ambigu peut avoir l'innocence (…)
Molière, le Misanthrope, III, 4.
48 Vous devez à ses pleurs quelque ombre de pitié.
Racine, Phèdre, II, 3.
49 La modestie n'était pas le défaut de Valentin. Il commença par convenir avec lui-même que la marquise lui appartenait. En effet, il n'y avait eu de la part de madame de Parnes ombre de sévérité ni de résistance. Il fit cependant réflexion que, par cette raison même, il pouvait bien n'y avoir eu qu'une ombre de coquetterie.
A. de Musset, Nouvelles, « Deux maîtresses », III.
6 (1608). Dans certaines croyances. Apparence d'une personne qui survit après sa mort. ⇒ Âme, double, fantôme, mânes (→ Après, cit. 17; cerbère, cit. 1; 1. enfer, cit. 3; enterrer, cit. 10). || Les ombres infernales (cit. 2); les pâles ombres. || Les ombres heureuses (→ Mysticité, cit.). || Avoir l'air d'une ombre au milieu des vivants (→ Mot, cit. 15). || Le royaume des ombres.
50 Défiguré comme ces ombres vaines
Qui vont là-bas sans muscles et sans veines,
Sans sang, sans nerfs, aux rives d'Achéron,
Léger fardeau du bateau de Charon (…)
Ronsard, Premier livre des poèmes, « Discours… »
51 (…) quelle fut ma joie quand je sentis que mes bras le touchaient ! Non, ce n'est pas une vaine ombre ! je le tiens ! je l'embrasse, mon cher Mentor !
Fénelon, Télémaque, IV.
52 Si vous voulez, chemin faisant, voir des ombres, comme faisait le capitaine de dragons Ulysse dans ses voyages, vous ne pouvez mieux vous adresser que chez moi. Je suis la plus chétive ombre de tout le pays, ombre de quatre-vingts ans ou environ, ombre très légère et très souffrante.
Voltaire, Correspondance, 4002, 12 juil. 1773.
♦ Par ext. Personne réelle qui a une apparence fantomatique et que l'on compare à une ombre (→ Blessure, cit. 3; ennui, cit. 25). — Évocation d'un mort, de qqn qui n'est plus, par la mémoire. ⇒ Souvenir. || L'ombre du moi (cit. 61) que j'étais.
♦ ☑ L'ombre de (moi-même, lui-même, soi-même…) : reflet affaibli de ce qui a été. || Un vieillard qui n'est plus que l'ombre de lui-même. || Cette équipe n'est plus que l'ombre d'elle-même.
53 (…) tu auras réduit Macumer à n'être que l'ombre d'un homme : il n'aura plus sa volonté, il ne sera plus lui-même, mais une chose façonnée à ton usage (…)
Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, Pl., t. I, p. 260.
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DÉR. Ombrette, ombrière. — V. Ombrelle, ombrer, ombreux.
COMP. Ombromanie.
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2. ombre [ɔ̃bʀ] n. m. et f.
ÉTYM. 1552; umbre « poisson sciénide », fin XIVe; du lat. umbra « poisson de teinte sombre ». → Sciène.
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1 Nom donné à certains Sciénidés. ⇒ Ombrine.
2 Poisson physostome (Salmonidés) appelé scientifiquement thymallus, voisin du saumon et de l'omble, caractérisé par une bouche plus petite. — Abusivt. || Ombre-chevalier : omble-chevalier.
➪ tableau Noms de poissons.
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DÉR. Ombrine.
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3. ombre [ɔ̃bʀ] n. f.
❖
♦ Terre brune, qui sert à ombrer. Syn. : terre d'ombre.
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4. ombre [ɔ̃bʀ] n. m. ⇒ Hombre.
Encyclopédie Universelle. 2012.