LIVRE
C’est vers le milieu du XVe siècle que la technique occidentale d’impression des textes au moyen de caractères mobiles fut mise au point, très vraisemblablement dans la région de Mayence. À partir de 1460, le nouvel art se répand très rapidement à travers l’Europe. Très rapidement également, on prend l’habitude d’illustrer les nouveaux livres au moyen d’illustrations gravées sur bois et, plus rarement, sur cuivre. À la fin du XVe siècle, quinze ou vingt millions d’exemplaires, peut-être, auront été répandus dans une Europe alors peuplée de quelque cent millions d’habitants, dont la plupart étaient illettrés.
L’imprimerie contribue dès lors très largement à faire passer l’Occident du stade de la culture orale à celui de la culture écrite. En même temps, le livre imprimé prend un aspect totalement différent de celui des manuscrits jusque-là répandus: la page de titre apparaît, publicité pour le libraire, mais aussi état civil du livre; des différents types d’écriture employés, l’un triomphe, l’écriture romaine chère aux humanistes; l’aspect du livre s’uniformise mais aussi s’éclaircit, on prend l’habitude de numéroter les feuillets, puis les pages, de diviser l’ouvrage en chapitres à peu près égaux, de faire figurer en tête du volume ou à la fin une table des matières qui, donnant la référence de chaque chapitre, fournit aussi au lecteur le plan de ce qu’il doit lire. Du même coup, l’imprimerie contribue à forger une psychologie, celle de l’homme des Temps modernes.
En même temps, le livre prend en charge, comme par modes successives, certains courants de pensée, qui, grâce à lui, deviennent dominants. Au XVIe siècle, il apparaît ainsi au service des humanistes et fait connaître à tous les chefs-d’œuvre retrouvés ou revus de la pensée grecque ou latine. Mais il est aussi au service des jeunes littératures nationales et de l’esthétique de la Renaissance. À côté des chefs-d’œuvre de l’Antiquité païenne, il diffuse aussi le texte revu de la Bible et des œuvres des premiers Pères. Générateur d’une certaine forme d’esprit critique moderne, il contribue à l’élan réformateur. Moyen permettant d’accélérer la circulation de l’information, il favorise la cristallisation des opinions publiques et joue son rôle dans les guerres religieuses.
La paix revenue, les partis au pouvoir essaient de se l’asservir par le recours à la censure. Durant tout le XVIIe siècle, il apparaîtra ainsi au service des orthodoxies; c’est, dans le monde catholique, la grande époque de la réformation catholique, où se multiplient les petits livres de piété, destinés à nourrir un renouveau de sensibilité religieuse, et les monuments d’érudition qui fixent le dogme renouvelé.
Survient cependant vers la fin du siècle une de ces décharges de sensibilité évoquées par Lucien Febvre. Autour de la France, les presses clandestines se multiplient, la grande heure de l’imprimerie hollandaise sonne, la presse à imprimer apparaît à nouveau au service de l’attaque: elle contribuera puissamment à préparer la Révolution française.
En même temps, le livre, en chacune de ces époques, évoque en son aspect la psychologie des textes qu’il diffuse. Au XVIIe siècle, l’illustration, d’abord volontiers monumentale et allégorique, devient finalement psychologique, le livre s’ornant alors avant tout de portraits; au XVIIIe siècle, au contraire, elle sera souvent galante, mais aussi documentaire et technique.
Après la Révolution, cependant, l’Europe se transforme: le temps de la révolution industrielle est survenu; le peuple des campagnes afflue vers les villes; les luttes sociales durcissent l’atmosphère. En ce climat, le livre apparaît quelque peu au service des classes dominantes. Les autres tendront à lui préférer un relativement nouveau venu: le journal; c’est lui qui profite avant tout de l’alphabétisation des masses. Dès lors se pose un problème qu’accentuera l’avènement des nouveaux médias (radio, cinéma, puis télévision): dans quelle mesure le livre doit-il toujours assumer les mêmes missions que jadis? Les mutations sociales actuellement en cours en généraliseront-elles l’usage? Ou apparaîtra-t-il en retrait, et, dans ce cas, à un univers mental dominé par l’imprimé un autre univers, tout différent, ne succédera-t-il pas?
1. L’évolution de la production imprimée
C’est vers 1450 que la technique occidentale d’impression des textes fut mise au point, dans l’entourage de Gutenberg; cependant, des essais d’impression furent sans doute effectués vers la même époque en Hollande et à Avignon.
À quelles nécessités répondaient ces tentatives? Il semble qu’on ait ressenti en Europe, à la veille de la Renaissance, le besoin de multiplier les textes à volonté à la suite d’un assez large mouvement d’alphabétisation; mais c’est surtout le mécanisme capitaliste qui joua en cette affaire un rôle moteur.
À partir de 1460, la technique nouvelle se diffusa très rapidement. Vers 1520, des officines étaient établies dans toutes les villes d’Europe de quelque importance. Parmi les œuvres répandues sous forme de manuscrits, l’imprimerie effectue d’abord un tri. Puis, le besoin pour les libraires de renouveler les textes et d’élargir leur clientèle impose un dynamisme tout nouveau dans le domaine culturel. Parallèlement commence le temps des modes: mode pour les écrits mystiques à la fin du XVe siècle, mode pour les classiques latins et grecs entre 1490 et 1530, enfin mode pour les textes littéraires en langues nationales vers le milieu du XVIe siècle. Ainsi la presse à imprimer apparaît-elle alors au service de l’humanisme, puis à celui du nationalisme et contribue-t-elle à former, mais aussi à figer, les langues nationales.
Multipliant les textes sacrés comme les textes profanes, recherchant naturellement les meilleures versions, les imprimeurs favorisent en outre l’essor d’une forme d’esprit critique qui est à la base de la Réforme; possédant l’instrument nécessaire pour atteindre simultanément un public assez large, ils contribuent, par la diffusion de toute une littérature de caractère polémique, à cristalliser l’opinion publique autour des problèmes religieux.
Ainsi la typographie a-t-elle fortement contribué à bouleverser la structure des mentalités occidentales dans le siècle qui a suivi son apparition. Instrument de culture d’une élite bourgeoise, dont l’ascension est souvent contemporaine de sa naissance, le livre imprimé règne en maître au XVIIe et au XVIIIe siècle; il fait refluer toutes les formes de culture orale. Le premier des médias de caractère moderne, il fait tellement sentir sa puissance que les pouvoirs, le spirituel comme le temporel, essaient de le contrôler par différents systèmes de censure.
À partir du début du XIXe siècle, cependant, face à l’afflux massif d’un public récemment et incomplètement alphabétisé, le livre apparaît avant tout comme l’instrument de culture d’une élite; il voit se développer un fils quelque peu abusif, le journal, qui sait mieux répondre aux préoccupations des masses dans un monde qui devient celui de l’immédiat. Avec l’essor des techniques d’illustration et l’apparition de la photographie, l’image tente d’équilibrer le texte écrit, devenu envahissant. Puis, la conquête du public par l’audiovisuel consacre un retour de l’oral face à l’écrit. Mais, ouvrant de nouveaux horizons à celui-ci, ces nouveaux médias contribuent à leur tour à inviter à un retour au livre, instrument d’approfondissement et de méditation, retour que vient confirmer l’étude statistique de l’évolution de la production imprimée depuis la dernière guerre.
L’apparition du livre imprimé
L’invention de l’imprimerie supposait réunies un certain nombre de conditions.
Les conditions
Déjà au XIIIe siècle, l’essor des universités et le développement des études avaient entraîné l’utilisation de procédés de fabrication en série des manuscrits. Au XIVe et au XVe siècle, il semble que, notamment par l’intermédiaire des chancelleries, par le développement de collèges dans le nord de l’Europe (mouvement de la Devotio moderna , dans les Pays-Bas et en Allemagne du Nord), par la multiplication des universités et par les progrès des techniques commerciales (arithmétique commerciale et livres de compte), l’alphabétisation et le besoin de textes aient augmenté. L’apparition de l’imprimerie répond donc à un besoin.
D’autre part, on savait depuis longtemps, en Europe, frapper une matrice de métal à l’aide d’un poinçon de métal plus dur et prendre l’empreinte de cette matrice en coulant dans celle-ci un métal fusible à basse température. Cependant, au début du XVe siècle, on voit naître, dans la région de Liège, le premier haut fourneau et toute la machinerie qui sera utilisée jusqu’au XVIIIe siècle. Vers la même époque, l’exploitation des mines d’Allemagne et de Bohême connaît un nouvel essor. Du même coup, les arts et les techniques du métal progressent, et un « climat » est créé.
De plus, mis au point en Chine dans les premiers siècles de notre ère, l’art du papier avait été connu des Arabes vers le VIIIe siècle. Au XIe et au XIIe siècle le papier était introduit, par leur intermédiaire, en Europe (Espagne et Italie). Mais les papetiers italiens utilisèrent, au lieu de la meule employée par les Arabes, des moulins à eau, l’axe des roues étant muni de « lèves » permettant de transformer le mouvement circulaire de celles-ci en mouvement alternatif. En Italie, puis en France, les moulins à papier se multiplièrent donc au cours des XIVe et XVe siècles. Ainsi se trouve mis à la disposition des Occidentaux, dans le siècle qui précède l’invention de l’imprimerie, un nouveau « support » des textes, parfaitement plan, donc plus apte que le parchemin à passer sous la presse à imprimer.
Cependant, de même que d’autres grandes découvertes, l’invention de l’imprimerie, loin d’en être une conséquence, précède la Renaissance. On aimerait pouvoir faire état à ce sujet d’un nouvel essor économique et démographique amorcé en Allemagne et dans le nord de l’Europe dans la première partie du XVe siècle. Tel ne paraît pas avoir été le cas. On peut pourtant observer que l’art typographique trouva son berceau dans la vallée du Rhin, pays de civilisation urbaine, comptant des villes prospères, habitées par une riche bourgeoisie urbaine, centres de foires et d’échanges: Gutenberg travailla à Strasbourg à la mise au point de procédés techniques en vue des foires d’Aix-la-Chapelle; ses bailleurs de fonds furent des papetiers, des bourgeois, des banquiers soucieux avant tout de faire fructifier leur capital.
L’invention
Employée déjà pour l’impression du tissu, la technique xylographique est tout naturellement utilisée dès la seconde partie du XIVe siècle pour imprimer des images sur papier. Dès la fin de ce siècle se développe ainsi, notamment dans l’État bourguignon, une industrie d’images de dévotion, en particulier d’images de la Vierge et des saints populaires comme saint Roch, saint Sébastien ou sainte Apolline, qui ornent les demeures, décorent le fond des coffrets de voyage et servent peut-être de talismans ou de remèdes. Puis apparaissent des images profanes, qu’on groupe en livrets et qu’on accompagne d’une légende manuscrite ou gravée; on en fait ainsi des sortes de bandes animées (Art de mourir , Neuf Preux , Apocalypses , etc.). Plus tard, on publiera d’autres livrets qui ne comportent que des textes (Doctrinal d’Alexandre de Villedieu, Grammaire élémentaire de Donat, etc.). Mais on peut se demander si les livrets de ce genre qu’on connaît ne sont pas tous postérieurs à l’apparition de l’imprimerie.
Peut-être cette technique de la xylographie, de même que celle du papier, fut-elle transmise de Chine où l’on imprimait des textes depuis longtemps en recourant à ce procédé. On évoque cependant aussi le « précédent chinois » pour tenter de prouver que les Européens n’inventèrent rien. En fait, les techniques d’impression au moyen de caractères mobiles, telles qu’elles furent élaborées en Europe au temps de Gutenberg, n’ont rien à voir avec les essais ouïgours ou coréens.
Comment les choses se passaient-elles en Occident? D’assez nombreux documents d’archives et des textes semblent montrer que des tentatives eurent lieu en différents pays pour mettre au point un procédé d’impression durant le second quart du XVe siècle. À Avignon, un orfèvre originaire de Prague, Procope Waldfoghel, s’engage par des contrats notariés à enseigner aux habitants de la ville un ars scribendi artificialiter (1444-1446). Aux Pays-Bas, les comptes de Jean Le Robert, abbé de Saint-Aubert de Cambrai, font état de l’achat de deux exemplaires d’un Doctrinal « jeté en moule » (1445 et 1451). Divers textes, postérieurs il est vrai, font enfin allusion à des recherches effectives aux Pays-Bas, notamment à Haarlem par Laurens Janszoon, surnommé Coster (Chronique de Haarlem , 1563). Surtout, Johannes Gensfleisch dit Gutenberg, orfèvre de profession, issu d’une famille de monnayeurs de Mayence, tente de mettre au point un procédé d’imprimerie, d’abord à Strasbourg entre 1436 et 1439, et plus tard à Mayence, ainsi qu’en témoignent des procès avec ses commanditaires. Bien qu’il soit à peu près certain qu’il ait abouti, on ne connaît pas d’impressions signées par lui, tandis que deux de ses anciens associés, Johann Fust et Peter Schoeffer, fondaient une entreprise prospère, de laquelle sortait en 1457 le premier livre imprimé signé de ses typographes, le Psautier de Mayence.
Si l’on recherche quels furent les premiers documents imprimés, on constate qu’il s’agit avant tout d’éditions de la Bible, de livres d’église (psautiers et missels), de grammaires élémentaires et de lettres d’indulgence.
La diffusion de l’imprimerie en Europe (1460-1520)
Sans doute à la suite des troubles survenus à Mayence en 1462, les typographes de cette ville commencent alors à essaimer à travers l’Europe. Possédant un matériel réduit, taillant pour la plupart leurs poinçons eux-mêmes, ils vont de ville en ville, au hasard des commandes. Le bailleur de fonds est souvent un homme d’Église, évêque ou chanoine, parfois aussi un mécène plus ou moins humaniste; à Paris, c’est la Sorbonne qui accueille les premières presses (1472). Bien souvent ces créations sont éphémères, mais finalement le typographe se fixe soit dans une grande ville qui lui offre une clientèle (Paris), soit dans un centre de foires, où il trouvera de nombreux commanditaires (Lyon), soit dans un port marchand (Anvers, Venise).
Peu à peu le marché du livre s’organise. D’abord les imprimeurs s’installent dans les très grandes villes: en Allemagne, à Strasbourg et à Bamberg (1458), à Cologne (1466), à Augsbourg et à Bâle (1468), à Nuremberg (1470); hors d’Allemagne, à Subiaco et à Rome (avant 1465), à Venise (1469), à Paris (1472), à Lyon (1473), etc. En 1480, des presses typographiques ont fonctionné dans cent dix villes d’Europe au moins. Déjà Venise s’affirme comme métropole du livre, suivie de Milan, d’Augsbourg, de Nuremberg, de Florence, de Cologne, de Paris, de Strasbourg, de Bâle.
Puis vient le tour de villes de moindre importance. En 1500, on peut dénombrer deux cent trente-sept centres ayant possédé des presses. La France, les Pays-Bas, l’Allemagne du Nord tendent à rattraper leur retard. Si Venise reste en tête (près du quart peut-être des impressions de 1495 à 1497 parvenues jusqu’à nous), Paris et Lyon occupent désormais le second et le troisième rang devant Florence, Leipzig, Deventer, Milan, Strasbourg, Cologne, Augsbourg, Nuremberg et Bâle. De 1500 à 1520, les centres typographiques se multiplient tant qu’on ne peut plus les dénombrer.
Même dans les grandes villes cependant, les liseurs restent longtemps encore peu nombreux. L’écoulement d’une édition (on arrive très vite à des tirages de l’ordre du millier pour des raisons de rentabilité) exige donc une diffusion à longue distance: c’est pourquoi les nœuds de communications (ports, foires) sont souvent des centres typographiques importants. Pour faciliter les transactions, on recourt le plus souvent au système du troc. Afin de ne pas être endommagés, les livres circulent habituellement dans des tonneaux; ils sont « en blanc » (en feuilles non reliées) pour peser moins lourd et ils sont reliés sur le lieu de vente soit avant, soit plutôt après la vente, au goût du client.
Le plus souvent, les éditions s’écoulent lentement. Longtemps la main-d’œuvre représentera peu de chose dans le prix de revient. L’établissement d’un atelier typographique ne coûte pas très cher si l’on se contente d’un matériel rudimentaire. En revanche, la matière première, le papier, est relativement onéreuse. On comprend donc que nombre de maîtres imprimeurs aient été d’assez pauvres gens dominés par des marchands libraires possédant des capitaux relativement importants et disposant d’un réseau d’affaires étendu.
La production imprimée
La production se développe rapidement. Pour les seuls livres imprimés avant 1500, les incunables, on possède de trente à trente-cinq mille impressions différentes; soit, en admettant un tirage moyen de cinq cents, quelque vingt millions d’exemplaires offerts au public. Parmi eux, 70 p. 100 de livres sont en latin, environ 7 p. 100 en italien, 5 à 6 p. 100 en allemand, 4 à 5 p. 100 en français et un peu plus de 1 p. 100 en flamand. Dans cet ensemble, les textes religieux dominent: à peu près 45 p. 100 du total. Viennent ensuite les volumes de caractère littéraire, classiques anciens, médiévaux et contemporains (un peu plus de 30 p. 100), et enfin des livres de droit (un peu plus de 10 p. 100) et les impressions de caractère scientifique (environ 10 p. 100). On conçoit qu’une pareille production corresponde à un élargissement brutal du public des liseurs et à un changement d’attitude à l’égard du livre: il ne s’agit plus désormais de lire, de relire et de méditer quelques textes, mais, de plus en plus, de confronter, de consulter, voire de parcourir.
Quel message transmet le livre imprimé? Michelet a affirmé à ce sujet que la presse à imprimer, avant de se mettre au service de mouvements novateurs, a assuré une survie inespérée à une foule de textes qui, sans son aide, auraient vite disparu. Certes, le libraire désireux de plaire au public ne travaille pas à contre-courant; comme l’a observé l’historien des sciences Sarton, l’imprimerie ne mit ainsi au jour que six ou sept éditions des lettres dans lesquelles Christophe Colomb relatait ses découvertes, mais multiplia des centaines de fois le récit des voyages imaginaires de Jehan de Mandeville; de même, en plein XVIe siècle, on édite encore des cosmographies où l’on néglige de mentionner l’Amérique, sans doute afin d’éviter de choquer les opinions communément reçues. En règle générale pourtant, l’imprimerie favorise le progrès. Désireux de séduire leurs clients, les libraires cherchent à leur offrir des textes sans cesse renouvelés, plus corrects et dans une présentation améliorée. De plus, la dynamique des échanges tend à briser les cloisonnements intellectuels de l’Europe.
D’autre part, faisant preuve d’une extraordinaire mobilité, la production imprimée évolue, par à-coups, en fonction de modes successives. Au XVe siècle, se multiplient les livres de spiritualité et de mystique (saint Augustin, saint Bernard, école rhéno-flamande, Imitatio Christi ), mais aussi des manuels pour les prêtres, des abrégés et des traductions de la Bible. Les ouvrages littéraires en langues nationales comportent des écrits satiriques et surtout des romans de chevalerie qui sont destinés à un public de plus en plus large et qui deviendront au XVIIIe siècle littérature de colportage. Un peu partout paraissent les grammaires latines et, des presses italiennes d’abord, de celles des Pays-Bas aussi, puis très vite de celles de toute l’Europe, sortent les œuvres des classiques latins. Installé à Venise, Alde Manuce lance en 1500 un Virgile au format de poche et, bientôt, succèdent aux éditions en grand format de petits livres destinés à porter à un public élargi le message de l’Antiquité latine. Tout marché, cependant, s’épuise à la longue; or, dès les dernières années du XVe siècle, ce même Alde, profitant de la présence à Venise de nombreux réfugiés byzantins, entreprend de publier les œuvres des classiques grecs et restitue notamment à l’Occident le texte original d’Aristote. De 1510 à 1530, la mode des ouvrages grecs s’empare de l’Europe, ainsi que, partiellement, celle de l’hébreu.
À Bâle, Bonifacius Amerbach, dont la presse est au départ financée par Anton Koberger, le puissant libraire de Nuremberg, se spécialise pour sa part dans l’édition des textes soigneusement revus des œuvres des Pères de l’Église. Il dégage les textes authentiques d’innombrables apocryphes et son gendre, Johannes Froben, qui lui succède, est l’éditeur préféré d’Erasme.
Comment, dans ces conditions, le même esprit de critique philologique ne se serait-il pas attaqué à l’Écriture? Dès le début du XVIe siècle, des humanistes entreprennent donc de publier les différentes versions de celle-ci (Psalterium quintuplex de Lefèvre d’Etaples, 1509; Nouveau Testament grec d’Érasme, 1516; Bible polyglotte d’Alcalà sous la direction du cardinal Ximénès, 1517). Bientôt, le grand maître en ce domaine fut l’imprimeur parisien Robert Estienne.
Dès 1517, Luther affiche ses propositions contre les indulgences à la porte d’une église de Wittenberg et les luttes religieuses commencent. Durant trente ans, les presses allemandes se consacrent uniquement à multiplier affiches, pamphlets ou traités pour ou contre la Réforme. Les différents livres de la Bible traduits par Luther existent en millions d’exemplaires; cette traduction, dans laquelle sont employées des expressions provenant de différents dialectes, contribue à forger l’unité de la langue allemande, de même qu’en Angleterre le Book of Common Prayer. En France, le livre sert de même à l’hérésie ou à la défense de l’orthodoxie, tandis que l’on cesse à peu près complètement d’imprimer les textes de la spiritualité traditionnelle.
Stimulant en cette époque d’expansion les appétits intellectuels, l’imprimerie multiplie en même temps les traités didactiques. Au service des pouvoirs nationaux qui se renforcent, elle assure la diffusion des actes officiels. Les presses travaillent donc de plus en plus: au XVIe siècle, quarante mille éditions sortent de celles de Venise, vingt-cinq mille de celles de Paris, quinze mille de celles de Lyon. En même temps, face au marché international des lettrés, celui du livre latin, les marchés nationaux se développent. Les éditions latines deviennent même minoritaires en France vers 1550, tandis qu’un large public où les femmes et les gens d’épée sont nombreux, mais où l’on rencontre également beaucoup de riches marchands et des gens de robe, apprécie les poésies, les nouvelles, les romans et les livres d’emblèmes dans lesquels le texte explique les allégories imagées et en tire la morale. À cette époque, une société passe du stade de la culture orale, avec tout ce que cela suppose d’éléments subjectifs, à celui de la culture écrite, analytique et génératrice d’abstraction. La presse à imprimer apparaît en outre comme un agent d’unification des langues nationales, de renforcement des sentiments nationaux et des pouvoirs qui incarnent ces sentiments.
Il convient enfin de mettre au crédit non pas tant de l’imprimerie que de la gravure l’essor des sciences descriptives qui caractérise cette période. Pline avait en effet narré comment, de copie en copie, les botanistes grecs avaient défiguré la représentation des plantes, d’où la tentation de classifications basées sur une nomenclature relativement abstraite. Au XVIe siècle, peintres et médecins étudient le corps humain et ses proportions, Vésale publie son ouvrage sur l’anatomie De corporis humani fabrica libri septem (1543), herbiers et traités de zoologie se multiplient, notamment à Anvers grâce à Christophe Plantin, et la cartographie moderne prend son essor aux Pays-Bas grâce à Mercator, à Ortelius et à leurs disciples.
La civilisation du livre imprimé
Le temps de la réformation catholique
Pareille mutation ne pouvait aller sans provoquer des contrecoups. En 1539-1543 et 1569-1571, des grèves ont lieu à Paris qui prennent parfois l’allure de crises de surproduction. Après l’euphorie de la Renaissance, l’expansion apparaît de plus en plus freinée. Alertés par les crises de la Réforme, les pouvoirs, le religieux comme le séculier, entreprennent de mettre en tutelle la presse à imprimer.
Pour cela, ils interviennent sur plusieurs plans. La récession, qui tend à s’emparer peu à peu de l’Europe, incite libraires et imprimeurs en place à constituer, dans les plus grands centres, des corporations à tendance malthusienne. S’érigeant en arbitre au milieu des querelles, l’État tend à utiliser les chefs de ces corporations comme agents de transmission de ses ordres. En même temps, il réussit à généraliser, en France, pour toute publication nouvelle, le système du privilège: à savoir que la permission d’imprimer accordée à la suite de l’examen d’un texte par le censeur est assortie d’un monopole concédé pour une durée dépendant du bon vouloir du chancelier, c’est-à-dire du crédit du demandeur auprès du Sceau.
Libraires et imprimeurs n’avaient plus, en pareil climat, qu’à rivaliser de docilité, d’autant plus que l’État était encore à la fois un fournisseur de textes et un client non négligeable depuis qu’il avait pris l’habitude de faire imprimer et diffuser les décisions officielles (système des imprimeurs du Roi). Dans le monde catholique, d’autre part, grâce à la révision par Rome des grands textes liturgiques, au travail d’érudition des philologues, à la multiplication par le canal des ordres d’une littérature de spiritualité renouvelée, l’Église représentait à la fois un fournisseur de textes et une clientèle d’autant plus importante que les couvents se multipliaient et se constituaient régulièrement des bibliothèques, que les jésuites installaient un réseau de collèges et qu’un peu partout les fidèles réclamaient des livres de piété.
On conçoit dès lors la belle ordonnance et le caractère majestueux de la production imprimée au temps de la Contre-Réforme et de la renaissance catholique. Le livre latin et l’ouvrage de grand format disposent d’une clientèle assurée: pour les couvents, on fait sortir des presses des commentaires de la Bible, des éditions monumentales des œuvres des Pères, des traités de théologie morale; pour les églises, on imprime des éditions des livres d’autel sans cesse révisées; aux moniales et aux fidèles s’adressent les petits livres de spiritualité de Benoît de Canfeld, de Louis de Grenade, de sainte Thérèse et bientôt de saint François de Sales, sans compter les pieux ouvrages d’innombrables jésuites: Rodriguez, Busée, Bary... Cette époque est aussi celle d’importantes bibliothèques laïques, possédées par des gens de robe, héritiers de la tradition humaniste devenue avec eux humanisme chrétien. Les cinq colonnes du savoir de ces hommes sont une théologie se référant surtout à la tradition des Pères; le droit qui se réfère aux textes, romains et canoniques, aux éditions des coutumes et au droit monarchique; les classiques grecs et latins; l’histoire, de Comines à de Thou, et les sciences descriptives en attendant l’essor des mathématiques.
En pareille atmosphère l’hétérodoxie ne pouvait laisser que peu de traces imprimées dans le monde catholique: seulement quelques recueils de vers au temps de Théophile, de rares écrits plus ou moins ambigus au temps de François de la Mothe Le Vayer, ce temps où les libertins devenus érudits se réfugient comme Gabriel Naudé dans les bibliothèques où ils renouent avec délice avec la tradition de Pietro Pomponazzi. De plus, les échanges entre « sortes » s’opéraient au sein d’un monde catholique où les grands centres d’édition étaient Anvers, Cologne, Lyon, Paris, Venise et où l’Espagne apparaissait comme un marché. Rejetés vers l’extérieur par ce dynamisme centrifuge, les imprimeurs protestants, hollandais notamment, préparent cependant l’avenir; ils perfectionnent leur technique et, avec les Elzevier, ils redécouvrent les vertus du livre de poche, cette invention d’Alde. Faute de participer à la manne des publications de l’Église catholique, ils se font, avec l’aide de l’école philologique de l’université de Leyde, éditeurs des œuvres de l’Antiquité classique. Surtout, mesurant les faiblesses du système policier, ils se préparent à violer systématiquement le respect des bienséances commerciales et de la loi du privilège et inondent bientôt l’Europe de contrefaçons, d’excellent aloi, des textes des auteurs récents les plus appréciés.
Absolutisme et récession
La crise qu’une récession croissante ne pouvait manquer de provoquer éclata avec d’autant plus de violence dans les milieux de la librairie que la guerre de Trente Ans priva d’un marché considérable les métiers du livre dont le principal foyer d’échange était constitué par les foires de Francfort.
Resserrant les « courroies de contrôle » à mesure que la récession s’affirmait, le chancelier Séguier, soutenu par Richelieu, avait entrepris d’imposer dans les faits le contrôle d’une censure efficace; en même temps, il participait à la fondation de l’Académie française (en son esprit, pépinière de censeurs aux ordres du pouvoir) et à la création de l’Imprimerie royale dont il envisagea sans doute un moment de faire une manufacture ayant le monopole de certaines impressions. Cet effort se heurta à de violentes réactions des imprimeurs, qui devenaient de plus en plus nombreux et manquaient de plus en plus de travail; en 1643-1644, lors de la poussée de fièvre janséniste, on recommença à imprimer et à vendre des livres librement, et la Fronde ne fit que consacrer un état de fait qui se prolongea au moins jusqu’en 1661.
La situation est alors d’autant plus grave que les libraires flamands, puis hollandais et genevois, obligés de se détourner du marché allemand, entreprennent la conquête de débouchés en France et jusqu’en Italie et en Espagne. Il en résulte une véritable guerre de contrefaçons entre centres et de nombreuses faillites. Remplaçant en fait le vieux Séguier en ce domaine, Colbert se devait d’imposer là encore la « maxime de l’ordre »; il le fit brutalement en interdisant de procéder à la nomination de nouveaux maîtres imprimeurs à Paris jusqu’à ce que le nombre des ateliers soit réduit à trente-six. En 1686, ses successeurs adoptèrent les mêmes mesures pour la province. En outre, les privilèges, par le jeu des continuations, devinrent la propriété perpétuelle de ceux qui les avaient obtenus, et, surtout, le système des privilèges fut étendu à tous les textes à mettre sous presse, non seulement nouveaux mais anciens, à quelques exceptions près; le tout déboucha, en 1701, sur une enquête et sur la création à la Chancellerie d’un Bureau de la librairie dont la direction fut confiée à l’abbé Bignon, le propre neveu du chancelier Pontchartrain.
Désormais, l’État, en théorie devenu tout-puissant, accorde des privilèges aux Parisiens plus proches du pouvoir et à qui revient la charge parfois onéreuse de « lancer » les textes nouveaux. La réaction ne se fit pas attendre: la province s’allia avec la Hollande pour couvrir la France de contrefaçons. De plus, les persécutions contre les protestants avaient incité de nombreux pasteurs et des lettrés à se réfugier en ce pays qui devint le foyer d’une propagande dont la cible principale était l’absolutisme royal.
Tous ces faits contribuent à expliquer la nature de la production imprimée de la seconde partie du XVIIe siècle et du début du XVIIIe. Désormais, on préfère les petits formats aux grands, de même que la raison à l’esprit de référence, et les langues nationales au latin. Statistiquement, l’apogée de la Contre-Réforme est marqué, aux alentours des années 1680, par la multiplication de livrets de toutes sortes; en fait, il s’agit de plus en plus d’une littérature didactique et hiérarchisée, d’abrégés inspirés d’ouvrages publiés auparavant, donc d’un mouvement qui se dépouille progressivement de tout dynamisme et de toute spontanéité. De même, dans le domaine de la philosophie et des lettres, les libraires et les imprimeurs, en quête de textes nouveaux, s’efforcent de susciter des traités et des romans alléchants en payant les auteurs. Et, fait caractéristique de cette société qui se cherche, au goût pour la comédie psychologique du temps de Molière succède la mode de la comédie de mœurs.
La situation est la même un peu partout en Europe à la fin du XVIIe siècle, tandis que la librairie traverse une crise extrêmement grave. Au début du XVIIIe siècle, pourtant, les entreprises qui ont survécu profitent de cette concentration forcée pour retrouver dynamisme et richesse.
Le temps des philosophes
Le XVIIIe siècle est, en matière de librairie, le temps des règlements. En France, depuis 1701 au moins, le Bureau de la librairie enregistre en théorie tout ce qui s’imprime. Aux uns, il décerne un privilège général, valable pour toute la France; pour les ouvrages qui ne peuvent faire l’objet d’un seul monopole sur tout le territoire, il accorde un privilège local; pour ceux dont la diffusion est très générale, une permission du Sceau, sans privilège. Les frontières sont gardées de plus en plus sévèrement. Pourtant, cette époque est déjà celle des compromis et des négociations; on prend ainsi l’habitude de faire inscrire sur un registre, dit des permissions tacites, la permission de fait d’imprimer certains ouvrages sous le couvert de fausses adresses, afin de sauvegarder les apparences, ce qui n’empêche au reste nullement que prolifèrent autour de la France des centres très actifs d’impressions clandestines (Pays-Bas, Liège, Bouillon, Neufchâtel, etc.). On conçoit ainsi ce que put être en pareil climat l’action de Malesherbes, directeur de la Librairie dans le second tiers du siècle, ami des philosophes, qui s’efforçait de faire tolérer l’impression ou la diffusion de leurs œuvres, dès lors que celles-ci ne comportaient pas trop d’attaques directes contre les personnes et l’ordre établi.
En outre, à cette époque, les privilèges sont renouvelés régulièrement et restent parfois durant plus d’un siècle aux mains d’une même famille de licraires; celle-ci réalise souvent des bénéfices importants, tandis que les descendants de l’auteur, à qui l’œuvre en question a été achetée, se trouvent dans la misère. Et, ces privilèges étant normalement accordés à des éditeurs de la capitale, les provinciaux en sont réduits à imprimer des actes administratifs ou des travaux de ville.
Cette situation était née du climat de récession du début du siècle. Au temps de Law, les libraires du continent, pour pallier le manque de capitaux, avaient souvent utilisé le système des souscriptions. Peu à peu, les métiers du livre reprirent vigueur et, en France, la concentration imposée par l’État favorisa l’apparition d’une oligarchie de grands libraires et d’imprimeurs possédant des ateliers relativement importants. Mais, du même coup, les avantages concédés aux Parisiens par le système existant soulevaient d’âpres polémiques dans lesquelles intervint notamment Diderot. Finalement, une série d’arrêts imposa, en 1777, une révision de la législation: un auteur qui prendra lui-même son privilège et vendra son œuvre chez lui pourra transmettre à ses héritiers un droit perpétuel sur cette œuvre. Mais la cession du manuscrit à un tiers rendra cette propriété viagère: le privilège accordé au libraire ou par lui acheté ne durant que la vie de l’auteur, et, dans tous les cas, un minimum de dix ans.
On peut observer un peu partout un mouvement analogue. Ainsi en Allemagne, où le prix des livres augmente considérablement au long du siècle, où les contrefaçons se multiplient et où la censure politique se développe, Lessing fonde, avec un groupe d’écrivains, une maison coopérative d’édition, et un libraire de Leipzig, Reich, tente d’imposer une remise en ordre. Puis, à la fin du siècle, les États allemands, suivant l’exemple de la Prusse, entreprennent de protéger le droit des auteurs, tandis que la création à Leipzig d’une Bourse du livre contribue à rationaliser l’édition.
À cette époque, les registres de la librairie française recensent à peu près quarante-cinq mille ouvrages ayant fait l’objet d’une autorisation d’imprimer. Au total, la production ne semble pas plus importante que celle du siècle précédent: quelques centaines, voire un millier de titres chaque année, cela sans doute jusque vers 1770. Il est en revanche probable que, au cours des dernières décennies du siècle, il se produit une notable augmentation. Des premiers travaux effectués pour analyser la nature des livres ainsi imprimés, il ressort que, en 1724-1727, plus d’un tiers des ouvrages concerne la religion; qu’il s’agisse de théologie ou de dévotion, on est frappé par l’« extraordinaire profondeur de l’imprégnation janséniste ». De même, le droit est largement représenté. L’histoire est désormais à dominante profane, à prépondérance moderne et orientée vers les pays d’Europe, le reste du monde faisant avant tout l’objet de récits de voyages. Cependant, les sciences et arts et belles-lettres représentent près de la moitié du total. Au long du siècle, le domaine religieux est en considérable recul; les belles-lettres maintiennent leurs positions, la part du roman s’élargissant; le droit s’enrichit des développements de la jurisprudence; l’histoire perd de plus en plus son caractère religieux; les sciences et les arts, enfin, prennent la place de la religion, non point en faveur des arts mécaniques, mais au bénéfice de la politique et, pour le milieu du siècle, des sciences.
À quel public s’adressaient ces livres? Il faut mettre à part une certaine forme de livres de luxe, classiques ou plus encore galants ou légers, illustrés par les artistes à la mode, volontiers somptueusement reliés, qui sont destinés à un public d’amateurs où les enrichis de fraîche date sont nombreux. En fait, en Angleterre comme en France et en Allemagne, un certain goût pour la lecture se répand au sein d’une bourgeoisie plus nombreuse et active et, à mesure que l’alphabétisation progresse, peut-être aussi parmi d’autres catégories sociales. Caractéristique est, de ce point de vue, l’apparition de cercles de lecture ou de bibliothèques publiques, de même que la vogue des ouvrages didactiques et des dictionnaires. En Allemagne, plus encore qu’en France, se développe toute une littérature de petits livres littéraires de poche et d’almanachs. Ainsi s’explique peut-être aussi la faveur dont jouissent les romans. Un peu partout aussi, prospère une littérature de colportage qui correspond souvent à la diffusion par l’imprimé de textes originairement de caractère plus ou moins oral, destinés à nourrir, sous une forme imprimée, les rêves d’un public d’alphabétisation récente.
Si l’on se rappelle que, dans la seconde partie du XVIIIe siècle, des progrès techniques s’amorcèrent, qui devaient trouver toutes leurs conséquences au siècle suivant, on peut estimer qu’intervient alors une mutation intellectuelle; la presse à imprimer y contribua et joua ainsi un rôle important dans la préparation et le déroulement de la Révolution.
Le livre face aux nouveaux médias
De la Révolution à 1870
Les révolutionnaires étaient attachés de façon quasi mystique au principe de la liberté de la presse. Dès l’origine, le principe même de la censure préventive fut mis en cause et l’article 19 de la Déclaration des droits de l’homme spécifia que « la libre communication de la pensée et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. » Cependant, la Révolution ne réussit pas à faire appliquer ces principes, qui ne trouvèrent leur accomplissement que sous la IIIe République, par la loi du 29 juillet 1881.
Passée la tourmente révolutionnaire, cependant, deux groupes demeurent intéressés par le livre: d’une part, le notable, grand propriétaire, qui passe les étés dans ses terres et l’hiver dans son hôtel en ville et, d’autre part, la petite et moyenne bourgeoisie, avide de s’instruire et de s’élever dans la hiérarchie sociale. Pour satisfaire les premiers, les libraires de la Restauration multiplient les éditions monumentales des œuvres complètes de Voltaire, Rousseau ou Buffon et, un peu plus tard, des recueils de Mémoires. À l’intention des seconds, en un temps où le livre demeure un objet coûteux, il se crée une foule de cabinets de lecture où l’on vient lire de minces ouvrages à tomaisons, tirés en petit nombre, dont plusieurs personnes se partagent l’usage. Mais, en 1818, avec la publication des Méditations de Lamartine, à mesure que le marché des œuvres complètes se trouve saturé, les éditeurs se lancent dans la publication des nouveautés composées par les écrivains de l’école romantique. Les éditeurs eurent à faire face toutefois aux exigences des auteurs qui se savaient indispensables et ils faisaient difficilement leurs frais en raison de la faiblesse des tirages. Celle-ci s’expliquait, certes, par le prix élevé des livres et par la structure sociale, mais aussi par les contrefaçons suisses et surtout belges; n’ayant ni droit d’auteur ni frais de correction, ni dépenses de mise en pages à payer, les contrefacteurs étaient assurés du succès en l’absence de tout accord international et d’une police suffisante en France; ainsi, le plus gros tirage du début du règne de Louis-Philippe, les Paroles d’un croyant de Lamennais, fut répandu en France à plus de cent mille exemplaires, mais l’éditeur Renduel ne perçut aucun droit sur une bonne partie d’entre eux, contrefaçons de Louvain, Bruxelles, Genève ou Lausanne.
Il apparut donc indispensable aux éditeurs d’élargir leur public. Pour cela, ils s’efforcèrent de rendre le livre plus attrayant par le recours à l’illustration, de stimuler la clientèle en publiant des ouvrages coûteux par livraisons; mais surtout certains d’entre eux réussirent à abaisser notablement les prix. Tel fut le cas de Gervais Charpentier qui parvint à écouler en quelques années quatre cents ouvrages à un prix quatre fois inférieur à celui pratiqué ordinairement en vendant au prix coûtant le premier tirage et en bloquant ses bénéfices sur les réimpressions qu’il faisait exécuter grâce au cliché de la composition primitive. Plus tard, sous le second Empire, Michel Lévy pratiquait encore des méthodes analogues.
De 1870 à 1940
Après 1870, en France, l’édition apparaît un peu partout pleine de dynamisme et l’avenir du livre brillant. Si l’on en croit la Bibliographie de la France , le nombre des titres publiés annuellement passe brutalement, en 1856, de huit mille à douze mille, pour atteindre, en 1889, le maximum de quatorze mille huit cent quarante-neuf qui n’a été dépassé que soixante ans plus tard. Durant cette période, le nombre des titres continue, certes, à s’élever en d’autres pays, mais on peut se demander si le livre apparaît adapté aux temps nouveaux.
Depuis le début du XIXe siècle, ou presque, on a assisté, en effet, à travers l’Europe à une généralisation de l’alphabétisation. En même temps, le développement des moyens de communication a accéléré la transmission des informations, et une partie importante des populations rurales de l’Europe a émigré dans les villes, loin de ses cadres traditionnels, et s’est prolétarisée. Nouvellement alphabétisées, ces masses voient dans l’instruction un moyen de défense et de progrès social. Mais, fortement politisées, ne possédant encore que des connaissances limitées, elles préfèrent le journal au livre, car il est plus accessible et il répond mieux à leurs aspirations. De plus, depuis la révolution opérée par Emile de Girardin, le journal a trouvé des sources de revenus supplémentaires en ayant recours aux petites annonces, et il a réussi, grâce au système du feuilleton, à se réserver la publication du secteur le plus rentable de la production littéraire, celui du roman à succès.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, tandis que le livre doit affronter une grave crise de surproduction, le journal apparaît à son apogée, de nombreux quotidiens, en France et plus encore à l’étranger, atteignant ou dépassant le million. L’essor du cinéma et de la radio après la guerre de 1914-1918, celui de la télévision après celle de 1939-1945 semblent faire peser d’autres menaces sur le livre.
On peut estimer cependant que l’époque moderne est propice au livre. Loin de se poser en rivales, les techniques audiovisuelles – notamment à travers les bases de données qui permettent une consultation à distance – incitent souvent à s’adresser à lui, et l’élévation du niveau culturel, conséquence de l’allongement des études, permet d’être optimiste à moyen terme sinon à long terme quant à l’avenir du livre. Cependant, la difffusion du livre impose un effort collectif pour le rendre accessible à tous, et une pédagogie. On l’a compris depuis longtemps dans le monde anglo-saxon, en Scandinavie et dans les pays de l’Est, où existent des réseaux de bibliothèques de prêts qui constituent à elles seules une clientèle non négligeable en même temps qu’elles poussent à la lecture. L’État français ne devrait pas, quant à lui, s’étonner des résultats de la politique de mépris qui a longtemps été la sienne vis-à-vis des bibliothèques, mais remédier à la situation par un effort financier réel.
2. L’art du livre
Parmi les nombreux objets qui constituent l’environnement humain, le livre a un statut bien particulier. Sa fonction première est de communiquer un contenu linguistique. Mais, comme tous les objets d’usage, il peut être pris en charge par les groupes producteurs ou utilisateurs à des fins de signification ou à des fins artistiques. Tous les éléments constitutifs du livre, la lettre, la mise en pages, l’illustration, la reliure peuvent être mobilisés pour renvoyer à des valeurs autres qui exaltent ou occultent sa fonction de communication. L’art du livre apparaît comme un « art impur » qui unifie des processus divers en un objet totalisateur.
La lettre n’est pas un apanage exclusif du livre. L’écriture privée, les inscriptions monumentales ou publicitaires participent aussi à la vie de ses formes. Cependant, son emploi dans les livres entraîne des exigences particulières de lisibilité et de rigueur. L’imprimerie a fortement contribué à l’expansion du caractère romain et à la fixation de son tracé général qui semble actuellement immuable. Les différents styles que l’on peut repérer depuis quatre siècles sont fondés sur des variations subtiles de dessin et de proportion. L’évolution se produit le plus souvent sous l’influence de facteurs extérieurs à l’imprimerie (écriture, lettre gravée, esthétique architecturale, publicité). D’une manière générale, le choix du style des caractères typographiques sous-tend un ensemble limité de charges évocatrices (modernité, tradition, ampleur, etc.), confusément perçues par les liseurs. Dans certaines situations bien précises où les sujétions optiques de la lecture ne sont pas primordiales, la lettre peut être envisagée surtout comme une forme d’un espace pictural.
Dans la mise en pages, on trouve un faisceau d’initiatives et de contraintes. Par une première approche, on peut distinguer le corps du livre et ce qui précède le texte. En ce qui concerne le corps du livre, un certain nombre de pratiques, érigées parfois en règles, déterminent, en relation avec le format, longueur des lignes, dimension des caractères, proportions des marges, afin que le déchiffrement du contenu du volume concilie plaisir et efficacité. La page de titre et les pièces liminaires destinées à être consultées plus que lues offrent des possibilités plus grandes, notamment par l’articulation des zones blanches construites par les lignes imprimées. « Dans une large mesure, l’histoire de l’imprimerie est l’histoire de la page de titre », a écrit S. Morison, qui a vigoureusement souligné cette opposition entre champs ouverts et champs fermés à la recherche graphique dans le livre. Il importe de voir qu’elle assimile la tradition à l’expérience objective et correspond en fait à l’époque du « livre triomphant », moyen de communication sans concurrent véritable et capable de dominer les langages de l’image qui aujourd’hui altèrent en profondeur la notion même de mise en pages.
Texte et image peuvent être associés pour délivrer des significations parallèles ou compatibles. C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’illustration du livre. Ce terme ne peut être utilisé sans réserves. Il privilégie à l’excès un aspect des figures en les présentant comme un élément formel qui mue un medium en œuvre d’art. En revanche, il met justement l’accent sur ce qui distingue les figures livresques des estampes, c’est-à-dire leur relation avec le texte et leur insertion dans un tout unitaire, le livre. De ce point de vue, trois fonctions essentielles des images apparaissent: l’ornementation , l’illustration , l’information. Précisons qu’il ne s’agit pas de partager les figures en catégories, mais de spécifier des finalités prédominantes que peuvent avoir les figures ou même une seule figure.
Les images ornementales n’instituent aucun rapport avec le texte. Elles distinguent certaines pages sans interférer dans l’acte de lecture. Elles font partie d’une entreprise de valorisation du livre en tant qu’objet, indépendamment du texte qu’il transmet. L’ornementation du livre contribue à donner un sens à sa possession ou à son utilisation. Elle est généralement prélevée dans les systèmes décoratifs régnants qu’elle diffuse largement.
Définie strictement, l’illustration se dévoile comme un ensemble graphique qui établit avec le texte des corrélations extrêmement complexes qui vont de la tautologie à la figuration symbolique. En procurant des « analogies » du texte, elle semble répondre à un besoin de nature anthropologique qui revêt des formes historiques variées dont l’analyse n’est pas épuisée. L’illustration est un simulacre du contenu textuel qu’elle ne dépasse pas, du moins pas autrement que par les valeurs globales et diffuses de la figuration.
La fonction informative de l’image et celle du texte se situent sur deux plans distincts, mais indissociables. L’image peut transmettre une information complémentaire ou supplémentaire, en tout cas différente, plus vite et mieux que le texte. « Vous qui voulez représenter par des mots la forme de l’homme et les aspects de sa constitution, abandonnez ce projet. Car, plus minutieusement vous le décrirez, plus vous bornerez l’esprit du lecteur et plus vous l’éloignerez de la connaissance de la chose décrite. Ainsi, il est nécessaire de dessiner et de décrire » (Léonard de Vinci). Le sens de l’image documentaire n’est pas saisissable sans référence au texte, mais le recours au texte seul n’épuise pas ce qu’elle veut dire.
« Modèle » manuscrit et techniques nouvelles
La substitution du codex (constitué de cahiers assemblés) au volumen (rouleau) dans les premiers siècles de l’ère chrétienne impose au livre un certain nombre d’éléments fondamentaux. La forme rectangulaire de la page blanche s’associe à la forme rectangulaire dense du texte, fragmenté ou non en colonnes et gloses. Seules les enluminures rompent cet emboîtement de surfaces géométrisées. Considéré globalement, le livre manuscrit apparaît comme clos sur lui-même: la reliure est muette sur ce qu’elle renferme, il n’y a pas de page liminaire mettant clairement en évidence des indications qui définissent le texte, la mise en pages est pauvre en repères matériels manifestant les articulations du texte (alinéas, etc.) et favorisant la circulation du regard. Sans doute, de nombreuses raisons, comme la nécessité d’économiser le parchemin, d’épargner le temps du copiste, comme la sclérose des habitudes du milieu restreint des gens du livre, rendent compte de ces particularités. Il reste que le livre médiéval correspond souvent à un seul type d’utilisation, à une lecture séquentielle: « entrée » unique par le début du texte, parcours continu jusqu’à l’issue de l’explicit et du colophon. Ces limites structurelles se retrouvent à des degrés divers dans les instruments de travail ou d’enseignement et dans les livres d’apparat, beaucoup moins nombreux, où la calligraphie, l’enluminure, la reliure attestent des recherches constantes qui réservent au livre des fonctions autres que celles d’outil de lecture (cf. ÉCRITURE, ENLUMINURE, RELIURE).
Un nouvel objet
Il n’y a pas lieu de s’étonner que ces stéréotypes de copistes se soient imposés aux novateurs que furent les fondateurs de la typographie et que les premiers livres imprimés se calquent sur le modèle manuscrit. En multipliant les livres, l’imprimerie a fait naître des pratiques de distribution commerciale qui ont influencé la structure du livre. Le marché du lieu de production étant limité et rapidement saturé, des réseaux de vente s’établirent à l’échelle européenne et des indices d’identification de l’objet expédié, reçu, acquis s’instituèrent ainsi. Il est remarquable que ce fut une image, la marque du libraire gravée sur bois, qui prit en charge les mentions indiquant l’origine de production qui étaient presque dissimulées à la fin du livre, au colophon. Ce premier graphisme commercial fut rapidement transféré au début du livre.
L’apparition de la page de titre, rare et purement décorative dans les manuscrits, dotera le livre d’un nouvel élément d’information. Au terme d’une genèse lente, le recto du premier feuillet délivre, par un processus double (mots et image grâce à la marque du libraire), des renseignements sur le texte, son auteur, mais également sur le producteur. Le livre devient un objet qui se désigne, qui proclame son origine et son contenu en l’extériorisant sur la page de titre, et celle-ci est une sorte de surface publicitaire où le style de chaque période apparaît clairement et où message commercial et valeurs esthétiques s’associent en s’enrichissant mutuellement.
Une dizaine d’années après la mise au point de l’imprimerie, la reproduction mécanique des images, après celle des textes, apparaît. Vers 1460, Albrecht Pfister, à Bamberg, associe dans ses ouvrages la récente typographie et la gravure sur bois qui, depuis le début du XVe siècle, servait à produire des images de caractère populaire. D’autres foyers de livres illustrés apparurent, notamment Rome (1467), Augsbourg (1471), Lyon (1478), Paris (1481). Vers 1480-1490, l’emploi conjoint de la typographie et de la xylographie est un fait européen et d’importance majeure pour l’histoire de l’Occident.
L’illustration des incunables
Les illustrations des incunables doivent être situées dans le double sillage de l’enluminure et de la xylographie. Elles sont d’abord d’une facture fruste qui, au jugement actuel, peut sembler d’une grande vigueur expressive, mais qui, confrontée à l’exécution de certaines enluminures, paraît déficiente. Les graveurs sur bois étaient des artisans au savoir-faire simple, accoutumés à produire des images ou des cartes à jouer selon des modèles fixés. Ils pratiquaient un travail « au trait » restituant surtout les contours, et les gravures étaient souvent rehaussées de couleurs appliquées au pinceau et au pochoir. Elles sont presque toujours anonymes. On peut toutefois repérer des styles nationaux ou, par une analyse plus poussée, des caractéristiques régionales. Faute de connaître l’auteur véritable (dessinateur, dessinateur-graveur), on attribue la responsabilité des choix aux imprimeurs qui, semble-t-il, s’adressaient souvent aux mêmes graveurs et dont certains furent particulièrement attentifs à l’illustration des livres.
En Allemagne, avant Dürer dont l’exemple fut déterminant, certaines productions sont des jalons importants. À Augsbourg, Günther Zainer entreprit la publication à grande échelle de livres illustrés. On lui doit la première Bible imprimée illustrée (1475). Il fut un précurseur par l’emploi systématique de jeux d’initiales et de bordures ornementales gravées sur bois. La Bible de Cologne (Quentell, 1478) établit un prototype de l’illustration biblique pour de longues années. Des figures accompagnent aussi des textes profanes (Fables d’Esope, imprimées par Johann Zainer, Ulm, 1475). Koberger pour l’entreprise considérable de la Chronique de Nuremberg eut pour collaborateur Michel Wolgemuth, le maître de Dürer et le premier peintre connu comme tel qui travaille pour le livre imprimé.
Comme l’illustration italienne est d’emblée en rupture avec la tradition de l’image populaire, elle doit être traitée à part.
En France, deux centres de production, Lyon et Paris, sont prépondérants. Le style lyonnais a une simplicité franche, proche de la facture des premières gravures germaniques (L’Abuzé en court ). À Paris, l’illustration subit peu les influences étrangères et reflète plutôt l’art des enluminures comme dans les ouvrages de Jean Du Pré (Cité de Dieu , 1486) ou dans ceux de Pierre Le Rouge. Figure dominante des débuts de l’art du livre imprimé parisien, ce dernier, qui fut le premier imprimeur du roi, est l’auteur de gravures élégantes publiées sous son nom (La Mer des hystoires , 1488) et a peut-être dirigé un atelier de dessinateurs et graveurs travaillant pour d’autres libraires. À partir de 1493, Antoine Verard domine le marché du livre illustré à Paris. « Véritable éditeur d’art », ses publications attestent que les gravures sur bois faisaient alors partie intégrante du livre et que, pour lui, elles étaient un facteur d’une politique commerciale.
« Le livre illustré est une conception médiévale », selon l’affirmation de Goldschmidt. Cela pose le problème de la signification de l’image des incunables. Gravées sur bois, les illustrations sont conformes aux dispositions générales adoptées par les enlumineurs: grandes figurations en tête des chapitres, bandeaux constitués de décors végétaux, de petites scènes juxtaposées, initiales ornementées ou historiées. L’iconographie reprend souvent les mêmes archétypes et les copies sont nombreuses. Comme dans les manuscrits, les figures sont plus fréquentes dans les livres liturgiques ou dans les ouvrages en langues vernaculaires. Pourtant, certains faits soulèvent des questions. Le pourcentage des livres illustrés est considérable: le tiers environ des incunables. On peut repérer de fréquents remplois de blocs gravés, inadaptés au second texte qu’ils accompagnent. Surtout, dans un même livre, la même figure peut réapparaître plusieurs fois. Dans la Chronique de Nuremberg (Koberger, 1493), six cent quarante-cinq blocs fournissent, par des utilisations répétées, mille huit cent neuf illustrations; la même vue peut servir à représenter deux villes différentes. L’image ne semble donc pas répondre à un projet précis et défini de figuration authentique.
Malgré les témoignages qui semblent la confirmer, il faut d’abord écarter l’idée souvent admise qu’elle est destinée aux illettrés. « La révélation du vaste domaine de formes qui apparaît dès le VIIIe siècle s’oppose à une puissante tradition. On admet communément que l’art médiéval est né pour enseigner l’histoire sainte à ceux qui ne savaient pas lire. Mais il est si peu né pour cela qu’il s’est élaboré dans les livres » (André Malraux). De multiples hypothèses peuvent être avancées sur le rôle des images dans les premiers livres imprimés. Simple soumission à des pratiques établies? Mais l’adjonction de gravures atteste un effort coûteux. Valorisation d’un objet commercialisé? Compensation à l’effort exigé par le déchiffrement des textes pour un public de culture orale peu accoutumé à la lecture? Repères mnémoniques utiles dans les mises en pages compactes (Kristeller)? L’Occident est doté à la fin du Moyen Âge d’une technique prodigieuse, celle de reproduire avec exactitude les images: les générations suivantes exploitèrent ces possibilités et instaurèrent dans les livres une communication visuelle complémentaire de la communication par le texte.
Naissance du livre moderne
Le romain
Au milieu du XVIe siècle, le caractère romain a presque totalement supplanté les gothiques que l’on trouvait dans les premiers livres imprimés comme dans les manuscrits. Pas de manifestation plus évidente d’un changement plus général que l’implantation d’un nouveau tracé des signes de l’écriture. Il s’agit d’abord pour les milieux humanistes italiens, en adoptant la minuscule caroline empruntée à des manuscrits des IXe et Xe siècles et ressentie à la fois comme antique et ancienne, de distinguer leur activité d’explorateurs de l’Antiquité du labeur des copistes traditionnels. L’écriture « humanistique » servit très vite de modèle pour les fontes de certains imprimeurs. Le véritable foyer de diffusion de la nouvelle lettre fut Venise. La lettera antiqua connut une fortune européenne grâce à Alde Manuce dont les livres eurent une large diffusion. Son romain, finement dessiné, établit (avec sa forme penchée, l’italique) le prototype du « style aldin » qui régnera dans les livres pendant plus de deux siècles, notamment sous les formes qu’il prit vers 1530 à Paris dans l’entourage de Garamond. Quel est le rôle joué par les valeurs esthétiques dans l’expansion du caractère romain? On peut soutenir que les humanistes ont adopté la caroline surtout « parce qu’elle leur plaisait ». La clarté et l’harmonie du romain semblent s’imposer au premier regard qui le confronte à la gothique anguleuse. Pourtant, ce que les humanistes veulent y retrouver, c’est inséparablement le modèle antique et l’image de la beauté parfaite. On scrute les capitales des inscriptions romaines, et des capitales exemplaires sont tracées avec la règle et le compas, inscrites comme le corps humain dans un carré, construites à l’aide de proportions arithmétiques simples. Du De divina proportione de Pacioli au Champfleury de Geoffroy Tory (env. 1480-env. 1533), toute une série de textes et de schémas platonisent les lettres romaines en correspondance avec la musique, la beauté de l’homme, l’architecture. Mais les minuscules (bas-de-casse) restent en dehors de ces spéculations. Leur tracé relève de la pratique typographique et d’un goût diffus. Le romain affirmera en fait sa suprématie dans un contexte culturel. Il sert à l’impression des textes antiques ou humanistes, alors que les gothiques restent utilisées pour les textes religieux, juridiques ou en langues vernaculaires. Son sort est solidaire de celui de l’humanisme et de ses métamorphoses. Il apparaît à ses débuts comme un signe distinctif de reconnaissance sociale. Luther délaissa le romain et utilisa la gothique lorsqu’il voulut convaincre le peuple et non plus les lettrés. Cette fonction de discrimination s’effacera par « usure » et l’évolution du romain s’inscrira dans le cycle des modes.
L’architecture du livre
L’ordonnance générale du livre porte la marque du style nouveau qui s’est développé en Italie. La page de titre est conçue comme une façade architecturale. Aux pavés rectangulaires des premières pages de titre, monotones et opaques, se substituent des compositions triangulaires, sortes de frontons inversés obtenus par des coupures de lignes qui ne tiennent aucun compte de la syntaxe du titre ou de l’importance respective des éléments d’information. L’emploi des corps et des variétés de romain se fonde également plus sur l’apparence optique que sur des exigences rationnelles. La composition des pages de texte est organisée dans le cadre de la surface double du livre ouvert, fragmentée par de larges marges latérales et médianes. La densité du texte s’allège et s’harmonise aux gravures les plus linéaires. Aux fins de chapitres, les lignes dessinent des silhouettes de coupes ou de pendentifs. Ces préoccupations graphiques neuves furent inaugurées par les imprimeurs en contact avec les milieux humanistes. Plus orientés vers le mot que vers l’image, ils s’attachèrent au jeu des espaces blancs et des formes imprimées. Ainsi s’instaura, pour un temps, dans la composition du livre, la primauté du visuel, entre le monumental et le décoratif. Leurs mises en pages ne semblent pas appuyées sur des recherches de mesure et de nombre. C’est une sorte d’unification organique déjà formulée par Alberti: « Le beauté est une sorte d’accord et de convenance des parties en un tout. »
Émancipation de la gravure sur bois
En Italie comme en Allemagne, par des voies différentes, l’image gravée sur bois et associée au texte devient l’expression d’une autre culture. À Venise, la vogue des livres à figures contribue à la définition d’une facture originale: un tracé linéaire, l’absence de hachures servent la clarté des compositions et un sens frappant de l’espace (Bible de Mallermi, 1493). Les gravures limpides du fameux Songe de Poliphile (Alde Manuce, 1499) restituent le rêve presque obsessionnel de Francesco Colonna: c’est à travers elles que ceux qui ne feront pas le voyage au-delà des Alpes imagineront l’Antiquité et son interprétation italienne. En Allemagne, dans les dernières années du XVe siècle, Dürer commence à travailler pour les libraires, et son œuvre unifie les différentes factures qui y étaient pratiquées et révèle leurs puissantes possibilités expressives. La publication de l’Apocalypse en 1498 est une date clef. À Bâle, des équipes d’artistes, parmi lesquels Urs Graf, fournissent aux imprimeurs des compositions vigoureuses, denses. Dans ses deux œuvres majeures pour le livre (Historiarum Veteris Instrumenti Icones , Simulacres et historiées faces de la mort , Lyon, 1538), Holbein le Jeune insuffle ampleur et diversité imaginative à de petites compositions, préludes à un art de la vignette qui se perpétuera plusieurs siècles. Il est significatif que l’illustration des livres puisse être décrite en tenant compte, non plus des ateliers, mais des artistes qui en sont les auteurs. Le livre mobilise désormais des peintres et des illustrateurs spécialisés qui, en signant leurs œuvres, affirment la conscience qu’ils ont de leur valeur. En France, c’est dans les livres d’heures que l’on trouve les premiers indices d’un décor nouveau. Pour cette production typique de la librairie parisienne, une vive concurrence obligeait les libraires à chercher de l’inédit, et il faut noter qu’ils le cherchent dans l’image. Pilastres et entablements, candélabres et trophées trouvent place dans ces livres de piété. Dans le milieu humaniste français, Tory occupe une place singulière par l’attention qu’il porte aussi bien aux textes qu’aux formes. Ce professeur érudit fut imprimeur, dessinateur et peut-être graveur. Reprenant la technique lumineuse des gravures vénitiennes, par un trait d’une grâce nerveuse, il dresse des silhouettes élancées dans un espace transparent. « Tory est un des rares artistes français qui aient compris le sens de la haute Renaissance italienne » (A. Blunt). Sa carrière se situe au début d’une phase riche et heureuse du livre français, qui fut stimulée par l’activité des peintres et graveurs de l’école de Fontainebleau et à laquelle participent, à Paris comme à Lyon, libraires et artistes (Vitruve , Paris, J. Gazeau, 1547, figures de Jean Goujon; Métamorphose d’Ovide figurée , Lyon, J. de Tournes, 1557, figures de Bernard Salomon).
Dürer, dont les gravures connaissent une grande notoriété, et Tory, qui amplifie la leçon des bois italiens, sont des jalons importants: la gravure sur bois s’affirme comme un procédé graphique autonome dont l’expressivité tient aux valeurs strictes du noir et du blanc. Les premières illustrations furent dans une large mesure des substituts des enluminures colorées et ressemblèrent longtemps à des schémas destinés à être rehaussés de couleurs mises au pinceau. Même la Chronique de Nuremberg était vendue sous forme d’exemplaires peints ou non. Les graveurs sur bois élaborèrent peu à peu un jeu de tailles serrées qui, comme dans la gravure sur cuivre pratiquée alors surtout dans les estampes, restitue les volumes et les teintes. En gestation dans les illustrations de Grüninger à Strasbourg, par exemple, ce procédé se systématise et se définit dans l’œuvre de Dürer. Par d’autres voies, le modelé dépouillé des gravures de Tory atteste le pouvoir reconnu du trait.
La fréquence de l’emploi des images dans les livres et leur diffusion, la multiplicité des ressources techniques conduisent à dégager une alternative féconde. « L’écriture parle à la raison, les figures s’adressent à la vue », écrit Breydenbach dans ses Sanctae Peregrinationes (Mayence, 1486) qui permettent de constater les incertitudes de la figuration à un moment de la communication visuelle qu’Ivins a profondément analysé. Au cours de son voyage en Terre sainte, Breydenbach était accompagné d’un dessinateur qui a fourni pour l’édition des gravures présentant comme documents authentiques des paysages ou des costumes bien observés et une licorne. Durant toute la longue époque du livre manuscrit, la transmission des figures était beaucoup plus aléatoire que celle des textes. Pline l’Ancien a souligné la dégénérescence des représentations à travers les copies successives: « Certains médecins ont figuré les plantes [...] mais la peinture est trompeuse [...] car la diversité des mains compromet beaucoup l’exactitude de la ressemblance [...]. Aussi les autres médecins se sont-ils bornés à en donner des descriptions. » Les premières figures botaniques gravées (Pseudo-Apuleius, Rome, 1480) sont des reproductions d’un manuscrit du IXe siècle, lui-même terme dégradé d’une longue série de copies. Dans les herbiers imprimés ultérieurement, la distorsion des représentations est croissante et aboutit à des schémas frustes sans exactitude, simples repères que l’on peut assimiler à des sous-titres graphiques. L’herbier de Brunfels (Augsbourg, 1530, figures H. Weiditz) marque un retour à la nature observée: les figures sont des portraits de plantes particulières qui montrent même leurs brisures et leurs flétrissures, mais, douze ans plus tard, celui de Fuchs (Bâle) comporte des représentations synthétiques des formes des espèces. D’autres disciplines (médecine, architecture, etc.) offrent aussi des exemples intéressants. Une longue période sépare la pratique de la gravure et la reconnaissance de la fonction de communication informationnelle de l’image. Cette reconnaissance est liée à la spécification technique de la gravure par la qualité et la disposition des tailles et elle correspond à la conscience de la distinction et de la relation du langage de l’écrit et du langage de l’image. Elle s’insère dans un ordre nouveau de pensée où l’attention à ce qui est concret et visuel amène à délaisser la spéculation mathématique et à privilégier les sciences descriptives et les techniques. W. I. Ivins a pu soutenir cet apparent paradoxe: « L’imprimerie n’était rien de plus qu’une manière économique de faire des choses très vieilles et bien connues. Au contraire, l’impression des images a fait naître un procédé entièrement nouveau. La multiplication des énoncés graphiques fidèlement reproduits a eu des effets incalculables. On peut presque dire que, depuis l’invention de l’écriture, il n’y a eu aucune invention plus importante que celle-ci. »
Presque parallèlement, l’image se dévoile comme processus de connaissance aussi bien dans la représentation symbolique que dans la figuration naturaliste. Comme les hiéroglyphes interprétés à travers Horapollon, elle peut transmettre un « discours en une figure unique et stable » (Marcile Ficin). Dans cette perspective, tout peut être chargé de signification philosophique ou morale, ce qui est transmis par le passé antique ou médiéval comme ce qui est imaginé et délibérément concerté. Le langage des symboles figurés pénètre les compositions peintes, les médailles, comme les spectacles éphémères des fêtes ou les marques de libraires.
Un type de livre se définit et prend forme pour assurer cette conjonction du concept et de l’image. La page, de format restreint, comporte le montage d’une petite gravure en haut et d’un texte bref en bas. L’une et l’autre sont conçus comme des synthèses visant à une communication presque révélée, en tout cas globale et immédiate. Les livres d’emblèmes connurent une fortune incroyable. Les Emblemata d’Alciat, publiés d’abord à Augsbourg, en 1531, fixent la formule et sont édités trente-neuf fois entre 1531 et 1550. On a dénombré plus de mille livre d’emblèmes en un siècle et demi. On « emblématise » aussi Ovide (La Métamorphose d’Ovide figurée , Lyon, de Tournes, 1557), Pétrarque (les Triomphes , Paris, Janot, 1538) ou la Bible (Quadrins historiques de la Bible , de Tournes, 1553). Que le message communiqué soit inventé ou récupéré, la structure est identique: le livre est parcellisé en unités sémantiques complètes et closes dont la page est la limite et où les mots et les figures sont engagés dans un processus unifié.
Du baroque au néo-classicisme
À la fin du XVIe siècle, les formes des livres se limitent à un certain nombre de types. La priorité de l’élément visuel dans la constitution du livre n’est plus vécue et se réduit à des conformismes d’atelier. Dans les décennies suivantes, la page de titre typographique permet de repérer la montée d’autres orientations. Peu à peu, le titre est codifié, le nom de l’auteur est isolé, l’emploi des corps de caractères est hiérarchisé selon l’importance des mentions; coupures de lignes et libellé coïncident. Information immédiate, symétrie sans surprise, cette page de titre, presque identique à celle d’aujourd’hui, impose sa logique contraignante. Au XVIIIe siècle, la régression des marques de libraires et des fleurons aboutit à une rigueur dénudée dont Baskerville a donné des exemples accomplis.
La gravure sur cuivre
Les structures internes du livre se déterminent selon un modèle rigide avec l’extension de l’emploi d’une nouvelle technique d’illustration, la gravure sur cuivre. Pratiquée dès le milieu du XVe siècle pour l’estampe et peu après pour le livre, elle resta longtemps peu utilisée par les imprimeurs, car elle exige un double tirage sur une presse typographique et sur une presse en taille douce et elle soulève des difficultés de repérage. L’insolite et inclassable Apocalypse de J. Duvet (1561) doit cependant être citée. Par l’estampe, les jeux de tailles de la gravure sur cuivre ont suscité une exigence nouvelle, les effets luministes et le rendu des matières que la gravure sur bois, malgré la virtuosité des graveurs du milieu du XVIe siècle, était impuissante à transmettre. Au début du XVIIe siècle, la gravure sur cuivre s’est généralisée dans le livre et a relégué la gravure sur bois dans des domaines limités, ornements passe-partout ou illustration bon marché. La nécessité du double tirage, la séparation de fait des métiers de la typographie et de la taille-douce ainsi que la réglementation professionnelle entraînent dans le livre une franche séparation du texte et des gravures. Les images, moins fréquentes, s’intercalent à des endroits convenus, déterminant et exprimant l’organisation du volume: titre ou frontispices gravés précédant les pages liminaires, planche avant chaque grande partie du texte, bandeaux, lettres ornées, culs-de-lampe cernant chaque chapitre. Ce modèle net et méthodique s’impose dans tous les formats et tous les genres d’édition et il limite les initiatives du libraire. Il ne disparaîtra qu’avec le renouveau de la gravure sur bois à l’époque romantique.
À partir de 1556, Christophe Plantin à Anvers commence à introduire dans son importante production des planches gravées sur cuivre et s’adresse aux actifs ateliers de graveurs anversois. L’exemple plantinien aura une portée européenne. Au début du XVIIe siècle, tous les livres d’une certaine qualité auront au moins un titre gravé, souvent quelques planches inspirées avec plus ou moins d’habileté des compositions allégoriques et du modelé minutieux qui sont caractéristiques du maniérisme anversois. À partir de 1613, un des successeurs de Plantin, B. Moretus, demande des illustrations à Rubens qui devient le dessinateur attitré de l’officine. À Paris, des équipes de graveurs étrangers formés à la manière flamande sont sur place dès la fin du XVIe siècle et reçoivent de nombreuses commandes de libraires parisiens. Puis, un milieu de graveurs, actif et indépendant, se constitue dans la ville. Admirateur de Jacques Callot, Abraham Bosse pousse l’obstination du praticien jusqu’à rechercher par l’eau-forte les effets du burin. Certaines de ses œuvres sont clairement réalistes (P. d’Hozier, Les Noms [...] armes [...] des chevaliers du Saint-Esprit , 1634). L’Énéide lui inspire des illustrations d’une imagination singulière, évocatrices de fantaisie héroïque plus que de l’Antiquité. Autre aquafortiste, François Chauveau eut une production abondante, presque entièrement destinée à la librairie. Dans les Délices de l’esprit (1658), il encadre des scènes d’une poésie inattendue d’extravagants panaches ornementaux. Le peintre Claude Vignon a fourni de grandes compositions pour l’Ariane de Jean Desmarets. Larges effets de lumière, mises en scène animées, personnages vêtus d’oripeaux et aux attitudes passionnées surimposent au texte un monde irréel.
Fonctions de l’image
« La page de titre illustrée, remplie d’allusions iconologiques, pompeux portail conduisant au royaume du livre, est une véritable création du baroque » (O. Benesch). L’idée que le livre est un espace fermé, à la fois demeure et monument dont le seuil doit être magnifié par des formes figurées, est déjà présente dans le livre manuscrit. Les encadrements gravés sur bois que l’on trouve sur les pages de titre au XVe et au XVIe siècle pouvaient être réutilisés: ils furent donc aptes à dépasser l’ornemental et à identifier (« personnaliser »?) la production d’un libraire. Les titres gravés et frontispices gravés sur cuivre du XVIIe siècle sont aussi, à leurs débuts, des portiques monumentaux qui empruntent à l’antique colonnes, chapiteaux et ordres. Mais l’accent mis sur les volumes par des effets de lumière et la complexité des formes les situent dans les développements de l’art baroque. Des allégories innombrables et compliquées, objets ou personnages, sont greffées sur ces architectures. L’allégorie, « choix d’objets qui servent à représenter autre chose que ce qu’ils sont » (R. de Piles), a ici une fonction bien précise: signifier le contenu du volume. Frontispices et titres gravés sont l’emblème du texte qu’ils précèdent. Leur typologie a été établie: passée la mode des architectures imaginaires vers 1630, le titre est souvent inscrit sur une draperie ou un piédestal qui est intégré dans une mise en scène dont chaque élément a un sens parfois expliqué dans la préface; en 1641, Poussin fournit des compositions plus simples et équilibrées où le langage allégorique s’exprime par de grands personnages aux gestes mesurés. Les portraits en frontispice doivent être rapprochés du titre allégorique. Ils convainquent par l’investigation psychologique appuyée sur toutes les ressources du « beau métier » et ils sont, notamment ceux de R. Nanteuil, les marques les plus évidentes de l’art classique dans le livre. Le portrait de l’auteur en tête de l’ouvrage manifeste la reconnaissance de son travail créateur, tandis que celui du dédicataire se justifie par le régime du mécénat. Ainsi, comme le soulignent souvent les légendes des gravures, ces visages assurent dans le volume la présence médiatrice des agents tutélaires du texte dont l’allégorie en frontispice présente le message.
Dans les très nombreux ouvrages religieux, l’iconographie un peu répétitive de la Contre-Réforme continue d’être transmise. Une politique de propagande et d’édification s’appuie sur « des montages figuratifs et des figurations scéniques » qui instituent avec les textes des relations particulières qui ouvrent un champ riche à l’analyse de la communication par le livre. Dans certains cas, guidé par la lecture, le déchiffrement de l’image s’assimile à un authentique exercice de piété. L’illustration littéraire est un domaine distinct. Comme la figuration historique définie par R. de Piles, elle suppose « un choix d’objets qui simplement par eux-mêmes représentent le sujet ». Elle consiste le plus souvent à fixer dans une série de planches les moments forts des textes. On a souvent souligné le caractère théâtral des figurations où, dans un lieu irréel, des personnages sont placés dans une situation quasi cérémonielle. Qu’il s’agisse de roman, de poésie ou de théâtre, cette scénographie correspond au projet de l’illustration littéraire classique qui est de figurer l’imaginaire.
La gravure sur cuivre conquiert par un même mouvement tous les domaines de la librairie. Dès qu’elle est introduite dans le livre, elle est utilisée dans un but documentaire. La taille-douce possède une valeur informationnelle plus grande que celle de la gravure sur bois. Sa précision de trait, qui peut aller jusqu’à la minutie, tient du procédé lui-même plus que de l’habileté du graveur. Elle facilite le jeu des valeurs lumineuses et surtout elle permet la distinction des surfaces des matières. Devenue vite indispensable et d’emploi courant, c’est par un enchaînement sans rupture qu’elle prend place au XVIIIe siècle dans les grands projets d’édition qui, par l’image autant que par le texte, veulent faire l’inventaire et le bilan d’une société et qui répondent de manière éclairante aux monuments commerciaux et philologiques que furent les éditions de Bibles polyglottes aux XVIe et XVIIe siècles. Après le Cabinet du roi et la Description des arts et métiers de l’Académie des sciences, paraît l’ Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. R. Barthes a analysé le « système informatif » des planches de l’Encyclopédie. La plupart de celles-ci sont à deux étages: en bas, l’objet est figuré sous tous ses aspects, en haut, l’objet est introduit dans son milieu réel. En fait « cet objet encyclopédique est ordinairement saisi par l’image à trois niveaux: anthologique, lorsque l’objet, isolé de tout contexte, est présenté en soi; anecdotique, lorsqu’il est « naturalisé » par son insertion dans une scène vivante; génétique, lorsque l’image nous montre le trajet qui va de la matière brute à l’objet fini. Genèse, essence, praxis, l’objet est ainsi cerné sous toutes ses catégories. »
Pour alimenter le large marché de la taille-douce, une organisation de la production s’est peu à peu mise en place: éditeurs, circuits de distribution, mais aussi ateliers, cycles d’apprentissage, pratiques professionnelles en fonction d’une certaine efficacité. Tout cela conduit à la mise au point d’un savoir-faire « moyen » et transmissible, fondé sur la codification d’un réseau serré de tailles et de contre-tailles, parallèles et croisées, orientées en fonction des contours et des volumes. En monopolisant la communication visuelle dans le livre et dans l’estampe, ce système graphique devient une manière de voir. Si les textes des livres sont constamment engagés dans le mouvement critique des idées, leurs figures ne sont l’objet d’aucune mise en question. Le scepticisme de Bayle reste une exception: « Les auteurs se devraient faire une religion de ne point mettre de fausses figures dans leurs livres, car [...] ils trompent même les savants. Car, quand on voit une estampe qui a été publiée dans le temps que la chose représentée a dû exister, on la regarde comme une preuve authentique. »
Au XVIIIe siècle, l’évolution du goût entraîne la concentration de recherches particulières sur une catégorie de livres, les livres à vignettes, dont la notoriété tient en partie à la fidélité que leur ont vouée les bibliophiles. Il s’agit d’un bref épisode: au milieu du siècle, des tendances neuves se cristallisent; après 1775, une formule se survit et les réussites sont rares; Paris est le centre le plus fécond et influence la production européenne. Durant trois décennies, un accord implicite s’est fait entre libraires, artistes et un certain public sur une volonté d’associer livres et plaisir. Les petits formats prévalent et situent ces productions dans le boudoir, parmi les objets frivoles. Des papiers lumineux s’offrent à une mise en pages claire et à des gravures veloutées. Un groupe de vignettistes spécialisés élaborent une manière propice: les dessinateurs fournissent des compositions apparemment spontanées que des graveurs restituent délicatement. Une profusion d’images accompagne toutes sortes de textes. Les classiques français reçoivent enfin une iconographie soignée et le catalogue des textes « libres » illustrés, d’Ovide à Montesquieu en passant par Boccace, est exploité et enrichi. Les éléments du répertoire ornemental sont mis au goût du jour et comme abandonnés avec une artificieuse désinvolture. Les planches figurent généralement des scènes qui veulent sembler saisies sur le vif: au détour d’une page, le lecteur est installé dans la situation d’un témoin qui surprend une intimité instantanée, aussi bien celle des dieux que celle des hommes. Les vignettes du XVIIIe siècle, par-delà un évident projet hédoniste, sont les reflets que l’aristocratie d’une société en crise voulait déchiffrer dans le miroir où elle se contemplait.
L’œuvre de l’aquafortiste S. Le Clerc (mort en 1714) avait préfiguré ce style. Gillot (Fables d’Houdart de La Motte, 1719), François Boucher (Molière, 1734) avaient aussi proposé des modèles plus directs. Il est difficile de cerner la personnalité des vignettistes d’ailleurs habitués à collaborer à des entreprises collectives (Métamorphoses d’Ovide, 1767-1771). Gravelot peuple de « marionnettes » élégantes une précise évocation du cadre de la vie de l’époque (Contes moraux de Marmontel, 1765), Charles Eisen est célèbre par l’édition des Fermiers généraux des Contes de La Fontaine (1762). Plus souvent, sa sensualité est comme dissimulée par la « perfection du joli » (Baisers de Dorat, 1770). Ornemanistes de nombreux ouvrages, C. N. Cochin et surtout P. Choffard veulent suggérer une impression de bonheur léger et d’abondance facile. Chez Moreau le Jeune, le plus sincère de tous, l’anecdocte et l’instant sont contrôlés par l’attention portée aux valeurs lumineuses et l’effort de compréhension des textes.
L’académisme
Dès le règne de Louis XVI, on perçoit dans les livres une altération des tendances « rococo ». L’ornement reflète le succès des recueils d’antiques, les figurations délaissent le spontané mondain. Malgré l’interruption révolutionnaire, la continuité de l’art du livre, depuis la fin de l’Ancien Régime jusqu’à l’Empire, est assurée par de nombreux éléments: permanence de la gravure sur cuivre, même architecture du livre, engouement puriste pour l’Antiquité, tension des formes. Le néo-classicisme s’affirme avec autorité par P. Didot sur les presses du Louvre et illustrés par J. L. David, C. Percier, A. L. Girodet... Par leur page de titre dépouillée, leurs mises en pages stables et sans surprises, leurs illustrations aux endroits attendus, ces volumes aux structures clairement articulées se présentent avec ostentation comme des objets cohérents et rationalisés. Le Racine de 1801 peut être compris comme l’expression exemplaire, et le terme, d’une évolution de deux siècles.
C’est dans le dessin de la lettre d’imprimerie que le néo-classicisme aboutit aux créations les plus durables. Pendant près de deux siècles, le style des lettres attribuées à Claude Garamond avait régné presque sans partage. À la fin du XVIIe siècle, afin de doter l’Imprimerie royale du matériel nécessaire à la politique de glorification du règne de Louis XIV par le livre, une commission de l’Académie des sciences entreprit, sur ordre du roi, d’étudier les formes d’un nouveau caractère. Les travaux préparatoires s’appuyèrent sur des exemples antérieurs et sur les modèles des calligraphes de Louis XIV. Le dessin de chaque signe fut fondé sur des constructions géométriques minutieuses. Le romain du roi est élancé, plus étroit que le garamond; les pleins et les déliés sont plus contrastés. Par son origine, son élaboration, son aspect, il représente le style typographique académique, classique. C’est une lettre construite plus que tracée, dont l’esthétique, rompant nettement avec les tracés cursifs, enregistre l’existence distincte des deux médias que l’imprimerie a séparés, le livre et l’écriture. Ces tendances développées par Baskerville se marquent de manière éclatante dans les caractères de Firmin Didot dont le patronyme sert à désigner le nouveau style.
Le livre romantique
Au cours des années 1820-1830, les valeurs et les pratiques sur lesquelles s’établissait l’art du livre sont remises en question tandis que la civilisation du machinisme industriel s’élabore. Sans doute faut-il faire correspondre ces deux phénomènes contemporains, mais il ne s’agit pas vraiment d’une confrontation de l’art et de la technique dont la problématique marquera producteurs et utilisateurs seulement à la fin du siècle.
De nombreux changements ont lieu au début du XIXe siècle dans les métiers du livre, curieusement bloqués du point de vue technique pendant plus de trois siècles. Papier continu, presse mécanique, stéréotypie, tous ces perfectionnements sont des moyens d’exécuter plus rapidement, à meilleur marché, ce qui était fait auparavant dans des conditions artisanales, mais ils n’ont aucune action sur l’aspect du livre. En revanche, l’emploi de nouveaux procédés de reproduction, bien qu’il se fonde d’abord sur l’utilité et l’efficacité, ouvre de plus riches possibilités. La gravure sur bois de bout (c’est-à-dire sur des blocs de bois sciés perpendiculairement aux fibres de bois et gravés au burin) permet le retour à l’impression simultanée des caractères typographiques et des illustrations et elle supporte des tirages plus élevés que ceux de la taille-douce. Elle séduit les contemporains par la souplesse des traits et par la possibilité de jouer des blancs et des noirs. La gravure sur acier impose la précision élégante et glacée des graveurs anglais bien que la raison première de la substitution de l’acier au cuivre fut qu’il résistait mieux à l’écrasement sur les presses. Lorsque la lithographie, inventée par l’Autrichien Senefelder vers 1796, fut introduite en France, le père de Mérimée écrivait: « En voyant le degré de perfection où la lithographie est parvenue ne serait-on pas tenté de croire que l’art n’a plus rien ou presque rien à désirer? » En fait, la spécificité de la lithographie se dégage rapidement. Le dessinateur peut tracer directement sa composition sur la pierre. En restituant le geste de l’artiste et en exprimant les demi-teintes sans recours aux conventions de la taille-douce, elle donne à l’image un accent d’authenticité que seuls les procédés photographiques lui enlèveront.
Structures du livre
C’est d’abord sur les éléments externes du livre, pages de titre et couverture, que la recherche graphique se manifeste pendant la Restauration. La fantaisie « troubadour » règne dans de nombreuses pages de titres d’ouvrages littéraires ou mondains à la mode. Une vignette pittoresque et finement gravée est surmontée d’un titre en lettres variées (gothiques, anglaises, lettres de fantaisie) accompagnées de traits de plume. À l’époque romantique, souvent, seule une petite figure suggestive est une allusion efficace au contenu du volume. Simultanément, la couverture prendra en charge les fonctions de la page de titre. Jusqu’à l’Empire, elle n’est qu’un emballage provisoire avant que le livre ne soit relié et elle est « muette », dépourvue de toute mention bibliographique. Lorsqu’elle commence à être considérée comme un revêtement durable, titres et ornements y seront imprimés directement. Réplique extérieure de la page de titre, la couverture est dès lors une surface publicitaire dont le rôle est analogue à celui des affiches de librairie qui apparaissent alors et où Balzac verra un « poème pour les yeux ». Ainsi un élément aujourd’hui essentiel du livre s’ouvre à l’expression graphique.
Les pages de texte sont généralement conçues par les libraires sans autre projet que celui d’une lisibilité économique. Les textes sont fastidieusement imprimés en didot avec parfois de larges interlignes et de grandes marges, mais il s’agit de dilater artificieusement le volume à des fins commerciales. La taille-douce et la gravure sur acier ainsi que la lithographie exigent une impression sur une presse spéciale. Elles apparaissent donc sous forme de hors-texte qui s’ajoutent au livre sans s’y intégrer. Au contraire, la gravure sur bois de bout peut être insérée dans la composition typographique, ce qui transformera considérablement la mise en pages.
Lire et voir
Le deuxième quart du XIXe siècle connaît une extraordinaire prolifération de l’image, grâce surtout au bois de bout et à la lithographie. Parfois, plusieurs procédés sont utilisés dans un même ouvrage. Alors qu’auparavant un livre illustré n’avait généralement que quelques planches, il peut compter désormais plusieurs centaines de figures. Toutes les catégories de publications peuvent être abondamment illustrées, aussi bien les périodiques (La Caricature , 1830) que les ouvrages populaires de vulgarisation technique ou les livres pour enfants. La place croissante des images donne naissance à des publications qui connaissent un grand succès. Les livres de voyage et les albums découvrent à de larges publics des horizons nouveaux que les lithographies représentent avec plus de pittoresque que d’exactitude. Les keepsakes juxtaposent sans unité de courts textes de commande et des gravures sur acier: ces objets-cadeaux sont faits pour plaire, pour être parcourus au hasard, ils attestent par leur présence le geste de celui qui l’a offert. Les physiologies sont des livres plus modestes qui présentent sur le ton humoristique les différentes catégories sociales. Si les textes sont médiocres, les nombreuses gravures sur bois (30 à 60 dans un volume d’une centaine de pages) constituent presque des documents de reportage.
L’invention et la diffusion de la photographie, qui n’aura d’influence réelle sur le livre que dans la deuxième moitié du XIXe siècle, sont un autre signe de l’omniprésence de l’image. Si, par ce relevé non exhaustif de faits marquants, on peut prendre idée du développement quantitatif de la communication visuelle par le livre, son rôle réel est difficile à apprécier. Sous l’Ancien régime, le livre était le fait d’une minorité restreinte et de larges couches sociales vivaient dans une culture surtout orale. Dans la société industrielle, comme le montrent les chiffres de tirage, un nouveau public (qu’il ne faut d’ailleurs pas surévaluer) vient au livre.
Nouvelle mise en pages
En 1828, paraît l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux de Charles Nodier. L’auteur a confié l’illustration à un jeune artiste, Tony Johannot. De cette collaboration naîtra une œuvre originale. Les compositions sont gravées sur bois de bout et la possibilité qu’offre cette technique à l’interpénétration du texte et des images est poussée à ses limites extrêmes. De très petites figures sont librement et intimement insérées dans les lignes. Le sens de cette tentative est compris et se retrouve dans de nombreux ouvrages dont le plus justement célèbre est le Paul et Virginie publié par Curmer en 1838. Dans ces livres typiquement romantiques, message textuel et message visuel sont délivrés d’une manière concomitante que l’on a comparée avec justesse au déroulement d’un film parlant. Si les planches occupant la totalité d’une page persistent, les vignettes prennent place dans des mises en pages variées et brisent la forme rectangulaire de l’imprimé. Comme elles ne sont pas encadrées d’un trait, elles semblent avoir été projetées sur la page blanche et entourées ensuite par les lignes typographiques. Le choix des thèmes d’illustration doit aussi être noté: en plus des scènes narratives, on trouve des silhouettes, des esquisses, des évocations rapides d’objets mentionnés dans le texte qui n’appellent pas un déchiffrement attentif. L’utilisateur du livre est conduit à délaisser le fil de la lecture pour de brefs détours presque inconscients en direction des gravures. L’osmose du texte et de l’image introduit un nouvel usage du livre.
Seule la gravure sur bois de bout permettait cette mise en pages souple. Mais le plus souvent, la personnalité des artistes se pliait difficilement à la discipline de la vignette allusive et s’affirmait avec plus d’aisance dans la figure en pleine page. Après l’Histoire du roi de Bohême , Tony Johannot fut très sollicité par les libraires. Il semble authentiquement en accord avec la sensibilité de son temps, mais on perçoit aussi un certain détachement dans son aptitude à saisir les attitudes à la mode. Cette situation ambiguë lui a permis de contribuer fortement à la fixation de l’iconographie romantique. Un seul livre, Faust , de Goethe (1828), donne à Delacroix sa place parmi les grands illustrateurs. Les dix-sept grandes planches qu’il imagina furent une sorte de manifeste pour le mouvement romantique. Sous son crayon, la lithographie montre des ressources libérées et s’affranchit du tracé des graveurs. Livre de peintre avant tout, les larges hors-texte se juxtaposent à une typographie banale et l’ouvrage ne tend à exprimer (Goethe ne s’y est pas trompé) que l’interrogation du mythe faustien par Delacroix. Parmi les quatre mille lithographies et les mille bois de Daumier, une part restreinte concerne le livre proprement dit. Dans les cent planches des Robert Macaire (1839), à partir de situations un peu monotones qui lui sont imposées, Daumier campe avec force le type de l’affairiste. L’attention qu’il porte aux textes et sa manière de les figurer se perçoivent mieux dans son illustration du Père Goriot et surtout dans celles, également gravées sur bois, de la Némésis médicale de F. Fabre (1840). Grandville fit figure d’isolé jusqu’à ce que les surréalistes l’annexent parmi les ancêtres de leur groupe. Son imagination insolite crée un univers étrange peuplé d’êtres mi-hommes, mi-animaux, ou mi-femmes, mi-fleurs. Son goût du rêve, son don de visionnaire aboutit à l’exploration d’Un autre monde (1844) où le texte a suivi l’illustration. La carrière de G. Doré (1832-1883) est largement en dehors des limites que l’on assigne habituellement au livre romantique. Dès ses premières œuvres (Rabelais, Gargantua , 1854), mêlant planches et vignettes, il fait preuve d’un dessin prodigieusement habile et d’un don de l’imaginaire qui « crée ces déviations insensibles qui donnent à l’homme l’effroi du spectre, à l’arbre l’apparence humaine... » (Théophile Gautier). Il exécute ses compositions au pinceau, jetant les formes et les ombres d’un geste libre. Ses graveurs sont ainsi confrontés à la tâche particulière d’inventer les traits pour interpréter ces lavis: c’est le « bois de teinte » qui met l’accent sur les valeurs. Pour son ambitieux projet d’illustrer tous les chefs-d’œuvre de la littérature, Doré préférera les planches de grand format et on a pu l’accuser d’avoir « tué » la vignette romantique.
Dans le prologue d’Un autre monde , Grandville fait dialoguer le crayon (de l’illustrateur) et la plume (de l’écrivain). Le crayon dit à la plume: « Vos inspirations ne me suffisent plus... J’ai été trop modeste jusqu’ici, il est temps que l’univers apprenne à me connaître. » La plume: « Jeune insensé! Qui t’a montré ce qu’il fallait laisser dans l’ombre et ce qu’il fallait éclairer? Qui t’a introduit dans le sanctuaire des beaux esprits? Tu veux donc que je te serve purement et simplement de secrétaire? » Avant même la diffusion des procédés photographiques dans le livre, l’image tend donc à s’y assurer un statut de plein droit.
L’art du livre dans la société industrielle
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les techniques de fabrication du livre se transforment profondément et l’édition s’intègre pour une part majeure dans les structures de la production capitaliste. Son nouveau statut d’objet industriel situe le livre au cœur du débat sur l’art et la technique.
Comme moyen de communication, le livre est alors incontesté et sans véritables concurrents. La foi en lui est un des dogmes de l’idéal démocratique. Jamais sans doute il n’a pris une si grande part du temps de non-travail de certains groupes sociaux. Mais ce public élargi, déjà familier du périodique que l’on jette, habitué aux ouvrages bon marché et techniquement médiocres, est peu préparé à s’intéresser aux structures matérielles du livre. Dans les maisons d’édition importantes aux services spécialisés qui apparaissent alors, le rôle du responsable de l’entreprise est surtout de déterminer les orientations du choix des textes tandis que la conception du livre est déléguée aux services de fabrication. L’illustrateur n’est qu’un de ceux qui participent à l’élaboration de l’ouvrage. L’impression est confiée à de grandes firmes fragmentées en ateliers séparés. La publication d’un livre n’est pas un acte global qui engage choix des textes et mise en œuvre, mais une suite de décisions où le problème de la forme du livre n’est jamais posé en tant que tel. De manière à première vue surprenante, c’est la difficile situation actuelle du livre qui a stimulé la recherche graphique pour le livre courant d’aujourd’hui. Face aux médias audiovisuels qui sont ses rivaux, l’objet permanent qu’est le livre est valorisé et son aspect formel doit promouvoir les ventes. Il est souvent acquis moins pour ce qu’il transmet que pour ce que sa possession signifie: il est ressenti socialement comme le signe du patrimoine culturel (vécu ou frustré), d’une certaine « qualité » sociale à laquelle sa « qualité » matérielle et esthétique doit répondre.
Photographie, photogravure et message visuel
Au milieu du XIXe siècle, la photographie est déjà très répandue et propose un type d’image entièrement nouveau qui figure le réel sans l’intermédiaire du réseau graphique conventionnel de la gravure. Dès 1841, R. Töpffer exprime, avec une étonnante justesse, comment est senti le récent medium : « La plaque de Daguerre donne l’identité au lieu de donner la ressemblance » comme le dessin. Rapidement se pose le problème de la reproduction et de la multiplication des documents photographiques par l’encre et l’impression. Dans certains livres, on avait simplement collé des photographies (Pencil of Nature , 1844, illustré de calotypes de Talbot). De multiples recherches furent entreprises. La photographie avait supprimé l’intervention du dessinateur. Le report photographique et la gravure chimique supprimèrent l’intermédiaire du graveur. Après quelques autres essais, la trame permit, à la fin du siècle, le rendu des demi-teintes. On aboutit ainsi à une série de procédés en relief, en creux et à plat qui préfigurent très directement les actuels procédés photomécaniques et qui modifient profondément la communication visuelle. Certes, les documents photographiques perpétuent la vision artistique classique, car les objectifs sont conçus pour enregistrer une image construite selon le système albertien. Mais, à cause de leur fabrication mécanique, impersonnelle et de leur aspect nuancé continu, les images photomécaniques apparaissent comme un langage « naturel » et sont reçues comme des énoncés visuels totalement fiables. Elles ont pris l’immense champ de la fonction informative de l’image tandis que le dessin et les procédés traditionnels, dépouillés de toute objectivité, désormais considérés uniquement comme des modes d’expression personnelle, deviennent des médias artistiques.
Tirages limités et production de masse
L’art du livre prend ainsi une orientation bien déterminée qui conduit à envisager séparément le livre du plus grand nombre et le livre de quelques-uns. Des éditeurs et des amateurs veulent distinguer leurs livres de la production de masse. Le « beau livre », le livre de bibliophile, est coûteux, fabriqué selon les méthodes artisanales, sur des papiers spéciaux, illustré par les procédés traditionnels et tiré à petit nombre. Ces limitations n’étaient pas seulement explicables par le sentiment qu’elles donnaient d’appartenir à une élite et par l’habituelle spéculation des collectionneurs. Il est vrai que la fabrication industrielle ne permettait pas de contrôler de bout en bout l’interprétation du projet qui avait été formé et que les procédés photomécaniques réduisaient toutes les compositions à un même dénominateur commun. Mais, en une première phase, l’édition des livres « artistiques » reste prisonnière des goûts de bibliophiles qui rejettent ou ignorent les nouvelles tendances de l’art et s’attachent à des formules rétrospectives et académiques (Théâtre de Molière, Jouaust, 1883). On pourrait citer jusqu’à l’époque actuelle des ouvrages de luxe (ou de demi-luxe!) qui se rattachent à ce courant où un certain art du livre restait étranger à son environnement socioculturel.
Le livre courant est dès lors le livre industriel. Au début du XXe siècle, il est fabriqué exclusivement par les techniques modernes d’impression du texte et de reproduction des images. La présentation générale, soit morne et pauvre, soit d’un agrément discret, est conforme aux habitudes et aux ressources du plus large public. Les procédés photomécaniques sont abondamment utilisés pour reproduire des illustrations et des documents photographiques. La période 1895-1920 marque « le règne de la librairie illustrée » (Néret), de l’image pour l’image: derrière ces procédés, on devine l’intention de plaire et d’informer, mais aucune problématique de la communication des messages textuels et visuels. Après une certaine éclipse, la couverture illustrée connaît un renouveau; elle comporte alors des compositions ornementales ou illustrées. L’emploi de la couleur y devient fréquent. Au cours des cinq siècles antérieurs, on connaît, certes, quelques essais intéressants et la chromolithographie avait été, au XIXe siècle, plus qu’un épisode. Mais, dans les vingt premières années du XXe siècle, c’est sur la couverture illustrée que se définissent les fonctions de la couleur dans le livre. Dans une première analyse, la couleur peut servir à isoler un ouvrage ou à distinguer un groupe, c’est-à-dire finalement constituer le groupe. De ce point de vue, on peut utiliser seulement des aplats simples. En revanche, lorsque l’image colorée veut informer, elle doit restituer toute la gamme des couleurs par la quadrichromie qui s’est constamment perfectionnée dans la première partie du XXe siècle. Cependant, l’image en noir et blanc a le plus souvent une valeur de signe documentaire suffisante et le chromatisme ne se justifie que lorsqu’il donne une information non pas sur un objet purement cognitif mais sur des valeurs artistiques, par exemple un tableau. La couleur renvoie aussi à certaines connotations: plaisir visuel face à la rigueur « abstraite » du noir et blanc, modernité (la technique ouvrant l’emploi de la couleur, elle devient signe de progrès; ne pas l’utiliser paraît régressif). Dans cette perspective, la fonction esthétique de la couleur doit être comprise comme un élément de l’esthétique industrielle.
Dans toute réflexion sur l’art du livre, la pensée de William Morris (plus que les livres qu’il a créés) est capitale, elle est le prologue obligé de tout inventaire des tendances du livre actuel. Les contradictions dans lesquelles Morris s’est enfermé sont éclairantes. Ses convictions socialistes s’expriment par son mot d’ordre: « Peu nous importe un art qui n’est pas accessible à tous. » Mais, voulant renouveler l’artisanat par hostilité envers la machine, il produit des livres coûteux, à tirage restreint. Il voulait réagir contre la laideur de la production industrielle et conférer à l’artiste un rôle réel dans la société moderne, mais son esthétique historiciste le conduit à adopter un caractère et une mise en pages d’incunable (Chaucer, Works , 1896). Entre la théorie d’une conciliation nécessaire des arts et de l’industrie et celle de l’antinomie de la machine et des activités artistiques, on voit quel est le parti élu par Morris. L’intérêt ne réside pas dans son choix, mais dans le problème des relations « art créateur et machine » qu’il soulève à propos du livre comme il l’avait fait pour les tissus et la verrerie. William Morris avait cinquante-six ans lorsqu’il fonda la Kelmscott Press en 1890. Mais il avait formulé les thèses de son mouvement dès les années 1860-1870. Lorsque Morris publie ses livres, un grand mouvement, l’Art nouveau, traverse l’Europe et conquiert le livre.
Orientations des recherches graphiques
« Aujourd’hui, écrit Huysmans en 1880, pour plaire à cette cohue d’acheteurs qui fait emplette de livres soi-disant de luxe, par prose, par vogue, il faut recommencer les mièvreries du dernier siècle... » Le livre Art nouveau doit d’abord être compris comme une réaction moderniste contre ce passéisme et cet éclectisme régnants. Il rapproche l’art du livre des arts vivants (affiche, architecture, décoration intérieure) et lui donne un style authentique. Dans les années quatre-vingt, E. Grasset joue un rôle de précurseur (Les Quatre Fils Aymon , 1883). En 1893, paraît le chef-d’œuvre de l’Art nouveau, Le Voyage d’Urien d’André Gide, illustré par Maurice Denis. Le mouvement est international. La Belgique est un foyer actif, grâce surtout à Henry Van de Velde. La fulgurante singularité d’Aubrey Beardsley (Oscar Wilde, Salomé , 1894) marque toute une génération comportant des personnalités aussi différentes que Mucha, Georges de Feure ou l’éditeur Pelletan. Partout, on constate une résurrection de l’ornementation des livres: les couleurs rares, le décor floral, les courbes et les contre-courbes envahissent les pages et même la lettre d’imprimerie (la française d’Auriol, 1902). Le trait souligne les formes enlacées dans des compositions pleines et sans perspective. Ces jeux graphiques impliquent un salutaire renouvellement de la conception globale du livre. Le nabi Maurice Denis a bien exprimé l’apport de ce qu’il appelle « le mouvement de 1890 ». C’est d’abord une rupture avec le « placage des carrés noirs d’aspect photographique... sur le blanc ou sur l’écriture », avec « les découpures naturalistes au hasard dans le texte » (la formule est excellente pour définir, sans préjuger sa fonction, l’illustration jusqu’au XIXe siècle). L’illustration ne doit pas « lutter de près avec l’écriture », mais « sans servitude du texte, sans exacte correspondance du sujet avec l’écriture » former plutôt « un accompagnement de lignes expressives ». Ce parallélisme du langage plastique et du langage textuel est le véritable sens de l’illustré moderne. Ainsi, selon le jugement de P. Francastel: « Durant tout le XIXe siècle, l’image matérialise un propos. Désormais, [...] le dessin a cessé d’être le commentaire de la parole, il est devenu par lui-même une évidence. »
Les livres de peintre utilisent ce pouvoir de manière plus durable et plus ambitieuse. Malgré les exemples de Manet (Edgar Poe, Le Corbeau , 1875) ou de Toulouse-Lautrec (Gustave Geffroy, Yvette Guilbert , 1894), il faut situer cette forme de l’art du livre dans le contexte artistique de la première moitié du XXe siècle. Elle est due à l’initiative d’hommes en marge de l’édition, mais pleinement ouverts aux activités plastiques contemporaines. En 1900, Ambroise Vollard commande l’illustration de Parallèlement de Verlaine à Bonnard qui jette dans les marges des lithographies allusives tirées en sanguine pâle. En 1909, un autre marchand de tableaux, H. Kahnweiler, fait appel aux peintres fauves et cubistes (Derain, Picasso, Braque) et leur propose des textes d’auteurs d’avant-garde (Apollinaire, Max Jacob, Satie). Il faudrait citer bien d’autres éditeurs: H. Kessler, Skira, Teriade, Maeght... Tous les peintres de l’école de Paris s’intéressèrent au livre et toutes les tendances artistiques y furent représentées, du surréalisme (Tristan Tzara, L’Antitête , 1949, illustré par Max Ernst, Joan Miró, Yves Tanguy) au non-figuratif (L. Scheller, Lisières du devenir , 1963, illustré par R. Ubac). Les livres de peintres sont élaborés avec des soins infinis, les artistes y utilisent seulement des procédés originaux (cuivre et lithographie surtout), les seuls qui leur permettent de maîtriser leur œuvre jusqu’à son terme. Ils pratiquent ces techniques avec une totale liberté grâce à la leçon féconde de praticiens comme R. Lacourière. Après une période où l’emporte le noir et blanc, l’entre-deux-guerres, c’est l’explosion de la couleur (H. Matisse, Jazz , 1947) et, plus récemment, l’avènement d’expériences radicales (P. Lecuire, Règnes , 1961, estampilles d’É. Hajdu). Tous ces ouvrages, à tirages nécessairement limités, ne trouvent même pas comme la peinture l’audience du public des galeries et des musées et leur diffusion reste restreinte. Ils n’ont, il faut le déplorer, aucune influence sur le livre industriel. Le rôle de l’illustrateur est déterminant et on aboutit souvent à des livres qui juxtaposent des typographies « classiques » et des planches où des expériences plastiques hardies sont tentées. Les peintres sont comme « prisonniers de la page qu’ils associent au rectangle de leur toile » (J. Damase). Les planches sont le seul champ d’investigation sans que soit réellement mis en cause le livre comme œuvre.
C’est pourquoi il convient de faire une place à part à des initiatives diverses, souvent sans lien entre elles, sauf par leur intention de rupture. Il faut donner la parole aux poètes et d’abord à Stéphane Mallarmé. Dans la préface d’Un coup de dés jamais n’abolira le hasard (1897), il décrit ainsi son œuvre: « Dans une page ordinaire de poèmes en vers courts, le blanc occupe les deux tiers de la page; je respecte cette proportion, mais opère une redistribution des blancs qui remplacent la ponctuation, interviennent soit pour opérer une transition d’une image à l’autre, soit pour marquer le rapport plus ou moins direct des groupes de mots – subdivision prismatique de l’idée – avec la phrase centrale. » Il s’agit, dit-il encore, d’un « espacement de lecture ». Il faut entendre spatialisation et Valéry l’analysait ainsi: « Il me sembla de voir la figure d’une pensée, pour la première fois placée dans notre espace [...]. Ici, véritablement, l’étendue parlait, songeait, enfantait des formes temporelles. » La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars (1913) se présente sous la forme d’un dépliant de deux mètres de long où sont multipliés les corps et les styles de lettres pour des compositions typographiques discontinues que Sonia Delaunay a cernées de formes colorées. « Premier livre simultané », médium d’une poésie résolument moderne, plus accordé que les Calligrammes d’Apollinaire (1918) à l’esprit nouveau que celui-ci avait défini en 1912 et où il appelait « le livre vu et entendu de l’avenir ». Dans un « poème simultan » L’amiral cherche une maison à louer (1916), Tristan Tzara, voudrait, en désintégrant la typographie, à la fois donner « la possibilité à chaque écoutant de lier les associations convenables » et le maintenir « tout de même dans la direction que l’auteur a canalisée ». On ne peut énumérer tous ceux qui, futuristes, dadaïstes, surréalistes, etc., ont souligné que l’activité poétique s’informe dans le livre et que celui-ci peut être plus qu’un texte et des images. Malgré leurs divergences profondes, ils entendent, pour rompre avec l’usage linéaire du livre, perdre le regard dans un désordre provocant. L’absence de directions perceptives dans la page appelle un déchiffrement discontinu et une saisie simultanée, invite au mouvement et à la fascination. Les pages se constituent en espaces plastiques: images de lettres et de signes proposés aussi comme des formes, re-création d’éléments préexistants, comme dans la peinture-collage.
L’œuvre typographique du Bauhaus de Weimar est, à ses débuts, marquée par l’influence du dadaïsme et du futurisme, particulièrement nette dans les compositions d’Itten ou de Dicker. Mais Moholy-Nagy a imposé sa tendance constructiviste: « La typographie doit donner à une indication claire l’allure la plus persuasive », communication claire par la forme des lettres, persuasive par leur ordonnance, leurs dimensions et leurs densités respectives, et cependant il faut maintenir « l’écriture comme œuvre d’art ». La mise en œuvre de l’ouvrage Bauhaus , 1919-1923 est une sorte de manifeste et fait de Moholy-Nagy un des maîtres du livre moderne. Il fit un choix constant de caractères sans empattement, voulant en faire la lettre des temps nouveaux. C’est aux recherches de Weimar qu’il faut rattacher la création typographique contemporaine la plus marquante, le caractère Univers d’A. Frutiger. Le Bauhaus a défini un agencement typographique foncièrement moderne où lettres et surfaces imprimées sont construites comme un édifice architectural ou un objet mobilier. Par l’exemple de ses publications comme par les textes doctrinaux de ses maîtres, le Bauhaus, dont l’influence fut parfois lente à s’exercer, notamment en France, est une des sources du « design » du livre industriel contemporain.
La relation texte-image
Le trait majeur de la forme du livre actuel est l’importance prise par la couverture. C’est l’aboutissement d’une tendance permanente du livre à l’« extériorisation ». L’apparition de la page de titre au XVe siècle, la clarification des éléments du titre et les épisodes du frontispice et du titre gravé durant les trois siècles suivants, la naissance de la couverture imprimée, illustrée, colorée (et de la reliure industrielle parlante) au XIXe siècle, celle de la jaquette sont les témoins successifs de cette évolution par laquelle l’extérieur du livre devient signifiant. « Livre image », « livre qui donne à voir » pour certains, « livre bavard » pour d’autres. La couverture forme un secteur disponible à l’utilisation de tout l’arsenal de la rhétorique publicitaire. Sa fonction s’exerce à divers niveaux. Elle peut exprimer l’image de marque de l’éditeur, mais, celle-ci étant faiblement perçue dans l’organisation actuelle de la production, c’est plutôt l’image de la collection qu’elle transmet et dont le repérage s’effectue par la permanence de moyens contraignants ou par des signes plus discrets. La couverture expose également le contenu du volume, surtout grâce à l’image. La figuration d’un épisode ou d’un personnage par un dessin original est en régression, mais reste fréquente dans les éditions populaires. En revanche, les graphismes à résonances symboliques sont nombreux. Le procédé le plus vivant est la mise en œuvre de matériaux iconographiques préexistants: photographies documentaires, gravures, peintures. L’invention est alors dans le choix des documents et dans leur combinaison, enfin dans leur association avec les lettres. Celles-ci forment un élément constitutif de toutes les couvertures. Les possibilités sont diverses, depuis la correspondance entre style des lettres et esprit du texte jusqu’à l’emploi des lettres comme formes tel que le Bauhaus l’avait formulé. Il faut enfin mentionner les couvertures sans figuration d’éléments réels: les jeux de formes et de lettres ne communiquent aucun message en relation explicite avec le texte du volume ou son édition, mais valorisent le livre par référence à des normes ou des pratiques culturelles qui vont du géométrisme pur à la luxuriance psychédélique.
Les surfaces blanches des pages offrent dans la plupart des cas des voies moins diversifiées aux processus de communication. Les informations fondamentales de la page de titre sont incorporées dans des présentations multiples. La symétrie traditionnelle peut être simple banalité formelle (cas le plus fréquent), prendre des accents délibérément « classiques » ou tendre au dépouillement organique. Les déséquilibres concertés, alignements unilatéraux, lignes verticales partagent la page en zones vides dont l’imbrication cherche à mobiliser le regard autant que le font les mots imprimés. La page de texte imprimée est le « champ de liberté esthétique » le plus restreint dans le livre. Dans l’immense majorité des cas, l’accumulation économique des mots, le bourrage des lignes ne laissent aucune initiative de mise en pages. Parfois l’on veut assurer au livre des traits distinctifs qui seront remarqués lors de son usage et non seulement, comme c’est le cas pour la couverture, antérieurement à l’achat. Ces traits distinctifs émanent de la qualité du support, du jeu des valeurs entre la densité variable de l’impression et la vacance des zones vierges, du style des caractères. Ils relèvent d’un certain accord tacite entre certains « producteurs » et certains « consommateurs » plus que de données manifestes de la perception et exigent d’être renouvelés constamment par des modes pour assurer cette connivence sociale qui se veut celle d’une élite.
La présence d’images dans le livre introduit un autre facteur de signification en même temps qu’elle élargit les problèmes de mise en œuvre. Actuellement, la multiplication des images associées au texte est considérable et forme un des traits de la civilisation de l’image. Le temps vient où même les adultes pourront s’approprier la question d’Alice au pays des merveilles : « What is the use of a book without picture? » (à quoi sert un livre sans image?). Pourtant, le système lettre-image du livre a perdu son statut privilégié et est soumis à la présence puissamment concurrentielle du film, de la télévision, de l’affiche, de la photographie, du périodique illustré. Dans ce contexte culturel, la constatation primordiale qui peut être faite est la régression dans le livre de la fonction d’illustration, c’est-à-dire création de formes en relation avec le texte, et de celle d’ornementation. L’une et l’autre ne se maintiennent plus guère que sur la couverture où d’ailleurs elles sont surtout un langage emblématique, dans le livre pour enfant (livre non scolaire) qui est un livre à part à la fois jouet et outil pédagogique, dans le livre de luxe sans portée sociale à cause de sa diffusion restreinte. L’effacement de l’image d’illustration pour adultes se produit après la période où elle avait conquis même le livre littéraire de masse (Modern-Bibliothèque, Fayard). On mesure ainsi la pression des images enregistrées à partir du réel et ressenties comme vraies et objectives.
Aujourd’hui, dans la majeure partie des ouvrages, les figures sont constituées de documents « photogénés » (pour reprendre la formule d’E. Bayard, un des ancêtres de la photographie) et de « représentations graphiques ». Les premières sont dans la lignée d’une longue pratique qui est apparue avec l’imprimerie elle-même et, de ce fait, répondent à une multiplicité d’intentions qui rend difficile l’analyse de leur relation avec le texte, plus complexe par exemple que dans l’image publicitaire (ou la couverture) qui est « franche ou du moins emphatique » ou dans le livre scolaire qui répond à un projet défini et programmable. Dans les cas limites, un ensemble d’images peut instaurer une sorte de discours décrit ainsi par P. Francastel: « Chaque reproduction est liée à la précédente et se situe dans le cadre d’une démonstration par la vue des mêmes thèses que celles qui font l’objet, dans le texte, d’une démonstration par le langage. » Les figures sont liées au processus de communication textuelle par une référence précise ou la légende. Le texte ne fait pas qu’identifier ce qui est figuré, mais opère une réduction des déchiffrements possibles: « Il ne sert à rien de décrire, comme on le fait trop souvent, ce que l’on montre. Mais, même pour ceux qui savent lire les images, il est utile de préciser les raisons qui ont dicté un certain choix, une certaine mise en ordre. » À l’opposé, l’image photographique peut aussi être introduite non (ou non seulement) comme une figure analogique à valeur informative, mais comme un signe dont les lectures sont intentionnellement non limitées pour laisser libre jeu à des résonances multiples. On retrouve alors l’intention esthétique de l’illustration (entendue au sens strict) dont la fonction peut ainsi être partiellement introduite à nouveau par ce biais dans certains livres actuels.
Les représentations graphiques y forment, aux côtés des documents photogénés, l’autre grande catégorie de figures. La « graphique », selon les analyses de J. Bertin, englobe les réseaux, diagrammes, cartes. À la fois mémoire artificielle et instrument de recherche, « elle se définit comme la partie rationnelle du monde des images ». Si de nombreux exemples attestent son ancienneté (arbres généalogiques, etc.), son utilisation actuelle dévoile sa propriété fondamentale qui est de représenter « autre chose que l’espace visible » et de constituer un système de signes complet et indépendant.
Livre et communication
La conjonction du texte et des divers aspects de l’image détermine l’organisation de l’espace visuel de la double page et les bons exemples de livres actuels se situent souvent dans la perspective du fonctionnalisme contemporain: la forme suit la fonction, la forme exprime la fonction, l’ornementation y est ressentie comme superflue, sinon nuisible. L’édition de masse exige de mobiliser tous les facteurs de production et ce qui est proposé ou ressenti comme « beau » peut être une valeur commerciale qui incitera à l’achat. On a vu se définir peu à peu le rôle du directeur artistique qui contrôle l’ensemble des éléments constitutifs d’une édition, assure l’unité de conception dans des entreprises fragmentées en services spécialisés. Dès 1905, E. Walker est invité à donner forme à une collection de classiques allemands pour l’Insel Verlag. À des hommes tournés surtout vers la typographie succèdent, dans les deux dernières décennies, des graphistes ouverts à tous les systèmes de communication contemporains, comme en France, Faucheux et Massin, tous deux issus du milieu fertile que furent après guerre les clubs de livres. Le statut du livre est solidaire du statut de tous les objets contemporains. Il s’insère dans le projet du « design » à la fois dessin et dessein, qui veut assurer la communication du système utilitaire et du système esthétique: sans masquer les modèles que la pratique impose, ni les services que rend l’objet, celui qui crée la forme peut imposer son œuvre.
Il est devenu banal de souligner que le livre n’est plus qu’un des médias qu’utilise la société actuelle. Sa situation qui serait menacée par les mass media est interprétée le plus souvent en tenant compte des phénomènes sociaux, économiques, politiques ou du savoir et de l’idéologie transmis. Les coups de sonde du Canadien Marshall McLuhan sont provocants et ont l’originalité d’être centrés sur la structure même des moyens de communication. En ce qui concerne le livre, on notera que, selon lui, sociétés et individus ont toujours été plus déterminés par la nature des moyens par lesquels les hommes communiquent que par le contenu de cette communication; tous les moyens de communication sont des extensions d’une faculté humaine, psychique ou physique; le livre est un prolongement de l’œil. Ainsi, l’imprimerie a-t-elle donné naissance à l’« homme typographique » qui réduit la totalité de l’expérience à l’échelle d’un seul sens, la vue. Des habitudes linéaires et séquentielles sont enracinées en lui et il est subjugué par la liaison visuelle explicite des éléments d’une composition verbale et non verbale. Au contraire, les circuits électriques recréent en l’homme l’orientation multidimensionnelle du primitif et la configuration électrique du monde moderne a contraint à passer de l’habitude de classification des données à un mode d’enregistrement global. Il est notable que cette adhésion fougueuse aux médias autres que le livre se présente sous forme de livres. McLuhan est conscient de ce paradoxe. Ses ouvrages sont conçus comme une mosaïque, une configuration d’aperçus. The Medium Is the Message (1967, photographies de G. Fiore, mise en scène de J. Agel), en particulier, veut être libéré de l’énoncé typographique pour introduire le discontinu, le simultané, l’immédiat ou même des effets auditifs. C’est retrouver dans un ouvrage d’idées l’esprit de l’entreprise d’éclatement du livre tentée par les poètes et les peintres du début du siècle, à une époque « où, disait déjà Apollinaire, la typographie termine brillamment sa carrière, à l’aurore des moyens nouveaux que sont le cinéma et le phonographe ». C’est aussi annexer les langages de la publicité, du film, de la télévision, des bandes dessinées, la mise en pages des périodiques. Il serait faux de considérer l’essai de McLuhan comme unique et prophétique: son intérêt est de se fonder sur une exploration théorique qui se veut totale et qui a reçu une grande audience. On pourrait citer de nombreux autres exemples où toutes les pages d’un livre sont dotées d’une multiplicité de processus expressifs, comme on en trouvait déjà parfois sur les couvertures, où le public les accepte et les décode. L’édition (1964) de la Cantatrice chauve d’Ionesco est ainsi décrite par son metteur en œuvre, Massin: « L’interprétation typographique [...] propose une nouvelle façon de lire le théâtre. Alliant la technique du cinéma à celle de la bande dessinée et utilisant le visage des acteurs auquel le photographe H. Cohen a su conférer la valeur d’un idéogramme, l’auteur de cette mise en pages, en se donnant les pouvoirs d’un metteur en scène, vise à traduire l’atmosphère, le mouvement, les dialogues, les silences en même temps qu’il essaie de rendre la durée et l’espace scénique par le simple jeu de l’image et du texte. » On mesure bien les pouvoirs que, répudiant « la machine à lire » de Valéry et en défi aux langages des medias nouveaux, certains revendiquent pour le livre en fécondant les multiples ressources des techniques modernes. Après avoir analysé la « localisation compliquée » de l’individu d’aujourd’hui, Michel Butor pouvait écrire: « Saisir tout cela, donner tout cela, agir sciemment dans cet espace, le modifier par cet objet qu’est un livre parmi les autres meubles, « meuble » par excellence, « mobile » parmi les immeubles. »
1. livre [ livr ] n. m.
• 1080; lat. liber « écorce, feuille de liber », sur laquelle on écrivait et par ext. « livre »
I ♦ Assemblage d'un assez grand nombre de feuilles (ou long support souple roulé, dans l'Antiquité), portant des signes destinés à être lus. ⇒fam. 2. bouquin; tome, volume; 1. écrit, ouvrage. Livre manuscrit (⇒ manuscrit) , imprimé, ancien (⇒ incunable) . Matière, contenu d'un livre (⇒ texte) . « un livre n'est rien qu'un petit tas de feuilles sèches, ou alors une grande forme en mouvement : la lecture » (Sartre).
1 ♦ Volume imprimé d'un nombre assez grand de pages (opposé à brochure, plaquette), à l'exclusion des périodiques (opposé à revue). Composer, imprimer un livre (⇒ imprimerie) . Livre à l'impression, sous presse. Mettre un livre au pilon. — Éléments, aspect extérieur d'un livre (⇒ cahier, feuille, feuillet, 1. page; brochage, cartonnage, coin, dos, emboîtage, fermoir, jaquette, nervure, 1. plat, reliure, signet, tranche, tranchefile, titre) . Livre de trois cents pages. Très gros livre. ⇒ 1. pavé. Livre broché, cartonné, relié; cousu, collé. Livre de poche, broché, de petit format et à prix modique. ⇒ 1. poche(n. m.). Couverture, jaquette d'un livre. Format d'un livre. — Livre blanc, bleu, jaune : recueil de pièces officielles, diplomatiques, publié après un événement important (guerre, etc.) afin de permettre au lecteur de juger sur pièces. Le Petit Livre rouge : le recueil des pensées politiques de Mao. — Livre illustré. Livre d'images. ⇒ album, imagier. Livre de bandes dessinées. Livre de cartes. ⇒ atlas, portulan. — Commerce, vente des livres. ⇒ édition, libraire, librairie. Éditer, faire paraître un livre. ⇒ publier. Livre publié par fascicules, par livraisons. Droits d'auteur, droits de reproduction d'un livre. ⇒ copyright. Nombre d'exemplaires d'un livre. ⇒ tirage. Livre épuisé, en réimpression. Marchand de livres d'occasion. ⇒ bouquiniste. Livres rares, anciens. Beaux livres. Amateur de livres. ⇒ bibliophile. Collection de livres; meuble à livres. ⇒ bibliothèque. Acheter, offrir un livre. Pile de livres. Couvrir un livre. ⇒ couvre-livre, liseuse. Apposer sa marque sur un livre. ⇒ ex-libris.
♢ Absolt LE LIVRE : l'imprimerie et ses produits. L'industrie, les industries du livre. Le syndicat du livre.
2 ♦ Ensemble des signes contenus dans un livre; texte imprimé reproduit dans un certain nombre d'exemplaires. ⇒ ouvrage. Divisions, subdivisions et annexes d'un livre : chapitre, partie, tome, volume. Le titre d'un livre. Avis au lecteur, dédicace, préface, table des matières d'un livre. Livre en deux, trois parties. ⇒ diptyque, trilogie. Le sujet d'un livre. — Livre donnant des renseignements pratiques. ⇒ almanach, annuaire, barème, catalogue, guide, indicateur, registre, répertoire, vade-mecum. Livre de cuisine. Livres scolaires (⇒ 2. manuel) , parascolaires. Livre de classe, d'étude. ⇒ abrégé, aide-mémoire, cours, essai, étude, glossaire, guide, lexique, mémento, 2. mémoire, méthode, monographie, 2. précis, répertoire, résumé, thèse, traité, 1. travail, vocabulaire. Livre de lecture. ⇒ A B C, abécédaire, alphabet, syllabaire. Livre d'arithmétique, de grammaire (une arithmétique, une grammaire, etc.). Livre d'art. Livres de référence (⇒ dictionnaire, encyclopédie) . Répertoire de livres. ⇒ bibliographie. — Livre racontant des événements, une vie, la vie d'hommes illustres (⇒ annales, biographie, 1. chronique, journal, mémoires, souvenirs, vie) , un voyage (⇒ itinéraire) . Livre publié pour défendre (⇒ apologie, 1. défense, éloge) , attaquer (⇒ libelle, pamphlet) qqn, qqch. Livre en forme de conversation. ⇒ dialogue. Livre de caractère littéraire (littérature générale). ⇒ conte, nouvelle, pièce (de théâtre), poésie, 1. roman. Livres d'enfants, pour enfants. — Livres inspirés, révélés; livres sacrés, saints : Bible, Évangile (⇒ écriture) , Coran; Talmud; Veda. — Livres religieux, liturgiques. Livre de messe. ⇒ missel, paroissien. Livre de prières. ⇒ bréviaire. Livre d'heures. — L'auteur d'un livre. ⇒ écrivain. Écrire des livres. ⇒ écrire(absolt). Écrire un livre sur un sujet. Faire un livre, des livres. « quelque chose de nouveau et de vrai; c'est la seule excuse d'un livre » (Voltaire ). Ensemble des livres écrits par un auteur. ⇒ œuvre. C'est son meilleur livre. ⇒ chef-d'œuvre. Loc. Être l'homme d'un seul livre : être un auteur dont la notoriété repose sur un seul ouvrage; péj. être borné. Livre contenant des extraits, des citations, des écrits divers. ⇒ ana, anthologie, chrestomathie, compilation, florilège; recueil . — Résumer, analyser, critiquer un livre. Faire le compte rendu d'un livre. Ce livre est un grand succès de librairie. ⇒ best-selleranglic. Livre traduit. ⇒ traduction. L'Index, catalogue des livres que l'Église interdisait. — Lire, commencer, ouvrir; terminer, fermer, finir un livre. Consulter, feuilleter, parcourir un livre. « Un bon livre est un bon ami » (Bernardin de Saint-Pierre ). Lire et relire un livre. Dévorer un livre. Être plongé dans un livre. Livre de chevet. « La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres » (Mallarmé).
♢ LES LIVRES, symbolisant la lecture, l'étude, l'érudition, la science, la théorie. Il n'a pas ouvert ses livres : il n'a pas étudié. Les livres et la vie, et la pratique. Ne connaître une chose que dans les livres, que par les livres, en avoir une connaissance livresque, théorique (⇒ littérature, II, 3o) . « Un prince dans un livre apprend mal son devoir » (P. Corneille). « Nous vivons trop dans les livres et pas assez dans la nature » (France). — Loc. Parler comme un livre, doctement, sagement, savamment; péj. d'une manière trop théorique et ennuyeuse. — À livre ouvert : couramment. Traduire une langue à livre ouvert. — On en ferait un livre, il y aurait de quoi écrire un livre : il y aurait matière à remplir tout un livre pour raconter, décrire (telle ou telle chose).
3 ♦ LIVRE-CASSETTE :texte d'un livre enregistré sur cassette. Des livres-cassettes.
♢ Livre électronique, numérique : boîtier électronique portable comportant un écran sur lequel on peut lire des textes numérisés que l'on télécharge.
4 ♦ Métaph. Ce qui peut être déchiffré, interprété comme un texte. Le livre du destin, de la nature. « Sylvie connaissait la vie. Et c'est le Livre des Livres » (R. Rolland).
II ♦ Spécialt
1 ♦ Chacune des parties de certains ouvrages, qu'elle constitue ou non un volume séparé. ⇒ partie. Les livres d'un code, d'un traité. Roman en plusieurs livres. ⇒ volume. Le second livre de l'Énéide. ⇒ 1. chant. « Le Tiers [troisième], le Quart [quatrième] Livre des faits et dits héroïques du noble Pantagruel », œuvres de Rabelais. — (Bible) Les livres historiques, poétiques, sapientiaux (de la sagesse), prophétiques.
2 ♦ Cahier, registre sur lequel on peut écrire, noter qqch. ⇒ album, carnet, registre. Noter qqch. sur un livre. Le livre de comptes, de dépenses. — Vx LIVRE DE RAISON, où le chef de famille tenait la chronique et les comptes de la maison. — LIVRE D'OR : anciennt registre sur lequel étaient inscrits en lettres d'or les noms de familles nobles; mod. registre destiné à l'inscription de noms célèbres, à la réunion de commentaires élogieux. Signer le livre d'or d'un restaurant.
♢ Comptab. Livres de commerce; livres comptables comprenant le livre journal, le livre d'inventaire. Grand livre, où sont reportées et classées par articles les écritures du livre journal. Livre de caisse. Livre de paie. Livre brouillard. Absolt Tenir les livres. ⇒ comptabilité. — Dr. publ. Livre, grand livre (ou grand-livre) de la Dette publique.
♢ Mar. Livre de bord d'un navire.
livre 2. livre [ livr ] n. f.
• XIIe; livra 980; lat. libra
1 ♦ Anciennt Unité de masse, qui variait, selon les provinces, entre 380 et 550 grammes. La livre se divisait en onces.
♢ Mod. Un demi-kilogramme ou cinq cents grammes. Acheter une livre de fraises, de café. Une demi-livre de beurre. Quart de livre. ⇒ 2. quart. — (Au Canada) Unité de masse valant 16 onces, ou 0,453 kg (abrév.lb). Peser 100 livres, 45,35 kilos. L'orignal « devait peser plus de douze cents livres » (P. Villeneuve).
2 ♦ Ancienne monnaie de compte, représentant à l'origine un poids d'une livre d'argent, et moins de cinq grammes à l'établissement du système métrique (1801). ⇒ 3. franc. Trois livres (⇒ 1. écu) , vingt-quatre livres (⇒ louis) . La livre tournois valait vingt sous.
3 ♦ Mod. LIVRE ou LIVRE STERLING. Unité monétaire britannique (symb. £). ⇒ souverain. La livre vaut cent pence (autrefois, vingt shillings de douze pence). Les monnaies rattachées à la livre forment la zone sterling. — (Autres pays) Livre égyptienne, syrienne, turque.
● livre nom masculin (latin librum, accusatif de liber, aubier) Assemblage de feuilles imprimées et réunies en un volume, broché ou relié : Livre rare, ancien. Ouvrage destiné à être imprimé : Écrire un livre sur tel personnage. Volume imprimé considéré du point de vue de son contenu : Livre de lecture, de cuisine. Ensemble de feuillets portant des reproductions, des dessins, etc. : Livre d'images, de musique. L'industrie de l'imprimerie, l'édition ; les ouvriers qui y travaillent : Syndicat du livre. Littéraire. Ce qui offre une source de connaissance, d'enseignement, d'instruction, à qui peut le déchiffrer : Le livre de la vie. Subdivision de certains ouvrages, en général supérieure au chapitre. Registre, cahier, carnet, sur lequel on note, inscrit quelque chose : Le livre de comptes. Comptabilité Synonyme de livre-journal. Occultisme Livre noir, livre traitant de sorcellerie, de nécromancie. ● livre (citations) nom masculin (latin librum, accusatif de liber, aubier) Anonyme Il meurt à juste titre dans le déshonneur celui qui n'aime pas les livres et n'a pas confiance en eux. A desanor muert a bon droit qui n'aime livre ne ne croit. Roman de Renart Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 Un livre n'est pas écrit une fois pour toutes : quand il est un vraiment grand livre, l'histoire des hommes y vient ajouter sa passion propre. Littératures soviétiques Denoël Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 Il est aussi facile de rêver un livre qu'il est difficile de le faire. Le Cabinet des antiques, Préface Maurice Barrès Charmes, Vosges, 1862-Neuilly-sur-Seine 1923 [Rousseau,] cet extravagant musicien. Mes cahiers Plon Maurice Barrès Charmes, Vosges, 1862-Neuilly-sur-Seine 1923 Tout livre a pour collaborateur son lecteur. Stanislas de Guaita Plon Nicolas Boileau, dit Boileau-Despréaux Paris 1636-Paris 1711 Un livre vous déplaît : qui vous force à le lire ? Satires Sébastien Roch Nicolas, dit Nicolas de Chamfort près de Clermont-Ferrand 1740-Paris 1794 Académie française, 1781 La plupart des livres d'à présent ont l'air d'avoir été faits en un jour, avec des livres lus de la veille. Maximes et pensées Alexandre Dumas Villers-Cotterêts 1802-Puys, près de Dieppe, 1870 En général, je ne commence un livre que lorsqu'il est écrit. Propos d'art et de cuisine Léon-Paul Fargue Paris 1876-Paris 1947 Dans nos livres, il y a trop d'appelés et trop d'élus. Sous la lampe Gallimard André Gide Paris 1869-Paris 1951 Nathanaël, jette mon livre. Les Nourritures terrestres Gallimard Jules Huot de Goncourt Paris 1830-Paris 1870 et Edmond Huot de Goncourt Nancy 1822-Champrosay, Essonne, 1896 Les livres qu'on vend le plus sont les livres qu'on lit le moins. Ce sont les livres de fonds qui font la bibliothèque, par respect humain, de tous les hommes qui ne lisent pas, les livres meublants. Exemples : Voltaire, Thiers, etc. Journal Fasquelle Jules Huot de Goncourt Paris 1830-Paris 1870 et Edmond Huot de Goncourt Nancy 1822-Champrosay, Essonne, 1896 Un livre n'est jamais un chef-d'œuvre : il le devient. Journal Fasquelle Julien Green Paris 1900-Paris 1998 Académie française, 1971 Notre vie est un livre qui s'écrit tout seul. Nous sommes des personnages de roman qui ne comprennent pas toujours bien ce que veut l'auteur. Journal Plon Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 L'archidiacre considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice, puis étendant avec un soupir sa main vers le livre imprimé qui était ouvert sur la table et sa main droite vers Notre-Dame, et, promenant un triste regard du livre à l'église : — Hélas ! dit-il, ceci tuera cela. Notre-Dame de Paris Alfred Jarry Laval 1873-Paris 1907 Le livre est un grand arbre émergé des tombeaux. Les Minutes de sable mémorial Fasquelle Marcel Jouhandeau Guéret 1888-Rueil-Malmaison 1979 Tout bon livre est un attentat. Essai sur moi-même Gallimard Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule. Les Caractères, Des ouvrages de l'esprit Jules Lemaitre Vennecy, Loiret, 1853-Tavers, Loiret, 1914 Académie française, 1895 La critique n'est que l'art de jouir des livres. Texte autographe reproduit dans l'Anthologie des poètes français contemporains de G. Walch Delagrave Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 […] Un livre, dans notre main, s'il énonce quelque idée auguste, supplée à tous les théâtres, non par l'oubli qu'il en cause mais les rappelant impérieusement, au contraire. Crayonné au théâtre, Solennité Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 Le monde est fait pour aboutir à un beau livre. Réponse à des enquêtes, Sur l'évolution littéraire Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Essais, Au lecteur Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Ce sont nos passions qui esquissent nos livres, le repos d'intervalle qui les écrit. À la recherche du temps perdu, le Temps retrouvé Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés. À la recherche du temps perdu, le Temps retrouvé Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 […] Les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie, mais de l'obscurité et du silence. À la recherche du temps perdu, le Temps retrouvé Gallimard Jean Rostand Paris 1894-Ville-d'Avray 1977 Académie française, 1959 Je demande à un livre de créer en moi le besoin de ce qu'il m'apporte. Carnet d'un biologiste Stock Anne Louise Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, dite Mme de Staël Paris 1766-Paris 1817 Le mal que peuvent faire les mauvais livres n'est corrigé que par les bons ; les inconvénients des lumières ne sont évités que par un plus haut degré de lumières. De l'Allemagne Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 Les livres ont les mêmes ennemis que l'homme : le feu, l'humide, les bêtes, le temps ; et leur propre contenu. Littérature Gallimard Nicole Vedrès 1911-1965 À force d'aimer un livre, on finit par se dire qu'il vous aime. Paris, le… Mercure de France Alfred, comte de Vigny Loches 1797-Paris 1863 Un livre est une bouteille jetée en pleine mer sur laquelle il faut coller cette étiquette : attrape qui peut. Journal d'un poète Terentianus Maurus fin du IIe s. Les livres ont leur destin. Habent sua fata libelli. Carmen heroicum, 250 Charles Lutwidge Dodgson, dit Lewis Carroll Daresbury, Cheshire, 1832-Guildford 1898 « À quoi peut servir un livre sans images ni dialogues ? » se demandait Alice. « What is the use of a book », thought Alice, « without pictures or conversation ? » Alice au pays des merveilles, IX Charles Lamb Londres 1775-Edmonton 1834 Les livres pensent pour moi. Books think for me. Pensées détachées sur la lecture Oscar Fingal O'Flahertie Wills Wilde Dublin 1854-Paris 1900 Les livres que le monde appelle immoraux sont ceux qui lui montrent sa propre ignominie. The books that the world calls immoral are books that show the world its own shame. Le Portrait de Dorian Gray Oscar Fingal O'Flahertie Wills Wilde Dublin 1854-Paris 1900 Il n'existe pas de livre moral ou immoral. Un livre est bien écrit ou mal écrit, c'est tout. There is no such thing as a moral or an immoral book. Books are well written, or badly written. That is all. Le Portrait de Dorian Gray, Préface ● livre (expressions) nom masculin (latin librum, accusatif de liber, aubier) À livre ouvert, sans préparation, facilement ou couramment : Lire l'anglais à livre ouvert ; sans qu'il soit possible pour quelqu'un de rien dissimuler : Lire dans quelqu'un à livre ouvert. Comme dans les livres, paré de charmes imaginaires. Livre blanc, recueil de documents sur un problème déterminé, publié par un gouvernement, un organisme. Livre du destin, livre imaginaire sur lequel on suppose écrits tous les événements à venir. Livre électronique, synonyme de e-book. Livre du maître, ouvrage complémentaire d'un manuel scolaire conçu pour aider l'enseignant dans l'utilisation de ce dernier. Livre d'or, livre sur lequel étaient inscrits en lettres d'or les noms des familles nobles dans certaines villes italiennes ; livre où sont inscrits des noms héroïques ou des faits mémorables ; la tradition qui perpétue ces noms, ces faits ; registre où les visiteurs inscrivent leur nom, notent leurs éloges, leurs réflexions et qui est conservé comme souvenir. Ne connaître quelque chose que par les livres, de manière livresque, en théorie et non par l'expérience. Parler comme un livre, de façon savante. Religions du Livre, celles qui sont fondées sur un texte considéré comme révélé (Bible, Évangiles, Coran). Livre d'artiste, œuvre présentée sous forme de livre, entièrement conçue par l'artiste et ne se limitant pas à un travail d'illustration. (Sous sa forme la plus libre, le livre d'artiste devient livre-objet.) Livre foncier (en allemand Grundbuch), registre authentique tenu (dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle) par parcelles cadastrales, et sur lequel sont immatriculés tous les actes de nature à définir la situation juridique des immeubles. Livre de paie, registre obligatoire tenu par l'employeur, et sur lequel figurent toutes les mentions du bulletin de paie des salariés. Grand livre de la dette publique, synonyme de grand-livre. Livre de bord, synonyme de journal de mer. Livre factice, boîte en forme de reliure, imitant un livre relié. (L'usage en remonte au Moyen Âge.) Livre paroissial (ou paroissien), livre de messe (ou missel), livre d'heures, livre de piété, livres à l'usage des fidèles, pour leur donner accès aux textes liturgiques de la messe et de l'office. ● livre (homonymes) nom masculin (latin librum, accusatif de liber, aubier) livre nom féminin livre forme conjuguée du verbe livrer livrent forme conjuguée du verbe livrer livres forme conjuguée du verbe livrer ● livre (synonymes) nom masculin (latin librum, accusatif de liber, aubier) Assemblage de feuilles imprimées et réunies en un volume, broché...
Synonymes :
- bouquin (familier)
- brochure
- opuscule
- volume
Volume imprimé considéré du point de vue de son contenu
Synonymes :
- écrit
- oeuvre
- ouvrage
Ensemble de feuillets portant des reproductions, des dessins, etc.
Synonymes :
- album
Registre, cahier, carnet, sur lequel on note, inscrit quelque chose
Synonymes :
- cahier
- carnet
Finances. Grand livre de la dette publique
Synonymes :
Marine. Livre de bord
Synonymes :
- journal de mer
Synonymes :
- Comptabilité. livre-journal
● livre
nom féminin
(latin libra, ancienne unité de poids des Romains)
Ancienne unité de poids de valeur variable.
Demi-kilogramme : Une livre de beurre.
Unité de masse britannique appelée pound.
● livre
nom féminin
(de livre)
Ancienne monnaie de compte, représentant la valeur d'une livre d'or ou d'argent.
Monnaie réelle, dont la valeur a varié suivant les temps et les lieux (par exemple livre parisis, livre tournois, livre de Flandre).
● livre (homonymes)
nom féminin
(latin libra, ancienne unité de poids des Romains)
livre
nom masculin
livre
forme conjuguée du verbe livrer
livrent
forme conjuguée du verbe livrer
livres
forme conjuguée du verbe livrer
● livre (expressions)
nom féminin
(de livre)
Livre cypriote (ou chypriote), unité monétaire principale de Chypre.
Livre égyptienne, unité monétaire principale de l'Égypte.
Livre irlandaise, Ancienne unité monétaire principale de la république d'Irlande. (Devenue le 1er janvier 1999 une subdivision de l'euro, la livre irlandaise cesse d'exister, au profit de la monnaie européenne, en 2002.)
Livre libanaise, unité monétaire principale du Liban.
Livre maltaise, unité monétaire principale de Malte.
Livre sterling (en anglais pound ou pound sterling), unité monétaire principale de la Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord (symbole £). [À la suite de l'adoption du système décimal par la Grande-Bretagne, la livre sterling, autrefois divisée en 20 shillings, est depuis le 15 février 1971 divisée en 100 pence.]
Livre syrienne, unité monétaire principale de la Syrie.
Livre turque, unité monétaire principale de la Turquie.
● livre (homonymes)
nom féminin
(de livre)
livre
nom masculin
livre
forme conjuguée du verbe livrer
livrent
forme conjuguée du verbe livrer
livres
forme conjuguée du verbe livrer
livre
n. f.
d1./d Unité de masse non officielle, valant un demi-kilogramme, utilisée surtout pour les denrées. Une livre de tomates.
|| Unité de masse anglo-saxonne (en angl. pound) valant 453,59 g., en usage notam. au Canada.
d2./d Unité monétaire du Royaume-Uni et de divers autres pays. Livre sterling (symb.: £). Livre égyptienne. V. tabl. monnaies.
————————
livre
n. m.
d1./d Assemblage de feuilles imprimées formant un volume. Livre broché, relié. Format d'un livre.
|| Loc. à livre ouvert: à la première lecture, sans préparation. Il traduit le grec à livre ouvert.
— Fig. Il est si naïf qu'on lit en lui à livre ouvert.
d2./d Texte imprimé d'un livre. Lire, écrire un livre. Bon, mauvais livre. Livre d'images, de poésie, de grammaire.
|| Fig. Le grand livre de la nature: la nature considérée comme source d'instruction directe.
|| Le livre: l'imprimerie, l'édition. Industrie du livre. Les ouvriers du livre: les ouvriers imprimeurs.
|| Livre électronique: ouvrage stocké sur un disque optique numérique, destiné à la lecture sur écran informatique.
d3./d Subdivision d'une oeuvre littéraire. Les "Fables" de La Fontaine se composent de douze livres. Syn. partie.
d4./d Volume dans lequel sont consignés des renseignements dont on veut conserver la trace; registre.
— DR, COMM Livres de commerce, dans lesquels est enregistré le détail de la comptabilité d'un commerçant. Grand-livre, livre journal.
— MAR Livre de bord: registre (appelé aussi livre de loch) tenu par l'officier de quart, où sont enregistrés tous les renseignements relatifs à la navigation; abusiv., journal de mer, registre tenu par le commandant d'un navire, relatant le voyage qui vient d'être effectué.
— Livre d'or: registre d'apparat que les visiteurs de marque d'un lieu sont invités à signer.
|| (Luxembourg) Livre de classe: document scolaire où sont consignés divers renseignements relatifs à la classe (matières enseignées, devoirs, liste des élèves, etc.).
I.
⇒LIVRE1, subst. masc.
I. — Assemblage de feuilles en nombre plus ou moins élevé, portant des signes destinés à être lus. Synon. bouquin (fam.), ouvrage, volume.
A. — [Le livre comme objet]
1. HIST. DU LIVRE
a) Ouvrage écrit (le plus souvent d'un seul côté) sur un support varié et se présentant sous la forme d'un rouleau. Livre de papyrus; livre sur soie. À la voix du premier (le Dieu des chrétiens) les fleuves rebroussent leur cours, le ciel se roule comme un livre (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 485).
♦ Livres éléphantins.
b) Ensemble de feuilles de parchemin ou de papier écrites des deux côtés et rassemblées en cahiers. Livre de parchemin (synon. codex). Au IVe siècle, les parchemins étant réunis en cahiers et reliés, le livre manuscrit remplace le rouleau (Civilis. écr., 1939, p. 50-8).
2. Ouvrage imprimé, relié ou broché, non périodique, comportant un assez grand nombre de pages. « Le mérite de mes livres », disait sérieusement un bibliophile, qui vient de vendre sa bibliothèque très cher, « le mérite de mes livres, c'est qu'ils n'ont jamais été ouverts » (GONCOURT, Journal, 1885, p. 438). Sans retard, nous commençâmes à composer le livre de Fronfreyde. Ce nous parut un travail tout aisé, très bon pour les débutants, car c'était un livre de vers (DUHAMEL, Désert Bièvres, 1937, p. 129) :
• 1. ... des pièces adjacentes (...) également remplies, débordantes de livres. Pas âme qui vive. Silence. Rien que des livres. On était impressionné. Du parquet au plafond, en rangs serrés sur les rayons, en piles branlantes et de tous les formats, surtout des livres anciens aux belles reliures et des épais in-folio cousus dans leur parchemin...
CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 341.
Rem. En 1964, l'UNESCO a recommandé de n'employer le terme livre que pour des ouvrages comportant au moins 49 pages, pages de couverture non comprises.
— P. métaph. Des bas-reliefs méplats d'une dimension prodigieuse (...); pages d'histoire démesurées, écrites au ciseau sur un colossal livre de pierre (GAUTIER, Rom. momie, 1858, p. 226).
— Livre + compl. déterminatif
♦ Livre de cartes. Recueil contenant principalement des cartes géographiques. Synon. usuel atlas. (Dict. XXe s.).
♦ Livre de dessin. Recueil de dessins à compléter et à colorier, destiné aux enfants. Un ourson de peluche, (...) une petite boîte de crayons de couleurs, et un livre de dessin (ROY, Bonheur occas., 1945, p. 269).
♦ Livre d'images.
♦ Livre de musique. Recueil de pièces musicales. P. métaph. Cette langue fluide, voltigeante et rythmée, qui (...) fait du vocabulaire italien un livre de musique (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 237).
♦ Livre de poche.
— Livre + adj. désignant la couleur de la couverture choisie pour une collection. Les livres roses à deux sous qui publiaient les contes tirés de Shakespeare (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 105). V. album ex. 5.
SYNT. a) concernant la fabrication et la présentation du livre. Composer, imprimer un livre; livre en feuilles, sous presse, en réimpression; brocher, relier un livre; caractères, format, maquette, mise en pages d'un livre; frontispice, titre, gravures, illustrations d'un livre; marges, pages (de garde) d'un livre; dos, plat, tranche d'un livre; livre doré sur tranche; couverture, jaquette d'un livre; coquilles, fautes d'un livre; livre défectueux; livre de luxe; beau livre; livre in-folio, in-octavo, in-quarto. b) concernant la vente et l'achat du livre. Diffuser, éditer, faire paraître, publier un livre; catalogue, collection de livres; livre ancien, neuf, d'occasion, rare; livre de collection; livre dépareillé, épuisé; amateur de livres; livre en souscription, à succès; caisse, rayonnage de livres; emprunter un livre.
3. P. méton. Le livre (souvent avec majuscule)
a) L'imprimerie et ses produits, l'édition. Foire du livre. Commerce, industrie, marché du livre. Cette civilisation du livre qui décline aujourd'hui (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 43). La journée d'action devait s'achever à l'imprimerie Chaix, à Saint-Ouen, occupée depuis près de cinq ans par les travailleurs du Livre (Le Monde, 28 août 1980, p. 24).
b) L'ensemble des personnes travaillant dans l'imprimerie, dans l'édition. Grève du livre. Je suis devenu correcteur, membre de la famille du livre (Le Matin, 30 janv. 1981, p. 11, col. 3).
B. — [Le livre comme œuvre]
1. Ouvrage en vers ou en prose, d'une certaine étendue. Il [A. France] connaît tout des livres, papier, types (...). Sa vie le fait successivement libraire, bibliothécaire, juge des livres, auteur : il est l'homme des livres (VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 31). Achevé hier le récit de mon voyage de Bordeaux à Lisbonne et commencé un livre de souvenirs qui sera sans doute une histoire de ma vie (GREEN, Journal, 1940, p. 12) :
• 2. L'ouvrage de M. Nisard est un livre; il se publie de nos jours bien des volumes; il y a peu de livres; il y a bien des assemblages faits de pièces et de morceaux, il est très-peu de constructions qui s'élèvent selon un plan tracé et sur des fondements qui leur soient propres.
SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 15, 1851-62, p. 207.
— Au sing., à valeur coll. Le livre, la philosophie, la religion, sont les armes dont nos maîtres jouent pour circonvenir, assourdir, ahurir la pauvre monade électorale (J.-R. BLOCH, Dest. du S., 1931, p. 119). Il faut que le héros se modèle tout d'abord sur ces personnages surhumains qu'il a appris à connaître par le livre ou par l'écran (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 164).
— P. méton.
♦ Œuvre importante d'un écrivain. Les grands livres de l'humanité : Plutarque, Shakespeare, Balzac, Sainte-Beuve (BARRÈS, Cahiers, t. 14, 1923, p. 246).
♦ Sujet, contenu, histoire d'un livre. Le livre commence en juillet 1870. Poutillard vit dans une joyeuse société d'étudiants au Quartier Latin. Je te promets que cette partie de mon roman n'engendrera pas la mélancolie (DUHAMEL, Cécile, 1938, p. 98).
SYNT. a) concernant la rédaction du livre. Auteur, contenu, idées, matière, personnages, plan, sujet d'un livre; avant-propos, préface d'un livre; introduction, chapitre, conclusion d'un livre; citations, notes, remarques, table des matières d'un livre; livre posthume. b) concernant la nature ou la destination du livre. Livre d'algèbre, d'histoire, de physique, de théologie; livre de magie; livre de cuisine, de jardinage; livre d'imagination, d'aventures, de poèmes; livre d'art, d'étrennes; livre d'enfant; livre liturgique, pieux; livre élémentaire. c) concernant la lecture du livre. Analyser, résumer, traduire un livre; commencer, ouvrir, feuilleter, lire, parcourir, achever, finir, terminer un livre; compulser, consulter un livre. d) comportant un jugement de valeur. Censurer, critiquer, interdire, saisir un livre; dévorer un livre; livre courageux, neuf, original, stimulant; livre bien/mal écrit, ennuyeux, livre léger, obscène, osé; beau, grand livre; mauvais livre; livre défendu, à l'index.
2. Expr. et loc.
a) Expressions
— Livre de bibliothèque. Livre qui mérite de figurer dans une bonne bibliothèque. Il ne serait pas mal, non plus (...) d'avoir quelques bons ouvrages de littérature. — et ils en cherchèrent, — fort embarrassés parfois de savoir si tel livre était vraiment « un livre de bibliothèque » (FLAUB., Bouvard, t. 1, 1880, p. 15).
— Vx. L'homme d'un seul livre. Homme borné et péremptoire, qui s'attache obstinément à une seule étude, à une seule idée. (Dict. XIXe et XXe s.).
b) Loc. adv.
— À livre ouvert. Facilement, couramment, sans avoir besoin de préparation.
♦ [À propos d'un texte] Traduire à livre ouvert. Racine était un lecteur incomparable. À Auteuil, chez Boileau, Valincour l'entendit, un soir, lire l'Œdipe de Sophocle, à livre ouvert (MAURIAC, Vie Racine, 1928, p. 175).
Au fig. Les gens comme nous peuvent lire dans le cœur l'un de l'autre à livre ouvert (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 181). J'étais presque gêné par ses yeux où j'avais peur qu'il ne me surprît à le lire à livre ouvert (PROUST, Prisonn., 1922, p. 226).
♦ [À propos de musique] Accompagner, chanter, lire la musique à livre ouvert. Lorsqu'on entendit la belle Dinah jouant à livre ouvert sans exécuter la moindre cérémonie pour se mettre au piano, l'idée qu'on se faisait de sa supériorité prit de grandes proportions (BALZAC, Muse départ., 1844, p. 66).
— Vx. À l'ouverture du livre. En ouvrant le livre au hasard. Je suis tombé, à l'ouverture du livre, sur le passage dont j'avais besoin (Ac. 1835, 1878).
c) Loc. verb.
— On ferait un livre de; il y aurait un livre à écrire (sur). Il y aurait matière à remplir tout un livre (de). Elle m'a raconté des histoires étonnantes sur les clochards du quartier, il y aurait un livre à écrire (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 272).
— N'avoir jamais mis le nez dans un livre. Avoir peu lu, être ignorant. (Dict. XXe s.).
— Être toujours (le nez) dans un livre, dans les livres. Être très assidu à l'étude. La Maheude (...) le traitait avec considération, en jeune homme qui la payait exactement, qui ne buvait ni ne jouait, le nez toujours dans un livre; et elle lui faisait (...) une réputation de garçon instruit (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1280).
— Parler comme un livre (souvent iron.). Parler avec facilité et correction, mais de façon trop formelle :
• 3. ... si je dis que la matinée est radieuse, et que minuit sonne à l'horloge, je me trouve, il est vrai, parler comme un livre. Mais je ne l'avais pas dit pour [it. ds le texte] parler comme un livre. Je le dis parce que c'est vrai.
PAULHAN, Fleurs Tarbes, 1941, p. 94.
— Il faut/il n'y a plus qu'à fermer le livre. L'essentiel est dit, il n'y a plus rien à ajouter. (Dict. XIXe et XXe s.).
— Pâlir, sécher sur un livre.
d) MUS. Chant sur le livre. ,,Plain-chant ou contre-point à quatre parties, que les musiciens composent et chantent impromptu sur une seule`` (LITTRÉ). Le déchant était-il une harmonie écrite ou une harmonisation improvisée, appelée plus tard, chez les Français, « chant sur le livre »...? (COUSSEMAKER, Hist. harm. Moy.-Âge, 1852, p. 30).
3. Livre + adj. ou compl. déterminatif, emplois spéc.
a) Domaine relig.
— RELIGION
♦ Livre sacré, livre saint, livre révélé, saint livre. Livre contenant les révélations et les enseignements propres à une religion. Il [Michelet] vient de se plonger dans les livres sacrés de l'Inde et il en sort comme ébloui de soleil (GONCOURT, Journal, 1864, p. 27). Une révélation par laquelle s'exprime notamment le contenu sacré des livres saints, tels la Bible ou le Coran (NAUDON, Fr.-maçonn., 1963, p. 94). V. démoralisant ex. 2.
♦ En partic., au plur. Synon. de Bible. Le meilleur « enseignement » que je puisse vous donner, c'est d'étudier les saints livres, de vous saturer de la Vulgate, de lire surtout le Nouveau Testament, du matin au soir (BLOY, Journal, 1895, p. 206). On soutint (...) que les philosophes grecs avaient plus ou moins directement profité des livres révélés et leur devaient le peu de vérités qu'ils avaient enseignées (GILSON, Espr. philos. médiév., 1931, p. 27).
♦ Livres apocryphes, canoniques, deutéro-canoniques, inspirés.
♦ Gens, religions du livre. Croyants, religions qui se fondent sur des enseignements, des révélations consignés dans un livre (en partic. la Bible). Le Centre des religions du livre de l'École Pratique des Hautes Études. Diriger une Église en terre d'islam, à l'heure où la tendance y est, pour « les gens du livre » (juifs et chrétiens), à un rétablissement du statut de dhimmi (« protégés » jouissant de droits garantis mais limités) (Le Monde, 8 sept. 1981, p. 3, col. 5).
♦ Livre de la loi, livres sibyllins.
— PRATIQUE RELIGIEUSE
♦ Livre de dévotion, de piété, de prières. Livre contenant des prières, des oraisons et servant aux exercices de dévotion. La littérature pouilleuse des livres de dévotion (BLOY, Journal, 1895p. 179). Catéchismes et livres de prières firent leur apparition dans la maison et, l'un après l'autre, les enfants furent amenés à l'église de Saint-Andrew où ils furent baptisés (MAUROIS, Disraëli, 1927, p. 20).
♦ Livre de messe. Livre contenant principalement l'ordinaire de la messe et les fêtes du temporal et du sanctoral. Synon. missel, paroissien. Des petites images de sainteté coloriées, qu'on intercale dans les livres de messe (GONCOURT, Journal, 1886, p. 571).
b) PÉDAGOGIE
— Livre de classe, classique, scolaire. Livre offrant un ,,abrégé de connaissances généralement limité à une discipline et à une classe d'âge`` (Éduc. 1979). Synon. manuel. Il ouvrit la serviette d'écolier qu'il portait sous son bras (...). Là se trouvaient des livres de classe et quelques cahiers (GIDE, Faux-monn., 1925, p. 1001).
— Livre du maître. ,,Document qui accompagne un livre scolaire et qui est rédigé à l'intention des maîtres, soit pour leur donner des conseils pédagogiques sur la façon d'utiliser le livre de l'élève, soit pour leur donner les réponses aux exercices proposés dans le livre de l'élève`` (Éduc. 1979).
c) Livre de prix.
4. Livre + adj. désignant la couleur originelle de la couverture
a) Livre blanc, livre jaune. Recueil de documents officiels, relatifs à un problème politique, économique, diplomatique ou scientifique, destiné à permettre au lecteur de juger sur pièces. Ce que prouve abondamment et surabondamment le livre jaune, c'est que ça n'est pas nous qui avons voulu la guerre (BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1914, p. 120). Le livre blanc du Saint-Siège relatif à la séparation des Églises et de l'État (BILLY, Introïbo, 1939, p. 202) :
• 4. En Grande-Bretagne ni l'investissement ni l'innovation ne sont certes laissées aux seules initiatives privées (...) : des hommes-charnières bien informés et guidés par de bons « livres blancs » assument à cet égard des responsabilités nationales...
PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 557.
b) Livre noir
— Ouvrage de magie, de sorcellerie. (Dict. XIXe et XXe s.).
— Recueil de documents relatif à un problème particulier, publié dans une intention critique. Les diverses organisations regroupées au sein de la Jeunesse en plein air qui viennent de présenter un « livre noir » des conséquences « aberrantes » de cet « éclatement » du calendrier [des vacances scolaires] (Le Matin, 12 déc. 1980, p. 1, col. 4).
5. a) Au plur. Les livres. La lecture, l'étude (par opposition à la vie, à la réalité concrète, à l'expérience). Il n'avait, à dix-sept ans, vécu que par les livres; cette société mondaine et vive l'étonne (GIDE, Journal, 1894, p. 52) :
• 5. Il existe encore, de par le monde, quelques esprits demeurés soupçonneux ou sceptiques en matière d'évolution. Ne connaissant que par les livres la nature et les naturalistes, ils croient que la bataille transformiste se poursuit toujours comme au temps de Darwin.
TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955, p. 149.
— Loc. verb. C'est, ça se passe comme dans les livres. Cela se passe d'une façon idéale et romanesque et non comme dans la réalité. Pourvu qu'on lui débite des paroles choisies, qu'elle ne comprend pas très bien, pourvu qu'on l'embrasse, qu'on se mette à ses genoux, que ça se passe comme dans les livres, enfin, ça lui suffit parfaitement (COLETTE, Cl. à l'école, 1900, p. 142).
b) Loc. adj. De livre. Qui appartient au monde de la fiction romanesque. Héros de livre.
6. Au fig. Ce qui offre une source d'enseignement, de connaissance. Le livre de la nature. Aimer, c'est là tout vivre; Le reste semble peu pour qui lit à ce livre (SAINTE-BEUVE, Consol., 1830, p. 222). Je n'aime lire que les livres qui m'appartiennent : le livre de la vie, par exemple (RENARD, Journal, 1902, p. 758).
II. — En partic. Subdivision d'un ouvrage, constituant ou non un volume séparé. Le mythe qui termine le Xe livre de la République (THIBAUDET, Réflex. litt., 1936, p. 237).
— BIBLE. Une des parties de l'Ancien Testament. Livre de la Genèse, des Psaumes; livres des Rois. J'ai toujours aimé fraternellement ce Sisara dont l'histoire nous est contée au quatrième livre des Juges (MONTHERL., Démon bien, 1937, p. 1237).
♦ Livres historiques, poétiques, prophétiques, sapientiaux.
III. — P. anal.
A. — Cahier, registre servant à écrire, à noter quelque chose. V. casquette ex. 5.
1. a) Livre de comptes, de dépenses. Registre sur lequel on note ses comptes, ses dépenses. V. coin2 ex. 10.
b) Livre de raison (parfois livre de famille). ,,Journal tenu par le chef de famille qui inscrivait, avec ses comptes, les événements tels que naissances, mariages, etc., et ses propres réflexions`` (Ac. 1935). Ainsi, au cours du temps, se composait le Livre de Raison, manuel agricole, code moral à l'usage de la famille, qui marquait les étapes vers le but poursuivi : la pérennité du nom (PESQUIDOUX, Livre raison, 1925, p. X). Voici une note du livre de famille, écrite par son père à son sujet (THIBAUDET, Réflex. litt., 1936, p. 97) :
• 6. ... il aperçut le livre de comptes sur la table, et se rasseyant d'un air sombre, il l'ouvrit machinalement. (...) il avait reconnu le livre [it. ds le texte] de raison de la famille, le vieux registre à couverture de parchemin où successivement Jean Thoiré et la tante Lénette avaient consigné les dépenses et les événements mémorables de la maison.
THEURIET, Mais. deux barbeaux, 1879, p. 143.
c) Livre d'or
— Registre où étaient inscrits en lettres d'or les noms des nobles dans divers États et particulièrement dans la République de Venise; sous la Restauration, registre contenant les noms des pairs de France. Il oublia et la Grande-Bretagne, et son nom inscrit sur le livre d'or de la noblesse, et ses châteaux du Lincolnshire (GAUTIER, Rom. momie, 1858, p. 173).
— Registre destiné à recueillir les signatures et les commentaires des visiteurs. Ce Hollandais, tout poils roux, cordialité, jovialité à l'allemande, gardait un livre d'or pour des visiteurs mondiaux, dans sa maison (BLANCHE, Modèles, 1928, p. 219) :
• 7. Le livre d'or du Matterhorn était resté ouvert sur les inscriptions triomphantes des derniers vainqueurs de la saison, et leur pitié : « Comme le monde serait beau si on le comprenait! »
« Ex altitudine montium ». « Tout seul! »
« Solvitur in excelsis ».
PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p. 255.
— Registre où l'on consigne des noms illustres, des faits mémorables. Au fig. Tradition qui perpétue ces noms, ces exploits. Le livre d'or de l'automobile, de l'aviation.
♦ En partic. Livre d'or (parfois livre d'honneur). Registre d'un établissement scolaire où sont recopiés les meilleurs devoirs des élèves. Il était le seul à avoir passé son premier bac avec la mention Bien, ses devoirs de philo étaient recopiés au livre d'honneur (MONTHERL., Ville dont prince, 1951, I, 1, p. 855). J'accordai donc toujours beaucoup de soin à mes « compositions françaises » si bien que j'en recopiai quelques-unes sur le « livre d'or » (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 71).
d) Livre d'écrou.
2. Spécialement
a) DR. COMM. Livre de commerce, comptable et p. ell. livre. Livre ou fiches de comptes tenu(es) par un commerçant ou une entreprise. Livre d'inventaire; livre des arrivages, des commandes, des expéditions; livre de paye; livre journal. Un homme méticuleux et scrupuleux (...) épris de balances exactes, de livres bien tenus, de comptabilités ordonnées et claires (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 28).
— DR. PUBL. Grand livre, grand-livre (de la dette publique). V. grand(-)livre.
— DR. RÉGION. Livre foncier. Registre officiel des parcelles cadastrales en Alsace et Moselle.
b) ÉLEV. Livre généalogique. Registre sur lequel sont enregistrés les pedigrees des animaux reproducteurs d'une race. Achat de géniteurs inscrits au livre généalogique de leur race (Qq. aspects équip. agric., 1951, p. 23). Des livres généalogiques ont été élaborés pour établir la descendance d'individus d'élite : taureaux (...), chevaux (...), béliers (...) (WOLKOWITSCH, Élev., 1966, p. 78).
c) HIST. Livre rouge. Registre, relié en maroquin rouge, sur lequel étaient inscrites les dépenses secrètes de la Cour sous Louis XV et Louis XVI. (Dict. XIXe et XXe s.).
— Loc. verb. fig., vieilli. Être (inscrit) sur le livre rouge. Être voué à la réprobation publique pour une faute que l'on a commise (Dict. XIXe et XXe s.).
d) MARINE
— Livre de bord. ,,Livre sur lequel le capitaine est obligé de noter tous les incidents de la navigation`` (BARR. 1974). Synon. journal de mer.
♦ P. anal. Journal sur lequel sont régulièrement notés différents événements et les réflexions qu'ils inspirent. Synon. journal de bord. Je n'ai pas déménagé depuis plus de quatre ans. (...) j'ai consulté mes livres de bord et même mon journal intime. Quatre ans! (DUHAMEL, Cécile, 1938, p. 24).
— Livre de discipline. Livre sur lequel le capitaine note les infractions des marins, les crimes et les délits commis à bord. (Dict. XIXe et XXe s.).
— Livre de loch. Journal de timonerie.
♦ P. anal. Je retourne à mon livre de loch, comme disait Byron (BARB. D'AUREV., Memor. 1, 1837, p. 152). Dans ce livre de loch que tu tiens, Olivier, Comme un navigateur qui va vers les surprises (COPPÉE, Poés., t. 2, 1865-1908, p. 143).
B. — Au fig. Registre symbolique sur lequel sont inscrites des personnes.
— [P. réf. à l'Apocalypse 13, 8 et 17, 8] Livre sur lequel sont inscrits les élus. Livre de vie. Cette couronne était le signe du martyre. Et en effet cette reine et le chevalier Porphyre étaient déjà inscrits au livre des récompenses éternelles (FRANCE, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 46).
— Livre du destin, des destinées. Livre sur lequel seraient inscrits les arrêts du destin (à propos d'événements où l'on croit voir quelque fatalité). La caste, institution essentiellement transitoire, fut donc en son temps un progrès (...). Mais déjà le livre des destinées se referme (PROUDHON, Créat. ordre, 1843, p. 456). La victoire à ses yeux était inscrite sur le livre du destin (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 206).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) ) Ca 1100 « assemblage d'un assez grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être lus » (Roland, éd. J. Bédier, 610); ) 1478 livre d'impressure (Doc. ds WOLF (L.) Buchdruck, p. 221); 1488 livre d'impression (Doc., ibid.); ) 1680 livre de musique (RICH.); ) 1821 absol. le livre « l'imprimerie et ses produits » (J. DE MAISTRE, Soirées St-Pétersb., t. 2, p. 16); b) 1580 « œuvre, ouvrage de l'esprit » (MONTAIGNE, Essais, II, 10, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 415); 2. a) 1588 les livres « la lecture, l'étude... » (MONTAIGNE, Essais, III, 3, p. 827); b) 1606 parler livre « parler savamment » (RÉGNIER, Satire, VII, 117 ds Œuvres compl., éd. G. Raibaud, p. 77); 1665 parler comme un livre « id. » (MOLIÈRE, Don Juan, I, 2); 1690 id. p. iron. (FUR.); c) 1673 chanter à livre ouvert (MOLIÈRE, Malade imaginaire, II, 5); 3. 1636 p. métaph. « ce qui peut être déchiffré, interprété comme un texte » (CORNEILLE, Illusion comique, I, 1 : nos destins sont des livres ouverts); 1637 livre du monde (DESCARTES, Discours de la méthode, I, 14 ds LITTRÉ). B. XIIIe s. [ms.] « subdivision d'un ouvrage » (BENOÎT DE STE-MAURE, Chronique des Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, t. 1, p. 64, note). C. 1. a) 1552 [éd.] livre de raison (COTEREAU, Les douze livres de Columelle, p. 41); b) 1598 « cahier, registre sur lequel on peut écrire, noter quelque chose » (CANAL, Dittionario italiano-francese ds FEW t. 5, p. 297a); c) dr. 1675 livre extraict (J. SAVARY, Le Parfait négociant, livre 2, p. 7); d) mar. 1687 livre de bord (ISAMBERT, Recueil gén. des anc. lois fr., t. 20, p. 26, § 9); e) livre d'or ) 1740 « registre où sont inscrits les noms des nobles Vénitiens » (Ac.); ) 1928 « registre destiné à recueillir les signatures et les commentaires des visiteurs » (BLANCHE, loc. cit.); ) 1931 « livre où sont inscrits les noms héroïques ou des faits dont on veut perpétuer la mémoire » (Lar. 20e). Empr. au lat. liber, signifiant proprement « partie vivante de l'écorce » [sur laquelle on écrivait autrefois] et p. ext. « ouvrage; division d'un ouvrage; recueil ». Pour livre de raison, cf. aussi le lat. liber rationis. Fréq. abs. littér. : 27 715. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 35 262, b) 47 893; XXe s. : a) 41 623, b) 37 080.
II.
⇒LIVRE2, subst. fém.
A. — [Unité de mesure]
1. Ancienne unité de poids, divisée en onces, variant selon les provinces de 380 à 552 grammes. Le nouveau canon de maître Guillaume Duisy leur jetait (...) des boulets de cent vingt livres (FRANCE, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 363).
2. [Depuis la Révolution] Cinq cents grammes ou un demi-kilogramme. Livre de café, de sucre; 5 francs la livre. Tout le monde se pèse ici. Je pèse 176 livres (GONCOURT, Journal, 1883, p. 270). Il (...) prit un pain de six livres, en coupa soigneusement une tranche (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Vieux, 1884, p. 133). Il acheta une livre de grosses pêches, et ça fit très peu, et un kilo de poires (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 259).
Rem. La livre est divisible en demi-livre (cf. demi-) et quart de livre. Comme il ne s'agit pas d'une unité de poids officielle, elle varie parfois, notamment à Marseille où elle est de 400 grammes. « Et pourquoi c'est qu'on dirait la livre, si c'était la même chose que le demi-kilo... » (A. BRUN, Le Français de Marseille, Marseille, Inst. hist. de Provence, 1931, p. 112).
3. Région. (Canada). [De 1760 à l'adoption du système métrique] Unité de poids valant 16 onces ou 453,59 grammes (abrév. lb).
B. — [Unité monétaire]
1. Ancienne monnaie de compte correspondant à l'origine à la valeur d'une livre d'argent et passée à moins de cinq grammes lors de l'adoption du système métrique. En 1686 (...) le louis d'or lui-même fut élevé de 10 livres à 11 livres 10 sols (SHAW, Hist. monnaie, 1896, p. 131) :
• Est-il vrai, comme l'assure Louis, que la duchesse de Bouillon ait loué les deux salles de l'hôtel de Bourgogne et du Palais-Royal, pour les six premières représentations, et qu'il lui en coûta quinze mille livres?
MAURIAC, Vie Racine, 1928, p. 103.
♦ Livre parisis. Livre tournois.
2. [Au XIXe s. et au début du XXe s., dans l'expression des revenus et notamment des rentes] Synon. de franc. Quinze cents livres de revenu et ses gages de copiste lui permettaient d'aller, tous les soirs, faire un somme dans un estaminet (FLAUB., Bouvard, t. 1, 1880, p. 8). N'empêche qu'on n'est ni un feignant , ni une bête, lorsqu'on a su mettre de côté douze mille livres de rente (ZOLA, Terre, 1887, p. 52). V. duc1 ex. 4.
3. Livre (sterling). Unité monétaire anglaise. Entre les deux guerres, la dévaluation de la livre fit tomber les cours du charbon (CHENOT, Entr. national., 1956, p. 37). V. bordereau ex. 2.
— P. anal. Unité monétaire de divers pays (à parité avec la livre anglaise, décrochée de sa parité ou alignée sur elle). Livre australienne, égyptienne, israélienne. J'ai loué la maison en votre nom, vingt livres turques pour une année (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 104). V. ajustement ex. 18.
4. Arg., vieilli. Cent francs (somme ou billet). J'avais une « livre » dans une poche et puis des petits sous dans l'autre (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 250).
Prononc. et Orth. V livre1. Étymol. et Hist. 1. a) Fin du Xe s. livra « unité de poids qui varie selon les provinces entre 380 et 552 grammes » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 348); b) 1804 « 500 grammes » (Th. DE SAUSSURE, Recherches chimiques sur la végétation, p. 268 : un poids de quatre kilogrammes [huit livres]... ou d'un demi kilogramme [une livre]); 2. ca 1100 « monnaie de compte représentant un poids d'une livre d'argent » (Roland, éd. J. Bédier, 516); 3. 1653 « unité monétaire anglaise » (LA BOULLAYE LE GOUZ, Voyages et observations, p. 538 : Livre sterlin est un terme Anglois qui signifie un Jacobus de nostre monoye). Du lat. libra (cf. aussi livre « poids », qui a pris secondairement le sens de « balance » (sens également attesté en a. et m. fr.; cf. GDF. et T.-L.); cf. Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain, t. 6, 1980, p. 25). Le sens 3 est un calque de l'angl. pound of sterling (1297 ds NED). Bbg. JUNEAU (M.), L'HEUREUX (R.). La Lang. de deux meuniers... Trav. de ling. québécoise. Québec 1975, pp. 73-74. - QUEM. DDL t. 13.
1. livre [livʀ] n. m.
ÉTYM. 1080; lat. liber « écorce, feuille de liber », sur laquelle on écrivait avant la découverte du papyrus, et, par ext., « livre ».
❖
A Assemblage d'un assez grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être lus. ⇒ 2. Bouquin (fam.), tome, volume; écrit, ouvrage. || Livre manuscrit (⇒ Manuscrit), livre imprimé. || Livre antique, formé d'un rouleau de feuilles écrites (lat. volumen. ⇒ Volume). || Livre moderne, formé de feuilles pliées en cahiers. || Plier des feuillets en livre (→ Feuilleton, cit. 3).
1 Le ciel se retira comme un livre qu'on roule (…)
Bible (Sacy), Apocalypse, VI, 14.
♦ Le livre est à la fois un objet matériel et un moyen d'échanges intellectuels. || Matière, contenu d'un livre (⇒ Texte).
2 (…) un livre n'est rien qu'un petit tas de feuilles sèches, ou alors une grande forme en mouvement : la lecture. Ce mouvement, le romancier le capte, le guide, l'infléchit, il en fait la substance de ses personnages.
Sartre, Situations I, p. 36.
3 Définir le livre est chose malaisée (…) Littré hésite entre une définition matérielle — « réunion de plusieurs cahiers de pages manuscrites ou imprimées » — et une définition demi-intellectuelle — « ouvrage d'esprit (…) d'assez grande étendue pour faire au moins un volume » (…) Le défaut de (…) ces définitions est qu'elles considèrent le livre comme un objet matériel et non comme un moyen d'échange culturel (…) si certaines (…) tiennent compte du contenu du livre, il est curieux qu'aucune ne tienne compte de l'usage qui en est fait. Or un livre est une « machine à lire » et c'est la lecture qui le définit.
R. Escarpit, Sociologie de la littérature, p. 17-18.
1 (1656; livre d'impressure, 1478). Volume imprimé d'un nombre assez grand de pages (opposé à brochure, plaquette), à l'exclusion des périodiques (opposé à revue).
4 Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de morale l'avertissement au lecteur, l'épître dédicatoire, la préface, la table, les approbations, il reste à peine assez de pages pour mériter le nom de livre.
La Bruyère, les Caractères, I, 6.
♦ Composer, imprimer un livre. ⇒ Imprimerie. || Livre à l'impression, sous presse. || Numéroter les pages, les feuilles d'un livre. ⇒ Folio, folioter, pagination, paginer; tomaison, tomer. || Marginer un livre. || Brocher (⇒ Brochage, brocheur, brochure, pliure; assemblage), débrocher; cartonner, décartonner; endosser (4.), nerver, relier (⇒ Reliure) un livre. || Collationner un livre. || Épreuves (cit. 35) d'un livre. || Livre défectueux, incomplet (⇒ Défet). || Éléments, aspect extérieur d'un livre. ⇒ Cahier, feuille, feuillet, page; brochage, cartonnage, coin, dos, emboîtage, fermoir (1. Fermoir, cit. 1), nervure, plat, reliure, signet, tranche, tranchefile, titre. || Couleurs, motifs décorant la tranche, les plats, la couverture d'un livre. ⇒ Dorure, jaspe, marbrure, racinage. || Livre doré, marbré sur tranche. || Livre broché, cartonné, toilé, relié en cuir, basane, chagrin, maroquin. || Couverture, jaquette (2. Jaquette, cit.) d'un livre. — ☑ Loc. Livre de poche, broché, de petit format et à prix modique. ⇒ Poche. — Format d'un livre. ⇒ In-dix-huit, in-douze (cit.), in-folio, in-octavo, in-plano, in-quarto, in-seize, in-soixante-quatre, in-trente-deux, in-vingt-quatre. — Caractères (cit. 5), présentation typographique, typographie, mise en page d'un livre. ⇒ Alinéa, blanc, marge, paragraphe; folio, signature. || Pages de garde d'un livre. || Frontispice, titre, sous-titres d'un livre. ⇒ Titre; intitulé. || Livre rempli de coquilles, de fautes typographiques.
5 Vos livres éternels ne me contentent pas,
Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,
Et laisser la science aux docteurs de la ville (…)
Molière, les Femmes savantes, II, 7.
6 On y voyait, rangée sur des tablettes de chêne, une armée innombrable ou plutôt un grand concile de livres in-douze, in-octavo, in-quarto, in-folio, vêtus de veau, de basane, de maroquin, de parchemin, de peau de truie.
France, la Rôtisserie de la reine Pédauque, VIII, Œ., t. VIII, p. 71.
7 Il me souvient encore des premières sensations de ma vie scolaire : l'odeur spécifique des cahiers vierges et des moleskines cirées des cartables, le mystère des livres tout neufs, roides et presque impénétrables d'abord dans leur armure de colle et de carton; mais qui deviennent assez vite des albums où la vie s'inscrit sous forme de taches, de figures étranges, de notes, de marques et de repères, parfois d'imprécations.
Valéry, Variété IV, p. 193.
♦ ☑ Loc. (1721). Livre noir : ouvrage de sorcellerie, de magie — Livre noir (mod.; mil. XXe) : recueil de témoignages critiques sur une question. — ☑ (1867). Livre blanc (ou bleu, jaune, vert, rouge, gris) : recueil de documents officiels (politiques, économiques, diplomatique…) publié par un gouvernement pour informer l'opinion publique sur une question d'actualité. — ☑ (1968). Le Petit Livre rouge : recueil des pensées politiques de Mao Tsê-tung.
♦ Livre à figures (vx), livre illustré. || Illustrer (cit. 7 et 8) un livre. ⇒ Illustration (cit. 7 et 10); cul-de-lampe, figure, gravure, hors texte, image, planche, vignette. — (1548). || Livre d'images. ⇒ Album. || Livre-album illustré de gravures. ⇒ Keepsake. || Livre de cartes. ⇒ Atlas, portulan. — Livre de bandes dessinées. ⇒ Album, comic book (anglic.).
♦ (1680). Vx. || Livre de musique : partition. — (1670). Spécialt. Vx. || Le livre d'un opéra. ⇒ Livret.
♦ Commerce, vente des livres. ⇒ Éditeur, édition, libraire, librairie; (→ Papetier, cit.). || Faire paraître (cit. 8), faire imprimer un livre. ⇒ Publier; publication (→ Édition, cit. 5). || Fabriquer, faire, produire un livre (avec le v. faire, livre a en général le sens intellectuel). || Livre publié en volume, par fascicules, par livraisons. || Imprimer un livre à ses frais, à compte d'auteur (→ Cénacle, cit. 2). || Droits d'auteur, droits de reproduction d'un livre (⇒ Copyright). || Nombre d'exemplaires d'un livre. ⇒ Tirage. || Livres imprimés en plus du tirage indiqué (bonnes feuilles, exemplaires de passe). || Livres bon marché, livres populaires (⇒ Édition). || Livres chers, luxueux. || Les beaux livres. || Livres à offrir, à la période des cadeaux. || Livres de fonds d'un libraire-éditeur. — (1752). Vx. || Livres d'assortiment. — Livre épuisé, en réimpression. || Rééditer, reproduire un livre épuisé. ⇒ Réimpression, réédition; (anglic.) reprint. || Reproduction anastatique d'un livre ancien. — Marchand, vendeur, revendeur de livres d'occasion. ⇒ Bouquiniste; aussi bouquinerie (1.). || Vieux livres déchirés, dépareillés, écornés (cit. 3), poussiéreux. || Catalogue de livres. — Livres imprimés avant 1500. ⇒ Incunable. || Livres anciens, en éditions rares, originales; livres rares. || Marchand de livres anciens (libraire d'ancien). || Livres imprimés par les Elzévir. ⇒ Elzévir. || Livres de luxe, à tirage limité, dont les exemplaires sont numérotés. || Le service de presse, les exemplaires d'auteur d'un livre. || Livre dédicacé (⇒ Dédicace). || Amateur de livres (⇒ Bibliophile). || Amour, manie des livres. ⇒ Bibliolâtre, bibliophile; bibliomane. || Collection de livres; meuble à livres. ⇒ Bibliothèque (cit. 1, 3 et 7). || Rayonnages remplis de livres; pièce tapissée de livres (→ Aspect, cit. 18). || Pile de livres. — Casier à livres. — Cartable bourré de livres. || Livres d'un écolier; livre de prix. — Couvrir un livre. ⇒ Couverture, couvre-livre, liseuse. || Apposer sa marque sur un livre. ⇒ Ex-libris (cit.). || Couper les pages d'un livre avec un coupe-papier.
8 (…) un bibliophile sérieux ne communique pas ses livres. Lui-même ne les lit pas, de crainte de les fatiguer.
Nerval, les Filles du feu, Angélique, XIIe lettre.
9 C'était un vieil in-quarto, à la tranche d'un rouge fort pâle, vêtu de parchemin grisâtre, un de ces livres massifs dont on présume trop aisément qu'ils ne contiennent que le vide des phrases mortes, de ceux qui font pitié dans les bibliothèques dont ils composent les murs de leurs dos tournés à la vie.
Valéry, Variété V, p. 165.
♦ (1821, J. de Maistre). Absolt. || Le livre : l'imprimerie et ses produits (→ Imprimerie, cit. 3; instrument, cit. 15). || L'histoire du livre. — (XXe). L'activité économique de la production et de la distribution des livres. || Travailler dans le livre. || Les professions du livre. || L'industrie, les industries du livre.
♦ ☑ Allus. littéraire :
10 Ceci tuera cela. Le livre tuera l'édifice (…) Cela voulait dire : — La presse tuera l'Église.
Mais sous cette pensée (…) il y en avait (…) une autre plus neuve (…) (La formule) voulait dire : — L'imprimerie tuera l'architecture.
Hugo, Notre-Dame de Paris, V, II (→ aussi Ceci, cit. 2.).
2 (1080). Ensemble des signes contenus dans un livre et leur signification; texte imprimé reproduit dans un certain nombre d'exemplaires. — Divisions, subdivisions et annexes d'un livre. ⇒ Chapitre, partie, tome, volume; addenda, appendice, argument, avant-propos, avertissement, avis (au lecteur), conclusion, dédicace, épigraphe, épître (dédicatoire, liminaire), erratum, incipit, index, intitulé, introduction, liminaire (note, épître), postface, préface, preuve, prolégomènes, sommaire, supplément, table, tableau, textuaire (note), titre. || Plan d'un livre. || Notes, remarques, renvois d'un livre. || Livre en deux, trois parties (⇒ Diptyque, B.; trilogie). || Dimensions, importance d'un livre. || Livre court (⇒ Opuscule), long (→ Haleine, cit. 19). — (Fin XIIIe). || Livre donnant des renseignements pratiques. ⇒ Almanach, annuaire, barème, catalogue, guide, indicateur, registre, répertoire, vade-mecum. — (1826). || Livre de cuisine (→ Financier, cit. 7). — (1893). Qualifié d'après le contenu, l'utilisation, la nature. || Livre de classe (⇒ Classique), d'enseignement, d'étude. ⇒ Abrégé (I., 1.), aide-mémoire, bibliographie, cours (IV., 3.), dictionnaire, encyclopédie, essai (II., 2.), étude (II., 1.), glossaire, guide, lexique, manuel, memento, mémoire (n. m.), méthode, précis, répertoire, résumé, rudiment, somme, species, thèse, traité, travail, vocabulaire. || Livre de lecture. ⇒ A B C, abécédaire, alphabet (2.), syllabaire. || Livre d'arithmétique, de géographie, de grammaire, d'histoire, de littérature, de logique. → Arithmétique (une arithmétique), etc. || Livres de droit. ⇒ Code, digeste, institutes. — Livre d'art, portant sur un sujet d'art plastique, et, spécialt, livre illustré sur un tel sujet. — Livre d'architecture, de cinéma. — Livres (ou ouvrages) de référence : dictionnaires, encyclopédies, traités, manuels. — Livres de bibliothèque (→ ci-dessous, cit. 10.1). — Livre racontant des événements, une vie, la vie d'hommes illustres (⇒ Annales, autobiographie, biographie, chronique, épitomé, journal, mémoires, souvenirs, vie), livre racontant un voyage (⇒ Itinéraire). || Livre publié pour défendre (⇒ Apologie, défense, éloge), pour attaquer (⇒ Libelle, pamphlet) quelqu'un, quelque chose. || Livre en forme de conversation. ⇒ Dialogue. — Livres de caractère littéraire. ⇒ Genre (II., 3.); conte, nouvelle, pièce (de théâtre), poésie, roman. || Livres de fiction. livres d'enfants, livres pour enfants, pour l'enfance et la jeunesse. — Livres de caractère ésotérique. || Livres d'alchimie (cit. 1), de magie (⇒ Grimoire). || Livres hermétiques (cit. 4), cabalistiques, initiatiques, (1873) sibyllins.
10.1 Il ne serait pas mal, non plus (car on ne peut pas toujours travailler dehors), d'avoir quelques bons ouvrages de littérature; — et ils en cherchèrent, — fort embarrassés parfois de savoir si tel livre « était vraiment un livre de bibliothèque ». Bouvard tranchait la question.
— « Eh ! nous n'aurons pas besoin de bibliothèque. »
Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Folio, p. 67.
♦ (XIIIe). Spécialt. || Livres inspirés (cit. 15), révélés : livres sacrés, saints, divins. ⇒ Bible (cit. 7), canon (2. Canon, I., 2.), écriture (C., 4.); évangile (II.); coran; talmud; véda (→ Christianisme, cit. 10; création, cit. 2; écrire, cit. 20; hébraïque, cit. 2). — Les livres de la Loi (→ 1. Arche, cit. 3). || Livres apocryphes (cit. 1 et 2) et livres canoniques (→ aussi ci-dessous, 3.). — Le livre. || Les religions du livre, celles qui sont fondées sur un texte considéré comme révélé (Bible, Coran…). || Les gens du livre (spécialt) : les juifs et les chrétiens. — Livres religieux, livres liturgiques (⇒ Liturgie). || Le sacramentaire, livre du célébrant dans l'Église primitive. — (1874). || Livre de messe. ⇒ Missel. — Livre de prières. || Livre d'heures. ⇒ Heure (cit. 43). — (1690). || Livres de dévotion, livres pieux (→ Faire, cit. 218). || Livre racontant la vie des saints (⇒ Hagiographie), la passion (⇒ Passionnaire).
11 Ce livre (L'Imitation de Jésus-Christ), le plus beau qui soit parti de la main d'un homme puisque l'Évangile n'en vient pas.
Fontenelle, Vie de Corneille…
♦ L'auteur d'un livre. ⇒ Écrivain. || Le livre de X, son livre. || Son dernier livre est bon, mauvais. — Composer (cit. 28), écrire (cit. 28) un livre, des livres. || Commencer, achever un livre. || Fabriquer (cit. 3), publier des livres. || Faire un livre, des livres (→ Art, cit. 59, La Bruyère; attendre, cit. 72; croître, cit. 4; entier, cit. 19; exécution, cit. 10; inclination, cit. 2). || Faiseur (cit. 8) de livres. || Le meilleur livre d'un auteur. ⇒ Chef-d'œuvre. — ☑ Loc. Être l'homme d'un seul livre (cf. le proverbe cave ab homine unius libri [latin médiéval], et l'expression de saint Thomas d'Aquin, à propos de la Bible : timeo hominem unius libri) : être un auteur dont la notoriété repose sur un seul ouvrage; péj. être borné. || Ensemble des livres écrits par un auteur. ⇒ Œuvre. — Livre allonyme, apocryphe. || Livre publié du vivant, après la mort de l'auteur (⇒ Posthume). || Livre contenant des extraits, des citations, des écrits divers d'un auteur, de divers auteurs. ⇒ Ana, analecte, anthologie (2.), chrestomathie, florilège (cit. 2), recueil; mélanges, miscellanées, variorum.
♦ Les qualités, les défauts d'un livre. — Livre de bon goût (cit. 44), bien écrit. || Beau, bon (cit. 21) livre. || Un grand livre. || Livre instructif (→ Apprendre, cit. 41, Voltaire). || Livre fait d'emprunts. ⇒ Compilation. || Livre hallucinant (cit. 2). || Livre ennuyeux (cit. 6 et 12), plein d'enflure (cit. 3). || Livre badin (→ Badinerie, cit. 1), léger. — (Sur le plan moral). || Les bons, les mauvais livres. || Nous déconseillons ce livre aux adolescents.
♦ Résumer, analyser, critiquer (cit. 1 et 2) un livre. ⇒ Analyse, compte (compte rendu), critique. || Louer un livre (→ Demain, cit. 6). — Carrière, destin, succès, insuccès (cit. 2), échec d'un livre (→ Furieux, cit. 11). || La diffusion, la vente d'un livre. || Livre qui fait du bruit. || Ce livre est un grand succès de librairie (⇒ Best-seller). || Livre traduit en plusieurs langues. ⇒ Traduction. — Expurger le texte d'un livre. || Censurer, interdire, saisir un livre. || Mettre un livre au pilon. || Catalogues des livres interdits par l'Église. ⇒ Expurgatoire, index (cit. 7). || Autorisation ecclésiastique d'imprimer un livre. ⇒ Imprimatur.
12 C'est ici un livre de bonne foi, lecteur.
Montaigne, Essais, Au lecteur.
13 Cet examen nous fournira quelque chose de nouveau et de vrai : c'est la seule excuse d'un livre.
Voltaire, Éléments de la philosophie de Newton, II, VI (→ aussi Apprendre, cit. 41).
14 La fureur de la plupart des Français, c'est d'avoir de l'esprit; et la fureur de ceux qui veulent avoir de l'esprit, c'est de faire des livres.
Montesquieu, Lettres persanes, LXVI.
15 J'ai la maladie de faire des livres, et d'en être honteux quand je les ai faits.
Montesquieu, Pensées diverses, Portrait de Montesquieu par lui-même.
16 Il y a des gens qui mettent leurs livres dans leur bibliothèque, mais M… met sa bibliothèque dans ses livres.
Chamfort, Fragments inédits, Les compilateurs.
17 Un livre qu'on soutient est un livre qui tombe.
Rivarol, Notes, Pensées et Maximes, t. I, p. 78.
18 Écrire un livre ou écrire un ouvrage sont deux choses. On fait un ouvrage avec l'art, et un livre avec de l'encre et du papier. On peut faire un ouvrage en deux pages, et ne faire qu'un livre en dix volumes in-folio.
Joseph Joubert, Pensées, XXIII, CCXV.
19 Trois choses sont nécessaires pour faire un bon livre : le talent, l'art et le métier, c'est-à-dire la nature, l'industrie et l'habitude.
Joseph Joubert, Pensées, XXIII, LXXXI.
20 — Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène.
Verlaine, Poèmes saturniens, Prologue.
21 Un bon mot vaut mieux qu'un mauvais livre.
J. Renard, Journal, 18 janv. 1895.
22 Tout livre qu'un autre que son auteur aurait pu écrire est bon à mettre au panier.
Paul Léautaud, Propos d'un jour, Notes retrouvées, p. 58.
23 Les hommes ont inventé le livre pour soulager leur mémoire. Ce qu'ils déposent dans les livres, c'est ce qu'ils veulent conserver.
G. Duhamel, Défense des lettres, I, I.
♦ Lecture d'un livre, des livres. ⇒ Lecture (cit. 1, Descartes). || Lire, feuilleter (cit. 3 et 4), parcourir (cit. 4) un livre. ⇒ Lecteur (cit. 3 et 7), lire (3.). || Compulser, consulter un livre. — Commencer, ouvrir; terminer, fermer (cit. 13), finir un livre. || Mettre un signet dans un livre. || Corner les pages d'un livre. || Relire un livre. || Relever des passages (cit. 19) d'un livre. || Livre de chevet. ⇒ Bible, catéchisme, coran (fig.). || Dévorer (cit. 8) un livre, dévoreur de livres (→ Avaler, cit. 11 et 12). ⇒ Bibliophage (fig.). — ☑ Allus. littér. || « La chair (cit. 59) est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres » (Mallarmé). || « Lecteur… jette ce livre saturnien… » (→ Hystérique, cit. 1, Baudelaire). || « Nathanaël, à présent, jette (cit. 15) mon livre » (Gide).
♦ (1588). || Les livres : la lecture, l'étude, l'érudition, la science, la théorie; les livres de qqn, ceux qu'il doit, qu'il devrait lire, consulter. || Le commerce, la fréquentation (cit. 9) des livres; l'abus des livres (→ Dispenser, cit. 18). — Manier les livres (→ Érudition, cit. 5). — Dans le contexte des études. || Il n'a pas ouvert ses livres (→ Examen, cit. 15). || Se coller sur, mettre le nez, se plonger dans les livres (→ Immersion, cit. 4). — (Av. 1613). || Pâlir, sécher sur ses livres. || Trop se fier à ses livres (→ Fonds, cit. 14). — Les livres et la vie, et la pratique (→ École, cit. 16; érudit, cit. 8; expérience, cit. 21; jugement, cit. 10). || Ne connaître une chose que dans les livres, que par les livres, en avoir une connaissance livresque. || S'instruire, apprendre dans les livres. || « Un prince dans un livre apprend (cit. 5) mal son devoir » (Corneille).
24 C'est pourquoi (il) faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce que y est déduit (…) vous convient être sages pour fleurer, sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse (…) puis, par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l'os et sucer la substantifique moelle.
Rabelais, Gargantua, Prologue (→ Graisse, 1., fig.).
25 Bons Dieux ! Qui voudrait louer
Ceux qui collés sur un livre
N'ont jamais souci de vivre ?
Ronsard, 2e livre des Odes, Ode XVIII.
26 (Le commerce des livres) a pour sa part la constance et facilité de son service (…) il me console en la vieillesse et en la solitude. Il me décharge du poids d'une oisiveté ennuyeuse : et me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent. Il émousse les pointures (piqûres) de la douleur (…) Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres (…)
Montaigne, Essais, III, III.
27 Prends-moi le bon parti : laisse là tous les livres.
Boileau, Satires, VIII.
28 Je hais les livres; ils n'apprennent qu'à parler de ce qu'on ne sait pas.
Rousseau, Émile, III.
29 (…) je mets les bons livres parmi les choses absolument nécessaires.
Voltaire, Correspondance, 3085, 3 avr. 1767.
30 Un bon livre est un bon ami.
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, p. 117.
31 Hélas ! ce sont les livres qui nous donnent nos plus grands plaisirs, et les hommes qui nous causent nos plus grandes douleurs.
Joseph Joubert, Pensées, XXIII, CCVIII.
32 Les livres ne changent point le monde, dit Voltaire. Cependant il remarque ailleurs que tous les peuples obéissent à des livres, et ceci est plus juste. Les livres n'agitent guère les nations, mais ils les conduisent.
É. de Senancour, De l'amour, Notes, 2.
33 Eh ! Depuis quand un livre est-il donc autre chose
Que le rêve d'un jour qu'on raconte un instant;
Un oiseau qui gazouille et s'envole; — une rose
Qu'on respire et qu'on jette, et qui meurt en tombant —
Un ami qu'on aborde, avec lequel on cause,
Moitié lui répondant, et moitié l'écoutant ?
A. de Musset, Premières poésies, « Namouna », II, VII.
34 Nous vivons trop dans les livres et pas assez dans la nature (…)
France, le Jardin d'Épicure, p. 107.
♦ ☑ Loc. (1665; parler livre, 1605). Parler comme un livre. ⇒ Doctement, sagement, savamment (→ 1. Faux, cit. 40). — ☑ (1690; « sans préparation », 1673, cit. 35). À livre ouvert (aperto libro) : couramment. || Traduire une langue à livre ouvert. || Déchiffrer, chanter un air de musique à livre ouvert.
35 (…) chanter ainsi à livre ouvert, sans hésiter.
Molière, le Malade imaginaire, II, 5.
36 Il semble que vous ayez appris cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre.
Molière, Dom Juan, I, 2.
♦ ☑ (1677). On ferait un livre de… : il y aurait matière à remplir tout un livre pour raconter, décrire (telle ou telle chose).
37 Quel gros livre ne ferait-on point de ses perfections (…)
Mme de Sévigné, 660, 7 oct. 1677.
♦ ☑ Loc. Ça se passe (ça ne se passe pas) comme dans les livres.
3 (XIIIe, Benoit de Sainte-Maure). Spécialt. Chacune des parties (d'un ouvrage), qu'elle constitue ou non un volume séparé. ⇒ Partie. || Les livres d'un code, d'un traité. || Ce volume, ce tome contient les trois premiers livres du traité. || Les trente et un livres de l'Esprit des lois; les cinq livres de l'Émile de Rousseau. || Le Tiers (troisième), le Quart (quatrième) livre des faits et dits héroïques du noble Pantagruel (Rabelais). || Épopée en plusieurs livres. ⇒ Chant. (Bible). || Les cinq, les huits premiers livres de l'Ancien Testament (⇒ Pentateuque, octateuque). || Les livres historiques, poétiques, sapientiaux (de la sagesse), prophétiques. || Le livre de l'Ecclésiaste (cit. 3).
38 Il me semble que le second livre de l'Énéide, le quatrième, et le sixième, sont (…) au-dessus de tous les poètes grecs et de tous les latins, sans exception (…)
Voltaire, Dict. philosophique, Épopée.
4 (1637; → cit. 39). Métaphore. Ce qui peut être déchiffré, interprété, comme si l'on y trouvait déposées certaines connaissances. || Le livre de la nature, du monde (→ Avoisiner, cit. 5; étude, cit. 9). || Tenter de lire dans le livre du destin, de l'avenir. || Le livre intérieur (→ Explorer, cit. 7; exprimer, cit. 30).
39 Rien n'est secret pour lui dans tout cet univers,
Et pour lui nos destins sont des livres ouverts.
Corneille, l'Illusion comique, I (1636).
40 (…) Chacun a quelque chose en l'esprit,
Et tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit.
Hugo, les Contemplations, I, VI.
41 Sylvie connaissait la vie. Et c'est le Livre des Livres. Ne le lit pas qui veut. Chacun le porte en soi, écrit de la première à la dernière ligne.
R. Rolland, l'Âme enchantée, t. I, p. 96.
1 Cahier, registre sur lequel on peut écrire, noter quelque chose. ⇒ Album (cit. 1), carnet, registre; keepsake. || Noter quelque chose sur un livre (→ Fiche, cit. 1). || Livre des punitions (→ Cahier, cit. 4). || Le livre de comptes d'une ménagère, d'un maître d'hôtel (→ Friser, cit. 2). || Livre de dépenses.
42 (…) il regrettait jusqu'aux dîners dispendieux qu'il avait offerts à la jeune fille (…) et desquels il eût pu dire le coût, en fils de valet de chambre qui venait tous les mois apporter son « livre » à mon oncle. Car livre, au singulier, qui signifie ouvrage imprimé, pour le commun des mortels, perd ce sens pour les Altesses et pour les valets de chambre. Pour les seconds il signifie livre de comptes; pour les premières le registre où on s'inscrit.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XI, p. 243.
♦ (1556). Anciennt. || Livre de raison : grand-livre des commerçants et aussi « Journal tenu par le chef de famille qui inscrivait, avec ses comptes, les événements tels que naissances, mariages, etc., et ses propres réflexions » (Académie). || Le livre de raison, ouvrage de J. de Pesquidoux (1925).
♦ ☑ (1740). Le Livre d'or : registre sur lequel étaient inscrits en lettres d'or les noms de famille nobles; mod., registre destiné à l'inscription des noms glorieux, à la réunion de commentaires élogieux.
♦ (XIIIe). Relig. || Livre de vie, où sont inscrits les élus (Apocalypse, 13, 8; 17, 8).
2 (1675, livre extraict). Dr. comm. || Livres de commerce. || Livres obligatoires : livre journal (⇒ Journal, I., cit. 1); livres des inventaires et des bilans, livre de copie de lettres. || Livres facultatifs : grand livre : livre d'extraits où l'on enregistre et classe les articles du livre journal; livre où l'on note les opérations au fur et à mesure qu'elles se font (⇒ 2. Brouillard); livre de caisse; livre des échéances, des traites et billets, des factures, des recettes. ⇒ Comptabilité (cit.). — (1679). || Livre en partie double. — Absolt. || Les livres (→ Banqueroutier, cit. 2). || Tenir les livres. || Porter, inscrire sur les livres.
43 L'anabaptiste Jacques en fit son teneur de livres.
Voltaire, Candide, IV.
44 La conscience d'un honnête homme, lui dis-je, est le meilleur grand-livre.
Balzac, Mme de La Chanterie, Pl., t. VII, p. 277.
♦ Dr. publ. || Livre, grand livre (ou grand-livre) de la Dette publique, contenant toutes les rentes inscrites au profit de créanciers de l'État. ⇒ Dette (2.). — Milit. || Livre de compagnie, de détail, de police. — Dans une prison. || Livre d'écrou.
3 (1687). Mar. || Livre de bord d'un navire (cf. Code commercial, art. 224). — Fig. || Livre (ou carnet) de bord : journal. — Livre de discipline, sur lequel le capitaine doit inscrire les infractions, crimes et délits commis à bord. — (1867). || Livre de loch : journal de timonerie.
4 Zool. || Livres généalogiques. ⇒ Flock-book, herd-book, stud-book.
❖
DÉR. Livresque, livret.
COMP. Appui-livres, couvre-livre, serre-livres. Livre-horaire, livre-objet. — V. aussi à l'article.
————————
2. livre [livʀ] n. f.
ÉTYM. XIe; livra, 980; lat. libra « mesure de poids ». → 2. Lire.
❖
———
1 Anciennt. Unité de poids, qui variait, selon les provinces, entre 380 et 550 grammes (489 grammes à Paris). || La livre se divisait en onces. || Poids d'une livre. || Cinq, cent, mille livres (→ Beaume, cit. 5; gueuse, cit.; gabelle, cit. 2). || Une carpe de quatre livres (→ Frire, cit. 1).
1 Ce qui fait que, de suif, elle use plus de livres
Qu'un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres.
Baudelaire, Premiers poèmes, XXIV.
♦ ☑ Allus. littér. La livre de chair (réclamée par l'usurier Shylock, dans le Marchand de Venise de Shakespeare).
1.1 Après les mots « mendiant espagnol », une annotation indiquait d'éviter cette métaphore pour les pays de langue espagnole, et de la remplacer par Shylock réclamant sa livre de viande (à éviter celle-là dans le centre Europe et les milieux sionistes)…
Giraudoux, Siegfried et le Limousin, p. 171.
2 (1804). Mod. Un demi-kilogramme; cinq cents grammes. || Acheter une livre de sucre, de café… || Demi-livre, quart de livre (⇒ Quart). || Une livre et demie. || Haltère (cit. 2) de trente livres.
2 Un pain de dix livres était sur la huche, avec un couteau.
Zola, la Terre, II, II.
3 (Au Canada). Unité de poids valant 16 onces, ou 0,45359 kg (symb. lb). ⇒ Pound (anglic.). || Acheter deux livres de sucre. || « (L'orignal) devait peser plus de douze cents livres » (P. Villeneuve).
———
II (Unité monétaire).
1 (1080). Anciennt. Monnaie de compte, représentant à l'origine un poids d'une livre d'argent, et moins de cinq grammes à l'établissement du système métrique (1801). ⇒ Franc (3. Franc, cit. 2). || Trois livres (⇒ Écu), vingt-quatre livres (⇒ Louis). — (1538). || Livre tournois. || La livre tournois valait vingt sous, deux cent quarante deniers. — (1690). || Livre parisis (vingt-cinq sous). || Payer six livres d'impôt (→ Imposer, cit. 51). || Avoir plusieurs milliers de livres de rente (→ Apporter, cit. 16; autour, cit. 16; bon, cit. 7; concerner, cit. 1). — REM. En parlant d'une rente, livre s'est encore employé pour « franc » au XIXe siècle (→ Espérance, cit. 48; feignant, cit. 1; fixe, cit. 10; fonds, cit. 6).
3 Je me borne à un profit raisonnable; je me contente de la livre pour sou, je veux dire, du sou pour livre.
A. R. Lesage, Gil Blas, I, XV.
4 (…) Charlemagne ayant ordonné que le sou d'argent serait précisément la vingtième partie de douze onces, on s'accoutuma à regarder dans les comptes numéraires vingt sous comme une livre.
Voltaire, Essai sur les mœurs, XIX.
5 — Douze cent mille livres de rente, le titre de prince, des grandesses et des économies (…)
Balzac, Vautrin, III, 10.
2 (1653). Mod. Unité monétaire britannique. || Livre sterling (symb. £). ⇒ Sterling; souverain. || La livre vaut vingt shillings. — Par anal. || Livre irlandaise (avant l'euro). || Livre chypriote, égyptienne, libanaise, maltaise, syrienne, turque.
Encyclopédie Universelle. 2012.