ROMAN
QUAND un genre littéraire, depuis plus de deux mille ans, produit par milliers des œuvres de qualité, et ce dans la plupart des grandes littératures – c’est le cas de ce qu’on appelle aujourd’hui en français le roman – qui, sans ridicule, songerait à dresser en quelques pages soit un inventaire du genre, soit un exposé détaillé de toutes les questions qu’il pose depuis sa ou ses genèses jusqu’à son éclatement actuel, éclatement qui se prépare depuis un siècle au moins, éclatement du reste contemporain d’une floraison sans précédent de romans de toute facture, et de valeur esthétique aussi peu comparable que les romans-photos et ceux de Maurice Blanchot? Rien que sur l’histoire du roman autrichien au XXe siècle, on peut aligner sans effort six cents pages.
Nous ne pouvions donc prétendre qu’à proposer une problématique générale ou, plus modestement, un état présent de cette problématique. Dans l’espèce de bilan que nous dressons, si des littératures qui depuis un siècle nous enchantent, comme la russe ou l’américaine, ne semblent pas avoir le relief que nous leur accordons en fait, c’est tout simplement que le roman n’y prospère que depuis un siècle ou un siècle et demi et que, par conséquent, dans une perspective universelle, il convenait de restituer à chaque domaine langagier la part qui fut la sienne dans l’histoire et la problématique d’un genre plusieurs fois millénaire.
C’est d’ailleurs une Française, Claude-Edmonde Magny, qui la première célébra l’«âge du roman américain». Nul ne doute désormais du rôle qu’ont joué depuis 1850 les romanciers russes, et les américains depuis 1920. Cela, au moment où l’Europe s’interrogeait sur la survie ou non d’un genre que le fait divers semblait dangereusement concurrencer. Qu’est-ce que La Tête vide de Raymond Guérin, sinon le dossier authentique d’un procès criminel? Il parut trop tôt pour être goûté des Français autant qu’un peu plus tard le sera l’auteur américain d’une entreprise analogue: Truman Capote.
Alors que Guerre et Paix ou Sur le Don paisible semblaient réconcilier les romanciers avec le matériau et le ton de cette épopée, dont on affirme souvent qu’ils sont les héritiers naturels, et que, faisant coïncider une histoire avec l’histoire, ils renforçaient ainsi la position théorique d’un genre contesté, l’Oblomov de Gontcharov prouvait qu’un aboulique, bref un anti-héros, pouvait fournir un excellent personnage. Il est vrai que cette loque d’Oblomov reste un caractère, et quel! et de quelle cohésion!
Chez Dostoïevski, les personnages retrouvent la grandeur, et quand ce serait celle du crime; grandeur imprévisible, incohérente. L’homme n’est plus seulement double, comme chez saint Paul, mais triple. Étriplé , dirait Aragon. Éclaté. Au premier rang de ceux qui contribuèrent à déconsidérer la notion même de caractère , il faut assurément compter ce romancier russe. On sait de quelle importance fut pour Gide sa rencontre avec Dostoïevski.
C’est d’autres signes que le roman américain a marqué notre temps. Encore que Melville et Henry James soient désormais mis en Europe à leur juste place (et que peut-être l’Europe ait contribué à les rendre plus familiers aux Américains eux-mêmes), c’est avec les écrivains de la lost generation et de l’école de Chicago que les États-Unis ont agi sur l’histoire et la technique du roman.
Avant d’autres, et plus intensément que d’autres, les Américains du XXe siècle appliquèrent au roman le ton du reportage et le style du journaliste. Leurs séjours (très souvent prolongés) dans les studios de Hollywood leur ont parfois permis d’heureusement confondre l’écran et la page blanche; John Brown estime que les «mauvaises habitudes» de scénariste n’ont jamais complètement corrompu les plus doués. Si Dreiser et Sinclair Lewis devaient beaucoup au naturalisme européen, le roman européen d’aujourd’hui doit beaucoup plus encore à tous les Américains que Gertrude Stein rassemblait autour d’elle à Paris, à tous ceux qui, après 1918 et après 1945, séjournèrent en Europe: Hemingway, Scott Fitzgerald, Henry Miller, Richard Wright. Le même Sartre qui saluait en Dos Passos «le plus grand écrivain de notre époque» doit plus qu’un peu son roman, du reste inachevé, à la technique américaine. On a beau le répéter à la nausée, il est vrai, aussi, que le premier roman de Camus ne serait pas ce qu’il est si l’auteur de L’Étranger n’avait pratiqué les Américains qu’on lisait en France durant l’entre-deux-guerres. Bien qu’il traite d’un univers particulier, le deep South , Faulkner réussit à imposer en Europe sa technique du découpage et sa façon de tricher avec le temps, au point que bien des romans éclatés y voient le jour, qui n’ont pas les justifications de leur modèle. Et le même Malraux, dont plus d’un personnage est quasiment dostoïevskien, sut déceler chez Faulkner «l’intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier».
Les nombreuses monographies d’auteurs américains et russes auxquelles renverra cet ensemble sur le roman manifesteront que si, parce qu’elle est millénaire, l’Europe y semble avoir la part du lion, les grands romanciers de partout sont ici traités sans considération de passeport. Et non pas les seuls Russes, les seuls Américains. Voici en effet surgir d’Amérique latine une littérature de valeur universelle (un peu plus jeune encore que l’américaine); et voici que les romanciers japonais – Natsume S 拏seki, Kawabata Yasunari, Tanizaki Jun.ichir 拏, Mishima Yukio – s’intègrent à leur tour dans la culture de l’homme blanc; avant même que de vrais romanciers chinois succèdent bientôt, souhaitons-le, à tous ceux qui, depuis l’Histoire des Trois Royaumes jusqu’à Maodun, Ba Jin et Lao She, ont illustré soit le xiaoshuo traditionnel, soit le roman chinois occidentalisé. Tous ceux-là, d’autres encore, ont ici leur monographie.
Que d’autre part, entre Balzac et le «nouveau roman» (peut-être même plus tôt), l’Europe occidentale ait été à l’origine d’incertitudes passionnantes et d’interrogations passionnées sur ce que peuvent être ou doivent devenir les personnages et la technique du roman, qui le niera? Comme il est patent que, si le nouveau roman se réclame aujourd’hui d’ancêtres qui ne sont pas tous
français, les laboratoires dont il est sorti, les réflexions théoriques qui l’ont soit défini a priori, soit justifié a posteriori sont installés ou furent élaborées sur la rive gauche de la Seine. Si L’Ère du soupçon , si les traités de Ricardou étaient parus à New York ou à Moscou, c’est en U.R.S.S., c’est aux États-Unis que nous aurions étudié l’évolution qui, du Lazarillo de Tormes à Beckett en passant par Sterne, Balzac, Dostoïevski, Ivy Compton-Burnett, Flaubert, Joyce, Proust, a bouleversé l’idée qu’on s’était formée d’un genre dont les noms eux-mêmes prouvent qu’il n’était pas facile à cerner: l’anglais hésite entre romance et novel , le japonais entre monogatari et sh 拏setsu.
Enfin, si nous traitons plus généreusement qu’on ne le fait d’ordinaire les romans de la Chine, de l’Inde ou du Japon, c’est pour nous situer dans une visée universelle. Or, par exemple, l’histoire et l’évolution du roman japonais contredisent absolument toutes les théories élaborées en Europe sur le roman en général. Cela valait bien quelques phrases, ce semble, et même une mention de cet Ochikubo monogatari , encore inconnu des Français, capital pourtant si l’on étudie la problématique du genre.
1. roman [ rɔmɑ̃ ] n. m.
• romanz 1135 ; lat. pop. °romanice « à la façon des Romains » (opposé aux mœurs et au langage des Francs)
I ♦ (1135 « langue commune » : le français d'alors [ancien français], opposé au latin; XVIe en ling.) Ling. Langue courante, populaire, issue du latin populaire oral, parlée autrefois en France (le latin écrit étant la langue savante) et antérieure à l'ancien français. ⇒ gallo-roman. Une décision du concile de Tours (813) invite les prêtres à prêcher en roman et en germanique.
♢ (1870) Langue latine vulgaire parlée dans les pays romanisés (la « Romania »); ensemble des langues romanes entre le Ve et le IXe s.
II ♦
1 ♦ (1140) Hist. littér. Récit en vers français (en roman), puis en prose, contant des aventures fabuleuses ou merveilleuses, les amours de héros imaginaires ou idéalisés. Le Roman d'Alexandre. « Le Roman de Tristan », de Béroul. Le Roman de la Rose. Le Roman de Renart, parodie des romans courtois.
2 ♦ (XVIe) Mod. et cour. Œuvre d'imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures; (le roman) genre littéraire romanesque. Romans et nouvelles. ⇒aussi récit. Les romans de Mme de La Fayette, de Stendhal, de Dumas. « Le roman est un vaste champ d'essai qui s'ouvre à toutes les formes de génie, à toutes les manières. C'est l'épopée future, la seule probablement que les mœurs modernes comporteront désormais » (Sainte-Beuve). Héros de roman. Auteur de romans. ⇒ romancier. Ça se lit comme un roman, facilement. Personnage, héroïne de romans. Roman à succès. — Roman d'imagination, roman historique. Roman par lettres. Roman à clé. Roman d'amour, d'aventures, roman de cape et d'épée. Roman policier. Roman noir : genre emprunté aux Anglais, récit d'aventures macabres, de brigands, de fantômes; mod. roman (policier) où abondent les violences criminelles (cf. Série noire). Roman d'anticipation, de science-fiction. Roman à l'eau de rose, bénin et prêchant les bons sentiments. — (1930) Roman-fleuve : roman très long présentant de nombreux personnages de plusieurs générations. Des romans-fleuves. ⇒ saga. — Roman-feuilleton . ⇒ feuilleton (3o).
♢ (v. 1950; photoroman 1949) Roman-photo : récit romanesque présenté sous forme d'une série de photos accompagnées de textes succincts souvent intégrés aux images. Des romans-photos. — Roman tiré d'un scénario (⇒ novélisation) . — Péj. Roman de gare.
♢ Cela n'arrive que dans les romans : c'est invraisemblable. Fig. C'est tout un roman, une longue histoire invraisemblable ou très compliquée. Ils ont vécu un beau roman d'amour.
♢ Genre particulier de romans. Le roman noir me plaît mieux que le roman d'anticipation. — Le nouveau roman : tendance du roman français des années 1960-1970, se réclamant d'une description objective, récusant l'analyse psychologique et la narration traditionnelles.
⊗ HOM. Romand.
roman 2. roman, ane [ rɔmɑ̃, an ] adj.
• 1596; de 1. roman
1 ♦ Ling. vieilli La langue romane : le roman (1o). — Par ext. Qui appartient à cette langue, est écrit en cette langue. Le texte roman des Serments de Strasbourg.
♢ Relatif aux peuples conquis et civilisés par Rome (la « Romania »). Les langues romanes, issues du latin populaire. ⇒ catalan, espagnol, français, italien, portugais, occitan, rhéto-roman, roumain, sarde. Langues romanes et langues germaniques. — Par ext. Relatif aux langues romanes. La linguistique romane (⇒ 2. romaniste) .
2 ♦ (1818; autrefois désigné sous le nom de gothique) Relatif à l'architecture médiévale d'Europe occidentale (de la fin de l'État carolingien à la diffusion du style gothique), art caractérisé par la prédominance de l'architecture religieuse (plan basilical, voûte), la variété régionale des styles, le développement d'une iconographie abondante. Église romane. Sculpture romane. Chapiteaux romans. — Par ext. De l'époque romane. Les ferronniers romans.
♢ N. m. (1837) L'art, le style roman. Le roman auvergnat.
● roman nom masculin Langue dérivée du latin, qui était parlée entre le Ve et le Xe s. dans l'ensemble de la Romania (par opposition au latin, qui restait la langue écrite) et qui se différenciait selon les régions où elle était parlée en gallo-roman, hispano-roman, italo-roman, etc. Art roman. ● roman nom masculin (de roman) Œuvre d'imagination constituée par un récit en prose d'une certaine longueur, dont l'intérêt est dans la narration d'aventures, l'étude de mœurs ou de caractères, l'analyse de sentiments ou de passions, la représentation du réel ou de diverses données objectives et subjectives ; genre littéraire regroupant les œuvres qui présentent ces caractéristiques. À l'origine, œuvre narrative en prose ou en vers, écrite en langue romane (le Roman de la Rose, le Roman de Renart, par exemple). Histoire compliquée dénuée de vraisemblance : Cela m'a tout l'air d'un roman. ● roman (homonymes) nom masculin roman adjectif romand adjectif ● roman (citations) nom masculin (de roman) Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 L'extraordinaire du roman, c'est que pour comprendre le réel objectif, il invente d'inventer. Les Cloches de Bâle Denoël Jules Huot de Goncourt Paris 1830-Paris 1870 et Edmond Huot de Goncourt Nancy 1822-Champrosay, Essonne, 1896 L'histoire est un roman qui a été, le roman est de l'histoire qui aurait pu être. Journal Fasquelle Louis Poirier, dit Julien Gracq Saint-Florent-le-Vieil, Maine-et-Loire, 1910 Quand il n'est pas songe, et, comme tel, parfaitement établi dans sa vérité, le roman est mensonge […]. Lettrines José Corti Isidore Ducasse, dit le comte de Lautréamont Montevideo 1846-Paris 1870 Le roman est un genre faux, parce qu'il décrit les passions pour elles-mêmes : la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'est rien ; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Poésies, I Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Raconter les événements, c'est faire connaître l'opéra par le livret seulement ; mais si j'écrivais un roman je tâcherais de différencier les musiques successives des jours. Chroniques, Vacances de Pâques Claude Roy Paris 1915-Paris 1997 Un roman est l'histoire des jours où une vérité se fait jour. Descriptions critiques, Aragon romancier Gallimard Henri Beyle, dit Stendhal Grenoble 1783-Paris 1842 Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Le Rouge et le Noir Roger Vailland Acy-en-Multien, Oise, 1907-Meillonnas, Ain, 1965 Un roman commence par un coup de dés. La Fête Gallimard ● roman (expressions) nom masculin (de roman) C'est tout un roman, c'est une longue histoire compliquée. Roman d'amour, idylle romanesque. Roman familial, fantasme dans lequel le sujet imagine être né de parents de rang social élevé, tandis qu'il dédaigne les siens, pensant être un enfant adopté par eux. ● roman (homonymes) nom masculin (de roman) roman adjectif romand adjectif ● roman, romane adjectif (ancien français romanz, langue vulgaire, du latin populaire romanice, à la façon des Romains) Se dit des diverses langues vivantes issues du latin vulgaire. Qui concerne l'étude de ces langues : Linguistique romane. Se dit de l'art qui s'est épanoui en Europe occidentale aux XIe et XIIe s. ● roman, romane (expressions) adjectif (ancien français romanz, langue vulgaire, du latin populaire romanice, à la façon des Romains) Tuile romane, tuile de terre cuite à emboîtement, comportant une partie plate et une partie semi-tronconique. ● roman, romane (homonymes) adjectif (ancien français romanz, langue vulgaire, du latin populaire romanice, à la façon des Romains) roman nom masculin romand adjectif
roman, ane
n. m. et adj.
rI./r n. m. LING Le roman: la langue populaire issue du latin, parlée en France avant l'ancien français (c.-à-d. av. le IXe s.).
rII./r adj.
d1./d Langues romanes: langues issues du latin populaire parlé dans la Romania (ensemble des pays romanisés). (V. encycl. ci-après.)
|| Qui a rapport aux langues romanes. Linguistique romane.
d2./d BX-A Se dit de la forme d'art et, partic., d'art architectural, répandue dans les pays d'Europe occidentale aux XIe et XIIe s., avant l'apparition du gothique. (L'architecture, surtout religieuse, se caractérise par l'apparition de la voûte de pierre; l'art expressif et décoratif des sculpteurs est une sorte d'enseignement en images.) Architecture romane.
|| n. m. Le roman: l'art, le style roman.
d3./d LITTER école romane: école littéraire néoclassique fondée vers 1891 et comprenant notam. J. Moréas et Ch. Maurras.
Encycl. Les linguistes nomment dialectes romans l'ensemble des parlers issus du latin populaire. Géographiquement, on distingue les dialectes ibéro-romans (Espagne et Portugal), gallo-romans, rhéto-romans (Rhétie, les Grisons actuels), italo-romans (Italie), et balkano-romans (Roumanie). Certaines variétés de ces dialectes ont été standardisées au cours des siècles et sont devenues des langues romanes: portugais, espagnol (mieux nommé castillan), catalan, occitan, français, romanche (ou rhéto-roman), italien et roumain. Le domaine dialectal gallo-roman se subdivise en trois parties: domaines d'oïl, francoprovençal et d'oc. Les domaines d'oïl et d'oc ont produit chacun une variété standardisée: le français et l'occitan. Le français est devenu la langue officielle dans l'ensemble du domaine gallo-roman: France, Wallonie, Suisse romande actuels. La situation est toujours complexe; ainsi, on parle en Wallonie plusieurs dialectes wallon (d'oïl) et le picard (d'oïl), parlé également dans le nord de la France. En France, on parle de nombreuses variétés qui n'appartiennent pas au domaine gallo-roman: catalan (dans le Roussillon), corse, ligure (à Nice et à Monaco, très peu parlé), ainsi que des langues non romanes (breton, basque, dialecte alémanique en Alsace, dialecte flamand dans la Région Nord-Pas-de-Calais). Les dialectes de la Suisse romande appartiennent aux domaines francoprovençal et d'oïl.
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roman
n. m.
d1./d LITTER Récit médiéval en vers ou en prose, écrit en langue populaire (en roman, et non en latin). Le Roman de Renart.
d2./d Récit de fiction en prose, relativement long (à la différence de la nouvelle), qui présente comme réels des personnages dont il décrit les aventures, le milieu social, la psychologie. Les romans de Balzac. Roman policier. Roman de cape et d'épée. Roman à l'eau de rose, d'une sentimentalité un peu fade.
— Roman-fleuve: V. fleuve.
— Roman-feuilleton: V. feuilleton.
|| Nouveau roman.
|| (En tant que genre littéraire.) Réussir également dans l'essai et dans le roman.
d3./d Fig. Suite d'aventures extraordinaires. Sa vie est un vrai roman.
d4./d Histoire inventée, mensonge. Tout ce qu'il vous raconte n'est que du roman. Syn. fable, fiction.
I.
⇒ROMAN1, subst. masc.
A. — HIST. DE LA LITT. [Au Moy. Âge] Long récit écrit en roman ou en ancien français, d'abord en vers (notamment en octosyllabes à rimes plates), puis en prose, contant les aventures fabuleuses, galantes ou grotesques de héros mythiques, idéalisés ou caricaturés. Roman allégorique, antique, épique, satirique. Autant la philosophie répudie et rebute les aventures merveilleuses, autant l'ignorance et la superstition les saisissent avidement. De là cette affluence et ce succès universel des romans du Xe et du XIe siècle (MARMONTEL, Essai sur rom., 1799, p. 296). V. accouplement ex. 18, mention ex. 1:
• 1. Le Brut de Wace ouvre la série des romans de la Table-Ronde (...); parmi ceux du cycle de Charlemagne (...), la Chanson de Roland (...). Il se rédigeait de plus toutes sortes de romans en vers, tels que Godefroi de Bouillon et le poème souvent cité d'Alexandre: c'étaient de longs récits platement rimés.
SAINTE-BEUVE, Tabl. poés. fr., 1828, pp. 5-6.
♦ Roman courtois. V. courtois A 2 b p. ext. Jadis, on payait pour faire nommer un ancêtre dans une chanson de geste; maintenant, on se tenait pour honoré d'avoir paru dans une joute et d'être nommé dans un roman courtois (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 61).
♦ Roman de chevalerie ou roman chevaleresque. V. chevalerie A. Ridicule pour ridicule, j'aimais mieux celui des romans chevaleresques qui exigeaient dix ans d'exploits, d'aventures lointaines, de combats contre les dragons, les géants (MICHELET, Journal, 1844, p. 572).
B. — LITT. [Á l'époque mod. ou contemp.]
1. Œuvre littéraire en prose d'une certaine longueur, mêlant le réel et l'imaginaire, et qui, dans sa forme la plus traditionnelle, cherche à susciter l'intérêt, le plaisir du lecteur en racontant le destin d'un héros principal, une intrigue entre plusieurs personnages, présentés dans leur psychologie, leurs passions, leurs aventures, leur milieu social, sur un arrière-fond moral, métaphysique; genre littéraire regroupant toutes les variétés de ces œuvres, particulièrement florissant au XIXe s. Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 357). On trouve toujours dans un roman un centre de perspective, (...) un sujet pensant principal, (...) quelque personnage auquel le lecteur s'identifie (...); c'est toujours le tableau d'une vie intérieure (...), c'est le conflit d'un personnage romanesque avec des choses et des hommes qu'il découvre en perspective à mesure qu'il avance (ALAIN, Beaux-arts, 1920, pp. 325-326). Le roman peut (...) admettre (...) non seulement portraits, paysages, et ce qu'on nomme « psychologie », mais encore toute sorte de pensées, allusions à toutes les connaissances. Il peut agiter, compulser tout l'esprit. C'est en quoi le roman se rapproche formellement du rêve (VALÉRY, Variété , 1924, p. 170).
SYNT. [i]Roman contemporain, traditionnel; roman intitulé (...); roman porté à l'écran; roman célèbre, à la mode, à succès; roman en (x) volumes; beau, bon, gros, interminable, long, mauvais, meilleurs, petit roman(s); dernier(s), premier, vieux roman(s); roman de jeunesse; faiseur, lecteurs, grand liseur de romans; auteur, héroïne, héros, personnage du roman; idée, intérêt, titre de/du roman; chapitre, commencement, début, fin, pages, partie, phrase, plan, scène, suite de/des/du roman(s); lecture des/du roman(s); art, conception du roman; le roman paraît; composer, écrire, faire, publier un/des roman(s); aimer le(s) roman(s); lire trop de romans.
— Expr. [Pour souligner l'écart ou la similitude entre réel et imaginaire] Il n'y a que dans les romans que (...). Cela n'arrive/n'existe que dans les romans. Un séducteur devenu lucide ne changera pas pour autant (...). Il n'y a que dans les romans qu'on change d'état ou qu'on devient meilleur (CAMUS, Sisyphe, 1942, p. 100). (C'est) comme dans les romans. Aimée! On le lui disait en termes brûlants, passionnés comme dans les romans. Elle se pâmait (...) son âme s'ébattait dans les espaces éthérés, sublimes, pressentis en ses rêves (REIDER, Mlle Vallantin, 1862, p. 83). La vie n'est pas un roman. Les grandes personnes ne partageaient pas nos jeux ni nos plaisirs. Je n'en connaissais aucune qui parût beaucoup s'amuser sur terre: la vie n'est pas gaie, la vie n'est pas un roman déclaraient-elles en chœur (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 105).
2. Genre littéraire regroupant une variété particulière de ces œuvres. Roman américain, russe; roman classique, didactique, politique, satirique; roman à l'eau de rose. Les Allemands comme les Anglais sont très-féconds en romans qui peignent la vie domestique. La peinture des mœurs est plus élégante dans les romans anglais; elle a plus de diversité dans les romans allemands (STAËL, Allemagne, t. 3, 1810, p. 246). La scène culminante doit être placée à la fin, dans un roman composé à la française, c'est-à-dire (...) avec logique, (...) les romans français, à l'instar des âmes chrétiennes, gardent la possibilité de se sauver in extremis (MONTHERL., Pitié femmes, 1936, p. 1133). V. jeune ex. 5.
♦ Roman autobiographique. Roman qui décrit la vie de l'auteur. La peinture que, dans son roman autobiographique, Anton Reiser, il a laissée du monde de petits artisans où il naquit, des collèges où il souffrit (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 21).
♦ Roman catholique. ,,Celui qui, non seulement est convenable, mais, sans être nécessairement roman à thèse, propage les idées catholiques, s'inspire de l'idéal de la religion catholique`` (MARCEL 1938). Les deux formes (...) d'un roman catholique original sont les études (...) de prêtres tourmentés par Bernanos (...) et ces drames de la conscience religieuse aux prises avec les péchés de la chair, de la haine et de l'avarice qui font le sujet des romans de François Mauriac (Art et litt., 1936, p. 38-6).
♦ Roman épique. Roman qui évoque l'épopée par ses personnages héroïques, ses vastes tableaux de la nature, etc. Roman épique de Hugo, où tout est grandiose parce que tout personnage y devient un type (BOURGET, Nouv. Essais psychol., 1885, p. 161).
♦ Roman épistolaire/par lettres. V. lettre III A 2 b et ex. de Staël; v. aussi THIBAUDET, Hist. litt. fr., 1936, p. 451.
♦ Roman fantastique. V. fantastique B 3 a et ex. de Green.
♦ Roman historique. V. historique I A 1 c et ex. de Chateaubriand.
♦ Roman humoristique. V. humoristique II B domaine littér., artist. Ils tâtèrent des romans humoristiques, tels que le Voyage autour de ma chambre, par Xavier de Maistre (...). Dans ce genre de livres, on doit interrompre la narration pour parler de son chien, de ses pantoufles ou de sa maîtresse (FLAUB., Bouvard, t. 2, 1880, p. 4).
♦ Roman intime/intimiste. V. intime I B 3 et ex. de Vigny.
♦ Roman mondain. Roman qui dépeint le grand monde. Les vrais romans mondains du XVIIe siècle ce sont le Cyrus et la Clélie. On trouverait dans de vrais romans de femmes du monde comme (...) Gyp cette allure de liberté naturelle (THIBAUDET, Réflex. litt., 1936, p. 197).
♦ Roman naturaliste/réaliste. V. naturaliste III B hist. litt. et ex. de Zola, Lemaître et picaresque ex. de Civilis. écr.
♦ Roman noir/d'épouvante. V. noir I B 1 en partic. Les épisodes et le style même du roman noir servent à bâtir le monde de Lautréamont (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 305).
♦ Roman pastoral. V. pastoral I A 2 et ex. de Sand. La Diane de Montemayor enfin inspira l'Astrée d'Honoré d'Urfé (1610), et dès lors le genre du roman pastoral fut créé en France (SAINTE-BEUVE, Tabl. poés. fr., 1828, p. 278).
♦ Roman paysan. Roman qui dépeint le monde paysan. Ces pays si profondément paysans et qui ne doivent d'avoir survécu (...) qu'à l'obstination avec laquelle ils se sont accrochés à « leur » sol, (...) n'avaient (...) pas produit de roman paysan absolument convaincant (Arts et litt., 1936, p. 52-5).
♦ Roman personnel. Roman qui s'inspire de la vie de l'auteur en la transposant plus ou moins. Le roman personnel, c'est-à-dire l'autobiographie transposée, est, depuis Rousseau, une vieille tradition de notre littérature. (...) le petit écrivain raconte sa petite vie, celle de son bureau, de son bataillon, de son école, de ses restaurants, de ses maîtresses (THIBAUDET, Hist. litt. fr., 1936, p. 426).
♦ Roman philosophique. V. philosophique I B 3 a et ex. 8.
♦ Roman picaresque. V. picaresque B 1 ex. de Romains.
♦ Roman poétique. Roman au style imagé et qui donne une large part à la poésie de la nature, à la fantaisie, au rêve. Si (...) on y emploie un style vif, élégant, nombreux, riche en images, (...) ce sera un poëme en prose, (...) un roman poétique comparable aux plus beaux poëmes. Tel serait Télémaque (MARMONTEL, Essai sur rom., 1799, p. 347).
♦ Roman policier. V. policier I B et ex. 2.
♦ Roman populaire/populiste. Roman dépeignant la vie du peuple et lu par un large public. Les romans populaires ennuient (...) les gens du peuple (...). On cherche à se dépayser en lisant, et les ouvriers sont aussi curieux des princes que les princes des ouvriers (PROUST, Temps retr., 1922, p. 888). Excellents tableaux de la vie petite bourgeoise et populaire de Paris avec (...) Antonine Coulet-Teissier Chambre à louer qui a consacré le nom et le genre en fondant le prix du roman populiste (Arts et litt., 1936, p. 38-7).
♦ Roman précieux. Roman qui présente des personnages idéalisés, des sentiments raffinés, un style recherché à la mode dans la première moitié du XVIIe s. Ce monde poétique qu'ils [les personnages de Corneille] créent, est le monde galant des romans précieux (BRASILLACH, Corneille, 1938p. 106).
♦ Roman psychologique. V. psychologique C et psychologie B 3 b ex. de Goncourt.
♦ Roman régionaliste. Roman qui reproduit l'atmosphère, les coutumes, le langage d'une région. Le roman de pays (...) a fini par prendre les noms disgracieux de régional ou de régionaliste (...). Les pays qui les auraient fournis en plus grande abondance seraient le Quercy, avec (...) Cladel, (...) la Bourgogne avec le Nono de Roupnel, le Bourbonnais avec la Vie d'un Simple de Guillaumin (THIBAUDET, Hist. litt. fr., 1936, p. 450).
♦ Roman unanimiste. Roman qui décrit la vie d'un groupe, l'esprit d'une collectivité. Une technique de roman qu'il faut bien nommer « unanimiste », (...) d'origine française (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p. XIV).
♦ Nouveau roman. Tendance littéraire du début de la 2e moitié du XXe s., regroupant des romanciers tels que N. Sarraute, S. Beckett, A. Robbe-Grillet, M. Butor, Cl. Simon et qui refuse la linéarité narrative, la psychologie, le didactisme, l'engagement du roman traditionnel, cherchant à exprimer avec neutralité la réalité d'un monde objectif ou intérieur dénué de finalité, se caractérisant surtout par une réflexion, des recherches sur l'écriture:
• 2. Charte du Nouveau Roman telle que la rumeur publique la colporte: 1) Le Nouveau Roman a codifié les lois du roman futur. 2) Le Nouveau Roman a fait table rase du passé. 3) Le Nouveau Roman veut chasser l'homme du monde. 4) Le Nouveau Roman vise à la parfaite objectivité. (...) il serait plus raisonnable de dire: LE NOUVEAU ROMAN N'EST PAS UNE THÉORIE, C'EST UNE RECHERCHE...
ROBBE-GRILLET, Pour nouv. rom., 1963 [1961], p. 144.
♦ Roman à clé. V. clef III C 3.
♦ Roman à thèse. Roman qui cherche à illustrer une théorie, des idées. Le roman à thèse, l'œuvre qui prouve, la plus haïssable de toutes, est celle qui le plus souvent s'inspire d'une pensée satisfaite (CAMUS, Sisyphe, 1942, p. 156).
♦ Roman d'amour. Roman dont l'intérêt principal réside dans l'intrigue sentimentale. Ils furent considérés dans tout le pays, vécurent heureux, et eurent beaucoup d'enfants. Voilà comment finissent tous les romans d'amour (BALZAC, Goriot, 1835, p. 205).
♦ Roman d'analyse/analyste. Roman qui étudie essentiellement la psychologie des personnages. Un interminable monologue commence, (...) pensé, comme il convient dans un roman d'analyse, et comprenant l'infini détail d'une vaste association d'idées (BOURGET, Essais psychol., 1883, p. 225). Roman psychologique et analyste, scrutant l'inconscient et le caché (Arts et litt., 1936, p. 50-1).
♦ Roman d'anticipation, de science fiction. V. anticipation B 2 crit. Dans son roman d'anticipation (...), O Stapledon imagine pour des centaines de millions d'années, l'avenir de l'homme (...). Par des procédés savants (...), l'homme de la troisième espèce s'efforce de créer des cerveaux géants (RUYER, Cybern., 1954, p. 32).
♦ Roman d'aventures. V. aventure B 1 b litt. mod. et ex. 25.
♦ Roman de cape et d'épée. V. cape1 A 1 a et ex. 1, 2.
♦ Roman d'espionnage. Roman ayant pour principal ressort des activités d'espionnage. C'est lui [Eric Ambler] l'inventeur du roman d'espionnage « cool » (...). Pas de courses de voitures. Une énigme à résoudre. Des personnages, comme des pièces sur l'échiquier (Le Point, 1er mai 1978, p. 104, col. 2). V. espionnage A ex. de Vailland.
♦ Roman de guerre. Roman qui prend la guerre pour thème, qui relate des épisodes de guerre. Si les premiers romans de guerre traduisaient l'horreur et l'inutilité de la guerre, peu à peu un romantisme se réveillait (...). À force d'en faire de la littérature, l'époque tragique retrouvait son aspect héroïque (Arts et litt., 1936, p. 48-5).
♦ Roman d'imagination. V. imagination I B 2 et ex. d'Alain.
♦ Roman de mœurs. V. mœurs II B 2. On ne devrait faire un roman de mœurs, c'est-à-dire des mémoires impersonnels, l'histoire contemporaine de visu, qu'à quarante ans (GONCOURT, Ch. Demailly, 1860, p. 145).
♦ Roman d'observation. V. observation B 1 et ex. de Goncourt, Benda et Zola.
3. P. anal., HIST. DE LA LITT. Œuvre de l'Antiquité en prose, évoquant le roman moderne. L'Odyssée, n'est-elle pas (...) le plus pathétique des romans? (...). Le roman, (...) que les Grecs avaient oublié de nommer, (...) était partout chez eux (...). La Grèce était naturellement romancière (...): la Cyropédie de Xénophon était déjà un roman qui tenait du Télémaque (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 2, 1862, p. 421). [Pétrone] décrivait la vie journalière de Rome, racontait dans les alertes petits chapitres du Satyricon, les mœurs de son époque (...). Ce roman réaliste (...) dépeignant (...) les vices d'une civilisation décrépite, (...) poignait Des Esseintes (HUYSMANS, À rebours, 1884, p. 41).
C. — P. anal. ou au fig.
1. a) [À propos de la vie principalement] Succession d'événements extraordinaires, d'actions plus ou moins remarquables, évoquant les péripéties d'un roman. Il a tant vu le monde! Sa vie est un roman. C'est lui dont l'aventure, à Londres, fit du bruit (COURIER, Pamphlets pol., Au réd. « Censeur », 1819, p. 29). Je ne puis m'empêcher d'être frappé de ce continuel roman de ma vie. Que de destinées manquées! (CHATEAUBR., Mém., t. 3, 1848, p. 72). V. folie B 1 ex. de Chênedollé.
— Loc. adj. De roman. Qui est pittoresque, recherché, exalté, sentimental, etc. comme dans les romans. Peuples asservis (...) aux yeux de qui cet ardent amour de la liberté est une passion chimérique, une vertu de roman (CHÉNIER, Épîtres, 1794, p. 198). J'ai dû dire de fort belles choses et très délicates sur ce grand sujet, et me montrer fort sentimental; car l'Empereur (...) m'a dit ne rien comprendre à mon verbiage de roman (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 203).
♦ Héros, héroïne de roman. V. héros, héroïne1 II B 1 au fig. et ex. de Rostand. Personnage de roman. Même sens. Notre vie est un livre qui s'écrit tout seul (...). Nous sommes des personnages de roman qui ne comprennent pas toujours bien ce que veut l'auteur (GREEN, Journal, 1949, p. 283).
b) Aventure amoureuse, tendre inclination, partagée ou non. Roman naïf; triste roman. Cette passion sérieuse (...) n'était qu'une surprise des sens au milieu d'une fantaisie d'esprit, un roman commencé avec l'étourderie d'une pensionnaire, soutenu au milieu des délires d'un amour sans frein (SAND, Compagn. Tour de Fr., t. 2, 1869 [1840], p. 186). Je possède ce bonheur si rare: un grand amour. J'ai passé ma vie à appeler le « romanesque », à souhaiter un roman réussi; je l'ai et je n'en veux pas. J'aime Isabelle et j'éprouve auprès d'elle un tendre mais invincible ennui (MAUROIS, Climats, 1928, p. 187).
— Loc. verb. [Prob. p. allus. aux Précieuses ridicules de Molière, scène 4] Prendre le roman par la queue. Commencer par le mariage (au contraire des romans d'amour qui se terminent généralement par un mariage) ou vivre maritalement avant le mariage; commencer par la conclusion. (Dict. XIXe et XXe s.).
c) Personne, chose qui évoque un roman par son caractère aventureux, sentimental, sa psychologie secrète, sa poésie, etc. J'ai compris qu'au milieu de toutes ces intrigues, il serait bien difficile à votre femme de ne pas en rencontrer une (...) qu'il lui fallait un roman, pour éviter une chute (...) et j'ai été ce roman (...) roman plein de réserve, de tact, de mesure (LABICHE, Mari lance sa femme, 1864, III, 11, p. 487). Si le peintre est Rembrandt, il répand sur la nature la plus vulgaire une lueur mystérieuse, qui est à elle seule une poésie, un roman de lumière (Ch. BLANC, Gramm. arts dessin, 1876, p. 614).
2. Péjoratif
a) Discours mensonger, invraisemblable; thèse, allégation avancée sans preuve. Synon. fable, fabulation, fiction. C'est un exposé impie, (...) c'est un roman, (...) un tissu de conjectures dressées avec art, mais sans fondement (VOLNEY, Ruines, 1791, p. 315). À ces affirmations si nettes que répondent les journaux de l'état-major? « Pur roman, plus invraisemblable encore que faux, documents imaginaires » (CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p. 424).
— Loc. verb., fam.
♦ Faire du/des roman(s), raconter des romans. Tenir des propos exagérés, raconter quelque chose en déformant la réalité des faits. Synon. fam. raconter des boniments. Voilà tout ce qui me reste d'un bonheur divin. Je mentirais et ferais du roman si j'entreprenais de le détailler (STENDHAL, H. Brulard, t. 1, 1836, p. 492).
♦ Faire un roman de qqc., en faire un roman. Donner une importance exagérée à quelque chose en dissertant sur ce sujet trop longuement, à tort et à travers. Synon. fam. en faire une histoire/un plat (v. plat2). Il l'a loupé [en tirant sur lui]. C'est le principal, non? (...) En fais pas un roman (LE BRETON, Rififi, 1953, p. 89).
♦ C'est du roman. C'est un récit invraisemblable. Quand il [Renan] arrive à Marc-Aurèle, c'est bon (...). Mais son Jésus et autres, c'est du roman. Strauss a bien établi que Jésus n'a pas existé (...). Nous n'avons rien sur Jésus que de cent ans après. Jean est un pur roman néo-platonicien (BARRÈS, Cahiers, t. 3, 1902, p. 16).
b) Ensemble d'idées fausses, de représentations imaginaires sans grand rapport avec la réalité. Synon. chimère, illusion, imagination, rêve, utopie. Imaginer un roman. En me parlant (...) des familles de ses élèves, il lui venait une abondance de détails supposés, d'intrigues imaginaires qu'elle inventait en dépit de tout. Si calme, elle voyait toujours le roman autour d'elle, et sa vie se passait en combinaisons dramatiques (A. DAUDET, Femmes d'artistes, 1874, p. 201). L'intraversion excessive menace de se développer (...) en délectations compliquées et en rêveries stériles: des romans imaginaires empoisonnent le sentiment joyeux de la vie quotidienne (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 334).
— Loc. verb. Bâtir des romans. S'imaginer des choses erronées, inventer des hypothèses peu fondées. Il ne peut s'empêcher de bâtir des romans, des fables, des légendes (DUHAMEL, Passion J. Pasquier, 1945, p. 122).
3. PSYCHANAL. Roman familial (notamment ds FREUD, Le Roman familial des névrosés, 1909). Fantasme courant chez l'enfant (pathologique chez l'adulte) et par lequel il s'imagine appartenir à une famille plus prestigieuse que la sienne, par réaction contre des parents dédaignés, en relation avec le complexe d'Œdipe. Il est rare que l'enfant raconte son « roman familial » autour de lui, et (...) qu'il le vive. Mélanie Klein rapporte pourtant le cas de son petit garçon de cinq ans, qui décida d'aller vivre chez ses voisins, parce qu'il était convaincu d'être un enfant trouvé dont les vrais parents étaient précisément ces gens étrangers, probablement plus représentatifs et plus aimants à ses yeux (M. ROBERT, Roman des orig. et orig. du roman, 1972, p. 198).
REM. 1. Romancie, subst. fém., vx. Art d'écrire des romans, création romanesque. Laisse-moi donc partir pour l'aventure littéraire, pour le beau pays de romancie, sans m'inquiéter du cheval qui m'y portera (SAND, M. Sylvestre, 1866, p. 21). 2. Romantiser, verbe. a) Empl. trans. Donner un caractère de roman à, transformer en roman (supra B). Synon. romancer. On s'est trop accoutumé de nos jours, sur la foi d'historiens qui énervent et romantisent l'histoire, à traiter ces hommes de terreur et de haine [Saint-Just], comme des semblables, comme des humains (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 14, 1861, p. 54, note 1). b) Empl. intrans. Faire du roman (supra C 2), donner libre cours à son imagination. Il ne faut pas que je romantise sur des souvenirs démantelés, pour manquer ensuite d'imagination devant les forces vivantes (BARRÈS, Pays Lev., t. 1, 1923, p. 302).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1125 ronmanz « langue vulgaire (du Nord de la France) » (Grant mal fist Adam, éd. W. Suchier, 118: Por icels enfanz Le [le sermon] fiz en ronmanz Qui ne sunt letrez); 1130-40 (WACE, Vie Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, ms. M, 741: ce dit Grace [Wace], Qui de latin en romans mist Ce que Theodimus escrist); fin XIIe s. roman (Floovant, éd. S. Andolf, 1424: Vous me sanblez François au parler lo roman); 2. 1155 « œuvre narrative d'une certaine longueur, écrite d'abord en vers, puis en prose (au Moyen Âge, écrite en langue vulgaire p. oppos. au latin) » (WACE, Brut, éd. I. Arnold, 3823: Co testimonie et ço recorde Ki cest romanz fist, maistre Wace); 1188 romant (AIMON DE VARENNES, Florimont, 9 ds T.-L.); 1225-30 (GUILLAUME DE LORRIS, Rose, éd. F. Lecoy, 37: E se nule ne nus demande Comant je veil que li romanz Soit apelez que je comanz, Ce est li Romanz de la Rose, Ou l'art d'Amors est tote enclose); 2e moit. XIIIe s. (Des deux bordeors ribauz ds MONTAIGLON et RAYNAUD, Rec. fabl., t. 1, p. 4: Ge sai des romanz d'aventure, De cels de la réonde Table, Qui sont à oïr delitable); 3. 1652 « tissu d'allégations mensongères ou sans fondement » (GUEZ DE BALZAC, Socrate chrestien, 4e disc. ds Œuvres, éd. 1665, t. 2, p. 220); 1656 « récit invraisemblable » (LORET, Muze histor., 17 juin ds LIVET Molière); 4. 1659 « aventure amoureuse passionnée » (MOLIÈRE, Les Précieuses ridicules, scène 4, éd. R. Bray, p. 258). Du lat. médiév. romanice, adv. signifiant « en langue vulgaire » (c'est-à-dire en gallo-roman) p. oppos. au lat., att. dep. le XIe s. (ds DU CANGE), dér. de romanus « Romain » qui avait pris dans la Loi Salique le sens de Gallo-roman p. oppos. à Franc Salien (v. J. BALON, Traité de Droit Salique, lexique, t. 4 et t. 1, p. 216 sqq.). Dans romanz, s a été pris pour la marque du cas-sujet sur lequel on a refait un cas-régime romant, d'où roman par chute de la cons. finale. Voir FEW t. 10, p. 454b. Bbg. COULET. Le Roman jusqu'à la Révolution. Paris, 1967, t. 1, pp. 19-29. — DARM. 1877, p. 218 (s.v. romantiser). — LALOU (R.). Le Roman fr. depuis 1900 . Paris, 1951, pp. 5-9, 10, 31, 48, 71, 88, 108, 113. — Le Genre du roman, les genres de roman. Colloque. Amiens. 25-26 avr. 1980. Paris, 1981, pp. 13-21, 25-48. — PARIS (G.). Romania. 1887, t. 16, p. 157. — VOELKER (P.). Le Développement des sens du mot roman. Z. rom. Philol. 1886, t. 10, pp. 485-525.
II.
⇒ROMAN2, -ANE, adj. et subst. masc.
A. — LINGUISTIQUE
1. Adjectif
a) Au sing. Langue romane (ou dialecte, idiome, parler, parole, patois roman(e)). Langue vulgaire issue du latin populaire, parlée en France du VIIIe au XIe s. Au IXe siècle, l'Église (...) recommanda de traduire clairement les homélies en germanique et en langue rustique romane (...). Cette décision du concile de Tours (813) (...) ne faisait (...) qu'autoriser (...) une pratique que beaucoup de prêtres devaient suivre (...) les langues romanes étaient déjà très loin du latin (...); le clergé (...) redevenu capable de distinguer latin et roman, pouvait hésiter et avait besoin d'être fixé (BRUNOT t. 1 1966, p. 142).
Rem. En ce sens, on employait aussi l'expr. langue romance: Le mot latin ne signifia bientôt plus que roman ou langue romance, et fut pris ensuite pour le mot langue en général (CHATEAUBR., Litt. angl., t. 1, 1836, p. 20).
— Qui appartient à cette langue. Mot roman. Les noms de personnes d'origine germanique, qui avaient été adoptés par les Gaulois, furent combinés à d'autres substantifs romans; campus « champ », fons « source », mansio « maison » (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 695).
— P. méton. Qui relève de cette langue, qui s'exprime en cette langue. La vieille civilisation romane dut faire face au néo-germanisme constitué sur la mer du Nord. Dès les derniers temps de l'Empire romain, l'effort de résistance (...) s'était visiblement porté vers la Gaule septentrionale (VIDAL DE LA BL., Tabl. géogr. Fr., 1908, p. 60). Des œuvres puissantes (...). Elles sont romanes, fondées sur des traditions romanes, célébrant des héros romans (...). Nos chansons de geste et nos romans de chevalerie et nos cathédrales sont français jusqu'à la moelle (BARRÈS, Cahiers, t. 10, 1913, p. 190).
♦ En partic. [Pour caractériser la variété de cette langue dans le Midi de la France] Les chantres provençaux, les premiers, avaient-ils donné l'exemple des fictions de ce genre [celui du Roman de la Rose]? À l'origine, (...) il y eut (...) d'étroits rapports entre la littérature française et la poésie romane, qui fut (...) la sœur aînée de la nôtre (SAINTE-BEUVE, Tabl. poés. fr., 1828, p. 6).
b) Au sing. ou au plur. Langue(s) romane(s). Langue(s) vulgaire(s) issue(s) du latin populaire et parlée(s) dans une région quelconque de l'ancien Empire romain d'Occident; au plur., groupe de langues vivantes indo-européennes écrites en caractères romains. Synon. langues néo-latines. Après la rupture de l'empire romain succédèrent au latin les langues romanes (italien, sarde, provençal, français, espagnol, catalan, portugais, rhéto-roman, dalmate, roumain) (J. MANESSY-GUITTON ds Langage 1968, p. 1280):
• 1. ... on nous montrait le vaste monde romain tronçonné (...) par les bandes barbares. Mais chaque tronçon (...) retenait son lambeau de latin — c'était (...) à sa guise, solitairement, qu'il travaillait ce patrimoine linguistique, et en faisait peu à peu une langue romane: une langue fille du latin par filiation directe...
L. FEBVRE, A. Meillet et l'hist., [1913] ds Combats, 1953, p. 164.
— P. méton.
♦ Qui utilise les langues romanes. Domaine, monde roman. [Le soldat romain] n'a pas fait seulement les langues romanes (...) et la terre mesurée aux peuples romans; il n'a pas fait seulement la romanie et la romanité et le monde romain et le monde latin (PÉGUY, Argent, 1913, p. 1217).
♦ Qui a les langues romanes pour objet d'étude, de description. C'est encore à l'École des chartes que l'apprentissage technique du médiéviste se fait le mieux (...) grâce à des cours (...) de Philologie romane (LANGLOIS, SEIGNOBOS, Introd. ét. hist., 1898, p. 38).
2. Subst. masc.
a) Langue vulgaire parlée en France du VIIIe au XIe s. et qui a précédé l'ancien français. Parler roman. L'ancien français a régulièrement employé une construction analogue: Cf Le cor Roland (...). Or ce procédé est né en roman d'un pur hasard (...): la réduction extrême des cas (SAUSS. 1916, p. 311). La seule littérature que nous possédions est celle des clercs qui écrivaient en latin (...). La « langue vulgaire », c'est-à-dire le roman, qui deviendra le français, apparaît certes, dès 842, dans le Serment de Strasbourg, mais c'est un texte de portée politique (G. RICHARD, Hist. de l'amour en Fr., Paris, J.-Cl. Lattès, 1985, p. 11).
b) Langue vulgaire parlée dans une région quelconque de la Romania. On trouve dans l'argot, au-dessous du vieux français populaire, (...) du roman dans ses trois variétés: roman français, roman italien, roman roman, du latin (HUGO, Misér., t. 2, 1862, p. 196).
c) En compos. V. gallo-roman (s.v. gallo- A 2), ibéro-roman (s.v. ibérique rem. 3 d).
B. — BEAUX-ARTS
1. Adj. Qui se rattache à la production artistique (notamment religieuse) répandue en Europe occidentale aux XIe et XIIe s., rappelant l'architecture romaine mélangée d'influences byzantines et arabes, caractérisée par des lignes dépouillées, trapues, par la fréquence de l'arc en plein cintre, de la voûte en berceau, en coupole et de la voûte d'arête, par une ornementation de plus en plus exubérante (motifs géométriques, végétaux, animaux, créatures monstrueuses, scènes de la Bible et de la vie quotidienne). Abside, arcade, architecture, chapelle, chapiteau, clocher, cloître, nef, pilier, portail, sculpture, style roman(e). On ne peut rien concevoir de plus angélique dans sa simplicité romane que cette abside ronde (...). Peu d'ornements (...), mais l'équilibre divin des proportions et des courbes: une oraison qui s'élance mais reste en contact avec la terre (...), l'art roman n'a jamais connu le fol orgueil des gothiques (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1963, p. 318). V. arc ex. 12, billette ex. 2, confession ex. 1, emmurer ex. 2:
• 2. Cette église Sainte-Croix est une belle église romane du XIe siècle, à qui son plan circulaire, sa voûte divisée par arcades, ses colonnes engagées à leur base dans des piliers carrés, ses pleins cintres surhaussés (...) donnent je ne sais quel air bas-empire et gallo-romain (...). Ce n'est pas le christianisme rêveur de l'ogive (...), c'est plus reculé, plus latin, d'une théologie plus primitive...
FLAUB., Champs et grèves, 1848, p. 279.
— P. méton. Qui appartient à la période de l'art roman. Siècles romans. Au XIe siècle, les architectes romans prenaient un plan aux Romains, des détails à l'Orient (...) une coupole aux Byzantins, une charpente aux peuples du Nord (VIOLLET-LE-DUC, Archit., 1863, p. 488). Les peintres romans usent du signe et du symbole dans un art qui s'est détaché du réalisme issu de l'Antiquité (T. CASTIEAU, L'Art roman, Paris, Flammarion, 1982, p. 54).
— Loc. adv. À la romane. À la manière de l'art roman. Deux gros piliers largement jaspés avec des chapiteaux jaune d'œuf très massifs, historiés à la romane (CLAUDEL, Soulier, 1929, 4e journée, 2, p. 853).
— P. anal. Qui évoque l'art roman par son arrondi, sa pureté d'expression. Je distingue [chez Claudel] (...) entre les oreilles un peu trop lourdes, ce front roman qui s'élève et s'élance avec une indicible pureté (JAMMES, Mém., 1923, p. 93). Évolution d'un chant à la Vierge-Mère (...). Courbe sobre et romane partant du médium à l'invocation, atteignant son sommet (...) et s'incurvant à nouveau vers le grave pour exprimer l'agenouillement du fidèle (MIGOT, Lex. termes mus., 1935, p. 42).
2. Subst. masc. Art, style qui s'est épanoui en Europe occidentale aux XIe et XIIe s. (après une longue période préparatoire remontant au VIIIe s. selon certains) et qui a précédé le gothique. Du plus pur roman. La tour romane, la fin, le dernier mot de l'art roman (...). Sur un carré (...), s'assoit un hexagone flanqué de quatre tourelles légères (...). Jamais le roman n'a eu un essor si aérien (MICHELET, Journal, 1835, p. 207). On nomme roman, le troisième style de l'architecture des moines; il se développa en Europe vers la période carlovingienne, et s'y maintint jusqu'à la fin du XIIe siècle (LENOIR, Archit. monast., 1856, p. 1). V. cistercien ex. 1.
C. — HIST. DE LA LITT. École romane. École poétique fondée en 1891 par J. Moréas, Raynaud, etc. et qui se réclamait de la culture, de l'esthétique antique, médiévale, classique. Moréas lui-même a dissous l'école symbolique pour fonder l'École romane (VERLAINE, Œuvres posth., t. 2, Crit. et conf., 1896, p. 383). Raynaud, toujours inquiet parce que tous les jeunes chefs de toutes les jeunes écoles poétiques doivent le détester, lui, le chef de l'école romane (RENARD, Journal, 1903, p. 804).
Prononc. et Orth.:[], fém. [-an]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. A. Ling. 1. a) 1596 Roman François « l'ancienne langue française » (HULSIUS); [1671 ([BOUHOURS], Les Entretiens d'Ariste et d'Eugène, p. 156 ds QUEM. DDL t. 21: témoin le Serment de Loüis Roy de Germanie, fait en langue Romance, et presque aussi mal-aisé à entendre que le Serment de Charles son frere Roy de France, fait en langue Thudesque)]; 1765 langue romane (Encyclop.: c'étoit une langue composée de celtique et du latin, mais dans laquelle celle-ci l'emportoit assez pour qu'on lui donnât les noms qu'on vient de dire); b) 1808 désigne la langue d'oc (ROQUEFORT, Gloss. de la langue romane [titre]); 1816 (F.-J.-M. RAYNOUARD, Gramm. romane ou gramm. de la langue des troubadours [titre]); c) 1863 langues romanes « l'ensemble des langues issues du latin » (É. LITTRÉ, Dict. de la lang. fr., Préf., t. 1, p. XXVIII); 2. 1898 « qui a pour objet l'étude des langues romanes » philologie romane (LANGLOIS, SEIGNOBOS, loc. cit.). B. Beaux-arts 1818 (GERVILLE, lettre à Le Prévost, 18 déc. d'apr. A. REY ds Trav. Ling. Litt. Strasbourg t. 2, 2, p. 24: Je vous ai quelquefois parlé d'architecture romane. C'est un mot de ma façon qui me paraît heureusement inventé pour remplacer les mots insignifiants de saxone et de normande); 1820 église romane, édifices romans (ID., lettre à de Vaussay, publ. ds le 1er rec. de la Soc. des Antiquaires de Normandie, 1824-25, p. 88, 90, ibid., p. 25). De roman1. Pour A, l'évolution des notions s'explique par le fait que roman s'est spécialisé dès la fin du XVIe s. dans la désignation de l'anc. lang. gallo-romane, p. oppos. à français qui désignait la lang. contemp.; de là le mot en est venu à désigner la lang. des troubadours chez Roquefort et surtout Raynouard qui la considéraient comme l'état intermédiaire entre le lat. et les autres lang. romanes; le sens mod. apparaît chez Littré qui s'inspire largement de l'Etymologisches Wörterbuch der romanischen Sprachen de Fr. Diez (1853), cf. aussi 1835, Fr. DIEZ, Grammatik der romanischen Sprachen). Voir FEW t. 10, p. 455a.
STAT. — Roman1 et 2. Fréq. abs. littér.:7 238. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 7 784, b) 11 479; XXe s.: a) 11 061, b) 11 337.
BBG. — PLANCHE (A.). Moyen Âge et presse quotidienne. Persp. médiév. 1976, n ° 2, p. 81. — REY (A.). Le Lex.: images et modèles... Paris, 1977, pp. 237-249; Orig. et emploi du mot roman en art. Trav. Ling. Litt. Strasbourg, 1964, t. 2, n ° 2, pp. 21-30.
1. roman [ʀɔmɑ̃] n. m.
ÉTYM. Fin XIIe; romanz, 1135; d'un lat. pop. romanice « à la façon des Romains, en langue latine », par oppos. aux mœurs et au langage des Barbares, des Francs.
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I (1135, « langue commune » : le français d'alors [ancien français] opposé au latin; XVIe, en ling.). Ling. Langue courante, parlée en France, opposée au latin qui était la langue savante. ⇒ Gallo-roman (→ Langue romane). — REM. Voltaire dit langue romance ou romain rustique (romanum rusticum, Dictionnaire philosophique, art. Français.) — Le roman désigne un état de langue chronologiquement intermédiaire entre le bas latin et l'ancien français (certains auteurs nomment pré-roman le latin vulgaire parlé en Gaule. Cf. M. Cohen, Hist. d'une langue : le Français, p. 52). || Une décision du concile de Tours (813) invite les prêtres à prêcher en roman.
1 À partir du commencement du XIIe siècle, les textes se multiplient, et une littérature des plus riches se développe avec une vitesse prodigieuse. La langue vulgaire, le romanz de la France, originairement restreinte à l'usage du peuple et aux productions de la muse populaire, élargit son domaine de jour en jour et commence, même hors de la littérature, à concourir avec le latin.
K. Nyrop, Grammaire historique, t. I, p. 29.
2 Les savants de la cour de Charlemagne s'efforcent d'écrire le latin de Cicéron. De ce fait le latin devient une langue savante, nettement distincte du parler populaire. Il va sans dire que les savants et le clergé regardent le roman, le parler populaire comme un idiome barbare, inférieur. Il n'en est pas moins vrai qu'il s'oppose maintenant définitivement au latin. On pourrait donc dire que, grâce à la Renaissance carolingienne, le français a pris conscience de lui-même.
Wartburg, Évolution et Structure de la langue franç., p. 69.
♦ (1870). Nom donné à la langue latine vulgaire parlée dans les pays romanisés (la « Romania »), et à l'ensemble des langues romanes entre le Ve et le Xe siècle (cf. Damourette et Pichon, Essai grammatical, I, p. 28).
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II Par ext. Hist. littér.
1 (1140). Récit en vers français (en roman) adapté des légendes antiques de la littérature latine, et où dominent les aventures fabuleuses et galantes. || Le Roman d'Alexandre (→ Alexandrin), le Roman de Troie (ces romans, appelés romans antiques en histoire de la littérature, « constituent une sorte de transition entre l'épopée et le roman courtois » [Lagarde et Michard]).
2 (1160). Au moyen âge, Récit en vers, poème contant les aventures merveilleuses, les amours de héros imaginaires, ou idéalisés et, ultérieurement (XIVe siècle), le même genre en prose. || Le Roman de Tristan (Béroul). || Le Roman de Brut (Wace). Nom donné, par la suite, aux œuvres du cycle breton : le roman courtois, le roman breton. — Le Roman de la Rose (→ Lexicon, cit. 2). — Le Roman de Renart, poème réaliste et familier (probablt parodie des romans courtois). — Romans de chevalerie, nom donné après le moyen âge aux romans courtois et aux chansons de geste (→ Enfoncer, cit. 45; galanterie, cit. 6).
REM. Au XVIIe s., on appelait romans tous les poèmes relatant des aventures fabuleuses; || « les poèmes fabuleux se mettent aussi au nombre des romans, comme l'Énéide, et l'Iliade » (Furetière, Dictionnaire, Roman).
3 Les chansons de geste et les romans bretons sont, si j'ose dire, les deux souches jumelles qui ont porté quelques-uns des rameaux les plus féconds de notre littérature. De la narration épique, conçue encore comme la commémoration fidèle d'un passé héroïque, s'est détachée l'histoire, et la matière de France ou de Bretagne, conçue comme une représentation agréable d'événements imaginaires, est devenue le roman. Plus particulièrement les récits du cycle breton ont produit le roman idéaliste, qui nous construit un monde conforme aux secrets sentiments de notre cœur, pour nous consoler de l'injurieuse et blessante réalité.
Gustave Lanson, Hist. de la littérature franç., Les romans bretons, p. 63.
4 Jamais la France n'y a mieux attesté (qu'au moyen âge) l'originalité de son génie créateur et ceci est particulièrement évident dans l'invention du roman, dont le nom même est révélateur, car il signifie primitivement traduction du latin en langue vulgaire (roman). Or ce genre (…) a été tellement attribué à notre nation qu'il s'est identifié avec l'appellation de notre parler ancien, au point que l'on parle assez singulièrement de roman anglais.
3 (Depuis le XVIe). a Mod., cour. Œuvre d'imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, nous fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures. || Les romans de Mlle de Scudéry, de Mme de La Fayette, de Marivaux, de Stendhal, de Balzac, de Zola, de Dumas, de J. Romains, de P. Benoit, de Sartre… || Roman et nouvelle (cit. 19, 20 et 21). || La crédibilité (cit. 2) est nécessaire au roman (→ aussi Patatras, cit. 1). || Le roman doit illusionner (cit. 2) le lecteur. || L'affabulation, la fabulation (cit. 2) du roman (→ Convenir, cit. 29). || Les fables de la mythologie et les mensonges du roman (→ Associer, cit. 25). || Les aventures naturelles et celles des romans (→ Naturaliste, cit. 4). || L'histoire opposée au roman (→ Différence, cit. 6). || L'histoire (cit. 28) est un roman qui a été. || Héros de roman. ⇒ Héros (cit. 32 et 34; et, fig., cit. 35 et 36). || Sujet (→ Gâcher, cit. 9), idée (→ Maquette, cit. 2), intrigue d'un roman (→ Indécis, cit. 7). || Épisodes (cit. 3) d'un roman. || Style de roman (→ Désirer, cit. 7). || Lire un roman (→ Miroir, cit. 7). || Se nourrir de romans (→ Maladif, cit. 6). ☑ Fig. Prendre le roman par la queue. || J'étudiais nos mœurs (cit. 19) dans les romans. || S'identifier (cit. 14) aux héros des romans. || Le roman et l'évasion (cit. 6). || Roman captivant, palpitant, passionnant, pathétique (→ 3. Mal, cit. 27), scandaleux (→ Perversité, cit. 2)… || Écrire, faire un roman (→ Anneau, cit. 9); composer, bâtir un roman (→ Composition, cit. 3.1). || Genèses (cit. 2) d'un roman. || Faiseurs (cit. 7) de romans (→ Empoisonneur, cit. 2). ⇒ Romancier. || Imprimer, éditer des romans (→ Éditeur, cit. 3). || Roman primé. ⇒ Prix. || Roman à succès, qui a un très gros tirage (cf. l'américanisme abusif : Best-seller). || Roman porté à l'écran. — Titres portés par certains romans. || Le Roman bourgeois, de Furetière (qui présente des bourgeois), le Roman comique, de Scarron (qui présente des comédiens), le Roman de la momie, de Gautier… || Le Roman d'un jeune homme pauvre, d'O. Feuillet.
REM. Roman au sens moderne, et pour désigner un genre littéraire sérieux, ne date guère que du XIXe s.; les romans du XVIIe et du XVIIIe s. restent pour la plupart dans la tradition des aventures galantes et invraisemblables (l'Astrée, etc.) ou, par contrepied, du récit parodique et satirique (le Roman bourgeois). D'autre part, on a qualifié rétrospectivement de romans des œuvres qui n'étaient pas considérées comme telles à l'époque où elles furent écrites.
♦ Romans d'imagination (→ Genre, cit. 15), (1778). || Roman historique (cit. 7; → Incliner, cit. 11). || Roman d'amour (→ Finir, cit. 17). || Roman d'analyse, psychologique… || Roman d'aventures (→ Hache, cit. 7). || Roman de cape et d'épée. || Roman de guerre. (1924). || Roman reportage. — (1835). || Roman de mœurs, qui dépeint les manières de vivre, les comportements d'un milieu. || Roman pastoral. || Roman exotique, régionaliste, paysan. || Roman autobiographique, à clé (cit. 18). — Roman policier (cit. 2 et 3). ⇒ Polar (fam.). — Roman noir ou d'épouvante (cit. 7), au début du XIXe siècle : genre emprunté aux Anglais, récit d'aventures macabres, de brigands, de fantômes; roman d'aventures ou roman policier où abondent les violences criminelles (→ Gangster, cit. 2). — Roman d'anticipation : récit d'aventures se passant dans le futur, et plus ou moins basé sur des données scientifiques. || Roman de science-fiction, de SF. — (Manière). || Roman idéaliste, précieux, allégorique; roman naturaliste, réaliste, qui présente la réalité sans la censurer ni l'embellir. || Roman intimiste. || Roman humoristique, satirique. || Roman à l'eau de rose, bénin et exaltant les bons sentiments. || Roman picaresque (→ Défrayer, cit. 4). — (1839, in D. D. L.). || Roman épistolaire. (1875). || Roman didactique, qui développe un enseignement (historique, etc.). — (1879). || Le roman expérimental (Zola). || Roman à thèse. || Roman classique (→ Nœud, cit. 29), le roman du XIXe siècle, dont le type persiste au XXe siècle (roman balzacien, roman russe…). || Roman moderne, roman américain (→ Réduire, cit. 12), roman russe, roman anglais. — (Présentation). || Roman à épisodes, à suites; à tiroirs. || Roman par lettres, épistolaire. || Roman illustré. — (Lecteurs). || Roman littéraire (→ 1. Argot, cit. 2), mondain (→ 3. Droit, cit. 31); roman populaire (cit. 6), populiste. || Roman de gare : roman populaire en vente dans les kiosques des gares.
5 (…) je vous raconterai sincèrement et avec fidélité plusieurs historiettes ou galanteries arrivées entre des personnes qui ne seront ni héros ni héroïnes (…) mais qui seront de ces bonnes gens de médiocre condition, qui vont tout doucement leur grand chemin; dont les uns seront beaux et les autres laids; les uns sages et les autres sots (…) Pour éviter encore davantage le chemin battu des autres, je veux que la scène de mon roman soit mobile, c'est-à-dire tantôt en un quartier et tantôt en un autre de la ville (…)
Furetière, le Roman bourgeois, I, p. 2.
6 Par un roman, on a entendu jusqu'à ce jour un tissu d'événements chimériques et frivoles, dont la lecture était dangereuse pour le goût et pour les mœurs. Je voudrais bien qu'on trouvât un autre nom pour les œuvres de Richardson, qui élèvent l'esprit, qui touchent l'âme, qui respirent partout l'amour du bien, et qu'on appelle aussi des romans.
Diderot, Éloge de Richardson.
7 Eh, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, XIX.
8 Le roman est un vaste champ d'essai qui s'ouvre à toutes les formes de génie, à toutes les manières. C'est l'épopée future, la seule probablement que les mœurs modernes comporteront désormais.
Sainte-Beuve, Correspondance, t. I, éd. Calmann-Lévy, 1877, p. 250.
9 Il en est deux (théories) celle du roman d'analyse pure et celle du roman objectif. Les partisans de l'analyse demandent que l'écrivain s'attache à indiquer les moindres évolutions d'un esprit et tous les mobiles les plus secrets qui déterminent nos actions, en n'accordant au fait lui-même qu'une importance très secondaire (…) Les partisans de l'objectivité (…) prétendant, au contraire, nous donner la représentation exacte de ce qui a lieu dans la vie, évitent avec soin toute explication compliquée, toute dissertation sur les motifs, et se bornent à faire passer sous nos yeux les personnages et les événements. Pour eux, la psychologie doit être cachée dans le livre comme elle est cachée en réalité sous les faits dans l'existence.
Maupassant, Pierre et Jean, Préface.
9.1 Je ne vois pas en vérité pourquoi le roman philosophique ne serait pas admis à côté du roman psychologique, ou du roman sentimental, ou du roman réaliste, ou du roman-roman, comme on a dit de nos jours.
10 (…) nous devons donner raison à ceux qui prétendent que le roman est le premier des arts. Il l'est, en effet, par son objet, qui est l'homme. Mais nous ne pouvons donner tort à ceux qui en parlent avec dédain, puisque, dans presque tous les cas, il détruit son objet en décomposant l'homme et en falsifiant la vie.
F. Mauriac, le Romancier et ses personnages, p. 122.
10.1 N'est-ce pas ce que vous voulez dire, cher lecteur, quand vous m'assurez que, si vous vouliez parler, vous sauriez, rien qu'en disant des choses vraies, écrire le plus dramatique, le plus incroyable, le plus romanesque des romans ? Mais les romans perdent de leur charme quand ils entrent dans la réalité.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 598.
10.2 Le roman moderne est un combat entre l'auteur et la part du personnage qu'il poursuit toujours en vain, car cette part est le mystère de l'homme. Anna échappe à Tolstoï, qui gouverne pourtant comme une symphonie, son destin perdu. Isolde n'échappe pas à Thomas, à Béroul, à leurs rivaux, bien qu'ils la différencient : non parce qu'elle leur est soumise, mais parce qu'elle les domine.
Malraux, l'Homme précaire et la Littérature, p. 197.
10.3 Le roman appelle caractère un type humain animé par une passion majeure et constante; un masque de l'âme. L'Avare est cousin éloigné d'Arlequin. Ses actes, même difficilement prévisibles, ne doivent point surprendre. Il écarte l'irrationnel, auquel le personnage devra tant. La vie ne le modifie guère.
Malraux, l'Homme précaire et la Littérature, p. 130.
♦ Mod. || Nouveau roman : roman contemporain, qui s'oppose au roman traditionnel notamment par le refus de la psychologie et de la linéarité du discours (désignation généralement critiquée). || Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon, représentants du nouveau roman. ⇒ Antiroman (cit.).
10.4 Il y a bien des manières d'interpréter ce qu'on appelle encore le « nouveau roman » (en dehors des considérations sur ses succès ou ses échecs, sur l'ennui ou l'intérêt qu'il inspire). On peut y reconnaître un effort méthodique pour créer une syntaxe littéraire rationnelle, sacrifiant délibérément le tragique, le lyrisme, le trouble, la dialectique, en poursuivant une pure transparence de l'écrit sur le modèle de l'espace.
Henri Lefebvre, la Vie quotidienne dans le monde moderne, p. 20.
♦ (Dans des composés). || Roman-fleuve (1930) : roman très long présentant de nombreux personnages de plusieurs générations (→ Balzacisme, cit.; nouvelle, cit. 20). || Roman-feuilleton (1850, Nerval). → Feuilleton, cit. 6. On a aussi employé l'expression feuilleton-roman (→ Insérer, cit. 4). — (1929). Vx. || Roman-ciné, roman-cinéma; mod., ciné-roman : roman populaire tiré d'un film, du récit en images (ou en photos) d'un film. — (V. 1950). || Roman-photo : récit romanesque ou policier présenté sous forme d'une série de photos accompagnées de textes succincts souvent intégrés aux images comme dans la bande dessinée (⇒ Photoroman). || Des romans-photos.
10.5 (…) ces deux jeunes filles qu'absorbe la lecture d'un roman-ciné (…)
R. Queneau, le Chiendent, p. 23.
10.6 L'amour, comme dans les romans-photos, et l'amitié, la haine, la jalousie, la rancune, la pitié, le pardon, la foi, l'orgueil, et tout ça, et tout ça, à n'en plus finir.
J.-M. G. Le Clézio, le Déluge, p. 258.
REM. Le vocabulaire de la critique a employé et emploie de nombreux composés plus occasionnels (ex. : roman-critique; roman-cycle, Thibaudet; roman-charge, roman-poème, roman-scénario, in Gilbert).
b Par anal. Hist. littér. Récit en prose, assimilé au roman moderne. || Romans grecs (alexandrins), latins.
c Cet ouvrage considéré dans l'invraisemblance, le merveilleux des choses évoquées. ⇒ Romanesque. ☑ Le prince qui épouse la bergère, cela n'existe que dans les romans, c'est invraisemblable. ☑ On pourrait en faire un roman (→ Brimade, cit. 2).
11 Vous allez croire, lecteur, que ce cheval est celui qu'on a volé au maître de Jacques : et vous vous tromperez. C'est ainsi que cela arriverait dans un roman, un peu plus tôt ou un peu plus tard, de cette manière ou autrement; mais ceci n'est point un roman, je vous l'ai déjà dit, je crois, et je vous le répète encore.
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 535.
♦ Avec la même valeur, en fonction d'attribut :
11.1 Le dessein de ce Roman (pas si Roman que l'on croirait) est nouveau sans doute; l'ascendant de la Vertu sur le Vice, la récompense du bien, la punition du mal, voilà la marche ordinaire de tous les Ouvrages de cette espèce; ne devrait-on pas en être rebattu !
Sade, Justine…, t. I, p. 4 (1791).
d (Collectif et qualifié). Genre particulier de romans. || Le roman noir me plaît mieux que le roman d'anticipation. || Aimer le roman policier.
4 Par métaphore, vx. ⇒ Chimère, fable, utopie. || La métaphysique (cit. 4), roman de l'esprit. ☑ (1656). Mod. C'est du roman, c'est tout un roman : c'est une histoire invraisemblable ou très compliquée. || Sa vie est un vrai roman.
12 Tant de raisonneurs ayant fait le roman de l'âme, un sage est venu qui en a fait modestement l'histoire.
Voltaire, Lettres sur les Anglais, XIII.
13 Enfin j'allai au spectacle, on donnait le Matrimonio Segreto de Cimarosa, l'actrice qui jouait Caroline avait une dent de moins sur le devant. Voilà tout ce qui me reste d'un bonheur divin. Je mentirais et ferais du roman si j'entreprenais de le détailler.
Stendhal, Vie de Henry Brulard, 46.
♦ (Par allus. au caractère romanesque des narrations). || Ce n'est pas comme dans les romans. || La vie n'est pas un roman !
5 Roman d'amour, roman : aventure amoureuse digne d'un roman. ⇒ Histoire (d'amour). || Un roman d'amour qui devient conjugal (→ Ménager, cit. 23). || Ébaucher (cit. 4) de nouveaux romans. || C'est la fin d'un beau roman !
14 Pendant ce temps, je songeais à la petite feuille de bloc-notes que m'avait passée Albertine : « Je vous aime bien », et une heure plus tard, tout en descendant les chemins qui ramenaient, un peu trop à pic à mon gré, vers Balbec, je me disais que c'était avec elle que j'aurais mon roman.
Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Folio, p. 585.
6 Spécialt. Psychan. || Roman familial : « expression créée par Freud pour désigner des fantasmes par lesquels le sujet modifie imaginairement ses liens avec ses parents (…) De tels fantasmes trouvent leur fondement dans le complexe d'Œdipe » (Laplanche et Pontalis).
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DÉR. et COMP. Romancer, romancier, romanesque, 1. romaniser. Antiroman, cinéroman, photoroman.
HOM. 2. Roman, romand.
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2. roman, ane [ʀɔmɑ̃, an] adj.
ÉTYM. 1765, Encycl.; de 1. roman.
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1 La langue romane (vieilli) : le roman de Gaule, le gallo-roman (langue romance, in Furetière, 1690). → 1. Argot, cit. 5. — Par ext. Qui appartient à cette langue, est écrit en cette langue. || Les mots romans des Gloses de Reichenau, au VIIIe siècle (→ Gloser, cit. 2). || Le texte roman des Serments de Strasbourg.
1 Il y avait dans la Gaule, lorsque les Francs y entrèrent, trois langues vivantes, la latine, la celtique et la romane (…) Le plus ancien monument que nous ayons de la langue romane est celui de Louis le germanique (…)
➪ tableau Classification des langues.
2 Relatif aux peuples conquis et civilisés par Rome (la « Romania »). || Les langues romanes : les langues issues du latin populaire (cit. 4). ⇒ Néo-latin (vx). || Les langues romanes sont des langues indo-européennes (cit. 1); elles sont écrites en caractères romains. ⇒ Catalan, espagnol, français, italien, portugais, provençal (et occitan), rhéto-roman (et ladin, romanche), roumain, sarde. || Langues romanes et langues germaniques (→ Frontière, cit. 5). — La France romane. — Par ext. Relatif aux langues romanes. || La linguistique romane (→ Étymologique, cit. 1). || Études romanes (⇒ Romaniste).
2 Mais il n'a pas fait seulement les langues romanes (le soldat romain), et la terre mesurée aux langues romanes; il n'a pas fait seulement les peuples romans, et la terre mesurée aux peuples romans; il n'a pas fait seulement la romanie et la romanité et le monde romain et le monde latin.
Ch. Péguy, la République…, p. 304.
3 Ce n'est que vers 900 que la romanisation des Francs de Neustrie semble enfin terminée. Cette forte interpénétration de tradition romane et de forces germaniques, qui n'a son égale dans aucun autre pays de l'ancien Empire, si l'on y ajoute l'invasion arabe en Espagne explique que la France du Nord soit devenue le centre de l'Occident (…) C'est donc l'invasion franque qui a créé une barrière linguistique entre le Sud et le Nord; c'est elle qui a donné au roman cette forme particulière connue sous le nom de français.
Wartburg, Évolution et Structure de la langue franç., p. 67.
3 (Fin XIXe). Qui appartient au mouvement littéraire du néo-classicisme (cit.). || L'école romane de Moréas.
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II (1818, de Gerville; auparavant, on englobait tout l'art du moyen âge sous le nom de gothique, le « roman » étant nommé gothique ancien ou normand; roman a été diffusé par A. de Caumont [1823], puis par Hugo [Notre-Dame de Paris, 1828] et Stendhal; au XIXe s., en concurrence avec normand, puis byzantin; s'impose après 1860). Relatif à l'architecture médiévale d'Europe occidentale, jusqu'à l'emploi normal de l'ogive et au développement du style gothique (XIIe-XIIIe siècle). — REM. Le mot veut d'abord désigner un art romain dégénéré; il ne s'applique qu'à l'architecture et englobe tout le haut moyen âge (alors très mal connu). — Par ext. || Relatif à l'art d'Occident, de la fin de l'État carolingien (VIIIe siècle) à la diffusion du style gothique, art caractérisé par la prédominance de l'architecture religieuse (plan basilical, voûte), la variété régionale des styles, le développement d'une iconographie abondante, etc. || L'architecture (→ Oculus, cit.), la sculpture romane. || Église romane. || Nef romane en plein cintre, en voûte d'arêtes. || Piliers, chapiteaux romans (→ Geyser, cit. 2; obscur, cit. 2). || Les statues romanes étaient peintes (cit. 33). || La fresque, la miniature romane. || Orfèvrerie romane. — Le premier art roman : l'art lombard, toscan, catalan…, aux VIIIe et IXe siècles. || Les écoles régionales romanes, bourguignonne, auvergnate, poitevine, languedocienne (sculpture), provençale, normande. || Diffusion de l'art roman en Europe. || Architecture romane monastique (cistercienne, clunisienne). || Le baroque roman (Focillon).
4 Ce style s'est appelé roman, byzantin, lombard, saxon, etc.; le public, ce me semble, n'a pas encore fait de choix; en attendant sa décision suprême, j'adopterai le mot roman, parce qu'il indique le principal caractère des édifices construits au onzième siècle (…) Ils furent avant tout l'imitation de l'architecture romaine.
Stendhal, Mémoires d'un touriste, t. I, p. 233.
5 Le terme d'art « roman » (…) évoque heureusement la coïncidence avec le développement des langues et littératures romanes. On le doit à un archéologue normand, M. de Gerville, qui, dans une lettre à son ami Le Prévot, datée de décembre 1818, écrivait, à propos de certaines églises normandes : « Tout le monde convient que cette architecture, lourde et grossière, est l'opus romanum dénaturé (…) par nos rudes ancêtres. Alors aussi, de la langue latine, également estropiée, se faisait une langue romane (…) » Le mot vaut mieux que la doctrine.
Henri Focillon, l'Art d'Occident, I, II, p. 25.
♦ Par ext. De l'époque romane. || Les ferronniers romans (→ Ferronnerie, cit. 1). || Le génie roman.
♦ N. m. (1837, Stendhal, le roman fleuri, in Mémoires d'un touriste, t. II, p. 50). L'art, le style roman. || Le roman auvergnat.
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DÉR. et COMP. 2. Romaniste. Gallo-roman, préroman, rhéto-roman, romano-gothique.
HOM. 1. Roman, romand.
Encyclopédie Universelle. 2012.