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CONSCIENCE
CONSCIENCE

Le mot latin conscientia est naturellement décomposé en «cum scientia». Cette étymologie suggère non seulement la connaissance de l’objet par le sujet, mais que cet objet fait toujours référence au sujet lui-même. Le terme allemand Bewusstsein comporte la même résonance de sens.

L’emploi du substantif conscience fausse la solution du problème qu’il implique, car la conscience n’est pas plus une chose, une propriété ou une fonction qu’une faculté. Elle n’est pas davantage une collection d’éléments fonctionnels comme le voulaient Wundt ou Titchener; elle n’est pas non plus, comme le voulait William James, une mouvante multiplicité de «données», d’«états» ou de «contenus». La conscience est l’organisation dynamique et personnelle de la vie psychique; elle est cette modalité de l’être psychique par quoi il s’institue comme sujet de sa connaissance et auteur de son propre monde. L’être et le devenir conscients constituent donc tout à la fois la forme de l’expérience du sujet et la direction de son existence. La finalité de la «conscience», exprimée dans son mouvement, et la hiérarchie de ses structures consacrent, pour les uns, sa «spiritualité» et sa «réalité», ou la vouent, pour les autres, à la critique «matérialiste» qui la nie. Le problème de la conscience est à cet égard le problème central, non seulement de toute psychologie mais de toute métaphysique. Prise dans les antinomies de la raison, la conscience, «organisme de la réalité», risque de perdre elle-même toute réalité. Les uns la tiennent pour un artifice, un épiphénomène ou une contingence (à l’égard des objets et des mécanismes proprement inconscients qui constituent les «cogitata», les mots et les choses qui se combinent sans sa médiation dans l’étendue, comme il en va chez les animaux et les machines). Les autres la tiennent au contraire pour l’instance suprême et transcendantale qui anime le sujet du cogito et n’entretient avec les objets et même le corps que des rapports de coïncidence paralléliste.

La description phénoménologique rigoureuse des structures de l’être et du devenir conscients peut seule aider, avec Husserl, par exemple, à la conciliation de ces deux prises de vue contradictoires sur la «conscience». Celle-ci, en effet, en tant qu’elle est l’organisation même de l’être psychique constitue le «lieu» des relations du sujet à son monde; c’est-à-dire le «milieu» où se médiatisent, dans la représentation idéoverbale du temps et de l’espace dont il dispose, les expériences et les projets du sujet.

Autrement dit, les modalités «synchronique» et «diachronique» des structures de l’être conscient (selon qu’il vit un moment du temps dans l’espace de sa représentation ou qu’il assure à son propre moi la permanence de son identité et de son devenir), ces configurations de l’«avoir conscience de quelque chose » ou d’«être conscient d’être quelqu’un » s’ordonnent par rapport à la connaissance prospective que le sujet prend de lui-même et de son monde, connaissance qui ne saurait s’accommoder ni de l’anéantissement objectiviste de la conscience submergée dans l’immanence de ses déterminations, ni de sa volatilisation idéaliste dans la transcendance absolue de l’esprit.

Cette impossibilité de réduire l’être conscient, tant à ses déterminations infrastructurales qu’à une pure transcendance, éclate avec une particulière évidence après la découverte freudienne de l’inconscient. Le partage de l’être psychique requis par une telle découverte n’en sépare pas radicalement les deux parties. D’une part, l’inconscient ne se constitue par le refoulement que sous l’effet de la conscience refoulante et, d’autre part, l’organisation même de l’être psychique implique la dialectique d’une interaction constante et réciproque de l’être conscient et de son inconscient. L’être psychique dans sa totalité n’est, en définitive, ni seulement inconscient ni seulement conscient; il n’est pas seulement dans sa profondeur mais aussi à sa surface; il n’est pas seulement à sa base mais à son sommet, et réciproquement.

L’être conscient n’apparaît qu’en tant qu’il est un être vivant. C’est en ce sens que Bergson disait que la conscience est coextensive à la vie. Et c’est bien comme un phénomène lié à l’organisation des êtres vivants qu’elle apparaît dans le phylum animal (zooconscience ou bioconscience) comme dans son ontogenèse. L’être conscient émerge des profondeurs de l’organisme pour autant que celui-ci s’organise en centre d’indétermination individuel, en sujet ayant un système relationnel propre avec son monde. Comme le cerveau est l’organe grâce auquel se constitue le milieu où se prépare l’action, c’est dans l’organe cérébral que s’incorpore l’organisme psychique, dont l’être conscient constitue le système personnel d’intégration. La conscience et le cerveau sont entre eux dans des rapports d’«isomorphisme complémentaire» (Ruyer).

L’être conscient, en tant qu’organisation de la vie de relation, représente la possibilité d’introduire dans l’existence l’ordre de la réalité et des valeurs. Sa structure neg-entropique ou d’intégration constitue la condition épistémologique, logique et éthique du pouvoir créateur de la personne et de son accès à la liberté.

1. Une définition opératoire

On ne manque jamais, à propos de cette redoutable définition, de citer le mot d’Hamilton (repris d’ailleurs par tant et tant de penseurs et notamment par W. James): «Consciousness cannot be defined .» C’est dans le sens général de pensée (cogitatio , Denken , mentation pour rappeler des termes d’époques et de langues différentes) que se présente à l’esprit la notion de conscience. Car si c’est le monde de l’étendue et des objets qui se présente d’abord à la conscience naïve universelle au travers de sa propre transparence, c’est le monde de la pensée qui se dévoile dans le cogito à la conscience réfléchie. Et, par là, on saisit que la «conscience» et la «conscience-de-cette-conscience» (l’idea ideae de Spinoza) apparaissent comme «une même chose» ou, plus exactement, comme l’essence proprement réflexive de l’«être-pour-soi», c’est-à-dire de l’être pour qui il est question de son être (Sartre). L’apparition du phénomène de la conscience à la conscience se fait donc dans la catégorie de la « subjectivité », celle du sujet, du «cogito», bien sûr, mais aussi celle de l’autre, de tous les autres «sujets», auxquels elle nous renvoie et avec lesquels elle nous fait communiquer, en nous faisant dialoguer avec nous-même et avec eux.

Vers une phénoménologie du sujet

Cette structure intra- et intersubjective impliquée dans le dialogue de soi à soi est précisément ce qui est contesté par ceux qui nient la conscience. Ceux-ci (des empiristes et sensationnistes aux néo-positivistes logiciens et cybernéticiens de nos jours) entendent, en effet, s’en passer comme de l’intervention d’un deus ex machina ou du démon de Maxwell, en la considérant comme une notion purement verbale ou un épiphénomène superflu. Cette thèse est constamment soutenue par les béhavioristes et la plupart des psychophysiologistes. Il suffit de rappeler ici les idées de H. Piéron, de Bertrand Russell, d’Ashby, qui proscrivent l’usage de ce mot inutile et même dangereux parce qu’il fait trop exclusivement appel, disent-ils, à l’introspection et, par là, ne peut déboucher sur aucune connaissance «objective» et contrôlable. Si, en effet, la pensée ou le comportement sont réductibles au mouvement d’une machine, il n’y a et ne peut y avoir aucune place pour le concept même de conscience. Mais au moins gagnons-nous à cette systématique négation d’accéder à la certitude de ce qu’est la conscience dans son essence, c’est-à-dire l’exigence même d’une phénoménologie du sujet. De telle sorte que, au-delà des objets du monde minéral, qui sont évidemment inconscients, le problème de la conscience naît avec celui de la «bioconscience» ou de la «zooconscience», pour autant que chaque individu appartenant aux espèces animales constitue, même aux plus bas niveaux, un centre d’autonomie et d’indétermination (cf. par exemple U. Ebbecke, 1959). Il y a donc lieu de dire, avec Bergson, que la conscience n’est possible que chez un être vivant, c’est-à-dire un être qui est «finalisé d’emblée» (Ruyer) et dont la vie est irréductible précisément à un déterminisme purement mécanique. Machine et conscience s’excluent.

Les discussions commencent ensuite avec le problème de savoir ce qui dans le «psychisme» de l’être vivant constitue la «part de la conscience». Deux attitudes fondamentales s’affrontent alors à nouveau. Pour les uns – reprenant la thèse de la conscience épiphénomène –, le psychisme animal et le psychisme humain, qui en constitue seulement une organisation plus complexe, fonctionnent selon un modèle d’homéostasie, d’autorégulation et d’adaptation machinales: toute l’activité psychique se déroule sur le plan du conditionnement et du déterminisme selon un modèle réflexe ou le schéma in put-out put de l’information. Pour les autres, au contraire, psychisme et conscience sont des termes équivalents, et la thèse soutenue est celle de l’identité de la vie psychique et de la conscience. Mais que la conscience ne soit rien ou qu’elle soit tout dans le psychisme, elle ne tarde pas à s’imposer dans sa réalité, c’est-à-dire avec ses exigences propres et ses formes particulières. Et chacun – qu’il la nie ou l’admette globalement – de s’ingénier paradoxalement à caractériser parmi les phénomènes psychiques ceux qui lui paraissent entrer de façon spécifique dans la définition de la conscience. Celle-ci est alors concernée, soit par des fonctions particulières (la sensibilité, la vigilance, l’affectivité, la perception, l’attention, la mémoire) qui constituent ce que l’on appelle généralement la conscience spontanée, soit par les formes supérieures (le highest level ) de l’activité psychique, c’est-à-dire au niveau très élevé des exercices de haute voltige de la pensée; telles les opérations discursives, les performances idéo-verbales, les stratégies intellectuelles qui portent la pensée à son plus haut niveau de conscience réfléchie, au point précisément où la conscience psychologique se confond avec la sphère du jugement logique et éthique, au point enfin où l’activité de conscience paraît si transcendantale et si spirituelle qu’elle ne peut être qu’en dehors ou au-dessus de la matière ou au moins «parallèle» au cerveau. La conscience apparaît alors comme un pur esprit qui n’entretiendrait avec le corps que des rapports de concomitance. H. Jackson et C. Sherrington, et par la suite Walshe, E. D. Adrian, J. C. Eccles, éminents neurophysiologistes, n’ont cessé de soutenir ce point de vue comme pour se faire pardonner, en réservant par une clause de style (la «concomitance») la spiritualité d’une conscience qu’ils croyaient ou croient compromettre en acceptant le fait de son «incarnation», de son «incorporation».

Mais, par-delà ces querelles de définition, sont atteintes – et précisément dans l’hétérogénéité des fonctions variées qui sont visées par la notion de conscience – les dimensions fondamentales de cette même conscience: ni celles d’un processus mécanique, ni celles d’une pure spiritualité, mais celles d’une structuration du «milieu» propre au sujet, ce milieu étant, en effet, au milieu, au cœur même du sujet.

Le sujet, un «milieu»

Le caractère primordialement subjectif de l’être conscient ne peut suffire à récuser sa réalité, si celle-ci consiste précisément dans cette réalité subjective qui caractérise les real psychic acts (comme le dit le mathématicien H. Weyl) dont se compose son champ d’indétermination. H. Kuhlenbeck, qui ne cesse de se référer aux auteurs mathématiciens et cybernéticiens, a proposé une définition a minima de la conscience (any private perceptual space-time-system ) qui consacra cette réalité intérieure ou subjective. Ce milieu intérieur que le sujet creuse en lui-même pour être le lieu où se déroulent, en se verbalisant, les «événements» de ses relations avec le monde et de la représentation qu’il s’en fait n’est évidemment pas celui d’une subjectivité absolue, puisqu’il garantit précisément le statut de l’objectivité des relations discursives du sujet à son monde et à autrui.

Il ne s’agit donc pas de revenir à une attitude «solipsiste» aussi naïve que celle d’un réalisme empirique, mais plutôt de saisir l’architectonie même de la réalité du sujet, c’est-à-dire de son entrelacement avec la pensée et le langage des autres et, par-delà cet accord, avec le corrélat du monde des objets qu’ils reflètent.

Ce «milieu», où s’entrelacent l’être conscient et son monde, n’est ni homogène ni simple, de telle sorte qu’ainsi qu’il a été dit plus haut, la conscience ne peut se définir comme étant telle ou telle fonction simple (qu’il s’agisse de la «vigilance», ou de la «pensée réfléchie», ou du highest level de l’activité psychique supérieure). La réalité de l’être conscient doit être saisie pour ce qu’elle est: la forme d’organisation autochtone du sujet (A. Gurwitsch) qui constitue pour lui les structures temporo-spatiales propres à son système relationnel. Dire d’un être qu’il sent, qu’il perçoit, qu’il se souvient de quelque chose, qu’il prépare une action ou qu’il se sent ou se sait être quelqu’un qui dirige son existence vers telle ou telle fin, c’est toujours et nécessairement dire qu’il est conscient. «Être conscient c’est donc disposer d’un modèle personnel de son monde » (H. Ey). Telle est la définition la plus générale et la mieux adaptée à la réalité de l’être conscient que l’on puisse donner de la conscience en soulignant l’importance de chacun de ces deux termes: la faculté, c’est-à-dire la liberté pour le sujet de disposer de ce modèle dans la fonction thétique par laquelle il assigne les catégories de la réalité aux contenus du champ actuel de sa conscience, et la constitution d’un modèle personnel pour autant qu’il implique cette constance historique qui constitue son moi.

Autant dire qu’une définition correcte de la conscience renvoie à la structure de l’être conscient relativement auquel s’ordonne l’organisation même de la vie psychique. Ce n’est, en effet, qu’au niveau de cette organisation, de son évolution, de ses implications, de ses plans successifs ou simultanés que la conscience apparaît, non plus comme une abstraction mais dans la réalité fonctionnelle de son architectonie variable, dans sa véritable organisation temporelle, car «elle est au temps ce que le corps est à l’espace» (H. Ey). Elle ne peut, dès lors, se décrire que dans et par le mouvement qui engendre ses configurations essentielles, c’est-à-dire selon la méthode des réductions phénoménologiques.

2. Les structures de l’être conscient

Un être en devenir

Il s’agit de décrire l’articulation des phénomènes qui engendrent l’ordre selon lequel se déroulent la pensée et l’action dont le sujet dispose. Car les perceptions du sujet, ses souvenirs, ses idées, son langage, ses prévisions et ses fins deviennent des réalités dont il est conscient, à la seule condition que tous ils se conforment à sa propre loi. Et ainsi, d’emblée, les phénomènes qui se succèdent ou s’impliquent dans la conscience ne sauraient être seulement envisagés comme le fameux stream of consciousness de W. James, mais plus exactement comme une organisation structurale, comme un ordre auquel le sujet se soumet pour progresser dans son autonomie. C’est dire que la description de ces structures ne peut se faire comme s’il était question de partes extra partes ou de figures de l’espace géométrique, ou encore d’une mosaïque fonctionnelle. Il s’agit plutôt de saisir le mouvement même de l’organisation de l’être conscient, pour autant que cette organisation constitue une architectonie de niveaux, de formes et de perspectives qui permettent au sujet d’avoir conscience de l’expérience actuellement vécue , c’est-à-dire d’en contrôler les catégories de réalité dans le champ de son actualité – et, au travers des champs successifs de son expérience, d’être conscient de son identité et de sa constance, c’est-à-dire d’être quelqu’un. Cette double structure synchronique (le champ de la conscience) et diachronique (le moi ou la personnalité) constituent les deux coordonnées temporelles en fonction desquelles se développe, se construit et s’affirme l’être conscient. À chacune de ces deux dimensions complémentaires de la «conscience» correspondent une organisation structurale et une dialectique propres, toutes les deux ayant en commun d’assumer ce que les béhavioristes appellent l’intégration du comportement ou ce qui, plus exactement, représente pour le sujet la subordination de ces moyens, que sont les forces de la vie, à ses fins, que sont les formes idéales de son existence.

Dans le style même des fameuses Ideen de Husserl, l’être conscient, en tant que disposant de ce qu’il vit en conformité avec ce qu’il a à être, est essentiellement un être logique et éthique, un «être de raison» qui conjugue son sentir, son désir, son savoir aux divers temps de ses possibilités. Telle est la structure générale de l’être conscient, à la fois temporelle, historique, logique et axiologique. Mais il convient de prendre bien garde qu’il ne s’agit de rien moins que d’une abstraction. Il s’agit même du contraire d’une abstraction, dans la mesure même où la description de ces structures, «réduites» par leur fonction à leur essence, saisit ce qu’il y a de plus absolument concret dans ces formes, physionomies et configurations que les mouvements intentionnels du sujet contractent, impliquent ou, au contraire, explicitent et développent, selon que diminue ou augmente le pouvoir de différenciation qui indexe les degrés de lucidité de la conscience, savoir: les transitions qui vont de la fermeture de la conscience endormie à l’ouverture de la conscience éveillée, ces mille manières pour le sujet d’être à son monde, de se le faire apparaître et dont avec Heidegger ou Sartre on peut suivre l’infinité des excursions. Il est impossible de donner une connaissance encyclopédique de la conscience sans tourner délibérément le dos aux «données» (fussent-elles réputées immédiates), aux «états» ou «contenus» de la conscience, et sans choisir délibérément d’en exposer au contraire les perspectives proprement formelles et essentiellement temporelles, celles d’une multiplicité infinie de ses plans et de ses formes. Comme l’être conscient est fondamentalement voué à la constitution de l’ordre dans lequel s’inscrivent les relations du moi à son monde, c’est à cet ordre fondamental que nous renvoie, comme pour nous en faciliter la description, la double structure synchronique et diachronique de l’être conscient.

Le champ de la conscience

Être conscient, dans le sens le plus généralement et aisément admis, c’est avoir conscience d’une expérience actuellement vécue. Cet aspect de la conscience est certainement le moins contesté pour être le plus évident. Il est accepté, par exemple, aussi bien par un philosophe comme K. Jaspers, qui écrit: «La conscience est la totalité du moment [...] la totalité de la vie psychique actuelle» («Das Bewusstsein ist das augenblickliche Ganze [...] das Ganze des momentanen Seelenlebens ») que par un neurophysiologiste comme A. Fessard (la conscience c’est l’intégration de l’expérience en tant qu’elle peut être à la fois une et multiple à chacun de ses instants). La constitution de la conscience en champ d’actualité étant la moins récusable, c’est bien à l’expérience vécue que l’on pense généralement lorsqu’on entend saisir l’essentiel de l’activité de conscience. C’est qu’en réalité la constitution en champ correspond à une des deux grandes fonctions temporelles de l’être conscient. Le sujet conscient de quelque chose remplit de cette chose (idées, représentations, sentiments, souvenirs, images, perceptions, etc.) le moment actuel de son temps. Et cette formule implique précisément que dans cet espace de temps qui est, comme le dit R. Ruyer, essentiellement axiologique (car il appartient à l’intentionnalité du sujet d’en régler les limites par le sens), ce champ de la conscience est donc rempli à chaque moment du temps de l’expérience actuellement vécue. Et ce qui y est vécu (sous toutes les formes et catégories possibles de contenus de Bewusstheiten ) ne l’est qu’à sa place (en conformité avec la fonction thétique de la conscience), c’est-à-dire dans la catégorie de réel qui lui est ainsi assignée. De telle sorte que le champ de la conscience a une constitution matricielle (Ur-form ) ou originelle, qui se développe chez le nouveau-né et s’organise dès le réveil. À cette «conscience constituée», à cette «infrastructure» qui est comme l’invariant formel, le socle de la relation du moi à son monde, correspond une triple stratification fonctionnelle: la possibilité de s’ouvrir au monde et de s’y orienter; la capacité de distribuer l’espace vécu selon ce qui appartient au sujet ou au monde des objets; et enfin la faculté d’arrêter – pour le remplir – le temps dans cet «espace de temps» que constitue le présent entre la rétropulsion vers le passé et la propulsion vers l’avenir. Ce n’est que lorsque cette infrastructure du champ est constituée que le sujet peut décrire les figures de ses performances réflexives et opérationnelles, ces exercices de style et de pensée, qui sont comme les mouvements facultatifs du sujet à l’extrême pointe de sa virtuosité. Ces quelques mots peuvent permettre de comprendre la complexité et les difficultés infinies des descriptions du champ de la conscience. Disons simplement ici qu’elles ne sont possibles qu’à la condition de les réduire précisément à l’essentiel que nous venons d’esquisser ici.

Le moi et son envers: l’autre

L’être conscient acquiert cependant une autre dimension (la conscience de soi) en se constituant selon une figuration systématique et transactuelle de lui-même. Et c’est bien au moi, en effet, que tout le monde pense, y compris Freud et l’école psychanalytique, quand il est question de cet être conscient et organisé qu’est l’homme. Être quelqu’un, c’est en effet s’identifier soi-même à cette personne que l’on veut et doit être, selon l’idéal de soi que chacun emprunte au milieu de sa culture et, bien sûr, comme l’école psychanalytique l’a particulièrement mis en évidence, à la situation triangulaire qui le lie à ses géniteurs. Autant dire que cette modalité d’être conscient en étant «pour soi» (thème privilégié de la phénoménologie heideggérienne et sartrienne) apparaît essentiellement historique et axiologique. Historique, en ceci que la personnalité se construit au travers des événements qui armorient chaque moment du temps perdu et dans la perspective du temps ouvert et à venir qui reste encore à remplir. Axiologique, en cela que le système de la personnalité est aussi essentiellement celui des valeurs et des fins propres aux projets de l’ego et de sa transcendance idéale. À ces caractéristiques de l’être conscient en tant que «sujet étoffé» ou «moi» (que E. Pichon distinguait du «je» pronominal) s’ajoute celle d’être tout aussi fondamentalement un être dont l’existence est dialoguée, ce qui de soi exclut le soliloque absolu. La conjugaison à la première personne de tous les modes (au passé, au futur, au conditionnel, au subjonctif) supppose naturellement un usage du pronom qui se retrouve dans les ambiguïtés des trois personnes du verbe, support du discours de soi à soi, comme de soi à l’autre. Autrement dit, l’être conscient, en explicitant historiquement, axiologiquement et verbalement les événements, le sens et le discours de sa personne, demeure un être problématique dans et par sa formulation même. Cela ne veut pas dire qu’il soit un être inexistant, mais, au contraire, qu’il est l’existant par excellence, si, pour être conscient de soi, l’existant humain doit précisément s’interroger pour se diriger. De telle sorte que la dialectique de cette modalité diachronique de l’être conscient, fondatrice de la personne du sujet, est celle du moi qu’il a à être en se déclarant tel, et de l’autre, qui, en lui, contredit à l’ordre de ce devoir et de ce discours.

Ainsi nous apparaît clairement la double structure synchronique et diachronique de l’être conscient, qui se recoupe d’ailleurs et s’entrecroise à chaque instant pour former – par les conjugaisons du moi avec les péripéties des événements et les modalités des possibles ou des devoirs – toutes les configurations actuelles et virtuelles de l’existence. Disons aussi que ces deux modalités d’être conscient, non seulement interfèrent mais sont dans des rapports de subordination, car, bien sûr, le champ de la conscience, qui s’ordonne toujours relativement à l’intentionnalité du sujet, dépend du système de la personne, tandis que la réciproque n’est pas vraie. Si, en effet, dans toute expérience vécue, fût-elle celle de l’inconscient du rêve, le «je» figure comme sujet immanent, quand le moi s’affirme, c’est dans sa transcendance à l’égard de son inconscient.

Et c’est bien en effet comme un ordre composé, comme une architectonie ayant un sens et une hiérarchie que nous apparaissent les structures synchronique (l’organisation du champ de la conscience) et diachronique (système historique et axiologique de la personne) de l’être conscient, soit qu’il vive à chaque moment du temps une expérience soumise aux catégories du réel, soit qu’il soit conscient d’être quelqu’un malgré ce qui, en lui, compromet l’unité et l’identité de sa personne. Rien de ce que nous venons de dire des structures de l’être conscient qui, par conséquent, ne nous contraigne à examiner précisément qu’il est de l’essence de l’être conscient qu’il soit pour lui question de son inconscient.

3. L’être conscient et son inconscient

Freud n’a pas découvert le psychisme inconscient, en ce sens que tous les hommes de tous les temps savaient que «quelque chose» (leur corps, ses besoins et ses souvenirs) n’accède pas à la qualité prédicative d’être conscient, c’est-à-dire reste réfractaire à la libre disposition du sujet. Par contre, en observant qu’à l’intérieur de chacun il y a quelque chose qui se trouve séquestré par l’effet du refoulement, Freud a bien découvert l’inconscient (substantif). L’inconscient freudien, celui dont depuis bientôt cent ans les hommes ont appris à discuter, sinon à le connaître ou à le reconnaître comme étant le produit d’une interdiction (censure), cet inconscient est pour ainsi dire deux fois inconscient: d’abord parce qu’il est refusé ou récusé par la conscience, et ensuite parce que l’être conscient est lui-même inconscient de cette dénégation. Disons donc que depuis Freud l’inconscient représente bien autre chose que ce qu’en entendaient Leibniz ou, plus près de nous et peu avant Freud, Eduard von Hartmann.

Ambiguïté de la thèse freudienne

La thèse freudienne tient l’inconscient pour une zone entièrement autonome, un système hermétique de détermination. La sphère de l’inconscient est, dans la théorie psychanalytique, incommensurablement plus importante que ne l’est celle de la conscience. Elle est régie, comme le sont les premiers stades du développement infantile, par le principe de plaisir, c’est-à-dire par l’exigence de satisfaction des pulsions (Trieben ). Les forces de l’inconscient sont ces pulsions mêmes (charges tendant à se décharger), pulsions qui ne sont jamais brutes comme des instincts, mais figurées par leurs «représentants» psychiques (fantasmes, complexes), c’est-à-dire élaborées. Cette élaboration, ce travail de l’inconscient («processus primaire») a ses lois propres. Les caractéristiques dominantes en sont: l’intemporalité, l’absence de négation ou de degrés de certitude, l’indifférence enfin au principe de contradiction. La pensée du rêve en fournit l’exemple le plus évident, en nous montrant et démontrant que l’inconscient ne peut affleurer à la conscience que sous forme symbolique, c’est-à-dire après avoir été déformé, déguisé par des procédés de déplacement (métaphore, métonymie) qui médiatisent le sens de l’inconscient dans ses «signifiants» (représentants idéo-verbaux de ce deuxième ou troisième degré de signalisation). De telle sorte que l’inconscient n’est pas amorphe mais systématique, et c’est en ce sens que J. Lacan a pu dire (abusivement) que l’inconscient est structuré comme un langage.

L’inconscient comprend pour Freud le «ça», c’est-à-dire la totalité des pulsions (pulsions libidinales et pulsions de mort); le sur-moi, c’est-à-dire l’image introjectée des parents (notamment du père ou du phallus) véhiculée par les relations œdipiennes (identification au père ou à la mère, avoir ou être un phallus, etc.); et enfin le moi lui-même, car, étant investi par la libido narcissique (Ichbesetzung , ego-cathexis), il n’est et ne naît que des exigences de la sphère inconsciente et ne constitue pas une formation entièrement consciente. De telle sorte que l’être conscient, en dernière analyse, se trouve complètement «dépossédé». En effet, du point de vue économique, énergétique ou topique, on peut dire que c’est – sauf clause de style – toute la vie psychique qui devient, aux yeux de Freud, inconsciente. Et ainsi, après avoir été une psychologie de la conscience dans sa forme classique, la psychologie est devenue, après Freud, une psychologie de l’inconscient.

Cette extension abusive de l’inconscient à toute l’activité de la vie psychique et à toutes les formes ou instances de l’appareil psychique, par la théorie freudienne, ne pouvait que soumettre celle-ci à la critique qui lui reproche de faire disparaître artificiellement l’être conscient en attribuant à l’inconscient tous les attributs de la conscience (critique de G. Politzer et de l’egopsychology ).

La théorie freudienne s’expose, d’autre part, à une autre grave critique en séparant radicalement l’inconscient de l’être conscient, réduit lui-même à n’être qu’une sorte de hublot (lentille optique) ou œil-de-bœuf (cf. le fameux schéma de la première topique, tel qu’il figure dans Das Ich und das Es , 1923). Cette théorie de la division de l’être psychique en deux parties inégales et hermétiquement fermées l’une à l’autre est pourtant constamment reprise et soutenue par la doctrine psychanalytique, au mépris, semble-t-il, des postulats fondamentaux de la théorie freudienne.

Autrement dit, il y a dans la pensée de Freud une contradiction. D’un côté, c’est la censure (c’est-à-dire la fonction législatrice de la conscience représentant le système de la réalité) qui, en refoulant les pulsions, constitue l’inconscient (et seul le travail d’assouplissement de cette censure permet de faire admettre dans la conscience ce qui en était exclu en qualité d’objet d’une interdiction absolue). Dans cette perspective première, la théorie du refoulement fait intervenir la relation de l’inconscient au conscient et consacre nécessairement la réalité et l’importance de l’instance de la conscience. D’un autre côté, la séparation radicale de l’inconscient, son autonomie et son omnipotence dressent l’inconscient en maître absolu et exclusif du «psychisme» ou du «sujet» qui disparaît dans cette aventure.

Jeu réciproque conscient-inconscient

Il faut choisir entre ces deux points de vue. Il ne fait pas de doute que toutes les controverses qui sans cesse opposent tant de philosophes et de psychiatres aux psychanalystes, ou parfois même les psychanalystes entre eux, seraient certes plus fondées si le problème posé portait non pas sur l’existence ou la non-existence d’un inconscient ayant les attributs que lui a découverts Freud (ce qui est indiscutable), mais bien sur la théorie elle-même du refoulement. Revenir aux sources, c’est-à-dire à la conception première de Freud, quand, au moment de sa découverte, il a saisi l’inconscient pour ce qu’il est, c’est-à-dire le refoulé (par la censure, c’est-à-dire par les instances de la conscience), c’est refuser ce qui ensuite a été subrepticement introduit en contradiction manifeste avec cette définition, savoir: la théorie d’un refoulement dit originaire qui, ne faisant appel à aucune autre instance que celle de l’inconscient enfermé en lui-même condamne nécessairement l’homme à n’être qu’inconscient.

Dans son sens originel, l’inconscient (au sens du substantif freudien) est, en fait comme en droit, une propriété de l’être conscient. Ce n’est en effet que dans la mesure où un être peut échapper à sa qualité d’être inconscient (cesser d’être un être inconscient, comme on dit que l’est un animal, un nouveau-né ou un dormeur), ce n’est que dans la mesure même où il devient un être conscient qu’il a un inconscient. Et c’est ce passage de la catégorie prédicative de l’être (être un être inconscient) à la catégorie substantive de l’avoir (avoir un inconscient) qui définit certainement l’homme.

Les rapports de l’être conscient à son inconscient sont des rapports proprement «organiques», en ce sens que l’un renvoie à l’autre par l’effet même de l’organisation ou, si l’on veut, de l’ontologie de l’être psychique: rien ne peut être dit de l’être conscient qui ne postule qu’il s’institue contre son inconscient, de même que rien ne peut être dit de l’inconscient qui ne postule que, refoulé par la loi promulguée par l’être conscient, c’est en dernière analyse, de celui-ci qu’il dépend. Non point que l’être conscient soit ou puisse jamais être «propriétaire», au sens de maître absolu, de son inconscient; mais bien parce que le sens progrédient de l’organisation de la personne, la loi de son développement, la dialectique même du devenir conscient et de la «sublimation» exigent que l’inconscient soit l’objet d’une négation «retenue et surmontée» (Aufhebung ) pour que l’être conscient, en devenant précisément conscient de son inconscient, le maîtrise en le transformant et en se transformant.

Autant dire que les deux thèses les plus généralement et les plus manifestement insoutenables, celle de l’omnipotence et celle de la séparation absolue de l’inconscient à l’égard de l’être conscient, sont des illusions, au même titre qu’est illusion la suprématie absolue de l’être conscient. Il convient plutôt de dire que l’être et le devenir conscients constituent la forme d’organisation de l’être psychique qui dépend de l’organisation même de l’inconscient, comme celui-ci dépend de celui-là. La description d’un tel modèle dynamique et, en un certain sens, cybernétique de l’être conscient, dans ses rapports de «feedback» avec son inconscient, rend sensible la nécessité de l’incorporer dans l’organisation même du cerveau, pour autant que celle-ci comporte, elle aussi et nécessairement, une relation fondamentale et réciproque de sa «base» et de son «sommet», des fonctions animales intégrées et des fonctions humaines d’intégration.

4. La conscience et le cerveau

Les difficultés du problème des rapports de la conscience et du cerveau sont celles des rapports du «physique et du moral», de la matière et de l’esprit. Elles sont insurmontables dès que l’on tient le cerveau pour une chose et la conscience pour une pure spiritualité. Ce qui vient d’être dit de l’être conscient, de la multiplicité de ses structures, de son organisation dynamique, qui est comme un instrument de cette sorte de dialectique qui rapporte l’un à l’autre le haut et le bas, l’inconscient et le conscient, permet déjà d’entrevoir que, si l’«isomorphisme» (c’est-à-dire l’identité) du cerveau et de la conscience ne peut être pensé sur le modèle d’un simple décalque de l’un à l’autre, qui en supprimerait la dualité relative, les modèles architectoniques de l’un et de l’autre peuvent les articuler dans et par un mouvement dialectique, qui assure leur intégration réciproque, sans les assimiler purement et simplement l’un à l’autre. Car, d’une part, le cerveau, tel qu’il commence à être connu, n’est ni un objet, ni une machine, étant donné qu’il est animé lui-même par la finalité de l’organisme qu’il contrôle par l’effet d’une boucle de réverbération (d’autogouvernement); et, d’autre part, la conscience, telle qu’elle vient d’être décrite, implique, elle aussi, en tant que structure hiérarchisée de l’être conscient, une réflexion réciproque du supérieur sur l’inférieur.

L’impasse dualiste

Une telle «réflexion» permet de comprendre que le fameux problème constitué par la recherche d’un «centre de conscience» dans le cerveau est complètement dépassé; ainsi qu’on le verra, il est annulé par cette nécessité d’un modèle circulaire, qui figure la réciprocité des rapports de l’organe cérébral et de l’être conscient.

C’est dans le schéma darwinien et spencérien de la superposition des stades de l’évolution et des segments du système nerveux que l’idée d’un centre de la conscience s’est imposée en même temps qu’elle s’engageait ainsi dans l’impasse de la concomitance. Pour H. Jackson, en effet, père de toutes les théories neurophysiologiques des Temps modernes, le modèle du système nerveux était essentiellement moteur ou sensori-moteur, ou encore réflexe; de telle sorte, il serait constitué par une série verticale de centres superposés, dont chacun contrôlerait les instances ou centres inférieurs. De proche en proche, Jackson en est arrivé, en avril 1887, à examiner les highest levels de l’activité nerveuse; pour lui, ils ne pouvaient être autre chose que les centres du lobe préfrontal (occupant à l’extrémité de l’axe cérébro-spinal une position supérieure, «télencéphalique»). Ce sont, disait-il, ces centres «sensori-moteurs supérieurs» (au pluriel) qui sont l’organ of mind. Mais, bien entendu, aux yeux de ce grand neurologiste spiritualiste, ces centres ne pouvaient être que des instruments au service de l’esprit (they are for mind ); il niait (this I deny ), en effet, que ces highest cerebral centers , qui sont «la base physique de l’esprit», puissent être considérés comme constituant l’esprit ou la conscience «elle-même», laquelle, précisait-il, n’est pas une fonction du cerveau. Et c’est ainsi que le modèle jacksonien des rapports du cerveau et de la conscience est resté celui de la «concomitance», notion dualiste ou paralléliste reprise par la plupart des neurophysiologistes (de Sherrington à Eccles), à qui elle assure une confortable position de «repos métaphysique» à l’abri du dualisme cartésien.

Mais cette idée de «centre de la conscience» (sorte de cellule «pontificale» ou de «Saint-Siège» de la conscience) s’est détruite elle-même. Car non seulement les neurophysiologistes de tradition dualiste ont, ainsi qu’on vient de le voir, séparé par un abîme la conscience des mécanismes du cerveau, mais encore ceux qui, au contraire, ont travaillé à édifier une théorie purement physiologique des mécanismes cérébraux du highest level , ont eu de plus en plus soin de substituer à la notion d’activité de conscience celle d’activité nerveuse supérieure excluant (?) la conscience. Rejetée ainsi soit vers le zéro soit vers l’infini, la conscience est vouée de la sorte à disparaître. C’est en tout cas selon cette mécanisation progressive, admise par les uns ou requise par les autres, que s’est développée depuis plus de cent ans la théorie corticale et réflexologique des fonctions supérieures, qui, sur le modèle de la psychologie associationniste (Pavlov) ou sur ceux de la cybernétique ou de l’informatique (Ashby, N. Wiener, W. Grey Walter, H. Kuhlenbeck...), considère l’activité supérieure du système nerveux comme celle d’une machine et lui dénie, par conséquent, toute conscience.

Structures cérébrales et activités de la conscience

Le rôle de l’écorce cérébrale ne fait pas de doute, car l’organisation du cerveau culmine dans ces «centres d’indétermination» ou de «complexification maximale», où se développent les mouvements facultatifs ou créateurs de la pensée. Ces centres correspondent aux «centres associatifs» de Flechsig, qui constituent dans le néo-cortex l’immense réseau neuronal (le «magic loom » de Sherrington) des milliards de connexions synaptiques. Toute la neurophysiologie moderne des fonctions supérieures intellectuelles, ou d’acquisition (ou encore d’information, ou enfin de mémoire, et du champ opératoire des relations et de l’adaptation de l’individu à son milieu) paraît avoir solidement établi que l’écorce cérébrale fonctionne, en effet, comme une machine électronique où circule l’information et où s’élabore la solution des problèmes.

Mais cette forme supérieure et proprement intellectuelle du highest level de la pensée ne saurait justement être considérée comme la structure fondamentale de la conscience. Cela pour deux raisons. La première tient au fait que ces mouvements de la pensée réflexive sont facultatifs: ils n’ajoutent aux structures de l’être conscient qu’une différenciation qui ne requiert le réseau neuronal cortical que comme l’instrument indispensable à sa virtuosité. La seconde consiste en cela même que l’organisation du conscient est axée par la motivation et enracinée dans la sphère de l’instinct: à cet égard, le fonctionnement logico-mathématique du cerveau télencéphalique dépend de la constitution du champ de la conscience et du système de la personne, mais ne les commande pas. Ainsi, le cortex ne saurait être considéré comme le centre de la conscience, mais en est plutôt – selon l’intuition jacksonienne – l’instrument.

C’est ainsi que les neurophysiologistes ont de plus en plus senti la nécessité de lier l’activité de conscience à la base du cerveau, à son enracinement dans les profondeurs de la vie animale et même végétative. Dès les années trente, ils ont reconnu dans le sommeil un phénomène strictement lié au problème des relations de la conscience et du cerveau (par-delà le sommeil, toute la pathologie de l’épilepsie). Le «centre du sommeil» (W. R. Hess) devint alors objet de recherche; il a été localisé dans le diencéphale, car l’expérimentation et la pathologie de cette région cérébrale produisent des états de somnolence. C’était déjà une certaine façon de se représenter que la conscience dépendait d’un mécanisme régulateur sous-cortical.

Le rôle de la formatio reticularis du tronc cérébral dans la constitution de l’éveil cortical (arousal cortical ) a été découvert et expérimentalement démontré par H. W. Magoun et G. Moruzzi, au début des années cinquante. Si l’on connaissait déjà l’effet de la fameuse transection cérébrale (préparation dite du «cerveau isolé» de Bremer) qui, séparant l’écorce cérébrale du tronc cérébral, entraîne une sorte de sommeil constant (alors que la fameuse décortication – la destruction de l’écorce cérébrale – de Goltz laisse persister l’alternance sommeil-veille), ce n’est que par les effets de l’excitation électrique de cette formation réticulée qu’a été démontré le rôle dynamogène des formations grises rhombo-mésencéphaliques. Ce «système activateur ascendant de l’éveil cortical» ne tire d’ailleurs pas des afférences sensorielles qu’il reçoit son pouvoir d’éveiller le néo-cortex, mais il le doit bien plutôt à l’activité propre de son neuropil, comme l’ont montré, dès cette époque, les expériences de déafférenciation sensorielle. Au cours de ses études d’expérimentation sur l’épilepsie, Penfield (1953) proposait de considérer les formations centrales du cerveau (centrencéphale) comme «la base physique de l’expérience vécue dans le champ de la conscience». Dès lors, l’organisation de ce champ dans l’actualité du vécu peut apparaître (cf. H. Ey, La Conscience ) comme incorporée à l’organisation de ce «vieux cerveau» (formation réticulée, thalamus, rhinencéphale), où convergent effectivement, dans le lobe limbique, la régulation temporelle des données du sensorium commune concernant les émotions et les pulsions, dont les mouvements sont intégrés dans ces structures qui constituent, a dit Wiener, un «totalisateur affectif».

Le problème des rapports du cerveau et de la conscience, en cessant d’être par excellence celui de l’intelligence et du cerveau et en descendant au niveau (dans et par le cerveau) des rapports de la vie et de la conscience, a changé de sens, en même temps que s’en esquissait une première solution. Ce qui se trouve inscrit de l’être conscient dans le «vieux cerveau» et dépend de sa propre organisation fonctionnelle, c’est l’infrastructure du champ de la conscience, c’est-à-dire toutes les modalités et les conditions de constitution temporo-spatiales de ce milieu «privé», où se décrivent les configurations de ce qui est momentanément vécu. Ce qui, par contre, représente l’activité de la pensée réfléchie propre à l’être conscient se déroule certainement au niveau du néo-cortex, mais ne constitue que la partie, en quelque sorte, contingente ainsi que facultative du travail de création.

Intégration des fonctions psychiques

On comprend dès lors que, lorsque, pendant le sommeil, le régime cérébral s’inverse et centre son organisation sur ce «vieux cerveau», lorsque, avec l’arousal cortical , la possibilité même d’une conscience réfléchie ouverte sur le monde de la réalité disparaît, l’expérience, vécue alors dans et par l’activité de cette vie psychique fermée, soit précisément celle du rêve. Par la méthode des transections au niveau du tronc cérébral, M. Jouvet (1960) a montré que les phases de rêve onirique qui correspondent à un sommeil rapide avec mouvements oculaires (Kleitman, Dement, 1957) ne se produisent que lorsque le noyau reticularis pontis est intact. D’où cette conséquence que le rêve, en tant qu’il est, selon Freud, manifestation de l’inconscient, c’est-à-dire projection des désirs, ne se produit que par l’activité d’un système fonctionnel archaïque, qui a son organisation propre et ne s’installe que lorsque se renverse le régime cérébral. Autrement dit, s’il y a des modalités de conscience plutôt que des degrés de vigilance, il y a aussi des modalités d’inconscience et non pas seulement des degrés de sommeil. Autrement dit, et de façon plus radicale encore, le sommeil et la veille, le vécu dans un champ bien structuré de conscience et le vécu dans la destructuration de ce champ ne peuvent se réduire à l’opposition de deux phénomènes simples, car ils comportent une dialectique constante de l’être conscient avec son inconscient, une sorte de circularité de leurs rapports réciproques se situant à divers niveaux structuraux. Par là se trouve restituée à la neurophysiologie cérébrale son organisation vivante, envisagée non plus dans l’économie des partes extra partes , ou comme des fonctions isolées ou superposées dans l’espace, mais comme un réseau d’ensembles transanatomiques, de régimes fonctionnels à base de circuits de réverbération. Car le cerveau vivant (le cerveau dormant comme le cerveau éveillé ou pensant) n’est pas seulement un appareil in put-out put , un appareil de transmission: c’est un organe d’intégration qui, sans cesse et à tous ses niveaux, règle les relations de l’être conscient à son inconscient. En inversant la formule du physiologiste Johan Müller, «Nul n’est psychologue s’il n’est physiologue», il faudrait dire: «Nul n’est physiologue s’il n’est psychologue.»

Ce qui vient d’être exposé en peu de mots, tout en tenant lieu d’une sorte de révolution copernicienne dans le monde des rapports du cerveau et du champ de la conscience, laisse pourtant en suspens les rapports qu’il y a entre la constitution du sujet par la conscience de soi avec l’organisation du cerveau. Nul doute que, dans la formation de la personne, les rapports avec les fonctions spécialisées ou avec la masse fonctionnelle du cerveau ne peuvent être qu’indirects, pour être médiatisés dans le milieu même où s’élabore l’être conscient en tant que personne. L’on peut penser que ce qui commence seulement à être entrevu sur le codage des molécules d’ARN (acide ribonucléique) – portant la marque spécifique de l’ADN, acide désoxyribonucléique –, dont le modèle neuronal est emprunté au modèle génétique (Smitt, 1965; Bonner, 1966), peut nous faire comprendre que la synthèse des protéines spécifiques de l’information pourrait être le processus même de la construction en quelque sorte mnésique de la personne. De même que le modèle sur lequel se transmet et auquel se conforme l’intention organisatrice de l’espèce, qui a un caractère informatif absolu (M. Grünberg-Manago et F. Gros, 1964), et de même que l’organisme, grâce à son patrimoine héréditaire (génome), peut être considéré comme un «informostat» (Zuckerkandl et Pauling, 1965), l’informostat psychique, c’est-à-dire la formation du moi par sa propre information, résulterait d’une génération analogue à celle du message héréditaire ou de la spécificité des anticorps de l’immunité, mais avec une constance plus relative (et proportionnelle à son ouverture aux informations nouvelles). On voit à quelles spéculations, à quelle science-fiction peut entraîner cette nouvelle vision de la physique et de métaphysique de l’identité.

Ce rapide examen des rapports du cerveau et de la conscience montre que, s’il faut se méfier de toute mythologie cérébrale, il convient aussi d’éviter les excès auxquels donnerait lieu une saisie purement noétique de l’être conscient qui le désincarnerait dans une théorie «anencéphale» de sa constitution.

5. La conscience et l’ordre des valeurs humaines

L’exposition des structures et de l’organisation de l’être conscient l’expriment pour ce qu’il est: l’ordre qui le constitue comme sujet de son monde et l’ordre que ce même sujet impose à son monde. Que cet ordre ne soit pas celui d’une sorte de despotisme, c’est bien ce qui est suggéré par l’organisation même du pouvoir de l’être conscient, lequel ne peut jamais se rendre maître absolu de son inconscient. Il n’en reste pas moins que «ordonnance» de son architectonique ou de son autorité, sa fonction est – comme celle du sytème nerveux – d’assurer son autonomie (sa liberté) par sa capacité d’intégration (son pouvoir d’autoconstruction et d’autorégulation). Formulée en ces termes éthiques et juridiques, la structure fonctionnelle de la «conscience» se découvre comme l’objet et l’enjeu de tous les problèmes eschatologiques et axiologiques de l’humanité. Et c’est effectivement l’ontologie de l’être conscient qui constitue le centre de tous les problèmes proprement anthropologiques. Tant il est vrai que le même mot, qui, dans la langue latine et en anglais, réunit le sens des deux mots allemands Bewusstsein et Gewissen , subsume ces deux significations liées dans la description phénoménologique de l’être conscient.

La négation de la conscience

Cette «juridiction de la conscience psychologique», cette «autonomie de l’ego ou de la conscience» sont mises en doute par le matérialisme déterministe, soit sous sa forme logico-mathématique (tirée de la cybernétique des mécanismes macro-physiques), soit sous celle du «structuralisme linguistico-culturaliste». En effet, l’être conscient disparaît dans une conception mécaniste qui interprète le psychisme comme une chaîne de réflexes ou un circuit impersonnel d’informations, et il disparaît s’il est immergé dans une infinité de signifiants impersonnels. Entre ces deux dangers extérieurs (le déterminisme des choses représentant le monde physique et le déterminisme des mots représentant le monde culturel), la conscience est bien, comme le disait Freud du moi, ein armes Ding (une pauvre chose). Le procès qui est fait dans les Temps modernes à l’«image anthropologique traditionnelle» de l’homo psychologicus se résume dans cette négation de la conscience, laquelle n’a et ne peut avoir, en effet, une réalité que si elle n’est réductible ni à une mécanique physique, ni à une machine parlante.

Mais l’être conscient court un autre danger (pour reprendre ici les termes mêmes dont se sert Freud, dans Au-delà du principe du plaisir , quand il insiste sur la nécessité pour le moi de lutter sur le «front intérieur» des excitations internes), celui d’être submergé par les forces de l’inconscient. Et c’est bien ainsi, en effet, que la «métapsychologie» freudienne et de toutes les écoles psychanalytiques en est venue à faire disparaître l’être conscient (das arme Ding ) sous l’irrésistible poussée d’un inconscient omnipotent. Mais sur le plan des valeurs cet anéantissement de l’être conscient est devenu lui-même un idéal. Il suffit en effet de réduire la conscience à n’être que le reflet de la culture pour que, miroir d’une société qui apparaît alors comme la force de répression qui s’exerce arbitrairement, artificiellement et absurdement sur l’individu pour l’écraser, l’être conscient soit voué aux gémonies d’une contestation radicale. La levée de boucliers contre la raison, la société et la conscience, l’apologie de l’irrationnel, de l’imagination et de la libido, la révolte contre le père et le sur-moi, la révolte de Dionysos contre Apollon, qu’elle soit prêchée par Nietzsche, W. Reich ou H. Marcuse, tiennent essentiellement la conscience et l’être conscient pour une réalité mythique qui ne tirerait sa fausse réalité que de la vraie et affreuse réalité de la répression qu’exerce la société sur le mouvement libre de la libido.

Conscience et liberté

Ce procès moral et politique repose sur une métapsychologie, à tout le moins discutable, des rapports de l’être conscient à son inconscient. Il paraît en effet difficile de ne pas suivre la dialectique de ces rapports jusque dans l’organisation structurale, jusqu’à l’ontologie de l’être psychique. Celui-ci, en effet, est bien un organisme qui n’est ni voué à l’asservissement ni doté d’un pouvoir de maîtrise totale, car la liberté qu’assure l’organisation de l’être conscient ne peut être ni le libre mouvement d’une instinctive spontanéité, ni l’autonomie absolue et transcendante d’une conscience souveraine. Dans l’organisation de l’être psychique, l’être conscient et son inconscient renvoient l’un à l’autre, et ne s’opposent pas purement et simplement comme deux systèmes qui s’excluraient radicalement l’un l’autre. Si nous revenons à ce que nous avons exposé plus haut, à la structure dynamique de l’être conscient et à ses rapports avec son inconscient, il est, il devrait paraître évident que l’inconscient représente le foyer d’une positivité absolue, celle des pulsions, des forces du désir, exigeant sa satisfaction dans le plaisir (l’inconscient est le règne du principe de plaisir). Les structures de l’être conscient ont une fonction de négation à l’égard de la positivité radicale du ça (et du surmoi qui lui est intimement lié). Cette fonction neg-entropique de l’être conscient s’exerce (sous une forme de refoulement et conformément à la législation du principe de réalité) sur l’inconscient. Elle ne dépend pas de la société, c’est-à-dire de la loi institutionnelle, même si elle lui emprunte ses stipulations, car elle est incorporée dans la fonction même d’intégration de l’organisme. De plus, et ceci est capital, cette négation est elle-même l’objet d’une négation qui reprend la finalité de l’inconscient pour la transformer en progression idéale (sublimation). C’est ainsi que la fameuse phrase clé de tout le système véritablement freudien des rapports de l’être conscient et de son inconscient reprend tous ses droits: «Wo es war soll ich werden » (Là où ça était, je dois devenir). Tel est, en effet, le véritable sens de la dialectique des rapports de l’être conscient (le «je» avec toutes les conjugaisons qui engendrent les configurations de la conscience) avec son inconscient (le «ça» avec toutes les constellations qui engendrent les figures complexuelles du désir), dialectique par quoi, comme le dit P. Ricœur, le sujet passe de son archéologie à sa téléologie, c’est-à-dire au règne de sa liberté et de son véritable pouvoir de création. De sorte que, dans cette perspective, la fonction de la conscience n’apparaît pas comme celle d’un asservissement passif à une loi extérieure, mais au contraire comme l’organe même de la subordination du principe de plaisir au principe de réalité, c’est-à-dire de la seule voie possible du progrès et de la construction.

Parce que le «devenir conscient» est cette trajectoire par laquelle le sujet s’arrache aux déterminations de son inconscient pour constituer l’indétermination personnelle de ses relations avec son monde, parce que ces structures de l’être conscient ne sont réductibles ni à des structures physiques, ni à une mécanique impersonnelle de signifiants, ni aux exigences de l’inconscient, on peut bien dire qu’être conscient, c’est disposer vraiment d’un modèle personnel de son monde grâce auquel chacun choisit le chemin de sa liberté. La psychopathologie, en tant que pathologie de la liberté, démontre d’ailleurs, s’il en était besoin, que l’homme aliéné, par les diverses modalités de l’inconscient, révèle en quelque sorte ce qu’est l’être conscient et organisé dans la plénitude de son être. Supprimer l’être conscient et ses valeurs, c’est opérer un nivellement général de toute l’humanité; tenir l’être conscient pour ce qu’il est dans l’architectonique de l’être vivant et dans l’organisation de la personne humaine, c’est faire apparaître toutes les valeurs existentielles qu’il a pour fonction d’ordonner. À cet égard, bien sûr, l’être conscient figure la neg-entropie de l’ordre humain dont l’inconscient figure l’entropie. Car, en définitive, ce n’est pas par une métaphore politique ou morale qu’aurait été fabriqué le mythe de l’homme conscient – de l’homme tout court – mais c’est l’inverse qui est vrai: rien ne peut passer dans les institutions, les mythes, l’art, la morale, la politique que n’y projette l’homme conformément à l’organisation de son être, à l’ordre de la constitution du sujet en objet de sa connaissance, c’est-à-dire, en dernière analyse, à la modalité ontologique de l’être conscient.

conscience [ kɔ̃sjɑ̃s ] n. f.
• fin XIIe; lat. conscientia « connaissance » → conscient
Faculté qu'a l'homme de connaître sa propre réalité et de la juger; cette connaissance. IConscience psychologique.
1Connaissance immédiate de sa propre activité psychique. « La seule façon d'exister, pour la conscience, est d'avoir conscience d'exister » (Sartre). « une conscience intime de notre existence : voilà le plaisir » (Balzac). Conscience claire ( lucidité) , obscure. Conscience marginale. Absolt La conscience : la conscience de soi, de son existence. « Avoir conscience, c'est sentir qu'on sent » (Goblot).
Fait de conscience. État de conscience. Perte de conscience (évanouissement, sommeil...). Perdre conscience. connaissance.
Loc. Prendre conscience : devenir conscient (d'un phénomène psychique). — Spécialt, psychan. Prise de conscience : accès à la conscience de sentiments refoulés, déterminants de la conduite.
2Faculté d'avoir une connaissance intuitive de soi. La conscience et les sens.
3Psychol. Partie de la vie, de l'activité psychique dont le sujet a une connaissance intuitive. conscient (3o). Sentiment qui arrive, affleure à la conscience, pénètre dans le champ de la conscience (opposé à inconscient) . Conscience des sensations internes ( cénesthésie) , externes.
4Philos. Acte ou état dans lequel le sujet se connaît en tant que tel et se distingue de l'objet qu'il connaît. « Toute conscience est conscience de quelque chose » (Sartre ).
5Cour. (en loc.) Connaissance immédiate, spontanée, intuitive et plus ou moins vague. Avoir conscience de qqch. pressentir, ressentir, sentir . Il a conscience de son talent, de son mérite, de sa force. connaître. Prendre conscience d'une chose. s'apercevoir, réaliser. « nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur » (Proust). La prise de conscience d'une situation dramatique. Conscience collective. Conscience de classe. Conscience politique ( conscientiser) .
Ensemble des opinions, des convictions, des croyances (de qqn). Respecter la liberté de conscience.
IIConscience morale.
1Faculté ou fait de porter des jugements de valeur morale sur ses actes. Une conscience droite, intègre, pure. « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » (Rabelais) . « les scrupules qui [...] harcèlent les consciences tourmentées » (F. Mauriac). Une affaire de conscience. Cas de conscience. Avoir une conscience large, élastique. La voix de la conscience. Parler, agir selon, suivant sa conscience, contre sa conscience. Examen de conscience. Directeur de conscience : confesseur. Par acquit de conscience : pour se tranquilliser. Avoir la conscience en paix, la conscience tranquille. Transiger avec sa conscience. Libérer, soulager sa conscience (par des aveux, des remords, le repentir). Avoir de la conscience. honnêteté. « Vous tombez mal, [...] je n'ai pas de conscience » (Aymé). Avec la conscience du devoir accompli : en étant sûr d'avoir bien agi. Avoir sa conscience pour soi : être certain d'avoir agi en toute moralité, quoi que les autres puissent en penser. — Objecteur de conscience.
2Loc. SUR LA CONSCIENCE. Avoir qqch. (une faute, un poids) sur la conscience : avoir qqch. à se reprocher. Dire ce que l'on a sur la conscience. cœur. — EN CONSCIENCE : en vérité, en toute franchise. ⇒ honnêtement. Je vous le dis en conscience. En mon âme et conscience (formule de serment) :dans ma plus intime conviction.
3 ♦ BONNE CONSCIENCE : état moral de la personne qui estime (parfois à tort) avoir bien agi et n'avoir rien à se reprocher. Avoir bonne conscience : être satisfait de soi sur le plan moral, ne pas se sentir coupable. Se donner bonne conscience.
♢ MAUVAISE CONSCIENCE : sentiment pénible d'avoir mal agi. ⇒ culpabilité. Ça lui donne mauvaise conscience.
4 ♦ CONSCIENCE PROFESSIONNELLE : honnêteté, soin, minutie que l'on apporte à l'exécution de son travail ( consciencieux) . — Absolt Mettre beaucoup de conscience dans son travail.
⊗ CONTR. Inconscience. Malhonnêteté.

conscience nom féminin (latin conscientia, de scire, savoir) Connaissance, intuitive ou réflexive immédiate, que chacun a de son existence et de celle du monde extérieur. Représentation mentale claire de l'existence, de la réalité de telle ou telle chose : L'expérience lui a donné une conscience aiguë du danger. Psychologie Fonction de synthèse qui permet à un sujet d'analyser son expérience actuelle en fonction de la structure de sa personnalité et de se projeter dans l'avenir. ● conscience nom féminin (de conscience) Faculté qui pousse à porter un jugement de valeur sur ses propres actes ; sens moral : Chacun se décidera selon sa conscience. Science sans conscience n'est que ruine de l'âme (Rabelais). Sens du devoir, soin scrupuleux : Un travail fait avec beaucoup de conscience. Siège des sentiments personnels, des pensées intimes : Chercher à scruter les consciences.conscience (citations) nom féminin (de conscience) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 La loi du juste avenir se trouve dans les consciences solitaires et libres et ne se trouve nulle part ailleurs. Correspondance avec Romain Rolland, « Salut et Fraternité » Albin Michel Antonin Artaud Marseille 1896-Ivry-sur-Seine 1948 On gagne l'amour par la conscience d'abord, et par la force de l'amour après. Héliogabale ou l'Anarchiste couronné Gallimard Georges Bataille Billom 1897-Paris 1962 Une conscience sans scandale est une conscience aliénée. La Littérature et le mal Gallimard Georges Bernanos Paris 1888-Neuilly-sur-Seine 1948 Une collectivité n'a pas de conscience. Lorsqu'elle paraît en avoir une, c'est qu'il y subsiste le nombre indispensable de consciences réfractaires. La France contre les robots Robert Laffont Louis Bourdaloue Bourges 1632-Paris 1704 Un chemin étroit ne peut jamais avoir de proportion avec une conscience large. Sermon sur la fausse conscience Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline Courbevoie 1894-Meudon 1961 La conscience n'est dans le chaos du monde qu'une petite lumière, précieuse mais fragile. Semmelweis Gallimard Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 La voix de la conscience et de l'honneur est bien faible quand les boyaux crient. Le Neveu de Rameau Noël Du Fail, seigneur de La Hérissaye Château-Letard, près de Rennes, vers 1520-Rennes 1591 Quand la bourse se rétrécit, la conscience s'élargit. Contes et discours d'Eutrapel Gustave Flaubert Rouen 1821-Croisset, près de Rouen, 1880 Académie française, 1880 Je regarde comme un des bonheurs de ma vie de ne pas écrire dans les journaux. Il en coûte à ma bourse — mais ma conscience s'en trouve bien. Correspondance, à la princesse Mathilde, 1866 Gaston Arman de Caillavet Paris 1869-Essendiéras, Dordogne, 1915 et Robert Pellevé de La Motte-Ango, marquis de Flers Pont-l'Évêque 1872-Vittel 1927 Académie française, 1920 Aujourd'hui, la vie va si vite que la conscience ne peut pas suivre. La Belle Aventure L'Illustration Abel Hermant Paris 1862-Chantilly 1950 Je ne sais pas ce que peut être la conscience d'une canaille, mais je sais ce qu'est la conscience d'un honnête homme : c'est effrayant. Le Bourgeois Hachette Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 La conscience de l'homme c'est la pensée de Dieu. Les Châtiments, Préface Eugène Ionesco Slatina 1912-Paris 1994 Un médecin consciencieux doit mourir avec le malade s'ils ne peuvent pas guérir ensemble. La Cantatrice chauve Gallimard Alfred Jarry Laval 1873-Paris 1907 Nous allons prendre conseil de notre conscience. Elle est là, dans cette valise, toute couverte de toiles d'araignée. On voit bien qu'elle ne nous sert pas souvent. Ubu cocu, I, 4, Père Ubu Fasquelle Jean Jaurès Castres 1859-Paris 1914 Il ne peut y avoir révolution que là où il y a conscience. Études socialistes Rieder Henri Michaux Namur 1899-Paris 1984 Les jeunes consciences ont le plumage raide et le vol bruyant. Tranches de savoir Cercle des Arts Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Ils envoient leur conscience au bordel et tiennent leur contenance en règle. Essais, IV, 5 Charles Péguy Orléans 1873-Villeroy, Seine-et-Marne, 1914 Je comprends très bien, dit Dieu, qu'on fasse son examen de conscience. C'est un excellent exercice. Il ne faut pas en abuser. Le Mystère des saints Innocents Gallimard François Rabelais La Devinière, près de Chinon, vers 1494-Paris 1553 Parce que, selon le sage Salomon, sapience n'entre point en âme malivole et science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Pantagruel, 8 sagesse de mauvaise volonté Pierre Reverdy Narbonne 1889-Solesmes 1960 La mauvaise conscience, c'est pour les hommes, les femmes l'ont presque toujours bonne, quand elles en ont. Le Livre de mon bord Mercure de France Jean Rostand Paris 1894-Ville-d'Avray 1977 Académie française, 1959 J'essaie de donner mauvaise conscience à mon désespoir. Inquiétudes d'un biologiste Stock Marie-René Alexis Saint-Leger Leger, dit, en diplomatie, Alexis Leger, et, en littérature Saint-John Perse Pointe-à-Pitre 1887-Giens, Var, 1975 Et c'est assez, pour le poète, d'être la mauvaise conscience de son temps. Correspondance, et repris dans l'Allocution de Stockholm, 10 décembre 1960 Gallimard Louis Antoine Léon Saint-Just Decize 1767-Paris 1794 Il faut ramener toutes les définitions à la conscience : l'esprit est un sophiste qui conduit les vertus à l'échafaud. Fragments sur les institutions républicaines Jean-Paul Sartre Paris 1905-Paris 1980 La peur, la mauvaise conscience ont un fumet délectable pour les narines des Dieux. Les Mouches Gallimard Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 Je ne sais pas ce qu'est la conscience d'un sot, mais celle d'un homme d'esprit est pleine de sottises. Monsieur Teste, Extraits du Log-book de Monsieur Teste Gallimard Commentaire Valéry se réfère de façon explicite au mot de Joseph de Maistre. Ievgueni Aleksandrovitch Ievtouchenko Zima, Sibérie, 1933 Les douleurs de la conscience sont des choses dangereuses. Extirpons la conscience — il n'y aura plus de douleur. Les Affres de la conscience Richard Brinsley Butler Sheridan Dublin 1751-Londres 1816 La conscience n'a pas plus à faire avec la galanterie qu'avec la politique. Conscience has no more to do with gallantry than it has with politics. La Duègne Miguel de Unamuno y Jugo Bilbao 1864-Salamanque 1936 La conscience est une maladie. La conciencia es una enfermedad. La agonia del cristianismo conscience (difficultés) nom féminin (de conscience) Orthographe Attention au groupe -sc- comme dans science. Construction 1. Avoir conscience que (+ indicatif) : ils ont bien conscience que la situation ne va pas durer. 2. Ne pas avoir conscience que (+ indicatif ou subjonctif) : ils n'ont pas conscience que la situation peut ne pas durer ou puisse ne pas durer. La construction avec le subjonctif, bien que rare, est correcte, et correspond à une valeur habituelle de ce mode (expression du doute, de l'incertitude, de l'éventualité). ● conscience (expressions) nom féminin (de conscience) Acheter les consciences, soudoyer les gens. Affaire de conscience, affaire personnelle que seul l'intéressé peut résoudre selon ses conceptions morales. Avoir bonne conscience, avoir la conscience tranquille, en paix, avoir sa conscience pour soi, n'avoir rien à se reprocher, être sûr d'avoir bien agi. Avoir la conscience large, élastique, ne pas être scrupuleux, avoir une morale relâchée. Avoir mauvaise conscience, se sentir fautif. Avoir quelque chose, un poids sur la conscience, avoir quelque chose à se reprocher, se sentir coupable. Cas de conscience, situation délicate où on doit agir selon son seul sens moral, sans référence à une règle. Clause de conscience, faculté accordée, par la loi du 29 mars 1935, à un journaliste, en cas de cession du journal ou d'un changement notable de son orientation, de rompre son contrat tout en ayant droit aux indemnités qui lui seraient dues pour cause de licenciement. Conscience professionnelle, soin avec lequel on exerce son métier. En conscience, honnêtement, en toute franchise, même sans obligation extérieure formelle. Examen de conscience, examen approfondi de ses actes, du point de vue de leur valeur morale ; pour les catholiques, recherche de ses péchés en vue de la confession. Littéraire. Opprimer les consciences, empêcher la libre manifestation des opinions, des croyances. Se donner bonne conscience, se trouver coûte que coûte des excuses ; se donner des raisons plus ou moins bonnes de penser qu'on a bien agi. Soulager sa conscience, ne rien cacher. ● conscience (synonymes) nom féminin (de conscience) Faculté qui pousse à porter un jugement de valeur sur...
Synonymes :
Sens du devoir, soin scrupuleux
Synonymes :
- zèle
Siège des sentiments personnels, des pensées intimes
Synonymes :
- âme
conscience (difficultés) nom féminin (latin conscientia, de scire, savoir) Orthographe Attention au groupe -sc- comme dans science. Construction 1. Avoir conscience que (+ indicatif) : ils ont bien conscience que la situation ne va pas durer. 2. Ne pas avoir conscience que (+ indicatif ou subjonctif) : ils n'ont pas conscience que la situation peut ne pas durer ou puisse ne pas durer. La construction avec le subjonctif, bien que rare, est correcte, et correspond à une valeur habituelle de ce mode (expression du doute, de l'incertitude, de l'éventualité). ● conscience (expressions) nom féminin (latin conscientia, de scire, savoir) Avoir, prendre conscience de quelque chose, s'en rendre compte, se le représenter mentalement d'une manière claire : Il a pris conscience de ses responsabilités. Conscience politique, présence chez un individu d'une culture, d'une expérience et d'une maturité politiques, autorisant, notamment en matière électorale, des choix réfléchis. Liberté de conscience, faculté laissée à chacun de choisir librement ses convictions religieuses ou philosophiques et d'agir en conséquence. Perdre, reprendre conscience, s'évanouir, se ranimer. Prise de conscience, fait, pour un individu, un groupe, de prendre pleinement conscience de quelque chose dont, jusque-là, il ne voulait pas voir ou assumer la réalité. Conscience de classe, chez les marxistes, ensemble des représentations idéologiques (éducation, culture), des comportements sociaux (vie professionnelle, politique, etc.) par lesquels un individu sait qu'il appartient à une classe sociale déterminée, par opposition à une autre. Conscience (de) quelque chose, dans la phénoménologie husserlienne et sartrienne, situation dans laquelle l'objet de la pensée, l'image, présents dans l'esprit, ne peuvent absolument pas être distingués de la pensée elle-même, ce qu'indique la présence des parenthèses pour (de). Conscience de soi, chez Hegel, moment du savoir qui fait que l'individu se saisit lui-même réflexivement comme immanence à soi. Troubles de la conscience, ensemble des troubles impliquant une altération de la vigilance et/ou une altération de la perception que le sujet a de lui-même. Conscience collective, selon Durkheim et ses disciples, ensemble de croyances et sentiments partagés par les membres d'une collectivité. ● conscience (synonymes) nom féminin (latin conscientia, de scire, savoir) Connaissance, intuitive ou réflexive immédiate, que chacun a de son...
Synonymes :
Représentation mentale claire de l'existence, de la réalité de telle...
Synonymes :
- idée
- représentation

conscience
n. f.
d1./d Sentiment, perception que l'être humain a de lui-même, de sa propre existence. Perdre, reprendre conscience.
|| Avoir conscience de: connaître nettement, apprécier avec justesse. Avoir conscience de ses droits.
d2./d PHILO Intuition plus ou moins claire qu'a l'esprit de lui-même, des objets qui s'offrent à lui, ou de ses propres opérations.
Perception, connaissance d'une situation. Conscience de classe.
|| Par méton. Siège des convictions, des croyances. Liberté de conscience.
d3./d Sentiment par lequel l'être humain juge de la moralité de ses actions. Science sans conscience n'est que ruine de l'âme (Rabelais). Agir selon, contre sa conscience.
Bonne conscience: sentiment rassurant de n'avoir rien à se reprocher.
Avoir qqch sur la conscience: avoir qqch à se reprocher.
Cas de conscience: difficulté à se déterminer sur ce que permet ou défend la religion ou la morale.
d4./d Loc. En mon âme et conscience: selon ma conviction la plus intime.
Par acquit de conscience.
En conscience: honnêtement, franchement.
d5./d Conscience professionnelle: souci de probité, d'honnêteté, grand soin que l'on porte à son travail.
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conscience
(Hendrik) (1812 - 1883) écrivain belge d'expression néerlandaise, auteur de romans historiques (le Lion de Flandre, 1838) et de romans de moeurs (le Conscrit, 1850).

⇒CONSCIENCE, subst. fém.
[Chez l'homme, à la différence des autres êtres animés] Organisation de son psychisme qui, en lui permettant d'avoir connaissance de ses états, de ses actes et de leur valeur morale, lui permet de se sentir exister, d'être présent à lui-même; p. méton., connaissance qu'a l'homme de ses états, de ses actes et de leur valeur morale :
1. La conscience puise ses aliments dans l'immense milieu qu'elle résume en soi; mais elle ne le résume et ne le contient qu'en le dépassant, qu'en formant une synthèse originale, qu'en devenant l'acte de toutes ces conditions et de ces puissances subalternes.
M. BLONDEL, L'Action, 1893, p. 103.
2. ... il est impossible d'assigner à une conscience une autre motivation qu'elle-même. Sinon il faudrait concevoir que la conscience, dans la mesure où elle est un effet, est non consciente (de) soi. Il faudrait que, par quelque côté, elle fût sans être conscience (d') être. Nous tomberions dans cette illusion trop fréquente qui fait de la conscience un demi-inconscient ou une passivité. Mais la conscience est conscience de part en part. Elle ne saurait donc être limitée que par elle-même.
SARTRE, L'Être et le Néant, 1943, p. 22.
3. ... l'unité de la conscience se construit ainsi de proche en proche par une « synthèse de transition ». Le miracle de la conscience est de faire apparaître par l'attention des phénomènes qui rétablissent l'unité de l'objet dans une dimension nouvelle au moment où ils la brisent.
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, 1945, p. 39.
[La conscience chez l'homme, p. oppos. aux végétaux et aux animaux] :
4. Radicale aussi, (...) est la différence entre la conscience de l'animal, (...) et la conscience humaine. Car la conscience correspond exactement à la puissance de choix dont l'être vivant dispose; elle est coextensive à la frange d'action possible qui entoure l'action réelle : conscience est synonyme d'invention et de liberté. Or, chez l'animal, l'invention n'est jamais qu'une variation sur le thème de la routine.
BERGSON, L'Évolution créatrice, 1907, p. 264.
♦ [La conscience en tant qu'elle est prêtée à l'univers dans les visions poétiques, animistes] Dans toute la Nature, il [l'artiste] soupçonne une grande conscience semblable à la sienne (A. RODIN, L'Art, 1911, pp. 218-219) :
5. Sache que tout connaît sa loi, son but, sa route;
Que, de l'astre au ciron, l'immensité s'écoute;
Que tout a conscience en la création...
HUGO, Les Contemplations, t. 3, La Bouche d'ombre, 1856, p. 435.
P. méton. L'être humain même, en tant qu'il est doué de conscience. On ne peut pas réaliser que les autres gens sont des consciences qui se sentent du dedans comme on se sent soi-même, dit Françoise (S. DE BEAUVOIR, L'Invitée, 1943, p. 14).
I.— [La conscience en tant qu'elle permet de connaître]
A.— [La conscience du point de vue de son fonctionnement, de ses différents niveaux; la connaissance qu'elle donne du point de vue de sa qualité, de ses différents degrés de clarté]
1. PHILOSOPHIE
Courant, flux de (la) conscience [W. James, Bergson] ,,Flux qualitatif des états intérieurs`` (PIGUET 1960).
Champ de (la) conscience. Champ de l'activité cérébrale, dirigé par l'attention qui détermine son contenu et sa plus ou moins grande ouverture, auquel se limite la conscience à un instant donné (cf. H. EY, La Conscience, Paris, P.U.F., 1963, pp. 41-42). Contenu de la conscience :
6. ... une attention trop contrainte étrique l'action en rétrécissant le champ de conscience et en pliant l'élan spirituel à la courbure égocentrique.
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 462.
SYNT. Champ de conscience ouvert, rétréci, étroit; ouverture, ampleur, largeur, resserrement, rétrécissement, étroitesse du champ de conscience; occuper, envahir, quitter le champ de (la) conscience; rétrécir le champ de conscience.
P. ext. Champ de la connaissance claire. Or, pour que les sociétés puissent vivre dans les conditions d'existence qui leur sont maintenant faites, il faut que le champ de la conscience tant individuelle que sociale, s'étende et s'éclaire (DURKHEIM, De la Division du travail soc., 1893, p. 15).
Fait, phénomène de conscience. Modification du sujet. Acte de (la) conscience. Acte par lequel le sujet prend connaissance de cette modification :
7. Non seulement l'attention donnée aux faits de conscience les modifie et les altère, mais souvent elle les fait passer du néant à l'être; ou, pour parler plus exactement, elle amène à l'état de faits de conscience des phénomènes psychologiques qui n'auraient pas de retentissement dans la conscience sans l'attention qu'on y donne...
COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851, p. 547.
8. ... quand je veux m'exprimer, je fais cristalliser dans un acte de conscience un ensemble indéfini de motifs, je rentre dans l'implicite, c'est-à-dire dans l'équivoque et dans le jeu du monde.
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, 1945, p. 342.
État de conscience. Ensemble des phénomènes existant simultanément dans la conscience à un instant donné et dont la succession représente l'activité cérébrale du sujet :
9. ... plus un état de conscience est complexe, plus il est personnel, plus il porte la marque des circonstances particulières dans lesquelles nous avons vécu, de notre sexe, de notre tempérament.
DURKHEIM, De la Division du travail soc., 1893, p. 298.
SYNT. État de conscience individuel, personnel, actuel, habituel; états de conscience vécus, identiques, contraires, nouveaux; succession, multiplicité des états de conscience; analyser un état de conscience.
Rem. ,,Il est abusif d'employer l'expression état de conscience comme synonyme de fait de conscience; cette méprise est très fréquente`` (GOBLOT 1920).
Conscience (psychologique). Intuition par laquelle l'homme prend à tout instant une connaissance immédiate et directe, plus ou moins complète et claire, de son existence, de ses états et de ses actes :
10. Le psychologue, lui, se bornait à étudier la « conscience de soi », qu'il présentait comme un acte de pure appréhension psychologique obtenu en détachant le regard intérieur de toute liaison avec la vie du corps et les solidarités de milieu. Or la donnée la plus immédiate de la conscience psychologique n'est pas un état, fût-il subtil, fût-il unique, c'est une affirmation, saisie comme telle, par elle-même, dans son exercice d'abord, puis dans sa propre réflexion sur son activité.
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 524.
[La connaissance intervient en dehors de la distinction sujet connaissant — objet connu — acte de connaître, le fait conscient n'étant pas distingué de la connaissance, de la conscience, que le sujet en a] Conscience immédiate, conscience spontanée. Connaissance instantanée, non accompagnée d'effort, du vécu tel qu'il se présente. Synon. conscience instantanée, irréfléchie, primaire, brute... La conscience immédiate n'est rien sans l'entendement qui cherche à comprendre ce qu'elle éprouve globalement (RICŒUR, Philos. de la volonté, 1949, p. 202) :
11. ... il y a entre la conscience immédiate et la pensée (le sujet pensant) la relation même qu'il y a entre le donné (quel qu'il soit, même purement psychique) et l'idée, c'est-à-dire le contenu intelligible non posé comme existant qui seul peut rendre raison du donné, tout en maintenant d'ailleurs le caractère contingent.
MARCEL, Journal métaphysique, 1914, p. 22.
[La connaissance se construit par l'opposition sujet connaissant — objet connu — acte de connaître, le fait conscient est distingué de la connaissance, de la conscience que le sujet en prend] :
12. La conscience qui compare les phénomènes est un acte représentatif de la relation donnée entre eux. (...). La comparaison élémentaire appartient à l'animal. L'homme seul, en comparant, se représente la comparaison même. L'homme prend pour représentés ses actes, ses opérations comme telles. Cette conscience de la conscience est la réflexion.
RENOUVIER, Essais de crit. gén., 3e essai, 1864, p. IX.
Conscience réfléchie. Connaissance claire indirecte, accompagnée d'effort, la conscience effectuant un retour réflexif sur elle-même pour analyser et caractériser avec exactitude le fait conscient ou l'objet de la conscience. Synon. conscience claire et médiate. Le temps, tel que se le représente la conscience réfléchie, est un milieu où nos états de conscience se succèdent distinctement de manière à pouvoir se compter (BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889, p. 78).
♦ [Conscience réfléchie en oppos. paradigmatique] Mouvement et poids sont des distinctions de la conscience réfléchie : la conscience immédiate a la sensation d'un mouvement pesant, en quelque sorte (BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889, p. 49) :
13. La conscience réfléchie s'arrête sur une muraille infranchissable de conscience brute, qui surplombe directement l'inconscient.
RUYER, Esquisse d'une philos. de la struct., 1930, p. 165.
Rem. Conscience primitive, conscience réfléchie, conscience subjective, conscience objective (cf. LALANDE 1968).
Prise de conscience. ,,Passage à la conscience claire et distincte de ce qui, jusqu'alors, était automatique ou implicitement vécu`` (LAFON 1963-69).
Loi de prise de conscience. ,,« L'individu prend conscience d'une relation d'autant plus tard et plus difficilement que sa conduite a impliqué plus tôt, plus longtemps ou plus fréquemment l'usage automatique de cette relation ». Loi formulée par Ed. Clarapède dans les Archives de Psychologie, en 1918, t. XVII, p. 71`` (LALANDE 1968).
Rem. Cf. infra I A 2 et I A 3.
[P. oppos., en partic., à l'état réflexif, à l'état de sommeil, à l'état inconscient ou à l'inconscient] Quand la présence d'un organe atteint le seuil de la conscience, cet organe commence à mal fonctionner. La douleur est un signal d'alarme (CARREL, L'Homme, cet inconnu, 1935, p. 130). Mon passé, (...) s'enfonce dans une conscience crépusculaire où la mémoire sombre et s'éteint (RICŒUR, Philos. de la volonté, 1949, p. 416) :
14. De ce corps-sujet, nous n'avons donc pas véritablement conscience, mais par lui nous avons conscience de la totalité du monde. « En un mot, la conscience du corps est latérale et rétrospective; ...
J. VUILLEMIN, L'Être et le travail, 1949, p. 32.
SYNT. Conscience obscure, confuse; conscience de veille; seuil, éveil, éclipse de la conscience; lueur, éclair de conscience; arriver à la conscience; atteindre, franchir le seuil de la conscience.
Conscience marginale [W. James] ,,(...) contenu plus ou moins confus de la conscience, en marge de la conscience claire (proche du pré-conscient et du subliminal)`` (ANCELIN 1971).
Rem. Pour conscience claire, cf. supra conscience réfléchie.
Conscience hypnagogique. Conscience relative à la phase hypnagogique du sommeil.
2. PSYCHOPATHOL., PSYCHANAL. La conscience psychasthénique présente un mode très particulier que désignent les noms de folie lucide, de délire avec conscience : le malade est plus que conscient de son désordre, il l'observe, le critique, le juge et le repousse (MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 272) :
15. Le sens profond de la cure psychanalytique n'est pas une explication de la conscience par l'inconscient, mais un triomphe de la conscience sur ses propres interdits par le détour d'une autre conscience déchiffreuse. L'analyste est l'accoucheur de la liberté, en aidant le malade à former la pensée qui convient à son mal; il dénoue sa conscience et lui rend sa fluidité...
RICŒUR, Philos. de la volonté, 1949, p. 376.
Conscience morbide. ,,(...) structure générale de la personnalité du psychopathe telle qu'elle lui apparaît à lui-même (...)`` (POROT 1960).
Prise de conscience. Accès à la conscience claire, par une cure psychanalytique, d'un conflit jusque-là refoulé dans l'inconscient et faisant problème.
3. Cour. [Emplois correspondant à certains des emplois philosophiques exposés supra; le plus souvent avec un adj. indiquant la qualité de la connaissance et suivi d'un compl. déterminatif]
a) [Correspond à la notion philosophique de conscience immédiate, spontanée] Conscience de qqc. Connaissance immédiate, intuitive, synthétique et assez floue de quelque chose.
Locutions
Avoir (la) conscience (vague, obscure...) de qqc. Avoir l'intuition, l'impression, le sentiment de quelque chose; avoir connaissance, se rendre compte de quelque chose de façon très globale. Avoir conscience de + inf. passé; avoir conscience que [Souvent dans des constr. négatives]. Ne pas avoir conscience de qqc.; n'avoir aucune conscience de qqc. Ne plus avoir conscience de + inf. passé. ,,Je n'ai pas eu conscience qu'il pleuvait. J'ai eu conscience d'être suivi. J'ai une vague conscience que ce rouge est plus vif, que ce raisonnement ne conclut pas`` (FOULQ.-ST-JEAN 1962, FOULQ. 1971). Nul de nous n'a conscience de sa propre nature, sans quoi (...) les mystères de l'âme nous seraient parfaitement connus (COUSIN, Hist. de la philos. du XVIIIe s., 1829, p. 197). À certains instants, la vérité est si forte que je n'ai plus conscience d'avoir été dans l'erreur (J. BOUSQUET, Traduit du silence, 1935-36, p. 171). Une amorce de sieste dont il avait l'agréable et vague conscience (A. ARNOUX, Roi d'un jour, 1956, p. 288).
Rem. Ne pas avoir conscience que : ,,On emploie le subjonctif dans les phrases subordonnées à ce verbe. Elle n'avait plus conscience que Marius fût là (V. Hugo). La construction affirmative demande l'indicatif. J'ai conscience que vous avez raison`` (G. O. D'Harvé [36, p. 209] ds DUPRÉ 1972).
Perdre conscience de qqc. Perdre la notion de quelque chose, ne plus en avoir la connaissance minimale qui permettrait en particulier d'ajuster son comportement. Perdre (toute) conscience de ses actes; perdre (la) conscience du réel, du temps, des lieux; perdre conscience de tout. Dans le même sens ne plus avoir conscience de qqc. C'était un étonnement pour ses camarades, que de le voir, au milieu de graves préoccupations, perdre conscience des bienséances et de sa dignité (ARLAND, L'Ordre, 1929, p. 21).
b) [Correspond à la notion philosophique de conscience réfléchie, claire et médiate] Connaissance claire, acquise par l'analyse et la réflexion, de l'expérience vécue. Cette immense déperdition des forces humaines, qui a lieu par l'absence de direction et faute d'une conscience claire du but à atteindre (RENAN, L'Avenir de la science, 1890, p. 122). Dans la pleine conscience de la responsabilité que j'assume, (...) j'ai cru bien faire en vous parlant ainsi (BERNANOS, Sous le soleil de Satan, 1926, p. 134).
Locutions
Avoir (la) conscience claire, intense... de qqc. Avoir une connaissance claire, le sentiment net de quelque chose; sentir avec intensité la réalité de quelque chose. Avoir la conscience distincte de qqc.; avoir (la) conscience que; donner (une) conscience (nette) de qqc.; avoir une haute conscience de sa valeur. J'aime à le voir ainsi, ayant la confiance de sa force et la conscience de son mérite (A. DUMAS Père, Richard Darlington, 1832, I, 1, p. 28). Il est indispensable (...) que vous preniez pleinement conscience de l'étendue de votre faiblesse (M. BUTOR, La Modification, 1957, p. 113) :
16. ... ils ne lui offraient pas de conseils et elle n'en demandait pas. Elle avait conscience qu'il n'appartenait qu'à elle de faire son choix et d'arrêter sa vie,...
HÉMON, Maria Chapdelaine, 1916, p. 194.
Prendre conscience de qqc. Acquérir la connaissance claire de quelque chose; apercevoir quelque chose avec suffisamment de netteté pour en tenir compte le cas échéant. Prendre claire et précise conscience de qqc., prendre une conscience intense de qqc., prendre pleine/pleinement conscience de qqc.; donner (une) conscience (nette) de qqc. Pour moi, étranger dans cette vie harmonieuse, j'en prenais une conscience intense (BARRÈS, Le Jardin de Bérénice, 1891, p. 96) :
17. Il y a un mouvement spontané des masses. Le rôle des communistes est d'en prendre conscience, pour le faire aboutir : (...). Il ne s'agit pas pour eux d'infuser en quelque sorte aux prolétaires un idéal qui ne leur serait pas immanent, mais au contraire de leur faire prendre pleine conscience de ce qu'ils sont :
J. LACROIX, Marxisme, existentialisme, personnalisme, 1949, p. 13.
Prise de conscience. Fait de prendre connaissance, conscience de quelque chose, en particulier de l'existence d'un problème, par une démarche intérieure souvent plus morale qu'intellectuelle. Le tiers monde, sans une sérieuse prise de conscience individuelle, ne sera jamais pour nous qu'une formule ([J. R.] ds GIRAUD-PAMART 1971).
SYNT. Prise de conscience claire, aiguë; prise de conscience d'une idée, d'un phénomène, d'une transformation, d'une difficulté, d'un problème; véritable prise de conscience; provoquer une prise de conscience.
Avoir toute sa conscience. Jouir de toutes ses facultés de connaissance actuelle, avoir tous ses esprits.
Perdre conscience. Ne plus être présent à soi-même, perdre (la) connaissance (de son existence) du fait de l'endormissement, d'une drogue...; s'évanouir. Perte de conscience. Reprendre conscience. Reprendre connaissance, revenir à soi. Synon. reprendre ses esprits, ses sens. Recouvrer sa conscience. Le gazon me reçut, étendue et molle (...) Quand je repris conscience, (...) je respirais, le nez frotté d'eau de Cologne, aux pieds de ma mère (COLETTE, La Maison de Claudine, 1922, p. 65). Il se laissa choir sur le matelas, et perdit conscience. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il faisait jour (R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, Le Cahier gris, 1922, p. 641) :
18. Opéré le 2. Anéantissement de l'être sous l'action de l'éther, la chute dans un abîme obscur et sonore, ce grand bruit de cloches semblables à celles des trains américains, surtout cette impossibilité de résister, de se retenir à quoi que ce soit, il doit y avoir un peu de tout cela dans la mort. J'ai trouvé curieuse la minute qui a précédé la perte de conscience, mais pas le moins du monde effrayante.
GREEN, Journal, 1929, p. 21.
B.— [La conscience du point de vue de son objet]
1. Cour. (cf. supra I A 3).
2. PHILOS. Conscience de soi(-même), conscience (non-)thétique de soi, conscience poétique; conscience du corps, du vécu; conscience d'autrui, de l'autre; conscience d'objet, de l'objet; conscience du réel; conscience (thétique) du monde; conscience subjective (de soi), conscience objective (du nous); conscience perceptive, percevante :
19. La conscience de soi pour s'affirmer doit se distinguer de ce qui n'est pas elle. L'homme est la créature qui, pour affirmer son être et sa différence, nie.
CAMUS, L'Homme révolté, 1951, p. 174.
3. LING. Conscience linguistique [ling. saussurienne] ,,(...) sentiment intime que le locuteur a des règles et des valeurs linguistiques (...)`` (Ling. 1972); (cf. aussi VACHEK 1960).
4. SOCIOL. Conscience de classe. Connaissance claire qu'ont les membres d'une classe sociale du statut qu'occupe leur classe dans l'échelle de la société différenciée dont elle fait partie, et les sentiments que suscite cette connaissance :
20. ... comment Marx, (...) aurait-il méconnu cette action prolétarienne? (...) cette action, tout en assurant en effet au prolétariat quelques avantages économiques partiels, se résume surtout à accroître sa conscience de classe, à développer en lui le sentiment de ses maux et celui de sa force.
JAURÈS, Ét. socialistes, 1901, p. XXXV.
Rem. Cf. infra I C conscience collective.
C.— [Emplois méton. dans lesquels la conscience apparaît comme pouvant être le fait d'un sujet isolé ou d'une collectivité] Ensemble des faits psychiques, saisis par la conscience spontanée, propres à une personne ou à un ensemble de personnes qui les ont en commun; p. méton. siège de ces phénomènes présenté comme un lieu où ils se dérouleraient. Ma conscience est une forteresse (VIGNY, Le Journal d'un poète, 1846, p. 1249). Ce qu'il y a de meilleur dans la conscience moderne est le tourment de l'infini (SOREL, Réflexions sur la violence, 1908, p. 39) :
21. ... il le contemplait maintenant du même regard avide qu'il eût regardé sa propre conscience. Et comme sa propre conscience, il eût voulu aussi le jeter hors de lui, revenir dessus, le piétiner, l'anéantir...
BERNANOS, L'Imposture, 1927, p. 454.
SOCIOL. Conscience collective, ou commune, ou de groupe [Durkheim] Ensemble des faits psychiques (représentations, idées, sentiments, aspirations, croyances, interdits...) communs aux membres d'une même société, qui se manifeste par les rites, les traditions, les institutions... et dont l'existence est particulièrement ressentie lors de certains rassemblements. Ses poussées de fièvre [de la monnaie], ses dépressions, ses surexcitations, ses langueurs correspondent à des maladies de la conscience collective (A. ARNOUX, Pour solde de tout compte, 1958, p. 160).
Rem. ,,Dans la psychologie des foules de G. Le Bon, la conscience collective est l'unité affective de la foule, réalité née du rassemblement et de la tension groupale et déterminant les réactions, les conduites, les croyances de la masse qui se comporte comme un vaste corps. Cette conscience aurait pour caractéristique d'être incapable de réflexion ou d'intelligence et ne comporte que des sentiments et émotions collectives, contagieuses et poussant à l'action immédiate`` (MUCCH. Sc. soc. 1969).
II.— [La conscience en tant qu'elle juge la moralité de ce qu'elle connaît] Conscience (morale). Propriété particulière de la conscience humaine (supra I) qui permet à l'homme de porter des jugements normatifs immédiats, fondés sur la distinction du bien et du mal, sur la valeur morale de ses actes; connaissance intuitive, sentiment intime de cette valeur. La conscience prononce sur toutes choses avec l'équité (Mme DE STAËL, De l'Allemagne, t. 4, 1810, p. 324). Je suis parvenu à avoir la ferme conviction que (...) ce qu'on appelle conscience n'est que la vanité intérieure (FLAUBERT, Correspondance, 1838, p. 39) :
22. L'entretien intime de deux scélérats n'est jamais long... Quelque secret que soit leur entretien, il a toujours deux insupportables témoins; Dieu, qu'ils ne voient pas; et la conscience qu'ils sentent.
HUGO, Han d'Islande, 1823, p. 180.
Allus. littér. ,,Science sans conscience n'est que ruine de l'âme`` (RABELAIS, Pantagruel, II, 8).
P. méton. de suj. [La conscience morale en tant qu'elle est le fait d'un ensemble de pers.] Conscience publique. ,,Un acte pareil est une insulte à la conscience publique`` (Ac. 1878-1932). Conscience du genre humain, conscience morale des nations (cf. DURKHEIM, De la Division du travail soc., 1893, p. 4).
Par dérision :
23. Quelques généralités sans précision sur la fidélité et le dévouement que les salariés de toutes sortes doivent à ceux qui les emploient, sur la modération avec laquelle ces derniers doivent user de leur prépondérance économique, une certaine réprobation pour toute concurrence trop ouvertement déloyale, pour toute exploitation par trop criante du consommateur, voilà à peu près tout ce que contient la conscience morale de ces professions.
DURCKHEIM, De la Division du travail soc., 1893 p. 11.
A.— [La conscience morale du point de vue de sa qualité, de ses différents degrés d'intensité appréciés relativement au système des valeurs morales communes à tous les membres du groupe] Conscience droite, intègre, délicate, scrupuleuse, timorée. Comme il n'était à la cour que depuis quelques heures, sa conscience de province était terriblement pointilleuse (MÉRIMÉE, Chronique du règne de Charles IX, 1829, p. 108). Mon mari a beaucoup plus d'estime pour Michel Korsakof à cause de son caractère irréductible et pour sa conscience de granit (G. LEROUX, Rouletabille chez le tsar, 1912, p. 39).
Conscience large. Conscience peu scrupuleuse. Synon. conscience facile, souple, élastique (fam.). Avoir la conscience large, facile, souple, élastique (fam.). Ne pas être scrupuleux et se juger avec une grande indulgence. Synon. ne pas avoir la conscience chatouilleuse (fam.). Il ne me plaît pas, comme à vous, de revenir sur des incidents oubliés. — C'est que vous avez la conscience facile (ESTAUNIÉ, L'Empreinte, 1896, p. 201) :
24. ... les idéalistes petits bourgeois n'ont pas toujours la conscience chatouilleuse; à l'occasion ils sont capables d'en encaisser gros sans broncher.
S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 547.
Homme de conscience. Homme de devoir. Être homme de conscience; avoir de la conscience. Avoir à conscience de + inf. Tenir pour une obligation de, se faire un devoir de. Faire preuve de conscience. Les hommes de conscience voulaient marcher avec la Constitution à laquelle on leur avait fait jurer d'être fidèles (Mme DE CHATEAUBRIAND, Mémoires et lettres, 1847, p. 59).
♦ [Dans un sens anton.] Homme sans conscience; être sans conscience; faire qqc. sans conscience; manquer de conscience; ne pas avoir de conscience. Tu es donc sans conscience, puisque tu enseignes et démontres des choses que tu ne sais pas (FLAUBERT, Smarh, 1839, p. 17). Votre conscience a besoin de trouver un écho dans une autre conscience. Vous tombez mal, Monsieur Ancelot, je n'ai pas de conscience (AYMÉ, Travelingue, 1941, p. 939).
Avec la conscience du devoir accompli. En jugeant avoir accompli son devoir conformément au système moral accepté :
25. ... mon pauvre homme voit la grande charrette de l'hôtel riverain s'enfoncer sous les arbres (...) et criant, sous le poids des malles et des valises, tandis que lui philosophe pensif, s'en retourne à la lueur des étoiles avec sa brouette vide. (...) mais il n'en vient pas moins là chaque jour, avec la conscience du devoir accompli, ...
HUGO, Le Rhin, 1842, p. 290.
P. méton. Personne douée d'une conscience morale particulièrement vive, à laquelle elle se conforme sans compromis. Conscience droite; (être) une haute conscience, une conscience pure; tenir qqn pour une conscience. Il faut, en ces heures périlleuses (...) la tranquille résolution des hautes consciences dans l'accomplissement du devoir (CLEMENCEAU, L'Iniquité, 1899, p. 441). Clemenceau, qu'il [Swann] déclarait maintenant avoir tenu toujours pour une conscience, un homme de fer (PROUST, Le Côté de Guermantes 2, 1921, p. 582).
B.— [La conscience morale du point de vue de son fonctionnement, en tant qu'entité personnelle, comme détachée de soi et personnifiée, que l'on interroge ou interpelle, qui réagit et juge, avec laquelle il faut transiger, auprès de laquelle on doit se justifier, qui manifeste son approbation ou sa désapprobation avant ou après l'accomplissement d'un acte...] Notre conscience est un juge infaillible, quand nous ne l'avons pas encore assassinée (BALZAC, La Peau de chagrin, 1831, p. 150). Si vous avez... dans votre passé... de ces... ces fautes qui troublent notre conscience... ne semblent pas... mériter de pardon... des fautes en apparence irréparables, (...) le pouvoir m'est donné de vous en absoudre (BERNANOS, Monsieur Ouine, 1943, p. 1520) :
26. ... au moment de contracter des devoirs envers cette dame, un scrupule de conscience m'est venu. Depuis le temps que j'ai perdu l'habitude de... de... de l'amour, enfin je ne savais plus si je serais encore capable de... de..., vous savez bien...
MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, La Rouille, 1882, p. 795.
SYNT. Conscience bourrelée, inquiète; remords de conscience; être tourmenté par sa conscience; se faire un scrupule de conscience de qqc.; interroger sa conscience, tenir à l'approbation de sa conscience, prendre le chemin tracé par la conscience; composer, transiger, trouver des accommodements avec sa conscience; blesser, gêner la conscience de qqn; conscience qui reproche qqc. à qqn.
Rem. ,,La question de savoir si le jugement est antérieur ou postérieur au sentiment dans la conscience morale, est controversée : selon J. Lachelier, ,,le propre de la conscience est d'approuver ou de blâmer, la joie et la douleur ne venant qu'après le jugement moral``; selon M. Bernès, il faudrait au contraire la définir : « propriété qu'a l'esprit humain de sentir la valeur morale, et de rendre ce sentiment explicite au moyen de jugements normatifs» (LALANDE 1968).
Voix de la conscience. Injonction de la conscience relative à un acte futur. Être attentif à la voix de sa conscience, étouffer la voix de sa conscience. Il n'y a pas une voix qui vous crie [Mgr Sibour] que vous devez prêter à la critique, pas une voix, celle de votre conscience moins que les autres, qui vous avertisse en secret (E. DELACROIX, Journal, t. 2, 1854, p. 143). Il [Mr Machelin] se fit honte d'une pareille faiblesse, et écouta la voix de sa conscience. Lucien épouserait l'apprentie modiste comme son devoir l'obligeait (AYMÉ, Le Nain, 1934, p. 79).
Rem. ,,M. Bernès ajoute que l'expression classique « la voix de la conscience » est une image qui n'a rien d'essentiel. Elle n'exprime que le caractère immédiat et spontané de la conscience; mais elle en fait disparaître l'intériorité. Elle se rattache à la conception théologique d'un Dieu étranger qui se fait entendre dans l'âme, non à la donnée psychologique d'une vie intérieure qui est nous-mêmes. On peut remarquer d'autre part, en faveur de cette image, qu'elle correspond à un fait réel d'objectivation souvent observé en psychologie; par exemple dans les dédoublements de la conscience, l'inspiration artistique, etc.`` (LALANDE, 1968).
Crise, drame de conscience :
27. Le seigneur communiste, demeuré seul à l'écart du champ de bataille, se débattait dans une crise de conscience hésitant s'il marcherait contre le peuple.
AYMÉ, Le Puits des images, 1932, p. 72.
Affaire de conscience. Problème mettant en jeu la conscience morale parce qu'il implique, pour que soit préservée la paix de la conscience, le besoin et la nécessité, malgré certaines difficultés, de se conformer à une obligation morale. C'est (une) affaire de conscience; ce n'est pas une affaire de conscience; faire de qqc. une affaire de conscience. Il faut voir les choses comme elles sont. Quoi! d'être malade, ce n'est pas une affaire de conscience! (BERNANOS, La Joie, 1929, p. 578).
(Faire qqc.) selon, suivant, contre sa conscience. Parler selon sa conscience. Agir contre sa conscience. [En parlant de qqc.] Être contre la conscience (de qqc). Je désapprouve toutes ces mesures; elles sont contre ma conscience, et je ne signerai pas (SCRIBE, Bertrand et Raton, 1833, IV, 5, p. 199). Si les juges ont décidé selon leur conscience, on ne saurait leur en faire un reproche (AYMÉ, Vogue la galère, 1944, p. 46).
Avoir sa conscience pour soi. Avoir, quoi qu'il arrive, la certitude et la satisfaction d'agir — ou d'avoir agi — selon sa conscience. Il me reste ma conscience :
28. Il avait renoncé à beaucoup de choses, il n'écrivait plus, il ne s'amusait pas tous les jours mais ce qu'il avait gagné en échange, c'est qu'il avait sa conscience pour lui, et ça c'était énorme.
S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 217.
Bonne conscience. Conscience satisfaite de l'homme qui a le sentiment d'agir conformément aux valeurs morales et de n'avoir aucun reproche à se faire. Avoir bonne conscience :
29. Mystérieuse candeur, et inquiétante, mais d'une inquiétude charmante et qui est à la fausse, à la coupable sécurité du libertinage... la sécurité même, par l'effort incessant d'une bonne conscience...
VERLAINE, Confessions, 1895, p. 118.
♦ Synon. conscience satisfaite. La conscience satisfaite est triste, et l'accomplissement du devoir se complique d'un serrement de cœur (HUGO, Les Misérables, t. 2, 1862, p. 408).
♦ [Souvent par dérision] « Convictions ». Mot qui permet de mettre, avec une bonne conscience, le ton de la force au service de l'incertitude (VALÉRY, Mauvaises pensées et autres, 1942, p. 178).
Péj. Se donner bonne conscience. Trouver les accommodements et l'indulgence nécessaires vis-à-vis de soi-même pour avoir à moindre frais le sentiment de s'acquitter de ses obligations morales et de n'avoir rien à se reprocher [Le suj. désigne qqc.] Donner bonne conscience (à qqn); s'acheter une bonne conscience. Jamais cet homme ne créera un vrai parti de gauche; il sert tout juste d'alibi aux gens qui veulent s'acheter une bonne conscience à bas prix... (S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 524).
Mauvaise conscience. Conscience insatisfaite et culpabilisée de l'homme qui a le sentiment de n'avoir pas — ou d'avoir mal — respecté les valeurs morales. Avoir mauvaise conscience [Le suj. désigne qqn ou qqc.] Donner mauvaise conscience (à qqn). Ainsi risque-t-elle [la littérature], après avoir été au 18e siècle, la mauvaise conscience des privilégiés, de devenir, au 19e siècle, la bonne conscience d'une classe d'oppression (SARTRE, Situations II, 1948, p. 136).
Être la mauvaise conscience de qqn. Rappeler à qqn les raisons qu'il a d'avoir mauvaise conscience :
30. « Je le gêne, tu comprends. (...). Tu as vu le genre de gens qu'il fréquente? Nous sommes sa mauvaise conscience; il ne demande qu'à s'en débarrasser. »
S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 401.
(Avoir la) conscience nette, pure; être de conscience pure; conscience sans reproche; (avoir la) conscience tranquille; (faire qqc.) avec la conscience tranquille; avoir sa conscience en règle; se mettre en règle avec sa conscience; avoir la conscience en paix, en repos; assurer le repos de sa conscience; (faire qqc.) pour le repos de sa conscience, pour apaiser sa conscience. Rollin a répandu sur les crimes des hommes le calme d'une conscience sans reproche (CHATEAUBRIAND, Génie du christianisme, t. 2, 1803, p. 97). Elle qui n'avait jamais fait de mal, et dont la conscience était si pure! (FLAUBERT, Un Cœur simple, 1877, p. 45).
P. iron. Le pauvre Bayvet se promenait tranquillement avec la conscience tranquille de ses cent mille livres de revenu (E. DELACROIX, Journal, t. 2, 1853, p. 90).
Par acquit de conscience; pour l'acquit de sa conscience (littér.); p. ell., par conscience. Pour s'acquitter d'une obligation et assurer, quoi qu'il arrive, la tranquillité de sa conscience, mais sans conviction et en se donnant le moins de peine possible. Elle les talocha [les deux enfants] encore par conscience (MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, En famille, 1881, p. 358). Je cherchai plutôt par acquit de conscience qu'avec conviction s'il était possible, (...) de donner à mes attributions toute l'ampleur et toute l'autorité qui me paraissaient indispensables (JOFFRE, Mémoires, 1916, p. 431).
Loc. adv. En (toute) conscience. En toute honnêteté, en toute probité. Être tenu en conscience de + inf.; en bonne conscience, en toute tranquillité de conscience; en sûreté de conscience. Sans porter aucunement atteinte à la conscience morale. Mes devoirs sont remplis et je ne me crois plus engagé à rien en conscience (CHATEAUBRIAND, Correspondance gén., t. 2, 1789-1824, p. 112) :
31. ... en demeurant irréprochable comme homme privé, on pourra, comme homme public, être en sûreté de conscience et d'honneur le dernier des misérables.
LAMENNAIS, De la Religion, 1re part., 1825, p. 45.
En mon âme et conscience, dans ma conscience. Dans ma plus intime conviction.
Par dérision. En mon âme et conscience (...) et la main sur le cœur, je te trouve moche (AYMÉ, Le Bœuf clandestin, 1938, p. 131).
♦ [Formule du serment que prononce le premier juré avant de faire connaître le verdict du jury] Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, la déclaration du jury est...
Jurer qqc. sur son âme et conscience. Elle a repris son air affable quand je lui ai juré sur mon âme et conscience que, (...) le métier de farceur littéraire ne convenait nullement à mon caractère et à ma position (JANIN, L'Âne mort et la femme guillotinée, 1829, p. 5).
[Loc. liées aux notions de faute et de remords en tant qu'ils sont ressentis par l'être humain comme ayant un caractère pesant et constituant une charge à porter]
Fam. Avoir qqc. sur la conscience. Avoir un grave manquement à la morale à se reprocher. En avoir gros sur la conscience; se charger la conscience; mettre, laisser qqc. sur la conscience de qqn. Faire, laisser peser sur lui l'entière responsabilité de quelque chose. Observons les règles, afin de n'avoir aucun poids sur la conscience (A. ARNOUX, Rêverie d'un policier amateur, 1945, p. 46).
P. métaph., pop. ou arg. Se mettre (un aliment) sur la conscience. Mettre (un aliment) dans son estomac, charger son estomac de (cet aliment), manger quelque chose. Se coller un cataplasme sur la conscience. Manger beaucoup. « Allons, colle-toi ça sur la conscience, lui dit la bonne femme en lui tendant un bol de bouillon » (BRUANT, 1901, p. 207).
♦ [Le suj. désigne un manquement aux valeurs morales ou le sentiment de culpabilité consécutif à ce manquement] Charger la conscience de qqn; peser sur/à la conscience de qqn; rester sur la conscience de qqn. Il y a un péché qui doit lourdement charger sa conscience (A. DUMAS Père, Don Juan de Marana, 1836, I, 4, p. 9). [Voiturier] sentait peser sur sa conscience trente cinq ans d'action anticléricale et progressiste (AYMÉ, La Vouivre, 1943, p. 247).
Dire tout ce qu'on a sur la conscience. Dire, avouer tout ce que l'on a à se reprocher. Décharger, soulager, libérer sa conscience.
C.— P. méton.
1. [La conscience morale en tant que pouvoir, droit de juger et d'agir selon ce jugement]
Liberté de conscience. Liberté laissée à chacun, en particulier par les pouvoirs publics, de juger des doctrines, religieuse et philosophique notamment, qui lui conviennent, accompagnée de la liberté d'y conformer sa vie. Respecter la liberté de conscience, reprendre sa liberté de conscience :
32. ... celui qui n'est aux prises qu'avec des niais injustes doit s'interroger avant de leur céder, et partir de là pour reconnaître qu'il n'y a nulle part, entre Dieu et lui, de contrôle légitimement absolu pour les faits de sa vie intime. La conséquence étendue à tous de cette vérité certaine, c'est que la liberté de conscience est inaliénable.
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 3, 1855, p. 348.
Étouffer, opprimer, violenter les consciences. Empêcher par quelque moyen, en particulier par la force et la répression, l'usage et/ou la manifestation de la liberté de conscience.
DR. DU TRAVAIL, JOURN. Clause de conscience. Disposition légale permettant à un journaliste de rompre le contrat le liant à son employeur, pour des raisons de liberté de conscience, en cas de changement d'orientation du journal, et cela dans des conditions d'indemnisation équivalant à celles prévues pour les licenciements abusifs (cf. G. BELORGEY, Le Gouvernement et l'admin. de la France, 1967, p. 144).
Vendre sa conscience. Abandonner à d'autres personnes, en échange de certains avantages, son pouvoir et son droit de juger par soi-même et de se déterminer librement. Marchander, acheter la conscience de qqn.
Objection de conscience. Action d'objecter des devoirs supérieurs d'ordre religieux, ou simplement moral, pour refuser d'accomplir une obligation légale; en partic., refus d'accomplir ses obligations militaires au nom de la religion, ou de la morale, qui condamne la violence et le fait de tuer. Objecteur de conscience. Celui qui oppose une objection de conscience à l'accomplissement de ses obligations militaires :
33. Des militants de l'antimilitarisme comme des pacifistes comprirent que la défense de la nation et de la justice ne faisait qu'un et que cette défense exigeait parfois que l'on prenne les armes. Des objecteurs de conscience voulurent être des soldats.
B. CACÉRÈS, Hist. de l'éduc. pop., 1964, p. 137.
2. [La conscience morale en tant qu'ensemble des jugements en fonction desquels une personne agit; par suite, la conscience en tant que lumière qui permet d'orienter ses actes, de diriger sa vie] Éclairer, diriger, endormir, obscurcir les consciences. « L'honneur national! » grommela-t-il, de nouveau. « Tous les grands mots sont déjà mobilisés, pour endormir les consciences! ... » (R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 484).
P. méton. [La conscience morale en tant que siège des pensées, des sentiments les plus intimes ou les plus secrets] Lire, pénétrer dans les consciences; sonder les consciences. Il avait le don de conseil; on l'appelait le voyant; il lisait dans les consciences (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 396).
3. [La conscience morale considérée comme ayant son siège dans le cœur]
a) [Le passage de conscience à cœur s'explique par le fait que le premier symbolise l'honnêteté morale et le second la sincérité; p. réf. au geste qui consiste à mettre la main sur son cœur pour protester de sa sincérité, et pour inviter qqn à dire la vérité] Littér., vieilli. (Mettre) la main sur la conscience. (S'interroger) en toute honnêteté. Je parie que vous-même vous avez fait vos farces. Voyons, la main sur la conscience, est-ce vrai? (MAUPASSANT, Une Vie, 1883, p. 127).
b) MARBRERIE, SERR. ,,Pièce en bois (...) garnie de fer ou seulement en fer, que l'on pose sur la poitrine pour soutenir et pousser le foret pendant qu'on le fait tourner avec un archet`` (CHABAT t. 1 1875, CHABAT 1881). Plaque de conscience (R. CHAMPLY, Nouv. Encyclop. pratique, t. 11, 1927, p. 89).
D.— [La conscience morale du point de vue de son application dans des domaines particuliers]
1. [La conscience morale appliquée aux obligations professionnelles] Conscience (professionnelle). Scrupuleuse honnêteté que l'on apporte à l'exécution de son travail, inspirée par le sens des exigences de sa profession accompagné de la volonté de s'en acquitter au mieux quelles que soient les difficultés. Mettre beaucoup de conscience dans son travail; faire (un travail) avec conscience; travailler en conscience; (travail) qui est de conscience. Synon. conscience du/de métier, conscience exemplaire. Le travail était de conscience : (...) cent et cent fois j'avais fait, défait et refait la même page (CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 251). Nous le vîmes [le nouveau] qui travaillait en conscience, cherchant tous les mots dans le dictionnaire et se donnant beaucoup de mal (FLAUBERT, Madame Bovary, t. 1, 1857, p. 4). La conscience de certains journalistes est au niveau de leur talent (MAUPASSANT, Bel-Ami, 1885, p. 156) :
34. Ce manque de conviction dans la valeur de la tâche se traduit d'ailleurs chez nombre de bourgeois (...) par un affaiblissement de la conscience professionnelle.
AYMÉ, Le Confort intellectuel, 1949, p. 146.
P. ext. Application, minutie, soin que l'on apporte à l'accomplissement d'un acte quelconque. J'ai recommencé d'aujourd'hui à faire des armes. J'étudie avec conscience cet art compliqué (FLAUBERT, Correspondance, 1847, p. 78). Et il [Voillenier] lisait le journal du matin avec la conscience qu'il apportait à ses moindres actions (P. BOURGET, Une Fille-mère, 1928, p. 199).
IMPRIM. Travail en conscience. Travail particulièrement délicat pour l'exécution duquel on s'en rapporte à la conscience professionnelle du typographe qui est, en conséquence, rémunéré à l'heure ou à la journée, contrairement à ce qui se passe pour le travail à la pièce. Une journée de conscience. Mettre un compositeur en conscience (Ac. 1835-1932). Homme de conscience, équipe de conscience; ouvriers en conscience; être en conscience.
P. méton. Ensemble des ouvriers travaillant en conscience. C'est ordinairement la conscience qui corrige les tierces (Ac. 1835-78). Local où se fait le travail en conscience, où se tiennent les hommes de conscience. Aller à la conscience (Ac. 1835-78). Ce compositeur travaille à la conscience (Ac. 1835-1932).
2. [La conscience morale appliquée aux obligations religieuses]
Examen de conscience. Examen approfondi, prescrit par l'Église, de ses pensées, de ses intentions, de ses actes du point de vue de leur valeur morale, fait en particulier pour se préparer à la confession. Faire son examen de conscience; examen de conscience quotidien. Ces examens de conscience tout faits, où les imaginations pures se dépravent en réfléchissant à des monstruosités ignorées (BALZAC, Splendeurs et misères des courtisanes, 1847, p. 518) :
35. L'examen de conscience est un exercice favorable, même aux professeurs d'amoralisme. Il définit nos remords, les nomme, et par ainsi les retient dans l'âme, comme en vase clos, sous la lumière de l'esprit. À les refouler sans cesse, craignez de leur donner une consistance et un poids charnel.
BERNANOS, L'Imposture, 1927, p. 328.
P. ext. Examen de conscience politique. — État fidèle de l'empire, sa prospérité. — Idées libérales de l'empereur sur la différence des partis (LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 1, 1823, p. 447). Il entreprit (...) un examen de conscience artistique de tous ses écrits (L. CAPET, La Technique supérieure de l'archet, 1916, préf., p. 6).
Cas de conscience. Difficulté créée par une situation ambiguë où la conscience hésite à se déterminer dans un sens précis faute d'une prescription religieuse à laquelle se référer dans un tel cas.
SYNT. Examen d'un cas de conscience; poser, résoudre un cas de conscience; cas de conscience qui pèse sur qqn.
Faire à qqn un cas de conscience de + subst. ou de + inf. Le tenir pour obligé de faire quelque chose au nom de la morale, quelles que soient les difficultés qui en résultent :
36. C'est vraiment une désolation que de te voir réprimer et lier avec je ne sais quels scrupules ton âme, qui tend de toutes les forces de sa nature à se développer de ce côté. On t'a fait un cas de conscience de suivre cet entraînement, et moi je t'en fais un de ne pas le suivre.
M. DE GUÉRIN, Correspondance, 1834, p. 128.
P. ext., cour. Situation conflictuelle délicate à résoudre, sa solution engageant la conscience morale du sujet; scrupule. Se faire un cas de conscience de qqc. a) Avoir scrupule à faire quelque chose que l'on ressent comme allant à l'encontre de sa conscience morale. b) Se tenir pour obligé de faire quelque chose parce que l'on en ressent l'obligation morale. P. ell., vieilli. Se faire (une) conscience de + subst. ou de + inf. Se faire un cas de conscience de. C'est (une) conscience de. C'est un cas de conscience de. Si vous avez encore des scrupules, qu'à cela ne tienne : tout cas de conscience est respectable (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p. 118). C'est un mot de vérité que je te demande, et il ne faut pas te faire conscience de me le dire (SAND, François le Champi, 1850, p. 136). Quand nous touchions à un magnifique cas de conscience, et dans un problème où toute une nation était intéressée, il ne pensa qu'à sa personne (BARRÈS, Au service de l'Allemagne, 1905, p. 30).
Directeur de conscience. Homme d'Église qui dirige la conscience de quelqu'un pour l'aider à vivre selon les valeurs morales et religieuses. Diriger la conscience de qqn. Avoir un directeur de conscience, avoir la conscience dirigée, cela lève le cœur de dégoût (LÉAUTAUD, Journal littér., t. 1, 1893-1906, p. 85).
HIST. Conseil de conscience. Conseil ecclésiastique appartenant au conseil royal et chargé de régler certaines affaires ecclésiastiques. Conseil de conscience de la reine Anne d'Autriche (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 509).
Rem. On rencontre ds la docum. a) Le verbe trans. conscienciser, néol. d'aut. formé sur le modèle d'humaniser. Donner la conscience à. L'homme est un fabricateur de conscient. Son éminente dignité vient précisément de son aptitude à « conscienciser » la nature et à l'humaniser (L. DAUDET, L'Hérédo, 1916, p. 108). b) L'adj. conscientiel, ielle, philos. Qui est relatif à la conscience. Étapes conscientielles (cf. Philos. Relig., 1957, p. 3215). Le mouvement premier de la réflexion est... pour transcender la qualité conscientielle pure de douleur vers un objet-douleur (SARTRE, L'Être et le Néant, 1943, p. 401).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. I. Conscience morale A. 1. ca 1165 « sentiment intérieur qui juge ce qui est bien et ce qui est mal » (Livre des Rois, éd. E. R. Curtius, II, XXIV, 10, p. 107); 1230, sept. bone conscience (Ch. de Thib. de Champ., A. Mun. Troyes ds GDF. Compl.); 1306 en leur consienche (A. S. Omer, CXXI, pièce 3, ibid.); 1609 cas de conscience, v. cas; 2. av. 1569 liberté de conscience ([Louis de Bourbon, prince de] CONDÉ, Mémoires, p. 641 ds LITTRÉ); 3. 1721 conscience publique « ensemble des opinions morales d'une société » (MONTESQUIEU, Lettres Persanes, 129, ibid.); 4. 1673 « la poitrine considérée comme siège de la conscience » mettre la main à la conscience « s'examiner de bonne foi » (MOLIÈRE, Le Malade Imaginaire, I, 5). B. 1723 « travail d'un typographe taxé pour la durée, non pour la quantité d'effort produit » (SAVARY DES BRUSLONS, Dict. universel de comm.). II. Conscience psychologique 1. 1676 philos. (Malebranche ds Trév. 1704 : les philosophes entendent par la conscience, le sentiment intérieur qu'on a d'une chose dont on ne peut former d'idée claire et distincte); 2. 1762 « sentiment que l'être humain a de ses états et de ses actes » (J.-J. ROUSSEAU, Emile, I ds LITTRÉ). Empr. au lat. class. conscientia (proprement « connaissance en commun ») « claire connaissance qu'on a au fond de soi-même, sentiment intime, sentiment, conscience » [notion de bien et de mal]. Fréq. abs. littér. :15 179. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 12 637, b) 13 693; XXe s. : a) 21 720, b) 33 375. Bbg. GOTTSCH. Redens. 1930, p. 392. — LA CHARITÉ (R.). The Concept of judgment in Montaigne. The Hague, 1968, 149 p. — LINDEMANN (R.). Der Begriff der Conscience im französischen Denken. Iena und Leipzig, 124 p.

conscience [kɔ̃sjɑ̃s] n. f.
ÉTYM. Fin XIIe; lat. conscientia « connaissance ». → Conscient.
Faculté qu'a l'homme de connaître sa propre réalité et de la juger; cette connaissance.
———
I (Conscience psychologique). Connaissance immédiate et réflexive que certains organismes vivants, et, spécialt, l'homme, ont quant à leur propre activité psychique. Connaissance, notion, sentiment. || Conscience et pensée (1. Pensée, cit. 13).
A Didact. et cour.
1 (Construit avec de et un objet). || Avoir la conscience de son existence, de ses sensations. || Avoir, perdre la conscience de soi, de soi-même. || Conscience d'exister, de vivre. || La « conscience positionnelle (cit.) du monde » (Sartre).
1 Sitôt que nous avons la conscience de nos sensations.
Rousseau, Émile, I.
2 Tout ce qui agite puissamment notre organisme nous donne une conscience intime de notre existence : voilà le plaisir.
Balzac, Physiologie du mariage, Pl., t. X, p. 882.
3 Salammbô était envahie par une mollesse où elle perdait toute conscience d'elle-même.
Flaubert, Salammbô, XI, p. 225.
4 Ce qui m'enchante en lui (Descartes) et me le rend vivant, c'est la conscience de soi-même, de son être tout entier rassemblé dans son attention; conscience pénétrante des opérations de sa pensée; conscience si volontaire et si précise qu'il fait de son Moi un instrument dont l'infaillibilité ne dépend que du degré de cette conscience qu'il en a.
Valéry, Variété IV, p. 226.
(Qualifié par un adjectif). || Conscience claire, lucide ( Lucidité), vague, obscure (de soi…). || Conscience marginale. || Conscience spontanée, réfléchie.
Absolt. || La conscience : la conscience de soi, de son existence. || Avoir conscience, jouir de sa conscience. || « Avoir conscience, c'est sentir qu'on sent » (Goblot).
5 La conscience éclaire donc de sa lueur, à tout moment, cette partie immédiate du passé qui, penchée sur l'avenir, travaille à le réaliser et à se l'adjoindre.
H. Bergson, Matière et Mémoire, p. 167.
Fait de conscience : phénomène de la vie psychique. || Perte de conscience (évanouissement, sommeil…). || Perdre conscience. || Retour à la conscience.
6 Le retour à la conscience, l'évasion hors du sommeil quotidien figurent les premières démarches de la liberté absurde.
Camus, le Mythe de Sisyphe, p. 82.
Loc. Prendre conscience : devenir conscient (d'un phénomène psychique personnel).Spécialt (psychan.).Prise de conscience : accès à la conscience de sentiments refoulés, déterminants de la conduite. || La prise de conscience n'est rendue possible que par la volonté d'être informé sur les motivations réelles de ses actes, et de vaincre les résistances qui s'y opposent. Levée (des résistances).
6.1 (…) le principe même de la thérapeutique (analytique) reste toujours la prise de conscience. C'est ainsi que l'analyse des mécanismes de défense du moi doit toujours se traduire par une prise de conscience de ces mécanismes. C'est ainsi que le patient s'il doit vivre ses relations avec l'analyste doit prendre justement conscience de ce qu'il vit.
Guy Palmade, la Psychothérapie, p. 87.
2 Faculté d'avoir une connaissance intuitive de soi, d'avoir la conscience (1). || La conscience et les sens.
3 Didact. (psychol.) La partie de la vie, de l'activité psychique dont le sujet a une connaissance intuitive. Conscient (C.). || Sentiment inconscient qui arrive à la conscience, pénètre dans le champ de la conscience (opposé à l'inconscient). || Conscience des sensations internes ( Cénesthésie), externes.
4 Didact. (philos.). Acte ou état dans lequel le sujet se connaît en tant que tel et se distingue de l'objet qu'il connaît. || Conscience du soi, du moi.
B Cour.
1 (Dans des loc. verbales : avoir, prendre conscience, et nominales). Connaissance immédiate, intuitive, plus ou moins vague (dans quelque domaine que ce soit). Intuition. || Avoir conscience de qqch. Pressentir, ressentir, sentir. || Il a conscience de son talent, de son mérite, de sa force, de sa liberté. || Ils n'ont pas conscience de leur droit.Prendre conscience d'une chose. Apercevoir (s'), connaître, savoir. || La prise de conscience d'une situation dramatique.(Qualifié). || Avoir la pleine, une pleine conscience (de qqch.).
7 Je ressentis devant elle ce désir de vivre qui renaît en nous chaque fois que nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. IV, p. 70.
8 La spontanéité est une qualité gentille, belle et charmante, mais combien je lui préfère une pleine conscience et une lente réflexion.
Max Jacob, Conseils à un jeune poète, p. 63.
9 Il a déjà très bien conscience de sa supériorité d'homme.
Martin du Gard, les Thibault, t. VIII, p. 246.
2 Connaissance spontanée, intuitive (d'une situation). || Conscience individuelle. || Conscience collective, politique, sociale. || Atteindre une conscience politique. Conscientisé.
10 (…) il n'y a guère sur cent hommes que deux ou trois d'entre eux qui aient une âme personnelle. Pour les autres, j'incline à penser, qu'ils ont une sorte de demi-conscience rudimentaire et collective, comme les colonies de madrépores et de coraux.
Edmond Jaloux, Fumées dans la campagne, XI, p. 91.
Spécialt. || Conscience de classe (cit. 9.3).
C Par métonymie.
1 Siège des phénomènes psychiques conscients et notamment des convictions, des croyances (avec un impact moral. → ci-dessous, II.). || Liberté de conscience.
2 (Une, des consciences). La personne, en tant que siège des croyances, des convictions. || Opprimer, violer les consciences. || Diriger, éclairer les consciences. Esprit. || La liberté des consciences.aussi ci-dessous, II., 5. (aspect moral).
———
II (Conscience morale).
1 Connaissance intuitive par l'être humain de ce qui est bien et mal, et qui le pousse à porter des jugements de valeur morale sur ses propres actes; personnalité humaine sur le plan de cette connaissance morale. || La conscience de qqn, sa conscience. || Une conscience bourrelée, chargée, corrompue, délicate, droite, exacte, intègre, juste, large, lourde, minutieuse, nette, pure, réglée, scrupuleuse, timorée, tourmentée, tranquille, trouble, ulcérée, vénale… || Une conscience élastique. || Cas de conscience. Cas. || Scrupule de conscience. || Motif de conscience. || Les joies, les remords de la conscience. || Les prescriptions, le témoignage de la conscience. || La voix de la conscience. || Les inspirations de la conscience. Dictamen. || Les cris, les reproches de la conscience. || Parler, agir selon, suivant sa conscience, contre sa conscience. || Lire, pénétrer dans les consciences. || Interroger, déchiffrer sa conscience. || Le secret de la conscience. || Descendre dans sa conscience.(Dans le contexte religieux). || Dieu lit dans les consciences. || Examen de conscience. Examen. || Directeur de conscience. Confesseur, père. || Le tribunal de la conscience. For.Par acquit de conscience, pour l'acquit de sa conscience : pour se tranquilliser. || Être en sûreté de conscience. || Avoir la conscience en paix, en repos. || En toute tranquillité de conscience. || Capituler, composer, transiger avec sa conscience. || Accommodements avec sa conscience ( Compromis). || Décharger, libérer, soulager sa conscience. Aveu, confession, contrition, pénitence, regret, remords, repentir. || Cela blesse sa conscience. || Acheter, corrompre les consciences. || Vendre sa conscience.
11 (…) la Rappinière et les siens remarquèrent sur son visage de si grandes marques d'une conscience bourrelée que tout autre, moins entreprenant que lui, n'eût point balancé à l'arrêter.
Scarron, le Roman comique, I, XV, p. 80.
12 Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
La Fontaine, Fables, VII, 1.
13 Parlerai-je, Monsieur, selon ma conscience (…)
Molière, Amphitryon, II, 1.
14 Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix; guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l'homme semblable à Dieu, c'est toi qui fais l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions; sans toi je ne sens rien en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m'égarer d'erreurs en erreurs à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe.
Rousseau, Émile, IV.
14.1 Je ne parle pas ici en directeur de conscience, notez-le. Je parle en homme, humainement.
Bernanos, la Joie, in Œ. roman., Pl., p. 698.
Loc. Vieilli. Se faire conscience de qqch., s'en faire un cas de conscience, un problème moral. Par ext. || Il se fait conscience de vous déranger. Scrupule.
15 Notre conscience est un juge infaillible, quand nous ne l'avons pas encore assassinée.
Balzac, la Peau de chagrin, Pl., t. IX, p. 129.
16 (…) mon « état moral » — si j'ose parler de cette maladie secrète qu'est la conscience — est fort bon quand je vais bien.
Gide, Lettre à Christian Beck, 2 juil. 1907.
17 (…) les scrupules qui (…) harcèlent les consciences tourmentées ?
F. Mauriac, la Pharisienne, XIV, p. 221.
La conscience : le sens moral. || Avoir la conscience de laisser faire telle chose. Cœur. || Avoir de la conscience. Honnêteté. || Un homme de conscience, de haute conscience. Probité, courage. || Être sans conscience. || C'est une affaire de conscience, de sens moral. || Obligation de conscience. Moral.« Science sans conscience… »
18 (…) pouvais-je, après tout, avoir la conscience
De le laisser mourir faute d'une assistance (…)
Molière, l'École des femmes, II, 5.
19 Les fonctionnaires français, depuis l'instituteur jusqu'au gouverneur de la Banque de France, offrent l'exemple du labeur et de la conscience dont un homme est capable, par simple attachement à sa profession, sans profit pécuniaire, même lorsque son dévouement est caché.
J. Chardonne, l'Amour du prochain, VII, p. 181.
Je m'en remets, je m'en rapporte à votre conscience. Sens (moral).
2 Loc. || Sur la conscience.Laisser qqch. sur la conscience de qqn, l'en rendre responsable. || Vous aurez cela sur la conscience.Il a une faute, un poids sur la conscience : il a qqch. à se reprocher.
20 Je te le mets sur ta conscience, au moins.
Molière, l'Avare, I, 3.
Fig. Le cœur, la poitrine en tant que siège supposé de la conscience.Se mettre la main sur la conscience : s'examiner pour savoir si l'on a qqch. à se reprocher. || Dites-moi, la main sur la conscience, ce que vous pensez de cela, en toute sincérité.
21 Je crois, la main sur la conscience, n'avoir rien exagéré et n'avoir exposé que des faits dans ce que je viens de dire sur la légitimité.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. VI, p. 95.
Dire ce que l'on a sur la conscience. || Sur mon honneur et sur ma conscience, je déclare…
En conscience : en vérité, en toute franchise. Franchement, honnêtement. || Je vous le dis en conscience.En mon âme et conscience, je pense que…, je déclare…
22 Lui, (le Christ) demeure inexplicable toujours et quand même, pour qui prend la peine de sonder en conscience les textes de l'Écriture (…)
Loti, Jérusalem, XXIII, p. 266.
3 Bonne, mauvaise conscience : conscience d'avoir bien ou mal agi, sentiment de satisfaction ou d'insatisfaction quant au jugement moral porté sur soi-même.REM. Bonne conscience s'emploie en général dans un contexte péjoratif, impliquant une morale peu exigeante. — Avoir bonne conscience : être content, satisfait de soi, sur le plan moral. || Se donner bonne conscience, s'acheter une bonne conscience. || Donner bonne, mauvaise conscience à qqn. || Avoir mauvaise conscience. Culpabilité.(Dans des emplois analogues).Avoir la conscience nette, tranquille : ne pas se sentir coupable.
23 (…) il (le pasteur) avait trop bonne conscience et s'installait trop aisément dans la compassion.
Pierre Gascar, le Temps des morts, p. 240.
24 (…) le savoir n'a pas le droit de fournir de la bonne conscience (marchandise non pondéreuse, transportable, bien cotée sur le marché) aux intellectuels, aux techniciens, aux gens en place et au pouvoir. La bonne conscience rationalisée, institutionalisée par la Science et bureaucratisée en son nom, qu'y a-t-il de plus laid ?
Henri Lefebvre, la Vie quotidienne dans le monde moderne, p. 149-150.
4 Conscience professionnelle : honnêteté, soin que l'on apporte à l'exécution de son travail.Absolt. || Mettre beaucoup de conscience dans son travail.
25 Il en faisait une sale tête. Elle lui boulottait les foies, sa conscience (…) Ce M. Tolut, il n'y avait rien à faire, il devait mourir comme il est mort, lamentablement, avec ce truc qu'il appelait sa conscience professionnelle en train de lui manger les sangs.
R. Queneau, les Derniers Jours, p. 231.
Techn. || Travail en conscience : travail délicat, rémunéré au temps et non à la pièce, en typographie. || Être en conscience; journée en conscience.Par métonymie. || La conscience : les typographes en conscience.
5 Par métonymie. || Une, des consciences : personne, en tant que dotée d'une conscience morale.aussi, ci-dessus, I., C., 2. || Violer les consciences. || Endormir, éclairer les consciences.
6 Loc. Clause de conscience, par laquelle un journaliste peut, pour sauvegarder sa liberté intellectuelle et morale, rompre son contrat de travail si l'orientation du journal change.Cour. || Objection, objecteur (cit. 1, 2, 3) de conscience.
7 Techn. Pièce de bois que l'on appuie sur la poitrine (le cœur, la « conscience » → ci-dessus, II., 2) pour pousser un foret que l'on fait tourner à la main (avec un archet, etc.).
CONTR. Inconscience. — Malhonnêteté.
DÉR. Consciencieux.
COMP. Inconscience, subconscience, surconscience.

Encyclopédie Universelle. 2012.